[4,0] LIVRE QUATRIÈME PROLOGUE. LE POÈTE A PARTICULON. J'avais résolu de limiter là mon ouvrage, dans l'intention de laisser à d'autres une matière encore suffisante; mais ce dessein, je l'ai en moi-même tout bas condamné. Car si quelqu'un ambitionne aussi cette gloire, comment devinera-t-il les sujets que j'aurai laissés de côté, ou comment voudra-t-il choisir justement ceux-là pour les transmettre à la postérité, alors que chacun a sa manière de penser et sa nuance d'esprit particulière? Ce n'est donc pas un caprice, c'est une volonté réfléchie qui m'a déterminé à écrire de nouveau. Aussi, Particulon, puisque tu goûtes ces fables, qui appartiennent, dirai-je, au genre ésopique, mais non à Ésope, -- car, s'il en a donné quelques exemples, moi j'en produis un plus grand nombre en empruntant une forme ancienne pour des sujets nouveaux, -- voici donc un quatrième livre que, dans tes moments de loisir, tu pourras lire en entier. Si les malveillants veulent le critiquer, pourvu qu'ils ne puissent pas l'imiter, libre à eux de le critiquer. La gloire m'est assurée, puisque, toi et ceux qui te ressemblent, vous transcrivez mes paroles sur vos papyrus et me jugez digne de vivre dans la mémoire du lointain avenir. Quant aux applaudissements des ignorants, je m'en passe. [4,1] L'ÂNE ET LES PRÊTRES DE CYBÈLE Celui qui est né pour l'infortune non seulement passe une vie malheureuse, mais même après sa mort est poursuivi par les maux cruels auxquels l'a condamné le destin. Des Galles, prêtres de Cybèle, avaient coutume d'aller de côté et d'autre recueillir des aumônes en emmenant avec eux un âne chargé de leurs bagages. L'animal épuisé de fatigue et de coups mourut. Ils le dépouillèrent de sa peau et s'en firent des tambours. Bientôt, comme quelqu'un leur demandait ce qu'ils avaient fait de cet amour de bête, ils répondirent en ces termes : « Il croyait qu'après sa mort il n'aurait plus rien à craindre. Mais voici que d'autres coups pleuvent sur la peau du mort. » [4,2] LA BELETTE ET LA VIEILLE SOURIS Cette fable ne te paraît qu'un badinage; et sans doute les sujets légers, quand je n'en ai pas de plus grands, sont des thèmes sur lesquels mon chalumeau aime à s'exercer. Mais prête attention à ces chansons : sous ce qui en est le prétexte affiché que d'idées utiles tu trouveras ! Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles paraissent. Leur premier aspect trompe beaucoup de gens. Rare est l'esprit capable de comprendre la pensée que je me suis appliqué à cacher dans tel coin de mon oeuvre. Mais, pour que cette affirmation ne passe pas pour n'être appuyée sur rien, je vais à mes fables en ajouter une sur la belette et les souris. Une belette âgée et rendue par la vieillesse impotente n'était plus capable d'attraper les souris rapides. Elle se roula dans la farine et en un endroit obscur elle se laissa tomber négligemment. Une souris la prenant pour une pâture, lui sauta dessus, fut saisie et mise à mort. Une seconde périt pareillement, puis encore une troisième. Après quelques autres, il en vint une vieille de plusieurs âges de souris, toute desséchée et qui souvent avait échappé aux lacets et aux souricières. Sans s'approcher elle reconnut le piège de l'ennemi rusé : « Porte-toi bien, lui dit-elle, aussi bien que tu es farine, toi qui fais le mort. [4,3] LE RENARD ET LES RAISINS Poussé par la faim, un renard, qui sur les branches les plus hautes d'une vigne avait vu des raisins, cherchait à les prendre en sautant de toutes ses forces. N'ayant pu les atteindre, il dit en se retirant : « Ils ne sont pas encore mûrs; je ne veux pas les cueillir verts. » Ceux qui rabaissent dans leurs discours ce qu'ils sont incapables de faire doivent s'appliquer cette fable. [4,4] LE CHEVAL VENGÉ DU SANGLIER Un cheval avait coutume de se désaltérer dans une eau peu profonde; mais un sanglier, en s'y vautrant, la rendit trouble : de là une querelle. La bête au