http://www.lettresfrancaises.umk.pl/rdss.htm ROMAN DES SEPT SAGES Travail semestriel des étudiants du Séminaire littéraire «Conte didactique et de sagesse au Moyen Age : Le Roman des Sept Sages » dirigé par le professeur Anna Kukulka-Wojtasik. Hiver 2004/2005. Nous présentons une version du Roman des Sept Sages en français moderne. Notre traduction est une compilation de deux textes en ancien français venant d’époques différentes. Le premier texte est publié par Hans R. Runte sous le titre Les sept sages de Rome : An On-Line Edition of French Version A From A// Manuscripts sur le site Internet : http://www.dal.ca~hrunte/FrenchA.html. Cette version comprend onze récits complets et finit au milieu du douzième récit qui constitue le conte du sixième sage sous le titre Vidua. Le second texte intitulé « Les sept sages de Rome », est publié par Gaston Paris en 1876 sous le titre Deux rédactions du Roman des sept sages de Rome. Notre texte de base est sa réimpression de 1966, New York, Johnson reprint. Nous poursuivons le conte Vidua jusqu’à la fin en l`empruntant à notre second texte et nous achevons l’histoire des sept sages en ajoutant les contes : Roma, Inclusa, Vaticidium. L’ordre des récits est différent dans les deux versions. Nous respectons celui du premier manuscrit jusqu’au conte Vidua. Nous conservons les particularités du style des versions en ancien français (comme répétitivité, anachronismes lexicaux et syntaxiques, interjections d’époque multiples et souvent parfaitement inutiles, illogismes etc.), ainsi que leur dialectique particulière propre au conte médiéval : nous trouvons l’unité de notre version dans l`alternance des histoires de l`impératrice et de celles des sept sages. La traduction (première version) est préparée par les étudiants : Ewelina Ardelli, Anna Kricka, Marcin Luczak, Dominika Osiecka, Anna Perlik, Ewa Tajchert ( secrétaire), Ewa Wojtowicz et mgr Anna Kricka, doctorante, qui a aussi contribué à l’édition du texte Conseiller linguistique : Benoist Marin, professeur émérite du CREDIF Edition du texte par Anna Kukulka-Wojtasik Canevas L`empereur de Rome, trompé par les calomnies de sa seconde femme, condamne à mort son propre fils. L`héritier lit dans les astres que pour échapper à la mort il devra faire le muet. Au moment de l`exécution arrive un sage qui raconte au roi une longue histoire pour lui prouver qu’il ne doit pas faire périr son fils. Le roi reste pendant sept jours flottant entre les sages et l`impératrice. L’un après l’autre, sept sages confrontés à un défi unique lui livreront leurs doutes et leurs réflexions. Enfin l`empereur reconnaît l`innocence de son fils et l`impératrice finit au bûcher. LE ROMAN DE SEPT SAGES À Rome, il vécut un empereur nommé Dioclétien. Il avait eu une femme. De cette femme il lui était né un héritier mâle. L’empereur était vieux et l’enfant arriva déjà à l’âge de sept ans. Un jour l’empereur appela par leurs noms les sept sages. « Seigneurs - dit-il - dites-moi à qui parmi vous dois-je donner mon fils pour l’apprendre et l’enseigner? ». Le plus ancien, qui était le plus riche et du plus haut lignage, parla le premier. Il se nommait Bancillas et était vieux, grand et maigre, et aussi blanc que laine. Il se tourna vers l’empereur et lui parla ainsi: « Sire - fit-il - donnez-le-moi et je lui ferai savoir ce que je sais et ce que savent mes compagnons en sept ans. ». Après, le second se leva. Il n’était ni trop grand, ni trop petit, donc il était beau et bien fait, et ses cheveux étaient plus blancs que noirs. Son nom était Acilles. Il s’approcha de l’empereur et lui dit: « Sire - fit-il - donnez-le-moi et je lui ferai savoir ce que je sais et ce que mes compagnons savent en six ans. ». Ensuite se leva le troisième: c’était un petit homme maigre aux cheveux crépus, son nom était Lentillus. Il parla à l’empereur ainsi: « Sire, ce que je sais et ce que savent mes compagnons, je le lui ferai savoir en cinq ans; donnez-le-moi. ». Le quatrième se leva devant l’empereur. Il se nommait Malcuidarz le roux qui aimait se moquer des gens. « Sire - dit-il - donnez-le-moi. Je ne peux pas dire que je lui ferai transmettre la raison de mes compagnons, mais ce que je sais, je le lui ferai savoir en quatre ans. ». Ensuite se leva le cinquième qui avait le nom Caton de Rome. Il était dans la force de l’âge et avait les cheveux plus noirs que blancs. Il interpella l’empereur et lui dit : « Sire, donnez- le moi, s’il vous plaît. Je ne dis pas que je lui ferai savoir ce que mes compagnons savent, car je ne connais pas sa raison ni sa mémoire, mais ce que je sais et ce que je pourrais savoir, je le lui ferai apprendre aussi tôt qu’il le puisse retenir ». Ensuite se leva le sixième qui avait les cheveux plus jaunes que la cire et crépus ; ses yeux étaient verts comme ceux du faucon, le nez bien droit et bien assis, et il était large aux épaules et mince à la ceinture, et n’avait ni barbe ni moustache, et son nom était Josse. Il dit à l’empereur : « Sire, si vous me le donnez, je m’en occuperai de façon que vous m’en louerez au bout de trois ans ». Ensuite se leva le septième qui avait pour nom Martin, et dit à l’empereur : « Sire, je vous requiers de prendre en considération le mérite du service de toute ma vie auprès de vous ; donnez-moi votre fils à endoctriner, et je vous rends quitte de tout mon service et vous m’aurez bien remercié ». L’empereur répondit très humblement à tous: « Seigneurs, grand merci de ce que vous me proposez. Je ne peux pas me priver d’une aussi bonne compagnie. ». Maintenant il prend son fils par la main et dit: « Je vous le donne à vous sept. ». Et ils s’inclinent et chacun le remercie cinq cent fois. Les sages menèrent l’enfant dans le consistoire (c’est un lieu où se tiennent les grands parlements et les grands conseils de l’empire de Rome). Ils prirent conseil entre eux. Ils décidèrent de ne pas le laisser à Rome, car il aurait pu y apprendre quelque mauvaise parole d’un bourgeois ou d’une chambrière ou d’un mauvais garçon. Ils trouvèrent un verger à une lieue de Rome. Ce verger était large d’une lieue et il y avait toutes sortes de bons arbres et de bonnes fontaines que l’on pût imaginer. Au milieu de ce verger ils trouvèrent un lieu beau, bon et convenable, et y firent construire une maison belle et carrée avec de grandes chambres derrière et de belles salles devant. Quand la maison fut construite et finie, les sept sages firent peindre dans quatre parties de la maison les sept arts: premièrement l’astronomie, ensuite la nécromancie, la musique, l’arithmétique, la rhétorique, la dialectique et la grammaire. Ils firent bâtir le lit du garçon dans un des angles de la salle pour qu’il pût voir les sept arts. Les sages commencèrent à lui apprendre et à lui enseigner et quand l’un le laissait l’autre le reprenait et lui enseignait les meilleures choses qu’il sût. Ainsi ils le tinrent pendant sept ans et il apprit bien les sept arts. Après ces sept ans il était devenu bien docte et disputait avec eux de toute la clergie, aussi ils décidèrent entre eux de le mettre à l’épreuve. Alors, ils prirent seize feuilles de papier et ils en mirent quatre dessous chaque pied du lit. Quand cela fut fait, le garçon se coucha. Il faisait nuit, donc il ne remarqua rien. Quand vint le matin et le garçon fut éveillé, il regarda en haut et en bas, à droite et à gauche. Les sages s’émerveillèrent beaucoup le voyant si étonné, ils l’appelèrent et lui demandèrent s’il avait entendu ou vu ou senti quelque chose. Le garçon leur répondit: « Certes, beaux seigneurs, ou la toiture de cette maison est abaissée, ou la terre est montée, ou mon lit est haussé. ». Les sages regardèrent l’un l’autre et reconnurent ensemble qu’il était sage. Il ne s’écoula pas beaucoup de temps quand les sages hommes vinrent à l’empereur son père et lui dirent: « Sire, nous nous étonnons beaucoup que vous ne vous mariez pas, car vous avez un grand royaume et de grandes rentes. Vous avez suffisamment de biens pour que trois ou quatre enfants, si vous les aviez, vivent dans la richesse. » L’empereur était vieux, mais ce conseil lui plut et après avoir réfléchi, il leur répondit: « Je prendrais une femme volontiers, à condition qu’elle soit belle et que vous vous en occupiez, car jusqu’à présent je n’ai qu’un seul héritier. » Ils lui répondirent: « Nous vous la chercherons volontiers. » Alors, ils la cherchèrent dans plusieurs terres tant qu’ils la trouvèrent et la menèrent à l’empereur. L’empereur la trouva belle et gentille, et les sages lui firent savoir qu’elle était de grand lignage. Les parents de la dame la donnèrent à l’empereur qui l’épousa selon les us et coutumes de l’empire et l’aima tant que nul homme ne pût l’aimer plus et la dame lui rendait son amour. L’on avait dit à l’impératrice que l’empereur avait un héritier mâle, et que, s’il mourait, l’héritier qui aurait été né d’elle serait l’héritier de l’empire de Rome. Un jour vint où l’empereur et l’impératrice furent seuls dans une chambre et l’impératrice profita de l’occasion pour raisonner l’empereur: « Sire, vous avez déjà un fils qui est à vous. Il se peut que nous n’en ayons aucun. Le vôtre sera-t-il toujours en apprentissage? Je suis votre femme depuis sept ans et je ne l’ai jamais vu, donc je le verrai volontiers. Sire, par la foi que vous me devez, faites le revenir. Vous avez régi cet empire toute votre vie et jamais il n’y eût un si bon empereur. ». « Dame, j’envoierai le chercher le matin.». « Grand merci, Sire - dit l’impératrice - car j’ai grande envie de le voir.». L’empereur appela deux messagers: « Allez - dit-il - montez à cheval, saluez de ma part les sept sages et dites leur que je leur demande de venir chez moi et de m’amener mon fils car je veux le mettre à l’épreuve pour savoir ce qu’ils lui ont appris. » Aussitôt, les messagers montèrent à cheval et allèrent là où ils pensèrent trouver les sages et le fils de l’empereur. Les sages et l’enfant les accueillirent avec grande joie. Les messagers saluèrent les sages de la part de l’empereur et leur dirent: « Beaux seigneurs, l’empereur vous demande de lui amener son fils et de venir avec lui car il veut savoir ce qu’il a appris pendant le temps qu’il était avec vous.». Ils lui répondirent: « Volontiers. ». Ce jour-là passa ainsi. Après le manger, quand le soir vint et il était nuit et la lune luisait clair, les sages et leur disciple descendirent de la salle dans le verger. Les sept sages regardèrent la lune et les étoiles. Caton, qui était le plus sage de tous et qui connaissait les constellations et les mutations de cours, regarda attentivement la lune et les étoiles. Et quand il les eut regardés il parla ainsi: « Ecoutez tous! L’empereur nous demande de venir à Rome et de lui amener son fils. Et si nous y allons et nous l’y menons, dès la première parole qu’il prononcera il mourra et nous aussi serons tous tués. Voilà - dit Caton - ce que je vois dans la lune ». Les sages regardèrent à leur tour les étoiles et la lune et virent que c’était vrai. Le garçon regarda à son tour une étoile claire qui semblait être à deux distances de la lune. Il appela ses maîtres et leur dit: « Regardez cette étoile claire qui est près de la lune. Je vois - fit le garçon - que je peux m’abstenir de parler pendant sept jours et ainsi je me sauverai de la mort et vous tous du péril ». Quand les sages eurent entendu ce que le garçon leur avait dit, ils regardèrent l’étoile que l’enfant leur avait montrée et virent que c’était la vérité. « Par ma foi - fit Bancillas - il dit la vérité. Or, il nous convient de prendre bon conseil entre nous ». « Par ma foi - fit le garçon - je vous conseillerai bien si vous voulez. Il me convient de m’abstenir de parler pendant sept jours et vous êtes sept sages. Vous aurez bien peu de raison et de discernement si chacun de vous ne peut me faire vivre un jour ». « Certes, - fit Bancillas - je vous ferai survivre le mien. ». « Et moi, le mien » - dit Caton. « Donc, c’est entendu » - dit le garçon. « Or, il faudra que chacun vienne son jour, il ne peut pas en être autrement. Et vous, les autres, vous serez dans une ville près d’ici, au bourg Saint Martin. Seigneurs - dit le garçon - je subirai de grands ennuis et de grandes persécutions, pour Dieu, ne m’oubliez donc pas ». Alors, ils revinrent dans la salle et firent servir une bonne chère aux messagers de l’empereur. Le garçon était fort pensif et il réfléchit toute la nuit et tout le jour, tant que le matin vînt et qu’il s’éveillât et que les sages furent levés. On prépara le palefroi au garçon et à son maître. Et ce maître était celui qui avait dit qu’il saurait bien faire son métier quand ils étaient ensemble. Le garçon prit congé de ses maîtres en pleurant ; il vint à Rome tandis que ses maîtres s’arrêtèrent au bourg Saint Martin. L’empereur entendit dire que son fils venait, alors il monta à cheval et fit monter aussi une partie de ses barons qui étaient avec lui. L’empereur rencontra son fils au milieu de la rue, le salua et le prit par le menton et lui donna un baiser. Et celui-ci s’inclina et les barons aussi. Ils vinrent jusqu’au pied de l’escalier de la salle, et l’empereur et tous les autres descendirent de leur cheval. L’empereur prit son fils par la main droite, puis ils montèrent au palais. L’empereur demanda à son fils comment allait-il. Le garçon s’inclina devant lui mais ne dit mot. « Qu’est-ce qu’il y a, beau fils - dit l’empereur - vous ne voulez rien me dire? ». Et l’autre ne lui dit pas un mot. L’empereur appela son chancelier, qui était venu avec lui et lui demanda: « Pourquoi est-ce que mon fils ne parle pas? Il a été dans une mauvaise école, à mon avis, il a perdu la parole. ». L’autre lui répondit: « Sire, cet aujourd’hui matin il parlait toutes sortes de parlers. » L’impératrice entendit dire que l’enfant était arrivé et qu’il ne parlait pas et elle en eut une grande joie. Elle vêtit des robes les plus riches qu’elle avait, puis vint dans la salle en grande compagnie de dames et de demoiselles. L’empereur et les autres chevaliers se levèrent pour saluer l’impératrice. Elle vint entre eux, puis s’assit auprès de l’empereur et lui dit: « Sire, s’il a jamais parlé, donnez-le-moi, et je le ferai parler, s’il doit jamais parler. ». « Par ma foi - dit l’empereur - je l’ai donné bien parlant aux sages ». Puis il prit l’enfant par la main et le donna à l’impératrice, mais le garçon ne voulait pas aller. « Allez-y! » - dit l’empereur à son fils. Le garçon ne voulut pas désobéir à son père, alors il se leva et s’en alla avec l’impératrice dans sa chambre. L’impératrice fit partir toutes ses dames et toutes ses demoiselles dans une autre chambre, et ainsi ils restèrent seul à seul dans sa chambre. Ils s’assirent sur un lit couvert d’un drap de soie riche. L’impératrice regarda le garçon très attentivement et voulut se faire entendre de lui. « Beau, doux ami - dit elle - beau, doux seigneur, écoutez-moi. J’ai entendu beaucoup parler de vous et pour le grand bien que j’ai entendu de vous, je vous aime. Et pour le grand amour que j’ai pour vous, je me suis arrangée pour que votre père m’épousât, mais je vous ai gardé mon pucelage et l’empereur n’a jamais joui de moi. Or, si vous voulez m’aimer, je vous aimerai ». Alors elle mit ses bras autour de son cou, mais il se tira en arrière. Elle le prit par le menton et voulut l`embrasser mais il recula encore plus en arrière. «Comment - fit elle – beau, doux ami, ne parlerez vous jamais à moi et ne voudrez-vous me faire joie? ». Le garçon voulut garder l’honneur de son père et le sien et ne dit mot. Quand l’impératrice vit qu’elle ne tirerait aucun mot de lui, elle agrippa le drap de soie, la pelisse d’hermine et la chemise dont elle était vêtue et les déchira jusqu’à son nombril et encore, comme enragée et pleine de mauvaises intentions et de mauvaise volonté, elle se mit les mains