[0] PHOTIUS - JAMBLIQUE, LES BABYLONIQUES Ou les amours de Rhodanes et de Sinonis. [1] J'ai lu le roman où Jamblique raconte des aventures amoureuses. Cet auteur affiche moins l'obscénité qu'Achilles Tatius ; mais il n'est pas aussi décent que le Phénicien Héliodore; il est vrai que ces romanciers s'étant proposé le même but, ont choisi, tous trois, pour sujet de leurs fictions, des intrigues d'amour. Mais Héliodore est plus grave et plus réservé ; Jamblique l'est moins qu'Héliodore ; et Achilles Tatius qui a décrit en huit livres les amours de Leucippe et de Clitophon, pousse l'obscénité jusqu'à l'impudence. Sa diction est molle et coulante; elle se distingue moins par le nerf que par une certaine manière efféminée et chatouilleuse, si l'on peut s'exprimer ainsi, qu'il affecte continuellement. [2] On regrette, au contraire, que Jamblique, qui brille par la beauté du style, la régularité du plan et l'ordonnance des récits, n'ait pas déployé toute sa force et tout son art dans des sujets sérieux, au lieu de les prodiguer à des fictions puériles. [3] Les personnages qu'il introduit dans ce roman, sont Rhodanes et Sinonis, beaux l'un et l'autre, et unis par le double lien de l'amour et de l'hymen. [4] Garmus, roi de Babylone, ayant perdu sa femme, devient éperdument amoureux de Sinonis, et montre un grand empressement à l'épouser; — refus de la part de Sinonis ; elle est enchaînée avec une chaîne d'or; — par une suite de ce refus Damas et Sacas, eunuques du roi, ont déjà fait élever Rhodanes sur une croix ; mais Sinonis parvient à le délivrer. Les deux amants s'enfuient et se dérobent, l’un au supplice et l'autre à un hymen abhorré. — Le roi fait couper le nez et les oreilles aux deux eunuques, pour les punir de leur négligence, et les envoie à la poursuite des fugitifs. Damas et Sacas prennent des routes différentes pour exécuter cet ordre. — Rhodanes et Sinonis sont sur le point d'être surpris dans une prairie, par Damas. Un pêcheur lui a dénoncé des bergers qui, mis à la torture, lui montrent enfin cette prairie où Rhodanes avait découvert un trésor. L'inscription gravée sur un cippe, surmonté d'un lion, le lui avait indiqué. — Un spectre, sous la forme d'un bouc, y devient amoureux de Sinonis; ce qui oblige les deux amants à quitter cette prairie. — Sinonis, en fuyant, laisse tomber sa couronne de fleurs ; Damas la trouve et l'envoie à Garmus, comme un léger soulagement à son amour. [5] Cependant Rhodanes et Sinonis rencontrent, dans leur fuite, une vieille femme sur le seuil de sa cabane, et se cachent dans un antre, long de trente stades, percé aux deux extrémités, et dont l'ouverture est masquée par des broussailles. — Damas arrive avec sa suite ; il interroge la vieille, qui s'évanouit en voyant un glaive nu; on se saisit des chevaux qui avaient amené Rhodanes et Sinonis. — Les soldats, qui avaient accompagné Damas, entourent l'endroit où Rhodanes et Sinonis étaient cachés; le bouclier d'airain d'un de ceux qui rôdaient à l'entour, se brise au-dessus de la caverne ; elle retentit, et ce bruit décèle les personnes qu'elle renferme ; on fait des fouilles, Damas pousse de grands cris ; sa voix se fait entendre dans le souterrain ; Rhodanes et Sinonis s'enfoncent dans la profondeur de la caverne et arrivent à l'ouverture opposée. Là un essaim d'abeilles sauvages fond sur ceux qui faisaient les fouilles; des gouttes de miel distillent aussi sur les fugitifs. Ce miel était empoisonné, ainsi que les abeilles, parce qu'elles s'étaient nourries de reptiles venimeux. Les travailleurs qu'elles