[2,0] LIVRE SECOND. [2,1] CHAPITRE I. La grâce céleste annonça avec clémence au genre humain, quand la plénitude des temps fut accomplie, la propice Visitation qui avait été prévue de Dieu dès avant la création du monde. Vers l'heure la plus nouvelle du siècle, elle illumina des rayons d'une lumière naissante les cœurs ténébreux des mortels. En effet, comme la voix sonore du saint Evangile nous le fait connaître avec vérité, notre Sauveur Jésus-Christ, l'an quinze de l'empire de Tibère César, reçut de Jean le baptême dans le Jourdain, et, véritable soleil de ce monde, brilla pendant trois demi-années par les signes et les prodiges les plus évidens, et manifesta au monde sa divinité, qui le rend égal, consubstantiel et co-éternel avec le Père et le Saint-Esprit. Ensuite, à l'âge de trente-trois ans, il souffrit dans sa clémence la passion sur la croix pour le salut des hommes, et, vainqueur de la mort, qui depuis cinq mille ans retenait le genre humain enveloppé dans les filets d'une juste damnation, il dépouilla l'enfer; et, après avoir vaincu Satan, cet antique serpent, le troisième jour il ressuscita victorieux d'entre les morts. Enfin quarante jours après avoir confirmé par des signes manifestes sa résurrection devant des témoins véridiques, il leur ordonna de porter l'Evangile à toutes les nations en exécution de ses miracles; il conduisit ses disciples à Béthanie, et, debout sur la montagne des Oliviers, et devant un grand nombre de spectateurs qui le félicitaient, il monta aux cieux. Dix jours après, ses amis jeûnant et se réunissant pour prier, il leur envoya l'Esprit consolateur. Comme il l'avait promis et par une onction intérieure, il les instruisit de toutes choses à l'instant même; il les honora avec félicité de l'abondance de toutes les grâces; il les fortifia contre toutes les attaques de leurs ennemis et les rendit ainsi à la fois d'invincibles athlètes et les précepteurs de l'univers. Luc, Syrien de nation, médecin de son état, disciple fidèle du Christ, rempli de la grâce du Saint-Esprit, après avoir écrit son Evangile pour les fidèles de la Grèce, compléta ce travail par un célèbre volume sur les actes des Apôtres, qu'il composa pour Théophile. Théophile signifie aimant Dieu, ce qui désigne tout homme studieux et intelligent, qui est rempli de ferveur dans la méditation de la loi divine. C'est à bon droit que la parole de Dieu s'adresse à un tel homme; c'est à bon droit aussi qu'il la reçoit avec vivacité, et qu'il la retient fortement dans les liens d'un amour sincère. C'est pourquoi l'Evangile, c'est-à-dire, la bonne nouvelle, pénètre justement en lui, et recueille le triomphe des Apôtres et des martyrs toujours invincibles, parce qu'il paraît digne d'être initié à ces mystères secrets. Arator, sous-diacre éloquent du siége de Rome, s'appliqua à suivre la narration de Luc; il en tira la matière spéciale d'une composition poétique, et présenta au pape Vigile un poème remarquable par la beauté de sa mélodieuse versification, laissant ainsi à la postérité la plus reculée ce noble monument de ses veilles. Ce sont ces grands et illustres précurseurs que j'essaie de considérer; ce sont ces voyageurs rapides dont je suis pas à pas, quoique de loin et tout en boitant, les traces augustes. Je vais donc commencer sur ces matériaux mon premier travail, desirant vivement parler des Apôtres et de leurs bienheureux frères d'armes. Luc rapporte dans sa féconde narration que, le saint jour de la Pentecôte, les Apôtres furent remplis de l'Esprit saint, et qu'ils parlèrent, dans les différentes langues des nations, de la puissance de Dieu en présence des Juifs étonnés, qui s'étaient réunis de différentes contrées. Malgré l'envie de leurs rivaux, qui, par jalousie, disaient en murmurant: «Ces hommes sont pleins de vin,» Pierre, enflammé de l'ardeur de la foi, debout au milieu de ses onze confrères, éleva la voix, disserta d'une manière conséquente sur l'avènement de l'Enfant consolateur, depuis long-temps prédit par le prophète Joël; il démontra par les plus véridiques assertions que Jésus de Nazareth, dont Dieu le père avait manifesté la mission par tant de vertus, de signes et de prodiges, et qui, trois jours après sa passion sur la croix, était ressuscité d'entre les morts, avait été annoncé de la manière la plus claire par le psalmiste. Les Juifs éprouvèrent dans leur cœur une profonde componction, et, après avoir reçu les paroles du salut, furent baptisés. Ce jour-là même, trois mille personnes environ furent comptées au nombre des croyants. C'est de là que procéda la primitive Eglise, sur laquelle se répandit avec tant d'abondance la grâce céleste. Les Apôtres opéraient à Jérusalem beaucoup de signes et de prodiges, et tous ceux qui les voyaient redoutaient des choses extraordinaires. Quant à ceux qui croyaient, ils habitaient ensemble et mettaient tout en commun; ils vendaient leurs propriétés et leurs provisions pour en partager le prix à chacun selon ses besoins. Tous les jours les fidèles croissaient en vertus; tous les jours s'augmentait le nombre de ceux qui, par les faveurs du Seigneur, étaient appelés au salut. A la neuvième heure, Pierre monta au temple avec Jean; il y vit un mendiant âgé de quarante ans, qui, depuis le sein de sa mère, était resté boiteux. Cet homme ayant annoncé qu'il n'avait aucune ressource, Pierre secourut son indigence, et l'ayant pris par la main, il le guérit bientôt par ses paroles au nom de Jésus-Christ. Aussitôt, ayant recouvré le solide appui de ses pieds et de ses jambes, cet homme se mit à courir, entra au temple avec les deux Apôtres, et, dans sa joie, loua publiquement le Seigneur. Cependant le peuple fut saisi de stupeur, et tomba en extase en voyant le miracle manifeste consommé au nom de Jésus-Christ sur le boiteux, qui journellement se plaçait à la porte la