[3,0] LIVRE TROISIEME - VOYAGE DE LA LACONIE. [3,1] CHAPITRE PREMIER. Après les Hermès vous avez la Laconie au couchant; les Lacédémoniens assurent eux-mêmes que Lélex, enfant de la Terre, est le premier qui ait régné dans le pays, et que de son nom ses peuples furent nommés Lélèges. Ce prince eut deux fils, Mylès et Polycaon : je dirai, dans un autre endroit, ce que devint Polycaon, et pourquoi il alla s'établir ailleurs. Mylès étant mort, son fils, Eurotas, lui succéda. Celui-ci voyant que son pays était inondé, et que les eaux séjournaient sur la terre, fit ouvrir un canal par où une partie des eaux s'écoula dans la mer; l'autre partie forma un fleuve qu'il appela, de son nom, Eurotas. Comme il n'avait point d'enfants mâles, quand il fut près de sa fin, il laissa le royaume à Lacédémon; ce Lacédémon avait pour mère Taygète, qui donna son nom à une montagne; et pour père, suivant la commune opinion, Jupiter même; il avait épousé Sparté, fille d'Eurotas et dès qu'il eut pris possession du royaume, il voulut que tout le pays et les habitants s'appelassent de son nom; ensuite il bâtit une ville qu'il appela Sparte, du nom de sa femme, nom que cette ville a toujours gardé. Son fils, Amyclas, voulant aussi laisser quelque monument après lui, bâtit, à l'exemple de son père, une ville qu'il nomma Amycle. Il fut père de plusieurs enfants, mais il eut le déplaisir de perdre le plus jeune de tous, qui avait nom Hyacinthe. Cet enfant, qui était d'une rare beauté, lui fut ravi par un cruel accident, et son tombeau se voit encore à Amycle, sous une statue d'Apollon. Après la mort d'Amyclas, la couronne passa à Argalus, l'aîné de ses enfànts, et d' rgalus à son frère Cynortas, qui eut pour fils OEbalus; celui-ci épousa Gorgophone, argienne et fille de Persée, de laquelle il eut Tyndare, qui devait naturellement succéder à son père; mais Hippocoon lui disputa l'empire, et fut préféré à cause de son âge. Ensuite, soutenu d'Icarius et de ses troupes, il se trouva fort supérieur à Tyndare. Les Lacédémoniens prétendent que celui-ci voyant la partie inégale, fut obligé cle se retirer à Pellane pour mettre sa vie en sûreté. Mais les Messéniens disent qu'il se réfugia chez eux auprès d'Apharéüs, qui était son frère utérin et fils de Périéres; ils ajoutent qu'il établit son domicile à Thalames, ville de la Messénie; que là il se maria, eut des enfants, et au bout de quelque temps fut rétabli sur le trône par Hercule. A Tyndare succédèrent ses enfants, qui eurent pour successeur, premièrement, Ménélas, fils d'Atrée et gendre de Tyndare; puis Oreste, qui avait épousé Hermione, fille de Ménélas. Les Héraclides rentrèrent dans le Péloponnèse, sous le règne de Tisamène, fils d'Oreste; ce fut alors que les Argiens et les Messéniens se partageant entre les deux frères, eurent pour roi les uns Téménus, les autres Cresphonte. D'un autre côté, Aristodème avait laissé deux fils jumeaux. De-là ces deux familles qui régnèrent à Sparte en même temps, et que la Pythie, dit-on, ne désapprouva pas. Pour Aristodème, il était mort à Delphes, avant que les Doriens fussent revenus dans le Péloponnèse, et les Lacédémoniens qui tournent tout à leur avantage, disent qu'Apollon l'avait percé de ses flèches, parce qu'il était venu à Delphes, non pour consulter l'oracle, mais pour prendre avec Hercule, qui s'y était rencontré, des mesures sur le retour des Doriens dans le Péloponnèse; cependant il est plus vraisemblable qu'Aristodème fut tué par les fils de Pylade et d'Electre, qui étaient cousins germains de Tisamène, fils d'Oreste. Quant aux deux jumeaux qu'il laissa, ils se nommaient Proclès et Eurysthène; mais pour être nés jumeaux, ils ne s'en accordaient pas mieux ensemble. Cependant, leur antipathie ne les empêcha pas d'assister de toutes leurs forces, Théras, frère d'Argia leur mère, fils d'Autésion, et d'ailleurs leur tuteur, qui voulait mener une colonie dans cette isle, que l'on appelait Calliste; l'espérance de Théras était que les descendants de Membliarius, qui régnaient dans cette isle, lui en céderaient l'empire, et ils le firent par la raison que Théras rapportait son origne à Cadmus, au lieu qu'eux ils descendaient de Membliarius, homme de basse naissance, à qui Cadmus avait donné quelque autorité sur la peuplade qui s'était nouvellement transplantée dans cette isle. Théras se voyant maître de l'isle, changea le nom qu'elle avait eu jusqu'alors, et lui donna le sien, qu'elle a conservé depuis ; et encore à présent les Théréens lui rendent tous les ans des honneurs sur son tombeau, comme à l'auteur de la colonie par qui leur pays a été peuplé. A l'égard de Proclès et d'Eurysthène, ils agissaient toujours de concert quand ü fallait obéir à leur oncle; en tout le reste, leur division et leur incompatibilité étaient extrêmes. Mais quand ils auraient été plus unis, je ne pourrais pas pour cela comprendre dans un même récit leur histoire et celle de leurs descendants; car les familles venant à se multiplier avec les années, il n'est pas possible que les oncles, les neveux, les cousins germains, et les enfants des uns et des autres, n'entraînent des différences de temps, d'âge, de durée, qui demandent des narrations différentes. Je ferai donc mieux de m'attacher d'abord à une branche pour tenir ensuite à l'autre. [3,2] CHAPITRE II. La tradition du pays est qu'Eurysthène, fils aîné d'Aristodème eut un fils nommé Agis; de là vient que tous les descendants d'Eurysthène furent nommés Agides. Sous le règne d'Agis, Patréus, fils de Preugènes, voulant peupler une ville qu'il avait bâtie en Achaïe, et qui de son nom s'appelle encore aujourd'hui Patra, les Lacédémoniens le secondèrent dans ce dessein ; ils entrèrent aussi dans les vues de Gras, fils d'Echélatus, petit-fils de Penthile, et arrière-petit-fils d'Oreste, lequel Gras voulait s'embarquer et mener une peuplade en quelque lieu où il pût faire un nouvel établissement. Il choisit ce pays qui est entré l'lonie et la Mysie, appelé aujourd'hui l'Eolie; et ce qui le détermina à ce choix, ce fut que Penthile, son aïeul, s'était déja emparé de Lesbos, isle voisine de ce continent. Après Agis, son fils Echestrate régna à Sparte; de son temps, les Lacédémoniens chassèrent de Cynure tout ce qu'il y avait d'habitants en âge de porter les armes; le prétexte de ce traitement fut que les Cynuréens, au mépris de la consanguinité qui était entr'eux et les Argiens, non seulement souffraient que des bandits de leur territoire ravageassent les terres des Argiens, mais qu'eux-mêmes faisaient tout ouvertement des courses jusqu'aux portes d'Argos ; en effet, on dit que les Cynuréens descendent des Argiens, et qu'ils ne sont originairement qu'une colonie d'Argiens, qui fut menée là par Cynure, fils de Persée. Quelques années après, Labotas, fils d'Echestrate, lui succéda : Hérodote, dans l'histoire de Croesus, dit que Lycurgue, qui a donné des lois aux Lacédémoniens, avait été tuteur de ce jeune prince qu'il nomme Léobotas, et non Labotas; durant son règne les Lacédémoniens déclarèrent la guerre aux Argiens pour la première fois. Le sujet de cette guerre était que les Lacédémoniens ayant conquis Cynure et les terres qui en dépendaient, les Argiens ne cessaient d'en usurper quelque coin, et de solliciter les peuples voisins et amis de Sparte à quitter son alliance. Cependant cette guerre n'eut pas de suite, et il ne s'y passa rien de remarquable. Ceux de la même famille qui régnèrent ensuite; savoir, Doryssus, fils de Labotas, et Agésilas, fils de Doryssus, vécurent fort peu ; ce fut pourtant sous Agésilas que Lycurgue publia ses lois ; les uns disent qu'il les avait reçues de la Pythie, les autres qu'il les avait apportées de Crète ; pour les Crétois, ils assurent eux-mêmes qu'ils sont redevables des leurs à Minos, et qu'il ne les leur donna qu'après avoir consulté Jupiter; c'est aussi ce qu'Homère semble avoir voulu nous déclarer par ces vers : "Et Gnosse la superbe, où de neuf en neuf ans, Le sage roi Miuos, dégagé de ses sens, Au sein de Jupiter épurait ses idées, Et recevait des lois par lui même dictées". Mais je parlerai de Lycurgue ailleurs. Agésilas eut pour successeur son fils Archélaüs ; pendant son règne les Lacédémoniens assiégèrent Egys, ville voisine de leur frontière, et l'ayant prise, ils la détruisirent entièrement, de crainte qu'elle ne se liguât avec les Arcadiens. Archélaüs l'ut secondé dans cette entreprise par Charilas, qui était aussi roi de Sparte, mais de l'autre famille; je raconterai ce qui se passa sous ses ordres, lorsque j'en serai à l'histoire des rois de la seconde branche, qui furent nommés Eurypontides. A Archélaüs succéda son fils Téléclus, sous lequel les Lacédémoniens prirent, sur les confins de la Laconie, trois villes dont les Achéens étaient en possession, Amycle, Pharis et Géranthre : les habitants de Pharis et de Géranthre ayant pris l'alarme de l'arrivée des Doriens, étaient déjà sortis du Péloponnèse sous de certaines conditions ; mais pour ceux d'Amycle, non seulement ils n'eurent point de peur des Doriens, mais ils firent une vigoureuse défénse et donnèrent de grandes preuves de valeur; c'est ce que les Doriens témoignèrent eux-mêmes par le trophée qu'ils érigèrent lorsqu'ils furent enfin maîtres de la place ; car c'était déclarer qu'ils regardaient cette conquête comme fort glorieuse. Quelque temps après, Téléclus fut tué par les Messéniens dans un temple de Diane qui est sur la frontière de la Laconie et de la Messénie au bourg de Limné. Téléclus étant mort, son fils, Alcamène, lui succéda ce fut sous son règne que les Lacédémoniens envoyèrent en Crète Charmidas, fils d'Euthys, et l'un des plus considérables de Sparte, pour appaiser des séditions qui s'étaient élevées parmi les Crétois et pour engager ces peuples à abandonner les places de la côte les plus exposées, ou qui étaient sans défense, et à se contenter de garder celles qui avaient de bons ports, en quoi il avait ordre de les aider. Pendant ce temps-là, ils prirent et rasèrent Hélos, ville maritime dont les Achéens s'étaient rendu maîtres, et défirent en bataille rangée les Argiens qui allaient secourir les Hilotes. [3,3] CHAPITRE III. Après Alcamène, son fils Polydore monta sur le trône; durant le règne de ce prince les Lacédémoniens envoyèrent deux colonies, l'une à Crotone, ville d'Italie; l'autre à Locres, près du cap Zéphirius; ce fut aussi en ce temps-là que la guerre de Messène se ralluma; les parties intéressées ne conviennent pas des raisons qui la leur firent entreprendre; ce qu'ils en disent les uns et les autres, et quelle fut l'issue de cette guerre, c'est ce que je raconterai dans la suite. Quant à présent, il me suffit de dire que la première guerre Messéniaque se fit pour la plus grande partie sous la conduite de Théopompe, fils de Nicandre, et l'aîné de l'autre famille royale. Cette guerre opiniàtre étant enfin terminée, et les Messéniens ayant succombé, Polydore, dont le règne prospérait à Sparte, et qui était adoré des Lacédémoniens, surtout du peuple, parce qu'il ne s'était jamais porté à aucune violence, ni n'avait jamais rien dit d'offensant à qui que ce fût, qu'au contraire la justice et l'humanité présidaient à tous ses jugements et à toutes ses actions ; Polydore, dis-je, dont le nom était déjà célèbre par toute la Grèce, sur ces entrefaites est tué par Polémarchus, Spartiate d'une naissance assez illustre, mais d'une audace encore plus grande, comme cet événement tragique ne le fit que trop voir. Les Lacédémoniens rendirent à la mémoire de ce prince des honneurs extraordinaires, et l'on voit aussi à Sparte le tombeau de ce Polémarchus, soit qu'avant ce parricide il eût été en réputation d'homme de bien, soit que ses proches l'aient fait enterrer secrètement. Sous Eurycrate, fils de Polydore, les Messéniens demeurèrent soumis, et le peuple d'Argos ne remua pas non plus; mais sous Anaxandre, fils d'Eurycrate, les Messéniens furent enfin chassés du Péloponnèse par leurs destinées ; car s'étant révoltés contre les Lacédémoniens, ils soutinrent la guerre durant quelque temps ; mais contraints de céder à la force, ils mirent les armes bas et s'obligèrent, par un traité, à quitter le Péloponnèse; tout ce qui en resta fut fait esclave, à la réserve de ceux qui tenaient encore dans les places maritimes. Ce qui se passa dans cette guerre depuis la révolte des Messéniens, a si peu de liaison avec le morceau d'histoire que je traite présentement, qu'il n'y peut pas être inséré; je me réserve donc à en parler dans un autre endroit. Anaxande eut pour fils Eurycrate, second du nom, et cet Eurycrate fut père de Léon. Sous leurs règnes les Lacédémoniens eurent du pire et souffrirent de grandes pertes dans la guerre qu'ils firent contre les Tégéates; mais sous Anaxandride, fils de Léon, la fortune changea, et les Tégéates furent battus à leur tour : voici comment cela arriva. Lichas, lacédémonien, était venu à Tégée ; car alors les deux peuples vivaient en paix sur la foi des traités ; ce Lichas cherchait les os d'Oreste, et il les cherchait par ordre des Spartiates, conformément à un certain oracle de Delphes ; or il crut les avoir trouvés dans la boutique d'un serrurier, car il faisait l'application des paroles de la Pythie à tous les instruments dont se sert un serrurier. Les vents dont il était parlé dans l'oracle pouvaient, selon lui, s'entendre des soufflets de la forge, qui en effet recoivent l'air et le renvoient avec impétuosité ; les coups redoublés c'était le marteau et l'enclume; et la destruction des hommes était signifiée par le fer, dont en se servait déjà dans les combats; car si Apollon avait rendu cet oracle dans les temps héroïques, il aurait fallu par cette expression, entendre de l'airain au lieu du mot de fer. Un oracle à peu près semblable à celui là, rendu dans la suite aux Athéniens, par lequel il leur était ordonné de transporter de Scyros à Athènes les os de Thésée, sans lesquels il leur était impossible de prendre cette île. Cimon, fils de Miltiade, les trouva pareillement par adresse, et peu de temps après il se rendit maître de l'île. Que les armes des héros fussent toutes d'airain dans les temps héroïques, j'en ai pour preuve ce que dit Homère dans ses vers de la hache de Pisandre, et de la flèche de Mérion; la pique d'Achille, déposée à Phasélis dans le temple de Minerve en est encore une preuve, aussi bien que l'épée de Memnon qu'on voit à Nicomédie, dans le temple d'Esculape ; car pour la pique d'Achille il n'y a que la pointe et la hampe qui soient d'airain. Je peux donner cela comme certain. Anaxandride, fils de Léon, est le seul Lacédémonien qui ait eu deux femmes à la fois et contre son attente une double postérité. Sa première femme, princesse à la vérité fort vertueuse, ne lui donnant point d'enfants, les Ephores lui ordonnèrent de la répudier : il ne put pas s'y résoudre, mais pour leur obéir il en prit une autre dont il eut un fils, nommé Cléomène. La première qui jusqu'alors avait paru stérile, se trouva grosse et mit au monde Doriéüs, puis Léonidas, enfin Cléombrote. Anaxandrides étant mort, les Lacédémoniens rejetèrent contre leur inclination les prétentions de Doriéüs, quoiqu'ils lui reconnussent plus de réputation dans lre conseil, et plus de talents militaire qu'à Cléomène, et ils donnèrent d'après leurs lois la couronne à Cléomène, qui était l'aîné. Et Doriéüs ne pouvant se résoudre à voir son frère au-dessus de lui, il aima mieux quitter le pays et se mettant à la tête d'une colonie, il alla chercher fortune ailleurs. [3,4] CHAPITRE IV. Cléomène ne fut pas plutôt sur le trône, qu'il leva une grosse armée composée de Lacédémoniens et de leurs alliés, et entra dans l'Argolide; les Argiens, de leur côté, marchèrent à lui en ordre de bataille, mais ils furent défaits; cinq mille d'entr'eux se réfugièrent dans un bois voisin, consacré à Argus, fils de Niobé; Cléomène, qui, souvent devenait furieux et ne se possédait plus, commanda aux Hilotes d'y mettre le fèu de sorte que ce bois sacré fut brûlé avec ces misérables qui imploraient en vain la clémence du vainqueur; de-là il mena son armée triomphante à Athènes, délivra les Athéniens de la domination tyrannique des enfants de Pisistrate, et par de si beaux commencements, rendit son nom et celui des Lacédémoniens célèbre dans toute la Grèce. Mais quelque temps après, par complaisance pour un certain Athénien, nommé Isagoras, il se mit en tête de le faire roi d'Athènes; les Athéniens, indignés d'un pareil dessein, prirent les armes pour défèndre leur liberté, et Cléomene déchu de son espérance ne put faire autre chose que de se venger en ravageant l'Attique, particulièrement un canton nommé l'Orgade, et consacré aux divinités que l'on honore à Eleusis. Ensuite il passa en l'Isle d'Egine, dont il fit emprisonner les principaux habitants, parce qu'ils favorisaient les Perses et qu'ils avaient persuadé à leurs concitoyens de reconnaître Darius, fils d'Hydaspe, pour leur souverain, en lui accordant la terre et l'eau. Pendant qu'il était à Egine, Démarate, roi de Sparte, mais de I'autre famille, le noircissait dans l'esprit du peuple ; Cléomène, piqué de cette infidélité, ne fut pas plutôt de retour, qu'il prit des mesures pour dépouiller Démarate de la royauté; premièrement il gagna la Pythie par des libéralités, et l'engagea à ne rien répondre aux Lacédémoniens, que ce qu'il lui dicterait lui-même; puis ayant pratiqué Léotychide, parent de Démarate et du sang royal comme lui, il le poussa à lui disputer la couronne. Léotychide sut se prévaloir d'une parole qu'Ariston, père de Démarate, avait laissé échapper, lorsqu'au sujet de la naissance de son fils, il dit tout haut et fort étourdiment que cet enfant ne pouvoit pas être de lui. Sur ce fondement, Léotychide prétendait que Démarate était bâtard. Cette affaire, par ordre des Lacédémoniens, fut portée à Delphes comme toutes les autres ; la Pythie répondit tout ce que Cléomène voulut, et Démarate, sacrifié à la vengeance de son collègue, perdit injustement la couronne. Peu de temps après Cléomène mourut, ayant tourné ses propres mains contre lui ; car dans un de ces accès de fureur auxquels il était sujet, il prit son épée et se la passa au travers du corps. Les Argiens regardèrent ce genre de mort comme une juste punition de la cruauté qu'il avait exercée contre ces malheureux suppliants qui s'étaient réfugiés dans le bois sacré d'Argus; les Athéniens, comme le chàtiment de l'impiété qui lui avait fait profaner l'Orgade; et ceux de Delphes, comme un effet de la colère d'Apollon, qui voulait le punir d'avoir corrompu sa prêtresse pour ôter la couronne à Démarate. En effet, ce n'est pas le premier exemple de la vengeance que les héros et ses dieux ont tirée des hommes. Protésilas, qui est honoré à Eleunte, et qui en son temps n'était pas un héros moins célèbre qu'Argus, punit lui-même le perse Artayctès, et depuis que les Mégaréens ont osé s'approprier et cultiver des terres consacrées aux divinités d'Eleusis, ils n'ont jamais pu appaiser leur colère. A l'égard de l'oracle de Delphes, nous savons qu'avant