sabot sonore, irritée contre l'animal sauvage, demanda le secours de l'homme et, le recevant sur son dos, elle revint à la rencontre de son ennemi. Le cavalier lança ses traits sur le sanglier et le tua; puis il parla, dit-on, ainsi au cheval : « Je suis heureux de t'avoir porté secours comme tu m'en as prié, car j'ai fait une prise et j'ai appris à connaître ton utilité. » Cela dit, il força le cheval, malgré sa résistance, à subir le frein. Alors le cheval tout triste : « Pour une légère offense, j'ai cherché la vengeance comme un insensé; c'est la servitude que j'ai trouvée. » Les gens irascibles apprendront par cette fable qu'il vaut mieux laisser une injure impunie que de se livrer à la merci d'autrui. [4,5] TESTAMENT EXPLIQUÉ PAR ÉSOPE Souvent un seul homme a plus de sens qu'une multitude de gens; par un court récit j'enseignerai cette vérité à la postérité. Un homme, en mourant, laissa trois filles : l'une, belle et habile à captiver par ses regards le coeur des hommes; la seconde, toute différente, paysanne aimant à filer la laine et de goûts simples; la troisième adonnée au vin et d'une tenue repoussante. Or leur mère fut instituée héritière par le vieillard sous réserve de partager toute sa fortune également entre ses trois filles, mais de manière « que de la part qui leur sera attribuée elles n'aient ni la possession ni la jouissance; » et que, ensuite, « dès qu'elles n'auront plus ce qu'elles auront hérité, elles versent à leur mère chacune cent mille sesterces. » Dans Athènes il n'est bruit que de ce testament. La mère a soin de consulter les juristes. Personne n'explique comment les filles pourront n'avoir ni la possession ni la jouissance de ce qu'on leur aura donné, ni ensuite comment, n'ayant rien retiré de l'héritage, elles pourront verser une somme d'argent. Lorsqu'on eut perdu beaucoup de temps en lenteurs, sans pouvoir dégager le vrai sens du testament, la mère ne prit plus conseil que de sa conscience en renonçant à toute interprétation du droit. A la coquette elle donne pour sa part les étoffes, les parures féminines, les appareils d'argent de la salle de bains, les eunuques, les esclaves épilés; à la fileuse, les terres, le bétail, la ferme, les travailleurs, les boeufs, les bêtes de somme et le matériel agricole; à celle qui aimait à boire, le cellier plein de jarres de vins vieux, la maison ornée avec élégance et les jardins d'agrément. Ayant ainsi fait les parts, elle s'apprêtait à donner à chacune la sienne, approuvée par le public qui connaissait bien les filles, lorsque Èsope tout à coup au milieu de la foule s'éleva contre ce partage : « Ah ! dit-il, si le père dans son tombeau avait encore quelque sentiment, quelle peine ce serait pour lui de voir que sa volonté n'a pas pu être interprétée par les Athéniens. » Puis, comme on l'en priait, il mit fin à l'indécision de tout le monde : « La maison, le mobilier, les jardins élégants et les vins vieux, donnez-les à la paysanne qui file la laine; les étoffes, les perles, les valets de pied et tout le reste, faites-en le lot de celle qui mène une vie de débauche; les terres, l'étable à boeufs, le bétail et les bergers, faites-en don à la coquette. Aucune ne pourra supporter longtemps de garder des biens si peu appropriés à sa nature : la fille sans tenue vendra les objets de luxe pour acheter des vins; la coquette se débarrassera des terres pour se jeter sur des parures; quant à celle qui aime le bétail et a du goût pour le travail de la laine, à n'importe quel prix elle cédera la maison somptueusement montée. De cette manière aucune ne possédera ce qui lui aura été donné et elles verseront à leur mère la somme fixée sur le prix des biens que chacune aura vendus. » Ainsi ce qui avait échappé à la légèreté de la foule, un seul homme le découvrit par sa sagacité. [4,6] LE COMBAT DES SOURIS ET DES BELETTES Après leur défaite par l'armée des belettes, comme l'histoire