dans les cheveux et en arracha une poignée. Puis elle mit ses mains sur son visage et se griffa et fut toute sanglante. Après elle poussa un grand cri horrible et les barons qui étaient dans la salle accoururent dans la chambre. Quand l’empereur vit celle qu’il aimait tant dans un si piteux état, il devint fou de colère. « Comment - fit il- qui vous a si mal arrangée? ». « Par ma foi - fit elle – c’est ce diable qui est ici. Pour peu qu’il m’eût étranglé. Si vous n’étiez pas venu si tôt, je serais morte ou il ferait de moi sa volonté. Il n’est rien pour vous, c’est un diable, faites le lier. ». « Par ma tête - dit l’empereur - il ne sera pas longtemps sous garde ». Lors l’empereur fit venir ses badauds, les vilains, ceux qui servent à faire peur aux gens et à les pendre. « Allez - fit-il - supprimez celui qui devait être mon fils ». « Sire - firent-ils - à votre commandement ». Lors, ils sortirent de la chambre et entrèrent dans la salle. Les grands barons de la terre étaient en colère à cause de ce qu’ils avaient vu et parce que l’empereur voulait tuer son fils. Ils en étaient beaucoup étonnés et ne pouvaient pas comprendre comment cela pouvait arriver. Ils vinrent à l’empereur et lui dirent: « Sire, nous nous étonnons beaucoup de ce que vous faites. Remettez au lendemain l’exécution de votre fils, et lors, par le jugement de votre cour, faites le tuer s’il a méfait ». « Certes - dit l’empereur - j’attendrai volontiers jusqu’à demain. ». Lors il commanda de jeter le garçon en prison pour qu’il n’en s’enfuît pas. L’impératrice eut beaucoup de douleur et de colère de ce qu’on avait remis l’exécution au lendemain. Alors, elle réfléchit et parla à elle- même jusqu’à la nuit, car elle pensa trouver une bonne raison de supprimer l’enfant comme elle avait voulu et cherché. Quand la nuit vint, l’empereur vint se coucher. L’impératrice lui fit un mauvais accueil. « Qu’est-ce qu’il y a, dame - fit-il - quel mauvais accueil me faites vous? Dites-moi quelle est votre pensée ». « Certes, Sire, je vous le dirai. Vous êtes mort et ruiné car est venu celui par qui vous serez déshérité et vous perdrez votre terre et la faute en sera à votre fils. Ainsi, il peut vous en arriver ce qui est arrivé au pin à cause de sa jeune souche. » « Et qu’est-ce qui - dit l’empereur – est arrivé au pin à cause de sa souche? ». « Sire - dit-elle - je vous le dirai volontiers, or, écoutez-moi. » ARBOR Ce qui arriva au pin à cause de sa jeune souche. Il y avait autrefois dans cette ville un bourgeois qui avait un très beau et grand verger où il était planté de beaux arbres. Au milieu de ce verger il y avait un pin qui était plus beau et plus grand et plus droit que tous les autres. Le prud’homme ordonna chercher des meilleurs sols qu’on pût trouver pour les mettre au pied du pin. Le pin se trouva bien et crût bien. Puis, à la joie du bourgeois, il poussa une petite souche d’une de ses grandes racines. Quand le prud’homme la vit, sa joie était si grande qu’il ordonna chercher du meilleur sol qu’on ait pu trouver pour le mettre au pied de la souche. Ensuite, il alla faire vendre ses marchandises et il fut longtemps absent. Quand il fut revenu, la première chose qu’il fit fut aller dans son verger et voir sa petite souche. Il la trouva courte. Alors il appela son jardinier et lui dit: « Qu’est-ce que c’est? Pourquoi ma petite souche est courte? » « Sire - dit le jardinier - ne voyez vous pas pourquoi? ». « Non, » dit l’autre. « Je vous le dirai. Regardez bien que la branche du grand pin la retient ainsi qu’elle ne peut pas pousser. ». « Coupez-la » -dit le prud’homme. « Sire, volontiers. » L’autre prit la hache et une échelle et la mit contre l’arbre et coupa la branche. Quand la branche fut coupée le prud’homme dit: « Coupe encore une branche et on verra. » « Sire, volontiers. » « Alors, sire - dit l’impératrice - le grand pin fut écourté, et enlaidi à cause de sa petite souche. En plus la souche prit de la force et crût avec une telle force qu’elle souleva une des grandes racines du pin qui est devenu sec de ce côté. Quand le prud’homme revint un jour dans son verger et vit la jeune souche qui surmontait déjà l’autre pin qui devint sec d’un côté, il dit à son jardinier « Qu’est-ce qu’il a ce grand pin qui est devenu sec? » « Sire - dit le jardinier – c’est l’ombre de votre petite souche qui le fait ». « Alors coupez-le tout entier - dit le seigneur. « Volontiers, Sire » - dit l’autre. « Sire - dit l’impératrice - soit est-il coupé, soit est-il mis à honte par celui qui est venu de lui. Ainsi est-il de votre fils qui est venu de vous, qui vous fait déjà honte car tout l’empire est déjà contre vous et vous risquez d’être déshérité et hier vous avez été sur le point de vous libérer. Il peut alors vous arriver ce qui est arrivé au pin à cause de sa souche. « Par ma tête, dame, cela ne m’arrivera pas car il mourra le matin. ». Ainsi il remit ceci au lendemain. Quand l’empereur fut levé, il appela ses sergents. « Allez - dit-il - faites sortir mon fils de la prison et supprimez-le. ». « Sire - dirent-ils - à votre commandement. » Ils vinrent à la geôle et en sortirent le garçon. Les portes furent ouvertes et le palais se remplit des barons de la terre. Ils virent les traîtres emmener le garçon. Tous ceux qui le virent eurent une grande douleur dans leurs coeurs, plusieurs s’évanouirent dans les rues. À ce moment-là vint le premier des sages. Il rencontra le garçon que les sergents emmenaient pendre. L’un ne dit mot à l’autre. Messire Bancillas passa outre et vint au perron de l’escalier de la salle. Il descendit et on lui prit le cheval. Il monta jusqu’à la salle et dit à l’empereur: « Sire, que Dieu vous donne un bon jour. ». « Que jamais Dieu ne vous bénisse » - répondit l’empereur. « Qu’avez vous, Sire? Pourquoi voulez-vous supprimer votre fils? ». « Pourquoi? Il y en a assez pour quoi, je vous le dirai. Je vous ai donné mon fils à enseigner et à apprendre, à vous et à vos compagnons, comme à ceux que j’avais beaucoup aimés et à qui j’avais fait confiance et vous l’avez tenu pendant sept ans. La première chose que vous lui aviez appris c’était de le priver de la parole, la seconde de vouloir prendre ma femme par force. Il y a aussi d’autres raisons pour lesquelles je veux le supprimer et aussitôt qu’il sera supprimé, vous et vos compagnons mourrez aussi. ». « Sire - dit le maître Bancillas - écoutez-moi. Vous dites qu’il a perdu la parole. Pour cela il ne mérite pas la mort, il y a une grande raison que cela lui fasse plus de bien que de mal. Et s’il est vrai qu’il a voulu prendre votre femme par force, pour cela il ne mérite pas la mort non plus. Sauf votre grâce et votre parole, je ne croirai jamais qu’il le pensât. » « Par ma foi - dit l’empereur – elle a beaucoup perdu, celle qui fut toute échevelée et déchirée. » « Ha, Sire - dit le maître Bancillas - elle ne l`a porté pas dans son corps neuf mois et si vous voulez le supprimer de cette manière, il peut vous en arriver ce qui est arrivé au chevalier à cause de son lévrier. » « Qu’est-ce qui est arrivé au chevalier à cause de son lévrier? - demanda l’empereur. « Sire, je ne vous le dirai pas si vous ne remettez à plus tard l’exécution de votre fils, car si je le contais après sa mort, mon conte ne vaudrait rien ». « Par ma foi - dit l’empereur - je la remettrai à plus tard. ». « Faites le chercher » - dit le sage. Les messagers coururent et l’amenèrent au château. Quand les barons entendirent la nouvelle, ils en eurent une grande joie. Le garçon fut amené devant son maître, s’inclina devant lui, puis il fut remis en prison. « Alors, racontez » - dit l’empereur. « Volontiers, Sire ». CANIS. Ce qui arriva au chevalier à cause de son lévrier « Dans cette ville, le jour appelé le Roi des Dimanches (qui est jour de la Trinité), les chevaliers se doivent jouer au pré. Le pré du chevalier était en aval de sa demeure qui était entourée d’un mur ancien et crevassé. Ce chevalier était riche et avait de sa femme un petit enfant en berceau. L’enfant avait trois nourrices: la première l’allaitait, la deuxième le baignait et la troisième le couchait. Le chevalier avait aussi un lévrier fort et sage qui attrapait toutes les choses qu’il pût atteindre. Le lévrier était bon comme aucun autre, donc le seigneur l’aimait plus que toute autre chose. Le chevalier s’en alla au pré sur son cheval, l’épée ceinte à son côté, l’écu au cou, la lance dans la main. Et sa femme sortit aussi par derrière la porte sur le pont-levis et les nourrices apportèrent l’enfant au pied du mur et elles montèrent au créneau du mur. Les chevaliers commencèrent à jouter l’un contre l’autre. Dans le mur vivait un serpent. Il entendit le bruit des écus et des lances et il s’inquiéta parce qu’il n’en avait pas l’habitude. Il leva la tête et sortit de sa crevasse. Le serpent s’approcha du berceau tandis que le lévrier était sur le seuil de la salle. Il vit le serpent grand, hideux et venimeux. Il se dirigea vite vers lui et l’attrapa au grand milieu de son ventre. Le serpent leva la tête et le mordit au cou. Il s’écria de peur et de douleur qu’il avait sentie et se retourna vers le serpent qui sauta par dessus du berceau et le lévrier après lui. Le berceau se renversa dessus dessous mais son chevet était si haut que le visage de l’enfant ne toucha pas le sol. La bataille entre le serpent et le lévrier commença. Le serpent voulait fuir mais le lévrier le prit par la queue et le serpent le mordit aux côtes. Le lévrier cria de douleur qu’il sentit et il bondit par-dessus le berceau dont le bois se tacha de sang et toute la place autour. Enfin le lévrier prit le serpent par la tête et il l’étreignit jusqu’à ce qu’il le tua et il fut mort. Il ressentit alors une telle colère qu’il déchira le serpent en trois morceaux, puis il le laissa. Le berceau était tout ensanglanté ainsi que le sol et le lévrier fut tout enflé et ensanglanté. Le lévrier rentra dans la salle et commença à crier et à hurler et à se vautrer sur le plancher et il criait comme crie celui qui est blessé et souffre beaucoup. Il était temps de basses vêpres et, le tournoi étant fini, chacun s’en alla dans son hôtel. Les nourrices descendirent du haut du mur et vinrent dans la salle et virent le berceau renversé dessus dessous et le sol ensanglanté tout autour. Elles regardèrent le lévrier qui gémissait, elles pensèrent qu’il était devenu enragé et qu’il avait étranglé et mangé l’enfant puisqu’elles le virent ensanglanté. Alors elles commencèrent à crier et à hurler, à s’arracher les cheveux et à dire: « Ha, les malheureuses! Qu’est-ce que nous ferons ? Que deviendrons-nous? Fuyons-nous-en. ». Elles firent comme elles l’avaient dit et elles s’enfuirent. Quand elles sortaient par la porte elles rencontrèrent sur le pont-levis leur dame. Elle les vit laides et effrayées et leur demanda ce qu’elles avaient et elles répondirent que le lévrier était devenu enragé et qu’il avait étranglé l’enfant et qu’il était mort. Entendant ces paroles la dame poussa un cri et se pâma. Quand elle fut revenue à elle, son seigneur qui s’était diverti avec les autres, arriva l’écu au cou. Il vit sa femme qui lui dit que son lévrier était devenu enragé et qu’il avait étranglé son enfant. « Certes, - dit-il - cela me pèse.». Il vint à la cour et descendit de son cheval et l’on tint son cheval et prit son écu. Le lévrier reconnut le cheval de son seigneur et pensa que celui-ci était revenu. Quand il l’entendit parler, il sauta sur ses pieds, malade comme il était, et vint à la rencontre de son seigneur et lui mit les deux pattes sur sa poitrine. Le seigneur qui avait appris que son lévrier avait tué son enfant fut tellement en colère qu’il tira son épée et lui coupa la tête, puis il la donna à un de ses écuyers. Ensuite il monta dans la salle et regarda vers le berceau qu’il vit renversé et tout ensanglanté et le sol tout autour. Il s’approcha et trouva trois tranches du serpent et se posa la question comment cela pouvait-il arriver. Il s’approcha du berceau renversé et il trouva son enfant vivant. Alors il appela la dame et les gens qui étaient avec lui pour qu’ils viennent voir cette merveille. Ils regardèrent le serpent et comprirent la vérité que le lévrier s’était battu avec le serpent pour sauver l’enfant. Alors le seigneur dit à la dame: « Dame, vous m’avez fait tuer mon lévrier qui a sauvé notre enfant de la mort. Comme je vous ai cru, je n’ai pas agi comme un homme sage. Maintenant, sachez ce que j’ai fait par votre conseil. Personne ne m’en donnera pas la punition mais je me punirai moi-même. ». Il s’assit et s’enleva ses chausses et puis il en coupa les avant-pieds et s’en alla en exil à cause du deuil de son lévrier. Alors le maître Bencillas dit à l’empereur: « Sire, si par le conseil de votre femme, vous voulez supprimer votre fils sans demander le conseil de vos barons, il peut vous en arriver ce qui est arrivé au chevalier à cause de son lévrier. » « Par ma tête - dit l’empereur - il ne m’en arrivera pas ainsi, si Dieu le veut, car il ne mourra pas aujourd’hui. ». « Sire, cinq cents mercis - dit maître Bancillas - car tout le monde vous en haïrait et vous en maudirait. ». Il fut tard, la cour se vida, les portes furent fermées. L’empereur vint chez l’impératrice. Elle fut très fâchée parce qu’elle n’avait pas pu accomplir son projet. L’empereur lui demanda: « Dame, qu’avez-vous? ». « Sire - dit-elle - je suis en colère, non pas pour moi mais à cause de votre grand dommage et de votre grande honte qui vous menacent, et je vous dirai pourquoi. C’est l’oeuvre de ce diable que vous appelez votre fils qui est venu pour vous déshériter et pour vous faire périr. Il peut vous en arriver ce qui est arrivé à un sanglier qui s’était laissé gratter. » « Dites-moi - fit l’empereur - comment il a été pris en se laissant gratter. ». « Sire, volontiers. » APER Ce qui arriva au sanglier qui se laissa gratter. Dans ce pays il y avait jadis une grande et merveilleuse forêt, pleine de fruits et d’arbres. Personne n’osait entrer dans cette partie de la forêt où se nourrissait et se reposait un grand, puissant et orgueilleux sanglier. Dans cette forêt il y avait un arbre nommé alisier qui était bien chargé d’alises mûres. Une fois par jour, le sanglier s’en rassasiait. Un jour, un pâtre avait perdu sa bête qui avait fui dans la forêt. Il vint dans cette partie où était l’alisier, et il eut une grande envie d’alises qui étaient répandues par terre. Il se pencha et commença à les ramasser tant qu’il en eût plein son giron. Quand il remplissait l’autre giron, le sanglier vint. Quand le pâtre le vit venir, il eut peur, ce qui était juste, et il voulait s’enfuir mais le sanglier s’approchait déjà de lui, donc il n’osait plus bouger. Il était si effrayé qu’il ne savait quoi faire. Lors il regarda vers le haut de l’alisier et y monta. Le sanglier vint sous l’alisier. Il s’étonna beaucoup de ne pas trouver autant d’alises comme il en avait l’habitude et puis regarda vers le haut de l’alisier et vit le pâtre. Lors il se mit en colère et commença à grincer des dents et à frapper la terre de ses pieds et à donner des coups de dents contre l’alisier de telle façon que tout tremblait. Cela fit peur à celui qui était là-haut qui craignit de voir le sanglier briser l’alisier en deux. Le sanglier n’avait rien à manger. Le pâtre regarda vers la terre et vit que le sanglier n’avait rien à manger. Lors, il mit la main dans son giron et lui jeta les alises et le sanglier commença à les manger. Après avoir mangé, le sanglier se calma. Quand le pâtre vit cela il descendit plus bas vers la terre et il se tint d’une main à une branche et de l’autre il commença à gratter le sanglier. Le sanglier était rassasié alors il fléchit les deux pieds derrière et puis ceux devant. Le pâtre en se tenant fermement à la branche, grattait le sanglier et puis il mit la main sur son ventre