piquent, ou perdent une partie de leurs membres, ou meurent. [6] Rhodanes et Sinonis, pressés par la faim, lèchent quelques gouttes de ce miel ; il leur survient des coliques extraordinaires, et ils tombent sans mouvement sur le chemin. Les soldats, fatigués de l'assaut que leur ont livré les abeilles, s'éloignent et se mettent de nouveau à la poursuite de Rhodanes et de Sinonis. Ils aperçoivent étendus ceux qu'ils sont chargés de poursuivre ; mais ils les prennent pour des morts inconnus et continuent leur route. [7] — Sinonis, pendant son séjour dans la caverne, avait coupé ses cheveux et en avait fait une corde pour tirer de l'eau; Damas la trouve et l'envoie à Garmus, comme un garant de la prise très prochaine des fuyards. — Cependant la troupe qui défile à côté de Rhodanes et de Sinonis, couchés sur le chemin, persuadée qu'ils sont réellement morts, leur rend quelques honneurs funèbres, selon la coutume du pays. Les uns les couvrent de leurs tuniques, les autres jettent sur eux tout ce qu'ils ont sous la main, en y ajoutant des morceaux de viande et de pain, et la troupe se remet en marche. — Rhodanes et Sinonis reviennent enfin de l'assoupissement causé par le miel ; des corbeaux qui se disputent les morceaux de chair, jetés par les soldats, ont réveillé Rhodanes, et celui-ci a réveillé Sinonis; ils se lèvent et prennent un chemin opposé à celui des soldats, afin de se dérober plus facilement à leur poursuite. Ils rencontrent deux ânes, et, après les avoir chargés d'une partie de ce que les soldats avaient jeté sur eux, lorsqu'on les croyait morts, et qu'ils avaient emportée, ils en font leur monture. Ils s'arrêtent à une hôtellerie et la quittent ensuite pour aller loger dans une autre, voisine de la place publique qui se trouvait en ce moment remplie de monde. [8] Il arrive une aventure tragique à deux frères; Rhodanes et Sinonis sont accusés de la mort de l'un ; mais ils sont bientôt déchargés de cette accusation, parce que l'aîné des deux frères, qui avait empoisonné son cadet et qui les avait accusés d'un crime dont il était seul coupable, s'empoisonne lui-même et manifeste ainsi leur innocence. — Rhodanes s'empare du poison sans être aperçu ; il descend avec Sinonis au repaire d'un brigand qui détroussait les passants et qui les mangeait. — Des soldats, envoyés par Damas, prennent le brigand et mettent le feu à son repaire; Rhodanes et Sinonis sont enveloppés par la flamme, et n'échappent, avec beaucoup de peine, à la mort qu'après avoir égorgé leurs ânes et les avoir jetés sur le feu pour se frayer un passage.— Les soldats qui avaient incendié la maison, les aperçoivent, pendant la nuit, et leur demandent qui ils sont; nous sommes, répondent-ils, les ombres de ceux que le brigand a assassinés. La pâleur, la maigreur de leur visage, et la faiblesse de leur voix font ajouter foi à l'imposture, et effrayent les soldats. — Ils reprennent la fuite, rencontrent une jeune fille que l'on conduisait au tombeau, et se mêlent à la foule des spectateurs. — Il survient un vieux Chaldéen qui empêche la sépulture, en disant que la jeune fille respire encore, et il prouvé que la chose est vraie ; il prédit à Rhodanes et à Sinonis qu'ils sont destinés à régner. Le tombeau de la jeune fille reste vide, et on y laisse une grande partie des vêtements qui devaient être brûlés, et des vivres. Rhodanes et Sinonis usent copieusement de ces derniers ; ils s'emparent aussi de quelques-uns des vêtements, et s'endorment dans ce tombeau. [9] — Les soldats incendiaires s'aperçoivent le matin qu'on