[4,0,0] LIVRE IV Le livre IV contient la description de la Gaule et des différents pays qui se trouvent situés en deçà de l'Italie et de la barrière des Alpes, y compris la Bretagne et quelques-unes des îles de l'Océan, celles du moins qui paraissent habitées. Strabon y traite aussi des régions occupées par les Barbares et de tous les peuples qui bordent la rive ultérieure de l'Ister. [4,1,1] CHAPITRE PREMIER. 1. La contrée qui succède immédiatement à l'Ibérie est la Celtique {ou Gaule} transalpine. Nous en avons déjà ci-dessus indiqué sommairement la figure et l'étendue, il nous faut maintenant la décrire en détail. Or, on la divisait {anciennement} en trois parties, l'Aquitaine, la Belgique et la Celtique {proprement dite}, les populations de l'Aquitaine formant, non seulement par leur idiome, mais encore par leurs traits physiques beaucoup plus rapprochés du type ibère que du type galate {ou gaulois}, un groupe complètement à part des autres peuples de la Gaule, qui ont tous au contraire {un type de physionomie uniforme}, le vrai type gaulois, et qui ne se distinguent les uns des autres que parce qu'ils ne parlent pas tous leur langue absolument de même, mais se servent de plusieurs dialectes ayant entre eux de légères différences, lesquelles se retrouvent aussi dans la forme de leurs gouvernements et dans leur manière de vivre. L'Aquitaine et la Celtique, séparées l'une de l'autre par le mont Cemmène, confinaient toutes deux au mont Pyréné. Comme nous l'avons dit, en effet, la Gaule transalpine a pour limite occidentale la chaîne des Pyrénées, laquelle touche à la fois aux deux mers, à la mer Intérieure d'une part, à la mer Extérieure de l'autre, et pour limite orientale le cours du Rhin parallèle au mont Pyréné; enfin pour limites septentrionale et méridionale l'Océan, qui lui sert de ceinture à partir de l'extrémité supérieure du mont Pyréné jusqu'aux bouches du Rhin, et la mer de Massalia et de Narbonne prolongée par la chaîne des Alpes depuis la Ligystique, où elle commence, jusqu'aux sources du Rhin. Quant au mont Cemmène, il s'avance perpendiculairement aux Pyrénées, à travers les plaines de la Gaule, et vient s'arrêter juste au centre du pays, c'est-à-dire dans les environs de Lugdunum, après un parcours de 2000 stades environ. Ainsi dans le principe, tandis que le nom d'Aquitains s'appliquait aux peuples qui occupent, avec la partie septentrionale du mont Pyréné, tout le versant du Cemmène en deçà du fleuve Garounas et jusqu'aux bords de l'Océan, le nom de Celtes désignait ceux qui s'étendent à l'opposite, d'un côté, jusqu'à la mer de Massalia et de Narbonne, et, de l'autre, jusqu'aux premières pentes des Alpes, et le nom de Belges comprenait, avec le reste des peuples habitant le long de l'Océan jusqu'aux bouches du Rhin, une partie de ceux qui bordent le Rhin et {la haute chaîne} des Alpes. Le divin César, dans ses Commentaires, suit encore cette division. Mais Auguste vint qui divisa la Gaule en quatre parties : il fit de l'ancienne Celtique la province Narbonitide ou Narbonnaise, maintint l'Aquitaine telle qu'elle était du temps de César, si ce n'est qu'il y annexa quatorze des peuples compris entre le Garounas et le Liger, puis, ayant distribué le reste de la Gaule en deux provinces, il rattacha l'une à Lugdunum, en lui donnant pour limite le cours supérieur du Rhin, et assigna l'autre aux Belges. A ce propos-là, du reste, {faisons une réserve et} disons que, si le géographe est tenu d'exposer en détail les divisions physiques et ethnographiques, et encore rien que les plus importantes, il doit se borner en revanche à indiquer les divisions politiques que les princes arrêtent et modifient au gré des circonstances, et ne le faire même que très sommairement laissant à d'autres le soin d'en publier le détail exact. [4,1,2] 2. Ainsi délimité, le pays se trouve arrosé dans tous les sens par des fleuves, qui descendent, soit des Alpes, soit du mont Cemmène et du mont Pyréné, et qui vont se jeter, les premiers, dans l'Océan et les autres dans notre mer Intérieure. En général, ces fleuves coulent dans des plaines ou le long de collines dont la pente douce ne gêne en rien la navigation. Ils sont de plus si heureusement distribués entre eux qu'on peut faire passer aisément les marchandises d'une mer à l'autre : à la vérité, il faut user de charrois dans une partie du trajet, mais c'est sur un espace peu étendu et d'ailleurs tout en plaine, où le chemin, par conséquent, n'offre pas de difficulté, et la plus grande partie du trajet se fait bien par la voie des fleuves, qu'on remonte et qu'on descend alternativement. Le Rhône, à ce point de vue, l'emporte sur tous les autres fleuves ; car, indépendamment du grand nombre d'affluents qui, ainsi que nous l'avons déjà dit viennent de tous côtés grossir son cours, il a le double avantage et de se jeter dans notre mer, laquelle offre de bien autres débouchés que la mer Extérieure, et de traverser la partie la plus riche de la contrée. Dans toute la Narbonnaise, en effet, les productions du sol sont identiquement les mêmes qu'en Italie, tandis qu'en avançant vers le nord et dans la direction du mont Cemmène on ne rencontre déjà plus de plantations d'oliviers ni de figuiers; les autres cultures, il est vrai, continuent de prospérer, mais, pour peu qu'on avance encore dans la même direction, on voit la vigne, à son tour, ne plus réussir qu'avec peine. En revanche, tout le reste de la Gaule produit du blé et en grande quantité, ainsi que du millet, du gland et du bétail de toute espèce, le sol n'y demeurant nulle part inactif, si ce n'est dans les parties où les marécages et les bois ont absolument interdit toute culture. Encore ces parties-là sont-elles habitées comme les autres ; mais cela tient non pas tant à l'industrie des Gaulois qu'à une vraie surabondance de population, car les femmes, dans tout le pays, sont d'une fécondité remarquable en même temps qu'excellentes nourrices. Pour ce qui est des hommes, ils ont toujours été en réalité plutôt guerriers qu'agriculteurs, aujourd'hui cependant qu'ils ont déposé les armes, ils se voient forcés de cultiver la terre. - Ce que nous venons de dire s'applique à tout l'ensemble de la Gaule ultérieure ou transalpine; prenons maintenant séparément chacune des quatre parties qui la composent, et donnons-en une description succincte, en commençant par la Narbonnaise. [4,1,3] 3. La configuration de cette province est à peu près celle d'un parallélogramme, dont le mont Pyréné forme le côté occidental et le mont Cemmène le côté septentrional, tandis que les deux autres côtés sont formés, celui du midi, par la portion de mer comprise entre le mont Pyréné et Massalia, et celui du levant en partie par la chaîne des Alpes, en partie par la ligne qui prolonge cette chaîne jusqu'à la rencontre des premières pentes du Cemmène du côté du Rhône, lesquelles forment un angle droit avec la ligne en question. Seulement, pour compléter le côté méridional de la province, il faut lui ajouter, en dehors de ce parallélogramme, toute la partie du littoral à la suite qui se trouve occupée par les Massaliotes et les Salyens, et qui s'étend jusqu'au pays des Ligyens, vers l'Italie et le Var. Ce fleuve, comme je l'ai dit ci-dessus, est la limite de la Narbonnaise et de l'Italie ; peu considérable en été, il grossit l'hiver, au point d'avoir alors une largeur de sept stades. Ainsi la côte de la Narbonnaise s'étend de l'embouchure du Var au temple de Vénus Pyrénéenne, qui marque la vraie limite de la Province et de l'Ibérie, quoi qu'aient pu dire certains auteurs, qui placent cette limite de l'Ibérie et de la Celtique au lieu même où s'élèvent les Trophées de Pompée. Et, comme on compte {de l'Aphrodisium} à Narbonne 63 milles, de Narbonne à Nemausus 88 milles, et de Nemausus aux Eaux-Chaudes, dites Aquae Sextiæ, lesquelles sont dans le voisinage de Marseille, 53 milles par la route d'Ugernum et de Taruscon, enfin 73 milles de là à Antipolis et au Var, la côte, on le voit, mesure en tout 277 milles. Notons pourtant que quelques auteurs comptent de l'Aphrodisium au Var 2600 stades, et d'autres 200 stades de plus; car on n'est point d'accord au sujet des distances. L'autre route qui, par le pays des Vocontiens et le territoire dit de Cottius, {mène aussi à la frontière d'Italie}, se confond avec la précédente depuis Nimes jusqu'à Ugernum et à Taruscon, puis, elle traverse le Druentias, passe par Cavallion , et mesure déjà 63 milles depuis Nimes, quand elle atteint, à la frontière du pays des Vocontiens, le point où commence la montée des Alpes; de ce point-là, maintenant, au bourg d'Ebrodunum, situé à l'autre frontière des Vocontiens, du côté du royaume de Cottius, la distance est de 99 milles; enfin l'on en compte autant pour le reste de la route qui, passant par le bourg de Brigantium, le bourg de Scingomagus et le col des Alpes, s'arrête à Ocelum, point extrême du territoire de Cottius. Mais, dès Scingomagus, on est en Italie, et la distance de ce bourg à Ocelum est de 28 milles. [4,1,4] 4. La ville de Massalia, d'origine phocéenne, est située sur un terrain pierreux; son port s'étend au-dessous d'un rocher creusé en forme d'amphithéâtre, qui regarde le midi et qui se trouve, ainsi que la ville elle-même dans toutes les parties de sa vaste enceinte, défendu par de magnifiques remparts. L'Acropole contient deux temples, l'Ephesium et le temple d'Apollon Delphinien : ce dernier rappelle le culte commun à tous les Ioniens : quant à l'autre, il est spécialement consacré à Diane d'Éphèse. On raconte à ce propos que, comme les Phocéens étaient sur le point de mettre à la voile pour quitter leur pays, un oracle fut publié, qui leur enjoignait de demander à Diane d'Éphèse le guide, sous les auspices duquel ils devaient accomplir leur voyage; ils cinglèrent alors sur Éphèse et s'enquirent des moyens d'obtenir de la déesse ce guide que leur imposait la volonté de l'oracle. Cependant, Aristarché, l'une des femmes les plus recommandables de la ville, avait vu la déesse lui apparaître en songe et avait reçu d'elle l'ordre de s'embarquer avec les Phocéens, après s'être munie d'une image ou représentation exacte de ses autels. Elle le fit, et les Phocéens, une fois leur installation achevée, bâtirent le temple, puis, pour honorer dignement celle qui leur avait servi de guide, ils lui décernèrent le titre de grande prêtresse. De leur côté, toutes les colonies de Massalia réservèrent leurs premiers honneurs à la même déesse, s'attachant, tant pour la disposition de sa statue que pour tous les autres rites de son culte, à observer exactement ce qui se pratiquait dans la métropole. [4,1,5] 5. La constitution de Massalia, avec sa forme aristocratique, peut être citée comme le modèle des gouvernements. Un premier conseil est établi, qui compte 600 membres nommés à vie et appelés timouques. Cette assemblée est présidée par une commission supérieure de quinze membres chargée de régler les affaires courantes et présidée elle-même par trois de ses membres, qui, sous la présidence enfin de l'un d'eux, exercent le souverain pouvoir. On ne peut être timouque, si l'on n'a point d'enfants et si l'on n'appartient point à une famille ayant droit de cité depuis trois générations. Les lois sont les lois ioniennes ; elles sont toujours exposées en public. Les Massaliotes occupent un territoire dont le sol, favorable à la culture de l'olivier et de la vigne, est, en revanche, par sa nature âpre, beaucoup trop pauvre en blé; aussi les vit-on dès le principe, plus confiants dans les ressources que pouvait leur offrir la mer que dans celles de l'agriculture, chercher à utiliser de préférence les conditions heureuses où ils se trouvaient placés pour la navigation et le commerce maritime. Plus tard cependant, à force d'énergie et de bravoure, les Massaliotes réussirent à s'emparer d'une partie des campagnes qui entourent leur ville. Ajoutons qu'ils avaient employé leurs forces militaires à fonder un certain nombre de places destinées à leur servir de boulevards contre les Barbares : les unes, situées sur la frontière d'Ibérie, devaient les couvrir contre les incursions des Ibères, de ce même peuple à qui ils ont communiqué avec le temps les rites de leur culte national (le culte de Diane d'Éphèse), et que nous voyons aujourd'hui sacrifier à la façon même des Grecs; les autres, telles que Rhodanusia et Agathé, devaient les défendre contre les Barbares des bords du Rhône; d'autres enfin, à savoir Tauroentium, Olbia, Antipolis et Nicaea, devaient arrêter les Salyens et les Ligyens des Alpes. Massalia possède encore des cales ou abris pour les vaisseaux et tout un arsenal; mais ses habitants n'ont plus ce grand nombre de vaisseaux qu'ils possédaient naguère, ni cette quantité d'engins et de machines pour l'armement des navires et les siéges de villes, qui leur avaient servi à repousser les agressions des Barbares et à se ménager, qui plus est, l'amitié des Romains, en les mettant à même de rendre à ceux-ci maints services, que les Romains, à leur tour, avaient reconnus en contribuant à leur agrandissement. C'est ainsi que Sextius, après avoir vaincu les Salyens et fondé, non loin de Massalia, la ville d'Aquæ-Sextiae, laquelle reçut ce nom en l'honneur de son fondateur et en commémoration de ces sources thermales si célèbres naguère, mais si dégénérées aujourd'hui, puisqu'une partie, dit-on, ne donne plus que de l'eau froide, entreprit, avec l'aide de la garnison qu'il avait mise dans cette ville, de dégager la route qui va de la frontière d'Italie à Massalia, en expulsant du littoral les Barbares, que les Massaliotes n'avaient pas encore réussi à en éloigner complètement. Par le fait, Sextius ne réussit pas beaucoup mieux dans son entreprise, car tout ce qu'il put obtenir se réduisit à ceci, que, dans les parties facilement accessibles aux vaisseaux, les Barbares se tiendraient désormais à une distance de 12 