plus apparente du temple. Pendant, que les Apôtres y étaient retenus, le peuple accourut au portique de Salomon pour voir l'infirme qui venait d'être guéri par la vertu du nom du Christ. La multitude s'étant rassemblée, Pierre prit la parole, et, dans l'humilité de son discours, annonça qu'il ne fallait pas lui attribuer le mérite de cette cure, qui, toute entière, était due à la puissance de la divinité de Jésus-Christ. Il réfuta avec douceur les Juifs persécuteurs du Sauveur; puis, il employa beaucoup de bonté à les excuser, comme n'ayant agi que par ignorance, tout confiant qu'il était dans l'infatigable miséricorde de son maître. Enfin, il les excita à la pénitence de leurs crimes, et leur prouva de la manière la plus claire l'avènement du Sauveur, véritable prophète que tous les prophètes, ainsi que Moïse et Samuel, avaient jadis prédit. Pendant que les deux apôtres parlaient au peuple, les prêtres, les officiers du temple et les Sadducéens survinrent, et les ayant fait saisir les firent conduire en prison. Pleins de l'iniquité de leur foi, ces réprouvés étaient fâchés de voir qu'on instruisît le peuple, et qu'on annonçât la résurrection de Jésus d'entre les morts. Un grand nombre de ceux qui avaient entendu la prédication furent touchés de la foi, et le nombre de ceux qui devinrent de véritables hommes s'éleva à cinq mille. Le lendemain, Anne, prince des prêtres, Caïphe, Jean, Alexandre, et tout ce qu'il y avait de la famille des prêtres, les princes, les vieillards et les scribes se réunirent à Jérusalem. Après avoir fait placer les deux apôtres au milieu d'eux, ils leur demandèrent: «En vertu et au nom de qui avez-vous agi?» Alors Pierre, qui était tout plein de l'Esprit saint, déclara positivement que le boiteux avait été guéri au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, et qu'il n'existait sous le ciel aucun autre nom qui pût conférer le salut. Les ennemis voyant la contenance de Pierre et de Jean, ayant découvert qu'ils étaient de simples particuliers sans instruction, les admirèrent et furent contristés en les reconnaissant pour avoir fait partie des disciples de Jésus; ils voyaient debout avec eux l'homme qui avait été guéri, et ne pouvaient nier le miracle, qui, évident aux yeux de tous, ne servait qu'à aigrir davantage la colère dont ils étaient enflammés. Ayant pris conseil, ils convoquèrent les Apôtres, et leur défendirent de parler et d'enseigner au nom de Jésus-Christ. Pierre et Jean s'opposèrent avec une grande autorité à cet ordre inique, en disant: «Jugez s'il est juste qu'en présence de Dieu nous vous écoutions plutôt que le Seigneur. Il nous est impossible de ne point parler de ce que nous avons vu et entendu.» L'assemblée les relâcha en les menaçant, mais n'osant les punir, parce qu'elle voyait bien que le miracle solennel qu'ils avaient opéré les rendait tout-à-fait agréables au peuple. Rendus à la liberté, les Apôtres allèrent trouver leurs frères, et leur firent part de ce qui leur était arrivé. Ayant entendu ce récit, ils élevèrent unanimement la voix vers le Seigneur, et enflammés d'une ardeur divine, ils témoignèrent leur gratitude à Dieu par une oraison spéciale. Après cette prière, le lieu où ils se trouvaient trembla; tous les assistants furent remplis du Saint-Esprit, et dans les filets d'une sainte prédication, ils prirent beaucoup de gens, les attirant du gouffre de l'erreur vers la lumière de la foi et de la justice. La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une ame; personne ne possédait rien en propre, et parmi eux nul ne manquait de rien, entre eux toutes choses étaient communes. Ceux qui possédaient des maisons et des terres les vendaient, et en déposaient le prix aux pieds des Apôtres. Cet argent était partagé à chacun selon ses besoins. La parole manifestée d'abord à Jérusalem répandit un tel éclat que tous les vœux se tournèrent vers le ciel. La divine bénédiction consacra cette assemblée propice, et de là s'étendit sur nous la féconde institution des bonnes mœurs. Joseph, surnommé par les Apôtres Barnabé, c'est-à-dire fils de consolation, Lévite et originaire de l'île de Chypre, disposé aux bonnes œuvres, vendit un champ qu'il possédait, en apporta le prix, et le déposa aux pieds des Apôtres. Cependant Ananie vendit aussi son champ, et de complicité avec sa femme, nommée Saphire, il en déclara frauduleusement le prix; il en apporta une partie, et la mit aux pieds des Apôtres. Le Saint-Esprit ayant fait connaître cette fraude à Pierre, l'apôtre réprimanda sur son mensonge l'homme qui le trompait. A peine cet homme eut entendu les réprimandes de l'apôtre, qu'il tomba par terre et qu'il expira. Trois heures après, la femme qui ignorait ce qui était arrivé, à son mari, vint à se présenter; Pierre lui ayant demandé quel prix le champ avait été vendu, elle fit une fausse déclaration. Blâmée aussi par l'apôtre, elle tomba aussitôt devant lui et mourut: ce qui occasionna une grande frayeur dans toute l'Eglise ainsi qu'à tous ceux qui avaient vu ces événements. Il se faisait un grand nombre de signes et de prodiges dans le peuple par les mains des Apôtres. Tout le monde se rassemblait sous le portique de Salomon. Cependant personne n'osait se réunir aux Apôtres, quoique le peuple les glorifiât. Toutefois le nombre des croyants, hommes et femmes, devenait de plus en plus considérable. Sur les places publiques, on transportait les infirmes sur de petits lits, afin que Pierre à son arrivée les couvrît au moins de son ombre et les guérît ainsi de leurs maux. Des villes voisines, la multitude accourait à Jérusalem vers les Apôtres: on apportait les malades et les démoniaques, et chacun recouvrait la santé qu'il desirait. Le prince des prêtres et tous ceux qui étaient avec lui furent remplis de fureur: ils saisirent les Apôtres et les firent renfermer dans