les a trompés ; ils suivent les traces de Rhodanes et de Sinonis, s'imaginant qu'ils sont les complices du brigand ; ces traces les conduisent au tombeau ; mais les voyant couchés et immobiles, parce que le sommeil et le vin enchaînaient leurs mouvements, ils les prennent pour des cadavres et les laissent, ne comprenant pas comment les traces les ont conduits là. Rhodanes et Sinonis quittent ce tombeau, et traversent le fleuve dont les eaux douces et limpides sont la boisson ordinaire du roi de Babylone. — Sinonis vend les vêtements qu'elle a emportés ; elle est arrêtée, comme spoliatrice de tombeaux, et amenée devant Soroechus, fils de Soroechus le publicain, et surnommé le juste. Soroechus veut l'envoyer à Garmus, à cause de sa beauté. Rhodanes et Sinonis préparent un breuvage avec le poison des deux frères, préférant la mort à la vue de ce roi. Une esclave révèle à Soroechus le projet que méditent Rhodanes et Sinonis. Soroechus vide secrètement le vase qui renfermait le breuvage de mort, et lui substitue une liqueur soporifique, et lorsqu'ils l'ont bue, et qu'ils sont profondément endormis, il les fait placer sur un char pour les amener lui-même au roi. Comme ils approchaient de Babylone, Rhodanes, effrayé par un songe, jette un cri. Sinonis en est réveillée ; elle prend un glaive et s'en frappe. Soroechus veut connaître tous les détails de leur histoire, et les deux amants, après avoir reçu son serment, les lui apprennent. Il les met en liberté, et leur montre, dans une petite île, un temple de Vénus, où Sinonis doit être guérie de sa blessure. [10] Chemin faisant il leur raconte l'histoire de ce temple et de cette petite île. Elle est formée par l'Euphrate et le Tigre, qui l'entourent de leurs eaux ; la prêtresse de Vénus avait eu trois enfants, Euphrates, Tigris et Mésopotamie ; cette dernière était laide en naissant, mais Vénus avait changé sa laideur en une si grande beauté que trois amans se disputèrent sa conquête. Ils prirent pour juge Borochus, ou Borychus, le plus renommé de ceux qui vivaient alors. Chacun des trois rivaux plaide sa cause. Mésopotamie avait fait don à l'un de la coupe dans laquelle elle buvait; elle avait mis sur la tête de l'autre la couronne de fleurs qui ornait la sienne, et le troisième avait reçu un baiser. Borychus proclama vainqueur celui qui avait reçu le baiser ; mais la querelle n'en devint que plus vive; elle finit seulement lorsqu'ils eurent péri tous trois, l'un par la main de l'autre. [11] — Dans une digression l'auteur donne des détails sur le temple de Vénus. Les femmes qui s'y rendent, sont obligées de révéler en public les songes qu'elles ont eus dans ce temple; ce qui fournit l'occasion d'entrer dans les détails les plus minutieux sur Pharnachus, Pharsiris et Tanaïs qui a donné son nom au fleuve qui le porte. Pharsiris et Tanaïs initièrent aux mystères de Vénus les peuples qui habitent sur les bords du fleuve. [12] Tanaïs mourut dans la petite île dont nous venons de parler, après avoir mordu dans une rose qui n'était pas encore épanouie et qui recélait une cantharide. Sa mère crut en avoir fait un demi-dieu, par ses enchantements. [13] — Jamblique décrit ici les différentes sortes d'enchantements, celui des sauterelles, celui des lions, et celui des rats. Celui des rats est le premier de tous, puisque les mystères ont emprunté leur nom de ces animaux. Il parle ensuite des enchantements qui se font par le moyen de la grêle, des serpents, de la necyomantie ou évocation des morts; et par celui du ventriloque, que les Grecs appellent Euryclée, et