stades de la côte et à une distance de 8 stades dans les parties bordées de rochers; mais il s'empressa de livrer aux Massaliotes le peu de terrain qu'abandonnaient les Barbares. Beaucoup de trophées et de dépouilles encore exposés dans la ville rappellent maintes victoires navales, remportées jadis par les Massaliotes sur les différents ennemis dont l'ambition jalouse leur contestait le libre usage de la mer. On voit donc qu'anciennement la prospérité des Massaliotes était arrivée à son comble, et qu'entre autres biens ils possédaient pleinement l'amitié des Romains, comme le marque assez, du reste, parmi tant de preuves qu'on en pourrait donner, la présence sur l'Aventin d'une statue de Diane, disposée absolument de même que celle de Massalia. Par malheur, lorsque éclata la guerre civile entre César et Pompée, ils prirent fait et cause pour le parti qui eut le dessous, et leur prospérité en fut gravement compromise. Ils ne renoncèrent pourtant pas encore complètement à leur ancien goût pour la construction des machines de guerre et pour les armements maritimes. Mais comme, par le bienfait de la domination romaine, les Barbares qui les entourent se civilisent chaque jour davantage et renoncent à leurs habitudes guerrières pour se tourner vers la vie publique et l'agriculture, le goût dont nous parlons n'aurait plus eu, à proprement parler, d'objet; ils ont donc compris qu'ils devaient donner eux aussi un autre cours à leur activité. En conséquence, tout ce qu'ils comptent aujourd'hui de beaux esprits se porte avec ardeur vers l'étude de la rhétorique et de la philosophie; et, non contents d'avoir fait dès longtemps de leur ville la grande école des Barbares et d'avoir su rendre leurs voisins philhellènes au point que ceux-ci ne rédigeaient plus leurs contrats autrement qu'en grec, ils ont réussi à persuader aux jeunes patriciens de Rome eux-mêmes de renoncer désormais au voyage d'Athènes pour venir au milieu d'eux perfectionner leurs études. Puis, l'exemple des Romains ayant gagné de proche en proche, les populations de la Gaule entière, obligées d'ailleurs maintenant à une vie toute pacifique, se sont vouées à leur tour à ce genre d'occupations, et notez que ce goût chez elles n'est pas seulement individuel, mais qu'il a passé en quelque sorte dans l'esprit public, puisque nous voyons particuliers et communautés à l'envi appeler et entretenir richement nos sophistes et nos médecins. {Malgré ce changement}, les mœurs des Massaliotes sont restées simples et leurs habitudes modestes, rien ne l'atteste mieux que l'usage suivant: la dot la plus forte chez eux est de cent pièces d'or, à quoi l'on peut ajouter encore cinq pièces pour les habits et cinq pour les bijoux d'orfèvrerie, mais la loi ne permet pas davantage. Du reste, César et les princes, ses successeurs, en souvenir de l'ancienne alliance de Rome avec Massalia, se sont montrés indulgents pour les fautes qu'elle avait commises pendant la guerre civile, et lui ont conservé l'autonomie dont elle avait joui de tout temps, de sorte qu'aujourd'hui elle n'obéit pas, non plus que les villes qui dépendent d'elle, aux préfets envoyés de Rome pour administrer la province. - Voilà ce que nous avions à dire au sujet de Massalia. [4,1,6] 6. En même temps que la chaîne de montagnes, où habitent les Salyens, se détourne du couchant et prend une direction plus septentrionale, s'éloignant ainsi peu à peu de la mer, la direction de la côte vers l'ouest tend au contraire à devenir plus marquée; mais un peu plus loin que Massalia, à 100 stades environ de la ville et à partir d'un grand promontoire qu'avoisinent des carrières de pierre, elle commence à décrire une courbe pour former avec l'Aphrodisium, extrémité du mont Pyréné, le golfe Galatique ou Massaliotique. Ce golfe est double, car du milieu de l'arc qu'il dessine se détache le mont Setius qui, avec l'île voisine de Blascon, divise le golfe en deux bassins. Le plus grand de ces deux bassins forme le golfe Galatique proprement dit, c'est celui où le Rhône décharge ses eaux, le plus petit est le golfe de Narbonne, qui s'étend jusqu'au mont Pyréné. Située au-dessus des bouches de l'Atax et de l'étang Narbonitis, Narbonne est le plus grand emporium ou marché de ces contrées. Il y a pourtant sur les bords du Rhône une autre ville, la ville d'Arelate, dont le marché ne manque pas non plus d'importance. Ces deux villes sont à peu près aussi éloignées l'une de l'autre qu'elles le sont respectivement des promontoires dont nous venons de parler, c'est-à-dire aussi éloignées que Narbonne l'est de l'Aphrodisium et que l'est Arelate du {cap de} Massalia. A droite et à gauche de Narbonne, on voit déboucher différents cours d'eau qui descendent les uns des monts Cemmènes, les autres du mont Pyréné, et qui se trouvent bordés de villes assez peu distantes de la côte pour que de petites embarcations puissent remonter jusque-là. Ceux qui descendent du mont Pyréné sont le Ruscinon et l'Illibirris : ils baignent chacun une ville de même nom. Ajoutons que le Ruscinon passe dans le voisinage d'un lac ou étang, dans le voisinage aussi d'un terrain humide et tout rempli de sources salées, qui n'est qu'à une faible distance de la mer et où l'on n'a qu'à creuser pour pêcher des muges: on fait à cette intention un trou de deux à trois pieds, puis on enfonce dans l'eau bourbeuse un trident, et l'on a bien des chances pour ramener à la surface quelque muge de belle taille, car ce poisson, comme l'anguille, se nourrit de vase. Les deux cours d'eau que nous venons de nommer et qui descendent du mont Pyréné se jettent dans la mer entre Narbonne et l'Aphrodisium; quant à ceux qu'on voit déboucher de l'autre côté de Narbonne, ils descendent tous du mont Cemmène : c'est de cette chaîne de montagnes, par exemple, que viennent, indépendamment de l'Atax, l'Orbis et l'Arauris, lesquels passent, le premier à Bæterra, ville forte voisine de Narbonne, et le second à Agathé, colonie de Massalia. [4,1,7] 7. Bien que le fait de ces poissons qu'on peut pêcher en creusant la terre soit déjà merveilleux en lui-même, la côte que nous venons de décrire nous offre quelque chose de plus merveilleux encore si l'on peut dire. Il s'agit d'une plaine située entre Massalia et les bouches du Rhône à une distance de 100 stades de la mer, et dont le diamètre (elle est de forme circulaire) a également 100 stades. Son aspect lui a fait donner le nom de Champ des Cailloux : elle est couverte, en effet, de cailloux gros comme le poing, sous lesquels pousse de l'agrostis, en assez grande quantité pour nourrir de nombreux troupeaux. Il s'y trouve de plus vers le milieu des eaux {saumâtres qui en se concentrant} deviennent des étangs salés {et qui en s'évaporant} laissent du sel. Toute cette plaine, ainsi que le pays situé au-dessus, se trouve fort exposée aux vents, mais surtout aux ravages du mélamborée, bise glaciale assez forte, dit-on, pour soulever et faire rouler une partie de ces cailloux, voire même pour précipiter des hommes à bas de leurs chariots, en leur enlevant du coup armes et vêtements. Aristote pense que toutes ces pierres ont été vomies à la surface du sol à la suite de quelque tremblement de terre, de la nature de ceux qu'on connaît sous le nom de brastes, et qu'entraînées par leur poids elles ont tout naturellement glissé vers ce fond et s'y sont entassées. Mais, suivant Posidonius, cette plaine n'est autre chose qu'un ancien lac, dont la surface, par suite d'une agitation ou fluctuation violente, s'est solidifiée, puis disloquée en une infinité de pierres toutes également polies, toutes de même forme et de même volume, comme sont les cailloux des rivières et les galets des plages, ressemblance du reste qui avait frappé Aristote aussi bien que Posidonius, mais dont ces auteurs ont cherché la cause, chacun à sa manière. En somme, la double explication qu'ils ont donnée du phénomène offre en soi de la vraisemblance, car il faut nécessairement que des pierres ayant cet aspect et cette disposition aient perdu leur nature primitive et se soient formées d'une concrétion de l'élément liquide, ou détachées de grandes masses rocheuses par le fait de déchirures incessantes {et régulières}. Toutefois Eschyle, qui connaissait déjà le phénomène, soit pour l'avoir observé {par lui- même}, soit pour en avoir entendu parler à d'autres, l'avait jugé inexplicable et comme tel l'avait converti en fable. Voici en effet ce qu'il fait dire à Prométhée dans ses vers pour indiquer à Hercule la route qu'il doit suivre du Caucase aux Hespérides: « Puis tu rencontreras l'intrépide armée des Ligyens, et, si grande que soit ta vaillance, crois-moi, elle ne trouvera rien à redire au combat qui t'attend : à un certain moment (c'est l'arrêt du destin) les flèches te manqueront, sans que ta main puisse trouver sur le sol une seule pierre pour s'en armer, car tout ce terrain est mou. Heureusement, Jupiter aura pitié de ton embarras, il amassera au-dessous du ciel de lourds et sombres nuages, et fera disparaître la surface de la terre sous une grêle de cailloux arrondis, nouvelles armes qui te permettront alors de disperser sans peine l'innombrable armée des Ligyens. » Sur ce, Posidonius demande s'il n'eût pas mieux valu faire pleuvoir ces pierres sur les Ligyens eux-mêmes et les en écraser tous que d'imaginer qu'un héros comme Hercule ait pu avoir besoin de tant de pierres {pour se défendre !}. - Mais non, dirons-nous à notre tour, car il fallait bien donner au héros des armes innombrables, du moment qu'on lui opposait d'innombrables ennemis. Voilà donc un premier point, ce semble, sur lequel le mythographe a raison contre le philosophe; ajoutons que tout le reste du passage échappe de même à la critique par la précaution que le poète a prise de s'y retrancher derrière un arrêt formel du destin; et en effet, que l'on se mette une fois à discuter les arrêts de la Providence et du destin, et l'on ne trouvera que trop d'occasions semblables de dire, soit à propos des événements de la vie humaine, soit à propos des phénomènes naturels, que les choses arrangées de certaine façon eussent été mieux que comme elles sont; qu'il eût mieux valu, par exemple, que l'Égypte dût sa fertilité à des pluies abondantes et non aux crues de l'Éthiopie, qu'il eût mieux valu aussi que Pâris, en faisant voile vers Sparte, pérît dans un naufrage au lieu d'expier tardivement, sous les coups de ceux qu'il avait offensés, l'injuste enlèvement d'Hélène, et le trépas de tant de Grecs et de barbares, ce qu'Euripide n'a pas manqué de rapporter à la volonté même de Jupiter « Car Jupiter, voulant la ruine des Troyens et le châtiment de la Grèce, avait décidé qu'il en serait ainsi. » [4,1,8] 8. Au sujet des bouches du Rhône, Polybe taxe formellement Timée d'ignorance : il affirme que ce fleuve n'a pas les cinq bouches que Timée lui prête, et qu'il n'en compte que deux en tout. Artémidore, lui, en distingue trois. Ce qu'il y a de sûr c'est que plus tard Marius s'aperçut que, par le fait des atterrissements, l'entrée du fleuve tendait à s'oblitérer et devenait difficile, et qu'il fit creuser un nouveau canal où il dériva la plus forte partie des eaux du Rhône. Il en concéda la propriété aux Massaliotes, pour les récompenser de la bravoure qu'ils avaient déployée pendant sa campagne contre les Ambrons et les Toygènes, et cette concession devint pour eux une source de grands profits, en leur permettant de lever des droits sur tous les vaisseaux qui remontent ou descendent le fleuve. Aujourd'hui, du reste, l'entrée du Rhône se trouve être tout aussi difficile à cause de la violence du courant, et par le fait des atterrissements et du peu d'élévation de la côte, qu'on a peine à apercevoir même de près par les temps couverts, ce qui a donné l'idée aux Massaliotes d'y bâtir des tours en guise de signaux. Les Massaliotes, on le voit, ont pris de toute manière possession du pays, et ce temple de Diane Éphésienne, érigé par eux aux mêmes lieux, sur un terrain choisi exprès, et dont les bouches du fleuve font une espèce d'île, est là encore pour l'attester. Signalons enfin au-dessus des bouches du Rhône un étang salé, qu'on nomme le Stomalimné, et qui abonde en coquillages de toute espèce, ainsi qu'en excellents poissons. Quelques auteurs, ceux-là surtout qui veulent que le fleuve ait sept bouches, comptent cet étang pour une, mais c'est là une double erreur ; car une montagne s'élève entre deux, qui sépare absolument l'étang du fleuve. - Ici se termine ce que nous avions à dire de l'aspect et de l'étendue de la côte comprise entre le mont Pyréné et Massalia. [4,1,9] 9. Quant à la côte qui se prolonge dans la direction du Var et de la partie de la Ligystique attenante à ce fleuve, elle nous présente, avec les villes massaliotes de Tauroentium, d'Olbia, d'Antipolis et de Nicaea, la station navale, fondée naguère par César-Auguste sous le nom de Forum Julium : cette station se trouve située entre Olbia et Antipolis, à 600 stades de Massalia. Le Var coule entre les villes d'Antipolis et de Nicaea, mais passe à 20 stades de l'une et à 60 de l'autre, de sorte qu'en vertu de la délimitation actuelle Nicaea se trouve appartenir à l'Italie, bien qu'elle dépende effectivement de Massalia. Nous l'avons déjà dit, ce sont les Massaliotes, qui, se voyant entourés de Barbares, ont bâti ces différentes places : ils voulaient les contenir et s'assurer au moins le libre accès de la mer, puisque du côté de la terre tout était aux mains de leurs ennemis. Tout le pays, en effet, est montagneux et escarpé: il y a bien encore auprès de Massalia une plaine passablement large, mais à l'est de cette ville les montagnes se rapprochent tout à fait de la mer et serrent la côte de si près qu'elles y laissent à peine la place d'un chemin praticable. Le commencement de cette chaîne de montagnes est occupé par les Salyens; l'autre extrémité l'est par des tribus ligyennes limitrophes de l'Italie, dont