la prison publique. Mais l'ange du Seigneur ouvrit les portes de la prison pendant la nuit, et, les conduisant dehors, leur dit: «Allez, et dans ce temple prêchez au peuple toutes les paroles de vie!» Dès le point du jour, les Apôtres entrèrent dans le temple, et y portèrent avec confiance la parole de Dieu. Le prince des prêtres et ceux qui l'accompagnaient se réunirent pour délibérer et envoyèrent à la prison pour en extraire les Apôtres et les conduire devant eux. Les envoyés la trouvèrent soigneusement fermée, mais ils n'y virent personne. Enfin on apprit que ceux que l'on cherchait étaient dans le temple occupés à enseigner. Alors un officier avec ses gens alla les chercher sans violence, car il craignait que le peuple ne le lapidât. Le prince des prêtres ayant fait paraître les Apôtres devant le conseil, leur reprocha de remplir Jérusalem d'une doctrine qui leur était contraire, en opposition au décret général des vieillards. Les Apôtres répondirent: «Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous avez fait périr attaché à l'arbre de la croix. Le Seigneur, de sa main puissante, l'a élevé comme prince et sauveur pour porter Israël à la pénitence et lui obtenir la rémission des péchés. Nous sommes les témoins de ce que nous vous rapportons; le Saint-Esprit l'est aussi, lui que le Seigneur a donné à tous ceux qui lui obéissent.» A ces mots les prêtres éprouvèrent une grande fureur, et cherchèrent à faire périr les Apôtres. Alors le pharisien Gamaliel, docteur de la loi, homme très-considéré du peuple, se leva au milieu du conseil, et, ayant fait retirer les Apôtres qu'il voulait servir, raconta qu'il y avait peu de jours, un nommé Théodose, qui avait avec lui quatre cents sectateurs, les avait vus se réduire à rien; que Judas le Galiléen, qui avec les siens attirait le peuple à son parti, avait péri à l'époque du dénombrement avec ceux qui l'accompagnaient. Après quelques exemples de ce genre, il ajouta: «Maintenant voici le conseil que je vous donne; ne vous occupez pas de ces gens; renvoyez-les, puisque, si leur parti ou leurs œuvres viennent des hommes, ils se dissiperont; mais si c'est de Dieu qu'ils procèdent, Vous ne pourrez les détruire, car vous paraîtriez vous-mêmes combattre contre Dieu.» Ayant entendu ce discours, le conseil se rangea à l'avis de Gamaliel, et renvoya les Apôtres après les avoir fait fouetter, en leur prescrivant de ne plus désormais parler au nom de Jésus, ils s'éloignèrent avec joie du lieu de l'assemblée, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des outrages pour le nom du Seigneur. Ils ne cessaient tout le jour de parcourir le temple et les maisons pour enseigner et porter l'Evangile au nom de Jésus-Christ. A cette époque le nombre des disciples s'étant accru, il s'éleva un grand murmure des Grecs contre les Hébreux, auxquels on reprochait d'écarter de la distribution journalière les veuves des premiers. Alors les douze Apôtres, ayant réuni la multitude des disciples, leur dirent: «Il n'est pas juste que nous négligions la parole de Dieu pour avoir soin des tables. Choisissez donc, mes frères, sept hommes de bonne réputation parmi vous, qui soient remplis de l'Esprit saint et de la sagesse; nous leur confierons cet emploi: c'est ainsi que nous pourrons nous livrer à la prière et au ministère de la parole.» Chacun y ayant consenti, on fit choix d'Etienne, homme rempli de foi et d'esprit saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timothée, Parmenès, Nicolas prosélyte d'Antioche. On les présenta aux Apôtres qui prièrent et leur imposèrent les mains. Le nombre des disciples se multipliait considérablement dans Jérusalem; plusieurs des prêtres mêmes obéissaient à la foi. [2,2] CHAPITRE II. Etienne, plein de grâce et de force, faisait des prodiges et de grands miracles parmi le peuple. C'est pourquoi les Juifs dans leur jalousie s'irritèrent contre lui, élevèrent avec lui des disputes, et firent d'inutiles efforts pour résister à la sagesse et à l'esprit qui parlait en lui. Alors ils apostèrent de faux témoins qui prétendirent avoir entendu les fidèles parler et blasphémer contre Moïse et le Seigneur: c'est ainsi qu'ils soulevèrent le peuple, les vieillards et les scribes. On accourut pour enlever Etienne et l'accuser devant le conseil. Tous ceux qui y siégeaient prirent son visage pour celui d'un ange. Interrogé par le prince des prêtres, Etienne répondit éloquemment et sans effroi, expliqua sagement les anciennes prophéties et l'histoire des patriarches. Il donna de grands éloges à Abraham ainsi qu'à Moïse, et termina en peu de mots la narration de ces grandes choses. Enfin il reprit les incrédules et ceux qui méprisaient la foi; il appela hautement cruels et incirconcis de cœur, comme d'oreilles, ceux qui résistent toujours au Saint-Esprit et persécutent les prophètes. Le conseil à ces mots frémit de colère au fond de l'ame et grinça des dents. Etienne, plein du Saint-Esprit, vit au ciel la gloire de Dieu, et dit: «Je vois les cieux ouverts, et Jésus placé à la droite de Dieu.» Alors on se récria à haute voix, on se boucha les oreilles, on se jeta sur lui, et l'ayant entraîné hors de la ville on le lapida. Alors les témoins déposèrent ses vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saul; puis ils accablèrent de pierres Etienne qui invoquait Dieu et disait: «Seigneur Jésus, recevez mon esprit.» Après s'être mis à genoux, il cria à haute voix: «Seigneur, ne leur imputez pas ce péché.» Après avoir prononcé ces paroles, il s'endormit dans le Seigneur. Cet événement se passa l'an second de l'Ascension du Sauveur, le 12 des calendes de janvier (21 décembre). Cependant quelques hommes craignant Dieu portèrent le corps du premier martyr dans la maison de campagne de Gamaliel, qui est appelée Caphargamala; on lui fit des obsèques avec un grand