Cléomène, nul autre n'avait eu la hardiesse de le corrompre. Ce prince (Cléomène) n'ayant point laissé d'enfants mâles, le royaume passa à Léonidas, fils d'Anaxandride et propre fière de Dorieüs. Vers ce temps-là Xerxès avec une multitude innombrable d'hommes fit une irruption en Grèce, et Léonidas avec trois cents Lacédémoniens alla l'attendre au pas des Thermopyles. On sait que les Grecs ont eu plusieurs guerres avec les barbares, et que les barbares en ont eu encore plus entr'eux ; mais il est aisé de compter celles dont la gloire et le succès ne sont dus qu'à la valeur d'un seul homme, comme la guerre de Troye, heureusement terminée par le courage d'Achille, et la fameuse journée de Marathon qui rendit le nom de Miltiade célèbre à jamais. Après tout je ne sais pour moi si dans les siècles passés il y a eu rien de comparable au merveilleux exploit de Léonidas; car Xerxès fut le plus puissant et le plus ambitieux roi que les Mèdes et les Perses aient jamais eu, il couvrait la terre de ses bataillons; et Léonidas avec ce peu d'hommes qu'il menait, l'arrêta tout court, de manière que Xerxès, bien loin de brûlerAthènes comme il fit, n'aurait pas seulement vu la Grèce, sans un malheureux Trachynien qui conduisit Hydarnès par un sentier du mont Œta; ainsi Léonidas à la fin se vit enveloppé de tous côtés, et ce ne fut qu'après l'avoir tué lui et tous les siens, que les barbares pénétrèrent en Grèce. Après lui, Pausanias, fils de Cléombrote ne régna pas à la vérité; mais en qualité de tuteur du jeune Plistarque, fils de Léonidas, il commanda les Lacédémoniens au combat de Platée, et ensuite les embarqua pour les mener sur l'Hellespont. Une de ses plus belles actions, et qui mérite le plus de louanges à mon gré, est celle que je vais dire. Pharandate, fils de Téapis avait enlevé une belle personne de l'isle de Cos, fille d'Hégétoridas, homme de qualité, et petite-fille d'Antagoras, et ce Perse la tenait malgré elle au nombre de ses concubines : Mardonius et les barbares qu'il commandait ayant été taillés en pièces à Platée, Pausanias trouva cette belle personne dans la tente de Pharandate, et la renvoya à ses parents avec tous les présents que le Perse lui avait faits, et généralement tout ce qui lui appartenait. Il ne voulut pas non plus que l'on fît aucun outrage au corps de Mardonius, contre le sentiment de Lampou, qui était un officier de l'isle d'Egine. [3,5] CHAPITRE V. Plistarque, fils de Léonidas, fut à peine sur le trône, qu'il mourut. Plistoanax lui succéda; il était fils de ce Pausanias dont je viens de parler, et qui acquit tant d'honneur au combat de Platée. Plistoanax eut un fils qui eut nom aussi Pausanias, et ce fut lui qui mena une armée dans l'Attique, sous prétexte de se joindre à Thrasybule et aux Athéniens, mais en effet pour affermir la domination des trente tyrans que Lysander avait établis à Athènes; cependant après s'être rendu maître du Pyrée, il ramena ses troupes à Sparte, n'ayant pas jugé à propos d'imprimer au nom Lacédémonien une tache aussi honteuse que celle de confirmer la tyrannie de trente scélérats qui renversaient toutes les lois. Il revint donc sans avoir rien fait de ce qu'on attendait de lui; mais aussitôt ses ennemis le citèrent en justice et l'obligèrent à rendre compte de sa conduite. Or voici comment chez les Lacédémoniens on procède à faire le procès à un roi ; les vingt-huit sénateurs avec les éphores et le roi de l'autre famille composent un tribunal; ce roi pour lors était Agis. Pausanias comparut donc devant ce tribunal ; quatorze sénateurs avec Agis le déclarèrent coupable, tous les autres furent pour lui et le renvoyèrent absous. A quelque temps de-là les Lacédémoniens résolurent de faire la guerre aux Thébains ; j'en dirai la raison lorsque j'en serai à l'histoire d'Agésilas. La guerre étant résolue, ils ne songèrent. qu'à lever des troupes; Lysander, qui devait avoir le commandement de l'armée, alla dans la Phocide, enrôla tout ce qu'il put trouver de gens de bonne volonté; puis sans perdre de temps entra dans la Béotie, et vint mettre le siége devant Haliarte, qui voulait demeurer fidèle aux Thébains. La garnison venait d'être renforcée par quelques détachements d'Athéniens et de Thébains que l'on avait fait filer secrètement dans la ville ; se voyant donc assez nombreuse, elle fit une vigoureuse sortie et se rangea en bataille sous les murs de la ville. Lysander la vint attaquer, mais il fut entièrement défait, et resta sur la place avec un grand nombre des siens. Sur ces entrefaites arrive Pausanias qui de son côté était allé faire des levées chez les Tégéates et en Arcadie. Il ne fut pas plutôt en Béotie qu'il apprit le désastre de Lysander et de son armée, ce qui pourtant ne l'empêcha pas de marcher droit à Thèbes dans le dessein de l'assiéger; mais quand il vit que les Thébains étaient bien résolus à se défendre, que d'ailleurs Thrasybule était sur le point d'arriver avec un secours d'Athéniens, et que ce général n'attendait que le moment du combat pour venir prendre les Lacédémoniens en queue ; alors craignant d'être enveloppé et d'avoir tout à la fois deux armées sur les bras, il changea d'avis, empêcha les troupes de donner, et se contenta de faire avec les Thébains un traité par lequel il lui était permis de donner la sépulture aux Lacédémoniens qui avaient péri sous les murs d'Haliarte. Sa conduite fut encore désapprouvée à Sparte; mais pour moi je ne puis la blâmer; car Pausanias, qui savait que les Lacédémoniens avaient succombé toutes les fois qu'ils s'étaient trouvés entre deux armées ennemies, comme aux Thermopyles et dans l'île Sphactérie, craignit avec raison de donner lieu à une troisième défaite. Cependant comme ses citoyens ne pensaient pas de même, et qu'ils lui faisaient surtout un crime d'être arrivé trop tard en Béotie, il ne crut pas devoir s'exposer à subir un second jugement; il chercha donc un asyle chez les Tégéates, dans le temple de Minerve, dite Aléa. Ce temple a été de tout temps en grande vénération dans tout le Péloponnèse, et ceux qui s'y réfugient y trouvent une entière sureté; c'est ce que les Lacédémoniens éprouvèrent en la personne de Pausanias, et ce qu'ils avaient éprouvé auparavant en celle de Léotychide, comme les Argiens en la personne de Chrysis ; car ces trois illustres criminels s'étant sauvés dans ce temple, ne furent pas même redemandés par leurs supérieurs. Durant l'exil de Pausanias, ses enfants Agésipolis et Cléombrote, tous deux en bas âge, furent sous la tutèle d'Aristodème, leur plus proche parent. Les Lacédémoniens, sous la conduite de ce tuteur, combattirent heureusement près de Corinthe. Dès qu'Agésipolis put gouverner par lui-même, les Argiens furent de tous les peuples du Péloponnèse les premiers à qui il déclara la guerre. Déjà même il marchait au travers du pays des Tégéates pour entrer dans celui d'Argos, lorsque les Argiens lui envoyèrent un héraut pour le prier d'accorder une suspension d'armes en vertu d'un ancien usage que tous lies Doriens observaient réciproquement entr'eux ; mais bien loin d'accorder au héraut ce qu'il demandait, il permit à ses soldats de se débander et de faire le dégât dans la campagne. Un tremblement de terre se fit sentir dans ce temps-là sans qu'il en changeât de résolution, ni qu'il eût envie de rebrousser chemin, quoique jusques-là dans ces occasions les Lacédémoniens et les Athéniens fussent plus susceptibles de peur que tous les autres Grecs. Il campait déjà devant les murs d'Argos, que le tremblement de terre continuait toujours; même quelques-uns de ses soldats furent frappés de la foudre, et le bruit épouvantable du tonnerre dans cette circonstance en effraya si fort quelques autres, qu'ils étaient comme hors d'eux-mêmes. Il fut donc obligé de décamper malgré lui, et tourna ses armes contre les Olynthiens ; dans cette expédition il eut la fortune assez favorable, car il prit plusieurs villes de la Chalcide, et il espérait se rendre maître d'Olynthe, lorsque étant tombé malade il finit ses jours. [3,6] CHAPITRE VI. Agésipolis étant mort sans enfants, Cléombrote lui succéda. Ce fut sous lui que les Lacédémoniens combattirent contre les Béotiens à Leuctres ; combat malheureux où Cléormbrote fut tué des premiers en faisant tout à la fois le devoir de général et de soldat. On remarque que dans les grandes défaites, le démon de la guerre commence, pour l'ordinaire, par faire périr le général, comme l'ont éprouvé par deux fois les Athéniens, qui perdirent Hypocrate, fils d'Ariphon à Delium, dès le commencement de la mêlée, et. ensuite Léosthène dans la Thessalie. Cléombrote laissa deux enfants, dont l'aîné, Agésipolis, ne fit rien de remarquable. Après lui son cadet Cléomène prit possession du royaume. Ce prince eut deux fils, Acrotate et Cléonyme ; mais Acrotate mourut jeune, et son père étant venu à mourir après lui, la couronne fut disputée entre Cléomène, et Aréus, fils d'Acrotate. Le sénat se fit juge de leur différend, et conservant à Aréus son droit d'aînesse, le reconnut pour roi légitime. Cléonyme fut si piqué de cette préférence, que les éphores ne purent jamais l'appaiser par quelque dédommagement que ce fût, pas même en lui donnant le commandement des armées, ni l'empêcher de faire éclater son ressentiment contre sa patrie. Il en rechercha toujours les occasions, mais, surtout, en attirant Pyrrhus, fils d'Eacidas, dans le royaume. Sous le règne d'Aréus, fils d'Acrotate, Antigonus, fils de Démétrius, assiéga Athènes par terre et par mer. Patrocle, parti d'Egypte, vint au secours des Athéniens avec une flotte, et les Lacédémoniens y volèrent aussi, ayant Aréus à leur tête. Mais Antigonus avait tellement bloqué la ville, que nul secours n'y pouvait entrer. Patrocle, qui avait remarqué d'abord cette disposition, dépêcha aussitôt un courier à Aréus et aux Lacédémoniens, pour leur dire de livrer combat à Antigonus, et que dès que le combat serait engagé, il ne manquerait pas de prendre en queue les Macédoniens ; qu'autrement il ne s'exposerait pas à combattre contre l'infanterie macédonienne avec ses troupes, qui étaient des Egyptiens, et gens de mer pour la plupart. Les Lacédémoniens brûlant du désir de se signaler, et plein aussi de bonne volonté pour les Athéniens, souhaitaient passionnément d'en venir aux mains; mais Aréus voyant que les munitions et les vivres commençaient à lui manquer, s'en retourna, et ne jugea pas à propos de faire un coup de désespéré dans une occasion où il s'agissait non de sauver l'état, mais de secourir ses alliés. Quant aux Athéniens, ils firent une si belle défense qu'Antigonus fut obligé de traiter avec eux ; il se contenta de mettre garnison dans le Musée, encore la retira-t-il de lui-même quelque temps après. Aréus laissa un fils, qui eut nom Acrotate, et qui fut père d'Aréus second; celui-ci mourut de maladie, âgé de huit ans ; de sorte qu'il ne restait de la postérité masculine d'Euristhène que Léonidas, fils de Cléonyme, qui même était déjà dans un âge fort avancé; mais les Lacédémoniens ne laissèrent pas de lui déférer la couronne. Léonidas eut un ennemi mortel en la personne de Lysander, petit-fils de ce Lysander qui eut pour père Aristocrite ; ce dangereux ennemi gagna Cléombrote, qui avait épousé la fille de Léonidas, et s'étant lié d'amitié avec lui il l'engagea à accuser son beau père de plusieurs crimes, mais entr'autres d'avoir juré dès sa jeunesse, à Cléonyme son père, que s'il venait jamais à régner, il perdrait l'état. Léonidas arant succombé à cette accusation, fut contraint d'abdiquer, et Cléombrote occupa le trône en sa place. ll faut avouer que si ce Prince s'était laissé emporter à son ressentiment, et qu'à l'exemple de Démarate, fils d'Ariston, il se fût retiré en Macédoine ou en Egypte, les Lacédémoniens venant à se repentir de leur légèreté, n'auraient pu rien faire en sa faveur; mais chassé du trône et de ses états par ses propres citoyens, il alla passer le temps de son exil en Arcadie, et sa bonne conduite fut cause que ces mêmes citoyens non seulement le rappellèrent en sa patrie, mais lui remirent la couronne sur la tête. Son fils et son successeur fut Cléomène: ce que l'audace et le courage lui inspirèrent, et comment le royaume de Sparte prit fin en lui, c'est ce que j'ai ci-devant raconté en parlant d'Aratus de Sicyone; j.'ai même dit de quel genre de mort il avait fini ses jours en Égypte. En un mot, Cléomène, fils de Léonidas, fut le dernier de la branche royale d'Euristhène, et le dernier aussi de ces rois que l'on nommait Agides. [3,7] CHAPITRE VII. A l'égard des rois de l'autre branche, voici à peu prés ce que I'on en sait. Proclès, fils d'Aristodème, eut un fils qui eut nom Soüs, et qui fut père d'Eurypon. Cet Eurypon se rendit si illustre, que les rois de cette maison, qui auparavant s'appelaient Proclidès, furent appelés ensuite de son nom Eurypontides. Prytanis fut fils et successeur d'Eurypon; sous son règne les Lacédémoniens se brouillèrent avec les Argiens, et avant même que d'avoir aucun grief contre eux, ils avaient déjà fait la guerre aux Cynuréens, situés sur les confins des états d'Argos. Sous les règnes suivants, je veux dire sous celui d'Eunomus, fils de Prytanis, et sous celui de Polydecte, fils d'Eunomus, Sparte fut toujours en paix; mais Charillus, fils de Polydecte, entra sur les terres des Argiens, y mit tout à feu et à sang; et quelques années après, sous la conduite du même prince, les Lacédémoniens tournèrent leurs armes contre les Tégéates, persuadés par un oracle assez captieux qu'ils se rendraient maîtres de leur pays, et qu'ils l'enlèveraient aux Arcadiens. Charillus étant mort, Nicardre, son fils, lui succéda; ce fut de son temps que Téléclus, roi de l'autre branche, fut tué par les Messéniens dans le temple de Minerve dit Limnade. Ce même Nicandre ravagea aussi les terres des Argiens et leur causa des maux infinis. Les Asinéens, qui avaient eu part à cette expédition payèrent dans la suite aux Argiens la peine de leur infidélité par l'entière destruction de leur ville, et par l'abandon qu'ils en firent. Théopompe, fils de Nicandre, fut son successeur: j'aurai occasion cle parler de lui plus d'une fois, lorsque le fil de ma narration m'aura conduit à l'histoire des Messéniens. Il y eut sous son règne un combat entre les Lacédémoniens et les Argiens, au sujet des limites du canton de Thyrée. Théopompe, accablé de vieillesse et de chagrin ne se trouva pas à ce combat; il venait de perdre son fils Archidame, qui heureusement en laissait un, nominé Zeuxidame, lequel fut père d'Anaxidame. Sous le règne de ce dernier les Messéniens vaincus encore une fois par les Lacédémoniens, furent enfin obligés d'abandonner le Péloponnèse. D'Anaxidame naquit Archidame, et d'Archidame, Agésiclès ; ils furent assez heureux l'un et l'autre pour maintenir leurs peuples en paix, et ne voir leurs règnes troublés par aucune guerre. Ariston, fils et successeur d'Agésiclès, épousa la plus belle personne que l'on eût vue à Sparte depuis Hélène, mais aussi la plus débauchée et la plus méprisable ; cette princesse accoucha d'un fils à sept mois; un esclave étant venu en apporter la nouvelle au roi comme il était au conseil avec les éphores, il dit que cet enfant ne pouvait être de lui ; sans doute il ne se souvenait pas des vers de l'Iliade d'Homère au sujet de la naissance d'Euristhée, ou peut-être ne les avait-il jamais sus. Quoi qu'il en soit, cette parole lui coûta cher dans la suite; car Démarate, qui était cet enfant, en perdit la couronne ; il ne lui servit de rien de s'être fait une grande réputation à Sparte, ni même d'avoir, de concert avec Cléomène, affranchi les Athéniens de la domination des enfants de Pisistrate ; s'étant brouillé depuis avec Cléomène, le discours du père fut relevé, Démarate passa pour bâtard et se vit obligé de quitter le trône. Il passa de dépit à la cour de Darius, et l'on dit que sa postérité s'est maintenue Iongtemps chez les Perses. Léotychide, qui régna après lui, se joignit à Xantippe, fils d'Ariphron et général des Athéniens, pour le seconder dans son entreprise sur Mycalé; ensuite il marcha en Thessalie contre les Aléuades, et comme il n'avait jamais combattu sans remporter la victoire, il lui eût été aisé de conquérir toute la Thessalie ; mais les Aléuades le gagnèrent par des présents; et quand il fut de retour à Sparte, ou lui fit son procès ; de sorte que ne s'y croyant pas en sûreté, il alla chercher un asyle à Tégée, dans le temple de Minerve Aléa. Ce ne fut pas le seul malheur qui lui arriva, car il perdit son fils Zeuxidame, qu'une maladie emporta à la fleur de son âge; ainsi Archidame, fils de celui-ci, se vit appelé à la couronne du vivant même de son aieul, et pendant qu'il était refugié chez les Tégéates. Le règne d'Archidame fut fatal aux Athéniens, car tous les ans ce prince faisait des courses dans l'Attique et ravageait tout le plat pays ; il assiéga même Platée et la prit, pour punir les habitants de leur attachement à la république d'Athènes; mais ce ne fut point lui qui alluma la guerre du Péloponnèse contre les Athéniens, au contraire, il s'y opposa toujours. Ce fut Sténélaïdas, homme puissant à Sparte, et l'un des éphores, qui conseilla cette guerre; guerre malheureuse qui ébranla toute la Grèce dans le temps qu'elle était encore ferme sur ses fondements; d'où il arriva que Philippe, fils d'Amyntas, la trouvant divisée et affaiblie, n'eut pas de peine à lui porter des coups mortels. [3,8] CHAPITRE VIII. Archidame laissa deux fils, Agis et Agésilas, dont le premier, en qualité d'aîné, lui succéda ; il laissa ensuite une fille nommée Cynisca, qui fit célèbre par le courage qu'elle eut de disputer le prix aux jeux olympiques ; c'est la première personne de son sexe que l'on ait vue curieuse de nourrir des chevaux, et la première qui ait été couronnée à Olympie ; plusieurs femmes depuis, et entr'autres quelques macédoniennes ont eu aussi cet honneur; mais Cynisca les a de beaucoup surpassées. Quant à la poésie et aux louanges qu'elle sait donner, il me semble qu'il n'y a point de peuples au monde qui s'en soient moins souciés que les Spartiates; car sans une épigramme que l'on s'avisa de faire sur l'illustre fille d'Archidame, et quelques vers que Simonides fit sur un trépied consacré dans le temple de Delphes par Pausanias, jamais roi de Lacédémone n'eût été célébré par aucun poète. Sous le règne d'Agis les Lacédémoniens eurent à se plaindre des Eléens en beaucoup de choses, mais surtout de ce qu'ils leur avaient interdit les jeux olympiques, et même l'entrée du temple de Jupiter à Olympie. Ils envoyèrent donc aux Eléens un héraut pour leur dire qu'ils eussent à se départir de l'empire qu'ils avaient usurpé sur les Lépréates et sur d'autres peuples leurs voisins, et qu'à l'avenir ils les laissassent vivre selon leurs lois. Les Eléens répondirent qu'aussitôt que Sparte aurait rendu la liberté à ses propres voisins, ils en useraient de même à l'égard des leurs. Les Lacédémoniens offensés de cette réponse, entrèrent en Elide, sous la conduite du roi Agis; ils s'étaient déjà