il sera parlé plus loin. Nous ferons remarquer seulement dès à présent que, bien qu'Antipolis soit située en dedans des limites de la Narbonnaise, et Nicaea en dedans des limites de l'Italie, celle-ci demeure dans la dépendance de Massalia et fait partie de la Province, tandis qu'Antipolis se trouve rangée au nombre des villes italiques, par suite d'un décret rendu contre les Massaliotes, qui l'a affranchie de leur juridiction. [4,1,10] 10. Les îles qui bordent cette portion si étroite de la côte sont, à partir de Massalia, les îles Stoechades : il y en a trois grandes et deux petites. Les Massaliotes les cultivent. Ils y avaient même établi anciennement un poste militaire pour repousser les descentes des pirates, vu que les ports n'y manquent point. Aux Stoechades succèdent les îles de Planasia et de Léron, bien peuplées toutes deux. Léron, qui plus est, possède un heroon, celui du héros Léron. Elle est située juste en face d'Antipolis. Il y a bien encore, soit en face de Massalia, soit en face de tel autre point de la côte que nous venons de décrire, quelques petites îles, mais aucune ne mérite d'être mentionnée ici. Quant aux ports, sauf celui de Forum Julium, qui est considérable, et celui de Massalia, ils sont généralement de médiocre grandeur. Tel est par exemple le port Oxybius, qui tire son nom des Ligyens Oxybiens. Nous n'en dirons pas davantage sur cette partie de la côte. [4,1,11] 11. Passons à la contrée qui s'étend immédiatement au-dessus : cette contrée, qui emprunte une configuration particulière aux montagnes dont elle est enveloppée et aux fleuves qui la sillonnent, notamment au Rhône, le plus considérable de tous, et celui qu'on peut remonter le plus haut vu le grand nombre d'affluents dont son cours est grossi, cette contrée demande à être décrite méthodiquement. Avançons-nous donc à partir de Massalia dans le pays compris entre les Alpes et le Rhône, nous y trouvons d'abord les Salyens, dont le territoire mesure 500 stades jusqu'au Druentias; puis, le bac nous passe à Cavallion, et là nous mettons le pied sur le territoire des Cavares, qui s'étend à son tour jusqu'au confluent de l'Isar et du Rhône, c'est-à-dire jusqu'au point où le mont Cemmène vient en quelque sorte rejoindre le Rhône. Depuis le Druentias jusqu'ici, la distance parcourue est de 700 stades. Seulement, tandis que les Salyens, {dans les limites que nous avons marquées,} occupent à la fois la plaine et les montagnes qui la dominent, les Cavares ont au-dessus d'eux, dans la montagne, les Vocontiens, les Tricoriens, les Iconiens et les Médylles. Il y a encore d'autres rivières qui, entre le Druentias et l'Isar, descendent des Alpes pour s'unir au Rhône; nous en citerons deux notamment qui entourent {Luerion}, la ville des Cavares, et qui confondent leurs eaux avant de se jeter dans le fleuve, et une troisième, le Sulgas, qui a son confluent près de la ville de Vindalum, à l'endroit même où Cnaeus {Domitius} Aenobarbus tailla en pièces, dans une grande bataille rangée, plusieurs myriades de Gaulois. Dans ce même intervalle du Druentias et de l'Isar, on remarque plusieurs places importantes, telles que Avenion, Arausion et Aeria, ville bien nommée, nous dit Artémidore, en ce qu'elle occupe, tout au haut d'une montagne fort élevée, une situation vraiment aérienne. En général, le pays n'offre que plaines et beaux pâturages, mais, pour aller d'Aeria à {Luerion}, il faut franchir encore dans la montagne plusieurs défilés étroits et obstrués par des bois. Au point de jonction de l'Isar, du Rhône et du mont Cemmène, Q. Fabius Maximus Aemilianus, avec moins de trente mille hommes, tailla en pièces deux cent mille Gaulois; après quoi il éleva aux mêmes lieux un trophée en marbre blanc, ainsi que deux temples qu'il dédia, l'un, à Mars, l'autre, à Hercule. Depuis l'Isar, maintenant, jusqu'à Vienne, capitale des Allobriges, qui s'élève sur les bords mêmes du Rhône, on compte 320 stades; puis, un peu au-dessus de Vienne, au confluent de l'Arar et du Rhône, est la ville de Lugdunum. La distance, quand on s'y rend par terre, c'est-à-dire en traversant le territoire des Allobriges, est de 200 stades environ ; elle est un peu plus forte si l'on remonte le fleuve. Les Allobriges, qui entreprirent naguère tant d'expéditions avec des armées de plusieurs myriades d'hommes, en sont réduits aujourd'hui à cultiver cette plaine et les premières vallées des Alpes. En général, ils vivent dispersés dans des bourgs, toute la noblesse pourtant habite Vienne, simple bourg aussi dans l'origine, bien qu'elle portât déjà le titre de métropole de toute la nation, mais dont ils ont fini par faire une ville. Elle est située, {avons-nous dit,} sur le Rhône. Le fleuve descend des Alpes déjà si fort, si impétueux, que, même au sein du lac Lemenna qu'il traverse, son courant demeure visible sur un espace de plusieurs stades; il se répand dans les plaines du pays des Allobriges et des Ségosiaves, et reçoit l'Arar, près de Lugdunum, ville des Ségosiaves. L'Arar vient aussi des Alpes; il forme la limite entre les Séquanes, les Aeduens et les {Lingons}, puis reçoit le Dubis, autre rivière navigable, descendue également de la chaîne des Alpes; dès là réunis sous le nom d'Arar, qui a prévalu, ces deux cours d'eau vont se mêler au Rhône, dont le nom prévaut à son tour, et qui poursuit son cours sur Vienne. Il est remarquable que ces trois fleuves commencent par se porter au nord, pour tourner ensuite au couchant, mais qu'aussitôt après leur réunion leur courant commun fait un nouveau coude vers le sud et qu'en se grossissant au fur et à mesure des autres rivières {dont nous avons parlé ci-dessus} il conserve cette direction au midi jusqu'au point où, pour gagner la mer, il se divise en plusieurs branches. - Telle est la configuration de la contrée comprise entre les Alpes et le Rhône. [4,1,12] 12. De l'autre côté du fleuve, ce sont les Volces qui occupent la plus grande partie du pays, les Volces dits Aréconlisques. Narbonne passe pour être leur port, il serait plus juste de dire qu'elle est celui de la Gaule entière, tant elle surpasse les autres villes maritimes par l'importance et l'activité de son commerce. Les Volces touchent au Rhône et voient s'étendre en face d'eux, sur la rive opposée, les possessions des Salyens et des Cavares, {disons mieux, des Cavares seuls,} car le nom de ce peuple l'a emporté sur tous les autres, et l'on commence à ne plus appeler autrement les Barbares de cette rive, lesquels d'ailleurs ne sont plus, à proprement parler, des Barbares, vu qu'ils tendent de plus en plus à prendre la physionomie romaine, adoptant tous la langue, les mœurs, voire même quelques-uns les institutions des Romains. D'autres peuples, ceux-là faibles et obscurs, s'étendent des frontières des Arécomisques au mont Pyréné. La métropole des Arécomisques, Nemausus, bien inférieure à Narbonne en ce qu'on n'y voit pas la même affluence d'étrangers et de commerçants, forme en revanche une commune, une cité plus considérable. Elle a en effet dans sa dépendance vingt-quatre bourgs, tous extrêmement populeux, et dont les habitants, unis aux siens par le sang, diminuent naturellement par leurs contributions les charges qui pèsent sur elle. De plus, comme elle jouit du droit latin, quiconque y a été revêtu de l'édilité ou de la questure devient par cela seul citoyen romain, et le même privilège dispense la nation tout entière d'obéir aux ordres des préfets envoyés de Rome. La ville de Nemausus est située sur la route même qui conduit d'Ibérie en Italie, mais cette route, excellente l'été, est toute fangeuse en hiver, voire au printemps; il lui arrive même quelquefois d'être tout entière envahie et coupée par les eaux. Sans doute on peut passer quelques-uns des fleuves qu'on rencontre à l'aide de bacs ou de ponts, bâtis, soit en bois, soit en pierre, mais la grande difficulté consiste dans le passage des torrents : or, il n'est pas rare de voir, jusqu'à l'entrée de l'été, descendre de la chaîne des Alpes de ces torrents que produit la fonte des neiges. La route en question, avons-nous dit, a deux branches, l'une qui va droit aux Alpes en traversant le territoire des Vocontiens (c'est la plus courte), et l'autre qui longe la côte appartenant aux Massaliotes et aux Ligyens : celle-ci est, à la vérité, plus longue, mais les cols qu'elle a à franchir pour entrer en Italie sont plus faciles, parce qu'en cet endroit les montagnes commencent à s'abaisser sensiblement. Ajoutons que Nemausus se trouve à 100 stades environ de la rive droite du Rhône prise à la hauteur de Taruscon, petite ville bâtie sur la rive gauche, et qu'elle est d'autre part à 720 stades de Narbonne. Plus près maintenant du mont Cemmène, disons mieux, sur tout le versant méridional de la chaîne, d'une extrémité à l'autre, habitent les Volces Tectosages en compagnie de quelques autres peuples. Il sera question de ceux-ci plus loin : parlons d'abord des Tectosages. [4,1,13] 13. Leurs possessions partent du mont Pyréné et empiètent même quelque peu sur le versant septentrional des monts Cemmènes. Il s'y trouve de riches mines d'or. On peut juger de ce qu'étaient anciennement la puissance de cette nation et le nombre de ses guerriers par ce seul fait qu'on la vit, à la suite de discordes intestines, chasser de son sein en une fois une multitude de ses enfants, et qu'une partie de cette bande, grossie d'autres proscrits de différentes nations, suffit à occuper toute la portion de la Phrygie, limitrophe de la Cappadoce et de la Paphlagonie. Au moins est-ce ce qui ressort de la présence en ce pays d'une nation portant le nom de Tectosages. Effectivement, des trois nations qui se le partagent, il y en a une, celle qui occupe Ancyre et les environs de cette ville, qui s'appelle ainsi. Quant aux deux autres peuples connus sous les noms de Trocmes et de Tolistobogiens, sans doute ils sont venus aussi de la Gaule, leur confraternité avec les Tectosages donne lieu de le croire, mais de quelle partie de la Gaule sont-ils sortis? C'est ce que nous ne saurions préciser, car nous n'avons pas ouï dire qu'il existât actuellement en Gaule, soit dans la Gaule transalpine, soit dans la Gaule cisalpine, soit au sein des Alpes, de peuples nommés Trocmes et Tolistobogiens. Ce qui est présumable, c'est qu'ils se seront éteints par suite de trop fréquentes migrations, comme il est arrivé pour tant d'autres peuples, notamment pour la nation des Prauses, car nous savons par différents auteurs que Brennus (le Brennus qui assaillit Delphes) était Prause d'origine sans pouvoir dire cependant aujourd'hui où habitait cette ancienne nation. Les Tectosages étaient aussi, dit-on, de l'expédition contre Delphes, on assure même que les trésors trouvés dans la ville de Tolossa. par le général romain Cæpion provenaient d'une partie des dépouilles de Delphes, grossie, il est vrai, des offrandes qu'ils avaient faites ensuite à Apollon sur leurs propres richesses, et dans le but d'apaiser le courroux de ce Dieu, et que c'est pour avoir touché à ces trésors sacrés, que Cæpion finit ses jours si misérablement, loin de sa patrie d'où il avait été chassé comme sacrilège, et loin de ses filles, qui, livrées par décret à la prostitution, s'il faut en croire Timagène, périrent à leur tour d'une mort honteuse. Toutefois, la version de Posidonius semble plus vraisemblable : il fait remarquer que les richesses trouvées à Tolossa, soit dans l'enceinte du temple, soit au fond des lacs sacrés, représentaient une valeur de 15000 talents, toute en matières non travaillées, en lingots d'or et d'argent bruts, et que le temple de Delphes, à l'époque {où il avait été pris par les Gaulois}, ne contenait plus de semblables richesses, ayant été pillé par les Phocidiens durant la guerre sacrée ; que ce qui pouvait s'y trouver encore avait dû être partagé entre beaucoup de mains; qu'il était probable d'ailleurs que les vainqueurs n'avaient pu regagner leurs foyers, ayant été, après leur départ de Delphes et pendant toute leur retraite, assaillis de mille maux et forcés finalement par la discorde de se disperser de tous côtés. Mais, comme la contrée est très riche en mines d'or, et que les habitants (Posidonius n'est pas seul à le dire) sont à la fois très superstitieux et très modestes dans leur manière de vivre, il s'y était formé sur différents points des trésors. Les lacs ou étangs sacrés notamment offraient des asiles sûrs où l'on jetait l'or et l'argent en barre : les Romains le savaient, et quand ils se furent rendus maîtres du pays, ils vendirent ces lacs ou étangs sacrés au profit du trésor public, et plus d'un acquéreur y trouve aujourd'hui encore des lingots d'argent battu ayant la forme de pierres meulières. Le temple de Tolossa, vénéré comme il était de toutes les populations à la ronde, leur offrait aussi un asile inviolable, et naturellement les richesses s'y étaient accumulées, la piété multipliant ses offrandes, en même temps que la superstition empêchait d'y porter la main. [4,1,14] 14. Tolossa est située dans la partie la plus étroite de l'isthme compris entre l'Océan et la mer de Narbonne, lequel mesure, au dire de Posidonius, moins de 3000 stades de largeur. Mais à ce propos-là revenons encore (la chose en vaut la peine) sur ce que nous avons dit plus haut de la correspondance, en quelque sorte symétrique, qui existe entre les différents fleuves de la Gaule et par suite entre les deux mers Intérieure et Extérieure. On trouve, en effet, pour peu qu'on y réfléchisse , que cette circonstance constitue le principal élément de prospérité du pays, en ce qu'elle facilite entre les différents peuples qui l'habitent l'échange des denrées et des autres produits nécessaires à la vie, et quelle établit entre eux une communauté d'intérêts d'autant plus profitable, qu'aujourd'hui, libres de toute guerre, ces peuples s'appliquent avec plus de soin à l'agriculture et se façonnent davantage au