[10,0] SERMON X. [10,1] Tous ceux qui sont stimulés par les difficultés d’une entreprise et que les angoisses soulagent peuvent témoigner qu’en consolation de notre labeur, nous est naturellement donnée une chanson. Ces gens-là franchissent les détroits au son du chant du matelot. Ils transportent des fardeaux gigantesques avec l’allègement des cantiques, la voix sonore fait gravir aux voyageurs des montagnes abruptes, le chant qui précède les guerriers les stimule à supporter l’amertume des combats. Et pour ne pas être prolixe, la douceur de la sérénade vient à bout de tout travail difficile et en triomphe. Qu’il en soit ainsi pour nous, mes frères. Joignons au jeûne de quarante jours des cantiques divins, pour qu’une musique céleste allège le poids de l’abstinence, et qu’une symphonie nous provoque à élever nos esprits. Le bienheureux David qui, au moyen d’une flûte de Pan, adoucissait les bêtes rétives et les récréait dans les pâturages, a appris à supporter par le chant les atrocités de la guerre. C’est par le chant qu’il a pu appeler les Gentils, ramener les Juifs, mettre le démon en fuite, inviter les fils de Dieu à porter du respect au Père céleste , le son de sa mélodie étant une magnifique invitation. Apportez au Seigneur, fils de Dieu, est-il dit (Ps. XXVIII,1) . Penses-tu qu’Il appelle d’un autre nom les anges ? Ou qu’Il rend les hommes capables d’être des fils de Dieu ? Et qu’Il élève la chair terrestre à la nature céleste ? Apportez au Seigneur, fils de Dieu. Le prophète parle ici des hommes, qu’il ne cesse d’appeler ailleurs fils de Dieu. J’ai dit : vous êtes des dieux, et tous des fils du Très-Haut (Psal. LXXXI, 6). Nous avons entendu, frères, jusqu’où la condescendance divine nous a élevés, jusqu’où nous a fait monter la paternité céleste. Croyons que nous sommes des fils de Dieu ! Montrons-nous dignes de notre origine ! Vivons le regard tourné vers le ciel ! Référons-nous à Lui en L’imitant, pour que les vices ne nous fassent pas perdre ce que la grâce nous a obtenu. Apportez au Seigneur, fils de dieu. Vous voyez que le Père reconnaît l’amour dans les dons, l’affection dans les présents, il voit la sincérité de la charité dans les devoirs qu’on Lui rend. Il vieillit prématurément, il manque de cœur, il renie la nature , il est ingrat envers son père celui qui ne cherche pas à plaire à l’Auteur de ses jours en l’adorant, qui ne se sent pas lié par l’obligation de lui rendre un culte, ne l’honore pas dans ses actions. . Apportez au Seigneur, fils de Dieu. Voyons en quoi consiste cette chose que le prophète ici nous invite et nous exhorte à apporter à un tel Père. Apportez au Seigneur, fils de Dieu, apportez tout ce qui a trait aux béliers. C’est-a-dire tout ce dont a besoin et ce que requiert le fœtus des brebis, le vil germe de l’animal terrestre, une couche pour les enfantements en cours de route, les semences éparpillées dans les champs, il invite la race divine à les offrir au divin Père. Est-ce que le Créateur de toutes choses requiert maintenant de nous les victimes judaïques, les sacrifices sanglants, des hosties de brebis égorgées au couteau ? Et où a-t-Il donc dit : Je n’accepterai pas les veaux de ta maison ni les boucs de tes champs, parce que toutes les bêtes sauvages m’appartiennent. ... Et s’Il rejette ceux-ci, pourquoi demande-t-Il à ses fils de Lui apporter des fils de béliers ? Il a dit à Abraham : Prends ton fils bien-aimé et offre-le-Moi en holocauste (Gen. XXII). Le bélier Abraham, d’une innocence parvenue à maturité, vieilli dans la foi, l’hostie parfaite, prêt pour l’holocauste, apportait son fils, le fils du bélier. Bien plus, il s’immolait lui-même dans le fils, il sanctifiait son esprit, il réjouissait sa foi, pour qu’il soit en même temps victime et pontife, le sacerdoce et le sacrifice. La passion du père était ici toute entière là où le fils était immolé. Le fils était là debout, ignorant de tout; il était ligoté sans comprendre, pour qu’il enlève le martyr de la passion, récompense