en est représentée sur les murs des cabarets, les souris fuyaient et se pressaient toutes tremblantes à l'entrée étroite de leurs trous. Malgré les difficultés de la retraite, elles échappèrent pourtant à la mort. Mais leurs chefs qui avaient sur leur tête attaché des panaches pour avoir un signe bien visible dans la bataille et que pussent suivre leurs soldats, restèrent arrêtés aux portes et furent pris par l'ennemi. Le vainqueur les immola et, les dévorant de ses dents avides, les engloutit dans le gouffre infernal de son ample estomac. Quand un pays est accablé par un événement désastreux, ceux-là sont en péril qui sont de haut rang; mais le menu peuple trouve aisément le moyen de se mettre à l'abri. [4,7] CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE Toi, critique moqueur, qui malmènes mes écrits et dédaignes de lire ce genre de badinages, supporte avec un peu de patience ce petit livre pendant que sur ton front sévère je tâche de ramener la sérénité. Voici que, chaussé du cothurne, Ésope s'avance sur la scène dans un rôle tout nouveau pour lui. « Plût aux dieux que jamais dans la forêt de la chaine du Pélion le pin ne fût tombé sous la hache thessalienne et que, pour courir audacieusement à une mort acceptée d'avance, Argus n'eût pas construit, avec l'aide de Pallas, le vaisseau qui, le premier, découvrit la route des parages inhospitaliers du Pont-Euxin pour la perte des Grecs et des Barbares. Voilà en effet plongée dans le deuil la famille de l'orgueilleux Eétès et la royauté de Pélias abattue par le crime de Médée, qui, dissimulant sa nature cruelle de différentes manières, là-bas assura sa fuite en semant les membres de son frère, et ici, du sang de leur père, souilla les mains des filles de Pélias. » « Que penses-tu de cela? » « Ce morceau aussi, dit-il, est d'un goût insipide et contient des erreurs. Car bien avant ce temps-là Minos soumit par sa flotte la mer Egée et par de justes châtiments sévit contre les méchants ». -- Que puis-je donc faire pour te plaire, lecteur aussi sévère que Caton, si tu n'aimes ni les fables ni les tragédies? Ne sois pas déplaisant en général pour le monde des lettres, de peur qu'il ne te cause lui-même de pires déplaisirs. Ceci s'adresse à certaines gens qui par sottise font les dégoûtés et, afin de passer pour entendus, critiquent les dieux eux-mêmes. [4,8] LE SERPENT ET LA LIME Que celui qui d'une dent méchante cherche à mordre qui a la dent plus dure que lui reconnaisse ses traits dans cette fable. Dans l'atelier d'un ouvrier entra une vipère. Comme elle voulait voir s'il y avait quelque chose à manger, elle mordit une lime. Mais celle-ci, sans se laisser entamer, lui dit : Pourquoi, insensée, cherches-tu à me blesser d'un coup de dents, moi qui ai l'habitude de ronger tout objet de fer? » [4,9] 9. LE RENARD ET LE BOUC Dès qu'un homme rusé est tombé dans un danger, il pense à se tirer d'affaire aux dépens d'autrui. Un renard était tombé dans un puits par mégarde et la margelle trop haute l'empêchait d'en sortir. Un bouc ayant soif vint au même endroit. Il demanda aussitôt si l'eau était agréable et abondante. Le renard, machinant une fourberie : « Descends, mon ami, lui dit-il : l'eau est si bonne et le plaisir d'en boire est pour moi si vif que je ne peux m'en rassasier. » D'un saut l'animal barbu fut dans le puits. Alors le rusé renard s'en échappa en s'appuyant sur les cornes élevées du bouc et laissa celui-ci enfermé et embourbé dans le fond. [4,10] 10. LA BESACE Jupiter nous a fait porter deux besaces : celle qui est remplie de nos propres défauts, il nous l'a mise sur le dos; celle qui est chargée des défauts d'autrui, il nous l'a suspendue sur la poitrine. C'est pour cela que nous ne pouvons pas voir nos défauts; mais dès que les autres commettent une faute, nous nous faisons leurs censeurs. [4,11] 11. LE VOLEUR SACRILÈGE Un voleur alluma sa lampe à l'autel de Jupiter et