[3,0] SYMMAQUE, Relation III. [3,1] « TRES ILLUSTRES EMPEREURS, Aussitôt que notre amplissime sénat vit que les lois avaient dompté le vice, et que la gloire des derniers temps était rehaussée par de bons princes, il suivit l'impulsion d'un siècle si heureux, donna cours à sa douleur trop longtemps comprimée, et me chargea une seconde fois de servir d'organe à ses plaintes. Naguère les méchants nous ont fait refuser l'audience du divin prince, parce qu'ils savaient bien que justice serait rendue. Je m'acquitte d'une double mission ; comme votre préfet, je défends les intérêts publics; comme envoyé, je viens appuyer le vœu des citoyens. Il n'y a dans cette situation rien qui doive étonner, car depuis longtemps vos sujets ont cessé de croire que dans leurs débats ils pouvaient triompher par l'appui des courtisans. L'amour des peuples, leur respect, leur dévouement, valent mieux que la puissance. Qui souffrirait des luttes privées au sein de la république? Le sénat poursuit avec raison ceux qui mettent leur autorité au-dessus de la gloire du prince. Notre sollicitude veille près de votre Clémence ; mais peut-on trouver mauvais que nous défendions les institutions de nos ancêtres, les droits et l'avenir de la patrie, aussi vivement que la gloire de notre siècle, qui sera d'autant plus grande que vous ne permettrez rien contre les usages de nos pères? [3,2] » Nous redemandons l'état religieux qui si longtemps a servi d'appui à la république. Des princes ont appartenu à la fois aux deux religions, aux deux partis; celui qui vint après eux honora les cérémonies nationales ; son successeur ne fit rien contre elles. Si la religion des anciens princes n'est plus un bon exemple, que la prudence des derniers en soit un. » Quel homme serait assez l'ami des barbares pour ne point redemander l'autel de la Victoire? Indifférents sur l'avenir, nous dédaignons les présages du malheur. Si l'on néglige la divinité, que l'on respecte au moins son nom. Votre Éternité doit beaucoup à la Victoire; elle lui devra encore davantage. Ceux qui n'avaient pas connu ses faveurs ont méprisé sa puissance; mais vous, vous ne déserterez pas un patronage que vos triomphes doivent vous faire aimer. Cette divinité a été consacrée par tous les hommes, et personne ne peut cesser d'honorer celle qu'il est si utile d'invoquer. » Si le respect pour la Victoire n'existe plus, au moins devrait-on s'abstenir de toucher à l'ornement de la curie. Souffrez, je vous en supplie, que nous puissions léguer à nos successeurs celle que dans notre jeunesse nous avons reçue de nos pères; le respect de la coutume est une chose grande; ce que fit le divin Constance heureusement dura peu. Gardez-vous d'imiter les choses qui ont été promptement révoquées. Nous cherchons l'éternité de votre gloire et de votre divinité, afin que le siècle futur ne trouve rien à corriger dans ce que vous aurez fait. Où jurerons-nous d'obéir à ces lois et d'exécuter vos ordres? quelle crainte religieuse retiendra l'homme pervers prêt à rendre un faux témoignage? Dieu est pasteur; nul refuge pour des perfides; mais afin de prévenir le crime, la religion est nécessaire. » Cet autel est le dépositaire de la concorde publique, cet autel reçoit la foi des citoyens, et nos sentences n'ont jamais plus d'autorité que quand l'Ordre a juré devant lui. Un asile sacrilège va donc être ouvert aux parjures; les illustres princes permirent cet attentat, eux dont l'inviolabilité repose sur un serment public. Mais, dit-on, le divin Constance en a fait autant; imitons toute autre chose dans la conduite de ce prince ; assurément il n'aurait pas agi de la sorte si un autre avant lui n'eût déserté le droit chemin. Les fautes des anciens doivent profiter à ceux qui viennent après eux, car l'amélioration naît de la critique d'un exemple antérieur. Le destin voulut qu'un prédécesseur de votre Clémence n'évitât pas l'injustice en des matières encore nouvelles; une semblable excuse ne serait pas valable pour nous, si nous suivions un exemple réprouvé par nos consciences. Que notre éternité choisisse donc dans la vie du même prince des exemples qu'elle pourra s'approprier plus dignement. Il