deuil, et on l'ensevelit avec respect. Par la suite, Nicodême, Gamaliel et Abibus, furent inhumés dans le même endroit. Un si grand trésor resta là caché plus de trois siècles, jusqu'à ce que le prêtre Lucien le découvrit par la révélation de Dieu. Jean, évêque de Jérusalem, le fit transporter dans sa ville l'an sept du règne d'Honorius. Etienne ayant été lapidé, une grande persécution s'éleva contre l'Eglise de Jérusalem, et tous les fidèles, à l'exception des Apôtres, se dispersèrent dans les différentes contrées de Judée et de Samarie. Toutefois, dans leur dispersion même, ces hommes, fortifiés par le Saint-Esprit, passaient dans divers lieux et y portaient la parole de Dieu. Alors Philippe prêcha le Christ dans Samarie, et présenta à ses auditeurs un grand nombre de merveilles dans la guérison faite au nom de Jésus des paralytiques, des boiteux et des démoniaques. Les Samaritains donnèrent unanimement une grande attention aux prédications de Philippe, et s'empressèrent joyeusement d'embrasser la vraie foi. Alors Simon le magicien, qui jadis avait séduit les Samaritains, et qui long-temps les avait aveuglés par ses prestiges, ce qui le faisait considérer comme un grand personnage par tous ceux qu'il avait trompés, était appelé la grande vertu de Dieu. Philippe ayant évangélisé sur le royaume des cieux, Simon crut en lui, et, s'étant fait baptiser au nom de Jésus-Christ avec beaucoup d'hommes et femmes, il s'attacha à l'apôtre; car il voyait s'opérer sous ses yeux des miracles et de grands prodiges tellement extraordinaires qu'il en restait stupéfait d'admiration. Les Apôtres qui étaient à Jérusalem, ayant appris que Samarie avait reçu la parole de Dieu, y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci, étant arrivés, prièrent pour qu'elle reçût le Saint-Esprit. Ils imposaient les mains sur les baptisés, et le Saint-Esprit leur était aussitôt donné. C'est de là que vient l'institution ecclésiastique, d'après laquelle le pontife impose les mains, en même temps qu'il prie et donne l'onction du chrême, aux catéchumènes qui ont reçu le baptême par le ministère du prêtre; et c'est ainsi que s'opère dans les baptisés une entière confirmation par les sept dons du Saint-Esprit. Simon ayant vu que le Saint-Esprit s'obtenait par l'imposition des mains des Apôtres, leur offrit de l'argent et leur dit: «Donnez-moi aussi le pouvoir, afin que celui à qui j'aurai imposé les mains reçoive le Saint-Esprit.» Pierre lui répondit: «Périsse avec vous votre argent, puisque vous avez pensé que le don de Dieu peut s'acquérir à prix d'or! Vous n'avez ni parts ni chances dans ce discours, car votre cœur n'est pas droit devant Dieu. Ainsi faites pénitence de votre iniquité, et priez Dieu, qui peut-être vous pardonnera cette pensée d'un cœur égaré. En effet, je vois que vous êtes plongé dans le fiel de l'amertume et les chaînes de l'injustice.» Simon, faisant peu de cas du discours de l'apôtre, se retira, et, devenu apostat, encourut long-temps la violente colère du Seigneur par d'innombrables forfaits. Cependant les Apôtres, après avoir prêché la parole du Seigneur, retournèrent à Jérusalem, et portèrent l'Evangile dans les différentes contrées des Samaritains. D'après l'ordre de l'ange de Dieu, Philippe se présenta à l'eunuque Candace, qui était le surintendant du trésor de la reine des Ethiopiens, au moment où ce seigneur revenait de Jérusalem; il s'assit avec lui sur son char; il lui expliqua les prophéties d'Isaïe, dont il faisait la lecture, et commençant à la prédiction de la mort de l'Agneau plein de douceur, il lui annonça Jésus. L'eunuque, plein de joie, reçut ces paroles: il les comprit diligemment, les crut volontiers, et, dès qu'on eut trouvé de l'eau, il se fit baptiser; puis il retourna dans sa patrie joyeux d'avoir été renouvelé par la régénération sacrée. Cependant l'esprit de Dieu enleva Philippe, et il évangélisa dans toutes les villes, depuis Azot jusqu'à Césarée. Saul, ne respirant encore que menace et meurtre contre les disciples du Seigneur, demanda, aux principaux d'entre les prêtres, des lettres pour les synagogues de Damas, afin d'y exterminer l'Eglise de Dieu, d'y charger de fers les hommes et les femmes de la secte des Nazaréens et de les faire conduire à Jérusalem. Comme il approchait de Damas, il fut tout à coup entouré d'une lumière qui venait du ciel. Tombé par terre, il entendit le Seigneur qui le réprimandait. Il se corrigea, et changea utilement pour lui et pour beaucoup d'autres. Ses compagnons de voyage entendirent le Seigneur qui parlait à Saul, mais ils ne virent personne. Conduit par la main à Damas, il y fut trois jours sans voir, sans boire et sans manger. Ananie, envoyé par le Seigneur, lui imposa les mains, le réconforta, l'illumina et le baptisa. Ainsi, par ce merveilleux moyen, de loup et de persécuteur cruel qu'il était, Saul devint un agneau de douceur et un bélier intrépide, un vase d'élection et le docteur des Gentils. Aussitôt, entrant dans les synagogues, il y prêcha Jésus comme fils de Dieu. Les assistants en furent d'autant plus surpris, qu'ils connaissaient son opiniâtreté, et qu'ils l'avaient toujours vu rempli de zèle pour les traditions de ses pères. Saul se fortifiait de plus en plus et confondait les Juifs qui habitaient Damas. C'est pourquoi, à cause du témoignage fidèle qu'il rendait de la divinité de Jésus, une grande haine s'éleva contre lui. Aussi, peu de temps après, dans le dessein de le tuer, les Juifs le cherchèrent avec un grand soin, et, pour qu'il ne pût prendre la fuite, placèrent jour et nuit des gardes aux portes de la ville. Mais les disciples sachant que l'on tendait des embûches nocturnes à Saul, déjouèrent les projets de ses ennemis, et, durant l'obscurité de la nuit, le descendirent le long des murs dans une corbeille. Venu à Jérusalem, il chercha à se