de la peine du père, pour qu’il dérobe la couronne à la torture du père. Ensuite, la main droite du père est arrêtée, le glaive du père est enlevé, parce que ce n’était pas la mort du fils qui était recherchée, mais la charité du père était mise à l’épreuve. Ce n’est pas non plus le sang du fils qu’on attendait, là où la victime consistait totalement dans l’amour du père, comme le dit l’Ecriture : Maintenant, je sais que tu aimes Dieu parce que, à cause de moi, tu n’as pas épargné ton fils unique (Gen. XXII, 12). Nous avons donné le nom de bélier à Abraham, comme nous prouverons que Isaac est fils de bélier, comme s’il s’avérait que le prophète veut que nous offrions au Seigneur des fils de béliers. Apportez au Seigneur des fils de béliers. Le chrétien est averti d’offrir à Dieu les fils des pères, des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs, des confesseurs. Le troupeau du Seigneur est lâché dans les pâturages de la foi, quand le pasteur céleste veut que les agneaux soient amenés dans le bercail du Seigneur, de peur que, dispersés dans les lieux incultes des Gentils, ils soient dévorés par les meutes de loups. Mais ce dont nous avertit la voix divine, nous le dirons bientôt. Apportez au Seigneur les fils des béliers. Apportez au Seigneur ceux qui ont à recevoir le baptême, ceux que la foi a conçus, apportez ceux que la grâce de Dieu régénère, non la nature mondaine. Apportez ceux que l’innocence met au rang des agneaux, elle qui n’a rien à voir avec l’hébétude des bêtes. Recevez ceux que l’âge empêche de venir spontanément ou que la nécessité paralyse, ou que retarde l’ignorance, ou que tiennent captifs les vices, ou que retardent les fautes, ou que l’attente a déçus, ou que la pauvreté induit dans la confusion de l’erreur. Amenez ceux qui le veulent, attirez ceux qui ne veulent pas, faites de nécessité vertu. Si le maître a un esclave catéchumène, qu’il le fasse venir, pour avoir un esclave fidèle. Que le père offre son fils sans tarder, pour qu’à celui qu’il a accordé la vie présente, il fasse don de la future. Que le mari amène son épouse à la foi, pour que ce qui est une seule et même chose dans la chair ne soit pas divisé dans l’esprit. Que l’ami attire au salut son ami, pour qu’il sanctionne la charité humaine par la grâce divine. Que le citoyen amène le voyageur à la table de Dieu, l’hôte son commensal, pour qu’il soit propriétaire des richesses abondantes de Dieu sans avoir rien dépensé. Attirez ceux qui ne veulent pas. Que personne ne dise : il ne veut pas, car même Abraham a ligoté son fils sans lui demander son autorisation (Gen. XXII, 9). Et les anges, pour arracher Loth aux flammes, l’ont saisi par le bras pour le faire sortir (Gen. XIX, 16) . Pour envoyer Pierre au martyre qu’il ne voulait pas, le Seigneur l’a ceint de la force de son secours, en lui disant : Un autre te ceindra et t’amènera où tu ne voudras pas (Jean. XXI, 18) . Et le Père du ciel ne reçoit pas seulement ceux qui veulent, mais Il attire même ceux qui ne veulent pas, au témoignage du Fils : Personne ne peut venir à moi si mon Père qui m’a envoyé ne l’attire (Jean. VI, 44) . Comment quelqu’un peut-il se croire chrétien s’il n’amène pas au Père les récoltes de l’année et celles des autres années ? Ou comment considère-t-il sa maison comme un bercail de Dieu s’il ne donne pas le germe pascal divin au bêlement du troupeau ? Je vous prie et je vous conjure, mes frères, par notre Seigneur, de veiller attentivement à cela : que personne ne soit banni de la grâce divine, que personne ne soit exclu de la régénération, pour que ce que Dieu, par sa grâce, déposera dans l’âme d’autrui fasse croître votre charité et déborde en joie. Nous sommes des hommes vivant dans l’incertitude et nous ne savons pas ce que nous prépare demain (Prov. XXVII). Agissons, donc, mes bien-aimés, de façon à ce que les esclaves, les fils, les époux, les parents, prévenus de la mort, ne soient pas privés de la vie présente, et parviennent à la vie éternelle.