n'enleva aux vierges sauvées aucun de leurs privilèges; il donna le sacerdoce aux nobles, et ne refusa pas aux Romains les sommes nécessaires à la célébration de leurs cérémonies religieuses; il parcourut les régions de la ville éternelle, suivi par le sénat satisfait; il considéra avec intérêt les temples, lut les noms des dieux inscrits sur leur fronton, s'informa de l'origine de ces édifices, loua la piété de leurs fondateurs, et, quoique d'une religion différente, il les conserva à l'empire : à chacun ses coutumes, à chacun ses rites. » L'esprit divin a gardé aux villes certains gardiens. Comme, en naissant, chaque mortel reçoit une âme, de même chaque peuple reçut ses génies protecteurs. Cette chose était utile, et c'est l'utilité qui attache les dieux à l'homme. Puisque toute cause première est enveloppée de nuages, d'où peut-on faire descendre la connaissance des dieux, si ce n'est de la tradition et des annales historiques? Si une longue suite d'années fonde l'autorité de la religion, conservons la foi de tant de siècles, suivons nos pères qui si longtemps ont avec profit suivi les leurs. » Il me semble que Rome est devant vous, et qu'elle me parle en ces termes: « Excellents princes, pères de la patrie, respectez ma vieillesse ; je la dois à une sage religion; respectez-la afin qu'il me soit permis de suivre mon ancien culte: vous n'aurez point à vous en repentir. Laissez-moi vivre selon mes désirs; car je suis libre. Ce culte a rangé le monde sous nos lois. Ces mystères ont repoussé Annibal de nos murailles; les Sénonais du Capitole. Quoi ! je réformerais dans mes vieux jours ce qui naguère m'a sauvée ! J'examinerai ce qu'il convient d'établir. La réforme de la vieillesse est tardive et insultante. » » Nous demandons la paix par les dieux de la patrie, par les dieux indigètes. Il est juste de regarder comme communes à toute la société les choses que chacun trouve. Nous sommes éclairés par les mêmes astres, nous avons tous un même ciel, un même monde nous environne. Qu'importe par quels moyens chacun poursuit la recherche de la vérité? On ne parvient pas toujours par un seul chemin à la solution de ce grand mystère. Il appartient aux oisifs de discuter sur de telles choses. En ce moment nous offrons, non le combat, mais la prière. [3,3] » Qu'a produit à notre trésor sacré la révocation des privilèges des vierges vestales? Ce que des princes très économes accordaient, on le refuse sous de très généreux empereurs. L'honneur seul donne quelque prix à cette solde, la chasteté. De même que les bandelettes sont l'ornement de leur tête, ainsi l'exemple des charges publiques est l'insigne du sacerdoce. Telles ne réclament que ce vain mot d'immunités, car la pauvreté la met à l'abri des dépenses, et ceux qui les dépouillent sont les plus empressés à leur payer un tribut de louanges. L'innocence consacrée au salut public est plus respectable quand elle ne reçoit aucune récompense. Purifiez votre trésor de cette augmentation; que sous de bons princes il s'accroisse par les dépouilles des ennemis et non par celles des pontifes. Quel profit peut jamais effacer l'injustice? Le malheur des personnes auxquelles on veut ravir d'anciens privilèges est d'autant plus grand que l'avarice n'est point dans nos mœurs. Sous des empereurs qui respectent le bien d'autrui et résistent à la cupidité, nos ennemis cherchent moins à nous appauvrir qu'à nous insulter. Le fisc retient les biens légués par la volonté des mourants aux vierges et aux pontifes ; je vous en supplie, ô ministres de l'équité ! restituez à la religion de votre ville son héritage privé. Les citoyens dictent sans crainte leurs testaments, ils savent que sous des princes généreux ce qu'ils ont signé est respecté; que cette félicité du genre humain vous soit précieuse. Ce qui arrive en ce moment commence à inquiéter les mourants. On se demande si la religion des Romains n'est plus placée sous la sauvegarde des droits du peuple. Quel nom donner à cette spoliation qui n'est autorisée par aucune loi et par aucune clause? les affranchis sont mis en possession des legs qu'on leur a faits, on ne refuse pas aux esclaves les justes avantages