et commença à l’y gratter jusqu’à ce que le sanglier se couchât. Le sanglier ferma les yeux et s’endormit. L’autre couvrit sa tête avec sa cotte et gratta fort avec sa main gauche, puis il tira le couteau de sa gaine. Le pâtre était fort et assuré, ainsi il ne s’épouvantait plus. Alors il leva le couteau et frappa le sanglier au milieu du corps à l’endroit du coeur. Il leva le couteau encore une fois et le frappa au coeur, ainsi il le tua. Le pâtre s’en alla et cette fois il ne voulait plus rien faire, ni frapper ni dépecer ni emporter le sanglier. » « Alors, Sire, vous avez entendu comment ce sanglier qui était si fort et si grand, fut mort en se laissant gratter et comment un pâtre chétif, qui ne savait rien, le tua. Aussi cela peut-il arriver à vous qui écoutez ce que disent ces sages. Leurs blanches paroles devraient vous faire comprendre qu’ils veulent vous supprimer et déshériter. » « Par ma tête, dame, vous dites la vérité, mais sachez que je ne les croirai pas car le garçon mourra le matin. ». « Certes - dit-elle - vous ferez ce qui est sage. ». Ainsi ils restèrent jusqu’au matin quand les portes furent ouvertes. Le palais se remplit des barons de la terre. L’empereur appela ses serfs et leur dit: « Prenez mon fils et tuez-le. » Ceux-ci firent son commandement et quand ils l’eurent amené devant l’empereur, ils demandèrent quelle mort lui donner. « Pendez-le » – dit-il. « Sire, volontiers. » Ils partirent et sortirent dans la rue. Le cri des gens qui avaient pitié du garçon se leva. À ce moment vint un des sages qui était son maître et avait pour le nom Auguste. Il regarda son disciple qui était mené à la mort et il avait pitié de lui. Il passa à côté et vint aux marches de la salle, il descendit et vint devant l’empereur et le salua. L’empereur ne répondit pas à son salut mais il le menaça et lui dit: « Je vous ai donné mon fils à enseigner et vous lui avez enlevé la parole. Par le seigneur qui a le nom Dieu, vous avez mal fait; je vous en donnerai la récompense. ». « Sire - fit maître Auguste - j’ai entendu parler comment les choses sont allées. Votre malveillance pour lui ne vient pas de ce qu’il ne parle pas, il y a autre chose. Mais si vous voulez le tuer de cette manière il peut vous en arriver ce qui est arrivé à Hipocrates à cause de son neveu. ». « Et qu’est-ce qui lui est arrivé? » - dit l’empereur. « Par ma foi - fit-il - si vous voulez garder votre fils de la mort aujourd’hui, je vous le dirai. Puis, quand j’aurai fini, faites-en votre volonté. ». « Certes - fit l’empereur - je vous l’accorde. ». Les messagers coururent ramener l’enfant, puis ils le mirent en geôle. Lors maître Auguste commença son conte. MEDICUS Ce qui arriva à Hipocrates à cause de son neveu. « Sire, Hipocrates était le plus sage homme qu’on pût trouver. De tout son lignage il n’avait que son neveu. À celui-ci, il ne voulait rien apprendre de sa sagesse. Néanmoins, le valet pensait qu’il lui convenait savoir toute chose. Donc, il était attentif et y prenait grande attention, tant qu’il en sût tout et découvrit sa sagesse à son oncle Hipocrates. Hipocrates vit qu’il était très sage. Il ne tardait guère qu’une nouvelle vînt que le roi d’Hongrie avait un fils qui était malade et demanda à Hipocrates de venir chez lui. Et ce dernier répondit qu’il ne pouvait pas venir, mais qu’il enverrait son neveu. Il ordonna à son neveu de se préparer et lui chercha une bête de somme et lui dit d’aller avec les messagers. Ils voyagèrent tant qu’ils vinrent en Hongrie chez le roi. On amena le fils du roi devant le valet. Il le regarda, puis il regarda le roi et puis la mère. Ensuite, il prit la dame par la main, la tira à l’écart et demanda de voir l’urine de tous les trois. On lui la montra. Quand il la vit, il réfléchit et puis appela la reine et lui dit: « Dame, à qui est cet enfant? ». « Sire, il est mon fils et celui de mon seigneur, le roi. ». « Dame, je crois bien qu’il est votre fils, mais il n’est pas le fils du roi. ». « Si, il l’est » - dit la reine. « Ce n’est pas vrai - dit-il - et si vous ne me dites autre chose, je m’en irai. ». « Par ma foi - fit-elle - si je savais que vous le disiez avec certitude, je vous ferais faire honte dans votre corps». « Dame, je m’en irai, mais sachez bien que si vous ne me dites pas qui l’avait engendré, il ne pourra pas être guéri. ». Lors, il s’en éloigna et commença à secouer la tête. Quand la reine le vit, elle le rappela et lui dit: « Sire, je vous le dirai dans le secret et ne le direz à personne. ». « Dame - dit-il - je ne le dirai pas. » « Sire - fit la dame - il advint que le comte de Namur passa par ce pays, et mon seigneur l’hébergea et tant il m’a plu, tant il a joué avec moi, qu’il engendra cet enfant. Sire, par Dieu, n’en parlez à personne. ». « Dame, je n’en parlerai pas. Votre enfant doit avoir du poison avoustre. Donnez-lui de la chair de boeuf à manger. ». Elle fit son commandement et aussitôt qu’il en mangea il fut guéri. Quand le roi vit que son fils fut guéri, il en donna au valet à sa volonté. Maintenant ce dernier s’en repartit et vint à son oncle. L’oncle lui demanda: « As-tu guéri l’enfant? ». « Sire, oui. ». « Qu’est-ce que tu lui as donné à manger? ». « De la chair de boeuf. ». « Donc il avait du poison avoustre ?». « Sire, c’est vrai ». « Tu es sage » - dit Hipocrates. Il pensa à la trahison et à la félonie envers son neveu. Un jour il l’appela et lui dit: « Beau neveu, venez avec moi dans le verger. ». Et quand ils étaient dans le verger, Hipocrates dit de cette manière: « Dieu, comme je sens une bonne herbe. ». Le valet sauta avant, s’agenouilla, cueillit l’herbe, le lui apporta et lui dit: « Sire, la voici. ». Hipocrates la prit dans sa main, puis passa un peu avant et dit: « Encore j’en sens une meilleure. ». Le valet vint avant pour la cueillir et s’agenouilla. Hipocrates y fut bien préparé, donc il tira son couteau et tua son neveu. Et encore il fit plus: il prit tous ses livres et les brûla. Après cela Hipocrates fut au mal de mort, il eut l’amaigrissement ce qui est le message de la mort. Alors il fit un grand tonneau et il le fit remplir de la plus claire eau qu’on pût trouver, puis il fit percer le fond en cent lieux et il y fit mettre cent broches, puis il mit de la poudre autour de chacune. Lors, il demanda à plusieurs gens de venir et leur dit ainsi: « Seigneurs, je meurs par amaigrissement, à l’instar de ce tonneau. Regardez, je l’ai rempli de la plus claire eau qu’on puisse trouver. Maintenant, tirez en toutes les broches ». « Volontiers » - font-ils. Ils les tirèrent mais aucune goutte d’eau n’en sortit pas. « Or, vous pouvez voir - dit Hipocrates - comment j’ai fait étancher cette fontaine et moi-même, je ne peux pas me faire étancher. Je sais bien que je meurs. ». Il ne tarda guère à mourir. « Sire - fit maître Auguste à l’empereur - maintenant Hipocrates est mort, son neveu est mort et ses livres sont brûlés. Qu’est-ce que cela lui aurait coûté s’il avait laissé son neveu en vie ou avait laissé ses livres? ». « Certes - dit l’empereur - rien ne lui aurait coûté ». « Sire, ainsi voulez-vous faire. Vous n’avez qu’un fils, et vous voulez le supprimer sur le dit de votre femme. Vous êtes un vieil homme et vous savez bien que jamais vous n’aurez plus d’enfant. Et si vous voulez le supprimer ainsi, il peut vous arriver que vous ferez comme fit Hipocrates à son neveu. » « Par ma tête - dit l’empereur - il ne m’en arrivera pas ainsi car il ne mourra pas aujourd’hui. ». « Sire - dit maître Auguste - cinq cents mercis car vous ferez à votre honneur. ». Ainsi le garçon était sauvé pour cette nuit. Les portes furent fermées. L’empereur vint à l’impératrice. Elle lui fit un mauvais accueil. Elle avait les yeux gonflés de pleurer. L’empereur lui demanda: « Dame, qu’avez-vous? Dites-le-moi. ». « Sire - fit-elle - grande angoisse et grand malheur. ». « Dame - fit l’empereur - pourquoi? ». « Sire - fit-elle - mes dires ne valent rien. Mais, toutefois, il me pèse que vous m’avez pris pour me laisser si tôt. » « Comment dame - dit l’empereur - sommes nous déjà au point de nous laisser? ». « Sire - fit-elle – oui, car je ne pourrai pas regarder votre vilenie ni votre abaissement. ». « Dame, comment? ». « Sire - fit-elle - je le vous dirai. Je vois bien que tous les hommes de votre cour veulent vous chasser et ils veulent que celui qui vous appelez votre fils ait l’empire. Et si cela arrive, ce que cela doit arriver, aussi il peut vous en arriver ce qui est arrivé à celui qui jeta la tête de son père dans le cloaque.» GAZA Ce qui arriva à celui qui jeta la tête de son père dans le cloaque. « Sire, il y avait, dans cette ville, un empereur qui s’appelait Octevien, et qui aimait l’or et l’argent plus qu’autre chose. Il l’aimait tellement qu’il en remplit la tour du Cressant. Il y avait aussi sept sages dans cette ville. Cinq allèrent en conquête, et des deux sages qui restèrent, un était tellement large et tellement dépensier qu’il dépensait tout ce qu’il avait et quand il ne pouvait pas avoir, il empruntait. Quant à son argent, il n’en refusait à personne. Il avait deux fils et deux filles. Il s’habillait noblement et prenait grand soin de son corps, il en était ainsi de lui et de ses enfants. L’autre sage était tellement chiche et avare qu’il ne voulait rien dépenser et tout ce qu’il pouvait avoir, il le retenait. C’est à lui qu`Octevien donna sa tour et son trésor à garder. Le large sage appela une nuit un de ses fils et lui dit : « Vas, tu prendras une pioche, moi une autre, nous irons à la tour du Cressant, nous ferons une brèche jusqu’à ce que nous y trouvions le trésor et avec cet argent nous ferons un bon usage et nous payerons nos dettes. »Mais, hélas, sire - dit le garçon - nous n’allons point le faire. Qu’est-ce que nous ferons si l`on nous trouve ? Nous, et notre lignage, serons morts et déshonorés. » « Cela n’arrivera jamais - fit le père - qu’on nous y trouve, aussi je veux que tu viennes. » « Beau père, je ferai votre volonté. ». Il faisait nuit noire, la lune ne luisait pas, et pas une seule étoile ne paraissait au ciel. Alors, ils allèrent dans cet endroit et ils commencèrent à faire une brèche au pied de la tour, ils piochèrent tant qu’ils entrassent dedans. Puis ils se chargèrent des biens et en remportèrent tant qu’ils pouvaient, donc ils laissèrent leurs pioches dans la tour et retournèrent dans leur maison et se déchargèrent. Le lendemain ils payèrent les dettes, vêtirent richement la maisonnée, et ils firent redresser leur maison qui s’écroulait et ils se tenaient noblement. Le sage qui gardait la tour y vint pour voir si personne n`y avait touché. Il la vit laidement effondrée et trouva le trou. Il entra dedans et vit la pioche et vit bien qu’on avait pris beaucoup de biens. Donc, il rentra dans son hôtel sans rien faire paraître. Puis il fit faire une chaudière au teinturier et il la mit devant le trou dans la tour et il fit faire un grand fossé profond et il l’y fit enfouir. Puis il prit de la colle, la plus forte qu’il pût trouver, et de la glu de mer et des poids et du plomb, et fondit tout cela ensemble et en remplit plein la chaudière, puis il prit des branchettes et des vergettes, les mit dessus de la chaudière et la couvrit de la terre par-dessus, et puis s’en alla. Il ne dura pas longtemps que le large sage dépensa tout ce qu’il avait apporté, et il n’avait plus rien à dépenser car il entretenait une grande cour et faisait de grandes dépenses. Une nuit, il appela son fils et lui dit : « Fils, allons encore une fois à la tour. ». « Hélas, non, sire - dit le garçon - nous ne le ferons pas, cela suffit. ». « Nous le ferons - dit le père - encore une fois. ». « Sire - dit le fils - à votre commendement, allons-y, de par Dieu ». Il faisait nuit et il était tard. Ils se mirent en route, père en avant, et le fils après lui, et ils vinrent à la tour. Quand le père essaya d’entrer dedans, il tomba dans la chaudière et y plongea jusqu’à la gorge. Il sentit que la colle et la glu étreignaient ses membres tant qu’il ne pût plus sortir de ses propres forces. Il cria à son fils : « Je suis mort. » Le garçon lui dit : « Non point, bon père, je vous aiderai. Le garçon se pencha sur la chaudière et le père lui dit : « Retire-toi en arrière, bon fils. Si tu tombes ici, tu seras mort. ». « Donc, qu’est-ce que je ferai ? ». « Coupe-moi -dit il - la tête. ». « Non, hélas, bon père, je ne le ferai en aucun cas, j’irai chercher de l‘aide. ». « Tu ne peux pas - dit le père - bon doux fils, fais le vite avant que les autres gens ne me retiennent, car quand j’aurai la tête coupée, je ne serai pas reconnu, et mon lignage n’en aura pas de reproche. ». Le fils se pencha sur la chaudière avec l’arme qu’il avait apportée, et lui coupa la tête, puis il en fut si effrayé, qu’il la jeta dans une fosse, la tête de son père. Et quand ses filles l’apprirent, il y eut un grand deuil dans leur hôtel. Le matin, quand le sage avare se leva, il vint à la tour et entra dedans. Il regarda et vit celui dans la chaudière qui avait la tête coupée. Alors, il appela ses sergents et le fit retirer. Il le regarda d’un côté et de l’autre, mais il ne put pas le reconnaître. Alors, le sage fit prendre deux chevaux, il le fit lier par les pieds à leur queue et le fit traîner à travers Rome et ordonna que là, où ils verraient les gens mener un grand deuil, qu’ils s’y arrêtent et les prennent. Les sergents allèrent chevauchant à travers Rome et ils arrivèrent devant l’hôtel du sage qu’ils traînaient. Ses fils et ses filles étaient dedans. Ils sortirent dehors. Quand elles virent leur père traîner, elles commencèrent à crier. Le frère ne pouvait pas les faire se retenir, alors il s`enfonça un couteau dans la cuisse. Ceux qui allaient avec le mort entrèrent dedans et demandèrent à appeler le seigneur de la maison. Le garçon répondit qu’il était en ville. « Et pourquoi donc les demoiselles crient tant ? ». « Seigneur, ne vous voyez pas que je me suis enfoncé un couteau dans la cuisse ? Elles ont peur que je sois fou ou mort. ». « Il est vrai, sire, dirent ceux-là, nous le voyons bien. ». Ainsi ils partirent de l’hôtel et emmenèrent hors de Rome celui qu’ils traînaient et ils l`enterrèrent. « Alors, Sire - dit l’impératrice - le fils devint riche de ce que son père était mort en honte. Et la tête de son père, pourquoi ne la mit-il pas dans un beau cimetière ? Or, le corps et la tête lui importaient peu quand il eut les biens. Autant je vous dis de votre fils : il cherche à être empereur et puis, quand il aura la terre, vous aurez pour lui peu d’importance. Et si vous faites de telle façon, sans vouloir me croire, il vous arrivera ainsi qu’à celui dont la tête fut jetée dans le cloaque. ». « Par ma tête - dit l’empereur - il ne m’en arrivera pas ainsi car je ne le croirai jamais, il mourra le matin. ». « Sire - dit l’impératrice - que Dieu vous prête la force et le courage. ». Après cette nuit, le matin, les portes furent ouvertes. L’empereur se leva. Le palais se remplit de hauts barons de la terre. L’empereur ordonna à ses serviteurs de démolir son fils. « Sire - dirent-ils - à votre service.». Ils le sortirent de la geôle et l’amenèrent devant l’empereur. Ils lui demandèrent de quelle mort il mourrait. « Enterrez-le vif» - dit l’empereur. Ceux-là partirent aussitôt et l’emmenèrent à travers les rues de Rome. Aussitôt un des maîtres vint, celui qui s’appelait Lentillus. Il rencontra son disciple qui s’inclina devant lui. Le sage avait grande pitié de lui, il passa outre, tant qu’il vint au pied de l’escalier de la salle, il descendit, et chacun lui cria : « Ha, maître, pensez à votre disciple ! ». Il vint devant l’empereur et le salua. L’empereur ne répondit pas à son salut, et dit que Dieu ne l’aiderait déjà plus. « Mais, hélas, Sire - dit maître Lentillus - pourquoi ? ». « Je vous le dirai - dit l’empereur - je vous ai confié mon