mence en ces termes; elle commence et couvre de baisers le bois insensible : -- Qui donc m'a sitôt, ô mon fils ! précipitée du faîte du bonheur dans cet abîme de misère imprévue? Mon fils, la vertu de ton père , le fruit de mes entrailles, » comment s'est tout à coup déchaîné ce cruel orage ? Quel flot t'a arraché à ma tendresse ? Ce sang qui souille ton visage , quelle main l'a fait couler? Cet attentat sur les immortels, qui l'a commis? et de cette guerre contre le ciel , quel est le sacrilége artisan? Hélas ! après une vie de fatigues et de disgrâces, sans appui, mal- heureuse, quel aujourd'hui je te vois ! Ainsi , ô toi , le charme unique de mon existence , toi , la paix de mon âme et son dernier espoir, ainsi tu m'es ravi ! ainsi tu m'abandonnes seule et demi-morte•! Quel excès de douleur ! Des soeurs t'ont imploré pour un frère, des mères pour leurs fils; moi, pour mon fils, mon Seigneur et mon Dieu , hélas ! qui pourrai-je implorer ? Quel secours réclamera mon coeur éperdu? A qui adresser mes plaintes? 'Bras cruels , arra- chez-moi la vie ! Plutôt , si votre coeur connoit encore la pitié , écrasez-moi du poids de vos armes et déchargez sur moi toute votre fureur ! Oui, si tel est le prix de la race humaine, ô mon fils ! abrège les jours de ta mère, elle t'en conjure, et conduis-la sur tes pas au séjour de la mort : je te suivrai dans ces lieux inhospita- Tiers, que détestent les vivans : puissé-je te voir briser les portes 'd'airain! puissé-jé es- super d'une main maternelle la sueur qui em- bellira le vainqueur de l'Enfer ! — A ces plain- tes, sa douleur joindra d'autres plaintes encore. » A peine, au sortir des ondes orientales, le so- leil découvrira ce crime , qu'il votidra faire re- biousser son char indigné : en vain il lutte, q, les rênes à la main : ce que pourront ses efforts, il couvrira d'une teinte rembrunie ses cheveux do- rés , et montrera long-temps à la terre son front obscurci par la douleur c'est à la perte de son au- teur et de son maître qu'il donnera des pleurs. La lune elle-même, effrayée de la tristesse em- preinte au visage de son frère, et désolée d'un si cruel événement, la lune, un voile épais étendu sur son front, détournera les yeux et ré- pandra des larmes impuissantes. Pour la terre , agitée d'un horrible fracas, elle tremblera, gémira et , des tombeaux entrouverts , vomira des fantômes. Ombres illustres, pourquoi cet empressement à les quitter? Cet avantage n'est pas commun à toutes les âmes : il en est peu qui obtiennent de revoir la lumière. Mais un jour viendra que la trompette guerrière remplira le ciel de lugubres mugissemens , et que les corps , dans toute l'étendue de la terre, reparottront à la vie. » Aujourd'hui, c'est assez que ce monarque brise les portes de l'Enfer, ouvre le sombre re- n paire de son tyran, et qu'à l'aspect de la lumière, les Euménides, à la face hideuse, les serpens rejetés sur le dos, prennent la fuite : n à peine le Phlégéton les recevra dans un bais embrasé, sur ses bords limoneux , et les ca- » chera dans ses roseaux fumans. Alors , dans ce gouffre , descendront les monstrueux habi tans de l'abîme : L'effroi glaeeraBriarée et ses frères, les cérastes et les centaures à double forme , les noires gorgones, les scylles et les. sphyni , les chimères au visage enflammé, les hydres , les chiens et les redoutables harpyes : Pluton , lui-même , le col chargé de chaînes , Pluton sera traîné, haletant, à travers le Tartare : àsescô- tés, les fleuves de rinfernal séjour, les cornes brisées , déploreront son sort avec un plaintif murmure. » Nous , le front ceint d'un laurier virginal , nous éleverons dans les vastes