genre de vie des nations civilisées. On serait même tenté de croire ici à une action directe de la Providence, en voyant les lieux disposés, non pas au hasard, mais d'après un plan en quelque sorte raisonné. Ainsi, le Rhône, qui peut déjà lui-même être remonté très haut, et l'être par des embarcations pesamment chargées, donne, en outre, indirectement accès dans beaucoup de cantons, par la raison que ses affluents sont également navigables et peuvent aussi transporter les plus lourds fardeaux : les marchandises reçues d'abord par l'Arar passent ensuite dans le Dubis, affluent de l'Arar; puis on les transporte par terre jusqu'au Sequanas, dont elles descendent le cours, et ce fleuve les amène au pays des Lexoviens et des Calètes, sur les côtes mêmes de l'Océan, d'où elles gagnent enfin la Bretagne en moins d'une journée. Seulement, comme le Rhône est rapide et difficile à remonter, il y a telles marchandises de ces cantons (toutes celles notamment qu'on expédie de chez les Arvernes pour être embarquées sur le Liger), qu'on aime mieux envoyer par terre sur des chariots. Ce n'est pas que le Rhône, en certains points de son cours, ne se rapproche sensiblement de l'autre fleuve, mais, la route de terre étant toute en plaine et peu longue elle-même (elle n'est guère que de 800 stades) invite à ne pas remonter le Rhône, d'autant qu'il est toujours plus facile de voyager par terre. A cette route succède la voie commode du Liger, fleuve qui descend des monts Cemmènes et va se jeter dans l'Océan. Si c'est de Narbonne qu'on part, on commence par remonter le cours de l'Atax, mais sur un espace peu étendu; le trajet qu'on fait ensuite par terre jusqu'au Garounas est plus long, mesurant à peu près 7 à 800 stades ; après quoi, par le Garounas, comme par le Liger, on atteint l'Océan. - Ici finit ce qui se rapporte aux peuples de la Province narbonnaise, autrement dit aux Celtes, pour nous servir de l'ancienne dénomination : car j'ai idée que c'est aux habitants de ladite province que les Grecs ont emprunté ce nom de Celtes qu'ils ont ensuite étendu à l'ensemble des populations de la Gaule, soit que ce nom leur ait paru plus illustre que les autres, soit que l'avantage qu'avait le peuple qui le portait d'être si proche voisin des Massaliotes ait contribué surtout à le leur faire choisir. [4,2,1] CHAPITRE II. 1. Parlons à présent des Aquitains et de ces quatorze peuples de race galatique ou gauloise, habitant entre le Garounas et le Liger et en partie aussi dans la vallée du Rhône et dans les plaines de la Narbonnaise, qui ont été réunis administrativement à l'Aquitaine. {Je dis administrativement,} car autrement et à prendre les choses comme elles sont en réalité, les Aquitains diffèrent des peuples de race gauloise tant par leur constitution physique que par la langue qu'ils parlent, et ressemblent bien davantage aux Ibères. Ils ont pour limite le cours du Garounas et sont répandus entre ce fleuve et le mont Pyréné. On compte plus de vingt peuples aquitains, mais tous faibles et obscurs ; la plupart habitent les bords de l'Océan, les autres l'intérieur même des terres, où ils s'avancent jusqu'aux extrémités des monts Cemmènes et aux frontières des Tectosages. Ainsi délimitée, l'Aquitaine formait une province trop peu étendue, c'est pourquoi on l'a accrue de tout le pays compris entre le Garounas et le Liger. Ces deux fleuves, à peu près parallèles au mont Pyréné, déterminent, par rapport à cette chaîne de montagnes, un double parallélogramme, dont les deux autres côtés sont figurés par l'Océan et par les monts Cemmènes. Le cours de chacun d'eux mesure à peu près 2000 stades. C'est entre les Bituriges-Vibisques et les Santons, deux peuples de race gauloise, que le Garounas, grossi des eaux de trois affluents, débouche dans l'Océan. Les Bituriges-Vibisques sont les seuls étrangers dont les possessions se trouvent enclavées parmi celles des Aquitains ; mais ils ne font pas partie pour cela de leur confédération. Ils ont leur emporium ou marché principal à Burdigala, ville située au fond d'un estuaire que forment les bouches du Garounas. Quant au Liger, c'est entre les Pictons et les Namnites {ou Namnètes} qu'il débouche. On voyait naguère sur les bords de ce fleuve un autre emporium, du nom de Corbilon ; Polybe en parle dans le passage où il rappelle toutes les fables débitées par Pythéas au sujet de la Bretagne. « Scipion, dit-il, ayant appelé des Massaliotes en conférence pour les interroger au sujet de la Bretagne, aucun d'eux ne put le renseigner sur cette contrée d'une façon tant soit peu satisfaisante, les négociants de Narbonne et de Corbilon pas davantage ; et c'étaient là pourtant les deux principales villes de commerce de la Gaule : on peut juger par ce seul fait de l'effronterie avec laquelle Pythéas a menti. » Mediolanium est la capitale des Santons. En général, tout le long de l'Océan, le sol de l'Aquitaine est sablonneux et maigre, et, à défaut des autres céréales, ne produit guère que du millet pour la nourriture de ses habitants. C'est aussi sur les côtes d'Aquitaine que l'Océan creuse le golfe qui forme, avec le golfe Galatique du littoral de la Narbonnaise, l'isthme dont nous avons parlé : comme celui auquel il correspond, le golfe de l'Océan porte le nom de Galatique. Les Tarbelli qui en occupent les bords ont dans leur territoire les mines d'or les plus importantes qu'il y ait en Gaule, car il suffit d'y creuser des puits d'une faible profondeur pour trouver des lames d'or, épaisses comme le poing, dont quelques-unes ont à peine besoin d'être affinées. Mais en général, c'est sous la forme de paillettes et de pépites que l'or s'y présente, et, dans cet état-là même, il n'exige jamais un grand travail d'affinage. Dans les plaines de l'intérieur, ainsi que dans la partie montagneuse, le sol de l'Aquitaine est de meilleure qualité, il est notamment fertile dans le voisinage du mont Pyréné, chez les Convènes, ou, comme nous dirions en grec, chez les Synélydes, peuple dont la capitale se nomme Lugdunum, et qui possède les Thermes Onésiens, sources magnifiques donnant une eau excellente à boire. Le territoire des Auscii est également d'une grande fertilité. {Ajoutons que quelques-uns des peuples aquitains proprement dits, et dans le nombre les Auscii et les Convènes, ont reçu des Romains le droit latins.} [4,2,2] 2. Voici, maintenant, quels sont les peuples compris entre le Garounas et le Liger qui ont été, avons-nous dit, annexés à l'Aquitaine : les Éluens, d'abord, dont le territoire commence à partir du Rhône; immédiatement après les Éluens, les Vellaves, qui faisaient partie naguère de la nation des Arvernes, mais qui, aujourd'hui, sont indépendants; puis les Arvernes eux-mêmes, les Lémovices et les Pétrocoriens, auxquels il faut ajouter les Nitiobriges, les Cadurques et les Bituriges-Cubes; sur le littoral, les Santons et les Pictons, les premiers, riverains du Garounas, les autres, riverains du Liger; enfin, les Rutènes et les Gabales, sur les confins de la Narbonnaise. Il y a de belles forges chez les Pétrocoriens, ainsi que chez les Bituriges-Cubes; des fabriques de toiles de lin chez les Cadurques, et des mines d'argent chez les Rutènes et chez les Gabales. [4,2,3] 3. C'est dans le voisinage du Liger que sont établis les Arvernes : ce fleuve baigne les murs de Nemossus, leur capitale, puis il passe à Cenabum, principal emporium ou marché des Carnutes, dont l'emplacement marque à peu près le milieu de son cours, pour se diriger de là vers l'Océan où il se jette. Ce qui peut donner une haute idée de l'ancienne puissance des Arvernes, c'est qu'ils se sont mesurés à plusieurs reprises avec les Romains et leur ont opposé des armées fortes de 200.000 hommes, voire même du double, car l'armée avec laquelle Vercingétorix combattit le divin César était bien de 400.000 hommes. Dejà auparavant, ils avaient combattu au nombre de 200.000 et contre Maximus Aemilianus, et contre Domitius Ahenobarbus. Avec César, la lutte s'engagea d'abord devant Gergovia, ville des Arvernes, bâtie au sommet d'une haute montagne et patrie de Vercingétorix; elle recommença sous les murs d'Alesia, ville appartenant aux Mandubiens, nation limitrophe des Arvernes, et située, comme Gergovia, au haut d'une colline très élevée, avec d'autres montagnes et deux rivières autour d'elle; mais le chef gaulois y fut fait prisonnier, ce qui mit fin à la guerre. Quant à la lutte contre Maximus Aemilianus, elle avait eu lieu près du confluent de l'Isar et du Rhône, lequel en cet endroit, touche presque à la chaîne des monts Cemmènes; et c'est plus bas, au confluent du Sulgas et du Rhône, que s'était livrée la bataille contre Domitius. Ajoutons que les Arvernes, non contents d'avoir reculé les limites de leur territoire jusqu'à Narbonne et aux confins de la Massaliotide, étaient arrivés à dominer sur la Gaule entière, depuis le mont Pyréné jusqu'à l'Océan et au Rhin. Enfin le fait suivant peut donner une idée de l'opulence et du faste de Luerius, père de ce fameux chef, Bituit, qui livra bataille à Maximus et à Domitius : pour faire montre de sa richesse aux yeux du peuple, il aimait à se promener en char dans la campagne en jetant de droite et de gauche sur son passage des pièces d'or et d'argent, que ramassait la foule empressée à le suivre. [4,3,1] CHAPITRE III. 1. A la province d'Aquitaine et à la Narbonnaise succède une autre région, qui, partant du Liger et du haut Rhône, autrement dit de la portion du Rhône comprise entre sa source et la ville de Lugdunum, s'étend jusqu'au Rhin et borde ce fleuve dans tout son cours. La partie haute de cette région, j'entends celle qui avoisine les sources des deux fleuves, les sources du Rhin et celles du Rhône, s'étendant ensuite à peu près jusqu'au milieu de la plaine, relève de Lugdunum; quant au reste du pays, lequel se prolonge jusqu'à l'Océan, on en a fait une autre province attribuée politiquement aux Belges. Toutefois, dans la description détaillée que nous allons donner de cette région, nous nous conformerons aux divisions plus communément suivies par les géographes. [4,3,2] 2. La ville même de Lugdunum, qui s'élève adossée à une colline, au confluent de l'Arar et du Rhône, est un établissement romain. Il n'y a pas dans toute la Gaule, à l'exception cependant de Narbonne, de ville plus peuplée, car les Romains en ont fait le centre de leur commerce, et c'est là que leurs préfets font frapper toute la monnaie d'or et d'argent. C'est là aussi qu'on voit ce temple ou édifice sacré, hommage collectif de tous les peuples de la Gaule, érigé en l'honneur de César Auguste : il est placé en avant de la ville, au confluent même des deux fleuves, et se compose d'un autel considérable, où sont inscrits les noms de soixante peuples, d'un même nombre de statues, dont chacune représente un de ces peuples, enfin d'un grand naos ou sanctuaire. Lugdunum est en même temps le chef-lieu du territoire des Ségosiaves, lequel se trouve compris entre le Rhône et le Doubs {le Liger}. Quant aux peuples qui succèdent aux Segosiavi dans la direction du Rhin, ils ont pour leur servir de limite, les uns, le Doubs, les autres l'Arar, deux rivières qui, ainsi que nous l'avons dit précédemment, descendent aussi des Alpes et se jettent dans le Rhône, après avoir confondu leurs eaux. Mais il y a encore une autre rivière, le Sequanas, qui prend sa source dans les Alpes et va se jeter dans l'Océan, après avoir coulé parallèlement au Rhin et avoir traversé tout le territoire d'un peuple de même nom compris entre le Rhin à l'est et l'Arar à l'ouest : c'est de chez ce peuple que provient le meilleur porc salé qu'on expédie à Rome. Entre le Doubs et l'Arar ce sont les Aeduens qui habitent : la ville de Cabyllinum, sur l'Arar, et la place forte de Bibracte leur appartiennent. Les Aeduens se faisaient appeler aussi les frères du peuple romain, et ils avaient été effectivement les premiers d'entre les peuples de la Gaule à rechercher l'amitié et l'alliance des Romains. Les Séquanes, au contraire, qui habitent au delà de l'Arar, avaient été de bonne heure en butte à la haine des Romains, comme aussi des Aeduens, pour avoir pris part à plusieurs reprises aux incursions des Germains en Italie, d'autant que ces incursions avaient révélé leur supériorité militaire, ayant toujours été terribles ou impuissantes, suivant qu'ils avaient prêté ou refusé leur concours aux Germains. Avec les Aeduens, la haine était de plus envenimée par des contestations incessantes au sujet du fleuve qui les sépare, chacun des deux peuples prétendant à la possession exclusive du cours de l'Arar et revendiquant la perception des péages. Mais aujourd'hui les Romains sont maîtres de tout. [4,3,3] 3. Des différents peuples, maintenant, qui bordent le Rhin, les Helvètes se présentent à nous les premiers: c'est sur leur territoire, en effet, au mont Adulas, que se trouvent les sources du fleuve. De la même montagne, laquelle fait partie des Alpes, descend, mais dans une direction opposée, c'est-à-dire dans la direction de la Gaule cisalpine, le fleuve Adduas qui, après avoir formé le lac Larius, sur les bords duquel s'élève Côme, s'en va s'unir au Padus. Nous parlerons plus loin de ce dernier fleuve et de ses affluents : pour le Rhin, il forme également dans son cours, et de vastes marais, et un grand lac qui marque la limite extrême des possessions des Rhoetiens et des Vindoliciens, peuples établis en partie dans les Alpes, en partie au-dessus des Alpes. Asinius affirme que la longueur du cours du Rhin est de 6000 stades; cependant il n'en est rien. Mettons en effet que ce fleuve puisse avoir en ligne droite un peu plus de la moitié de cette longueur; assurément ce sera assez d'ajouter mille stades pour les sinuosités qu'il décrit. On sait quelle est sa rapidité, bien qu'il coule dès sa sortie des montagnes dans des plaines presque sans pente, et combien il est difficile à cause de cette rapidité même