les Babyloniens, Sacchoura. L'auteur se dit Babylonien; il apprit l'art magique, puis il s'adonna aux sciences que cultivent les Grecs. Il florissait sous le règne de Soaemus, fils d'Achéménides l'Arsacide. Ce prince occupait alors le trône de ses pères; il fut ensuite sénateur romain, consul, et enfin roi de la Grande-Arménie. C'est sous ce prince, dit-il, qu'il vivait. [14] Marc-Aurèle régnait alors à Rome. Lorsqu'il envoya Lucius Verus, son frère adoptif et son gendre, qu'il avait associé à l'empire, combattre Vologèse, roi des Parthes, Jamblique prédit le commencement et la fin de cette guerre ; il raconte comment Vologèse s'enfuit au-delà de l'Euphrate et du Tigre, et comment le royaume des Parthes devint une province romaine. [15] Tigris et Euphrates, enfants de la prêtresse, se ressemblaient, et Rhodanes ressemblait à l'un et à l'autre. La prêtresse, ayant jeté les yeux sur lui, s'écrie que son fils est rendu à la vie, et ordonne à sa fille de le suivre. Rhodanes se prête à cette illusion, et se joue de la crédulité des habitants de l'île. [16] — Damas reçoit des renseignements sur Rhodanes et Sinonis, et sur ce que Soroechus avait fait pour eux; ils lui sont donnés par le médecin même que Soroechus avait envoyé secrètement pour guérir la blessure de Sinonis. Soroechus est arrêté et envoyé à Garmus. Damas fait partir en même temps le dénonciateur, avec une lettre pour le prêtre de Vénus, dans laquelle il lui enjoint de se saisir de Sinonis et de Rhodanes. Le médecin, pour traverser le fleuve qui entoure l'île sacrée, se suspend, selon l'usage, au cou d'un chameau, après avoir déposé la lettre dans l'oreille droite de cet animal, et il est suffoqué par l'eau du fleuve. Le chameau arrive seul à l'île ; Rhodanes et Sinonis retirent la lettre de con oreille, et apprennent ainsi tout ce qu'on tramait contre eux. [17] Ils s'enfuient, rencontrent en chemin Soroechus que l'on amenait à Garmus, et descendent avec lui dans la même hôtellerie. Pendant la nuit Rhodanes, en distribuant quelques pièces d'or, fait égorger les gardiens de Soroechus ; celui-ci prend la fuite avec les deux amants, et trouve ainsi la récompense du service qu'il leur avait rendu auparavant [18] — Damas fait saisir le prêtre de Vénus ; il l'interroge sur le compte de Sinonis, et ce vieillard est enfin condamné à changer son ministère en celui de bourreau ! Euphrates, que le prêtre, son père, prend pour Rhodanes, et qu'il appelle de ce nom, est obligé de prendre les mœurs et de suivre les règlements des bourreaux. — Sa sœur Mésopotamie s'enfuit. — Euphrates est conduit devant Sacas, il est interrogé sur Sinonis, parce qu'on le prend pour Rhodanes et qu'il est examiné comme tel. — Sacas envoie un courrier à Garmus pour lui apprendre que Rhodanes est pris, et que Sinonis sera bientôt prise. Euphrates avait dit, en effet, lorsqu'on l’avait interrogé sous le nom de Rhodanes, que Sinonis avait pris la fuite dès qu'elle l’avait vu arrêté. Sinonis était le nom qu'il était lui-même forcé de donner à sa sœur Mésopotamie. [19] Les fugitifs Rhodanes, Sinonis et Soroechus entrent dans la maison d'un laboureur; il avait une fille belle qui, jeune encore, était déjà veuve, et qui, pour gage de la tendresse qu'elle portait à son mari, avait coupé ses cheveux sur sa tombe. Chargée d'aller vendre la chaîne d'or que Rhodanes et Sinonis avaient emportée de leur prison, elle court chez un orfèvre. Cet homme voyant la beauté de la jeune femme, reconnaissant une partie de la chaîne que lui-même, par un singulier hasard, se trouvait