avancés vers Olympie et jusques sur les bords du fleuve Alphée, lorsqu'un tremblement de terre les obligea de retourner sur leurs pas ; mais l'année suivante, Agis, à la tête d'une armée, rentra dans le pays et y fit un butin considérable. En ce temps-là même un Eléen, nommé Xénias, fort attaché aux Lacédémoniens par les liens de l'hospitalité, et en particulier à Agis, d'ailleurs ennemi déclaré du peuple, excita ure sédition dans la ville, et il fut appuyé de quelques riches habitants qu'il avait mis dans son parti ; mais avant qu'Agis pût s'approcher avec ses troupes, Thrasydée, que les Eléens avaient élu pour chef, fit main-basse sur les séditieux, en tira un bon nombre, et chassa les autres de la ville. Agis ayant manqué son coup, s'en retourna à Sparte, après avoir laissé un détachement à Lysistrate, un de ses lieutenants-généraux, qui avec ces mauvais citoyens que l'on avait chassés de leur patrie, et avec le secours des Lépréates, continua à ravager l'Élide, et à y exercer toutes sortes d'hostilités. Enfin la troisième année de cette guerre, les Eléens voyant qu'Agis et les Lacédémoniens venaient les attaquer avec de plus grandes forces qu'auparavant, et n'étant nullement en état de résister, ils prirent le parti de se soumettre, et obtinrent la paix aux conditions suivantes : Que leur ville serait démantelée ; qu'ils se désisteraient de l'empire qu'ils avaient usurpé sur leurs voisins ; qu'à l'avenir les Lacédémoniens auraient une libre entrée dans le temple de Jupiter à Olympie; qu'ils y pourraient même sacrifier, et qu'ils seraient reçus non seulement à assister aux jeux olympiques, mais à y disputer le prix comme les autres. La paix faite, Agis tourna aussitôt ses armes contre l'Attique, et commença par bâtir un fort à Décélée pour tenir en bride les Athéniens; puis il défit leur flotte auprès d'Egespotame; ensuite lui et Lysander, fils d'Aristocrite, au mépris du traité que Sparte avait fait avec Athènes, de leur propre mouvement et de concert avec leurs alliés, résolurent de détruire Athènes jusqu'aux fondements. Voilà quels furent les exploits militaires du roi Agis. Il eut un fils, nommé Léotychide, au sujet duquel il fit la même faute qu'Ariston avait fuite avant lui au sujet de Démarate; car poussé de je ne sais quelle manie, il fut assez étourdi pour dire aussi, en présence des éphores, qu'il ne croyait pas être le père de Léotychide, étourderie dont il est certain qu'il se repentit ensuite; car étant tombé malade en Arcadie, malgré l'envie qu'il avait de regagner Sparte, il fut obligé de s'arrêter à Hérée, où, en présence de beaucoup de gens, il protesta qu'il ne doutait nullement qu'il ne fût le père de Léotychide, et conjura les assistants de rendre ce témoignage aux Lacédémoniens ; mais lui mort, Agésilas ne laissa pas de disputer le trône à Léotychide et de l'emporter sur lui, en faisant souvenir le peuple des propres paroles d'Agis, quoique Léotychide eût de son côté plusieurs Arcadiens venus d'Hérée, qui attestaient le serment qu'Agis avait fait en mourant. Un oracle de Delphes semblait autoriser l'un et l'autre prétendant, et rendait le public encore plus attentif à leur querelle ; cet oracle disait qu'à quelque degré de gloire que Sparte fût parvenue, elle se donnât bien de garde de se laisser gouverner par un roi boiteux, si elle ne voulait tomber dans les derniers malheurs; sur quoi Léotychide s'écriait qu'Apollon lui-même donnait l'exclusion à Agésilas, puisqu'il était boiteux ; et Agésilas répondait que c'était clocher bien davantage, que d'être bâtard. Les Lacédémoniens qui pouvaient renvoyer cette dispute à l'oracle de Delphes, ne le firent pas, et je crois qu'ils en furent détournés par Lysander, fils d' Aristocrite, qui voulait faire tomber la couronne sur la tête d'Agésilas. [3,9] CHAPITRE IX. Agésilas, fils d'Agésilas, régna donc à Sparte. De son temps, il plut aux Lacédémoniens de porter la guerre en Asie, et d'aller attaquer Artaxerxès, fils de Darius, sur ce qu'ils apprirent par ceux qui étaient à la tête des affaires, et surtout par Lysander, que c'était Cyrus et non pas Artaxerxès qui leur avait envoyé des secours d'argent dans la guerre qu'ils avaient eue contre les Athéniens. Ils donnèrent ordre à Agésilas d'équiper une flotte et le déclarèrent généralissime des troupes de terre. Aussitôt Agésilas dépêche à tous les peuples du Péloponnèse, excepté aux Argiens et à ceux qui étaient hors de l'isthme, pour les inviter à entrer dans cette guerre et à marcher sous ses enseignes. Les Corinthiens auraient bien voulu prendre part à cette expédition, mais ils en furent empêchés par un débordement de la mer qui venait de ruiner leur temple de Jupiter olympien; car ayant regardé cet accident comme un mauvais augure, ils se tinrent en repos malgré eux. Quant aux Athéniens, ils répondirent que leur ville était tellement épuisée par la guerre du Péloponnèse et par la peste, qu'elle avait besoin de temps pour se remettre de ses pertes, et n'était pas en état de rien entreprendre; c'est le prétexte qu'ils prirent : mais la vraie raison qui les empêcha de se liguer avec les Lacédémoniens, c'est qu'ils étaient bien informés que Conon, fils de Timothée, était allé offrir ses services au roi de Perse. Aristoménidas, aïeul maternel d'Agésilas, avait été député vers les Thébains comme un homme qui devait leur être agréable, et l'un de ceux qui à la prise de Platée, avaient opiné à passer tous les habitants au fil de l'épée; cependant, les Thébains en usèrent comme les Athéniens, et dirent qu'ils ne pouvaient contribuer d'aucun secours. Mais Agésilas ne laissa pas de lever une nombreuse armée. Dès qu'il eut rassemblé ses troupes, Lacédémoniens et alliés, et qu'il vit sa flotte prête, il se rendit en Aulide, pour y sacrifier à Diane, comme avait fait Agamemnon avant que de partir pour Troye; car il sentait fort bien qu'il régnait dans un état plus florissant que n'avait été celui d'Agamemnon, et ne croyait pas moins que lui commander à toute la Grèce ; d'ailleurs espérant de vaincre Artaxerxès et de s'emparer des richesses immenses des Perses, il comptait bien de faire un exploit tout autrement glorieux que celui d'avoir conquis le royaume de Priam. Comme il sacrifiait à la déesse, voilà des Thébains qui entrent dans le temple les armes à la main, qui troublent le sacrifice; qui jettent les entrailles de la victime déjà fumantes sur l'autel et qui font sortir Agésilas; ce lui fut un sensible déplaisir de n'avoir pu achever son sacrifice, mais il ne laissa pas de monter sur la flotte et de faire voile en Asie ; le premier endroit où il débarqua fut Sardes. Alors la Lydie faisait une grande partie de la basse Asie et la capitale de la Lydie était Sardes, ville opulente et abondamment fournie en tout. Le satrape qui commandait pour le roi sur toute la côte maritime, avai à Sardes un palais qui ne le cédait en rien à celui même que le roi avait à Suze. ce satrape était Tissapherne. Agésilas lui livra bataille sur les confins d'Ionie, dans la plaine d'Hermus, et non seulement il enfonça sa cavalerie mais il défit entièrement son infanterie, qui était si nombreuse qu'il ne s'était peut-être jamais trouvé tant de troupes ensemble depuis la prodigieuse armée que Xerxès mena contre les Athéniens, et celle que Darius avait menée auparavant contre les Scythes. Un succès si rapide fut admiré à Sparte et l'on fut si content d'Agésilas qu'on le fit aussi général de l'armée navale; cependant comme l'armée de terre l'occupait tout entier il donna le commandement de la flotte à Pisandre, dont il avait épousé la soeur. Mais je ne sais quel démon jaloux de sa gloire l'arrêta au milieu de sa course et lui fit manquer son entreprise; car le roi de Perse ayant appris qu'Agésilas, après avoir remporté des avantages si considérables, méprisait ce qu'il tenait, pour ainsi dire, dans ses mains, et marchait toujours en avant, condamna premièrement Tissapherne à perdre la vie, malgré les faveurs dont il l'avait comblé jusqu'alors; puis, il mit à sa place Tithraustès, homme de tête et de ressource, d'ailleurs ennemi juré des Lacédémoniens. Ce nouveau satrape ne fut pas plutôt à Sardesqu'il imagina des moyens pour obliger les Lacédémoniens à rappeler d'Asie leur général; il envoya d'abord en Grèce un Rhodien, nommé Timocarte, avec de grosses sommes d'argent, pour gagner tous ceux qui avaiant du crédit dans leurs villes, et les engager à soulever le pays contre les Spartiates. Ceux qui touchèrent l'argent des Perses sont connus; on nomme, parmi les Argiens, Cylon et Sodamas; parmi les Thébaisn, Androclidès, Isménias et Amphithémis; à Athènes, il y eut Céphalus et Epicrate; à Corinthe, tous ceux qui étaient dans les intérêts des Argiens, entr'autres Polyanthe et Timolas; mais les Locriens d'Amphisse furent ceux qui levèrent l'étendard; car, comme ils étaient en différend depuis longtemps avec les Phocéens, au sujet de leurs limites, à l'instigation des Thébains de la faction d'Isménais, ils allèrent couper les bleds sur les terres des Phocéens, avant la moisson et les emportèrent chez eux; les Phocéens, pour user de représailles, entrèrent à leur tour dans le pays des Locriens et y firent de grands désordres. Alors les Locriens, appuyés des Thébains, se vengèrent non plus par de simples excursions, mais en portant le fer et le feu dans la Phocide. Aussitôt les Phocéens envoyèrent des députés à Sparte pour y porter leurs plaintes contre les Thébains, et pour représenter les hostilités et les insultes qu'ils en essuyaient tous les jours. Les Lacédémoniens, touchés de ces plaintes, résolurent de déclarer la guerre aux Thébains ; ils publièrent un manifeste où ils alléguaient plusieurs griefs, surtout l'injure que les Thébains avaient faite à Agésilas en troublant son sacrifice et en le chassant du temple. D'un autre côté, les Athéniens sachant ce qui avait été résolu à Sparte, nommèrent aussitôt des ambassadeurs qui eurent ordre d'aller prier les Spartiates de vouloir bien terminer leur guerre avec les Thébains, plutôt par la voie de la justice que par la voie des armes ; mais ces ambassadeurs, bien loin de rien gagner, furent renvoyés avec des marques de mépris et de colère ; ce qui s'en ensuivit, quelles furent les entreprises des Lacédémoniens, et comment Lysander périt dans une de leurs expéditions, c'est ce que j'ai déjà raconté en parlant de Pausanias. Cette guerre, que l'on nomme la guerre de Corinthe, et dont les suites furent si funestes, n'eurent point d'autre origine que l'irruption des Lacédémoniens en Béotie. Ce fut aussi ce qui obligea enfin Agésilas à quitter l'Asie pour venir au secours de ses propres citoyens. Lorsqu'il eut passé d'Abyde à Seste avec sa flotte, comme il se préparait à prendre son chemin par la Thrace, pour gagner la Thessalie, les Thessaliens, qui ne voulaient pas manquer l'occasion de faire plaisir aux Thébains, et qui depuis longtemps étaient liés d'amitié avec les Athénièns, firent tout ce qu'ils purent pour lui fermer les passages; mais il sut se les ouvrir en taillant en pièces la cavalerie thessalienne. Ensuite, ayant encore défait les Thébains et leurs alliés auprès de Chéronée, il marcha sans obstacle à travers la Béotie. Après cette déroute, plusieurs Béotiens se sauvèrent dans le temple cle Minerve Ithonia, et Agésilas, qui avait été blessé dans le combat, ne laissa pas que de respecter cet asyle. [3,10] CHAPITRE X. Peu de temps après, ceux des Corinthiens qui avaient été chassés de la ville comme partisans des Lacédémoniens, célébrèrent les jeux isthmiques; à l'égard des autres, ils se tinrent renfermés dans leurs murs à cause de la crainte qu'ils avaient d'Agésilas mais dès qu'ils le virent éloigné, ils célébrèrent les mêmes jeux avec les Argiens. Incontinent après, Agésilas revint avec son armée; cependant comme la fête Hyacinthia approchait, il renvoya les Amicléens chez eux afin qu'ils puissent solemniser; à la manière de leur pays, cette fête qui est instituée en l'honneur d'Apollon et d'Hyacinthe, mais ils n'allèrent pas jusqu'à Amicle, car ayant été malencontreusement rencontrés par Iphicrate, qui commandait l'armée Athénienne, ils furent taillés en pièces. Après cet échec, Agésilas marcha au secours des Etoliens, qui étaient extrèmement pressés par les Acarnaniens. A son arrivée, tout changea de face; les Acarnaniens furent obligés de mettre les armes bas, lorsqu'ils étaient à la veille de prendre Calydon et plusieurs autres villes d'Etolie. Ensuite il fit voile en Egypte pour secourir les Egyptiens contre le roi de Perse, dont ils avaient quitté l'alliance. Là, il fit plusieurs grandes et mémorables actions, mais comme il était fort vieux, il y finit ses jours. Son corps fut rapporté à Sparte, et les Lacédémoniens lui firent des funérailles beaucoup plus magnifiques qu'ils n'avaientt encore fait à aucun de leurs rois. Son fils, Archidame, lui succéda; sous son règne, les Phocéens se rendirent maître du temple d'Apollon à Delphes; ils y trouvèrent des richesses immenses qui les mirent en état de soudoyer des troupes étrangères et de faire la gurre aux Thébains avec leurs propres forces. Les Lacédémoniens et les Athéniens ne laissèrent pas de leur donner de puissants secours; ceux-ci, par reconnaissance des services qu'ils avaient autrefois reçus de ces peuples et ceux-là pour la haine qu'ils portaient aux Thébains, haine qu'ils coloraient du prétexte de leur ancienne alliance avec els Phocéens. Cependant Théopompe, fils de Damasistrate, a écrit que véritablement Archidame se portait de lui-même à cette guerre, mais qu'il y avait encore été excité par Dinicha, sa femme, que les Phocéens avaient gagné à force d'argent et de présents. Que ce prince ait eu sa part d'un argent sacré et qu'il se soit fait le défenseur de gens qui avaient détruit et pillé le plus célèbre temple de l'univers, c'est ce que pour moi je n'approuve point; mais du moins Archidame est-il louable en une chose; c'est que les Phocéens voulant passer au fil de l'épée tout ce qu'il y avait de jeunes hommes à Delphes, faire esclaves tous les autres, femmes et enfants, et raser entièrement la ville, il s'opposa à ce cruel dessein et en empêcha l'exécution. A quelque temps de-là, il passa en Italie au secours des Tarentins, qui faisaient la guerre à des barbares dont le voisinage leur était fort incommode. Il combattit ces barbares, et fut tué dans le combat; son corps demeura même sans sépulture, par un effet de la colère d'Apollon, qui ne lui avait pas pardonné la profanation de son temple. Archidame laissa deux fils; l'aîné, qui était Agis, lui succéda et fût tué en combattant contre Antipater, roi de Macédoine. Le cadet, nommé Eudamidas, régna paisiblement après lui, et fut père d'un autre Agis, qui eut pour fils Eurydamidas. J'ai raconté les aventures de l'un et de l'autre en traitant l'histoire des Sicyoniens. Quand on est descendu de ce lieu dont j'ai parlé, et que l'on nomme les Hermès, on trouve un bois planté de chêne, qu'ils appellent le Scotitas, non à cause de son obscurité, comme on le pourrait croire, mais parce que dans ce petit canton, Jupiter est honoré sous le nom de Jupiter Scotitas, et qu'il a son temple sur la gauche, à dix stades du grand chemin. En reprenant ce grand chemin et en avançant un peu, on trouve encore sur la gauche une statue d'Hercule et un trophée; la tradition est qu'Hercule érigea lui-même ce trophée après qu'il eut tué Hippocoon et ses enfants. Au troisième détour, à main droite, vous verrez un sentier qui mène à Caryes et à un temple de Diane; car tout ce lieu-là est consacré à Diane et aux nymphes; on y voit même une statue de Diane Caryatis qui est exposée à l'air, et autour de laquelle toutes les filles de Sparte viennent danser à certains jours de l'année, car ces danses sont pour elles un acte de religion. De-là, rentrant dans le grand chemin, vous n'aurez pas fàit quelques pas, que vous appercevrez les ruines de Sélasie ; cette ville, comme j'ai déjà dit, fut détruite par Aratus, après la victoire qu'il remporta sur les Lacédémoniens, et sur leur roi Cléomène. Ensuite vous arrivez sur le bord du Thornax ; là il y a une statue d'Apollon Pythaeüs, faite sur le modèle de celle qui est à Amycle, dont je vais bientôt parler; mais les Lacédémoniens ont eu plus de dévotion pour cette dernière, ayant employé à l'orner les richesses que Croesus, roi de Lydie, leur avait données pour l'ornement de la première. [3,11] CHAPITRE XI. En descendant du Thornax, vous avez devant vous la ville de Sparte, qui s'est toujours ainsi appelée dès sa fondation, mais qui dans la suite a eu aussi le nom de Lacédémone, parce que c'était le nom du pays. Or, comme avant que d'entreprendre la description de l'Attique, j'ai déclaré que je ne m'arrêterais pas à tout ce que je trouverais en mon chemin, mais seulement aux choses qui me paraîtraient les plus dignes de mémoire et les plus curieuses, je crois devoir en user de même à l'égard de Lacédémone; car si dès le commencement de ma narration, entre plusieurs traditions il m'a fallu faire choix des plus plausibles, parce que chaque peuple a les siennes qu'il met en vogue le plus qu'il peut; comme il en est encore de même ici, je ne dois rien changer à une conduite qui m'a semblé raisonnable. A Sparte donc il y a beaucoup de choses dignes de curiosité ; en premier lieu la place publique, où se tient le sénat des vieillards, le sénat de ceux qui sont les conservateurs des lois, le sénat des éphores et le sénat de ces magistrats qu'ils appellent Bidiéens. Le sénat des vieillards est le souverain tribunal des Lacédémoniens et celui qui règle toutes les affaires d'état. Les autres sénateurs sont, à proprement parler, des archontes; les éphores sont au nombre de cinq, et les Bidiéens de même; ceux-ci sont commis pour veiller sur les jeunes gens, et pour présider à leurs exercices, soit dans ce lieu qu'ils nomment le Plataniste, soit partout ailleurs ; ceux-là sont chargés de soins plus importants ; et chaque année ils en nomment un d'entr'eux qui préside aux autres, et dont le nom sert à marquer l'année, de la même manière qu'à Athènes les neuf, car ainsi les appelle-t-on, élisent un d'eux, qui a le nom d'archonte par excellence. Le plus bel édifice qu'il y ait dans la place, c'est le portique des Perses, ainsi nommé parce qu'il a été bâti des dépouilles remportées sur les Perses; dans la suite on l'a beaucoup agrandi et orné, pour le faire de la magnificence dont il est aujourd'hui. Tous Ies chefs de l'armée des barbares, et entr'autres Mardonius, fils de Gobryas, ont là chacun leur statue de marbre blanc, et ces statues sont sur autant de colonnes. On y voit aussi la statue d'Artémise, fille de Lygdamis et reine d'Halycarnasse; on dit que cette reine, de son propre mouvement, joignit ses forces à celles de Xerxès, pour faire la guerre aux Grecs, et que dans le combat naval qui fut donné auprès de Salamine, elle fit des prodiges de valeur. Après le portique des Perses, ce qu'il y a de plus beau à voir dans cette place, ce sont deux temples, dont l'un est consacré à César, qui le premier