réunir aux disciples; mais tous le redoutaient, parce qu'ils ne croyaient pas qu'il fût disciple lui-même. Dans cette circonstance, Barnabé le prit et le leur mena: il leur raconta comment Saul avait vu le Seigneur sur le chemin de Damas, et leur fit part de toutes les autres choses qui lui étaient arrivées. Saul s'unit fidèlement à ceux qui rendaient grâces à Dieu, et se comporta de manière à mériter la confiance en prêchant le nom du Seigneur Jésus, entrant toujours et sortant avec eux. Il disputait avec les Grecs, confondait les Juifs, et, avec l'aide de Dieu, se montrait supérieur en toutes choses. Les principaux qui lui portaient envie, vaincus par Saul, essayèrent de le tuer. Ses frères ayant appris cette nouvelle, le conduisirent à Césarée et l'envoyèrent à Tarse. Cependant l'Eglise jouissait de la paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie; comme elle marchait dans la crainte du Seigneur, elle se fortifiait; l'Esprit saint la remplissait de consolation, et la multitude des croyants augmentait journellement. L'apôtre Pierre guérit à Lydda le paralytique Enée, qui, depuis huit ans, gissait sur un grabat. Tous les habitants de Lydda et de Sarona qui virent ce miracle, se convertirent au Seigneur. A Joppé, Tabita, femme remplie de bonnes œuvres et d'aumônes, vint à mourir et fut déposée par les frères dans une chambre. Les disciples ayant appris que Pierre était à Joppé, ville voisine de Lydda, envoyèrent vers lui deux hommes pour le prier de venir vers eux. Aussitôt il s'empressa d'obéir humblement à la demande des frères. A son arrivée, toutes les veuves en pleurs l'environnèrent, et lui firent voir les tuniques et les habillements que cette femme faisait pour elles. Après avoir renvoyé les assistants, Pierre se mit à genoux, pria et dit en se tournant vers le corps: «Tabita, levez-vous.» Elle ouvrit les yeux et se plaça sur son séant, après avoir regardé Pierre. Il lui donna la main, la leva et la rendit vivante aux saintes veuves. Ce miracle ayant été répandu dans toute la ville de Joppé, beaucoup de personnes crurent au Seigneur. Il existait alors à Césarée un centenier, de la cohorte appelée Italique: il s'appelait Corneille. C'était un homme religieux et craignant Dieu, comme toute sa maison, constamment occupé d'aumônes et de prières pour son salut éternel. Dans un songe qu'il eut, il vit clairement, vers la neuvième heure du jour, un ange de Dieu. Comme il le considérait, saisi de crainte, il l'entendit lui dire: «Corneille, vos prières et vos aumônes ont monté en la présence de Dieu, qui les conserve en mémoire.» L'ange lui ordonna ensuite d'envoyer chercher Simon Pierre, qui lui donnerait un salutaire conseil. Le centenier s'empressa d'obéir à l'ordre qu'il recevait, et envoya trois hommes vers Pierre. Le lendemain, lorsqu'ils approchaient de la ville, Pierre monta, vers la sixième heure, sur la terrasse de la maison pour y faire sa prière. La faim le tourmentant, il éleva la tête, et, dans le ravissement de son esprit, il vit les cieux ouverts, et un certain vase qui en descendait comme une grande nappe nouée aux quatre coins, et dans laquelle étaient toutes sortes de quadupèdes, de reptiles de la terre, et d'oiseaux du ciel. Une voix lui dit: «Pierre, levez-vous, tuez et mangez.» Pierre répondit: «Seigneur, loin de moi cette nourriture; je n'ai jamais rien mangé d'immonde.» Pour la deuxième fois la voix se fit entendre, et dit: «N'appelez pas ainsi ce que le Seigneur a purifié.» Ce prodige s'opéra trois fois, et aussitôt le vase retourna dans le ciel. Par cette révélation, Pierre conçut divinement la conversion des Gentils, qui devait s'opérer dans les quatre climats du monde, en toutes langues et toutes tribus. Désormais, rassuré et joyeux, il donna asile aux envoyés de Corneille dans la maison de Simon le corroyeur, et, le lendemain, prit avec eux la route de Césarée de Palestine. Y étant arrivé, il trouva Corneille avec ses parents et ses amis, tous disposés à entendre la parole de vie et à lui obéir; il se rendit pieusement à leurs prières. Alors Pierre, ouvrant la bouche, parla en ces termes: «En vérité, je vois que Dieu ne fait point acception de personnes, et que celui-là lui est agreable dans toute nation, qui le craint et qui pratique la justice. Il a envoyé le verbe aux enfants d'Israël en leur annonçant la paix par Jésus-Christ qui est le Seigneur de tous.» Comme Pierre prêchait ces choses et beaucoup d'autres sur l'avènement du Sauveur et sur la vie éternelle, et versait largement, des fontaines de la céleste doctrine, le breuvage de vie à ceux qui en étaient altérés., le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui prêtaient l'oreille à ses paroles, et leur conféra soudain la science des langues. Alors Pierre, en présence des circoncis qui se trouvaient avec lui et qui étaient saisis d'étonnement, baptisa Corneille et tous ceux qui croyaient avec lui. Sollicité par d'illustres néophytes, Pierre demeura quelques jours à Césarée, et, après les avoir confirmés dans la foi, il monta à Jésusalem, où il raconta à ses co-apôtres la conversion des Gentils. Alors certains circoncis entrèrent en discussion avec lui, et lui dirent: «Pourquoi vous êtes-vous introduit chez des hommes qui ont conservé leur prépuce, et pourquoi avez-vous mangé avec eux?» Pierre alors commença à leur expliquer de suite comment il s'était livré à la prière dans Joppé, et comment il avait eu en extase une vision par laquelle Dieu lui avait démontré la vocation et la conversion des Gentils ainsi que son assistance. Il raconta ensuite avec sincérité les autres choses qui lui étaient arrivées. A ce récit, ils gardèrent le silence, et, comme ils étaient animés d'une charité fraternelle, ils se réjouirent et glorifièrent le Seigneur qui devait sauver les Gentils par la voie de la pénitence. Cependant