avoir faite; et s'apercevant que cette femme a les cheveux coupés, soupçonne qu'elle est Sinonis. Il en donne avis à Damas, et envoie secrètement des gardes pour observer sa marche lorsqu'elle se retire ; mais elle se doute de ce qu'on trame contre elle, et se réfugie dans une demeure écartée et solitaire. — Ici commence l'histoire d'une jeune fille, nomme Trophime; d'un esclave qui, après avoir été son amant, devient son meurtrier ; de quelques ornements d'or à l'usage des femmes ; des attentats de l'esclave ; de son suicide ; du sang qui rejaillit sur la fille du laboureur au moment où il se donne la mort ; de la frayeur qu'elle en conçoit; de sa fuite, de la terreur et de la fuite des gardes qui la surveillaient ; de son retour chez son père ; du récit qu'elle lui fait de ses aventures; du départ précipité de Rhodanes; mais avant tout cela de la lettre que l'orfèvre écrit à Garmus pour lui apprendre que Sinonis est retrouvée. Il donne, pour preuve de la vérité de cette nouvelle, la chaîne qu'il a achetée et qu'il envoie et les autres soupçons qu'a fait naître la fille du laboureur. [20] — Rhodanes, au moment de son départ, embrasse la fille de son hôte. Sinonis en est courroucée ; d'abord elle n’avait que des soupçons sur ce baiser, mais il ne lui resta plus de doutes lorsqu'elle eut essuyé le sang dont les lèvres de Rhodanes avaient été souillées par ce baiser. Transportée de fureur, elle médite de poignarder la jeune veuve, et se hâte de retourner sur ses pas. Soroechus ne pouvant arrêter cet élan furieux, prend le parti de la suivre. Ils descendent chez un homme opulent, mais de mœurs dissolues, nommé Sétapus. — Il devient amoureux de Sinonis et cherche à la séduire : elle fait semblant de correspondre à son amour ; mais cette nuit même, et lorsque, ivre de vin, Sétapus se livre à ses premiers transports, elle lui plonge son épée dans le sein, et, se faisant ouvrir la porte, elle abandonne Soroechus, qui ignore encore ce qui s'est passé, et court en hâte chez la fille du laboureur. Soroechus, ayant appris le départ de Sinonis, se met à sa poursuite, prenant avec lui quelques-uns de ses esclaves et de ceux de Sétapus qu'il paie pour l'accompagner, afin de s'opposer au meurtre de la fille du laboureur. Il rejoint Sinonis, la fait monter sur un char, préparé d'avance, et rebrousse chemin ; mais à peine se sont-ils mis en route pour revenir, que les serviteurs de Sétapus, qui ont vu leur maître égorgé, viennent, remplis de colère, au-devant d'eux, prennent Sinonis, l'enchaînent et la mènent à Garmus, comme, une meurtrière qu'il doit faire punir. Soroechus, après avoir jeté de la poussière sur sa tête et s'être enveloppé dans son manteau (28), annonce à Rhodanes ces tristes nouvelles. Rhodanes veut se tuer ; mais Soroechus retient son bras. [21] — Cependant Garmus, instruit par la lettre de Sacas que Rhodanes est pris, et par celle de l'orfèvre, que Sinonis est prisonnière, ne peut contenir sa joie; il offre des sacrifices aux dieux; il commande les apprêts des noces; il ordonne, par un édit, que partout les fers des prisonniers soient brisés, et que la liberté leur soit rendue. A la faveur de cet édit, Sinonis est délivrée de ses liens par les serviteurs de Sétapus, qui la conduisaient. — Garmus ordonne que Damas soit mis à mort ; on le livre au prêtre qu'il avait lui-même arraché de l'autel pour en faire un bourreau. Ce prince était irrité contre Damas, parce qu'il avait laissé à d'autres la gloire de faire prisonniers Sinonis et celui qu'il croyait être Rhodanes. — Monasus succède à