d'y établir des ponts; or, je le demande, se pourrait-il qu'il conservât cette rapidité et cette force de courant, si, avec le peu de pente qu'il a, nous lui faisions décrire encore une infinité de longs détours? Asinius veut aussi que le Rhin n'ait que deux bouches, et il taxe d'ignorance ceux qui lui en prêtent davantage. Comme le Rhin, le Sequanas embrasse une certaine étendue de pays dans ses sinuosités, mais il s'en faut bien aussi que ces sinuosités aient le développement qu'on a dit. Les deux fleuves coulent du sud au nord et débouchent l'un et l'autre en face de la Bretagne, le Rhin assez près pour que de son embouchure on aperçoive distinctement le cap Cantium, extrémité orientale de l'île, le Sequanas un peu moins près : aussi est-ce dans le voisinage de l'embouchure du Rhin que le divin César établit le rendez-vous de sa flotte, quand il fut pour passer en Bretagne. Ajoutons que le trajet qu'ont à faire par le Sequanas les bateaux qui ont reçu les marchandises venues de l'Arar est un peu plus long que le trajet par le Liger ou par le Garounas, sans compter qu'il y a bien 1000 stades de Lugdunum au Sequanas et le double ou peu s'en faut des bouches du Rhône à Lugdunum. Fort riches eux-mêmes, à ce qu'on prétend, les Helvètes ne s'en étaient pas moins laissé tenter par la vue des richesses des Cimbres, et c'est ainsi qu'ils se tournèrent vers le brigandage : ils eurent dans la guerre des Cimbres deux de leurs tribus, sur trois, exterminées; mais on put voir, lors de la guerre contre le divin César, qu'une grande nation s'était déjà reformée des débris de l'ancienne, puisque les Helvètes perdirent 400.000 hommes dans cette guerre, et que César en épargna encore 8000, pour éviter que leur pays, une fois dépeuplé, ne tombât au pouvoir des Germains, leurs voisins. [4,3,4] 4. Aux Helvètes, le long des bords du Rhin, succèdent les Séquanes et les Médiomatrices, et, compris parmi ces derniers, les Tribocques, peuple germain, enlevé naguère à ses foyers et transporté là de la rive opposée du fleuve. Le mont Jurasius, situé dans le pays des Séquanes, sert de ligne de démarcation entre ce peuple et les Helvètes. Au-dessus, maintenant, des Helvètes et des Séquanes, dans la direction du couchant, habitent les Aeduens et les Lingons, et dans la même direction, au-dessus des Médiomatrices, les Leuques et encore les Lingons. Puis, entre le Liger et le Sequanas, dans la contrée qui s'étend par delà le Rhône et l'Arar, juste au N. des Allobriges et du territoire de Lugdunum, habitent différents peuples : les plus célèbres sont les Arvernes et les Carnutes dont le Liger traverse les possessions. Le Liger est tributaire de l'Océan, et, comme le trajet qui sépare la côte de Bretagne de l'embouchure des fleuves de la Gaule n'est que de 320 stades, en partant le soir avec le reflux, on peut aborder le lendemain dans cette île vers la 8e heure. Au-dessous des Médiomatrices et des Tribocques sur le Rhin, à la hauteur du pont, que les généraux romains, qui opèrent actuellement contre les Germains, viennent de jeter sur ce fleuve, habitent les Trévires. Juste vis-à-vis, sur la rive opposée, étaient établis les Ubiens, avant qu'Agrippa les eût transportés de leur plein gré de ce côté-ci du fleuve. Les Nerviens, qui succèdent immédiatement aux Trévires, sont aussi d'origine germanique. Puis viennent les Ménapes, qui habitent, eux, aux bouches mêmes et des deux côtés du Rhin, parmi des marais et des bois, ou pour mieux dire, vu le peu d'élévation des arbres, parmi des halliers touffus et épineux. Les Sugambres, autre peuple germain, sont établis dans le voisinage immédiat des Ménapiens. Enfin, au-dessus de la vallée même du fleuve, et tout le long de sa rive droite, habitent les Suèves, Germains aussi l'origine, mais qui surpassent de beaucoup les autres peuples de la même race par leur nombre et leur puissance militaire : ce sont les armes des Suèves, en effet, qui ont expulsé le peuple que nous avons vu tout récemment chercher asile sur la rive citérieure, et, règle générale, à mesure que les peuples placés devant eux déposent les armes et traitent avec les Romains, les Suèves ne manquent jamais de prendre violemment leur place; comme pour faire renaître la guerre de ses cendres. [4,3,5] 5. A l'O. des Trévires et des Nerviens habitent les Sénons et les Rèmes, auxquels il faut ajouter les Atrébatiens et les Éburons ; puis, à la suite des Ménapes, sur le littoral même, viennent les Morins, et, après eux, les Bellovaques, les Ambianiens, les Suessions et les Calètes jusqu'à l'embouchure du Sequanas. Le pays des Morins, des Atrébatiens et des Éburons offre le même aspect que celui des Ménapes, l'aspect d'une forêt, mais d'une forêt d'arbres très peu élevés, qui, tout en présentant une superficie considérable, n'a pourtant que les 4000 stades d'étendue que les historiens lui donnent. On désigne cette forêt sous le nom d'Arduenne. Habituellement, en cas de guerre et d'invasion, les gens du pays entrelaçaient ensemble les branches de ces arbustes, qui sont épineux et rampants comme des ronces, pour que l'ennemi trouvât tous les passages obstrués; dans certains endroits même ils enfonçaient en terre de gros pieux, après quoi ils allaient se cacher eux et leurs familles au plus profond des bois dans les petites îles de leurs marais. Seulement, s'ils trouvaient là, durant la saison des pluies, d'impénétrables retraites, il devenait aisé de les y atteindre quand commençait la sécheresse. Actuellement, toutes ces populations en deçà du Rhin ont déposé les armes et obéissent aux Romains. Nous nommerons encore dans le bassin même du Sequanas les Parisii qui occupent une île du fleuve et ont pour ville Lucotocia, les Meldes, les Lexoviens dont le territoire borde l'Océan; mais ce sont les Rèmes qui forment la nation la plus considérable de cette partie de la Gaule, et comme Duricortora, leur capitale, est en même temps la ville la plus peuplée du pays, c'est elle naturellement qui sert de résidence aux préfets envoyés de Rome. [4,4,1] CHAPITRE IV. 1. Les derniers peuples que nous ayons encore à mentionner après ceux qui précèdent appartiennent à la Belgique parocéanique ou maritime. De ce nombre sont les Vénètes qui livrèrent à César cette grande bataille navale : ils s'étaient proposé d'empêcher César de passer en Bretagne, l'île de Bretagne étant le principal débouché de leur commerce. Mais César eut facilement raison de leur flotte, bien que ses vaisseaux n'eussent pu faire usage de leurs éperons, le bois des embarcations vénètes ayant trop d'épaisseur : il laissa l'ennemi arriver sur lui à pleines voiles et poussé par le vent, puis, sur son ordre, les Romains, qui s'étaient munis de faux emmanchées au bout de longues piques, se mirent à couper et à arracher les voiles des vaisseaux vénètes, voiles faites en cuir à cause de la violence habituelle du vent dans ces parages, et que les Vénètes tendent, non avec des câbles, mais à l'aide de chaînes. Quant aux vaisseaux mêmes, ils sont très larges de fond, très élevés de la poupe comme de la proue, pour pouvoir mieux résister aux marées de l'Océan, et construits en chêne, vu que le chêne abonde sur ces côtes : seulement, eu égard à la nature de ce bois, on ne rapproche pas les planches de façon à les faire joindre exactement, mais on y laisse des interstices, qu'on bouche ensuite avec des algues marines, pour éviter que, quand le navire est tiré à terre, le bois, faute d'humidité, ne se dessèche; car, tandis que le bois de chêne est toujours sec et maigre, les algues sont plutôt humides de leur nature. La plupart des peuples Celtes ou Gaulois établis en Italie (les Boiens notamment et les Sénons) étant venus de la Gaule transalpine, je serais assez porté à croire que les Vénètes de l'Adriatique sont une colonie de ces Vénètes de l'Océan, et que c'est uniquement la ressemblance des noms qui les a fait passer pour originaires de Paphlagonie. Je ne donne pas du reste mon opinion pour certaine, mais elle est vraisemblable, et, dans les questions de ce genre, cela suffit. Aux Vénètes succèdent les Osismiens, ou, comme les nomme Pythéas, les {Ostimiens} : ce peuple habite une presqu'île qui avance passablement loin dans l'Océan, pas aussi loin pourtant que le prétend Pythéas et qu'on le répète d'après lui. Quant aux nations comprises entre le Sequanas et le Liger, elles confinent, {avons-nous dit,} les unes aux Séquanes, et les autres aux Arvernes. [4,4,2] 2. Tous les peuples appartenant à la race dite gallique ou galatique sont fous de guerre, irritables et prompts à en venir aux mains, du reste simples et point méchants : à la moindre excitation, ils se rassemblent en foule et courent au combat, mais cela ouvertement et sans aucune circonspection, de sorte que la ruse et l'habileté militaires viennent aisément à bout de leurs efforts. On n'a qu'à les provoquer, en effet, quand on veut, où l'on veut et pour le premier prétexte venu, on les trouve toujours prêts à accepter le défi et à braver le danger, sans autre arme même que leur force et leur audace. D'autre part, si on les prend par la persuasion, ils se laissent amener aisément à faire ce qui est utile, témoin l'application qu'ils montrent aujourd'hui même pour l'étude des lettres et de l'éloquence. Cette force dont nous parlions tout à l'heure tient en partie à la nature physique des Gaulois, qui sont tous des hommes de haute taille, mais elle provient aussi de leur grand nombre. Quant à la facilité avec laquelle ils forment ces rassemblements tumultueux, la cause en est dans leur caractère franc et généreux qui fait qu'ils sentent l'injure de leurs voisins comme la leur propre et s'en indignent avec eux. Aujourd'hui, à vrai dire, que ces peuples, asservis aux Romains, sont tenus de prendre en tout les ordres de leurs maîtres, ils vivent entre eux dans une paix profonde; mais nous pouvons nous représenter ce qu'ils étaient anciennement par ce qu'on raconte des mœurs actuelles des Germains, car, physiquement et politiquement, les deux peuples se ressemblent et peuvent passer pour frères, sans compter qu'ils habitent des contrées limitrophes, séparées uniquement par le Rhin et ayant ensemble presque sous tous les rapports une grande analogie, si ce n'est que la Germanie est plus septentrionale, comme il est facile de le vérifier en comparant ses parties méridionale et septentrionale respectivement avec les parties méridionale et septentrionale de la Gaule. Les migrations lointaines des Gaulois trouvent leur explication précisément dans cette tendance à procéder toujours tumultuairement et par levées en masse, dans cette habitude, surtout, de se déplacer, eux, leurs familles et leurs biens, dès qu'ils se voyaient attaqués sur leurs terres par un ennemi plus fort. Ajoutons que la même cause a rendu la conquête de la Gaule beaucoup moins difficile pour les Romains que celle de l'Ibérie : la guerre d'lbérie commencée plus tôt finit, on le sait, plus tard, et, dans l'intervalle, les Romains avaient eu le temps de réduire tous les peuples compris entre le Rhin et les monts Pyrénées. Comme les Gaulois attaquent toujours par grandes masses et avec toutes leurs forces, c'est par grandes masses aussi qu'ils succombaient; les Ibères, au contraire, ménageaient en quelque sorte et morcelaient la guerre, ne combattant jamais tous à la fois, mais par bandes détachées et tantôt sur un point, tantôt sur un autre, à la façon des brigands. Les Gaulois n'en sont pas moins par nature tous d'excellents soldats, supérieurs seulement comme cavaliers à ce qu'ils sont comme fantassins, et, en effet, à l'heure qu'il est, c'est de chez eux que les Romains tirent leur meilleure cavalerie. On remarque aussi qu'ils sont plus belliqueux à proportion qu'ils sont plus avancés vers le Nord et plus voisins de l'Océan. [4,4,3] 3. A ce titre, le premier rang, dit-on, appartient aux Belges, confédération de quinze peuples répandus le long de l'Océan entre le Rhin et la Loire, et assez vaillants en effet pour avoir pu à eux seuls arrêter l'invasion germanique, j'entends celle des Cimbres et des Teutons. Parmi les Belges mêmes, les Bellovaques sont réputés les plus braves, et, après les Bellovaques les Suessions. Les Belges sont d'ailleurs extrêmement nombreux, on peut en juger par ce que disent les historiens qu'ils comptaient anciennement jusqu'à 300.000 hommes pouvant porter les armes. On a déjà vu plus haut quelle multitude de soldats pouvaient mettre sur pied la nation des Helvètes et celle des Arvernes avec ses alliés, tout cela ensemble peut donner une idée de la population élevée de la Gaule entière et justifie ce que nous avons déjà dit de l'heureuse fécondité des femmes gauloises et de leur supériorité comme nourrices. Les Gaulois sont habillés de saies, ils laissent croître leurs cheveux et portent des anaxyrides ou braies larges et flottantes, et, au lieu de tuniques, des blouses à manches qui leur descendent jusqu'aux parties et au bas des reins. La laine dont ils se servent pour tisser ces épais sayons appelés "laenae" est rude, mais très longue de poil. Les Romains réussissent pourtant, et cela dans les parties les plus septentrionales de la Belgique, à obtenir une laine passablement soyeuse en faisant couvrir de peaux les brebis. L'armure des Gaulois est en rapport avec leur haute stature : elle se compose en premier lieu d'un sabre long qu'ils portent pendu à leur flanc droit, puis d'un bouclier de forme allongée, de piques longues à proportion et d'une sorte de dard ou javelot appelé "madaris". Quelques-uns se servent en outre d'arcs et de frondes. Ils ont encore une arme de jet, une sorte de haste en bois, semblable à celle des vélites, qu'ils lancent sans amentum ou courroie, et rien qu'avec la main, plus loin qu'une flèche, ce qui fait qu'ils s'en servent de préférence, même pour chasser à l'oiseau. Presque tous les Gaulois, aujourd'hui encore, couchent sur la dure et prennent leurs