fils à enseigner et à instruire. La première doctrine que vous lui avez fait apprendre, c’était de le priver de la parole, l’autre était de vouloir prendre ma femme par force. Mais Dieu ne vous permettra plus en jouir, vous n’aurez plus de joie, car quand mon fils périra, vous mourrez après lui. ». « Sire - dit maître Lantillus - donnez-vous la peine d’écouter ma réponse. Vouloir prendre votre femme par force, c’est difficile à croire. Mais, si vous voulez le supprimer ainsi, sans autre jugement, il se peut qu’il vous arrive comme il en arriva au riche homme à cause de sa femme. ». « Qu’est-ce qui lui arriva alors ? » - dit l’empereur. « Sire, je ne vous le dirai pas si vous n’aurez de pitié de votre fils, car ce que je dirai ne donnera aucun profit, s’il est mort. ». L’empereur ordonna de le ramener. On courut chercher le garçon et il fut ramené. Alors, Lentillus commença son conte. PUTEUS Ce qui arriva à un homme riche à cause de sa femme. «Sire, il y avait dans cette ville un homme qui était de grand lignage ; il n’avait pas de femme ni d’héritier qui tiendrait sa terre après lui. Ses amis vinrent et lui dirent qu’il prît une femme de laquelle il aurait un héritier qui tiendrait sa terre après lui. Il dit qu’il la prendrait volontiers, et leur ordonna de la chercher. Ils le firent. Le gentilhomme était vieux et riche, la dame était jeune et belle. Il n’avait aucun souci ni souffrance d`elle et elle avait un amant dans la ville. Et il y avait alors une coutume qui interdisait que personne n’erre à Rome après le couvre feu et qu’on éteignit les lumières dans les maisons, et il était mal considéré celui qui ne restait dans sa maison jusqu’au lendemain matin où les sages venaient au consistoire. Donc, il était ainsi dans la ville. La femme de l’homme riche voulut passer une nuit entière avec son ami. Il fit très noir cette nuit. Elle se coucha auprès de son seigneur et il voulut en jouir. La dame feignit et dit à son seigneur qu’elle était malade. Et aussitôt elle se leva du lit et descendit et ouvrit la porte où elle trouva son ami. Il commença à l’embrasser et ils firent ce qu’ils voulurent. Mais la raison et la jalousie entrèrent dans le coeur de son seigneur : il se leva et les entendit causer. Il ferma la porte, puis il vint en haut, près de fenêtre, et il cria et dit : « Ha, dame, dame, vous ne valez rien car j’ai entendu votre galant avec vous. ». « Ha, Sire - dit-elle - par Dieu, certes, vous ne le ferez pas, sauvez votre honneur. ». « Certes - dit-il - je le ferai. ». « Ha, Sire - dit-elle - par Dieu, ayez merci de moi. On sonnera bientôt le couvre-feu. ». « Certes - dit il - je le veux. ». « Ha, sire, j’en serai morte et demain je serai déshonorée et mes parents seront honnis. ». « Ainsi est-il, dame, pour qui le mérite. ». Il y avait dans la cour un puits très ancien. « Sire - dit-elle - si vous ne m’ouvrez pas la porte, je tomberai dans ce puits. ». « Certes dame, je le voudrais bien. ». « Par ma foi - dit-elle - vous ne me reverrez jamais.». Il fit très noir, tellement noir que l’un ne pouvait voir l’autre. Devant la porte il y avait une grande pierre. Elle la souleva et s’approcha du puits. « Sire - dit-elle - le coeur ne peut pas mentir, à Dieu sera de vous juger. ». Ensuite, elle laissa tomber la pierre dans le puits. « Ha, sainte Marie, donc ma femme est morte. Je ne l’ai pas fait pour la punir mais pour l’éprouver. ». Il ouvrit la porte. Celle-ci s’approcha et se cacha derrière la porte et quand il allait vers le puits, elle entra dedans et ferma la porte. A ce moment il appela sa femme et dit : « Belle soeur, êtes-vous là dedans ? ». « Oui - dit-elle - je ne suis pas morte. Vous voudriez bien que je sois dans le puits ! Elle est grande, votre vilenie ! Je ne fus pas assez belle pour vous ». « Ha, belle soeur j’ai eu si grand deuil de vous, j’ai pensé que êtes tombée dans le puits. ». « Si Dieu m’aide - dit elle - vous ne m’enterrez pas. ». « Ha, belle soeur, pour Dieu, merci, on sonne déjà le couvre-feu et si je suis pris, demain je serais déshonoré. ». « Si Dieu m’aide - dit-elle - je ne demande plus. Enfin les bonnes gens sauront quelle vie vous menez, et que vous avez menée ». Aussitôt, le couvre-feu sonna et les gardes vinrent et le prirent et dirent à la dame : « Ha, dame, vous n’entendrez plus jamais parler de la vilenie de votre seigneur. ». « Ainsi vous pouvez voir - dit-elle - que je l’ai caché tant que je pouvais. Donc, je ne veux plus le cacher, vous ne savez pas quelle vie il a menée. ». « Par la foi, dame - dirent-ils - nous l’emmènerons maintenant que le couvre-feu est sonné. » « Certes - dit elle - cela m’est bien. ». Ainsi elle laissa sonner le couvre-feu et ceux-là le prirent et l’emmenèrent dans la tour où étaient ceux qui le jugèrent, et il fut déshonoré devant la ville. « Alors, Sire - dit Lentillus à l’empereur - la dame trompa bien son seigneur. Avez vous entendu parler d’une vilenie et d’une trahison pareilles à celles que la dame fit à son seigneur ? Encore, certes, il se peut que la vôtre vous en fasse pire, elle vous force de supprimer votre fils. » « Par ma tête - dit l’empereur - je n’ai jamais entendu parler d’une femme si mauvaise et si traîtresse ». « Or, Sire, faites attention - dit Lentillus – à ce que la vôtre ne vous fasse pas tuer votre fils ». «Elle ne le fera pas - dit-il – s’il plaît à Dieu ». « Dieu vous en garde, Sire » - dit-le sage. « Par ma tête - dit l’empereur - il ne mourra pas. ». Tant ils restèrent que le soir vint et que les portes furent fermées. L’empereur vint chez l`impératrice. Elle lui fit un mauvais accueil. L’empereur lui demanda ce qui n’allait pas. « Sire - dit-elle - je suis l’être le plus souffrant au monde. Je m’en irai demain, sachez-le. ». « Vous n’allez pas le faire, dame, restez, si cela plaît à Dieu et à vous ». « Sire, je ne le ferai pas, car je préfère de m’en aller dans l’honneur que de rester dans la honte. Je suis une femme jeune et de grand lignage. Si vous ne voulez pas croire les choses que je vous dis, il peut vous en arriver comme il arriva à celui qui livra sa femme au gros roi. ». « Dame, par la foi que vous me devez, qui était-il, dites-le moi. Il me semble qu’il ne l’aimait pas trop. ». « Sire, qu’est-ce que valent mes paroles ? Vous ne voulez faire rien de ce que je vous dis. ». « Dame - dit l’empereur - je le ferai. » SENECALUS Ce qui arriva à celui qui livra sa femme au gros roi. « Sire, il y avait un roi en Puille qui était sodomite. Il dédaignait tant toutes les femmes, qu’il en tomba gravement malade et enfla tellement que tous ses membres disparurent dedans lui. Alors il envoya chercher un physicien et celui vint, l’examina et vit son urine. « Diva - fit le roi - si tu peux me guérir je te donnerai tant de terre qu’il te plaira. » « Sire - fit-il - grand merci, je vous guérirai volontiers. ». Le physicien s’occupa de lui tant qu’il fut guéri. Il lui donna à manger du pain d’orge et de l’eau de fontaine à boire tant qu’il désenfla et que ses membres réapparurent. Un jour il lui dit qu’il lui faudrait une femme. « De par Dieu - dit le roi - je la ferai chercher. ». Il appela son sénéchal et lui dit: « Allez me quérir une femme. ». « Ha, sire - dit le sénéchal - je ne pourrai pas la trouver, car elles craignent toutes que vous soyez encore aussi enflé que vous étiez. ». « Donnez-lui avant de venir vingt marcs de mes revenus » - fit le roi. « Sire, volontiers. » .Il vint à sa femme et lui dit: « Dame, il vous convient de gagner vingt marcs. ». « Sire - fit-elle - comment? ». « Il vous suffit - dit-il - de passez une seule nuit avec le roi. ». « Ha, sire - fit-elle - merci. Certes, s’il plaît à Dieu, je ne le ferai pas. ». « Si, vous le ferez, je vous l’ordonne. ». « Ha, sire, je ne le ferai pas même si j’avais la terre pour manger. ». « Dame, qui ne veut pas gagner, fait venir la perte. Faire la fière ne vaut rien. ». « Sire - fit-elle - de par Dieu, vous ferez de moi votre volonté. ». Quand vint la nuit, le sénéchal arriva dans la chambre où couchait son seigneur. Le roi lui dit: « Sénéchal, avez vous trouvé la femme comme je vous l’avait dit? ». « Sire, oui, mais elle ne veut pas qu’on la voie car elle est une femme noble. ». « De par Dieu » - dit le roi. Le sénéchal lui-même éteignit les cierges et fit sortir tous ses sergents. Puis il vint à sa femme et l’amena devant le lit de l’empereur. La dame se déshabilla, puis se coucha auprès du roi. Le sénéchal ferma la chambre. Le roi jouit avec la dame jusqu’à ce que le jour approchât. Le sénéchal ouvrit la chambre et y entra. « Dormez-vous, Sire? - dit-il au roi. « Sénéchal, je ne dors pas. ». « Sire dit-il - il convient que cette femme s’en aille, pour qu’elle ne soit pas aperçue. ». « Par ma tête - fit le roi - elle ne le fera pas. ». « Sire, j’ai promis à son ami qu’elle ne serait pas reconnue. ». « De par Dieu » - dit le roi. Le sénéchal sortit de la chambre et attendit tant qu’il fût jour, et qu’on sonnât la prime, puis revint dans la chambre et dit: « Dame, dame, levez-vous! ». « Par ma tête - dit le roi - elle ne le fera pas. ». Le sénéchal ne put plus l’endurer. Il tira les rideaux, ouvrit les fenêtres et dit: « Ha, sire, pour Dieu, c’est ma femme. » Le roi se leva et regarda le sénéchal et puis la dame. Ensuite, il se fâcha beaucoup et dit au sénéchal: « Lâche, traître, pourquoi vous me l’avez donnée? ». « Certes, Sire, pour gagner les vingt marcs. ». « Soyez honni pour votre convoitise ! » - dit le roi. « Par ma tête, si je vous trouve ici quand je serai levé, je vous ferai crever les yeux et traîner à queue de cheval. ». Le sénéchal s’enfuit et le roi maria bien et bel sa femme dans son royaume. « Or, Sire, avez-vous entendu ce que le sénéchal fit par sa convoitise? Alors regardez ce qu’il lui est arrivé: il est déshérité à jamais et sa femme est bien mariée. Vous aussi, vous devez prendre garde à vous, car vous êtes trop avide d’entendre les paroles de ces sages, et cette convoitise vous ruinera tellement que vous en serez exilé, ruiné et honteux sur votre terre. « Par ma tête - dit le roi - je ne le serai pas, car je vous dis que rien ne puisse le garantir de la mort demain. ». « Certes, Sire, vous ferez ce qui est sage. ». Ainsi tout fut remis jusqu’au lendemain quand l’empereur fut levé et les portes furent ouvertes. Le palais se remplit de hauts barons de la terre. L’empereur appela ses serviteurs: « Allez -dit-il - prenez mon fils et amenez-le moi». « Sire, à votre commandement. ». Ils s’en allèrent dans la prison et l’emmenèrent par les rues de Rome devant l’empereur. Et tous qui le voyaient avaient grande pitié de lui. En ce moment vint son maître qui se nommait Malcuidarz le roux. Il eut pitié de son disciple. Le garçon s’inclina. Le maître passa à côté de lui et chevaucha jusqu’à l’escalier de la salle. Il descendit; son cheval fut pris. Il vint devant l’empereur et le salua. L’empereur ne lui rendit pas son salut, mais le maudit. Le sage lui répondit: « Pourquoi vous me maudissez? ». « Parce que - fit-il - je vous ai donné mon fils et vous lui avez ôté la parole, et ensuite il a voulu prendre ma femme par force, et pour cela je le ferai périr. ». « Ha, Sire - dit le sage - merci. Si vous le tuez sans jugement et sans le conseil de vos barons il peut vous en arriver comme il arriva à un vieux sage à cause de sa femme. ». « Et qu’est-ce qui lui est arrivé, dites le moi, car j’écouterai volontiers la vie de ce vieux sage et je voudrais aussi savoir comment sa femme l’a déçu. ». « Sire, elle ne l’a pas déçu, car il s’en garda bien étant sage. ». « Dites le moi » - fit l’empereur. « Sire, envoyez donc chercher votre fils. ». « Volontiers» - fit-il. Il se trouva quelqu’un qui y courût. Il revint. Le garçon s’inclina devant l’empereur et son maître. Puis il fut mis dans la prison. Et messire Maucidarz commença son conte. TENTAMINA Ce qui arriva au vieux sage à cause de sa femme. « Sire, il était dans cette ville un sage vieux, et de grand âge, qui avait beaucoup de terres riches et bonnes. Ses amis vinrent et lui dirent de prendre une femme, et il leur dit de la lui chercher. Ils lui trouvèrent une jeune femme belle et blonde. Le sage en avait déjà eu deux. Il était donc vieux et son âge était passé. La dame fut avec son seigneur un an sans lui faire aucune folie, bien qu’elle en eût le talent. L’année finie elle vint au moutier où logeait sa mère et lui dit ainsi: « Dame, je n’ai aucune joie de mon seigneur. Or, sachez que je veux aimer. » .« Pfé, fille - dit la mère, tu ne le feras pas ». « Certes, dame, je le ferai ». « Veux-tu le faire d’après mon conseil? » « Oui, ma dame. ». « Il faut que tu mettes ton seigneur à l‘épreuve. ». « Volontiers, mère, et comment? ». « Belle fille, dans votre verger il y a une ente qu’il aime plus que tous les autres arbres. Fais la couper, puis tu verras ce qu’il te dira. ». « S’il plaît à Dieu, il ne me tuera pas » - dit la fille. Ainsi la dame revint dans son hôtel et demanda où était son seigneur. On lui dit qu’il était allé sur son palefroi et avec son veneur, jouer avec ses chiens de chasse. Elle appela alors son sergent et lui dit: « Prends une cognée et viens avec moi ». « Dame, volontiers ». Ils entrent dans le verger et elle lui dit : « Coupe-moi cette ente. ». « Ha, dame - dit-il - je n’oserai pas, c’est la meilleure ente de mon seigneur. ». « Si, tu le feras, je te l’ordonne. ». « Certes, dame, je ne le ferai pas. ». La dame prit alors la cognée de sa main, puis commença à frapper cette ente à droite et à gauche tant qu’elle la coupa, puis elle la tronçonna et commanda à l’apporter. Et quand on l’apportait vint le seigneur. Il regarda les tronçons, les feuilles et les branches de l’ente et fut très surpris, puis il dit: « D’où as-tu pris cette branche? ». « Certes, seigneur - fit la dame - quand je suis revenue du moutier, on m’a dit que vous étiez allé à la rivière chasser les oiseaux; et comme je sais bien que vous êtes frileux et comme il n’y avait point de bûches à la maison, alors je suis allée dans ce verger et j’ai coupé cette ente. ». « Dame - dit le seigneur - je pense que c’est ma meilleure ente que vous avez coupée. ». « Ha, seigneur, certes - fait la dame – je ne sais pas si c’est elle ». Le seigneur alla vérifier et vit que c’était elle qui fut coupée; il retourna à la maison et dit: « Ha, dame, vous m’avez mal servi, c’est ma meilleure ente que vous avez coupée. ». « Ha, Sire - fit la dame - je n’en ai pas pris garde, et je l’ai fait parce que je savais bien que vous viendriez tout mouillé et souffrant de froid. ». « Dame, pour cette fois je vous l’oublierai, car vous l’avez fait pour moi. ». Il en était ainsi jusqu’au lendemain que la dame se leva et alla au moutier, trouva sa mère et la salua. La mère lui demanda comment cela s’était passé et elle lui dit: « Bien. J’ai mis mon seigneur à l’épreuve. ». « Tu as coupé l’ente? » « Oui, c’est vrai ». « Et il n’a rien dit? ». « Certes, mère, il m’a même semblé qu’il était en colère. Certes, dame, donc je veux aimer. ». « Tu ne le feras pas, ma fille, laisse passer. ». « Certes, mère, je ne me retiendrai pas ». «Donc, je te dirai ce que tu feras. Mets-le encore une fois à l’épreuve. ». « Dame, volontiers. ». « Je vous dirai comment. Il a une lévriette qu’il aime plus que tout autre animal. Il ne permettait jamais qu’aucun de ses sergents la chassât de sa place près de la cheminée, ni qu’aucun autre que lui, jouât avec. Fais la tuer et tu verras ce qu’il te dira. ». « Je la tuerai cette nuit. ». « Tu as ma permission » - dit la mère. Or, la dame revint dans son hôtel. Le soir le feu fut allumé, et la chaleur fut bonne. Les lits étaient bien décorés, couverts de beaux tapis et de beaux coussins pointus. La dame était vêtue d’une pelisse d’écureuils toute neuve. Le sire revint de la chasse. La dame se leva, vint auprès de lui et lui ôta son chapeau et puis ses éperons. Elle