voulut régner sur les Romains, et changea la forme de leur gouvernement; l'autre à Auguste, son fils, qui affermit la monarchie et acquit encore plus de gloire et d'autorité que son père. Ce prince fut nommé Auguste, terme qui répond parfaitement au "Sebastos" des Grecs. On vous fera remarquer sur son autel une figure d'Agias, gravée sur du cuivre ; c'est cet Agias qui prédit à Lysander qu'il se rendrait maître de toute la flotte d'Athènes à Egespotame, à la réserve de dix galères, qui en effet se sauvèrent en Chypre; toutes les autres furent prises par les Lacédémoniens avec les soldats et les matelots qui étaient dessus., Agias était fils d'Agéloque, et petit-fils de Tisamène. Pour Tisamène, il était d'Élis, de la famille des Jamides ; un oracle prononcé en sa faveur lui promit qu'il sortirait victorieux de cinq combats célèbres; il crut que ces paroles devaient s'entendre du pentathle ; mais après avoir remporté le prix de la course et du saut sur Hiéronyme d'Andros aux jeux olympiques, il succomba à la lutte. Ce fut alors qu'il comprit le sens de l'oracle et qu'il commença à espérer que la victoire se déclarerait pour lui jusqu'à cinq fois à la guerre. Les Lacédémoniens qui avaient connaissance de cet oracle, persuadèrent à Tisamène de quitter Elis, et de venir chez eux pour les assister de ses conseils et de ses prédictions; Tisamène fit ce qu'ils souhaitaient, et les Lacédémoniens crurent lui avoir obligation de cinq grandes victoires, dont ils remportèrent la première à Platée sur les Perses; la seconde à Tégée, lorsqu'ils combattirent contre deux peuples confédérés, les Argiens et les Tégéates; la troisième à Dipée, dans cette guerre où ils eurent sur les bras tous les Arcadiens, excepté ceux de Mantinée; Dipée est une ville de la Mélanie, et de la dépendance de Tégée ; la quatrième sur ceux des Hilotes, qui après le tremblement de terre arrivé à Sparte, étaient allés avec les Ethéensse cantonner à Ithome, car tous les Hilotes ne se révoltèrent pas, mais seulement les Messéniens de nation, qui dès le commencement s'étaient séparés des autres Hilotes ; c'est un point d'histoire que j'expliquerai dans la suite; quant à présent., il suffit de dire que les Lacédémoniens, par respect pour un oracle de Delphes, et pour les avis de Tisamène, donnèrent la vie à ces fugitifs sous de certaines conditions; la cinquième, enfin, lorsque les Lacédémoniens combattirent avec les Argiens et les Athéniens à Tanagre: voilà ce que l'on raconte de Tisamène. Dans la place de Sparte on voit encore trois statues, l'une d'Apollon Pythaeus, l'autre de Diane, et la troisième de Latone. L'endroit où sont ces statues est une enceinte qu'ils appellent du nom de Choeur, parce que dans ces jeux publics auxquels les jeunes gens s'exercent, et qui se célèbrent avec beaucoup de solennité, toute la jeunesse de Sparte va là et forme des choeurs de musique en l'honneur d'Apollon. Près de là sont plusieurs temples, l'un consacré à la Terre, l'autre à Jupiter Agoréus, un autre à Minerve Agoréa, et un quatrième à Neptune surnommé Asphalius. Apollon et Junon ont aussi chacun le leur. Vous verrez encore une grande statue qui représente le peuple de Sparte, et un peu plus bas le temple des Parques. Tout joignant ce temple est le tombeau d'Oreste ; car ses os, en conséquence d'un oracle, furent rapportés de Tégée à Sparte, et déposés en ce lieu-là. Auprès de sa sépulture on vous fera remarquer le portrait du roi Polydore, fils d'Alcamène. Les Lacédémoniens ont tellement distingué cc roi entre tous les autres, qu'encore à présent les actes publics sont scellés de son sceau. Au même lieu il y a un Mercure qui porte un petit Bacchus, et ce Mercure est surnommé Agoréüs. Là sont aussi rangées d'anciennes statues qui représentent les éphores de ces temps-là. Parmi ces statues se voit le tombeau d'Epiménide et celui d'Apharéüs, fils de Périérès. Quant à Epiménide, je crois que les Lacédémoniens en parlent avec plus de vérité que les Argiens. Du côté où sont les Parques vous verrez les salles où les Lacédémoniens prennent ces repas publics qu'ils appellent Phiditia, et là est aussi Jupiter hospitalier et Minerve hospitalière. [3,12] CHAPITRE XII. SI en sortant de la place vous prenez par la rue des Barrières, vous trouverez une maison qu'ils appellent encore aujourd'hui le Boonète. Mais avant que de dire ce que c'est, il est bon d'expliquer d'où la rue même a pris son nom. Ils disent donc qu'Icarius, père de Pénélope, voulant marier sa fille, la proposa pour prix à quiconque surpasserait les autres à la course. Il est certain qu'Ulysse. fut victorieux et qu'il eut Pénélope. La lice où l'on courut était cette rue, et parce qu'elle était fermée de deux barrières, le nom lui en est resté. Après tout, Icarius ne fit en cela que ce que Danaüs avait fait avant lui ; car Danaüs ne pouvant marier ses filles à cause de l'horrible crime qu'elles avaient commis, il fit publier qu'il ne demandait aucuns présents de noces, et qu'il permettait à ses filles d'épouser les hommes qui leur agréeraient le plus. Malgré ces facilités, il se trouva peu de prétendants ; mais à ce peu, il leur proposa de disputer la plus belle de ses filles à la course ; par ce moyen il en maria quelques-unes, et les autres attendirent qu'il se présentât des amants qui voulussent d'elles aux mêmes conditions. A l'égard du Boonète, c'était la maison du roi Polydore. Après sa mort, la reine sa femme vendit cette maison un certain prix, qui fut payé en boeufs ; car alors on ne connaissait ni l'or ni l'argent monnayés ; le commerce consistait en un échange réciproque de choses nécessaires à la vie, et ce que l'on avait acheté, on le payait en boeufs, en esclaves, en un morceau d'or ou d'argent tout brut et nullement affiné. Et encore aujourd'hui, ceux qui vont aux Indes y portent des marchandises de Grèce pour en rapporter de celles des Indes, où l'on ne se sert point d'espèces monnoyées, quoique le pays abonde en mines d'or et de cuivre. Au-dessus du sénat des Bidiéens il y a un temple de Minerve, où l'on dit qu'Ulysse consacra une statue à la déesse, sous le nom de Minerve Céleuthea, comme un monument de la victoire qu'il avait remportée sur les amants de Pénélope, et il fit bâtir sous le même nom trois temples en trois endroits différents. Au bout de la rue des Barrières on trouve une sépulture de héros, entr'autres celle d'Iops, que je crois avoir vécu environ le temps de Lélex et de Mylès, celle encore d'Amphiaraüs, fils d'Oiclès: on dit que ce sont les enfants de Tyndare qui lui ont élevé ce tombeau comme à leur cousin-germain ; celle enfin de Lélex même. Assez près de là est le temple de Neptune, surnommé Tenarius ; aussi n'appellent-ils point ce temple autrement que le Ténare. Près de-là vous verrez une statue de Minerve, qui fut consacrée, disent-ils, par les Lacédémoniens qui allèrent se transplanter en Italie ; et surtout à Tarente. Du même côté, il y a la place Hellénie, ainsi nommée parce que dans le temps que Xerxès passa en Europe, toutes les villes grecques qui prirent les armes contre lui, envoyèrent leurs députés à Sparte, et que ces députés s'abouchèrent là pour aviser aux moyens de résister à une puissance si formidable. D'autres disent que cette dénomination est encore plus ancienne, et qu'elle vient de ce que tous les princes de la Grèce ayant, pour l'amour de Ménélas, entrepris le siège de Troye, ils s'assemblèrent en ce lieu pour délibérer sur cette expédition, et sur les moyens de tirer vengeance de Pâris, qui avait enlevé Hélène. Près de cette place on vous montre le tombeau de Talthybius ; mais ceux d'Egion en Achaïe, ont aussi dans le marché de leur ville un tombeau qu'ils assurent être celui de Talthybius. Quoi qu'il en soit, ce Talthybius fit éprouver sa colère aux Lacédémoniens et aux Athéniens, pour avoir violé le droit des gens en la personne de ces hérauts qui étaient venus demander aux Grecs terre et eau de la part du roi Darius: le châtiment des Lacédémoniens fut général, et parmi les Athéniens, Miltiade, fils de Cimon, eut sa maison rasée, parce qu'il avait conseillé à ses concitoyens de faire périr ces hérauts, lorsqu'ils vinrent à Athènes. Dans le même quartier, vous verrez un autel dédié à Apollon Acritas, un temple de la Terre, lequel ils nomment Gasepton, et un peu au-dessus un autre temple d'Apollon surnommé Maléatès. Quand vous aurez passé la rue de Barrières, tout contre les murs de la ville, vous trouverez une chapelle dédiée à Dictynna, et ensuite les tombeaux de ces rois qui ont été appelés Eurypontides. Auprès de la place Hellénienne il y a le temple d'Arsinoé, qui était fille de Leucippe, et belle-soeur de Castor et Pollux. Du côté des remparts on voit un temple de Diane, et un peu plus loin la sépulture de ces devins qui vinrent d'Elis, et que l'on appelait Jamides. Maron et Alphée ont aussi là leurs temples; c'étaient deux grands capitaines, qui, après Léonidas, signalerent le plus leur courage, au combat des Thermopyles. A quelques pas de là vous voyez le temple de Jupiter Tropéüs, qui fut bâti par les Doriens, après qu' ils eurent subjugué les Achéens, qui étaient alors en possession de la Laconie, et nommément les Amycléens. Mais de tous les temples qui sont à Sparte, le plus révéré est celui de la mère des dieux. Derrière ce temple on vous fera voir le monument héroïque d'Hyppolite, fils de Thésée, et celui d'Aulon, arcadien, fils de Tlésimène. Quelques-uns font Tlésimène, frère de Parthénopée,. qui était fils de Mélanion, et d'autres le font son propre fils. La grande place de Sparte a encore une autre issue, et de ce côté-là on trouve un édifice où les habitants viennent prendre le frais ; aussi l'appellent-ils du nom de Sxias, et c'est le lieu où l'on assemble le peuple encore aujourd'hui. Ils disent que ce bâtiment est un ouvrage de Théodore de Samos, qui le premier trouva l'art de fondre le fer, et d'en faire des statues. C'est à la voûte de cet édifice que les Lacédémoniens suspendirent la lyre de Timothée de Milet, après l'avoir puni de ce qu'aux sept cordes de l'ancienne lyre il en avait - ajouté quatre autres. Près de-là est une rotonde où il y a deux statues, l'une de Jupiter olympien l'autre de Vénus olympienne ; selon eux c'est Epiménide qui l'a fait bâtir; du reste, ils ne conviennent point de ce que les Argiens racontent de lui, et nient même que les Argiens aient jamais fait la guerre aux Gnossiens. [3,13] CHAPITRE XIII. Vous trouvez ensuite le tombeau de Cynortas; fils d'Amyclas, et un peu plus loin celui de Castor avec son temple, qui est tout auprès. Car ils prétendent que Castor et Pollux, tous deux, fils de Tyndare, ne furent mis au nombre des dieux, que quarante ans après le combat où ils se signalèrent contre Lyncée et Ida ; on montre aussi le tombeau de ces deux fils d'Aphareüs auprès de l'édifice dont j'ai parlé, et que l'on nomme Sxias ; cependant il y a plus d'apparence que leur sépulture est chez les Messéniens. Mais les désordres de la guerre et le long espace de temps que ces peuples ont passé hors du Péloponnèse, sont cause qu'après leur retour ils n'ont presque pas reconnu leur propre pays, ni retrouvé plusieurs monuments de l'antiquité qu'ils y avaient laissés ; comme donc ils ne peuvent plus nous en instruire, on a toute liberté de les tenir pour suspects. Auprès de la chapelle de Vénus Olympienne, ont voit un temple de Proserpine conservatrice, bâti, à ce qu'ils disent, par Orphée de Thrace, et selon d'autres, par cet Abaris qui était venu des pays Hyperboréens, Quant à Carnéus surnommé le Domestique, il était honoré à Sparte àvant même le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, et il eut d'abord un oratoire dans la maison du devin Crius, qui était fils de Théoclès; ce Crius était si bien antérieur au retour des Doriens, que leurs coureurs avant rencontré sa fille qui portait de l'eau, ils lièrent conversation avec elle, et la suivirent jusqu'au logis de son père, où ils apprirent de lui comment ils dévaient faire pour se rendre maîtres de Sparte. A l'égard du culte d'Apollon Carnéüs, qui a été embrassé de tous les Doriens, il tire son origine d'un certain Carnus, qui était d'Acarnanie, et qui avait reçu d'Apollon même l'art de deviner ; ce Carnus ayant été tué par Hippotès, fils de Phylas, Apollon frappa de la peste tout le camp des Doriens; Hippotès fut banni pour ce meurtre, et les Doriens appaisèrent les mânes du devin d'Acarnanie par des expiations instituées à ce dessein. Mais le Carnéus que les Lacédémoniens ont surnommé le Domestique est différent, puisqu'il avait déjà son culte à Sparte dans la maison de Crius, lorsque les Achéens étaient encore maîtres de la ville. Praxilla dit dans ses poésies que Carnéus était fils de Jupiter et d'Europe, et qu'Apollon et Latone prirent soin de son éducation. Cependant, d'autres disent que les Grecs, pour construire ce cheval de bois qui fut si fatal aux Troyens, coupèrent une grande quantité de cornouillers sur le mont Ida, dans un bois consacré à Apollon, et que par-là ayant attiré sur eux la colère du dieu, ils instituèrent un culte en son honneur, et du nom de l'arbre qui faisait le sujet de leur disgrace, donnèrent à Apollon le surnom de Carnéüs, en transposant une lettre à la manière des anciens. Auprès de ce temple d'Apollon vous verrez la statue d'Aphétéüs, c'est le nom que porte l'inscription ; comme s'ils avaient voulu faire une divinité qui présidât aux barrières, le jour que les amants de Pénélope devaient entrer en lice et se la disputer à la course. Du même côté, mais un peu au-dessus, vous trouvez des portiques de figure quarrée, où l'on vendait anciennement toutes sortes de merceries. A quelques pas de-là sont trois autels dédiés à Jupiter Ambulius, à Minerve Ambulia, et aux Dioscures qui ont aussi le surnom d'Ambulii. Vis-à-vis est une éminence appelée Colona, où il y a un temple de Bacchus Colonate; ce temple tient presque à un bois qu'ils ont consacré à ce héros qui eut l'honneur de conduire Bacchus à Sparte. Ces femmes, qu'ils appellent Dionysiades et Leucippides, sacrifient même à ce héros avant que de sacrifier au dieu. Outre çes prêtresses, il y a onze autres femmes qui se nomment aussi Dionysiades, et qui tous les ans disputent le prix de la course entr'elles, suivant une coutume qui leur a été suggérée par l'oracle de Delphes. Du temple de Bacchus à celui de Jupiter Evanemus il n'y a pas loin ; et de ce dernier on voit le monument héroïque de Pleuron, dont les enfants de Tyndare descendaient par leur mère; car selon le poëte Asius, Thestius, père de Léda, était fils d'Agénor et petit-fils de Pleuron. Près de-là est une colline où Junon Argiva a un temple, qui a été consacré, dit-on, par Eurydice, fille de Lacédémon et femme d'Acrisius, qui était fille d'Abas; car pour le temple de Junon Hyperchiria, il fut bâti par le conseil de l'oracle, dans le temps que le fleuve Eurotas inondait toute la campagne. On voit dans ce temple une statue de bois d'un goût fort ancien, et qui représente, à ce qu'ils disent,Vénus Junon ; toutes les femmes qui ont des filles à marier font des sacrifices à cette déesse. Sur le chemin qui mène à la colline, on trouve à droite une satue d'un certain Hétoemocle, fils d'Hiposthène ; ce Lacédémonien fut couronné onze fois, pour avoir remporté le prix de la lutte aux jeux olympiques; et son père l'emporta encore sur lui, ayant été couronné douze fois. [3,14] CHAPITRE XIV. Au sortir de la place, si vous allez au couchant, vous verrez le cénotaphe de Brasidas, fils de Tellis, et ensuite le théâtre; il est bâti de marbre blanc, et c'est un très bel édifice. Vis-à-vis du théâtre est le tombeau du roi Pausanias, qui commandait les Lacédémoniens au combat de Platée; la sépulture de Léonidas est tout auprès. Tous les ans on fait les oraisons funèbres de ces grands capitaines, sur leurs tombeaux, et ces oraisons sont suivies de jeux funéraires, où il n'y a que les Lacédémoniens qui soient reçus à disputer le prix. Léonidas est véritablement inhumé en ce lieu-là, car ses os furent rapportés des Thermopyles par Pausanias, quarante ans après sa mort. Là se voit aussi une colonne sur laquelle sont gravés les noms de ces braves hommes qui soutinrent l'effort des Perses aux Thermopyles, et non seulement leurs noms, mais ceux de leurs pères. Il y a un quartier dans la ville qu'on nomme le Théomélide, où sont les tombeaux des rois dit, Agides. Le Lesché est tout auprès; c'est le lieu où les Crotanes s'assemblent, et les Crotanes ne sont autre chose que la cohorte des Pitanates. Vous trouvez ensuite le temple d'Esculape, qu'ils nomment ordinairement l'Enapadon, et un peu plus loin le tombeau de Ténarus, d'où un promontoire fort connu, qui avance dans la mer, a pris sa dénomination. Dans le même quartier vous verrez le temple de Neptune Hippocurius, et celui de Diane Eginéa ; en retournant vers le Lesché vous trouverez sur votre chemin le temple de Diane Issoria, autrement clive Limnéa; ce n'est pas même de Diane, à proprement parler, mais de la Britomartis des Crétois, dont j'ai déjà fait mention dans l'histoire des Eginétes. Près de ces tombeaux des Agides, vous verrez une colonne sur laquelle on a gravé les victoires qu'un Lacédémonien, nommé Anchionis, a remportées au nombre de sept, tant à Olympie qu'ailleurs; savoir, quatre à la simple course, et trois autres à la course doublée; car ce n'était pas encore la coutume de finir les jeux en courant avec le bouclier ; on dit que cet Anchionis se joignit à Battus de Théra, et qu'il s'embarqua avec lui pour passer en Afrique, où il lui aida à bâtir Cyrène, et à donner la chasse aux Libyens, dont le voisinage les incommodait. Quant au temple de Thétis, qui est aussi dans ce quartier-là, voici à quelle occasion il a été bâti. Lorsque les Lacédémoniens voulurent punir les Messéniens de leur défection, Anaxandre, roi de Sparte, fit une course dans le pays ennemi, et prit un grand nombre de captives qu'il amena avec lui ; Cléo, prêtresse de Thétis, fut de ce nombre ; Léandris, femme d'Anaxandre, pria son mari de lui donner cette captive, et l'ayant obtenue, elle remarqua que Cléo avait une statue de la déesse ; cette découverte, jointe à une inspiration qu'elle eut en songe, la porta à bâtir à Thétis un temple, qui fut consacré par sa prêtresse même ; et depuis ils ont gardé si précieusement cette ancienne statue, que qui que ce soit n'a permission de la voir. Pour le culte de Cérès Cthonia, comme ils l'appellent, ils prétendent l'avoir reçu d'Orphée; mais je crois qu'ils l'ont pris plutôt des habitants d'Hermioné, chez qui cette déesse est honorée sous le même nom. On voit aussi à Sparte un temple de Sérapis et un temple de Jupiter Olympien : le premier est des plus récents. Je ne dois pas oublier un endroit de la ville qu'ils appellent Dromos, où encore de nos jours ils exercent les jeunes gens à la course. Si vous y entrez du côté qui regarde la sépulture des Agides, vous verrez à main gauche le tombeau d'Eumédès, qui était un des fils d'Hippocoon, et à quelques pas de-là, une vieille statue d'Hercule. C'est à ce