dépouilla le dieu à la faveur de sa propre lumière. Chargé du produit de son sacrilège, il se retirait quand soudain se fit entendre la voix de la Religion inviolable : « Ces objets que tu emportes sont des présents offerts par des méchants et ils me sont odieux, au point que je suis indifférent à ton vol. Pourtant, scélérat, tu payeras ta faute de ta vie, quand viendra le jour marqué pour le châtiment. Mais pour que le crime n'éclaire plus ses pas au moyen du feu qui brûle sur mon autel et par lequel les hommes pieux honorent les dieux vénérables, je défends que sa lumière donne lieu à de tels échanges. C'est pourquoi aujourd'hui il n'est pas permis d'allumer une lampe au foyer des dieux ni de prendre à une lampe le feu pour un sacrifice. Tout ce que cette fable contient d'enseignements utiles ne saurait être expliqué que par celui qui l'a imaginée. Elle fait voir d'abord que souvent ceux que vous avez nourris vous-mêmes se révèlent vos pires ennemis; en second lieu, elle montre que les crimes ne sont pas punis par les dieux dans l'instant de la colère, mais par les destins et au moment qu'ils ont fixé; enfin elle défend à l'homme de bien d'admettre le méchant à partager avec lui l'usage de quoi que ce soit. [4,12] 12. HERCULE ET PLUTUS La richesse est avec raison odieuse à l'homme de coeur, parce qu'un coffre-fort bien garni est un obstacle au vrai mérite. Admis dans le ciel en récompense de son énergie, Hercule avait reçu les compliments des dieux en les saluant tous jusqu'au dernier. Mais en voyant venir Plutus qui est fils du Hasard, il détourna ses regards. Son père lui en demanda la raison : « Je le hais, dit-il, parce qu'il est l'ami des méchants et qu'en outre il se sert de l'appât du gain pour tout corrompre. [4,13] 13. DEUX VOYAGEURS CHEZ LE ROI DES SINGES Rien n'est plus utile à l'homme que de dire la vérité. Tout le monde doit sans doute applaudir à cette maxime. Mais c'est d'ordinaire à sa perte que court la sincérité - - -. [4,14] 14. LE LION ROI ET LE SINGE Après que sur les hèles sauvages il se fut établi roi, le lion, voulant se donner une réputation d'équité, renonça à ses anciennes habitudes et, vivant au milieu de ses sujets, se contentant d'une nourriture frugale, il rendait à tous une exacte justice avec une conscience intègre. Mais il commença à être moins ferme dans le repentir - - - . [4,15] 15. LES DEUX SOLDATS ET LE BRIGAND OU LE FANFARON Deux soldats ayant rencontré un brigand, l'un d'eux prit la fuite, l'autre au contraire tint bon et se défendit avec courage. Le brigand une fois tué, son peureux compagnon accourt, tire son épée, puis, ôtant son manteau : "Livre-moi cet homme, dit-il; à l'instant je vais lui faire voir à qui il s'est attaqué. » Alors celui qui avait soutenu le combat jusqu'au bout : » J'aurais voulu qu'au moins par tes paroles tu m'eusses aidé tantôt; j'aurais été plus ferme, en te croyant sincère. Mais maintenant rentre ton épée et ta langue qui ne vaut pas mieux qu'elle. Que tu puisses en imposer à d'autres qui ne te connaissent pas, soit; mais à moi qui connais par expérience la force de tes jambes pour fuir, je sais combien peu il faut avoir foi à ton courage. » Ce récit doit s'appliquer à celui qui après un heureux succès est brave et devant le risque ne songe qu'à fuir. [4,16] 16. LE CHAUVE ET LA MOUCHE Un chauve fut piqué par une mouche sur sa tête dénudée. En cherchant à l'écraser, il se donna un violent soufflet. Alors la mouche en se moquant de lui : "Pour une piqûre d'un petit être ailé, tu as voulu te venger en lui donnant la mort; que te feras-tu donc à toi-même, toi qui au mal que tu t'es fait as ajouté un affront? » — « Avec moi-même, répondit le chauve, il m'est facile de me réconcilier, parce que je n'avais pas, je le sais bien, l'intention de m'offenser. Mais toi, être d'une espèce méprisable, méchant animal, qui te plais à sucer le sang humain, je souhaiterais de pouvoir te