provenant des testaments, et de nobles vierges, les ministres des rites divins, sont seuls exclus du droit d'hérédité ! A quoi sert de vouer au salut public un corps sans tache, de fortifier l'éternité de l'empire par des secours célestes, d'environner de vertus amies vos armes et vos aigles, de faire pour tous les citoyens des vœux efficaces, si l'on ne jouit pas même du droit commun? l'esclavage n'est-il pas préférable? On porte préjudice à la république, car l'inquiétude ne lui a jamais réussi. » Ne croyez pas que je défende seulement ici les droits de la religion: tous les maux du genre humain ont été enfantés par de semblables attentats. Les lois de nos ancêtres honoraient les vierges vestales et les pontifes, en leur accordant des revenus modiques et de justes privilèges ; ils en jouirent jusqu'à l'instant où de vils trésoriers détournèrent les éléments destinés à la chasteté sacrée, pour les donner à de misérables porteurs de litières. La famine se fit bientôt sentir, une triste récolte vint trahir l'espoir des provinces. La faute n'en était pas à la terre; nous n'avons rien à reprocher aux astres; ce n'est pas la nielle qui a détruit le blé, ni l'ivraie qui a étouffé les moissons; c'est le sacrilège qui a desséché le sol. Il fallut périr parce qu'on avait refusé à la religion ce qui lui était dû. Si l'on trouve un autre exemple d'une semblable calamité, je consens à attribuer ce que nous avons souffert aux vicissitudes des temps. Les vents aggravèrent cette stérilité. Les hommes demandèrent leur nourriture aux arbres des forêts, et la misère conduisit de nouveau les paysans autour des chênes de Dodone. Arriva-t-il jamais rien de pareil du temps de nos ancêtres, où l'honneur public nourrissait les ministres de la religion? Quand l'aumône était commune au peuple et aux vierges saintes, vit-on les hommes secouer les chênes, ou arracher de la terre les racines des herbes pour pourvoir à leur subsistance? Vit-on la fécondité ordinaire des provinces impuissante à réparer leurs pertes accidentelles? L'enfance des pontifes assurait le produit des terres, car ce qu'on donnait était moins une largesse qu'un préservatif. Peut-on douter que l'on ait toujours donné pour assurer l'abondance universelle ce que nous réclamons en ce moment pour faire cesser la misère publique? » On dira peut-être que l'état ne doit pas solder une religion qui lui est étrangère. Les bons princes n'admettront pas que les choses attribuées par le public à une classe particulière d'individus puissent jamais appartenir au fisc. La république se compose de tous les citoyens, et ce qui vient d'elle profite à chaque individu. Vous avez pouvoir sur toutes choses, mais vous conservez à chacun le sien, et la justice a plus d'empire sur vous que la licence. Consultez donc votre munificence, et dites si elle refuse de regarder comme publiques les choses que vous avez transférées à d'autres personnes. Les biens qui ont été donnés une fois à la gloire de Rome cessent d'appartenir aux donateurs, et ce qui dans l'origine était un bienfait, devient avec le temps une dette. On cherche à jeter de vaines terreurs dans votre esprit divin, lorsqu'on dit que si vous ne cédez pas à l'avidité des ravisseurs vous serez complices des donateurs. Que votre clémence soit favorable aux mystères tutélaires de toutes les religions, et particulièrement à ceux que vos ancêtres protégèrent autrefois, qui nous défendent aujourd'hui et que nous révérons. » Nous redemandons cet état religieux qui conserva l'empire dans les mains de votre divin père, et procura des héritiers de son sang à cet heureux prince. [3,4] Du haut de son palais céleste ce divin vieillard vit couler les larmes des pontifes; il serait méprisé, puisqu'on viole les usages qu'il avait librement conservés. Ne suivez pas l'exemple de votre divin frère; dissimulez un acte que sans doute il ignorait devoir déplaire au sénat. Il restera prouvé que la légation n'a été repoussée que parce qu'on craignait qu'elle ne le mît dans la nécessité de rendre un jugement public. » Le respect des temps passés veut que vous ne balanciez pas à révoquer une loi qui n'est pas digne d'un prince. »