dieu et en ce lieu-là que sacrifient les jeunes gens qui sortent de l'adolescence pour entrer dans la classe des hommes. Le Dromos a deux gymnases ou lieux d'exercices, dont l'un a été consacré à cet usage par Euryclide: de Sparte. Au dehors et près de la statue d'Hercule on vous montrera une maison qui appartient aujourd'hui à un particulier, et qui était autrefois la maison de Ménélas. Plus loin vous trouverez les temples des Dioscures, des Grâces, de Lucine, d'Apollon Carnéüs, et de Diane Hégémaque. A droite du Dromos vous avez le temple d'Agnitas, c'est un surnom qui a été donné à Esculape à cause du bois dont sa statue est faite. Quand on a passé le temple d'Esculape, on voit un trophée que Pollux, à ce que l'on dit, érigea lui-même après la victoire qu'il remporta sur Lyncée; et c'est ce qui semble confirmer l'opinion de ceux qui croient que les enfants d'Apharéüs n'ont point leur sépulture à Sparte. Les Dioscures ont leurs statues à l'entrée du Dromos, comme des divinités qui président à la barrière. En avançant plus loin vous verrez le monument héroïque d'Alcon ; cet Alcon, selon eux, était un fils d'Hippocoon. A quelques pas de-là, c'est le temple de Neptune, surnommé Domatitès. Plus loin c'est un endroit qu'ils nomment le Plataniste, à cause de la quantité des grands platanes dont il est rempli. Les jeunes Spartiates font leurs combats dans cette plaine, qui est toute entourée de l'Euripe ; vous diriez une isle au milieu de la mer ; on y passe sur deux ponts; à l'entrée de l'un il y a une statue d'Hercule, et à l'entrée de l'autre un portrait de Lycurgue ; car Lycurgue a fait des lois non seulement pour la république en général, mais aussi pour les exercices et les combats des jeunes gens ; ainsi la jeunesse Lacédémonienne a ses usages particuliers. En effet, dans le collège où les jeunes gens sont élevés, ils sacrifient avant que d'aller au combat. Ce collège est hors de la ville, et près du quartier appelé Thérapné. Les deux troupes de combattants immolent le petit d'une chienne au dieu Mars, ne croyant pas pouvoir offrir au plus courageux des dieux une victime plus agréable, que l'animal le plus courageux qu'ily ait entre les animaux domestiques. Je ne sais, au reste, si les Lacédémoniens ne sont point les seuls de tous les Grecs qui immolent le petit d'une chienne à quelque divinité ; il faut pourtant en excepter les Colcphoniens, qui ont coutume de sacrifier un petit chien noir à leur déesse Enodia ; ce sacrifice, tant à Colophon qu'à Sparte, se fait la nuit. Mais à Sparte, les jeunes gens, après leur sacrifice, prennent deux sangliers apprivoisés, et les mènent avec eux pour les faire battre l'un contre l'autre; chaque troupe s'intéresse pour le sien ; il arrive même d'ordinaire que la troupe dont le sanglier a été victorieux dans le Plataniste, est celle-là même qui remporte le lendemain la victoire. Voilà ce qu'ils pratiquent entr'eux dans leur collège. Le lendemain, sur le midi, ils passent dans la plaine dont j'ai parlé, après avoir tiré au sort la nuit précédente, pour savoir par quel côté chaque troupe prendra le chemin du rendez-vous ; car, comme j'ai dit, il y a deux ponts, l'un d'un côté, l'autre de l'autre. Le signal donné, ils se battent à coups de poings, à coups de pieds, ils se mordent de toute leur force et s'entr'arrachent les yeux ; vous les voyez se battre à outrance tantôt un contre un, tantôt par pelotons, et tantôt tous ensemble, chaque troupe faisant tous ses efforts pour faire reculer l'autre, et pour la pousser dans l'eau qui est derrière, [3,15] CHAPITRE XV. Vers ce bois de platanes, vous verrez aussi le monument héroique de Cynisca, fille du roi Archidame, la première personne de son sexe qui ait pris plaisir à nourrir des chevaux, et la première qui sur un char attelé de quatre chevaux, ait remporté le prix de la course aux jeux olympiques. Derrière un portique qui est là, vous trouverez encore d'autres monuments héroïques, comme ceux d'Alcime et d'Enaréphore, un peu plus loin celui de Dorcée, et au-dessus celui de Sébrus ; c'étaient, à ce qu'ils disent, deux fils d'Hippocoon. Dorcée a donné son nom à une fontaine qui est dans le voisinage, et Sébrus le sien à une rue de ce quartier-là. A droite du monument de Sébrus, vous remarquerez le tombeau d'Alcman qui a fait de si beaux cantiques, quoiqu'écrits dans la langue du pays ; c'est-à-dire, en une langue dont les mots n'ont aucune douceur. Là, se trouvent aussi le temple d'Hélène et le temple d'Hercule, le premier plus près de la sépulture d'Alcman; le second, tout auprès des murs de la ville; dans ce dernier il y a une statue d'Hercule armé; on dit qu'Hercule est représenté ainsi à cause de son combat avec Hippocoon et avec ses enfants. Et la raison que l'on donne de la haine d'Hercule contre cette famille, c'est que ce héros étant venu à Sparte pour se faire purifier du meurtre d'Iphitus, Hippocoon et ses enfants s'y opposèrent, ne le trouvant pas digne de cette grâce ; mais voici ce qui leur mit les armes à la main, du moins selon qu'on le raconte à Sparte. Oeonus était fils de Lycimnius, frère d'Alcmène, et par conséquent il était aussi cousin germain d'Hercule ; étant venu avec lui à Sparte dans sa première jeunesse, un jour qu'il se promenait par la ville, comme il passait devant la porte d'Hippocoon, un chien, qui gardait la maison, sauta sur lui; OEonus lui jeta une pierre, aussitôt les fils d'Hippocoon accoururent et assommèrent ce jeune homme à coups de bâtons ; Hercule, au désespoir de cet accident, vint fondre sur eux ; mais ayant été blessé dans la mêlée, il se retira. Quelque temps après, il revint avec main-forte, massacra Hippocoon et ses enfants, et vengea ainsi la mort de son cousin; c'est pourquoi l'on voit le tombeau d'OEonus auprès du temple d'Hercule. Si en sortant du Dromos vous allez du côté cle l'orient, vous trouverez un temple dédié à Minerve Axiopoenas ou Vengeresse ; on prétend que ce fut Hercule qui le fit bâtir après la terrible vengeance qu'il tira d'Hippocoon et de ses fils; et ce surnom vient de ce qu'autrefois les châtiments des hommes étaient appelés du nom de poené. Minerve a encore dans cette rue un temple, que l'on trouve à gauche au sortir du Dromos; on assure que celui-ci a été consacré par Théras, fils d'Autésion, petit-fils de Tisamène et arrière-petit-fils de Thersandre, lorsqu'il mena une colonie dans l'isle Calliste, qui depuis a pris le nom de Théra. Ensuite vous verrez le temple d'Hipposthène, homme célèbre pour avoir été plusieurs fois vainqueur à la lutte ; ils lui rendent les honneurs divins suivant un certain oracle, et en l'honorant, ils croient honorer Neptune même. Vis-à-vis de ce temple, il y a une statue fort ancienne, qui représente Mars enchaîné, sur le même fondement que l'on voit à Athènes une victoire sans ailes; car les Lacédémoniens se sont imaginés que Mars étant enchaîné, demeurerait toujours avec eux, comme les Athéniens ont cru que la Victoire n'ayant point d'ailes, elle ne pourroit s'envoler ailleurs, ni les quitter ; c'est la raison qui a porté ces deux peuples à représenter ainsi ces divinités. Vous avez encore à Sparte un autre Lesché, qu'ils nomment le Poecile, et auprès vous pourrez voir Ies monuments héroïques de Cadmus, fils d'Agénor ; d'OEolycus, fils de Théras; et d'Egée, fils d'Œolycus. On dit que ce sont Mésis, Léas, et Europas, fils d'Hyrée et petit-fils d'Egée, qui ont fait élever ces monuments. Ils y ont même ajouté celui d'Amphiloque, parce que Tisamène leur ancêtre, était né de Démonasse, soeur d'Amphiloque. Les Lacédémoniens sont les seuls Grecs qui révèrent Junon sous le nom de la déesse Egophage, et qui lui immolent une chèvre; ils prétendent qu'Hercule lui bâtit un temple, parce que dans son combat contre Hippocoon et contre ses enfants, elle ne l'avait point traversé, comme il s'attendait qu'elle ferait, et comme elle avait fait dans toutes ses autres entreprises; et faute d'une autre victime, il lui sacrifia une chèvre, coutume qui s'est perpétuée depuis ce temps-là. Si vous reprenez le chemin du théâtre, vous verrez un temple de Neptune Généthlius, et deux monuments héroïques, l'un de Cléodée, fils d'Hyllus, l'autre d'OEbalus. Esculape a plusieurs temples dans Sparte; mais le plus célèbre de tous, c'est celui qui est auprès du Boonète, et à la gauche duquel on voit le monument héroïque de Téléclus, dont je parlerai quand j'en serai à l'histoire des Messéniens.Plus avant vous découvrirez une petite colline, au haut de laquelle il y a un vieux temple de Vénus, et dans ce temple une statue qui représente la déesse armée; c'est un temple singulier et le seul que j'ai vu bâti de cette manière; car, à proprement parler, ce sont deux temples l'un sur l'autre ; celui de dessus est dédié à Morpho, mais Morpho n'est qu'un surnom de Vénus; la déesse y est voilée, et elle a des chaînes aux pieds ; ils disent que c'est Tyndare qui lui a mis ces chaînes, pour donner à entendre combien la fidélité des femmes envers leurs maris doit être inviolable ; d'autres disent pour se venger de Vénus, à qui il imputait l'incontinence et les adultères de ses propres filles; mais je ne le puis croire, car il faudrait être insensé pour s'imaginer que l'on se venge d'une déesse, en la représentant par une statue de bois de cèdre avec des chaînes aux pieds. [3,16] CHAPITRE XVI. Le temple le plus proche qui se présente ensuite, c'est celui d'Hilaire et de Phoebé. L'auteur des poésies cypriennes a écrit qu'elles étaient filles d'Apollon ; elles ont pour prêtresses des vierges qui se nomment Leucippides, comme les déesses elles-mêmes, qui ont chacune leur statue. On raconte qu'un jour l'une de ces vierges voulant parer la statue de la déesse, lui changea entièrement le visage en la représentant comme les femmes se mettent aujourd'hui; et que, contente de son ouvrage, elle se disposait à en faire autant à l'autre, mais qu'elle eut un songe qui l'en détourna. Un oeuf enveloppé de bandelettes est suspendu à la voûte élu temple, et le peuple croit que c'est l'oeuf dont accoucha Léda. Des femmes de Sparte filent tous les ans une tunique pour la statue d'Apollon qui est à Amycle, et le lieu où elles filent s'appelle par excellence la Tunique. Auprès est une maison qu'habitaient autrefois les fils de Tyndare, et qu'acheta depuis un particulier de Sparte, nommé Phormion. Un jour, à ce que l'on dit, les Dioscures arrivèrent chez lui, se disant des étrangers qui venaient de Cyrène; ils lui demandèrent l'hospitalité et le prièrent de leur donner une certaine chambre dans sa maison, c'était celle où ils s'étaient plu davantage, lorsqu'ils étaient parmi les hommes; Phormion leur dit que toute sa maison était à leur service, à la réserve pourtant de cette chambre qui était occupée par une jeune fille qu'il avait ; les Dioscures prirent l'appartement qu'on leur donna; mais le lendemain la jeune pesonne et les femmes qui la servaient, tout disparut, et l'on ne trouva dans sa chambre que deux statues des Dioscures, une table, et sur cette table du benjoin (g-silphion) : voilà ce qu'ils racontent. En allant vers la porte de la ville, vous trouverez, sur votre chemin, le monument héroîque de Chilon, qui fut autrefois en grande réputation de sagesse, et celui d'un héros Athénien, qui était l'un des principaux de cette colonie, que Doriéüs, fils d'Anaxandride, débarqua en Sicile. La raison qui fit que l'on envoya cette colonie, était que le pays d'Erycie appartenait aux descendants d'Hercule, et non aux barbares qui l'occupaient; car Hercule, en combattant contre Elyx à la lutte, avait mis pour condition que s'il le terrassait, il serait maître du pays, et que s'il en était vaincu, il lui donnerait les boeufs de Géryon. En effet, il touchait ces boeufs devant lui en allant en Sicile, et quand ils eurent passé le détroit à la nage, il alla ensuite les rassember lui-même au promontoire de Scylla. Mais les dieux ne furent pas aussi favorables à Doriéüs, qu'ils l'avaient été à Hercule ; car ce héros tua Eryx, et Doriéüs fut taillé en pièces avec son armée, par les Egestéens. Les Lacédémoniens ont aussi bâti un temple à Lycurgue, leur législateur, comme à un dieu ; derrière son temple on voit le tombeau de son fils Eucosmus, auprès d'un autel qui est dédié à Lathria et à Anaxandra ; c'étoicnt deux soeurs jumelles qu'épousèrent les deux fils d'Aristodème, qui étaient aussi jumeaux ; elles avaient pour père Thersandre, fils d'Agamédidas, qui régnait sur les Cléonéens, et qui était le quatrième des descendants de Ctésippe, fils d'Hercule. Vis-à-vis du temple de Lycurgue, est la sépulture de Théopompe, fils de Nicandre, et celle de cet Eurybiade qui commandait la flotte des Lacédémoniens au combat d'Artémisium, et à celui de Salamine contre les Perses. Ensuite vous trouvez le monument héroïque d'Astrabacus. De-là vous passez dans une rue qu'ils nomment Limnée, où il y a un temple dédié à Diane Orthia; ils prétendent que la statue de la déesse est celle-là même qu'Oreste et Iphigénie enlevèrent de la Taurique, et disent qu'elle leur fut apportée par Oreste, qui en effet a été roi de Sparte; tradition qui me paraît beaucoup plus vraisemblable que celle des Athéniens au sujet de la même statue; car pourquoi Iphigénie aurait-elle laissé la statue de Diane à Brauron ? et pourquoi les Athéniens ne l'auraient-ils pas mise sur leurs vaisseaux, lorsqu'ils prirent la résolution d'abandonner leur ville? Cette statue est encore aujourd'hui si célèbre que les Cappadociens et ces peuples qui habitent auprès du Pont-Euxin se la disputent entr'eux, sans compter les Lydiens qui croient aussi l'avoir dans leur temple de Diane Anaïtis ; et les Athéniens, peuples si religieux, auraient souffert qu'un monument si considérable devint la proie des Perses? je n'y vois nulle apparence : mais, de plus, on sait que la Diane qui était à Brauron fut portée à Suse; et qu'ensuite par la bonté de Séleucus elle passa aux habitants de Laodicée en Syrie, qui la gardent encore. Enfin, que la statue de Diane Orthia, qui est à Sparte, soit la même que celle qui a été enlevée aux Barbares de la Taurique, en voici des preuves qui ne manquent pas de probabilité. Premièrement, Astrabacus et Alopécus, tous deux fils d'Irbus, petit fils d'Amphistène et arrière-petit-fils d'Amphiclès, qui eut pour père Agis, n'eurent pas plutôt trouvé cette statue qu'ils furent frappés de manie et perdirent le sens. En second lieu; les Limnates, peuples de la Laconie, les Cynosuréens, ceux de Misoa et de Pitane étant venus à Sparte pour sacrifier à Diane Orthia, l'esprit de discorde s'empara tellement d'eux, qu'ils prirent querelle ensemble et se battirent les uns contre les autres; plusieurs furent tués au pied de l'autel, et une maladie subite emporta les autres. L'oracle consulté sur cet accident, prononça que cet autel vouloit être teint du sang humain; c'est pourquoi durant un temps on y immola un homme pour victime, et le sort en décidait. Lycurgue abolit cette barbare coutume, et substitua à sa place la flagellation des jeunes gens, qui se pratique encore à présent; de sorte qu'il est encore vrai de dire que cet autel est teint du sang des hommes. La prêtresse préside à cette flagellation, et pendant que l'on foutette de jeunes enfants jusqu'au sang, elle tient entre ses mains la statue de la déesse, qui est fort petite et fort légère. Mais si l'exécuteur épargne quelqu'un de ces enfants, soit pour sa naissance ou pour sa beauté, aussitôt la prêtresse s'écrie que la statue s'appesantit et que l'on ne peut plus la soutenir; elle s'en prend au prévaricateur, et lui impute la peine qu'elle souffre; tant il est comme naturel à cette statue d'aimer le sang humain, et tant l'habitude qu'elle en a contractée chez les Barbares s'est enracinée en elle; au reste, elle n'a pas pour un surnom, car on l'appelle aussi Lygodesmas, parce qu'elle est venue empaquetée avec des brins de sarment; et comme elle était si bien liée qu'elle ne pouvoit pencher d'un côté ni d'autre, de-là vient qu'ils l'ont aussi nommée Orthia. [3,17] CHAPITRE XVII. Du temple de Diane il n'y pas loin à celui de Lucine ; ils disent que c'est l'oracle de Delphes qui leur a conseillé de bâtir celui-ci, et d'honorer Lucine comme une déesse. Les Lacédémoniens n'ont point de citadelle bâtie sur une hauteur, comme la Cadmée à Thèbes, ou Larissa à Argos; mais ils ont plusieurs collines dans l'enceinte de leur ville, et la plus haute de ces collines leur tient lieu de citadelle. Minerve y a son temple sous les noms de Minerve Poliuchos et Chalciaecos. Tyndare commença cet édifice; après lui ses enfants entreprirent de l'achever, et d'y employer le prix des dépouilles qu'ils avaient remportées sur les Aphiduéens ; mais l'entreprise étant encore restée imparfaite, les Lacédémoniens, longtemps après, construisirent un nouveau temple qui est tout d'airain, comme la statue de la déesse. L'ouvrier dont ils se servirent fut Gitiadas, originaire et natif du pays ; il a fait aussi plusieurs cantiques, et entr'autres une hymne pour Minerve sur des airs doriens. Au-dedans du temple la plupart des travaux d'Hercule sont gravés sur l'airain, tant les aventures que l'on connaît sous ce nom, que plusieurs autres que ce héros a courues volontairement, et dont il est glorieusement sorti. Là sont aussi gravés les exploits des Tyndarides, et surtout l'enlèvement des filles de Leucippe. Ensuite vous voyez, d'un côté, Vulcain qui dégage sa mère de ses chaînes, suivant que je l'ai expliqué dans mon premier livre ; d'un autre côté, Persée, prêt à partir pour aller combattre Méduse en Lydie; des nymphes lui mettent un casque sur la tête et des talonnières aux pieds, afin qu'il puisse voler en cas de besoin. On n'a pas oublié tout ce qui a rapport à la naissance de Minerve; mais ce qui efface tout le reste à mon gré, c'est un Néptune et une Amphitrite, qui sont d'une beauté merveilleuse. Vous trouvez ensuite une chapelle de Minerve Ergané. Aux environs du temple il y a deux portiques, l'un au midi, l'autre au couchant. Vers le premier est une chapelle de Jupiter surnommé Cosmétès, et devant cette chapelle le tombeau de Tyndare. Sur le second portique on voit deux aigles éployés qui portent chacun une victoire; c'est un présent de Lysander, et en même temps un monument des deux victoires qu'il avait remportées; l'une, près d'Ephèse, sur Antiochus, le lieutenant d'Alcibiade, qui commandait les galères d'Athènes; l'autre encore sur la flotte athénienne, qu'il défit entièrement à Egespotame. A l'aile gauche du temple d'airain il y a une chapelle qui est consacrée aux Muses, parce que les Lacédémoniens marchent à l'ennemi non au son de la trompette, mais au son des flûtes et de la lyre. Derrière le temple est la chapelle de Vénus Aréa, où l'on voit des statues de bois aussi anciennes qu'il y en ait dans toute la Grèce. A l'aile droite on voit un Jupiter en bronze, qui est de toutes les statues de bronze la plus ancienne. Ce n'est point un ouvrage d'une seule et même fabrique; il a été fait successivement et par pièces; ensuite ces pièces ont été si bien