repas assis sur de la paille. Ils se nourrissent de lait, de viandes de diverses sortes, mais surtout de viande de porc, fraîche ou salée. Les porcs ici n'étant jamais rentrés acquièrent une taille, une vigueur et une vitesse si grandes, qu'il y a du danger à s'en approcher quand on n'en est pas connu et qu'un loup lui-même courrait de grands risques à le faire. Les maisons des Gaulois, bâties en planches et en claies d'osier, sont spacieuses et ont la forme de rotondes; une épaisse toiture de chaume les recouvre. La grande quantité de bétail, surtout de moutons et de porcs, qu'ils possèdent, explique comment ils peuvent approvisionner si abondamment de saies et de salaisons, non seulement Rome, mais la plupart des autres marchés de l'Italie. La forme de gouvernement la plus répandue autrefois chez les peuples gaulois était la forme aristocratique : en vertu d'un usage immémorial, chacun d'eux tous les ans se choisissait un chef, et, de même, en cas de guerre; chaque armée élisait son général. Mais aujourd'hui ils relèvent presque tous de l'administration romaine. Il se passe dans leurs assemblées politiques quelque chose de particulier : si l'un des assistants interrompt bruyamment l'orateur ou cause quelque désordre, le licteur ou officier public s'avance l'épée nue à la main, et lui impose silence d'un air menaçant; s'il continue, le licteur répète deux ou trois fois son ordre et finit par couper au perturbateur un pan de sa saie assez large pour que le reste ne puisse plus servir. Nous ferons remarquer aussi que, chez les Gaulois, les occupations des hommes et des femmes sont distribuées juste à l'inverse de ce qu'elles sont chez nous, mais c'est là une particularité qui leur est commune avec mainte autre nation barbare. [4,4,4] 4. Chez tous les peuples gaulois sans exception se retrouvent trois classes d'hommes qui sont l'objet d'honneurs extraordinaires, à savoir les Bardes, les Vatès et les Druides, les Bardes, autrement dits les chantres sacrés, les Vatés, autrement dits les devins qui président aux sacrifices et interrogent la nature, enfin les Druides, qui, indépendamment de la physiologie ou philosophie naturelle, professent l'éthique ou philosophie morale. Ces derniers sont réputés les plus justes des hommes, et, à ce titre, c'est à eux que l'on confie l'arbitrage des contestations soit privées soit publiques : anciennement, les causes des guerres elles-mêmes étaient soumises à leur examen et on les a vus quelquefois arrêter les parties belligérantes comme elles étaient sur le point d'en venir aux mains. Mais ce qui leur appartient spécialement c'est le jugement des crimes de meurtre, et il est à noter que, quand abondent les condamnations pour ce genre de crime, ils y voient un signe d'abondance et de fertilité pour le pays. Les Druides (qui ne sont pas les seuls du reste parmi les barbares proclament l'immortalité des âmes et celle du monde, ce qui n'empêche pas qu'ils ne croient aussi que le feu et l'eau prévaudront un jour sur tout le reste. [4,4,5] 5. A leur franchise, à leur fougue naturelle les Gaulois joignent une grande légèreté et beaucoup de fanfaronnade, ainsi que la passion de la parure, car ils se couvrent de bijoux d'or, portent des colliers d'or autour du cou, des anneaux d'or autour des bras et des poignets, et leurs chefs s'habillent d'étoffes teintes de couleurs éclatantes et brochées d'or. Cette frivolité de caractère fait que la victoire rend les Gaulois insupportables d'orgueil, tandis que la défaite les consterne. Avec leurs habitudes de légèreté, ils ont cependant certaines coutumes qui dénotent quelque chose de féroce et de sauvage dans leur caractère, mais qui se retrouvent, il faut le dire, chez la plupart des nations du Nord. Celle-ci est du nombre : au sortir du combat, ils suspendent au cou de leurs chevaux les têtes des ennemis qu'ils ont tués et les rapportent avec eux pour les clouer, comme autant de trophées, aux portes de leurs maisons. Posidonius dit avoir été souvent témoin de ce spectacle, il avait été long à s'y faire, toutefois l'habitude avait fini par l'y rendre insensible. Les têtes des chefs ou personnages illustres étaient conservées dans de l'huile de cèdre et ils les montraient avec orgueil aux étrangers, refusant de les rendre même quand on voulait les leur racheter au poids de l'or. Les Romains réussirent pourtant à les faire renoncer à cette coutume barbare ainsi qu'à maintes pratiques de leurs sacrificateurs et de leurs devins qui répugnaient trop à nos mœurs : il était d'usage, par exemple, que le malheureux désigné comme victime reçût un coup de sabre {à l'endroit des fausses côtes,} puis l'on prédisait l'avenir d'après la nature de ses convulsions {et cela en présence des Druides}, vu que jamais ils n'offraient de sacrifices sans que des Druides y assistassent. On cite encore chez eux d'autres formes de sacrifices humains : tantôt, par exemple, la victime était tuée {lentement} à coups de flèches, tantôt ils la crucifiaient dans leurs temples, ou bien ils construisaient un mannequin colossal avec du bois et du foin, y faisaient entrer des bestiaux et des animaux de toute sorte pêle-mêle avec des hommes, puis y mettant le feu, consommaient l'holocauste. [4,4,6] 6. Dans l'Océan, non pas tout à fait en pleine mer, mais juste en face de l'embouchure de la Loire, Posidonius nous signale une île de peu d'étendue , qu'habitent soi-disant les femmes des Namnètes. Ces femmes, possédées de la fureur bachique, cherchent, par des mystères et d'autres cérémonies religieuses, à apaiser, à désarmer le dieu qui les tourmente. Aucun homme ne met le pied dans leur île, et ce sont elles qui passent sur le continent toutes les fois qu'elles sont pour avoir commerce avec leurs maris, après quoi elles regagnent leur île. Elles ont coutume aussi, une fois par an, d'enlever la toiture du temple de Bacchus et de le recouvrir, le tout dans une même journée, avant le coucher du soleil, chacune d'elles apportant sa charge de matériaux. Mais s'il en est une dans le nombre qui en travaillant laisse tomber son fardeau, aussitôt elle est mise en pièces par ses compagnes, qui, aux cris d'évoé, évoé, promènent autour du temple les membres de leur victime, et ne s'arrêtent que quand la crise furieuse qui les possède s'est apaisée d'elle-même. Or ce travail ne s'achève jamais sans que quelqu'une d'entre elles se soit laissée choir et ait subi ce triste sort. L'histoire des corbeaux dont parle Artémidore tient encore plus de la fable : à l'en croire, il existerait sur la côte de l'Océan un port appelé le Port-des-Deux-Corbeaux, parce qu'il s'y trouvait en effet naguère deux de ces oiseaux à l'aile droite blanchâtre : les personnes ayant ensemble quelque contestation s'y transportaient, plaçaient une planche en un lieu élevé, et, sur cette planche, des gâteaux, chaque partie disposait les siens de manière à ce qu'on ne pût les confondre, puis les corbeaux s'abattaient sur les gâteaux, mangeaient les uns, culbutaient les autres, et celle des deux parties qui avait eu ses gâteaux ainsi culbutés triomphait. Mais, si ce récit d'Artémidore sent trop la fable, il y a moins d'invraisemblance dans ce que le même auteur nous dit au sujet de Cérès et de Proserpine, qu'une des îles situées sur les côtes de Bretagne possède des cérémonies religieuses rappelant tout à fait les rites du culte de Cérès et de Proserpine dans l'île de Samothrace. Le fait suivant est de ceux aussi qu'on peut admettre : il s'agit d'un arbre, assez semblable au figuier, qui vient en Gaule, et dont le fruit est fait à peu près comme un chapiteau corinthien; si l'on coupe ce fruit, il en découle, dit-on, un suc mortel dans lequel on trempe les flèches. Enfin, s'il faut en croire un bruit très répandu, tous les Gaulois seraient d'humeur querelleuse ; on assure de même qu'ils n'attachent aucune idée de honte à ce que les garçons prostituent la fleur de leur jeunesse. - Dans Éphore, l'étendue de la Celtique est singulièrement exagérée, car il résulte de ce que dit cet auteur que les Celtes auraient peuplé la plus grande partie de la contrée appelée aujourd'hui Ibérie, et que leurs possessions s'y seraient étendues jusqu'à Gadira. Ajoutons qu'il réduit les Celtes à n'être plus que de purs philhellènes, et qu'il leur prête maint détail de mœurs bien peu en rapport avec ce qu'on observe aujourd'hui chez eux, celui-ci entre autres, qu'ils s'étudient à ne pas trop engraisser, à ne pas trop prendre de ventre, et que la loi punit même d'une amende tout jeune garçon dont l'embonpoint excède la ceinture réglementaire. - Nous n'en dirons pas davantage touchant la Celtique ou Gaule transalpine. [4,5,1] CHAPITRE V. 1. La Bretagne {qui s'offre à nous ensuite} est de forme triangulaire : de ses trois côtés, le plus grand est opposé à la Celtique et se trouve avoir en longueur juste la même dimension que le côté correspondant de cette contrée, c'est-à-dire 4300 ou 4400 stades, à prendre ledit côté depuis les bouches du Rhin jusqu'à l'extrémité septentrionale ou aquitanique du mont Pyréné, et le côté opposé depuis le cap Cantium, qui fait face aux bouches du Rhin, représentant ainsi le point le plus oriental de l'île, jusqu'à cet autre cap qui, situé juste en face de la limite extrême de l'Aquitaine et du mont Pyréné, en forme la pointe la plus occidentale. Notons que nous prenons là le minimum de distance entre le mont Pyréné et le Rhin, car, ainsi qu'on l'a vu plus haut, la plus grande distance entre ces deux limites est de 5000 stades, mais il y a lieu de croire que le fleuve s'écarte par degrés de sa direction première (laquelle est exactement parallèle à celle de la chaîne de montagnes), les deux lignes inclinant sensiblement l'une vers l'autre par celles de leurs extrémités qui aboutissent à l'Océan. [4,5,2] 2. Il y a quatre points sur le continent d'où s'effectue habituellement la traversée dans l'île de Bretagne, ce sont les bouches du Rhin, du Sequanas, du Liger et du Garounas. Toutefois, quand on part des provinces rhénanes, ce n'est pas aux bouches mêmes du Rhin qu'on s'embarque , mais sur la côte de Morinie attenante au pays des Ménapes : c'est là, en effet, que se trouve Itium, ce port dont le divin César fit le rendez-vous de sa flotte, quand il fut pour passer en Bretagne. Il s'y embarqua de nuit, et le lendemain, vers la quatrième heure, il abordait dans l'île, ayant franchi la distance de 320 stades {que mesure le détroit}, et trouvait le blé encore sur pied dans les champs. L'île de Bretagne est presque toute en plaines et en bois; dans maints endroits pourtant le sol s'y élève sensiblement. Elle produit du blé, du bétail, de l'or, de l'argent, du fer, et ce sont là ses principaux articles d'exportation joints à des cuirs, à des esclaves et à d'excellents chiens de chasse, que les Celtes utilisent également pour la guerre, comme ils font leurs races indigènes. Les Bretons sont plus grands que les Celtes et moins blonds, mais plus mous de tempérament. Veut-on se faire une idée de leur haute taille? Nous en avons vu de nos yeux à Rome, qui, à peine sortis de l'enfance, dépassaient d'un demi-pied les hommes les plus grands qu'il y eût dans la ville; il faut dire qu'avec cela ils avaient les jambes cagneuses et le corps généralement mal proportionné. Les mœurs de ces peuples, identiques à peu près à celles des Gaulois, sont pourtant encore plus simples et plus barbares; c'est au point qu'en certains cantons, où les habitants ont du lait en abondance, ils n'en font pas de fromage faute de savoir s'y prendre, et ne sont guère plus expérimentés en fait de jardinage et d'agriculture. Les différents peuples de la Bretagne sont soumis à des rois. A la guerre, ils se servent surtout de chars, comme quelques-uns des peuples de la Gaule. Pour villes, ils ont leurs bois : ils s'y retranchent dans de vastes clairières circulaires au moyen de grands abatis d'arbres et élèvent là, mais toujours temporairement, de simples cahutes pour eux-mêmes à côté des étables de leurs troupeaux. Le climat de la Bretagne est plutôt pluvieux que neigeux : même par les temps clairs, le brouillard y dure assez pour ne laisser voir le soleil en tout que les trois ou quatre heures du milieu du jour. C'est du reste aussi ce qui arrive en Gaule chez les Morins, les Ménapes et les peuples voisins. [4,5,3] 3. Le divin César opéra deux descentes en Bretagne, mais, les deux fois, il dut revenir précipitamment et sans avoir rien fait de grand, sans avoir pu même pénétrer fort avant dans l'intérieur de l'île, à cause des agitations survenues en Gaule tant parmi les barbares que parmi ses propres soldats, et aussi parce qu'il avait perdu une bonne partie de sa flotte dans une de ces hautes marées de l'Océan qui accompagnent toujours la pleine lune. Il ne laissait pas cependant que d'avoir remporté deux ou trois victoires sur les Bretons, bien qu'il n'eût fait passer le détroit qu'à deux de ses légions, et ramenait avec lui beaucoup d'otages et d'esclaves, sans compter le reste du butin. Malgré ce souvenir, nous avons vu quelques-uns des rois du pays rechercher par des ambassades et des soins de toute sorte l'amitié de César Auguste, lui dédier dans le Capitole de pieuses offrandes et livrer leur patrie pour ainsi dire en toute propriété aux Romains. Présentement, les Bretons n'ont à payer que des droits très peu lourds tant sur les marchandises qu'ils exportent de leur pays que sur celles qu'ils importent de Gaule en Bretagne et qui consistent en phalènes, en colliers d'ivoire, en vases d'electrum, en verreries et autres menus articles ou bimbeloteries de ce genre, il n'y a donc pas lieu d'occuper militairement leur pays. Mais, si l'on avait à tirer d'eux un tribut fixe , il faudrait y avoir une légion au moins avec quelque cavalerie. Or, les frais d'entretien de ces troupes égaleraient à coup sûr le montant des impôts perçus, d'autant que l'établissement d'un tribut fixe entraîne