quelques fidèles, qui étaient de Chypre et de Cyrène, et quelques autres, qui avaient été dispersés pendant la persécution dont Etienne fut victime, s'étaient retirés en Phénicie, à Chypre, à Antioche, et n'avaient annoncé la parole de la foi qu'aux seuls Hébreux. Mais ceux qui étaient entrés dans Antioche firent connaître aux Grecs le Seigneur Jésus; et un grand nombre de croyants se convertirent à lui. L'Eglise de Jérusalem, ayant appris ces événements, envoya Barnabé, homme vertueux, plein de foi et des dons de l'Esprit-Saint. Parvenu dans Antioche, il éprouva une grande joie en y voyant les effets de la grâce de Dieu. Ayant réconforté tous les fidèles, il partit pour Tarse, afin d'y trouver Saul; de là ils se rendirent ensemble à Antioche. Ils passèrent tout un an dans cette église, et y donnèrent l'instruction à un grand nombre de personnes: c'est là que pour la première fois les disciples furent appelés Chrétiens. Alors le prophète Agabus, l'un des prophètes qui étaient venus de Jérusalem, prédit, grâces aux inspirations divines, une grande famine qui devait avoir lieu. Alors Saul et Barnabé, ayant reçu de leurs frères les moyens de secourir les fidèles, furent envoyés à Jérusalem. [2,3] CHAPITRE III. Cependant Tibère Auguste régna environ vingt-deux ans. Ce fut l'an dix-huit de son règne, comme le rapportent, avec vérité, les plus fidèles documents, que notre Seigneur Jésus-Christ fut mis à mort, ressuscita, et fit, d'une manière ineffable, plusieurs miracles qui, répandus depuis long-temps partout, firent l'objet d'un rapport de Pilate à Tibère, lequel ajouta que, vu les innombrables prodiges opérés en son nom par beaucoup de personnes, ce Jésus-Christ était regardé comme le Seigneur. Tibère fit part de ces choses au sénat. On rapporte, et Tertullien l'a écrit dans son Apologétique, que le sénat témoigna du mépris pour le Christ, parce que la décision du vulgaire avait prévenu son autorité, et qu'on ne lui avait pas d'abord remis le jugement de l'affaire. En effet, d'après une loi fort ancienne, nul ne pouvait chez les Romains être considéré comme dieu, si ce titre ne lui était conféré par un sénatus-consulte. Au surplus, comme l'assure Eusèbe de Césarée, dans le deuxième livre de son Histoire ecclésiastique, ce qui s'était passé était nécessaire afin qu'on ne crût pas que la vertu divine eût besoin d'être reconnue par les lois humaines. Ainsi que nous venons de le dire, le sénat ayant refusé de reconnaître la divinité du Christ, Tibère défendit de rien entreprendre contre la doctrine que le Sauveur avait enseignée. La divine providence inspira cette mesure à l'empereur, afin que, sans nul obstacle à ses commencements, la parole de l'Evangile pût être portée partout. Il en résulta que, tout à coup, comme une lueur céleste qui viendrait à paraître, ou comme les rayons du soleil qui se lève, la parole divine répandit sur tout le globe l'éclat des lumières supérieures, afin que fût accomplie cette prophétie, qui disait: «Le son de leur voix s'est répandu sur toute la terre, et leurs paroles ont pénétré jusqu'aux confins de l'univers.» Depuis ce moment, dans toutes les villes, une immense multitude de peuple se réunissait à l'Eglise, comme au temps des moissons les blés sont portés dans les granges. Tous ceux qui étaient retenus dans les liens des pernicieuses, superstitions que leurs pères leur avaient transmises, affranchis de leurs maîtres tyranniques en recevant la connaissance de la parole de Dieu par la doctrine du Christ et par les miracles dont sa vertu les rendait témoins, se soumettaient à un seul vrai Dieu et Seigneu, leur créateur, se repentant de leurs vieilles erreurs dont ils faisaient une fidèle confession. A la mort de Tibère, Caïus Caligula prit l'empire et l'occupa pendant près de quatre ans. Il donna la principauté des Juifs à Hérode Agrippa, fils d'Aristobule, et lui confia en même temps les tétrarchies de Philippe et de Lysanias. Il y joignit peu après celle d'Hérode. C'est ce même Hérode qui avait été l'auteur de la mort de Jean-Baptiste, et qui avait agi d'une manière dérisoire dans la Passion du Sauveur. Caligula, après l'avoir vexé de toutes les manières, l'exila à perpétuité en Espagne, ainsi que le rapporte Josèphe, célèbre historien des Hébreux. Alors le juif Philon, le plus illustre des écrivains, le premier au premier rang dans la philosophie des Grecs, laissa à la postérité d'éclatants monuments de ses talents, et, entre autres écrits, en composa un dans lequel il parle de la cruauté et de la folie de Caligula, dont l'orgueil fut porté si loin qu'il voulut se faire appeler le Seigneur, et qu'il profana les lieux saints de la Judée par l'introduction de ses idoles. En expiation des forfaits dont ils avaient osé se rendre coupables envers le Christ, les Juifs souffrirent d'horribles massacres et d'affreuses tribulations, ainsi que le racontent, dans leurs écrits, les philosophes Philon et Josèphe dont nous venons de parler. Effectivement, depuis l'époque du sacrilége qu'ils avaient commis, ils furent constamment en proie à la fureur des séditions, et constamment les victimes de la guerre et du meurtre, jusqu'à ce qu'enfin, au temps du siége de Jérusalem par Vespasien, le comble fût mis à leurs calamités et à leur destruction. Pilate, qui, l'an 12 du règne de Tibère-César, avait été nommé gouverneur de la Judée, et avait prononcé la sentence de condamnation contre le Christ, reçut de Caligula tant d'outrages et de vexations qu'il fut forcé de se donner la mort de sa propre main. C'est vers cette époque que Matthieu, qui portait la parole de Dieu dans la Judée, écrivit son Evangile en hébreu. Caligula ayant été mis à mort, Claude régna treize ans et huit mois. Sous son règne tout l'univers eut à souffrir d'une épouvantable famine, ainsi que Luc rapporte qu'elle avait été prédite