se montrait obéissante et le servait docilement. Puis elle lui apporta un manteau d’écarlate et le mit sur ses épaules. Ensuite, elle ôta sa pelisse et lui prépara une chaise. Le seigneur s’assit et la dame de l’autre côté sur un escabeau. Les chiens se couchèrent partout sur le lit et la lévriette du seigneur se coucha sur la nouvelle pelisse de la dame. Quand elle vit cela, elle se fâcha beaucoup. Elle regarda un des bouviers de son seigneur qui avait un couteau à sa ceinture. La dame sauta, prit le couteau, puis l’enfonça dans le ventre de la lévriette et la tua. La pelisse et le foyer tout autour en furent ensanglantés. Le sire regarda ce spectacle inouï, puis dit: « Comment cela se peut, dame, que vous aviez osé tuer ma lévriette devant moi? ». « Comment, sire, ne voyez vous donc pas comment ces chiens salissent nos lits tous les jours? Tous les deux jours il faut les laver. Par la mort de Dieu, je les tuerai de mes mains s’ils se couchent sur mes lits ainsi. Regardez ma pelisse que j’avais mise nouvellement, comment elle est déchirée. Croyez-vous que je n’en sois pas dolente? ». Le sire répondit: « Certes, dame, vous m’avez mal servi, je vous en sais mauvais gré. Je le laisserai passer pour cette fois, je n’en parlerai plus. ». « Par ma foi, sire –fait la dame - vous ferez de moi selon votre plaisir, car je suis toute vôtre. Et sachez que je regrette beaucoup ce que j’ai fait. ». Alors, elle commença à pleurer et dit: « Certes, ma faute est grande, car je sais que vous avez beaucoup aimé cette lévriette ». Quand le seigneur vit sa dame pleurer, il la laissa. Le lendemain la dame vint au moutier chez sa mère. La mère, quand elle la vit, la salua et lui dit: « Belle fille, et comment l’as-tu fait ?». « Dame, bien, mais je vous dis donc, que je veux aimer. ». « Ha, belle fille, tu ne peux donc pas te retenir? ». « Certes, belle mère, non. ». « Belle douce fille, j’ai vécu toute ma vie auprès de ton père, et jamais je n’ai fait aucune folie et je n’en ai pas senti le talent. ». « Ma dame, il n’est pas ainsi avec moi comme il a été avec vous, car mon père était un jeune homme et vous une jeune fille quand vous vous êtes marié et vous avez joué ensemble. Mais moi, je n’ai aucune joie ni plaisir de mon mari donc il me faut les rechercher. ». « Et qui aimeras- tu, belle fille? » « Le prêtre de cette ville m’a fait prier. Je n’aimerai pas un chevalier, car il se moquerait de moi et s’en vanterait et m’en demanderait des gages à engager, et j’en aurais honte». « Diva, belle fille, suis encore mon conseil, car tu ne verras jamais d’aussi mauvaise vengeance que celle d’un vieil homme. ». « Dame, volontiers, je ferai selon votre conseil. ». « Belle fille, essaie le encore, je te dirai comment. Demain sera jeudi et c’est la veille de Noël, ton seigneur fera une grande fête, il tiendra une grande cour et tous les vaillants hommes de cette ville y seront. Tu seras assise à la tête de la table et quand le premier plat sera servi, tu mettras tes clés dans les franges de la nappe et puis tu te lèveras et tu tireras la nappe et tout après toi. Ainsi, tu auras essayé ton seigneur pour la troisième fois. ». « Ma dame, vous dites bien, je le ferai ainsi. ». Elle partit et revint dans son hôtel et le jour de Noël vint. Les vavasseurs de la ville étaient venus et beaucoup d’autres. Les tables étaient mises, et les nappes et les salières et les couteaux étaient posés et tous étaient assis. La dame s’assit à la tête de la table. Les serviteurs apportèrent les premiers plats et les saveurs. Quand les valets commencèrent à trancher la viande, la dame mit ses clés dans les franges de la nappe et se leva et fit un grand pas en avant et les écuelles tombèrent du dessus de la nappe. Le seigneur fut très en colère et la dame sortit ses clés des franges de la nappe. « Dame, vous avez mal agi ». « Par ma foi – dit la dame – je n’y pouvais rien. J’allais chercher votre bon couteau qui n’était pas sur la table et cela me faisait de la peine pour vous ». « Maintenant, dame, de par Dieu, apportez nous donc une autre nappe ». Puis l’on apporta les plats et tous mangèrent décemment. Le seigneur n’a pas montré qu’il était très en colère. Quand ils eurent mangé et les nappes furent ôtées, le seigneur honora grandement ses hôtes et ils partirent. Le seigneur souffrit la nuit jusqu’au lendemain et le matin vint chez la dame et lui dit : « Dame, dame, vous m’avez fait trois mauvais tours. Si je peux, vous ne me ferez pas le quatrième. C’est le mauvais sang qui vous le fait faire, il convient donc de vous saigner. ». Maintenant le seigneur envoya chercher le médecin et fit faire du feu. Quand la dame vit un si grand feu, elle demanda à son seigneur ce qu’il voulait faire. « Dame - fit il - je veux vous faire saigner. » « Ha, sire - fit elle - je n’étais jamais saignée de ma vie. ». « Il faut le faire - dit le seigneur - car les mauvais tours que vous m’avez faits vous viennent de votre mauvais sang. ». Aussitôt il lui fit prendre, bon gré, mal gré, son bras droit et le fit chauffer au feu. Le médecin incisa le bras et le sang sombre en écoula rapidement. On la saigna jusqu’à ce que le sang vermeil apparût. Puis il fit étancher le bras et fit sortir son bras gauche de la robe. La dame commença à crier, mais en vain. Il fit chauffer le bras et le médecin l’incisa. Le sang coula de ce bras comme de l’autre jusqu’à ce que le sang vermeil apparût. Quand le sage vit le sang vermeil il la fit étancher, puis la fit porter dans son lit dans sa chambre. Elle commença à crier et à braire. La dame envoya chercher sa mère et elle vint. Quand elle vit sa mère elle lui dit: « Ma dame, je suis morte. ». « Comment, belle fille? ». « Dame, il m’a fait saigner. ». « Et maintenant, belle fille, as-tu le talent d’aimer? ». « Certes, dame, je n’en ai pas. » « Fille, je te disais bien que tu ne verras jamais de vengeance aussi cruelle que celle d’un vieil homme. » « Certes, dame, je n’aimerai jamais. ». « Par ma foi, fille, tu ne feras que ce qui est sage. » « Sire empereur, fit messire Malcuidarz le roux, ne fut-il pas sage ? Sa femme lui fit trois mauvais tours et le quatrième serait encore plus vilain, car elle aurait aimé le prêtre de la ville. Ainsi, je vous parle de votre femme. Elle veut vous faire une vilenie, car elle cherche à vous faire tuer votre fils. Or, regardez comment le vieux sage se vengea bien. ». « Certes -dit l’empereur - il a bien fait. ». « Sire, donc ne croyez pas votre femme, quoiqu’elle vous dise. ». « Par ma tête – dit l’empereur - je ne le ferai pas. ». Les paroles se sont tues. Il était nuit, les portes du palais furent fermées. L’empereur vint chez l’impératrice qui était très fâchée et en mauvaise humeur. L’empereur lui demanda: « Dame, qu’avez-vous? ». « Quoi, Sire, j’en ai bien de quoi, puisque vous avez une mauvaise convoitise d’écouter les paroles fausses et traîtresses. Vous êtes comme Crassus qui désira tellement l’or et l’argent qu’il en est mort. ». « Comment - dit l’empereur - en est-il mort? ». « C’est la vérité ». « Or, dites-le-moi par la foi que vous me devez. ». « Sire, qu’est-ce qui vaut ce que je vous dis si vous n’en retenez rien ni n’entendez rien? » « Dame, certes, je l’entendrai bien, donc dites. » VIRGILIUS Ce qui arriva au roi de Rome à cause de sa convoitise. Sire, il y avait dans cette ville un clerc qui avait nom Virgile et il était un très bon clerc en tous les arts. Il connaissait très bien la nécromancie et grâce à elle il fit dans cette ville un feu qui brûlait jour et nuit. Alors, de pauvres femmes qui avaient de petits enfants s’y réchauffaient et prenaient de l’eau chaude pour baigner leurs enfants puisqu’elles ne pouvaient pas entrer chez ces riches hommes qui dormaient auprès de leurs justes femmes dans ces hautes maisons,. Et encore il fit devant ce feu un homme formé de cuivre fondu qui tenait dans sa main un arc prêt à tirer. Sur son front étaient écrits des mots: « Si l’on me frappe, je tire dessus. » Il était aussi dans cette ville un clerc de Lombardie, un homme riche et gentil, qui avait fait les études. Il vint voir le feu et il remarqua les lettres écrites sur le front. Alors il dit à ses compagnons: «Le frapperai-je? ». « Sire, oui, si cela vous plaît. ». Il le fit et l’autre tira et tout de suite le feu s’éteignit. « Sire - dit l’impératrice - n’a-t-il pas fait un péché? ». « Certes, dame, oui. ». « C’est vrai - dit-elle - car ces pauvres femmes y venaient de toute la ville pour y prendre du feu.. ». « Oui, c’est vrai. ». « Sire, encore fit-il plus, car à une des portes de Rome il mit un homme formé de cuivre fondu qui tenait une pelote dans sa main, et à une autre porte il fit un autre homme, et ils se jetaient la pelote l’un à l’autre le samedi soir. « L’a-t-il fait? ». « Sire, il fit encore plus. Car il fit par la nécromancie sur un grand pilier de marbre un miroir dans lequel les gens de la ville voyaient si une terre se révoltait contre Rome. Et s’ils remarquaient qu’aucune ville voulait se révolter, ils s’armaient eux mêmes, et puis ils y allaient et détruisaient cette terre. » Alors, le roi de Pouille s’en fâcha, il rassembla tous les sages hommes de sa terre et leur demanda ce qui faisait Rome si forte et puissante, et ce qui, à leur avis, rendait Rome si invincible. Il y avait là-bas deux bacheliers qui étaient frères. L’un d’eux se leva et parla au roi: « Par ma foi, sire, si vous voulez nous donner un peu de vos biens, nous abattrons le miroir de Rome. ». « Par ma foi - dit le roi - je vous donnerai tout ce que vous demandez pour abattre Rome, si vous voulez les villes, si vous voulez les châteaux, si vous voulez les terres. ». Ils répondirent: « Nous nous mettons à vos ordres. ». « Grand merci » - fit le roi. Alors l’aîné dit: « Sire, faites nous donc remplir deux coffrets d’or. ». « Volontiers » - dit le roi. Ils furent remplis. Les frères les firent mettre sur une charrette forte tirée à deux chevaux, puis ils se rendirent à Rome. L’empereur de Rome en ce temps-là était Crassus, qui était très cupide. Les frères prirent garde pour que personne ne les vît, donc ils vinrent à Rome tard dans la nuit. Ils enterrèrent un coffret à une porte et l’autre à la seconde, puis ils trouvèrent auberge dans la ville et firent de grandes dépenses. Le matin, quand l’empereur se leva, ils vinrent dans le palais et le saluèrent, et lui dirent: « Sire, nous sommes ceux qui cherchent et trouvent des trésors, nous sommes venus chez vous car nous savons bien que dans votre terre il y en a assez. ». « Soyez les bienvenus et vous en trouverez pour moi » - dit l’empereur. « Sire, volontiers, mais nous voulons avoir la moitié de ce que nous trouverons. ». « Par ma foi - dit l’empereur - je le veux bien. Je ne pourrai rien avoir sans vous ». « Sire - dit l`aîné - je songerai la nuit et je vous dirai demain ce que j’aurai songé. ». « Je l’écouterai » - dit l’empereur. Ils allèrent dans leur hôtel et furent très à l’aise cette nuit. Le lendemain, ils vinrent chez l’empereur et l`aîné lui dit: « Sire, j’ai songé. ». « Donc, dites quoi » - dit l’empereur. « Sire, j’ai songé d’un petit trésor à la porte de Puille. ». « Allons-y » - dit l’empereur. « Par ma foi, sire, volontiers. ». L’empereur y vint en grande compagnie. Il amena des mineurs et ils commencèrent à miner là où le devineur leur avait montré. Quant ils eurent creusé, ils trouvèrent un des coffrets qu’ils y avaient mis. L’empereur le fit sortir et puis il le fit partager de sorte que l’empereur en avait une moitié et les frères l’autre. L’empereur était très heureux et les convoita beaucoup. Alors l’autre frère dit qu’il songerait. Ainsi l’on trouva autre coffret. L’empereur était très content d’eux. « Par ma foi - dit le roi - je sais bien que vous dites vrai. ». Ils répondirent: « Certes, Sire, c’est rien. Nous avons songé que sous ce miroir il y a un si grand trésor que tous les chevaux de votre cour ne le pourront tirer de la terre. ». « Certes - dit l’empereur - mais je ne voudrais nullement abattre ce miroir car nous y voyons ceux qui veulent faire du mal à notre ville. ». Ils répondirent: « Sire, n’ayez pas peur qu’il choie car nous prendrons grand soin de lui. ». « De par Dieu, soyez-y donc le matin » - dit l’empereur. « Sire, volontiers. » Ils prirent congé et allèrent à leur hôtel. Quant vint le matin, ils vinrent au miroir et commencèrent à piocher d’une telle manière que le pilier du miroir fut tout défait, et qu’il le tenait à peine. Quant la nuit vint, ils s’en allèrent et les autres ouvriers aussi. À minuit ils apportèrent du feu et le mirent au fondement. Il brûlait dedans, et quand ils virent que le feu avait bien pris, ils se mirent en route. Ils n’étaient pas allés trop loin quand le miroir tomba. Ils le virent bien choir et s’en allèrent à grande joie. Le matin, quand les barons de Rome s’assemblèrent pour observer le miroir, ils virent qu’il était détruit par la convoitise du roi. L’empereur vint et entra dans une grande colère à cause de cette mésaventure. Il fit chercher les devineurs, mais ils ne purent pas être trouvés. Il se sentit déçu et avait une grande peur. Les hauts barons de la terre lui demandèrent pourquoi avait-il fait cela. Il ne savait pas leur répondre sauf que c’était pour la convoitise de l’or. Alors ils le prirent, le mirent sur une porte et lui coulèrent de l’or fondu dans la bouche, dans les yeux et dans les oreilles, et puis ils lui dirent: «L’or tu voulais, l’or tu convoitais, l’or tu auras, l’or te perdra et par l’or tu mourras. » « Sire - dit l’impératrice à l’empereur – donc il est mort dans une grande honte par sa convoitise. ». « C’est vrai » - dit l’empereur. « Sire, donc sachez la vérité que vous aussi vous pouvez mourir ainsi». « Hélas, dame, qu’est-ce que vous dites? ». « Sire, je vous dis la vérité. Ne semble-t-il pas bien que vous êtes si avide d’entendre et de retenir les paroles de ces sages que vous en perdrez l’honneur et mourrez dans la honte ? Vous mourrez bien dans la honte quand vous aurez perdu la couronne durant votre vie pour un bâtard que vous avez nourri et que vous appelez votre fils. Maudit soit le fils qui cherche à déshériter son père. ». « Dame, ne vous fâchez pas, car par la foi que je vous dois, il ne me déshéritera pas, car il mourra le matin. ». « Certes, sire, que cela ne vous pèse pas, mais je ne vous crois plus. ». « Dame, sachez, que ceci se fera. ». « Sire, Dieu vous en donne le bon talent ». Ils restèrent ainsi jusqu’au matin. Quand il fut jour, l’empereur se leva. Les portes furent ouvertes et les barons assemblés dans le palais. L’empereur appela ses serviteurs et leur dit: « Prenez mon fils et tuez-le. ». « Sire, volontiers. » Il le tirèrent de la prison et l’amenèrent dans le palais devant l’empereur si vite qu’ils ne lui laissèrent même pas le temps de s’incliner devant son père. Ils descendirent en hâte l’escalier et sortirent dans la rue. Tous ceux qui le virent en eurent une grande pitié. À ce moment vint un de ses maîtres qui s’appelait Caton, celui qui fit un livre où les enfants trouvent leur enseignement à l’école. Son disciple s’inclina quand il vint devant lui. Le sage eut une grande pitié de ce qu’ils l’amenaient ainsi, donc il pressa le pas de son cheval et descendit au pied de l’escalier de la salle. On prit son cheval. Il monta les marches de l’escalier, vint devant l’empereur et le salua. L’empereur lui répondit à honte et à vilenie, et le menaça et lui dit: « Je vous avais donné mon fils à enseigner, et vous l’avez privé de la parole et vous l’avez fait prendre ma femme par force. ». « Sire - dit Caton – je n’ai jamais dit qu’il avait perdu la parole, car s’il l’avait perdue, vous devriez nous en savoir mal gré. Mais quant à votre femme qu’il voulait prendre par force, s’il n’est pas comme elle vous dit, il vous peut vous en arriver ce qui est arrivé à un bourgeois à cause de sa pie. ». « Et