nécessairement une diminution des droits sur les marchandises. Ajoutons qu'on s'expose toujours à certains risques quand on a recours à la violence. [4,5,4] 4. Il y a dans le voisinage de la Bretagne d'autres îles encore, mais de peu d'étendue; une seule entre toutes est considérable, c'est l'île d'Ierné, située juste au N. de la Bretagne. Cette île se trouve avoir plus d'étendue en longueur qu'en largeur. Nous n'avons, du reste, rien de certain à en dire, si ce n'est que ses habitants sont encore plus sauvages que ceux de la Bretagne, car ils sont anthropophages en même temps qu'herbivores et croient bien faire en mangeant les corps de leurs pères et en ayant publiquement commerce avec toute espèce de femmes, voire avec leurs mères et leurs sœurs. A dire vrai, ce que nous avançons là repose sur des témoignages peu sûrs; rappelons pourtant, en ce qui concerne l'anthropophagie, que la même coutume paraît se retrouver chez les Scythes, et que l'histoire nous montre, plus d'une fois, dans les nécessités d'un siège, les Celtes, les Ibères et maint autre peuple barbare réduits à une semblable extrémité. [4,5,5] 5. Sur l'île de Thulé, nos renseignements sont encore moins sûrs, vu l'extrême éloignement de cette contrée, qu'on nous représente comme la plus septentrionale de toutes les terres connues. On ne peut guère douter, notamment, que tout ce que Pythéas a publié de cette contrée et de celles qui l'avoisinent ne soit une pure invention, à voir comme il a parlé des contrées qui nous sont aujourd'hui familières : comme il n'a guère parlé de celles-ci, en effet, que pour mentir, ainsi que nous l'avons démontré ci-dessus, il est évident qu'il a dû mentir encore davantage en parlant des extrémités mêmes de la terre. Disons pourtant qu'il a su accommoder ses fictions avec assez de vraisemblance aux données de l'astronomie et de la géographie mathématique, {car on conçoit à la rigueur que, comme il le dit,} les peuples voisins de la zone glaciale ne connaissent, en fait de plantes et de fruits, aucune de nos espèces cultivées, qu'en fait d'animaux domestiques ils manquent absolument des uns, et ne possèdent qu'un très petit nombre des autres; qu'ils se nourrissent de miel et de légumes, de fruits et de racines sauvages; que ceux qui ont du blé et du miel en tirent aussi leur boisson habituelle, et que, faute de jamais jouir d'un soleil sans nuages, ils portent leur blé dans de grands bâtiments couverts pour l'y battre, les pluies et le manque de soleil les empêchant naturellement de se servir, comme nous, d'aires découvertes. [4,6,1] CHAPITRE VI. 1. Nous avons fini de décrire la Gaule Transalpine et les différentes nations qui l'occupent, nous allons, avant de passer à la description générale de l'Italie, parler des Alpes mêmes et des populations qui les habitent en suivant l'ordre marqué par la nature des lieux. Les Alpes ne commencent pas, ainsi que certains auteurs l'ont prétendu, au port de Monoecus, mais on peut dire qu'elles commencent aux mêmes points que les Apennins, puisque entre Genua, emporium ou marché des Ligyens des environs duquel part l'Apennin, et Vada Sabatorum, autrement dit les Marais de Sabota, d'où part la chaîne des Alpes, il n'y a que 260 stades de distance. Ajoutons qu'à 370 stades de Sabata est la ville d'Albingaunum où habite la tribu ligyenne des Ingaunes, et que, dans l'intervalle de 480 stades qui sépare cette ville du port de Monoecus, s'élève Albium Intemelium, autre ville considérable habitée par les Intéméliens. Or, entre autres preuves que les Alpes commencent à Sabata, on invoque les noms mêmes de ces deux villes, on fait remarquer que ce qui se dit aujourd'hui Alpia, voire même Alpina, se disait anciennement Albia, témoin ce pic élevé du pays des Japodes, voisin du mont Ocra et des Alpes, et qu'on appelle aujourd'hui encore "Albius mons", comme pour marquer que la chaîne des Alpes se prolonge jusque-là. [4,6,2] 2. Et l'on en conclut que, comme les Ligyens se divisaient en Ingaunes et en Intéméliens, on a bien pu, pour distinguer les deux colonies ou établissements fondés par ce peuple sur le bord de la mer, appeler l'un Albium Intemelium, autrement dit l'Intemelium des Alpes, et l'autre {Albium Ingaunum} ou mieux Albingaunum par manière de contraction. Notons cependant qu'à ces deux tribus ou divisions de la nation Ligyenne Polybe en ajoute deux autres, la tribu des Oxybiens et celle des Déciètes. En général toute cette côte, allant depuis le port de Monoecus jusqu'à la Tyrrhénie, est droite et dépourvue d'abris autres que des mouillages et ancrages sans profondeur; ajoutons qu'elle est bordée de montagnes dont les escarpements vraiment prodigieux ne laissent le long de la mer qu'un passage très étroit. Les habitants, tous Ligyens d'origine, ne vivent guère que des produits de leurs troupeaux, de laitage surtout et d'une sorte de boisson faite avec de l'orge ; ils occupent certaines positions sur la côte, mais préfèrent pour la plupart le séjour de la montagne. Ils ont là en quantité du bois pouvant servir aux constructions navales (d'énormes arbres notamment qui ont jusqu'à huit pieds de diamètre), en quantité aussi du bois richement veiné et propre à faire d'aussi belles tables que celles qu'on fait en bois de thuya. Ils font descendre ces bois vers l'emporium ou marché de Genua, et y joignent du bétail, des peaux, du miel, qu'ils échangent là contre de l'huile et des vins d'Italie, car le vin qu'ils font chez eux, en petite quantité d'ailleurs, sent la poix et est âpre au goût. C'est de leur pays qu'on tire les chevaux et les mulets appelés ginnes, ainsi que les tuniques et les saies dites ligystines. Enfin, l'on y trouve en abondance le lingurium, précieuse substance appelée quelquefois aussi electrum. Ces peuples ne combattent guère à cheval, mais leurs hoplites et leurs gens de trait sont excellents. De ce qu'ils portent des boucliers d'airain, on a conjecturé qu'ils étaient Grecs. [4,6,3] 3. Le port de Monoecus ne saurait contenir beaucoup de bâtiments ni des bâtiments d'un fort tonnage. Il s'y trouve un temple d'Hercule dit Monoecus : d'où l'on peut inférer que le littoral Massaliotique s'étendait naguère jusque-là. La distance jusqu'à Antipolis est d'un peu plus de 200 stades. D'Antipolis, maintenant, à Massalia, voire même un peu au delà, les Alpes qui bordent la côte sont habitées par les Salyens; la côte elle-même sur certains points nous offre des Salyens mêlés aux Grecs. Dans les anciens auteurs grecs les Salyens sont appelés Ligyens et le nom de Ligystique désigne tout le territoire dépendant de Massalia; les auteurs plus modernes nomment les Salyens Celtoligyens et leur attribuent tout le pays de plaine qui s'étend jusqu'à Luerion et au Rhône, ajoutant qu'ils tiraient de ce pays non seulement de l'infanterie, mais aussi beaucoup de cavalerie, et qu'ils l'avaient partagé en dix cantons. De tous les peuples de la Gaule Transalpine celui-ci fut le premier soumis par les Romains; toutefois, pour le réduire, les Romains avaient dû lui faire une longue guerre, en même temps qu'aux Ligyens {proprement dits} qui leur fermaient la route de l'Ibérie le long de la mer. Ces derniers en effet exerçaient leurs brigandages sur terre comme sur mer et disposaient de forces si considérables que ladite route était devenue presque impraticable même pour de grands corps d'armée. Ce ne fut qu'après quatre-vingts ans de guerre que les Romains obtinrent d'eux, et encore à grande peine, de laisser sur une largeur de 12 stades le long de la côte le passage libre au public. Mais ayant réussi depuis à réduire la nation tout entière ils lui ont imposé un tribut et se sont réservé à eux-mêmes l'administration du pays. [4,6,4] 4. Aux Salyens, dans la partie septentrionale de la chaîne des Alpes, succèdent les Albiéens, les Albièques et les Vocontiens. Ces derniers s'étendent jusqu'aux Allobriges et les vallées considérables qu'ils occupent au sein de la chaîne des Alpes ne le cèdent en rien à celles de ce peuple. De plus, tandis que les Allobriges et les Ligyens dépendent des préteurs que Rome envoie dans la Narbonnaise, les Vocontiens jouissent du même avantage que les Volces des environs de Nemausus dont nous avons parlé plus haut, et ne dépendent que d'eux-mêmes. Des différents peuples Ligyens, maintenant, compris entre le Var et Genua, les uns, ceux du littoral, sont censés Italiens ; quant aux autres, quant aux Ligyens de la montagne, ils sont administrés, comme c'est le cas en général de tous les peuples demeurés complètement barbares, par un préfet envoyé de Rome et toujours choisi dans l'ordre équestre. [4,6,5] 5. Les peuples qui viennent après les Vocontiens sont les Iconiens, les Tricoriens, et plus loin, sur les dernières cimes des Alpes, les Médulles. Ces dernières cimes s'élèvent tout à fait à pic : on compte 100 stades pour y monter, et autant pour redescendre de l'autre côté jusqu'à la frontière d'Italie. Une fois en haut l'on découvre, au fond de certaines dépressions de la montagne, d'abord un grand lac, puis deux sources assez rapprochées, de l'une desquelles s'échappent le Druentias, véritable torrent qui se précipite dans le Rhône, et, à l'opposite du Druentias, le Durias : {je dis à l'opposite}, car cette rivière va s'unir au Padus et traverse là tout le territoire des Salasses pour entrer, ensuite dans la Gaule Cisalpine. De l'autre source, mais bien au dessous des lieux que nous venons d'indiquer, jaillit le Padus même : fort et rapide à sa naissance ce fleuve à mesure qu'il avance, prend, avec plus de volume, une allure plus douce; car à peine est-il entré dans les plaines que de nombreux affluents viennent, en le grossissant, élargir ses rives, et, naturellement, cette diffusion de ses eaux dissémine et amortit la force de son courant. Devenu ainsi le plus grand des fleuves de l'Europe après l'Ister, il débouche dans la mer Adriatique. Pour en revenir aux Médulles, c'est juste au-dessus du confluent de l'Isar et du Rhône qu'ils se trouvent placés. [4,6,6] 6. Du côté opposé, c'est-à-dire sur le versant italien de la chaîne des Alpes, habitent les Taurins, nation ligystique, et, avec les Taurins, maintes autres tribus de même origine, celles-là notamment qui forment la population des deux districts connus sous les noms de terre de Donnas et de terre de Cottius. Immédiatement après ces tribus ligyennes, de l'autre côté du Padus, commence le territoire des Salasses; puis, au-dessus des Salasses, sur la crête même des Alpes, on rencontre successivement les Centrons, les Catoriges, les Varagres, les Nantuates, le lac Lemenna que traverse le Rhône et finalement la source de ce fleuve. Les sources du Rhin ne sont guère loin de là, non plus que le mont Adulas, des flancs duquel descend, en même temps que le Rhin qui coule au nord, l'Aduas, qui se dirige juste à l'opposite et va se jeter dans le lac Larius : on nomme ainsi le lac voisin de Côme. Au-dessus de Côme, ville bâtie au pied même des Alpes, habitent, d'un côté (du côté de l'est), les Rhaetiens et les Vennons, et, du côté opposé, les Lépontiens, les Tridentins, les Stones et maintes autres petites peuplades qui, réduites par la misère à vivre de brigandage, inquiétaient autrefois l'Italie, mais qui sont aujourd'hui ou à peu près détruites ou complètement domptées, de sorte qu'on voit les passages dans la montagne, si peu nombreux naguère et si peu praticables, se multiplier sur leurs terres et offrir au voyageur, avec la plus complète sécurité contre les dangers venant des hommes, tout ce que l'art a pu faire pour prévenir les accidents. On doit en effet à César Auguste, outre l'extermination des brigands, la construction de routes aussi bonnes en vérité que le comportait l'état des lieux. Seulement il eût été impossible de forcer partout la nature, {impossible, par exemple, de frayer un passage sûr} entre des rochers à pic et d'effroyables précipices ouverts sous les pieds, abîmes sans fond où l'en tombe infailliblement pour peu qu'on s'écarte du sentier tracé; or, notez qu'en certains endroits la route est tellement étroite qu'elle donne le vertige aux piétons, voire même aux bêtes de somme qui ne la connaissent point, car, pour celles du pays, elles y passent sans broncher et cela avec les plus lourdes charges. A cet inconvénient, on le voit, il n'y avait nul remède, non plus qu'aux éboulements de ces masses énormes de neige qui forment la couche supérieure des glaciers, éboulements capables d'enlever des convois tout entiers et de les entraîner au fond des précipices qui bordent la route. Il y a, on le sait, dans un glacier beaucoup de couches différentes et superposées horizontalement les unes aux autres par la raison que la neige durcit et se cristallise à mesure qu'elle tombe et s'amasse ; or il arrive incessamment, et la plupart du temps pour un rien, que les couches supérieures se détachent de celles qu'elles recouvrent avant que les rayons du soleil aient eu le temps de les faire fondre entièrement. [4,6,7] 7. Le territoire des Salasses se compose pour la majeure partie d'une vallée profonde enfermée entre deux montagnes ; mais il y a aussi telles de leurs possessions qui atteignent en s'élevant la crête même des Alpes. On peut donc, quand on vient d'Italie et qu'on veut franchir les Alpes, prendre la route qui suit ladite vallée. Une fois au bout de la vallée on voit la route qui se bifurque ; l'une des branches se dirige sur le mont Poeninus, mais devient impraticable aux chariots vers le point culminant du passage ; quant à l'autre branche, qui est la plus occidentale des deux, elle traverse le pays des Centrons. Le territoire des Salasses a un autre avantage, celui de contenir des mines d'or : anciennement, au temps de leur puissance, les Salasses avaient la propriété pleine et entière de ces mines, de même qu'ils étaient les seuls maîtres des passages dans cette partie des Alpes. La proximité du Durias contribuait singulièrement