enchassées, si bien jointes ensemble avec des clous, qu'elles font un tout fort solide. A l'égard de cette statue de Jupiter, ils disent que c'est Léarque de Rhegium qui l'a faite ; selon quelques-uns, c'était un élève de Dipoene et de Scyllis, et selon d'autres, de Dédale même. De ce côté-là est un endroit appelé Scénoma, où vous trouvez le portrait d'une femme ; les Lacédémoniens disent que c'est Euryléonis qui se rendit célèbre pour avoir conduit un char à deux chevaux dans la carrière, et remporté le prix aux jeux olympiques. A l'autel même du temple de Minerve, il y a deux statues de ce Pausanias qui commandait l'armée de Lacédémone au combat de Platée. Je m'abstiens de raconter ses avantures, parce qu'elles sont assez connues, et que ceux qui ne les savent pas peuvent consulter plusieurs historiens qui en ont unit un récit fort exact: mais j'ai su d'un homme de Bysance que Pausanias se voyant atteint et convaincu de trahison, avait été le seul qui se fût refugié à l'autel de Minerve Chalcicaecos, et qui n'y eût pas trouvé sa sûreté; la raison qu'il en apportait, c'est que Pausanias ayant quelque temps devant commis un meurtre, il n'avait jamais pu s'en faire purifier. En effet, ce prince, dans le temps qu'il commandait l'armée navale des Lacédémoniens et de leurs alliés sur l'Hellespont, devint amoureux d'une jeune Bysanthine ; ceux qui avaient ordre de l'introduire dans sa chambre, y étant entrés sur le commencement de la nuit, le trouvèrent déjà endormi. Cléonice, c'était le nom de la jeune personne, en approchant de son lit renversa par mégarde une lampe qui était allumée ; à ce bruit Pausanias se réveille en sursaut, et comme il était en des agitations continuelles, à cause du dessein qu'il avait formé de trahir sa patrie, se croyant découvert, il se lève, prend son cimeterre, en frappe sa maîtresse, et la jette morte à ses pieds; c'est-là ce meurtre dont il ne put jamais être purifié, quelques supplications, quelque expédient qu'il pût employer; en vain s'adressa-t-il à Jupiter Phyxius, en vain alla-t-il à Phigalée en Arcadie, pour implorer le secours de ces gens qui savent évoquer les âmes des morts, tout cela lui fut inutile ; c'est pourquoi il paya enfin à Dieu et à Cléonice la peine de son crime. Les Lacédémoniens, par ordre exprès de l'oracle de Delphes, ont depuis érigé deux statues de bronze à ce Prince, et encore aujourd'hui ils rendent une espèce de culte au génie Epidote, dans la pensée que ce génie appaise la déesse, qui autrement pourrait se ressentir de l'injure qu'ils lui ont faite en la personne de Pausanias, lorsqu'il était suppliant aux pieds de ses autels. [3,18] CHAPITRE XVIII. Après ces statues on en voit une de Vénus, surnommée Ambologéra ; celle-ci a aussi été érigée par l'avis de l'oracle ; ensuite celles du Sommeil et de la Mort, qui sont frères, au rapport d'Homère dans l'Iliade. Si de-là vous passez dans la rue Alpia, vous trouverez le temple de Minerve dite Ophthalmitis; on dit que c'est Lycurgue même qui a consacré ce temple sous ce titre à Minerve, en mémoire de ce que dans une émeute, ayant eu un oeil crevé par Alcandre, à qui ses lois ne plaisaient pas il fut sauvé en ce lieu-là par le peuple, sans le secours duquel il aurait peut-être perdu l'autre oeil, et la vie même. Plus loin vous trouverez le temple d'Ammon; car il parait qu'anciennement les Lacédémoniens étaient de tous les Grecs ceux qui recouraient le plus volontiers à l'oracle de la Lybie. On dit même que Lysander, assiégeant la ville d'Aphytis, près de Pallène, eut, durant la nuit, une apparition du dieu Ammon, qui lui conseilla, comme une chose également avantageuse à lui et à Lacédémone, de laisser les assiégés en paix ; conseil auquel il déféra si bien, qu'il leva le siège, et qu'il porta ensuite les Lacédémoniens à honorer Ammon encore plus qu'ils ne faisaient : ce qu'il y a de certain, c'est que les Aphytéens révèrent ce dieu comme les Libyens mêmes. Quant au temple de Diane Cnagia, ainsi la nomment-ils, voici ce qu'ils en racontent. Cnagéüs était, selon eux, un homme originaire du pays, qui accompagna Castor et Pollux au siège d'Aphidna; ayant été fait prisonnier dans un combat, il fut vendu et envoyé en Crète; après avoir été esclave quelque temps dans une ville, où les Crétois avaient un temple de Diane, il s'enfuit avec la prêtresse, qui emporta avec elle la statue de Diane. Tous les deux étant venus à Sparte, leur aventure donna lieu et au temple et au surnom de la déesse. Mais pour moi je ne puis croire que ce Cnagéüs ait passé en Crète à l'occasion que disent les Lacédémoniens ; car, premièrement, il n'y eut pas de combat à Aphidna, Thésée était pour lors chez les Thesprotiens ; d'ailleurs, les Athéniens étaient partagés, et même la plupart penchaient plus pour Mnesthée que pour lui ; comment auraient ils combattu en faveur du dernier ? Mais quand il y aurait eu un combat, je ne vois point d'apparence qu'aucun du parti des victorieux pût être prisonnier de guerre, les Lacédémoniens ayant tellement eu l'avantage qu'ils prirent même Aphidna. Cette petite discussion doit suffire en passant. Quand on va de Sparte à Amycle, on trouve la Tiase, rivière qu'ils croient avoir pris son nom d'une fille d'Eurotas. Le premier temple que vous recontrez sur votre chemin est celui des deux grâces Phaënna et Cléta, que le poète Alcman a célébrées dans ses vers. On dit que c'est Lacédémon qui a bâti ce temple à ces Grâces, et qui leur a même imposé leurs noms. Parmi les monuments que l'on voit à Amycle, un des plus beaux est la statue d'un certain Enétus de Sparte, qui se distingua en son temps par le talent de réussir également dans les cinq sortes de combats, et qui ayant été déclaré vainqueur à Olympie, fut couronné, et mourut le moment d'après ; il est représenté sur le haut d'une colonne, et l'on voit à l'entour plusieurs trépieds de bronze ; il y en a surtout dix qui passent pour être plus anciens que la guerre de Sparte, contre les Messéniens. Vénus est gravée en relief sur le premier, Diane sur le second ; ces deux trépieds et les bas-reliefs sont de Gitiadas. Le troisième représente Proserpine ; c'est un ouvrage de Callon, qui était de l'isle d'Egine. Aristandre de Paros et Polyclète d'Argos en ont fait aussi chacun un ; sur celui d'Aristandre vous voyez une femme qui tient une lyre, c'est Sparté elle-même; sur celui de Polyclète c'est Venus qu'Amyclée invite à venir chez lui ; ces deux derniers surpassent de beaucoup les autres en grandeur ; ils furent consacrés après la victoire que les Lacédémoniens remportèrent à Egespotame. Mais une antiquité très curieuse, c'est le trône d'Amyclée, fait par un ouvrier de Magnésie, qui se nommait Bathyclès et non seulement le trône est de lui, mais tout l'ouvrage, et les accompagnements, les Grâces, la statue de Diane Leucophryné, tout est de la façon de cet ouvrier : sous quel maître il avait appris son art, et en quel temps il florissait, je n'en dirai rien. Quant à l'ouvrage, je l'ai vu, ainsi j'en puis rendre compte. Les Grâces et les Heures, au nombre de deux les unes et les autres, soutiennent ce trône par devant et par derrière. Sur la gauche Bathyclès a représenté Echidne avec Typhon, et sur la droite des Tritons. Je ne prétends pas faire un détail exact de tout ce que l'on voit gravé sur ce siège, le récit en deviendrait ennuyeux pour abréger donc, voici ce qui m'a paru de plus remarquable. Dans un endroit Jupiter et Neptune enlèvent Taïgète, fille d'Atlas, et Alcyone sa soeur; Atlas y tient aussi sa place. Dans un autre, vous voyez le combat d'Hercule avec Cycnus,et le combat des Centaures chez Pholus ; ici, c'est Thésée qui combat le Minotaure: mais pourquoi il traîne le Minotaure enchaîné et encore vivant, c'est ce que je ne sais pas; là, c'est une danse de Phéaciens et de Démodocus qui chante. Ces bas-reliefs vous présentent une infinité d'objets tout à la fois ; Persée coupe la tête à Méduse, Hercule terrasse le géant Thurius, Tyndare combat contre Eurytus, Castor et Pollux enlèvent les filles de Leucippe, Bacchus tout jeune est porté au ciel par Mercure, Minerve introduit Hercule dans l'assemblée des dieux ; il y est reçu, et prend possession du séjour des bienheureux ; Pélée met son fils Achille entre les mains de Chiron, qui en effet l'éleva et fut, dit-on, son précepteur ; Céphale est enlevé par l'Aurore à cause de sa beauté; les dieux honorent de leur présence et de leurs bienfaits les noces d'Harmonie. Achille combat contre Memnon, Hercule châtie Diomède, roi de Thrace, et tue de sa main Nessus, auprès du fleuve Enénus ; Mercure amène les trois déesses pour être jugées par le fils de Priam ; Adraste et Tydée terminent la querelle d'Amphiaraüs avec Lycurgue, fils de Pronax; Junon arrête ses regards, sur Io, fille d'Inachus, déjà métamorphosée en vache ; Minerve échappe à Vulcain qui. la poursuit; Hercule combat l'Hydre de la manière dont on le raconte, et dans un autre endroit il traîne après lui le chien du dieu des enfers. Anaxias et Mnasinoüs paraissent montés sur de superbes coursiers ; Mégapenthe et Nicostrate, tous deux fils de Ménélas, sont sur le même cheval ; Bellérophon abat à ses pieds le monstre de Lycie ; Hercule chasse devant lui les boeufs de Géryon. Sur le rebord d'en haut on voit les fils de Tyndare à cheval, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; au-dessous ce sont des sphynx, et au-dessus des bêtes féroces; un léopard vient attaquer Castor, et une lionne veut se jeter sur Pollux, Tout au haut Bathyclès a représenté une troupe de Magnésiens qui dansent et se réjouissent; ce sont ceux qui lui avaient aidé à faire ce superbe trône. Le dedans n'est pas moins travaillé, ni diversifié ; du côté droit où sont les tritons, le sanglier de Calydon est poursuivi par des chasseurs ; Hercule tue, les fils d'Actor, Calais et Zétès défendent Phinée contre les Harpies, Apollon et Diane percent Tityus de leurs flèches, Thésée et Pirithoüs enlèvent Hélène, Hercule étrangle un lion ; le même Hercule mesure ses forces contre le centaure Oréüs, Thésée combat le Minotaure. Au côté gauche c'est encore Hercule qui lutte avec l'Achéloüs : là vous voyez aussi ce que la fable nous apprend de Junon, qu'elle fut enchaînée par Vulcain ; plus loin c'est Acaste qui célèbre des jeux funèbres en l'honneur de son père ; ensuite vous trouvez tout ce qu'Homère dans l'Odyssée raconte de Ménélas et de Protée l'Egyptien. Dans un autre endroit Admette attèle à son char un sanglier et un lion ; dans un autre, enfin, ce sont les Troyens qui font des funérailles à Hector. [3,19] CHAPITRE XIX. Le milieu du trône est la place du dieu; à droite et à gauche il y a plusieurs sièges un peu distant les uns des autres, mais celui du milieu est le plus spacieux de tous; c'est là qu'est posée la statue da dieu ; je ne connais personne qui en ait encore marqué la hauteur; autant que j'en ai pu juger, elle est au moins de trente coudées ; ce n'est point Bathyclès qui l'a faite, car c'est une statue d'un goût fort ancien et sans art, qui, à la réserve du visage, des mains, et du bout des pieds, est toute semblable à une colonne d'airain : elle a la tête dans un casque, et tient dans ses mains une lance et un arc. La base de cette statue est faite en forme d'autel, et la tradition du pays porte qu'Hyacinthe y est inhumé ; de-là vient que durant les solemnités de la fête Hyacinthia, avant que de sacrifier à Apollon, l'on ouvre une petite porte d'airain qui est au côté gauche de l'autel, et que l'on fait l'anniversaire d'Hyacinthe avec les cérémonies accoutumées. Sur cette bâse est représenté en relief d'un côté Neptune avec Amphitrite ; de l'autre, la Néréïde Béris. Dans un autre endroit Jupiter et Mercure s'entretiennent ensemble : près d'eux est Bacchus avec Sémélé, qu'Ino accompagne; dans un autre vous voyez Cérès, Proserpine et Pluton, et à leur suite les Parques et les Heures. Vénus, Minerve et Diane viennent ensuite, ces déesses portent au ciel Hyacinthe et sa soeur Polyboee, qui mourut vierge, à ce que l'on dit ; au reste, la statue d'Hyacinthe le représente comme ayant déjà de la barbe au menton, qu'il en eût ou non : Nicias de Nicomédie dans un endroit, où il fait entendre qu'Apollon était amoureux d'Hyacinthe, parle de celui-ci comme d'un jeune homme d'une grande beauté. Sur le devant de l'autel, vous voyez Hercule qui est conduit au ciel par Minerve et par Ies autres dieux ; l'ouvrier a ménagé aussi une place pour les filles de Thestius, et n'a pas oublié les Muses ni les Heures. Quant au Zéphir, et à la manière dont Apollon tua si malheureusement Hyacinthe, et à la fleur en laquelle il le changea, peut-être ce que l'on en dit est-il fort diffèrent de la vérité, mais on en peut croire ce que l'on voudra. Amycle a été détruite par les Doriens, et ce n'est plus aujourd'hui qu'un village. Un des plus beaux monuments qui y soient restés, est le temple d'Alexandra et sa statue ; les Amycléens disent que cette Alexandra était la même personne que Cassandre, fille de Priam ; on voit aussi dans ce temple le portrait de Clytemnestre et la statue d'Agamemnon, et l'on croit que ce prince avait là sa sépulture. Les habitants du lieu honorent particulièrement Apollon, surnommé Amycléüs, et Bacchus, à qui ils donnent le surnom de Psilas, par une raison assez ingénieuse ; car Psila en langage dorien signifie la pointe de l'aîle d'un oiseau; or, il semble que l'homme soit emporté et soutenu par une pointe de vin, comme un oiseau dans l'air par les ailes. Voilà à peu près ce qu'il y a de plus curieux à Amycle. En sortant de la ville on trouve un chemin qui mène à Thérapné ; sur ce chemin vous verrez une statue de Minerve Aléa, et avant que de passer l'Eurotas, vous découvrirez le temple de Jupiter, surnommé le Riche, qui est à quelque distance du rivage. Quand vous aurez passé la rivière, le premier temple que vous verrez est celui d'Esculape Cotyléüs; c'est Hercule qui a bâti ce temple et qui l'a ainsi nommé, à cause d'une blessure à la cuisse dont il fut guéri, et qu'il avait reçue dans son premier combat contre Hippocoon et ses enfants ; car cotyle en grec signifie la cuisse. Mais le plus ancien monument que l'on trouve sur cette route, c'est un temple de Mars: on dit que la statue du dieu, qui est sur la gauche, a- été apportée de Colchos par Castor et Pollux ; on la nomme Théritas, du nom de Théro qui, si on les en croit, fut la nourrice de Mars ; peut-être que Théritas est un mot du pays d'où l'on a apporté la statue du dieu ; car les Grecs ne connaissent point de Théro qui ait été nourrice de Mars. Pour moi je croirois que le surnom de Théritas a été donné à Mars, pour faire entendre qu'un guerrier doit avoir l'air terrible dans les combats ; c'est pourquoi Homère a dit, en parlant d'Achille : "Un lion en colère a les yeux moins terribles". Thérapné a pris son nom d'une fille de Lélex. Ménélas y a un temple, et les habitants disent que lui et Hélène y sont inhumés; mais les Rhodiens ont une tradition bien différente; car ils prétendent qu'Hélène, après la mort de Ménélas, et durant l'absence d'Oreste, qui était encore errant, chassée par Mégapenthe et par Nicostrate, alla chercher une retraite à Rhodes, auprès de son amie Polyxo; que cette Polyxo était d'une famille d'Argos, et qu'après avoir vécu plusieurs années avec son mari, Tlépoleme, elle l'avait suivi à Rhodes dans son exil ; qu'alors elle régnait sur les Rhodiens sous le nom de son jeune fils, dont elle était tutrice ; ils ajoutent que Polyxo voyant Hélène en sa puissance, avait résolu de se venger sur elle de la mort de Tlépoleme, et que dans ce dessein un jour que la princesse était allée laver à la rivière, elle y envoya ses femmes, déguisées en furies, qui prirent Hélène, l'attachèrent à un arbre et l'étranglèrent ; et ce fait, dit-on, est si vrai, que pour expier le crime de Polyxo, les Rhodiens bâtirent dans la suite un temple à cette princesse, sous le nom d'Hélène Dendritis. Mais il faut aussi que je rapporte un conte que font les Crotoniates sur Hélène, et le témoignage des Himéréens à ce sujet; car j'ai une connaissance particulière de l'un et de l'autre. Il y a sur le Pont-Euxin, vers l'embouchure de l'Isther, une île consacrée à Achille, et qui a nom Leucé ; cette isle a quelques vingt stades de circuit ; elle est toute couverte de forêts qui abondent en bêtes fauves et de toutes espèces. Achille y a un temple et une statue. On dit que Léonyme de Crotone est le premier qui ait abordé en ce lieu. En effet, la guerre s'étant allumée entre les Crotoniates et les Locriens d'Italie, ceux-ci, à cause de leur ancienne affinité avec les Opontiens, invoquèrent Ajax, fils d'Oilée. Léonyme, qui commandait les Crotoniates, attaqua les ennemis, et donna d'abord sur un gros que l'on supposoit être commandé par Ajax ; mais il reçut une grande blessure dans l'estomac, ce qui l'obligea à se retirer du combat. Dans la suite, comme sa plaie lui faisoit beaucoup de douleur, il alla consulter l'oracle de Delphes ; la Pythie lui ordonna d'aller dans l'isle Leucé, que là il trouverait Ajax qui le guérirait; il y alla en effet et fût guéri. Les Crotoniates disent qu'à son retour il assura qu'il avait vu dans cette isle, Achille, et non seulement Ajax, fils d'Oilée, mais aussi Ajax, fils de Télamon, et avec eux Patrocle et Antiloque; qu'Hélène était mariée à Achille, et que cette princesse lui avait recommandé qu'aussitôt qu'il serait arrivé à Himéra, il avertît Stésichore qu'il n'avait perdu la vue que par un effet de sa colère et de sa vengeance; avis dont le poète profita si bien, que peu de temps après il chanta la palinodie. [3,20] CHAPITRE XX. Je vis à Thérapné la célèbre fontaine Masséïs ; cependant quelques Lacédémoniens prétendent que ce n'est pas elle, et que la fontaine qu'ils appellent aujourd'hui Polydeucée, est la même que celle qu'ils appelaient autrefois Masséïs. Quoi qu'il en soit, la fontaine Polydeucée est à droite sur le chemin qui conduit à Thérapné, et il y a tout auprès un temple de Pollux. Un peu plus loin vous trouvez une espèce de collège pour la jeunesse, et un temple des Dioscures, où les jeunes gens font des sacrifices au dieu Mars. Neptune a aussi un temple aux environs, sous un nom qui donne à entendre que ce dieu est le maître de la terre. Si vous avancez ensuite du côté de Taïgète, vous rencontrerez un village nomme Alésies, parce que c'est-là, dit-on, que Milès, fils de Lélex, trouva le premier une meule, et qu'il enseigna aux hommes la manière de s'en servir pour moudre les fruits de la terre propres à leur nourriture. Là, vous verrez un monument héroïque, érigé en l'honneur de Lacédémon, fils de Taïgète. Quand on a passé la rivière de Phellia, on voit sur le chemin d'Amycle les ruines de Pharis, qui était autrefois une ville de la Laconie. Ensuite vous trouverez à droite un chemin qui vous mène à la montagne de Taïgète. Dans la plaine qui est au bas, il y a un temple de Jupiter Messapée, ainsi dit, à ce que l'on prétend, du nom d'un de ses prêtres. En descendant de la montagne on voit un endroit ou était anciennement la ville de Brysée ; un temple, dédié à Bacchus, est tout ce qui en reste avec quelques statues qui sont exposées à l'air ; il n'y a que les femmes qui puissent voir l'intérieur du temple, elles seules ont le droit d'y sacrifier, et elles gardent un grand secret sur les cérémonies qu'elles y pratiquent. Au-dessus de Brysée s'élève, sur le sommet de la montagne, un édifice nommé le Talet, et qui est consacré au Soleil ; ces peuples sacrifient à cette divinité plus d'une sorte de victimes, mais particulièrement des chevaux ; ce qui est aussi en usage chez les Perses. Près de-là est le bois d'Enoras, oit l'on trouve toutes sortes de bêtes fauves, surtout beaucoup de chèvres sauvages; et en général le mont Taigète fournit aux chasseurs une quantité prodigieuse de chèvres, d'ours, de sangliers, de cerfs et de biches ; aussi tout cet espace qui est entre le Talet et le bois d'Enoras est-il nommé, par excellence, Thérai, comme qui dirait, les chasses. Cette côte n'est pas éloignée du temple de Cérès Eleusinienne; c'est le surnom qu'ils lui donnent ; ils disent qu'Hercule demeura caché en ce lieu, pendant qu'Esculape le guérissait de sa blessure. On y voit une statue d'Orphée, et ils croient que c'est un ouvrage des Pélasgiens ; du reste, je sais que les mystères de Cérès ne se célèbrent pas là de la même manière qu'ailleurs. Du côté de la mer il y avait autrefois une petite ville, nommée Hélos, dont Homère fait mention élans le dénombrement des vaisseaux, lorsqu'il dit, "Les uns venus d'Amycle, et les autres d'Hélos". Cette ville prit son nom d'Hélius, le plus jeune des enfants de Persée, qui était venu s'y établir. Quelque temps après les Doriens l'assiégèrent, s'en rendirent maîtres, et firent esclaves tous les habitants; c'est l'origine des premiers esclaves appartenant à l'état, qu'il y ait eu à Lacédémone, et la raison pourquoi ils se sont appelés Hilotes, comme ils l'étaient en effet. Dans la suite tous les esclaves que firent les Doriens, et que chacun s'appropria, portèrent aussi le nom d'Hilotes, quoiqu'ils fussent pour la plupart Messéniens, de la même manière que l'on appela Hellènes tous les Grecs, du nom d'Hellas, qui était alors une contrée de la Thessalie. Il y a dans le bourg d'Hélos une statue de Proserpine, que l'on porte tous les ans à certains jours dans le temple de Cérès Eleusinienne ; ce temple n'est qu'à quinze stades de Lapithéon, lieu ainsi appelé du nom d'un certain Lapithas, qui était originaire du pays ; ce lieu fait partie du mont Taïgète, et n'est pas loin de Derrhion, oû l'on voit une statue de Diane Derrhiatis, qui est exposée à l'air. La fontaine Anonus est fort proche. Après Derrhion vous trouverez un endroit que l'on appelle Harplé, et qui s'étend jusqu'à a plaine. Mais si, en sortant de Sparte, vous prenez le chemin de l'Arcadie, vous rencontrerez d'abord en pleine campagne une statue de Minerve Paréa, ensuite un temple d'Achille, qu'il n'est pas permis de tenir ouvert ; cependant tous les jeunes gens qui vont s'exercer au combat dans ce bois de platanes, dont j'ai parlé, ne manquent pas de faire auparavant leur sacrifice à Achille; les Lacédémoniens disent que ce temple a été bâti par Prax, arrière petit-fils de Pergamus, qui était fils de Néoptoleme. Plus loin vous verrez ce qu'ils appellent la sépulture du cheval; c'est un endroit où l'on dit que Tyndare ayant assemblé tous ceux qui recherchaient sa fille Hélène en mariage, il immola un cheval en leur présence, et leur fit prêter serment sur la victime même déjà mise en pièces. Le serment portait que tous vengeraient Hélène, et quiconque aurait l'avantage de l'épouser, s'il arrivait jamais que l'un ou l'autre fût outragé ; après leur avoir imposé cette obligation, il enterra les membres de la victime dans le lieu même. A deux pas de ce monument il y a sept colonnes qui ont été érigées, autant que j'en puis juger, suivant la religion de l'ancien temps, et qui, à ce que l'on dit, représentent les sept planètes. Le long du chemin on voit un bois consacré à Cranius Stemmatius ; au-delà c'est le temple de Diane Mysienne, et à trente stades de la ville vous trouvez une satue de la Pudeur, qui a été posée là par Icarius, pour la raison que je vais dire. Icarius ayant marié sa fille à Ulysse, voulut engager son gendre à fixer son domicile à Sparte, mais inutilement; frustré donc de cette espérance, il tourna ses efforts du côté de sa fille, la conjura de ne le point abandonner, et au moment qu'il la vit partir pour Ithaque, il redoubla ses instances, et se mit à suivre son char. Ulysse lassé enfin de ses importunités, dit à sa femme qu'elle pouvait opter entre son père et son mari, et qu'il la laissait la maîtresse ou de venir avec lui en Ithaque, ou de retourner à Sparte avec son père. On dit qu'alors Pénélope rougit, et qu'elle ne répondit qu'en mettant un voile sur son visage. Icarius entendit ce que cela voulait dire, et la laissa aller avec son mari; mais touché de l'embarras où il avait vu sa fille, il consacra une statue à la Pudeur dans l'endroit même où Pénélope avait mis un voile sur sa tête. [3,21] CHAPITRE XXI. A quelques vingt stades de-là vous trouverez l'Eurotas qui passe presque au bord du chemin ; en y arrivant vous verrez le tombeau de Ladas, qui fut l'homme le plus agile de son temps; il mérita d'être couronné aux jeux olympiques pour avoir doublé le stade ; je crois qu'il tomba malade incontinent après sa victoire, et qu'il se fit porter en ce lieu, où étant mort il fut inhumé sur le grand chemin. L'histoire des Eléens, dans le catalogue de ceux qui ont été couronnés à Olympie, fait mention d'un autre Ladas, natif d'Egion en Achaïe, qui remporta aussi le prix aux jeux olympiques, non de la longue course, mais simplement du stade. En avançant du côté de Pellane, vous rencontrerez une petite place nom- mée Characome, d'où il n'y a plus qu'un pas à Pellane ; c'était autrefois un ville où l'on dit que Tyndare se retira, lorsqu'il sortit de Sparte, chassé par Hippocoon et par ses enfants. Ce que j'y ai vu de plus remarquable, c'est un temple d'Esculape ; et une fontaine qui n'a point d'autre nom que la fontaine de Pellane; on dit qu'une jeune fille s'y laissa tomber en puisant de l'eau, et que son voile fut trouvé dans une autre fontaine, qu'on nomme Lancée. Cent stades plus loin est un canton appelé Belemine ; c'est un petit pays fort aquatique, il est arrosé par l'Eurotas et par quantité de sources. En descendant à Gythion, sur le bord de la mer on trouve un village appelé Crocée, et dans ce village des carrières où se forment non des pierres de taille, mais des cailloux tout semblables à ceux que l'on voit sur la grève auprès des rivières ; ces cailloux sont fort difficiles à tailler, mais s'ils étaient mis en oeuvre, on pourroit s'en servir à orner les niches des temples, et ils feraient aussi un fort bel effet dans des réservoirs et dans des aquéducs. A l'entrée du village il y a une statue de pierre qui représente Jupiter Crocéate, et auprès des carrières les Dioscures sont en bronze. Au sortir de Crocée, en quittant le chemin de Gythion et en prenant à main droite, on arrive à une bourgade qui a nom Egies : on croit que c'est la même qui dans Homère est appelée Augée. Là, il y a un étang, dit l'étang de Neptune, et sur sa rive un temple du dieu et une statue; on n'ose pêcher cet étang, parce que, dit-on, si on le pêchait, on serait métamorphosé en un certain poisson. Gythée est à quelque trente stades d'Egies ; c'est une ville sur le bord de la mer, et qui est habitée par ces Eleuthérolacons que l'empereur Auguste affranchit de la domination de Sparte. Tout le Péloponnèse est baigné de la mer, à l'exception du seul côté où se trouve l'isthme de Corinthe ; mais les côtes maritimes de la Laconie ont le privilège de porter des coquillages qui sont excellents pour teindre les étoffes en pourpre, et qui ne le cèdent qu'aux coquillages de la mer rouge. Les villes que les Eleuthérolacons occupent aujourd'hui sont au nombre, de dix-huit ; la première est Gythée, que vous rencontrez en descendant d'Egies vers la mer ; vous avez ensuite Teuthrone, Las et Pyrrique ; d'un autre côté vous trouvez près du Ténare Cénépolis, Oetilos, Leuctres, Thalames, Alagonie et Gérénie ; sur le bord de la mer, au-delà de Glytée, vous avez Asope, Aeries, Boée, Zarax, Epidaure, autrement nommée Liméra, Brasies, Géeonthre et Marios; c'est tout ce qui reste aux Eleuthérolacons, car autrefois ils avaient vingt-quatre villes. Quant à celle dont je vais parler, j'avertis que bien loin d'être sujettes à la domination de Sparte, et de faire partie cle l'état, comme d'autres dont j'ai parlé plus haut, elles sont indépendantes, et se gouvernent par leurs propres lois. Les Gythéates ne reconnaissent aucun mortel pour auteur de leur origine; ils disent qu'Hercule et Apollon se disputèrent longtemps un trépied, et qu'ayant enfin terminé leur querelle, ils bâtirent Gythée de concert et à frais communs ; c'est pourquoi ces dieux ont leurs statues au milieu du marché; Bacchus a aussi la sienne auprès d'eux, et dans un autre endroit on voit un Apollon Carnéüs. Les principaux temples de la ville sont celui d'Ammon et celui d'Esculape ; ce dernier n'a point de plafond; le dieu y est représenté en bronze. Auprès est une fontaine, dite la fontaine d'Esculape ; un peu plus loin vous trouvez un temple de Cérès, qui est chez eux en grande vénération ; là Neptune a sa statue, et l'inscription porte que c'est Neptune le maître de la terre. Les Gythéates révèrent encore une ancienne divinité, dont ils parlent comme d'un vieillard, et qui a, disent-ils, son palais dans la mer; je m'imagine que c'est Nérée qu'ils veulent dire, et je le conjecture de ces paroles de Thétis aux nymphes dans Homère : "Pour vous, Nymphes, rentrez dans vos grottes profondes; Un vieillard fortuné vous attend sous les ondes ; Allez revoir Nérée et briller à sa cour." Le temple de Cérès n'est pas éloigné des portes de la ville; ils appellent ces portes Castorides, du nom des Dioscures. La citadelle n'a rien de considérable qu'un temple de Minerve et une statue de la déesse. [3,22] CHAPITRE XXII. A trois stades de Gythée on voit une grosse pierre toute brute ; on dit qu'Oreste s'y étant assis, recouvra son bon sens ; et à cause de cela on a nommé cette roche en langue dorique, Jupiter Cappautas. Vis-à-vis de Gythée est l'isle Cranaé, où Homère dit que Pâris, après avoir enlevé Hélène, jouit de sa conquête pour la première fois; c'est pourquoi, à l'opposite de l'isle, il y a sur le rivage un temple de Vénus Migonitis, et tout le canton s'appelle Migonium. Si on les en croit, c'est Pâris lui-même qui a fait bâtir ce temple, et huit ans après la ruine de Troye, Ménélas heureusement de retour chez lui, consacra près du temple de Vénus, deux statues, l'une à Thétis, l'autre à la déesse Praxidica. La plaine de Migonium est dominée par une hauteur que l'on nomme le mont Larysius, et qui est consacrée à Bacchus, en l'honneur de qui chaque année on célèbre une fête au commencement du printemps; on raconte plusieurs merveilles de cette fête, mais entr'autres celle-ci, que l'on y voit toujours une grappe de raisin mûr. A la gauche de Gythée, en avançant quelques trente stades dans les terres, vous trouverez les murs de Trinase; je crois que c'était autrefois non une ville, mais un château qui avait pris son nom de trois petites isles qui sont de ce côté-là près du rivage. Environ quatre-vingt stades plus loin vous voyez les ruines de la ville d'Hélos, et trente stades au-delà, c'est Acries, ville située sur le bord de la mer ; on y voit un fort beau temple de la mère des dieux, et une statue de marbre qui, de tous les monuments consacrés à cette déesse, est vanté comme le plus ancien qui soit dans tout le Péloponnèse ; car les Magnésiens qui sont au nord du mont Sipyle, ont chez eux, sur la roche Coddine, une statue de la même déesse, qui est constamment la plus ancienne de toutes ; aussi, dit-on, que c'est Brotée, fils de Tantale, qui l'a faite. Les habitants d'Acries font gloire encore aujourd'hui d'avoir eu un de leurs citoyens nommé Nicoclès, qui remporta deux fois le prix du simple stade aux jeux olympiques, et cinq fois le prix du stade doublé. Ils lui ont érigé un monument entre le lieu d'exercice et le port. Géronthre est à six-vingt stades de la mer au-dessus d'Acries; c'était une ville fort peuplée avant l'arrivée des Héraclides dans le Péloponnèse; elle fut détruite par les Doriens, qui s'étaient rendus maîtres de Lacédémone; ces peuples chassèrent de Géronthre les anciens habitants, et y envoyèrent une colonie pour la repeupler : aujourd'hui elle obéit aux Eleuthérolacons. Sur le chemin qui mène d'Acries à Géronthre, on trouve un lieu nommé le vieux village. Quant à Géronthre, on y voit un temple de Mars, accompagné d'un bois sacré; tous les ans on y sacrifie au dieu, mais il n'est pas permis aux femmes d'assister à ces sacrifices. La grande place est environnée de fontaines d'eau douce; dans la citadelle il y a un temple d'Apollon; le dieu y avait sa statue, mais il n'en reste plus que la tête, qui est d'ivoire, les autres parties ayant été brûlées avec l'ancien temple. Marios, autre ville des Eleuthérolacons, est éloignée de Géronthre d'environ cent stades : ce que j'y ai vu de phis remarquable, c'est un vieux temple dédié à tous les dieux, et auprès un bois où l'eau serpente de tous cotés. On trouve des fontaines jusques dans le temple de Diane et je ne connais guère d'endroit où l'eau vienne en aussi grande abondance que dans cette petite ville. Au-dessus de Marios on rencontre, au milieu des terres, un village que l'on apelle Glyppia. De Géronthre à un autre village appelé Sélinunte, il peut y avoir quelques vingt stades. Du côté de la terre ferme, en montant au-dessus d'Acries, on trouve les villages que j'ai dit : mais si l'on côtoie le rivage, à soixante stades d'Acries, on trouvera la ville d'Asope; vous y verrez un, temple dédié aux empereurs de Rome, et douze stades au-delà de la ville, un temple d'Esculape; les habitants appellent ce dieu Philolaüs ; dans le lieu d'exercice on vous montrera des ossements de corps humain, qui sont d'une grandeur prodigieuse. Au haut de la citadelle, il y a un temple de Minerve, dite Ciparissia, et au bas on voit les ruines d'une ville, qui se nommait la ville des Achéens Paracyparyssiens. A cinquante stades d'Asope on voit encore un temple d'Esculape dans un petit canton nommé l'Hypertéléate ; et à deux cent stades de la même ville est un promontoire qui avance beaucoup dans la mer, et que l'on appelle la mâchoire d'âne. Minerve y a un temple, mais qui n'a plus ni toit, ni statue; on croit que c'est Agamemnon qui l'a bâti. On y voit aussi le tombeau de Cinadus, qui était le maître pilote du vaisseau de Ménélas. Sous ce promontoire est la baye de Boée, et à l'une des pointes de cette baye, la ville même de Boée ; on dit qu'elle a été bâtie par Bœus, l'un des fils d'Hercule, et peuplée par une colonie qu'il y envoya, et qu'il avait tirée d'Etie, d'Aphrodisie et de Sida, trois anciennes villes, dont les deux premières ont eu pour fondateur Enée, que la tempête obligea de relâcher à cette baye, lorsqu'il voulait aborder en Italie; il donna même à l'une de ces villes le nom de sa fille Etia ; pour la troisième, elle fut appelée Sida, du nom d'une des filles de Danaüs. Les habitants qui étaient sortis de ces villes, et que l'on envoyoit chercher fortune ailleurs, consultèrent l'oracle pour savoir où ils s'établiraient; ils eurent pour réponse que Diane le leur montrerait. En effet, lorsqu'ils eurent pris terre, ils apperçurent un lièvre, ils le suivirent des yeux, et ayant remarqué qu'il se blotissait sous un myrte, ils bâtirent une ville au même lieu. Depuis ce temps-là, le myrte est pour eux un arbre sacré, et ils honorent Diane comme leur divinité tutélaire. Dans le marché de Boée, il y a un temple d'Apollon., et dans un autre quartier un temple d'Esculape. A sept ou huit stades de la ville on voit les ruines d'un temple de Sérapis et d'Isis; sur le chemin à gauche on trouve une statue de marbre qui représente Mercure, et parmi des masures on découvre un temple d'Esculape et de la déesse Hygéia. [3,23] CHAPITRE XXIII. Vis-a-vis de Boée est la ville de Cythère ; c'est une isle qui de ce côté-là est fort proche du continent, et à la hauteur d'un promontoire, appelé le Plataniste, qui par mer n'est éloigné que de quarante stades du promontoire dont j'ai parlé, et qu'ils nomment mâchoire d'âne. La rade de Cythère se nomme Scandée, et de cette rade à la ville il n'y a guère que dix stades. On voit à Cythère un temple de Vénus Uranie, qui passe pour le plus ancien et le plus célèbre de tous les temples que Vénus ait dans la Grèce; la statue de la déesse la représente armée. Si vous allez par la mer de Boée au cala Malée, vous verrez sur la côte l'étang de Nymbée ainsi le nomme-t-on; auprès est un Neptune tout droit sur ses pieds, et au bord de la mer on vous fera remarquer un antre où il y a une fontaine d'eau douce ; ce lieu est très fréquenté. Cent stades au-dessus de Malée, vous trouvez sur les confins des Boéates, un lieu qui est consacré à Apollon, et qu'ils nomment Epidelium ; ce nom vient de ce que la statue qui s'y voit, est la même que celle qui était autrefois à Délos ; voici par quelle aventure. Dans le temps que Délos était la ville la plus marchande de toute la Grèce, et que le culte d'Apollon semblait la mettre à couvert de toute insulte, Ménophane, un des généraux de Mithridate, soit de son propre mouvement, soit par ordre de son maître, car tout homme qui est possédé de l'amour des richesses compte la religion pour rien ; Ménophane, dis-je, s'avisa de venir investir Délos avec sa flotte, et l'ayant trouvée sans fortifications ni murailles, et les habitants sans armes, il n'eut pas de peine à s'en rendre maître ; il passa au fil de l'épée tout ce qu'il y avait d'hommes capables de résister; étrangers et citoyens, s'empara de leurs effets, pilla le temple, rasa la ville et fit vendre les femmes et les enfants, comme autant d'esclaves. Durant le sac de la ville, un barbare eut l'impiété d'enlever la statue du dieu, et la jeta dans la mer; le flot l'ayant portée jusques vers les confins des Boréates, les gens du pays la prirent, se l'approprièrent, et en mémoire de cet évènement, le lieu où ils la déposèrent fut nommé Epidélium. Mais, ni Ménophane, ni Mithridate lui-même, ne purent échapper à la vengeance du dieu ; car après cette expédition, Ménophane étant déjà en pleine mer des négociants qui s'étaient sauvés du massacre, trouvèrent le moyen de joindre son vaisseau, d'entrer sur son bord et de le tuer. Pour Mithridate, la colère d'Apollon le poursuivit jusqu'à l'obliger de tourner ses mains contre lui-même, après avoir perdu ses états et s'être vu chassé de ville en ville par les Romains. D'autres disent qu'il demanda en grace à un de ces soldats mercenaires qu'il avait dans ses troupes, de lui passer son épée au travers du corps : quoi qu'il en soit, l'impiété de l'un et de l'autre ne demeura pas