qu’est-ce qui lui est arrivé à cause de sa pie? ». « Par ma foi - dit Caton - mon discours ne vaudra rien si votre fils est mort. Faites le relâcher encore et je le vous dirai. ». « Je le relâcherai pour que vous puissiez parler » - fit l’empereur. « Sire, envoyez donc le chercher. ». « Volontiers ». Les messagers allèrent chercher le garçon. Il vint devant l’empereur et devant son maître, s’inclina devant eux et puis il fut mis dans la geôle. Alors maître Caton commença son conte. AVIS Ce qui arriva au bourgeois à cause de sa pie « Il y avait dans cette ville, sire, un bourgeois - dit Caton - qui avait une pie qui parlait très bien la langue romaine. Quand le bourgeois revenait à la maison, la pie lui racontait ce qu’elle avait su, vu et entendu pendant son absence. Il arrivait souvent que la pie dît la vérité au prud’homme. Si un ami de la dame était avec elle, il la croirait bien. Un jour quand le bourgeois fut allé chercher ses marchandises, la dame invita son ami. La pie restait en haut dans une cage attachée à une perche. Un ami vint jusqu’à la porte, et n’osa pas entrer dedans à cause de la pie. Il demanda la dame. Elle vint à lui. Il lui dit: « Dame, je n’ose pas entrer à cause de la pie, pour qu’elle ne dise rien à votre seigneur. ». « Venez - dit elle - sûrement, je penserai à elle. ». « Dame, volontiers » - dit il. Il passa à côté d’elle et entra dans la chambre. La pie le regarda et le reconnut car il faisait des affaires avec le bourgeois. Et elle dit ainsi: « Ha, Sire, qui vous reposez dans la chambre, pourquoi vous ne venez pas quand mon Sire est là? ». Puis elle se tut. La dame réfléchit et trouva une grande ruse. Quand il fut nuit la dame prit sa servante et lui donna un grand pot d’eau, une chandelle de cire brûlante et un bâtonnet de bois. Quand vint minuit, elle la fit monter sur la maison, au-dessus de l’endroit où était la pie, et la servante commença à donner des coups de bâtonnet contre la cage de la pie, puis elle prit une chandelle et la mit entre deux barreaux pour fabriquer de la clarté des éclairs pour la pie. Puis elle prit de l’eau et la versa sur la pie. Et elle la traita ainsi jusqu’à l’aube. Quand il fut jour, la servante descendit, le bâtonnet dans une main et le cierge dans l’autre et l’ami de la dame s’en alla. Un peu plus tard, le seigneur revint. Il vint tout droit à sa pie, la caressa et lui demanda: « Amie, comment allez-vous? Que me direz-vous aujourd’hui ?». « Sire - dit la pie - l’ami de la dame resta dedans toute la nuit, et il joua avec elle. Il vient de partir, je l’ai vu s’en aller. ». Le seigneur regarda la dame d’un oeil vilain. Il se tourna vers sa pie, et lui dit: « Certes, belle et douce amie, je vous en crois bien. ». « Sire - fit la pie - toute la nuit il pleuvait et il tonnait et les éclairs m’en venait de toutes parts dans les yeux, j’avais peur que j’allais mourir. ». Le seigneur regarda la dame et elle lui. « Par ma foi - fit le seigneur - la nuit était très claire et très belle. ». « Certes, sire - dit la dame - à mon avis c’était une de plus claires cette année ». Le seigneur demanda à ses voisins et ils dirent la même chose. La dame vit que sa ruse avait réussi et qu’elle pouvait parler à son seigneur, tant que ses voisins pouvaient entendre : « Alors, mon sire, alors vous pouvez écouter pourquoi mon seigneur m’a toujours blâmée et battue, il a cru tout ce que lui disait sa pie. Et maintenant elle a lui dit que mon ami avait joué avec moi toute la nuit. Certes, elle a menti, comme elle avait menti auparavant ». Le seigneur se fâcha que sa pie lui eût dit des mensonges et pensa qu’elle lui avait aussi menti au sujet de sa femme. Donc il vint à la pie et lui dit : « Par ma tête, vous ne me mentirez plus jamais. ». Il la prit et lui rompit le cou. Quand il le fit, il en était tellement ébahi qu’il ne savait quoi dire. Alors il ôta la cage où était la pie et vit des barreaux mouillés. Puis il prit une échelle et monta en haut de la maison et vit le pot que la servante y avait laissé, et des gouttes de la cire qui coulèrent sur les barreaux, et vit le grand pertuis là où elle avait mis le cierge tout brûlant. Alors il découvrit la trahison que sa femme lui avait faite et commença à faire le grand deuil et se dit: « Ha, hélas, pauvre malheureux, pourquoi ai-je cru ma femme? ». Et il chassa sa femme de sa maison. « Alors, Sire - fit maître Caton - s’il avait réfléchi avant, il n’aurait pas tué sa pie. Or, il se repent et fait son deuil. Or, il a chassé sa femme parce qu’il a tué la pie à cause de son conseil. Ainsi, je vois et j’entends que l’impératrice cherche à détruire votre fils et si vous la croyez sans chercher un autre conseil, alors il peut vous en arriver ce qui est arrivé au bourgeois avec sa pie. ». « Par ma tête - dit l’empereur - il ne m’en arrivera pas ainsi. ». « Sire - fit Caton - vous ferez bien. Il ne faut jamais faire tuer son enfant à cause des paroles de sa marâtre. ». Il en était ainsi jusqu’au soir où les portes furent fermées. L’empereur vint à l’impératrice. Elle lui fit un mauvais accueil. L’empereur regarda celle qu’il aima tellement, et lui dit: « Dame, qu’avez-vous, dites le moi? ». « Certes, Sire, je m’en irai le matin chez mes amis et chez mes parents, car je suis du haut lignage. ». « Dame, pourquoi ? Dites le moi. » « Par ma foi, Sire, je sais bien que vous allez être tué car vous ne voulez croire aucun conseil. Et pour cela il peut vous en arriver ce qui est arrivé au roi Hérode qui a tellement cru au conseil de ses sages, malgré les paroles de sa femme, qu’il en a perdu la vue. ». « La vue - dit l’empereur - comment? Je voudrais bien l’entendre. ». « Pourquoi vous le dirais–je? Vous en ferez rien. ». « Par ma tête, dame, vous le direz. ». « Volontiers, Sire, puisqu’il vous plaît l’entendre. ». SAPIENTES Ce qui arriva au roi Hérode qui crut tant ses sept sages qu’il en perdit la vue. Il y avait une fois un empereur qui s’appelait Hérode et qui avait ses sept sages, comme il arrive encore aujourd’hui. Dans cette ville il y avait une telle coutume que quiconque songeait, venait aux sept sages et leur apportait un besant d’or et leur racontait son songe et les sages le lui expliquaient et lui disaient ce qui pouvait lui arriver. Ils avaient tant d’or qu’ils surpassèrent l’empereur en richesse. L’empereur avait une telle maladie que, quand il voulait chevaucher hors de Rome, il devenait aveugle et ne pouvait pas partir. Alors, un jour il appela ses sept sages et leur dit: « Seigneurs, dites-moi ce que je vous demanderai. » Ils répondirent: « Volontiers. ». « Pourquoi - dit-il - je perds ma vue quand je veux sortir de cette ville? ». « Sire - dirent les sages - de ce que nous savons, nous ne pourrons pas vous répondre qu’après un délai de temps. ». « Un délai y convient-il? » - demanda l’empereur. « Par ma foi, sire, oui ». « Je vous donne donc jusqu’à huit jours. ». « Sire, ce serait trop peu, nous avons besoin de quinze jours. ». « De par Dieu » - dit l’empereur. Ainsi, ils partirent. Ils ne voulaient pas faire longtemps attendre l’empereur donc ils demandèrent conseil aux plusieurs gens jusqu’à qu’on leur dît qu’il y avait un enfant dans la terre qui n’avait onques eu de père, et qui savait répondre à tout ce qu’on lui demandait. Ils partirent hors de Rome et allèrent dans la direction qu’on leur avait montrée et arrivèrent dans une ville où il était avec ses compagnons qui lui reprochaient qu’il fut né sans père. Les sages s’arrêtèrent et lui demandèrent quel était son nom. Il répondit qu’il s’appelait Mellins. Il se trouva alors qu’un prud’homme allait chez les sages. Il était effrayé par le songe qu’il avait fait et portait un besant dans sa main. Mellins vint à sa rencontre et lui dit: « Je sais bien où tu vas et ce que tu demandes et ce que tu apportes. ». Les sages l’écoutèrent. « Tu as fait - dit Mellins - un songe dont tu es effrayé et pour cela tu vas à Rome aux sages et leur apportes un besant. Je te le dirai, si tu m’apportes ton besant. Tu as songé qu’il y avait une fontaine dans ta maison et que toute ta vigne en était servie et arrosée. La fontaine signifie un grand trésor qui est au-dessous de ta maison. Va et fais le chercher et tu seras riche et toute ta lignée avec toi, si tu n’es pas pressé ». Le prud’homme revint à sa maison et les sages et le garçon avec lui. Il demanda aux ouvriers de chercher le trésor et de le sortir. Il était grand et il y avait plein d’or. Les sages en prirent à leur volonté et en offrirent au garçon mais il n’en avait cure. Les sages s’en repartirent et emmenèrent le garçon avec eux. Quand ils étaient hors de la ville, ils lui demandèrent s’il saurait dire à l’empereur pourquoi sa vue se troublait quand il voulait sortir hors de Rome. Mellins dit: « Oui, bien. ». Alors, ils l’emmenèrent à Rome devant l’empereur au terme des jours qu’ils avaient pris pour lui répondre. L’un d’eux parla et dit: « Sire, nous sommes venus à notre jour pour répondre pourquoi votre vue se trouble quand vous voulez quitter Rome. ». « C’est la vérité » - dit l’empereur. « Sire, nous avons amené un enfant qui répondra pour nous ». « Prenez-vous pour vrai ce qu’il vous dit ?». « Sire, oui. ». « Qu’il dise, je l’écouterai volontiers ». « Sire - fit Mellins - menez-moi dans une chambre et là je vous parlerai. ». « Volontiers » - dit l’empereur. Ainsi, il l’emmena dans sa chambre et Mellins commença à parler: « Sire, écoutez-moi. Dessous votre lit il y a une chaudière qui bout à grande vapeur et il s’y forme sept bouillons et tant que ces sept bouillons dureront, et que cette chaudière y soit, vous ne pourrez pas partir de Rome car vous ne voyez ni chemin ni sentier. Et si vous ôtez la chaudière sans éteindre les bouillons vous allez perdre la vue pour toujours. ». « Par ma foi, beau, doux ami - fit l’empereur - il convient que vous me conseilliez. ». « Sire, volontiers. ». «Faites déplacer le lit et puis faites creuser. » L’empereur fit déplacer le lit. Après il fit creuser jusqu’à ce que la chaudière fût trouvée. Les sages et plusieurs gens qui y étaient la virent. L’empereur parla au garçon et lui dit: « Garçon - fit-il - maintenant je sais bien que tu es sage. Dorénavant, je veux agir selon ton conseil. ». « Sire - dit-il - grand merci. Or, faites tous les gens sortir d’ici». Ils s’en allèrent et puis Mellins dit: « Sire, voyez vous ces sept bouillons? Cela signifie ces sept diables que vous avez chaque jour à votre conseil. ». « Ha, Dieu - dit l’empereur – pourrais-je les ôter d’autour de moi? ». « Certes, bien oui » - dit Mellins. « Puis-je les voir, ou entendre ou toucher ?». « Sire, oui ». « Et qui sont-ils, beau, doux ami? Dites-le-moi. ». « Sire, volontiers. Par ma foi, ce sont ces sept sages que vous avez auprès de vous. Ils sont plus riches que vous dans cette terre car ils ont introduit une mauvaise coutume qui a perdu votre terre, et ils s’en enrichissent. Car quand quelqu’un, soit chevalier, soit bourgeois, fait un songe, il lui faut, par force, qu’il vienne aux sages et leur apporte un besant pour qu’ils expliquent son songe. Et s’il fait autrement, il pense être honni. Ainsi décrètent les sages. Et parce que vous avez permis à cette mauvaise coutume s’établir dans votre terre, votre vue se trouble quand vous voulez sortir de la ville. Donc, prenez le plus vieux des sages et faites lui couper la tête, et le plus grand bouillon s’éteindra. ». « Par ma tête - dit l’empereur - je le ferai. ». Maintenant, il fit amener le plus vieux et lui fit couper la tête. Ainsi, le plus grand des bouillons s’éteignit. « Par ma tête – fit-il - Mellins, je croirai dorénavant ce que vous me dites ». Alors l’empereur fit couper les têtes à tous les sages et toute la chaudière s’éteignit et devint toute froide. «Par ma foi, sire - fit Mellins - maintenant vous pouvez ôter la chaudière et laver vos mains et tout votre corps dedans. ». « Volontiers » - dit l’empereur. L’empereur fit comme Mellins lui avait commandé. La chaudière fut ôtée et la fosse remplie et le lit fut remis à sa place. « Sire - dit Mellins - maintenant vous pouvez monter votre cheval et partir. ». « Par ma tête - dit l’empereur - je le ferai, mais vous devez chevaucher avec moi. ». « Sire - dit Mellins - volontiers. ». Les chevaux furent sellés. L’empereur et Mellins les montèrent et les barons et les bourgeois de la terre montèrent après eux pour voir la grande merveille. Il y avait cinq ans que l’empereur n’était pas sorti de Rome. Quand ils vinrent à la porte, Mellins qui était à côté de lui, lui dit: « Sire, allez devant. ». L’empereur éperonna son cheval et passa la porte et sa vue n’était pas troublée. Quand il vit cela, il en eut une grande joie. Il prit Mellins et commença à lui donner des baisers et des accolades et puis le retint avec lui. Et tous les autres lui firent une grande fête quand ils virent que l’empereur avait sa vue sauvée. « Sire, avez-vous entendu cette histoire qui est arrivée à Hérode à cause de ses sept sages qui l’ont aveuglé par leur savoir et par leur baratin et parce qu’il les croyait trop? Et si vous voulez voir les vôtres vous détruire et vous prendre l’empire, il peut vous en arriver ce qui est arrivé à Hérode. » . « Cela ne m’arrivera pas ainsi car je ne les crois pas tant que j’en perde la vue ou que je m’aveugle. ». L’impératrice répondit: « Dieu vous en garde. ». La nuit passa et le matin vint. L’empereur et l’impératrice se levèrent. Les portes furent ouvertes. L’empereur commanda d’amener supprimer son fils. A ce moment vint un autre sage qui avait pour nom Josse. Il descendit aux marches de l’escalier de la salle de son palefroi et il se trouva quelqu’un pour le tenir. Il monta l’escalier et salua l’empereur et les autres barons. Après il dit à l’empereur: « Sire, je m’étonne beaucoup de vous, qui êtes un homme sage, que vous voulez, pour le dit d’une femme, supprimer votre fils sans jugement. Vous faites une chose extraordinaire que jamais aucun haut homme n’ait jamais faite et sachez que vous êtes bien blâmé par vos barons et par d’autres gens que vous croyez tant l’impératrice. Sachez qu’elle n’aime ni votre honneur ni votre bien si elle veut ainsi supprimer et tuer votre fils. Aussi, je prie Dieu qu’il ne vous arrive ce qui est arrivé à un vicomte qui fut mort de douleur d’avoir piqué un peu sa femme au doigt de son couteau. ». « Comment cela est arrivé, beau sire? Dites-le-moi par amitié. ». « Sire, je le dirai volontiers, mais à condition que la mort de l’enfant soit remise. ». «Ami - dit l’empereur - ainsi sera-t-il, car c’est un exemple que je veux entendre et retenir. » Alors, il dit à ses sergents: « Ramenez-moi mon fils. ». Ils l’amenèrent car ils n’avaient pas une grande envie de le tuer mais ils devaient faire la volonté de leur seigneur. L’enfant fut ramené. Le sage parla et présenta ainsi ses paroles : VIDUA Ce qui arriva au vicomte mort de chagrin après avoir piqué sa femme au doigt. « Ecoutez-moi, Sire » - dit le sage. « Il y avait jadis un vicomte en Loherainne qui avait une femme qu’il aimait beaucoup et elle semblait l’aimer aussi. Le désir de l’un était celui de l’autre et jamais deux personnages ne furent mieux rassemblés par le mariage. Un jour, il arriva que le seigneur tînt dans la main son nouveau couteau avec lequel il voulut couper un bâtonnet. La dame lança sa main dans cette direction et, par malchance, le couteau lui trancha un peu le pouce qui saigna un peu. Quand le seigneur vit cela, il en eut une si très grande douleur qu’il en fut mort le lendemain. Sachez bien que cela ne lui arriva pas de sa grande sagesse ; son cœur était trop faible s’il mourut pour une telle chose. Le corps fut préparé à ensevelir comme il fallait. Quand son ami fut emporté, la dame fit un deuil extraordinaire. Le corps fut porté au moutier en dehors de la ville où il y avait un nouveau cimetière. Quand le service fut