son frère Damas. — Nouvelle digression sur Bérénice, fille du roi d'Egypte, et sur ses amours singulières et infâmes. On raconte comment Mésopotamie fut admise dans son intimité ; et comment ensuite elle fut prise par Sacas, et envoyée à Garmus, avec son frère Euphrates. — Garmus apprend par une seconde lettre de l'orfèvre, que Sinonis a pris la fuite, il ordonne aussitôt que l'orfèvre soit mis à mort, et que les gardes chargés de la surveiller et de la lui amener, soient enterrés vivants, avec leurs femmes et leurs enfants. — Un chien hyrcanien, qui appartenait à Rhodanes, découvre dans l'infâme gîte où s'était réfugiée la fille du laboureur, les corps de la jeune, infortunée et de l'esclave, qui, épris pour elle d'un amour funeste, lui a ôté la vie. Il a déjà dévoré en entier celui de l'esclave, et peu s'en fallait, celui de la jeune fille, lorsque le père de Sinonis survient. [22] Il reconnaît le chien de Rhodanes; il voit le corps de Trophime à demi rongé; il immole d'abord le chien aux mânes de celle qu'il prend pour Sinonis, et il se pend ensuite à un lacet, après avoir donné la sépulture aux restes de la jeune fille, et après avoir écrit sur sa tombe avec le sang du chien : CI GIT LA BELLE SINONIS. — Soroechus et Rhodanes arrivent sur ces entrefaites ; ils aperçoivent le chien égorgé sur une tombe, le père de Sinonis pendu à un lacet, et l'épitaphe gravée sur le tombeau. Rhodanes se donne un premier coup de poignard, et ajoute, avec son propre sang, à l'épitaphe de Sinonis, ces mots : ET LE BEAU RHODANES. Soroechus se pend, et Rhodanes allait se porter le dernier coup, lorsque la fille du laboureur arrive et s'écrie : Rhodanes, celle qui gît ici n'est point Sinonis. Elle court à la hâte couper le lacet auquel Soroechus était suspendu, et arracher le poignard des mains de Rhodanes. Elle vient enfin à bout de les persuader, en leur racontant l'histoire de la malheureuse fille, dont ils voyaient le tombeau ; comment un trésor était enfoui dans cet endroit, et comment elle était venue pour s'en emparer, [23] — Cependant Sinonis, délivrée de ses chaînes, est accourue à la maison du laboureur, toujours furieuse contre sa fille. Ne la trouvant pas, elle en demande des nouvelles à son père, qui lui indique le chemin qu'elle a pris. Elle court promptement sur ses traces, tenant en main un glaive nu. A la vue de Rhodanes, couché par terre, et de sa rivale, seule avec lui, parce que Soroechus était allé chercher un médecin, et occupée à panser la blessure qu'il s'était faite au sein, sa colère et sa jalousie redoublent ; elle fond sur la jeune veuve; mais Rhodanes, à qui cette violence fait oublier sa blessure, se jette au-devant de Sinonis et la retient, en lui arrachant le glaive des mains. Sinonis, transportée de colère, s'élance hors de l'hôtellerie, et courant comme une furieuse, elle adresse ce peu de mots à Rhodanes : Je t'invite aujourd'hui aux noces de Garmus: [24] Soroechus, de retour, apprend tout ce qui s'est passé; il console Rhodanes, et, après qu'on a mis un appareil sur sa blessure, on renvoie la jeune veuve chez son père avec quelques pièces de monnaie. [25] — On amène à Garmus Euphrates et Mésopotamie, sous le nom de Rhodanes et de Sinonis ; on amène aussi Soroechus et le véritable Rhodanes. Garmus, connaissant alors que Mésopotamie n'est point Sinonis, la livre à l'eunuque Zobaras, pour lui trancher la tête sur les bords de l'Euphrate, afin, dit-il, qu'aucune autre n'usurpe désormais le nom de Sinonis; mais Zobaras qui a déjà bu à la fontaine d'amour, est épris des charmes