à faciliter leur exploitation en leur fournissant l'eau nécessaire au lavage des terrains aurifères, d'autant qu'ils avaient multiplié en tous sens les canaux de dérivation jusqu'à épuiser même le courant commun. Seulement, ce qui les aidait, eux, à chercher et à trouver l'or gênait beaucoup les populations agricoles des plaines situées plus bas, en privant celles-ci de la faculté d'arroser leurs terres, que le fleuve autrement n'eût pas manqué de fertiliser, puisqu'elles se trouvent placées juste en aval de ses sources, et il s'ensuivait naturellement un état de guerre perpétuel entre les Salasses et leurs voisins. Vint l'époque des conquêtes romaines: les Salasses ne purent rester en possession de leurs mines ni de leur vallée; mais, comme ils occupaient toujours la montagne, ils eurent encore la ressource de vendre l'eau aux publicains qui avaient affermé lesdites mines. Par malheur, l'avarice des publicains donnait lieu à de fréquents démêlés, et ces démêlés fournissaient aux légats romains, si avides en général de succès militaires, autant de prétextes pour faire renaître la guerre. Jusque dans ces derniers temps les Salasses ont donc vécu avec les Romains dans une alternative continuelle d'hostilités et de trêves, conservant néanmoins une certaine puissance et continuant à faire par leurs brigandages beaucoup de mal à ceux qui, pour franchir les Alpes, avaient à passer sur leurs terres. Ainsi, quand Decimus Brutus s'enfuit de Mutine, il dut leur payer, pour lui et ses gens, une drachme par tête ; et, quand Messala prit ses quartiers d'hiver dans leur voisinage, il ne put obtenir d'eux qu'à prix d'or le bois dont il avait besoin, tant le bois à brûler que le bois d'orme pour faire les hampes des javelots et les armes à exercer le soldat. Ils osèrent, qui plus est, un certain jour, enlever l'argent du fisc, et, plus d'une fois, en feignant de travailler soit à réparer leurs routes, soit à jeter des ponts sur les torrents des Alpes, il leur arriva de faire rouler d'énormes quartiers de roche sur des détachements en marche. Enfin Auguste réussit à les réduire complètement : il les fit alors transporter en masse à Eporedia, et donna ordre qu'on les vendît comme esclaves sur le marché de cette ville, colonie romaine fondée naguère justement pour servir de boulevard contre les incursions des Salasses, mais qui avait eu grande peine à se maintenir, tant que la nation n'avait pas été anéantie. Il y avait en tout 36.000 captifs et dans le nombre 8000 guerriers valides. Terentius Varron, le même général qui les avait vaincus, les vendit tous à l'encan ; puis César ayant fait partir pour ces pays 3000 Romains y fonda la ville d'Augusta sur l'emplacement même du camp de Varron. Aujourd'hui toute la contrée environnante jusqu'aux cols les plus élevés des Alpes se trouve absolument pacifiée. [4,6,8] 8. Dans la partie S. E. des Alpes, près des Helvètes et des Boiens, dont ils dominent les plaines, sont les Rhaetiens et les Vindoliciens. Les Rhaetiens s'étendent jusqu'à la frontière d'Italie au-dessus de Vérone et de Côme : le vin Rhaetique, qu'on prise à l'égal des plus fameux vins d'Italie, se récolte là, sur les premières pentes des montagnes occupées par les Rhaetiens, dont le territoire se prolonge d'autre part jusqu'au bassin du Rhin. Les Lépontiens et les Camunes sont des tribus Rhaetiennes. Quant aux Vindoliciens, ils bordent, ainsi que les Noriques, le versant extérieur des Alpes et se trouvent presque partout mêlés aux Breunes et aux Genaunes, lesquels appartiennent déjà à l'Illyrie. Tous ces peuples, par leurs continuelles incursions, ont longtemps inquiété les cantons de l'Italie les plus rapprochés d'eux, ainsi que les frontières des Helvètes, des Séquanes, des Boiens et des Germains. Mais il y en avait dans le nombre qui étaient réputés plus turbulents que les autres, c'étaient, parmi les Vindoliciens, les Licattiens, les Clautenatiens et les Vennons, et, parmi les Rhaetiens, les Rucantiens et les Cotuantiens. Les Estions comptent aussi parmi les tribus Vindoliciennes, et les Brigantiens pareillement. Les principales villes de la Vindolicie sont Brigantium, Cambodunum, et aussi Damatia, qui est comme l'acropole ou le château fort des Licattiens. Le fait suivant pourra du reste faire juger de l'acharnement de ces brigands contre les Italiens : toutes les fois qu'ils surprennent un village ou une ville, non seulement ils égorgent en masse la population virile, mais ils étendent leur fureur jusqu'aux petits garçons à la mamelle, et, sans s'arrêter là encore, ils massacrent les femmes enceintes que leurs prêtres ou devins leur désignent comme devant mettre au jour des fils. [4,6,9] 9. Tout près, maintenant, et du fond de l'Adriatique et du territoire d'Aquilée, habitent différentes peuplades qui font partie des Noriques et des Carnes. Les Taurisques eux-mêmes comptent parmi les Noriques. Tous ces peuples faisaient de fréquentes incursions en Italie, mais Tibère et Drusus, son frère, y mirent fin en une seule campagne d'été et voilà déjà trente-trois ans qu'ils vivent dans une paix profonde acquittant exactement leurs tributs. Dans toute l'étendue de la chaîne des Alpes il y a bien, à vrai dire, quelques plateaux offrant de bonnes terres arables ainsi qu'un certain nombre de vallées bien cultivées; généralement pourtant, et surtout vers les sommets où toutes ces populations de brigands s'étaient concentrées de préférence, l'aspect des Alpes, par le froid qui y règne, comme par l'âpreté naturelle du sol, est celui de la stérilité et de la désolation. Souvent même c'est à la disette dont souffraient les populations de la montagne, c'est au dénuement absolu dans lequel elles se trouvaient que les habitants des plaines ont dû de se voir préservés de leurs incursions, vu qu'alors les montagnards avaient tout intérêt à ne pas se fermer les seuls marchés où ils pouvaient se procurer les denrées dont ils manquaient en échange de la résine, de la poix, des torches, de la cire, du fromage, et du miel qui font toute la richesse de leur pays. Au- dessus des Carnes est le mont Apennin : on y remarque un grand lac dont les eaux s'écoulent dans le fleuve {Isargus}, lequel va se jeter dans l'Adriatique après s'être grossi de l'Atagis {ou Athesis}. Du même lac sort un autre fleuve, {l'Aenus}, qui va s'unir à l'Ister. L'Ister prend sa source aussi dans la chaîne des Alpes, mais c'est dans la partie qui s'offre à nous divisée en plusieurs branches distinctes et hérissée d'une infinité de pics ou de sommets. Les Alpes, on le sait, présentent d'abord, en s'éloignant de la Ligystique, une ligne continue et de hauteur uniforme, ce qui leur donne l'aspect d'une seule et même montagne, puis elles s'interrompent et s'abaissent brusquement, mais pour se relever bientôt et pour se fractionner alors en plusieurs chaînes que dominent un très grand nombre de pics. Une première chaîne ou arête, encore assez peu élevée, commence au delà du Rhin et du lac formé par ce fleuve et court droit à l'E.: or, c'est là, dans le voisinage des Suèves et de la forêt Hercynienne, que l'Ister a ses sources. D'autres chaînes inclinent dans la direction de l'Illyrie et de la mer Adriatique : les plus remarquables sont le mont Apennin, dont il a été question plus haut, le mont Tulle, le mont Phligadie et la chaîne qui domine le territoire des Vindoliciens et où prennent naissance le Duras, le Clanis et plusieurs cours d'eau encore, véritables torrents, tous tributaires de l'Ister. [4,6,10] 10. Les Iapodes, qui ne sont déjà plus qu'un mélange d'Illyriens et de Celtes, habitent la même partie des Alpes, dans le voisinage principalement du mont Ocra. Ils comptaient autrefois un grand nombre de guerriers et s'étaient fait redouter au loin par leurs brigandages; mais, ayant été vaincus dans plusieurs combats par César Auguste, ils sont restés complètement épuisés à la suite de leurs défaites. Leurs villes sont Metulum, Arupini, Monetium et Vendon. Plus loin, dans la plaine, est la ville de Segestica, dont les murs sont baignés par le {Saüs} affluent de l'Ister: cette ville est très favorablement située pour servir de base d'opération ou de place d'armes contre les Daces. Le mont Ocra est le point le plus bas de la partie des Alpes attenante au territoire des Carnes et sert de passage ordinaire aux marchandises venant d'Aquilée : de lourds chariots amènent ces marchandises à {Nauportus}, c'est-à-dire à une distance d'Aquilée qui n'excède guère 400 stades, puis elles descendent de là par les rivières jusqu'à l'Ister et aux différents pays qui bordent ce fleuve. Comme Nauportus est en effet bâtie sur une rivière navigable, qui vient d'Illyrie et se jette dans le Saüs, lesdites marchandises peuvent aisément descendre jusqu'à Segestica et être amenées de la sorte au cœur de la Pannonie et du pays des Taurisques. Le Saüs reçoit encore près de la même ville un autre affluent navigable, le Colapis, qui, comme lui, descend des Alpes. - Les Alpes nourrissent des chevaux et des taureaux sauvages. Polybe y signale, en outre, la présence d'un animal singulier, ayant la forme d'un cerf, mais l'encolure et le poil d'un sanglier, avec une sorte de noix sous le menton longue à peu près d'un empan, toute velue à son extrémité et aussi grosse, aussi charnue que la queue d'un poulain. [4,6,11] 11. Des différents chemins de montagne qui font communiquer l'Italie avec la Gaule transalpine et septentrionale, c'est celui du pays des Salasses qui mène à Lugdunum. Ce chemin, avons-nous dit, a deux branches, l'une qui peut être parcourue en chariot, mais qui est de beaucoup la plus longue (c'est celle qui traverse le territoire des Centrons), l'autre qui franchit le mont Poeninus et raccourcit ainsi la distance, mais qui n'offre partout qu'un sentier étroit et à pic. Comme la ville de Lugdunum s'élève au centre même de la Gaule et que, par sa situation au confluent de deux grands fleuves et à proximité des différentes parties de la contrée, elle en est pour ainsi dire l'acropole ou la citadelle, Agrippa l'a choisie pour en faire le point de départ des grands chemins de la Gaule, lesquels sont au nombre de quatre et aboutissent, le premier, chez les Santons et en Aquitaine, le second au Rhin, le troisième à l'Océan et le quatrième dans la Narbonnaise et à la côte massaliotique. On peut cependant encore, en laissant sur sa gauche Lugdunum et le pays situé juste au-dessus de cette ville, prendre dans le Poeninus même un autre sentier, passer au bout de ce sentier soit le Rhône , soit le lac Lemenna, pour entrer dans les plaines des Helvètes, puis, par un des cols du Mont Joras, pénétrer sur le territoire des Séquanes et gagner ensuite, chez les Lingons, l'endroit où se bifurquent le grand chemin du Rhin et celui de l'Océan. [4,6,12] 12. Un autre fait curieux dont nous devons la connaissance à Polybe est la découverte de gîtes aurifères opérée de son temps aux environs d'Aquilée, chez les Taurisques-Noriques, et dans de si heureuses conditions qu'il avait suffi d'enlever deux pieds de terre à la surface du sol pour trouver le minerai. On n'avait pas eu besoin ensuite de fouiller à plus de quinze pieds de profondeur, et de tout le minerai extrait une bonne partie s'était trouvée être autant vaut dire de l'or pur, puisque des pépites de la grosseur d'une fève ou d'un lupin ne perdaient au feu qu'un huitième de leur volume, sans compter que le reste, tout en perdant davantage à la fusion, avait donné encore de magnifiques profits. Les Barbares dans le commencement avaient associé des Italiens à leur exploitation, mais, quand ils surent qu'en deux mois de temps la valeur de l'or par toute l'Italie avait baissé d'un tiers, ils chassèrent ces associés étrangers comptant se réserver désormais le monopole de leurs mines. Aujourd'hui toutes les mines d'or du pays des Taurisques appartiennent aux Romains. Là du reste, ainsi qu'en Ibérie, l'or ne s'extrait pas seulement des entrailles de la terre, on le retire aussi du lit des rivières, qui le charrient sous forme de paillettes, en moins grande quantité pourtant que celles d'Ibérie. Le même auteur, pour faire juger de l'étendue et de l'élévation des Alpes, leur compare les plus hautes montagnes de la Grèce, telles que le Taygète, le Lycée, le Parnasse, l'Olympe, le Pélion, l'Ossa, et les plus hautes montagnes de la Thrace, telles que l'Hæmus, le Rhodope et le Dunax : il fait remarquer que, tandis qu'un bon marcheur vêtu à la légère peut à la rigueur dans l'espace d'un jour atteindre le sommet de l'une ou de l'autre de ces montagnes, voire même dans une journée en ranger toute la base d'une extrémité à l'autre, cinq jours ne suffiraient pas pour faire l'ascension des Alpes qui, d'autre part, suivant lui, n'ont pas moins de 2200 stades de longueur mesurés à leur base et d'après la route qui les borde. Il nomme ensuite leurs principaux cols ou passages, au nombre de quatre seulement, un premier col chez les Ligyens (c'est le plus rapproché de la mer Tyrrhénienne); un autre chez les Taurins, qui est celui que franchit Hannibal; puis le col où aboutit la vallée des Salasses; et, en dernier lieu, celui qui traverse les Alpes Rhaetiennes; et tous les quatre, à l'entendre, sont bordés de précipices affreux. Il signale enfin dans cette même chaîne de montagnes un certain nombre de lacs, dont trois fort grands : le Benacus, qui a 500 stades de long sur {1}30 de large et qui donne naissance au Miucius; puis, à la suite du Benacus, le Verbanus {le Larius}, qui, long encore de 400 stades, va se rétrécissant toujours jusqu'à devenir beaucoup moins large que le précédent, et s'écoule par l'Adduas; et en troisième lieu, le Larius {le Verbanus}, qui, avec 300 stades de longueur, ne mesure plus en largeur que 30 stades, ce qui n'empêche pas qu'il ne donne naissance à un cours d'eau considérable, le Ticinus, autre affluent du Padus. - Voilà tout ce que nous avions à dire de la chaîne des Alpes.