tuer, même au prix d'un plus grand dommage. » D'après cette fable il ne convient de pardonner qu'a celui dont la faute est involontaire; bien plus, celui qui nuit à dessein me paraît mériter sans réserve d'être puni. [4,17] L'ORGE DE LA VICTIME Un homme avait immolé au divin Hercule un porc que, pour sa guérison, il avait fait voeu de lui offrir. Il fit donner à son âne le reste de l'orge de la victime. Mais l'âne refusa d'y toucher et lui dit : « Avec grand plaisir je prendrais cette nourriture que tu m'offres, si celui qui s'en est nourri n'avait pas été égorgé. » Les réflexions que suggère cette fable m'ont détourné du profit et j'ai toujours évité la fortune et ses dangers. « Mais, dira-t-on, ceux qui ont volé des richesses les possèdent tout de même. » Eh bien, comptons ceux qui ont été pris en faute et qui y ont laissé la vie. La majorité est faite, tu le reconnaîtras, de ceux qui ont été punis. Il en est peu à qui la témérité profite, beaucoup au contraire dont elle cause la perte. [4,18] LE BOUFFON ET LE PAYSAN C'est ordinairement un parti pris de bienveillance aveugle qui fait tomber les hommes dans l'erreur et, pendant qu'ils soutiennent leur opinion erronée, ils sont amenés à s'en repentir par l'évidence des faits. Ayant à donner une fête, un homme riche et de grande naissance fit appel à tous en offrant une récompense à quiconque pourrait présenter un jeu nouveau. Des artistes vinrent participer à ce concours ouvert aux talents. Parmi eux un bouffon connu pour ses farces plaisantes dit qu'il avait à offrir un genre de spectacle qui jamais n'avait été produit sur un théâtre. Le bruit s'en répand partout et met la ville en mouvement. Alors que naguère des places restaient vides, maintenant il en manque pour la foule. Mais lorsque notre homme parut sur la scène seul, sans aucun appareil, sans personne pour l'aider, le silence se fit par l'effet même de la curiosité. Tout à coup il baissa la tête dans le pli de son manteau et imita si bien le cri du porcelet qu'on soutenait qu'il en avait réellement un sous son manteau et qu'on lui demandait de secouer son vêtement. Il le fait et, comme l'on ne trouve rien, on le couvre d'éloges et on le salue des plus vifs applaudissements. Mais cette scène avait eu pour témoin un paysan. « Par Hercule, dit celui-ci, il ne me surpassera pas. » Et aussitôt il promit de faire la même chose et mieux le lendemain. La foule fut encore plus nombreuse. L'engouement pour le premier remplit tous les esprits et c'est pour se moquer du second, non pour voir, que l'on accourt au spectacle. L'un et l'autre entrent en scène. Le bouffon grogne le premier, soulève les applaudissements et provoque les acclamations. Alors le paysan fait le geste de cacher sous son vêtement un porcelet (il le faisait effectivement, mais, comme sur le bouffon l'on n'avait rien découvert, il le faisait sans éveiller aucun soupçon), puis il tire très fort l'oreille à l'animal qu'il avait dissimulé et lui fait pousser le cri naturel qui accompagne la douleur. Le public proclame que le bouffon a imité la nature avec bien plus de vérité et fait jeter le paysan à la porte. Mais celui-ci tire de son manteau le porcelet en chair et en os et par cette preuve manifeste démontre à la foule sa honteuse erreur : « Voilà, dit-il, qui fait voir clairement quels juges vous êtes !" [4,19] ÉPILOGUE. LE POÈTE A PARTICULON Il reste encore bien des choses que je pourrais dire et j'ai dans l'esprit une abondante réserve de sujets variés; mais c'est à condition de n'en pas abuser que les badinages sont agréables; quand on dépasse la mesure, ils déplaisent. Aussi, très honorable Particulon, dont le nom, grâce à mes écrits, doit vivre tant que l'on atta- chera du prix aux oeuvres latines, loue dans celle-ci, sinon mon talent, du moins ma brièveté : elle a d'autant plus le droit de passer pour un mérite que les poètes d'ordinaire sont plus obstinément importuns.