chanté, l’enterrement eut lieu le jour même. La dame soupirait et pleurait beaucoup et dit qu’elle ne partirait jamais de ce lieu où il y avait le mort, car il était mort pour l’amour d’elle et elle voulait aussi mourir pour lui. Ses parents vinrent à elle et la blâmèrent beaucoup et la prièrent de se ressaisir et lui dirent: « Pour Dieu, vous ne le ferez jamais, car votre âme n’y serait pas prise, ainsi, vous risquez de la perdre et vous serez vous-même trop courroucée contre Dieu. Prenez-le de bon coeur, car vous êtes une dame jeune et belle et de grand lignage qui fera tout selon votre volonté. Puisqu’il est mort il ne reviendra plus, sachez le ». « Seigneurs - dit la dame – vous parlez pour rien car sachez bien que je ne mouvrai pas d’ici, quoiqu’il advienne, jusqu’à ce que je sois morte parce qu’il est mort pour l’amour de moi. Or, je veux mourir pour lui». Quand ils virent que la dame ne s’en mouvrait ni pour prière ni pour les choses qu’ils lui dirent, ils la laissèrent là-bas toute seule. Mais ils lui firent une loge sûre, bien couverte et bien fermée. Ainsi, ils partirent et la dame resta. L’on lui apporta du bois dont elle fit du feu. Ce jour-là où le vicomte fut mort il y avait dans ce pays trois chevaliers qui furent voleurs et larrons. Ils avaient beaucoup le pays volé et éprouvé mais ils ne pouvaient être ni pris ni retenus. Ce jour-là ils furent pris par les sergents du roi. Les gens en furent très heureux car ils avaient fait beaucoup de mal. Ils furent menés aux fourches et furent pendus. Il y avait dans cette ville un chevalier qui avait beaucoup de terres et fut très craint, car quand un larron ou un voleur fut pendu, il lui convenait de le garder la première nuit aux fourches. Cette garde était très périlleuse mais ainsi il gagnait beaucoup de terres. Ainsi il lui fallut garder cette nuit ces trois larrons au gibet. Il se prépara et s’arma bien. Après il monta sur son destrier et s’en alla tout seul directement aux fourches. Il arriva et vit les trois larrons pendus. Il y resta tant qu’il en fut très affaibli. Il faisait très froid car c’était vers la Saint André et il faisait très grand hiver. Le chevalier qui gardait les trois larrons regarda vers le cimetière où la dame gardait son seigneur et vit la clarté du feu qu’elle avait allumé. Il trouva qu’il irait au feu et se chaufferait les mains avec la dame. Il éperonna son cheval et s’y rendit. Quand il fut à la loge, il descendit et attacha son cheval, puis dit à la dame de le laisser entrer. La dame fut très surprise et lui dit qu’il n’entrerait pas. « Dame – dit le chevalier – ne doutez pas de moi car je ne ferai rien qui vous déplaise ni ne dirai aucune vilenie. Je suis le chevalier qui garde les trois larrons et suis votre voisin. ». « Sire – dit la dame – vous pouvez donc bien entrer dedans ». Elle lui ouvrit la porte et il entra et alla au feu se chauffer car il avait très froid. Quand il se fut réchauffé, il était beaucoup plus à l’aise. Le chevalier regarda la dame. Elle était belle et son teint était rose, donc il lui dit : « Je m’étonne beaucoup que vous qui êtes une dame noble et belle et de bonne famille, et qui pourriez encore, si tel était votre plaisir, avoir un homme riche et puissant qui vous aurait honorée, vous gisiez ici près de cette bière. Sachez que ni pour vos pleurs ni pour votre douleur ni pour rien que vous puissiez faire il ne pourra jamais revivre. Vous faites donc une folie de rester ici et de garder ce corps, car cela ne vous donnera rien. ».[1] « Hélas ! Sire - dit la dame - jamais je ne me remarierai et je ne partirai d’ici car mon mari mourut pour moi et certes, je lui rendrai le même cadeau. ». Le chevalier resta longtemps chez elle pour s`échauffer et discuter. Quand il était chez la dame, un des pendus fut descendu et amené du gibet par ses parents. Quand le chevalier se réchauffa assez, il prit son cheval et remonta vers le gibet mais il n’y arriva pas assez tôt pour ne pas trouver qu’un des trois pendus était descendu et amené. Alors il commença à se tourmenter et à se demander quoi faire : une fois il se disait qu’il s`enfuirait, une autre fois qu’il ne le ferait pas. Et ainsi, ne sachant que faire, il s’avisa de rentrer chez la dame qu’il avait laissée au cimetière pour savoir quel conseil il pourrait trouver auprès d’elle. Quand il rentra chez elle, il lui raconta sa peine et la malchance qui lui était arrivée quand il était chez elle et dit qu’il lui faudrait quitter le pays et laisser ses parents et ses amis et aller vivre dans un pays étranger pour qu’on ait aucune nouvelle de lui, car, comme il disait, il n’oserait attendre la justice du roi. Quand la dame l`entendit, elle lui répondit de telle manière : « Ha ! Sire - dit-elle - vous ne ferez pas ainsi, ce serait un grand dommage de laisser vos amis et votre héritage. Vous devriez faire une longue route pour retrouver ce que vous avez perdu. Si vous écoutez mon conseil, vous ne vous enfuirez pas et ne perdrez rien, et resterez en paix ». Il lui répondit que, très volontiers, il le ferait et accomplirait tout ce qu’elle voudrait. Alors elle lui dit : « Venez avant - dit-elle - voici mon seigneur qui hier a été enfoui et n’a pas encore changé : nous le déterrons et mettrons au gibet à la place du voleur. ». Aussitôt ils le déterrèrent, puis le mirent sur le cheval du chevalier et portèrent droit au gibet. Quand ils étaient là, le chevalier dit : « Par Dieu, dame, si je le pends, j’en deviendrai trop lâche. ». « Mon ami - dit-elle - ne vous en inquiétez pas, je le pendrai par l’amour de vous. ». Donc, elle alla vers le gibet et prit l`échelle étendue par terre et monta elle-même pour pendre le corps de son mari. Elle lui avait mis la hart au cou et, avec l’aide du chevalier, elle le pendit. « Ha! Dieu, quelle femme vous êtes! Salomon dit bien : Quand une femme fait semblant d’aimer, il faut se méfier d`elle. ». Quand la dame avait pendu le corps de son mari, elle descendit, vint au chevalier et lui demanda si elle avait bien fait selon son plaisir. Il lui répondit que tout cela n’était que rien parce que celui, qui fut pendu ici, eut des dents rompues par un horion qu’on lui avait asséné quand il fut pris, et que, si les procureurs du roi venaient, ils reconnaîtraient bien que ce n’était pas lui. Alors la dame prit une grosse pierre, remonta l`échelle et d`un seul coup brisa toutes les dents à son seigneur. Et comme auparavant, elle descendit et lui dit que, les dents rompues, il ne serait pas pris. « Par ma foi – dit le chevalier - dame, il y a encore plus, car quand il était pris, il était blessé au côté par l’épieu et je sais bien que quand les sergents viendront, je serai pris car celui-ci n’est pas blessé. « O Dieu ! - dit la dame – ce n’est rien. Passez-moi - dit-elle - votre épée et je le blesserai de la même manière. ». Quand le chevalier lui eut passé son épée elle remonta en haut du gibet et frappa son mari au côté tant que l’épée passât à travers, et puis descendit et dit au chevalier que maintenant elle avait accompli tout ce qu’il voulut. « C’est vrai - dit-il - ordre putain ! Par Dieu, maudit soit qui trop sa femme croit et se fie à elle ! Allez, fausse mauvaise traîtresse, fuyez d’ici : qui vous jugera par droit et par raison, vous serez embrasée et brûlée. ». En l`entendant elle eut honte et s`en alla et ainsi la chose termina. « Sire empereur - dit Josse - cet exemple, je le dis pour vous : vous êtes maintenant vieux et chenu et votre fils est de votre chair et de votre sang, vous ne devez pas le tuer pour une chose qu’on raconte. ». Par ce moyen l’enfant fut sauvé jusqu’au lendemain. ROMA Ce qui arriva aux Sarrasins par le jeu de sept sages de Rome. Le lendemain matin l`impératrice se trouva avec l`empereur à l`église saint Sauveur et lui dit : « Sire - dit-elle - autrefois il advint que sept rois sarrasins assiégèrent la cité de Rome ; ils voulaient conquérir la ville et la brûler, et détruire les papes, les cardinaux, et toute la chrétienté. À Rome vivait un vieil homme sage, prudent et noble, il vint au conseil et dit, devant tous qui y étaient : « Seigneurs - dit-il - écoutez-moi, vous voyez que les sept rois sarrasins ont assiégé cette ville et vous savez que la semaine a sept jours et que dans cette ville il y a sept sages. Les sages sont chargés de garder la ville contre les adversaires sous peine qu’on en prenne vengeance et qu’on détruise leurs corps au cas où ils auraient fauté. Chacun d’eux fait la garde un jour de la semaine, et grâce à leur art et à leur science les ennemis ne peuvent pas endommager la ville. ». Selon cet ordre les sages gardèrent bien la cité, chacun à son tour, pendant trois mois. Pendant ce temps, la quantité de vivres s’amenuisa beaucoup et l’on décida de faire une issue pour combattre les ennemis, et les sages furent chargés de trouver voie et moyen d’ébahir les adversaires pendant que ceux de la ville sortiraient pour les combattre et détruire. Les sages s`assemblèrent et décidèrent qu’un d’eux, Janus, auquel appartenait de faire la garde ce jour-là, serait habillé d`un vêtement fait de queues d`écureuils et à la tête il aurait deux visières aux deux visages grands et aisés qui seraient parsemés de miroirs reflétant le soleil et qu’il tiendrait dans les deux mains deux épées claires et reluisantes, qu’il serait debout sur le sommet de la plus haute tour de Rome et qu’il frapperait les deux épées l’une contre l’autre tant que le feu en saillît. Et le lendemain, quand il serait sur ce haut point, ceux de Rome sortiraient pour battre leurs ennemis et les sages feraient tant par leur art et subtilité que la chose se ferait bien. Comme il était discuté et arrêté, ainsi il fut fait. Quand les Sarrasins virent Janus au sommet de la haute tour, habillé comme il est dit, et frappant des deux épées l’une contre l’autre, les sept rois sarrasins s`assemblèrent pour tenir conseil de ce que cela pouvait être, cette merveille, qu’ils voyaient. Ils croyaient certainement que c’était le dieu des Romains qui venait les secourir, et quand ils furent tous ébahis, les Romains sortirent à grande force et attaquèrent l’armée des Sarrasins et commencèrent à frapper, à tuer et à mettre par terre tout ce qu’ils rencontrèrent. Les Sarrasins épouvantés et pris au dépourvu, tournèrent en désarroi et prirent la fuite et pendant la poursuite ils furent tous morts ou pris par la ruse et l’astuce des sept sages. « Et pareillement - dit l`impératrice – ils veulent, ces sages, Sire empereur, se moquer et se défaire de vous, comme font ensemble les petits enfants qui disent l’un à l’autre : « Je te le donne, je te le reprends. ». Vous avez le comportement d`un petit enfant : quand il pleure l’on lui donne la tétine et il se calme. Vous êtes comme ceux qui jouent au jeu des boules. Quand l’un tient la boule, il la jette à son compagnon et puis il court après et a beaucoup de peine pour la rattraper. N’est donc pas une grande folie de jeter ce qu’on a dans ses mains et d’avoir tant de peine pour courir après ? Ainsi - dit-elle – il est de vous, Sire empereur : vous tenez maintenant votre fils et vous ne faites point de justice. Certainement, les sages cherchent par leur ruse à vous décevoir et à vous tromper et à faire couronner votre fils de votre vivant, si vous ne faites vite justice. » Par cette exhortation l’empereur délibéra de faire mourir son fils et commanda à ses sergents qu’ils fassent ainsi. Alors vint Meros qui était très sage et qui savait bien parler et dit à l’empereur que s’il faisait tuer l’enfant il pouvait lui arriver ce qui arriva à celui qui préférait croire ce qu’on lui disait à ce qu’il vît lui-même. L’empereur demanda comment c’était arrivé et pour ce jour-là la mort de l’enfant fut remise. INCLUSA Ce qui arriva à un seigneur jaloux qui donna sa propre femme en mariage. « Il y avait une fois - dit-il - un chevalier qui était de grande renommée. Une nuit, il songea dans son lit qu’une dame l`aimait d’un amour merveilleux mais il ne savait ni qui elle était ni où elle demeurait. Cette dame fit le même songe que le chevalier. Il quitta son domaine et commença à errer à travers des pays en disant à ses amis qu’il allait en pèlerinage. Il chevaucha trois semaines par des pays sans rien trouver. Il advint un jour qu’il passait à côté d’un château dessus de la mer. Quand il descendit de son cheval il vit aux fenêtres du château, dedans une tour, une dame belle et gracieuse. Il lui sembla que c’était celle dont il avait songé et pareillement sembla-t-il à la dame qui reconnut le chevalier de son songe, et en ce moment il s`éprirent, soudainement, l’un de l’autre. Le chevalier vint au château et salua le seigneur qui lui rendit son salut. Ils parlèrent et en conclusion le chevalier resta au château pour participer à une guerre que ce seigneur avait à mener. Tandis que le chevalier était là, il se tourmenta beaucoup de ne pas pouvoir voir ni parler à la dame qui était enfermée dans la tour, car le seigneur la gardait tellement que personne ne pouvait lui parler. Dans la tour il y avait trois portes de fer dont le seigneur seul avait les clefs et nul autre que lui n’y entrait. Une fois le chevalier pria le seigneur du château de lui donner un peu de terre près de la tour pour y construire une écurie pour ses chevaux. Le seigneur la lui octroya, donc le chevalier y construisit un appentis juxtaposant directement la tour. Quand cela fut fait et les chevaux y étaient déjà amenés, le chevalier fit venir un maçon qui était à ses ordres et lui découvrit son affaire. Le maçon fit de l’intérieur de l`écurie un trou dans la tour qui se refermait si subtilement que personne ne pouvait y apercevoir aucune infraction ni violence. Quand cela fut fait le chevalier tua et enterra le maçon pour qu’il ne le trompât pas, par quoi il fit du mal. Le chevalier allait par ce trou voir la dame qui était l`épouse du seigneur et la dame revenait voir le chevalier et ils faisaient ainsi très souvent et longtemps menèrent cette vie. Une fois le chevalier demanda au seigneur de venir dans son hôtel pour dîner avec lui et avec son amie qui récemment lui était venue de son pays. Le seigneur en fut content et le lui accorda. Quand vint le jour et l’heure où le seigneur devait aller dîner dans l’hôtel du chevalier il alla d’abord voir sa femme dans la tour où elle était enfermée. Quand il y resta assez, il sortit et referma toutes les portes. Dès qu’il fût parti la dame se dévêtit et mit d’autres vêtements que son mari n’avait pas encore vus, et s’en alla par le trou de l`écurie à l’hôtel du chevalier où elle vint avant que son seigneur y fût arrivé. Quand le seigneur était venu il regarda longtemps cette femme qui lui semblait visiblement être la sienne, mais il ne s’en douta pas car il l’avait vue naguère enfermée dans la tour où personne autre que lui, lui semblait-il, ne pouvait entrer. La dame lui fit un bon accueil et le sermonnait beaucoup de boire et de manger. Quand le dîner fut terminé le seigneur s`en alla à la tour mais sa femme, partant par le trou de l`écurie y arriva avant lui. Elle changea très vite de vêtements et elle remit les robes qu’elle portait avant le dîner et se coucha dans son lit faisant semblant de dormir. Quand le seigneur vint, il dit à sa dame qu’il vit à l`hôtel du chevalier une dame qui, à merveille, lui ressemblait. La dame ne s’en étonna pas et lui dit que les femmes se ressemblent. Un autre jour, le chevalier vint chez le seigneur pour prendre congé en disant qu’il lui fallait revenir dans son pays pour aider ses amis qui étaient entrés en guerre, mais que, avant de partir il voudrait épouser son amie et il pria le seigneur d’y consentir et d’y assister. Le seigneur le lui octroya et lui offrit deux chevaux chargés d’or et d’argent. Le chevalier l’en remercia. Cette nuit-là il prépara son harnais et le fit mettre dans une nef amarrée dans un port au