impunie. Sur la frontière des Boéates, à quelques deux cents stades d'Epidélium, on trouve la ville d'Epidaure, autrement appelée Liméra. Les habitants se disent une colonie non de Lacédémoniens, mais de ces Epidauriens du pays d'Argos; et ils racontent que des députés envoyés par ces peuples vers Esculape dans l'isle de Cos, ayant abordé en cette contrée de la Laconie, avaient été avertis en songe de s'y établir ; que même un serpent, qu'ils menaient avec eux, sortit du vaisseau et alla se cacher dans une caverne sur le bord de la mer; prodige qui, joint aux apparitions qu'ils avaient eues en songe, les détermina à bâtir là une ville, à laquelle ils donnèrent aussi le nom d'Epidaure; et à l'endroit où le serpent se cacha, ils élevèrent à Esculape deux autels, qui sont aujourd'hui couverts µ d'oliviers sauvages que la terre a produits à l'entour. Deux stades plus loin, sur la droite, vous verrez ce qu'ils appellent le marais d'Ino ; c'est un marais de peu d'étendue, mais fort profond. Tous les ans, à la fête d'Ino, ils jettent dans ce marais des morceaux de pâte ; si cette pâte va au fond, ils en tirent un bon augure, et un mauvais si elle revient sur l'eau. On dit que les bouches du mont Etna donnent lieu à de semblables pronostiques. Les gens des environs y jettent de petites figures d'or et d'argent, quelques-uns même toute sorte de victimes ; si le tourbillon cle flammes les engloutit, c'est pour eux un heureux présage; au contraire, s'il les rejette, ils se croient menacés de quelque malheur. Sur le chemin qui conduit de Boée à Epidaure, et dans le territoire même des Epidauriens, vous trouvez un temple de Diane surnommée Limnatis; la ville d'Epidaure est bâtie sur une hauteur, et fort peu éloignée de la mer. Tout ce que j'y ai vu de beau, c'est un temple de Vénus, un temple d'Esculape, où le dieu est en marbre et debout, et dans la citadelle un temple de Minerve. Vers le port il y a un temple de Jupiter Sauveur, et au bas de la ville un promontoire qui avance dans la mer, et qu'ils nomment Minoa. Le bassin auquel il sert d'abri n'a rien de particulier et n'est pas différent des autres qui se voient Je long des côtes de la Laconie ; j'ai seulement remarqué que le rivage de cette rade était plein de petits cailloux d'une beauté singulière, soit pour la figure, soit pour les couleurs. [3,24] CHAPITRE XXIV. D'Epidaure à Zarax on compte environ cent stades; cette ville a un port très commode; mais de toutes les villes des Eleuthérolacons c'est celle qui a été exposée aux plus grands malheurs, car elle fut autrefois détruite par Cléonyme, fils de Cléomène et petit-fils d'Agésipolis ; j'ai parlé ailleurs de Cléonyme. Il n'y a rien de remarquable à Zarax; on voit seulement à l'extrêmité du port un temple d'Apollon, où le dieu est représenté tenant une lyre. Si vous côtoyez le rivage l'espace de six stades et qu'ensuite vous remontiez vers la terre ferme, vous n'aurez pas fait dix stades, que vous appercevrez les ruines du port de Cyphante, et parmi ces ruines un temple d'Esculape, où le dieu est en marbre. Là se voit aussi une source d'eau froide qui sort d'un rocher; on dit qu'Atalante, revenant de la chasse et se trouvant fort altérée, frappa ce rocher de son javelot et en fit jaillir cette source. Brasies est la dernière ville des Eleuthérolacons sur cette côte ; de Cyphante à Brasies, il peut y avoir quelques deux cents stades par mer. Les habitants de cette ville ont une tradition qui est contredite par tous les autres Grecs; ils disent que Sémelé ayant eu Bacchus de Jupiter, et que Cadmus s'en étant apperçu, elle fut enfermée dans un coffre elle et son fruit ; qu'ensuite ce coffre fut abandonné à la merci des flots qui le portèrent jusques chez les Brasiates ; que ces peuples ayant trouvé Sémelé morte, lui firent de magnifiques funérailles et prirent soin de l'éducation de son fils; que pour cette raison leur ville, qui jusques-là s'était appelée Oréate, changea son nom en celui de Brasies, à cause de l'aventure du coffre, et parce que pour dire qu'une chose a été apportée par le flot, on se servait d'un mot grec (g-ekbebrasthai)) qui a quelque rapport au nom de Brasies ; et, pour dire le vrai, ce mot grec est encore en usage aujourd'hui dans cette signification. Mais les Brasiates ne s'en tiennent pas là; ils assurent qu'Ino, qui était errante, vint chez eux, et qu'elle voulut être la nourrice de Bacchus; ils montrent encore un antre où ils prétendent qu'elle l'allaitait, et ils nomment la plaine d'alentour le jardin de Bacchus. On voit à Brasies deux temples, l'un consacré à Achille, l'autre à Esculape, et tous les ans ils célèbrent une fête en l'honneur d'Achille. Au bas de la ville est un promontoire qui s'étend jusqu'à la mer par une pente fort douce; sur ce promontoire vous trouvez de petites figures de bronze, de la hauteur d'un pied, et qui ont une espèce de chapeau sur la tête; je ne sais pas bien si ce sont les Dioscures ou les Corybantes que l'on a voulu représenter; mais ces statues sont au nombre de trois, et il y en a une quatrième, qui est Minerve. Sur la droite du chemin qui mène à Gythion, vous verrez la ville de Las, à dix stades de la mer, et à quarante de Gythion même. Cette ville est aujourd'hui située entre trois montagnes, le mont Ilion, le mont Asia et le mont Knacadius. Anciennement elle était bâtie sur le sommet du mont Asia ; on voit encore à présent les ruines de l'ancienne ville, et devant les murs une statue d'Hercule avec un trophée, érigé à l'occasion de la défaite des Macédoniens; c'était une partie des troupes de Philippe, lorsqu'il fit une irruption dans la Laconie; ces Macédoniens s'étant détachés du gros de l'armée, ravageaient toute la côte maritime, mais ils furent enveloppés et taillés en pièces. Au milieu des ruines de l'ancienne ville, on voit un temple de Minerve surnommée Asia ; ils disent que ce furent Castor et Pollux qui le bâtirent en action de graces de ce qu'ils étaient heureusement revenus de leur expédition de la Colchide, et ils ajoutent qu'il y avait à Colchos même un temple de Minerve Asia. Pour moi, je sais fort bien que les fils de Tyndare s'embarquèrent avec Jason pour Colchos, mais que Minerve Asia fut honorée dans la Colchide ; j'ai peine à le croire, et je ne le rapporte que sur la foi des Lacédémoniens. Auprès de la ville neuve il y a une fontaine, qu'ils appellent la fontaine Knaco, à cause de la couleur de son eau ; à deux pas de-là est un lieu d'exercice où l'on voit une statue de Mercure fort ancienne. Sur le mont Ilion vous trouverez un temple de Bacchus, et tout au haut un temple d'Esculape; et sur le mont Knacadius un temple dédié à Apollon Carnéüs. A trente stades de-là, ou environ, l'on rencontre un bourg cle la dépendance de Sparte nommé Hypsos ; on y voit deux temples, l'un d'Esculape, l'autre de Diane Daphnéa ; du côté de la mer, sur un promontoire fort élevé, il y a un temple de Diane, surnommée Dictynna, en l'honneur de laquelle il se célèbre un jour de fête tous les ans. A gauche de ce promontoire, le fleuve Sménus va tomber dans la mer, et je ne connais point de fleuve dont les eaux soient plus douces, ni meilleures à boire; il a sa source dans la montagne de Taïgète, et passe à cinq stades de la ville. Au bourg d'Araine on vous montrera la sépulture de Las ; il est représenté sur son tombeau ; les habitants du lieu disent que ce fut lui qui bâtit la ville qui porte ce nom, et qu'ensuite il fut tué par Achille; car, si on les en croit, Achille était venu dans ce pays pour demander Hélène en mariage. Mais, à dire le vrai, je crois que ce fut plutôt Patrocle qui tua Las, car Patrocle était un de ceux qui- recherchaient Hélène en mariage. Quant à Achille, il ne fut jamais de ce nombre, le catalogue des femmes illustres n'en fait aucune mention ; et si l'on n'est pas content de cette sorte de preuve, du moins faut-il se rendre à l'autorité d'Homère, qui dit au commencement de l'Iliade, qu'Achille était venu au siège de Troye par pure considération pour les Atrides, et sans être engagé par aucun serment envers Tyndare. Le même poète, au livre vingt-troisième de l'Iliade, fait dire à Antiloque qu'Ulysse était plus vieux que lui d'une génération, et Ulysse lui-même racontant à Alcinoüs ce qu'il a vu aux enfers, dit qu'il avait été sur-tout curieux d'y voir Pirithoüs et Thésée, qui étaient d'un age supérieur au sien. D'ailleurs, nous savons que Thésée enleva Hélène; il n'est donc pas possible qu'Achille ait recherché cette princesse en mariage, les temps ne quadrent pas. [3,25] CHAPITRE XXV. Un peu plus loin que ce monument, vous verrez une rivière qui se décharge dans la mer ; cette rivière, qui autrefois n'avait pas de nom, fut appelée Scyras, depuis que Pyrrhus, fils d'Achille, y aborda avec ses vaisseaux, après s'être embarqué à Scyros pour venir épouser Hermione. Au-delà de cette rivière est un vieux temple, et à quelque distance du temple, est un autel de Jupiter. En remontant vers la terre ferme, à quarante stades de l'embouchure de Scyras, on trouve la ville de Pyrrhique, qui a pris son nom ou de Pyrrhus, fils d'Achille, ou de Pyrrhichus, l'un des Curètes. D'autres disent que Silène quitta Malée pour venir demeurer en cette vile ; à la vérité, Pindare témoigne, dans une de ses odes, que Silène avait été élevé à Malée; mais qu'il se soit jamais appelé Pyrrhichus, c'est ce que l'on ne trouvera point dans Pindare; il n'y a que les habitants de Malée qui l'aient rêvé. Quoi qu'il en soit, dans le marché de Pyrrhique il y a un puits dont les habitants croient être redevables au Silène ; si ce puits venait à tarir, ils manqueraient entièrement d'eau. Les Pyrrhiquiens ont chez eux un temple de Diane Astratée, nom qui a été donné à la déesse,- parce que, suivant la tradition du pays, l'armée des Amazones demeura en deçà de ce lieu, et n'avança pas plus loin; Apollon a aussi un temple sous le nom d'Amasonius, et par la même raison ; les statues de ces deux divinités sont de bois, et l'on croit qu'elles furent consacrées par ces femmes qui étaient venues des rives du Thermodon. Si vous descendez de Pyrrhique vers la mer, vous trouverez, sur votre chemin, Teuthrone, ville qui a été bâtie, à ce que disent les habitants, par Teuthras, athénien ; ces peuples honorent particulièrement Diane Issoria : la fontaine Naïa est tout ce que j'ai vu de curieux dans leur ville. A cent cinquante stades de Teuthrone vous avez le promontoire de Ténare, qui avance considérablement dans la mer, et sous lequel il y a deux ports, l'un nommé Achillée, l'autre Psamathus ; sur ce promontoire est un temple de Neptune, en forme de grotte, et à l'entrée une statue du dieu. Quelques poètes Grecs ont imaginé que c'était par-là qu'Hercule avait emmené le chien de Pluton ; mais outre que dans cette grotte il n'y a aucun souterrain, il n'est pas vraisemblable qu'un dieu tienne son empire sous terre, ni que nos âmes s'attroupent là après notre mort. Hécatée de Milet a eu une idée assez raisonnable, quand il a dit que cet endroit du Ténare servoit de repaire à un serpent effroyable, que l'on appelait le chien des enfers parce que quiconque en était piqué mourait aussitôt, et il prétend qu'Hercule amena ce serpent à Eurysthée. Homère, qui le premier a parlé du chien des enfers qu'Hercule traîna après lui, ne le distingue par aucun nom propre, ni ne le dépeint, bien qu'il dépeigne la Chimère ; mais ceux qui sont venus après lui, ont appelé ce chien Cerbère : ils lui ont donné trois tètes, et en ont fait un gros dogue, quoiqu'Homère, par le chien des enfers, ait aussi bien pu entendre un dragon, qu'un animal domestique. Pour revenir à mon sujet, on voit au promontoire de Ténare plusieurs monuments antiques, entr'autres Arion jouant de la lyre, et assis sur un dauphin. Hérodote, dans son histoire des Lydiens, a rapporté ce qu'il avait appris d' Arion et de ce dauphin; pour moi je parlerai ici comme témoin oculaire ; j'ai vu à Poroselène un dauphin qui avait été blessé par des pêcheurs, et dont un jeune enfant avait pris soin : ce dauphin pour prix de sa guérison, obéissait à cet enfant, venait à lui quand il l'appelait, et le portait sur son dos partout où il voulait. Vous verrez aussi au Ténare une fontaine qui véritablement n'a rien de surprenant aujourd'hui, mais dont on racontait autrefois des merveilles ; car si l'on en croit les gens du lieu, ceux qui regardaient dedans y voyaient des ports et des vaisseaux ; ils disent qu'elle a cessé de présenter ces objets, depuis qu'une femme y a lavé des habits qui étaient souillés. Du promontoire de Ténare à Cénépolis il y a environ quarante stades de navigation : anciennement: cette ville s'appelait Ténare ; on y trouve un temple de Cérès, et sur le bord de la mer un temple de Vénus, où la déesse est debout et en marbre. Trente stades plus loin c'est un lieu appelé Thyridès , et qui est tout au haut de la côte ; près de là sont les ruines de la ville Hippola, au milieu desquelles subsiste encore une chapelle de Minerve Hippolaitis. A une très petite distance on trouve la ville et le port de Messa ; du port à la ville d'Œtile je compte cent cinquante stades : le héros qui a donné son nom à cette ville était Argien de naissance, fils d'Amphianax, et petit-fils d'Antimaque : ce que j'ai vu dans cette ville de plus digne de curiosité, c'est un temple de Sérapis, et une statue d'Apollon Carnéüs dans la place. [3,26] CHAPITRE XXVI. D'Oetyle à Thalama il y a quelques quatre-vingt stades; sur le chemin on voit un temple d'Ino, célèbre par les oracles qui s'y rendent; car ceux qui s'endorment dans ce temple recoivent des lumières sur les choses qui leur doivent arriver, et la déesse, par le moyen des songes, leur apprend ce qu'ils ont envie de savoir. Devant le portail je remarquai deux statues de bronze, l'une de Pasiphaé, l'autre du Soleil. Il y en a une troisième dans le temple même, mais elle est si chargée de couronnes et d'ornements, qu'on ne la saurait bien distinguer ; on la dit de bronze ; une fontaine donne à ce lieu de très bonne eau en abondance : cette fontaine est consacrée à la Lune, et en porte le même nom. Pasiphaé est, à l'égard des habitants, un génie étranger. Vingt stades au-delà de Thalama vous trouvez Péphnos, qui est une ville maritime, fort peu distante d'une isle qui n'est pas plus grande qu'un gros rocher, et qu'ils nomment aussi Péphnos. Les Thalamates disent que Castor et Pollux ont pris naissance dans cette isle, et je sais que le poète Alcman a dit la même chose dans une de ses odes ; mais, selon eux, les Dioscures furent portés à Pellane par Mercure, et n'ont point été élevés à Péphnos ; dans cette petite isle ces jumeaux sont représentés en bronze par deux statues qui n'ont pas plus d'un pied de haut, et qui sont exposées à l'air ; et quoique la base soit continuellement battue des flots de la mer, elle demeure immobile; ce qu'ils regardent comme un miracle : une autre merveille, c'est que les fourmis de cette isle sont blanches, et non pas noires comme les nôtres. Les Messéniens prétendent que ce petit canton faisait autrefois partie de leur pays, et par cette raison ils se vantent d'appartenir aux Dioscures de plus près que les Lacédémoniens. De Péphnos à Leuctres il n'y a pas plus de vingt stades: j'ignore d'où cette ville a pris son nom ; mais si c'est de Leucippe, fils de Périérès, comme le veulent les Messéniens, je ne m'étonne pas que ses habitants révèrent Esculape plus que tous les autres dieux, car ils le croient né d'Arsinoé, qui était fille de Leucippe. On y voit deux statues de marbre, l'une d'Esculape, l'autre d'Inô placées en des lieux différents, un temple et une statue de Cassandre, fille de Priam, que les gens du pays appellent Alexandra, et quelques statues de bois d'Apollon Carnéüs, qui est honoré à Leuctres de la même façon qu'à Sparte. Dans la citadelle il y a un temple et une statue de Minerve: j'oubliais dans la ville un temple de Cupidon, accompagné d'un bois sacré qui est toujours inondé durant l'hiver : une chose singulière, c'est qu'au printemps les feuilles qui tombent des arbres, ne sont point emportées hors du bois par les eaux. Je rapporterai ici ce qui arriva de mon temps, dans une plaine de Leuctres qui avoisine la mer. Le feu, par un grand vent, s'étant communiqué à une forêt, il y eut beaucoup d'arbres de brûlés : à l'endroit du bois qui avait été le plus dépouillé, on trouva une statue de Jupiter Ithomate en pied, d'où les Messéniens concluaient que Leuctres leur avait autrefois appartenu ; mais il se peut fort bien faire que dans le temps que Leuctres était aux Lacédémoniens, Jupiter Ithommate fût aussi en honneur chez eux. Cardamyle est à soixante stades de la mer, et à soixante de Leuctres ; Homère en fait mention, et c'est une des sept villes dont Agamemnon promet de faire présent à Achille : cette ville obéit présentement à Sparte, depuis qu'Auguste l'a démembrée de la Messénie. On y voit, près du rivage, un temple qui est consacré aux filles de Nérée; car on dit que ces Nymphes sortirent de la mer, et se placèrent là pour voir Pyrrhus qui allait à Sparte, dans le dessein d'épouser Hermione. Dans la ville même il y a un temple de Minerve, et une statue d'Apollon Carnéüs, dont le culte est commun à tous les Doriens. La ville qu'Homère appelle Enope était aussi autrefois aux Messéniens; mais aujourd'hui elle est de la dépendance des Eleuthérolacons, et se nomme Gérénie. Quelques-uns disent que Nestor y fut élevé, et d'autres qu'il s'y retira seulement, après que Pylos eut été prise par Hercule. Vous verrez à Gérénie le tombeau de Machaon, fils d'Esculape, avec un temple fort célèbre, qui lui est dédié ; car les habitants croient que Machaon a aussi la vertu de guérir les maladies ; ils lui ont consacré un petit canton qu'ils appellent Rhodon ; le dieu y est représenté en bronze, debout sur ses pieds ; il a sur la tête une couronne que les Messéniens, en leur langue naturelle, nomment Ciphos. L'auteur de la petite Iliade rapporte que Machaon fut tué par Eurypile, fils de Téléphe ; et de-là vient ce qui se pratique de ma connaissance dans un temple d'Esculape, qui est à Pergame ; on y chante des hymnes en l'honneur de Téléphe, mais sans y rien mêler qui soit à la louange d'Eurypile, et il n'est pas même permis de prononcer son nom dans ce temple, parce qu'il est regardé comme le meurtrier de Machaon. Au reste, les habitants de Gérénie disent que les os de Machaon furent recueillis par Nestor ; et, à l'égard de Podalire, ils tiennent qu'au retour de Troye, ayant été jeté par la tempête avec les autres Grecs à Syros, ville de Carie, il y fixa sa demeure. Dans le pays des Géréniens il y a la montagne de Calathion, et sur cette montagne un temple dédié à Calathée, auprès est une grotte dont l'entrée est extrêmement étroite, mais le dedans est fort orné, et mérite d'être vu. Si de Gérénie vous remontez vers les terres, vous n'aurez pas fait trente stades que vous trouverez la petite ville d'Alagonie, qui appartient aussi aux Eleuthérolacons ; il n'y a rien à y voir qu'un temple de Bacchus, et un temple de Diane.