par le prophète Agabus. En ce temps-là, pendant la famine qui eut lieu sous l'empire de Claude, le roi Hérode entreprit de persécuter quelques-uns des disciples de l'Eglise. Alors Jacques, fils de Zébédée, apôtre de notre Seigneur Jésus-Christ, visitait toute la Judée et la Samarie, opérait beaucoup de miracles par la vertu de Jésus-Christ, disputait dans les synagogues contre les incrédules, et donnait l'explication des saintes Ecritures, démontrant ainsi que tout ce qui avait été prédit par les prophètes s'était accompli dans le Seigneur Jésus-Christ. Le magicien Hermogène ayant entendu parler de ses vertus, lui porta envie, envoya son disciple Philète en qualité d'espion auprès de cet apôtre. Philète, étant venu avec quelques pharisiens, essaya de lutter contre Jacques et de réfuter, par ses objections, ses saintes prédications sur le Seigneur Jésus-Christ. Mais l'apôtre continua d'agir avec confiance dans le Saint-Esprit; il confondit toutes les assertions de son adversaire, et prouva, par les divines Ecritures, que Jésus de Nazareth était le vrai fils de Dieu. De retour auprès d'Hermogène, Philète donna les plus grands éloges à Jacques, approuva fidèlement ses allégations sur la vraie foi, le déclara insurmontable, et publia un grand nombre de miracles qu'il avait vus ou dont il avait entendu parler. Enfin il engagea son maître à se rendre aussitôt avec lui auprès de l'apôtre, et à solliciter son indulgence afin de devenir l'un et l'autre ses disciples. Dans sa fureur, Hermogène enchaîna tellement Philète qu'il ne pouvait se mouvoir. Aussitôt que l'apôtre apprit ces choses par le fils de Philète, il lui envoya son suaire, et lui prescrivit de le toucher au nom du Seigneur. Cela fait, aussitôt Philète fut délivré des liens du magicien. Il courut vers Jacques, et, dans sa joie, sa moqua des maléfices diaboliques. Cependant le magicien, profondément affligé, se servit de toute la perversité de son art pour appeler les démons. Il leur ordonna de lui amener enchaînés Jacques et Philète. Les démons, étant arrivés, se mirent à hurler dans les airs, à se plaindre et à gémir horriblement, parce que l'ange de Dieu les avait liés avec des chaînes de feu qui rendaient leurs tourments insupportables. Enfin, délivrés par l'ordre de l'apôtre, ils retournèrent vers Hermogène, lui lièrent les mains derrière le dos, et le conduisirent ainsi enchaîné devant Jacques. Le bienheureux apôtre le réprimanda, lui prouva que la société des démons est pour l'homme une chose détestable et tout-à-fait pernicieuse; puis il ordonna à Philète de délier le magicien qui se tenait devant lui humilié et confus. C'est alors qu'il prit le bâton de l'apôtre pour se défendre de la fureur des démons, et fit apporter de sa maison, sur la tête de ses disciples, plusieurs cassettes remplies de livres. Il commençait à les jeter au feu; mais l'apôtre lui ordonna de les précipiter dans la mer, après les avoir remplis de pierres et de plomb, de peur que l'odeur de l'incendie de ces objets maléficiés ne fût préjudiciable à ceux qui n'auraient pas pris les précautions nécessaires pour se préserver du danger. C'est ainsi que dépouillé de tout cet amas de criminelle magie, Hermogène revint vers Jacques, se jeta humblement à ses pieds, témoigna à Dieu un sincère repentir; et, s'attachant au bienheureux apôtre, lui fut fidèle en toutes choses. Ainsi il commença à se perfectionner dans la crainte de Dieu, à tel point que le Seigneur se servit de lui pour opérer plusieurs miracles, dont l'évidence amena la conversion de beaucoup de personnes qui abandonnèrent leurs erreurs et renoncèrent à leurs crimes. Les Juifs, persévérant dans leur iniquité et ayant vu que le magicien, qu'ils croyaient invincible, avait, ainsi que ses amis, adopté la croyance du Christ, offrirent de l'argent à Lysias et à Théocrite, centeniers de Jérusalem, et mirent Jacques en prison. Une sédition ayant eu lieu, Jacques fut conduit devant eux, et tout le monde admira sa confiance dans le Seigneur. Interrogé par les Pharisiens, il fit des réponses admirables, et parla avec autant de sagesse que d'éloquence de ce que contiennent les saintes Ecritures. Ainsi il prouva d'une manière irréfragable que le Christ était né d'une vierge immaculée, qu'il avait souffert la passion, qu'il était ressuscité; et il s'étendit sur toutes les autres choses que l'Eglise catholique confesse. Aux discours persuasifs de l'apôtre, tous les auditeurs crurent, confessèrent leurs péchés, et s'attachèrent avec fidélité à l'Eglise de Dieu. Quelques jours après, le pontife Abiathar, voyant qu'une grande multitude croyait au Seigneur, fut pénétré d'affliction, et répandit beaucoup d'argent pour exciter une sédition violente. Il en résulta que le scribe Josias mit une corde au cou de l'apôtre, et le conduisit au prétoire du roi Hérode, fils d'Aristobule. Le roi, qui voulait se rendre agréable aux Juifs, prononça la peine de la décollation. Pendant que l'on menait le condamné au supplice, un paralytique, qui était étendu à terre, lui demanda avec foi la faveur d'être guéri; Jacques lui dit: «Au nom de mon Seigneur Jésus-Christ qui a été crucifié, et pour l'amour duquel je suis conduit à la décollation, levez-vous sain et sauf et bénissez votre Sauveur.» Le paralytique se leva aussitôt, et, plein de joie, se mit à courir et à bénir le Seigneur. A cette vue, Josias se précipita aux pieds de l'apôtre et lui demanda humblement pardon. Cependant Jacques, comprenant que le cœur du scribe avait été visité de Dieu, s'en réjouit et Josias confessa le Seigneur Jésus-Christ fils du Dieu vivant. Alors Abiathar le fit saisir et lui fit couvrir la face de coups de poing. Ensuite ayant fait à Hérode le rapport de cet événement, il lui demanda l'autorisation de faire décoller aussi le converti. Jacques, ayant embrassé le néophyte, lui fit