plaines• du ciel nos drapeaux triomphale et nous accompa- gnerons notre chef de ces accens joyeux : Gloire au guerrier, gloire au vainqueur qui soumet l'empire souterrain et les mânes, l'Érèbe, les puissances aériennes et la mort à ses lois! Assis sur le timon elevé, il laissera flotter les rênes sur son char léger, et guidera d'un regard se- rein ses coursiers ailés, coursiers étrangers à ceux dont la corne arme les pieds , à ceux qui , dans la crèche, paissent des plantes vulgaires. Le premier qui , sur son col vigoureux, porte le joug d'ivoire, c'est le gardien d'un troupeau superbe, le taureau embelli d'étoiles de pour- pre : sur son front s'élèvent des cornu epr; des soies d'or hérissent son fanon; et sonsdespieds rayonnent, astres nouveaux, des diamans par- tagés. Son air est farouche : niais le ciel n'en a pas de plus digne d'ouvrir avec ses cornes la saison pluvieuse , et d'éveiller les astres par de plus sonores mugisse-nens. A ses côtés paroh le roi même des animaux, .» la terreur des forêts , le lion. Le courage siége sur son front : une longue crinière tapisse ses flancs : sur sa poitrine règne une imposante majesté. Ce ne sont plus les combats, le car- nage et le sang qu'il respire : sa gueule est armée de dents pacifiques; et, dans le calme de ses traits, sourit une douce clémence. Sa destinée est de parcourir les airs et de monter vers la céleste voûte. A, leur suite vient le roi du ciel : un plu- mage épais embellit son corps, une aigrette sacrée surmonte sa tête : sur son front brille un diadème d'or : à l'aide de ses ailes étendues, il se lance, ainsi qu'un immense météore, par- delà le séjour des humains, les montagnes, les oiseaux, et monte , audacieux , vers la nue op- » posée à son essor. Le dernier, dont la tête partage la fatigue, est un jeune homme : des ailes s'attachent à son dos : de l'épaule gauche descend vers la poussière un manteau d'or , semé de perles orientales. Représentés sur un tissu de pour- pre, cent rois, race antique et prémices de la nation sainte, l'émaillent de leur nom- breux essaim. L'oeil reconnoit des traits réels : il croit voir de vraies montagnes , de véritables. fleuves c c'est Babylone qui brille à l'extrémité du tissu. Tel , porté dans l'espace étoilé , et ramenant son char tapissé des dépouilles du pâle séjour, il parviendra à ce sentier où la voie Lactée dou- vre et conduit au palais lumineux du ciel. C'est » là que , d'un oeil étonné , nous verrons dans une cité , des murs formés d'or, l'or élevé en palais , des toits de diamans, des chemins semés d'é- toiles, des fleuves de cristal et des monts sour- cilleux. Cest là , s'il nous est donné d'habiter le sanctuaire du maître du tonnerre , ou d'au- tres demeures, et le séjour des esprits subalter- nes , c'est là que nous pourrons compter les as- tres , contempler sous nos pieds le soleil à son aurore, aussi bien qu'à son coucher, couler de longs jours , et transmettre aux siècles futurs nos noms immortels. » A peine il a parlé : les patriarches accueillent par de nombreux applaudissemens le chantre in- terprète de la destinée : ils l'enlèvent du rivage et le portent avec de joyeux transports, élevé sur leurs épaules, en d'inaccessibles espaces. Les gouffres de l'Érèbe ont tremblé : avec eux a trem- blé le sombre palais de Pluton. Du fond de son coeur, Mégère tire de profonds soupirs et jette sur ses farouches compagnes de farouches re- gards. Alors, avec d'horribles hurlemens, Pluton cache sous lui sa queue tremblante et, de ses cris, épouvante les ombres criminelles. Dans ses antres agités, le noir Cocyte se trouble, et le mobile rocher s'arrête dans la main de Sisyphe.