rivage qui coulait près du château. Le matin des épousailles, le seigneur se leva d’auprès sa femme, avec laquelle il ne coucherait plus jamais, et s’en alla à l’église après avoir bien fermé les portes de la tour. Aussitôt qu’il fût parti, la dame changea de vêtements, sortit par le trou et s`en alla à l’hôtel du chevalier son ami et ils allèrent ensemble à l’église où le seigneur les attendait déjà. Ils furent mariés et le seigneur lui-même, selon la coutume du pays, la lui donna avec deux chevaux de somme chargés de biens. Après les épousailles ils se mirent en mer : ils eurent du bon vent et ils cinglèrent tandis que le seigneur demeura sur la rive. Quand il s’en alla dans la tour, il n’y trouva pas sa femme: il avait donné lui-même sa main au chevalier : ce fut la raison qui la lui fit perdre. Le seigneur en eut un grand chagrin et non à tort. Et ainsi - dit Meros - il fut par sa femme déçu et avili, ce dont il ne dut pas être trop fier. Par ma foi – dit encore Meros, Sire empereur, sachez que demain votre fils parlera, et ainsi vous pourrez juger de sa raison et savoir qui dit la vérité. ». L`empereur en eut une grande joie et jura que celui qui était coupable serait puni et qu’il ferait la justice comme il lui appartenait. Le lendemain vinrent les gens de partout pour entendre parler l’enfant car la grande nouvelle qu’il parlerait s’était répandue. L’enfant vint à l’heure. Il était beau et de belle prestance et en présence de l`empereur, son père et en voyant tous ceux qui étaient là, il cria à haute voix : « Dieu, aidez-moi ! ». Alors les prêtres et les clercs coururent avec joie faire sonner les cloches car ils étaient heureux d’entendre parler le fils de l`empereur. L’enfant prit la voix de cette manière : « Que Dieu sauve et garde le seigneur mon père et tout son domaine ! Sire - dit-il à son père empereur - pour peu vous m’auriez fait mourir à tort et à déraison. Vous vouliez faire comme fit un homme qui jeta son fils dans la mer, parce qu’il lui avait dit, qu’un jour il serait un si grand seigneur que son père serait heureux, si son fils daignerait lui permettre de lui servir de l’eau pour laver les mains, et sa mère s’il accepterait qu’elle tînt la serviette pour les essuyer. ». L`empereur lui demanda comment c’était possible et l’enfant lui répondit de telle manière: VATICIDIUM Ce qui arriva à un pêcheur qui jeta son fils dans la mer. « Il fut jadis un pêcheur qui s’en alla pêcher en mer et prit avec lui son fils. Quand ils furent en haute mer, les oiseaux vinrent sur leur vaisseau et commencèrent à crier hideusement. Le pêcheur en eut une grande peur et demanda ce que cela pouvait être et son fils qui comprenait les cris et les chants des oiseaux, répondit à son père : « Vraiment - dit-il - ces oiseaux disent et crient que je monterai si haut en honneur et en seigneurie que si je permettrais que vous me portassiez de l’eau pour me laver les mains et que ma mère me passât la serviette pour les essuyer, vous en serez tous les deux bien heureux. ». Le pêcheur en fut si fâché et dégoûté qu’il prit son enfant et le jeta dans la mer en croyant le noyer et perdre, mais ainsi la fortune le mena qu’il eut de la chance et les vagues le portèrent jusqu’à un rocher. Il y passa trois jours sans boire ni manger. Les oiseaux vinrent près de lui et commencèrent à crier dans leur langage pour qu’il ne s`inquiétât de rien car dans peu de temps il serait sauvé. Des marchands passèrent dans une nef à côté, et quand ils aperçurent l’enfant, ils le prirent avec eux et l’amenèrent dans leur pays. Dans le pays où vint l’enfant il y avait un sénéchal de grande autorité qui gouvernait une grande terre. Il acheta l’enfant à grand prix et le trouva si beau et sage et gracieux qu’il le fit garde et gouverneur de son hôtel et de ses biens, et il le chérit et aima beaucoup. Dans ce pays il y avait un roi qui était un grand seigneur large, courtois et sage mais il souffrait d’une malchance que trois corbeaux le suivaient partout où il allait et venait. Ces corbeaux criaient sans cesse sur lui, fût-ce au moutier ou au dîner ou au souper ou au coucher ou au lever, généralement partout où il allait, ils ne cessaient de croasser sur lui hideusement et terriblement. Ce roi, tout effrayé et ébahi de cette chose, et ne sachant comment y pourvoir, fit annoncer dans son royaume que, s’il se trouvait quelqu’un qui lui dirait la vérité sur le cri des oiseaux et saurait les faire partir, il lui donnerait sa fille en mariage et le reconnaîtrait l`héritier et le successeur de son royaume. Et dans ce but, le jour précis, il fit rassembler tous les gens de sa terre, les clercs, les nobles et tous les autres, et leur exposa sa volonté, telle qui est dite. Entre eux se trouvait le sénéchal et l’enfant assis à ses pieds. Quand l’enfant vit que personne ne savait ce que chantaient les oiseaux, il dit à l`oreille du sénéchal son maître que, si le roi voulait lui tenir sa convenance, il lui dirait toute la vérité. Alors le sénéchal dit à l’enfant : « Par ma foi - dit –il - mon ami, tu ne seras cru rien de rien, mais te tiendra-t-on pour fou et présomptueux si tu entreprends de parler devant tant de sages clercs et tant de personnes nobles qui sont présents ici. ». « Par Dieu - dit l’enfant - il n’adviendra aucun mal au roi ni aux autres de ce que je dirai. ». Alors le sénéchal se leva de sa personne et dit au roi : « Sire, voici un enfant qui, si vous tenez votre convenance, vous parlera du désagrément des oiseaux et le fera tous partir pour qu’ils ne reviennent et ne vous crient jamais plus dessus, et même s’il ne dit pas une chose vraie, il n’y aura aucun danger à l’entendre ». Le roi le lui accorda bonnement, et alors l’enfant se leva et parla de cette manière : « Sire, véritablement, ces oiseaux que vous voyez sont une corbe et deux corbeaux. Voyez-vous du côté droit ce vieux corbeau ? Il a tenu la corbe à son côté et dans sa compagnie pendant trente ans dans un grand assujettissement et une grande iniquité. L’année dernière il y avait une grande cherté de vivres et c’est pourquoi ce vieux corbeau délaissa la corbe et la chassa loin de lui. La corbe s`en alla vers un jeune corbeau qui la recueillit, chérit et aima. Or, le temps de cherté passé, le vieux corbeau veut reprendre la corbe. Le jeune corbeau ne veut pas le souffrir, mais demande votre justice, sire roi, et votre conseil; et sachez que quand vous rendrez votre jugement les oiseaux s’en iront et ne reviendront plus jamais». Le roi assembla son conseil et la chose discutée, délibérée et conclue, il rendit son jugement : à savoir que le jeune corbeau aurait la corbe, car il la recueillit et nourrit le temps de la cherté. Quand les oiseaux entendirent le jugement, le vieux corbeau jeta un hideux cri comme un forcené, et s`envola tantôt et les autres après lui et ils ne revinrent plus jamais crier sur le roi. Le roi apprécia beaucoup la sagesse de l’enfant et lui donna sa fille en mariage avec de grandes possessions et aussi le fit-il gouverneur de son royaume. Quand ce jeune homme fut en si grands honneurs et richesses il se souvint de son père qui était pauvre et avait bien besoin d`aide. La maison du père n’était pas loin. Le jeune homme appela un des serviteurs en qui il se fiait le plus et lui demanda d’aller chercher un bonhomme pêcheur et de lui dire que le jeune roi viendrait dîner avec lui. Il demanda aussi de lui dire de ne rien préparer sinon une banquette, car le jeune roi ferait apporter tout dont on aurait besoin. Le serviteur accomplit son message. Le paysan en était tout étonné, il arrangea son logement plusieurs fois et prépara une banquette. Quand le jeune roi descendit dans l’hôtel de son père, le bonhomme était si heureux de sa venue qu’il voulut prendre le bassin et de l’eau pour laver les mains du roi et la bonne femme prit la serviette pour les essuyer. Chacun d’eux se peinait fort pour le servir et pour lui plaire mais le jeune roi leur fils ne voulut pas accepter leur service, mais se fit servir par ses propres gens. Quand ils eurent dîné et fait bonne chère, le jeune roi dit au bonhomme son père : « Prud’homme - dit-il - vous ne savez pas qui je suis. Certainement, je suis votre fils, celui que vous avez jeté hors du bateau dans la mer pour me noyer, pour cela seulement que j’avais dit que je serais un homme si puissant que si je daignais vous permettre de vous laisser me servir de l’eau pour laver les mains et de laisser ma mère tenir la serviette pour les essuyer, vous en serez tous les deux joyeux et heureux. Vous m’avez cru noyé, bon père, mais tout vous est pardonné. ». Le jeune roi donna à ses parents une cité en héritage et de hauts honneurs. » Et par cet exemple le fils de l`empereur dit à son père de cette manière : « Pensez-vous, Sire empereur, que si j’étais puissant et honoré, j’aurais honte de vous ? Non, Sire empereur, par ma foi, car le fils n’aurait jamais de l’honneur là où son père aurait du déshonneur. Si le fils est riche et puissant et le père est mendiant, les gens du pays disent. « Voilà le fils d’un pauvre, maudit soit-il, lui et son bien! ». Comment la vérité se fit connaître et comment la mauvaise impératrice fut punie «Il est vrai, Sire empereur - dit l’enfant - que quand vous avez demandé à moi et à mes maîtres de venir à Rome devant vous, nous avons regardé la lune et les étoiles et nous avons aperçu que, si, quand je vous aurais vu, je parlais, ou je répondais à un homme ou à une femme ou j’embrassais ou je baisais quelqu’un, nous mourions tous, moi et mes maîtres. Il est vrai que ma dame entreprit de me faire parler et m`a dit qu’elle vous empoisonnerait et me prendrait pour mari, ce que je lui ai nié sans un mot. Quand elle s’est aperçue qu’elle était éconduite, elle a déchiré son visage de ses deux mains et m’accusa de ce mauvais fait. » L`empereur demanda à la dame s’il en était ainsi, alors elle confessa qu’elle l’avait fait, mais, dit-elle, c’était sans une mauvaise intention et seulement pour faire parler l’enfant. Elle ajouta que, si l’enfant disait et soutenait qu’il en eut été autrement, ce serait le combat qui en déciderait : elle offrit un gage de bataille contre lui et l’enfant fut obligé d’offrir le sien contre elle. L’empereur accepta et reçut les deux gages et jura que la vérité serait connue par la bataille. Il assembla ses barons qui jurèrent que loyalement, sans préjugé ou faveur, ils aideraient à connaître la vérité de la chose. Et cent nobles et vaillants hommes furent élus pour garder le champ de bataille. Le jour prévu pour le combat, l’enfant fut adoubé, équipé du cheval et des armes très honorablement et suffisamment, selon son rang. L’on l`amena au champ, et ses maîtres l`encouragèrent de bien faire sa besogne. Tous ceux qui étaient là prièrent que Dieu le garde de la vilenie et du déshonneur. De l`autre côté du champ était l`impératrice qui choisit pour son chevalier, qui devait défendre sa cause contre l’enfant, son neveu nommé Frohart. qui avança sur son destrier, armé et habillé noblement et richement. Mais auparavant ce Frohart avait oeuvré et décidé avec son parent qui s`appelait Conras que cent hommes d’armes à cheval sous sa commande, seraient mis en embuscade dans un val, près du lieu de la bataille, pour ledit Frohart aider et secourir s’il en avait besoin. Et pour savoir et connaître ce besoin, ils envoyèrent un de leurs gens sur le lieu de la bataille, et lui donnèrent un cor pour sonner en cas de nécessité. Frohart, qui était grand et fort et d`un demi pied plus haut que le fils du roi, s`approcha lourdement contre l’enfant et l’enfant contre lui vaillamment, et ils se heurtèrent durement, à cheval. Ils s’écroulèrent tous les deux à terre et ils se battirent à pied avec vaillance et prouesse merveilleuses, mais finalement Frohart fut jeté à terre par son ennemi. Quand l’enfant voulut lui couper la tête, le traître nommé Asse, qui faisait partie de l’embuscade, sonna du cor et aussitôt saillirent Conras et Fromont de Plantace et tous les autres des cent de l’embuscade. Ils vinrent au grand galop aider Frohart donc, quand l’enfant les vit, il laissa son ennemi, retrouva son cheval et le monta. Il se mit à se défendre et les gardes du champ en firent autant. Pendant cette bataille, les maîtres de l’enfant, qui l’avaient observé, partirent hâtivement à l’église Sainte Sophie où priait l`empereur. Il ne voulut pas assister au duel où se décidait le sort de sa femme qu’il aima tant et de son enfant. Les sages lui dirent comment son enfant avait vaincu son adversaire et comment les traîtres sortirent de leur embuscade et entrèrent dans le champ pour combattre l’enfant et les gardes du champ. L`empereur s’en émut, se fit aussitôt armer, monta à cheval et s`en alla vers le champ où il y avait la bataille. Il s’y jeta vaillamment et de bon courage et le premier qu’il rencontra était celui qui avait sonné du cor : il lui donna un tel coup de lance qu’il le mit à mort, ensuite il fit trébucher si fort Conras qu` il se brisa le cou en tombant de son cheval; puis Froymont et ses gens l’assaillirent et il fut en grand danger. Alors le garçon survint et secourut son père l`empereur : du premier coup il fendit la tête de Fromont jusqu’aux dents. L`empereur en fut tant joyeux et heureux qu’il vint à son fils, l’accola et l’embrassa et lui montra sa grande joie en disant : « Beau fils, je me suis beaucoup mépris envers vous, mais, sans faute, tout vous sera rendu pour le mieux.». Ils retournèrent dans la mêlée et ils montrèrent tant de vaillance que les traîtres fussent déconfits et furent tous morts ou pris. Parmi ceux qui étaient pris était Frohart qui, monté sur un cheval de valeur, avait quitté le champ et s`en allait fuyant. Quand Frohart fut pris et saisi, il fut attaché à la queue d`un destrier et traîné jusqu’au gibet où il fut pendu et étranglé. En même temps, fut fait et préparé un grand feu pour brûler la dame qui était fausse et traîtresse. Et la dame fut amenée toute nue, en chemise, et elle était la plus belle dame qui pût être au monde, je crois que jamais la nature n’avait formé une si belle créature. Etant devant le feu, elle dit à l`empereur de cette manière : « Sire empereur - dit-elle – j’ai vous ai dans le passé beaucoup honoré, aimé et servi et vous m’en donnez un mauvais cadeau, mais puisqu’il vous plaît qu’il en soit ainsi je vous requiers un don. » L`empereur bonnement le lui accorda. Alors elle lui demanda la toise la plus chère de la terre qu’il possédât pour être brûlée avec elle. L`empereur qui ne soupçonnait rien, la lui octroya. Alors, la dame courut l’embrasser en disant que c’était lui la toise la plus chère de sa terre et, que, désormais, elle ne serait pas brûlée sans lui. Quand l`empereur l`entendit, il était si fâché qu’il ne savait plus quoi faire ni dire car pour rien au monde il ne voulut se dédire de la chose qu’il eut accordée. L’enfant, qui était plein de bon sens, se présenta et dit devant tous: « Seigneurs - dit-il - voici un vrai diable que cette femme, pour Dieu, supprimez-là, car je dis et je peux le prouver par la raison que mon père l`empereur est d`âme, d`os et de chair et non point de terre : l’on peut le voir et juger à l’œil ; mais, quand son corps sera trépassé, mis en terre et tourné en corruption et en pourriture, alors il deviendra terre, excepté les os qui, même in extremis, ne changeront pas. ». Les barons et tous ceux qui étaient là se mirent d’accord avec le dit et l’opinion de l’enfant parce qu’il leur sembla qu’il disait vrai et avait raison. Alors, la dame fut saisie et jetée dans le feu, embrasée et brûlée sans merci ni regret. Quand tout fut fait et accompli, l`empereur aima et chérit son fils et ses maîtres durant toute sa vie, et donna à chacun des maîtres un grand trésor et une grande richesse et ils rentrèrent chacun dans son pays et dans son lieu. EXPLICIT DES SEPT SAGES DE ROME