de Mésopotamie ; il lui conserve la vie, et la ramène à Bérénice à qui on l’avait enlevée, et qui était devenue reine d'Egypte, après la mort de son père. Bérénice donne un époux à Mésopotamie. — La guerre est prête à éclater, pour elle, entre Garmus et Bérénice. — Euphrates, livré à son père, qui exerce les fonctions de bourreau, et reconnu par lui, est également sauvé. Il prend la place de son père qui ne souille plus ses mains de sang humain ; ensuite il se fait passer pour la fille du bourreau; il sort de la prison, à la faveur de ce travestissement, et il recouvre la liberté. [26] Ici l'auteur parle de la concubine da bourreau, des usages et des lois qui la concernent; il raconte comment Sinonis devenue l'épouse du roi de Syrie, et ayant en main le pouvoir de satisfaire sa vengeance, fit arracher de ses foyers la fille du laboureur, et la condamna à partager la couche du bourreau ; comment étant entrée dans l'enceinte où logent les bourreaux, elle coucha avec Euphrates ; comment celui-ci sortit de cette enceinte, en prenant le costume de cette fille, et comment enfin elle le remplaça dans ses tristes fonctions. Les choses en étaient là, lorsque Soroechus est condamné au supplice de la croix. Le lieu où doit se faire l'exécution est désigné; c'est la prairie et la fontaine où Rhodanes et Sinonis s'arrêtèrent dans leur fuite, et où Rhodanes découvrit un trésor qu'il indique à Soroechus lorsqu'on le conduit au supplice. Cependant une armée d'Alains, que Garmus avait pris à sa solde, indignée de ne pas la recevoir, avait fait halte dans le lieu même où Soroechus devait mourir sur la croix. Elle chasse la troupe qui conduisait Soroechus, et le met en liberté. — Soroechus, ayant trouvé le trésor qui lui avait été indiqué, et l'ayant retiré avec beaucoup d'adresse et d'art de l'endroit où il était enfoui, persuade aux Alains que cette science et d'autres encore lui ont été enseignées par les dieux, et ayant gagné peu à peu leur confiance, il les amène à l'élire pour leur roi. Alors il déclara la guerre à Garmus et le vainquit ; [27] mais ces faits sont postérieurs. — Pendant que Soroechus marchait au supplice, Garmus, couronné de fleurs et dansant au son des flûtes, avait fait reconduire Rhodanes à son premier gibet, et il était déjà élevé sur la croix. Cependant tandis qu'ivre de vin et dansant autour de la croix avec les joueuses de flûte, Garmus se livre à la joie la plus bruyante, [28] il reçoit une lettre de Sacas ; elle lui apprend que Sinonis vient d'épouser le jeune roi de Syrie. — Rhodanes du haut de sa croix se réjouit de cette nouvelle. Garmus veut se donner la mort, mais il suspend cette résolution et fait descendre de la croix Rhodanes, qui en descend à regret, parce que la mort lui paraît préférable. Il lui fait donner un équipage de guerre et lui confie le commandement de l'armée qu'il fait marcher contre le roi de Syrie, afin de mettre aux prises les deux amants de Sinonis : Rhodanes reçoit un accueil gracieux, mais feint ; Garmus, en effet, écrit une lettre secrète aux généraux qui doivent commander sous Rhodanes ; il leur mande, de le mettre à mort, s'il est victorieux et si l'on a pu se saisir de Sinonis. — Rhodanes remporte la victoire, recouvre Sinonis, et règne sur les Babyloniens. Une hirondelle avait présagé cette heureuse victoire. Lorsque Garmus, en personne, fit partir Rhodanes pour cette expédition, un aigle et un milan poursuivirent cette hirondelle ; mais elle échappa aux serres de l'aigle, et devint la proie du milan. — Voilà le contenu des seize livres.