l'imposition des mains sur la tête, et le bénit par un signe de croix sur le front. Ainsi le scribe, parfait dans la foi, eut avec l'apôtre la tête tranchée; ils reçurent tous deux du tout-puissant Emmanuel l'éternelle rémunération. Le martyre du bienheureux apôtre Jacques, digne frère de Jean l'Evangéliste, ayant été consommé le 8 des calendes d'août (25 juillet), jour auquel la dévotion de l'Eglise célèbre sa fête, sept disciples qui avaient été formés par lui à la vraie loi, et s'étaient trouvés à sa passion, inspirés de Dieu, placèrent le corps sur une vieille barque; et, pleins de confiance dans le Ciel, s'abandonnèrent à la haute mer, sans pilote et sans agrès. Ils arrivèrent miraculeusement en Espagne, et, bien accueillis par le roi de Galice, ils prêchèrent les premiers la foi et la religion aux Espagnols, et donnèrent à leur maître une sépulture honorable. Là, beaucoup de miracles s'opérèrent par les mérites de saint Jacques, apôtre, et les habitants de toute la province ne tardèrent pas à embrasser la foi du Christ. Dans ce siége épiscopal, des chanoines dévoués gardent avec respect le corps très-précieux de l'apôtre. De tous les climats du monde, les fidèles Chrétiens accourent et se réunissent pour implorer la clémence du Seigneur par l'intervention apostolique. Le roi Hérode que Josèphe, appelle Agrippa, voyant que le supplice de Jacques avait été agréable aux Juifs, fit aussi jeter Pierre en prison et le donna à garder à quatre escouades de soldats composées chacune de quatre hommes. On retint Pierre dans les fers, afin de ne le livrer publiquement à la mort qu'après la Pâque. Toute l'Eglise ne cessait de prier la divine majesté de ne pas permettre que le fidèle troupeau fût privé du secours tutélaire de son pieux pasteur. Le Seigneur, dans sa clémence, entendit bientôt les prières de son épouse, de sa fidèle amie, pour son protecteur chéri. Le secours céleste n'abandonna pas l'Eglise, et prévint, en les trompant, les attentats impies d'Hérode. La nuit, pendant que Pierre dormait enchaîné doublement entre deux soldats, et que des sentinelles étaient placées devant la porte de la prison, l'ange du Seigneur lui apparut au milieu d'une grande lumière, le réveilla en lui touchant le côté, et lui dit: «Levez-vous promptement.» Aussitôt les chaînes qui le retenaient lui tombèrent des mains., il prit sa ceinture, se chaussa, se vêtit de ses habits et sortit. Ayant suivi l'ange, il passa à travers les gardes jusqu'à la porte de fer qui s'ouvrit d'elle-même. Il crut voir en songe tous ces événements. L'ange l'ayant quitté, Pierre revint à lui-même, reconnut la vérité de ce qu'il voyait, et rendit grâces de son salut à son libérateur. Il alla trouver ses frères qui étaient réunis dans la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc: ayant frappé à la porte, une jeune fille nommée Rhode s'avança pour le voir; mais ayant reconnu la voix de Pierre, sa grande joie lui fit négliger d'ouvrir la porte: elle courut vite pour annoncer que Pierre y était: enfin il entra; il rassura les disciples étonnés de sa présence, et leur raconta comment le Seigneur l'avait tiré de prison. Sans tarder, il sortit pour aller chercher une autre retraite. Il y eut un grand trouble parmi les soldats par rapport à Pierre. Comme on ne put le retrouver, le roi Hérode entra dans une violente colère contre les gardes. Cependant l'attentat consommé par le roi contre les Apôtres ne tarda pas à recevoir sa digne récompense: le bras vengeur de Dieu est continuellement levé, comme nous l'enseigne Luc dans les Actes des Apôtres, et Josèphe dans le dix-neuvième livre de ses Antiquités. Il s'était rendu à Césarée qui s'appelait auparavant la tour de Straton; un jour solennel, comme il donnait des spectacles aux citoyens en l'honneur de l'empereur, il s'avança sur le théâtre revêtu d'habits admirablement brodés d'or et d'argent; il s'assit dans une tribune et harangua le peuple qui s'écria que tant d'éloquence n'était pas d'un homme mais d'un Dieu: soudain l'ange du Seigneur frappa le roi, parce qu'il n'avait pas rapporté sa gloire à Dieu même. Cinq jours après il expira dévoré par les vers. [2,4] CHAPITRE IV. Agrippa, fils d'Hérode, régna vingt-six ans, c'est-à-dire jusqu'à l'extermination des Juifs. Il vécut en paix avec les Romains et les Chrétiens. La parole de Dieu croissait et se multipliait. L'église d'Antioche avait pour prophètes et pour docteurs, Barnabé, Saul, Simon-le-Noir, Lucius de Cyrène, Manassé, frère de lait du tétrarque Hérode. Pendant qu'ils étaient occupés à rendre leurs devoirs. au Seigneur et qu'ils jeûnaient, l'Esprit-Saint leur dit: «Séparez-moi Barnabé et Saul pour qu'ils se livrent à l'ouvrage auquel je les ai destinés.» Alors ayant jeûné et prié, on leur imposa les mains et on les laissa aller. Le Saint-Esprit les envoya à Séleucie d'où ils s'embarquèrent pour Chypre. Ils y prêchèrent à Salamine la parole de Dieu dans les synagogues des Juifs, et parcoururent toute l'île jusqu'à Paphos. Là, le proconsul Serge Paul, homme prudent, envoya chercher Barnabé et Saul. Ayant entendu la parole de Dieu comme il le desirait, il crut. Alors Saul frappa d'un aveuglement momentané le magicien Elymas qui résistait à la foi, et mérita ainsi d'être nommé Paul, du nom de celui qu'il venait de vaincre, comme Scipion fut nommé l'Africain après avoir soumis l'Afrique. Ils se rendirent ensuite à Perge dans la Pamphilie, puis à Antioche de Pisidie, et prirent place dans la synagogue le jour du sabbat. Après la lecture de la loi et des prophètes, comme les chefs de la synagogue y donnaient leur consentement, Paul se leva, et de la main réclamant le silence, parcourut admirablement l'histoire des patriarches, et prouva parfaitement que les promesses faites autrefois par les prophètes au nom de Dieu s'étaient accomplies dans le Christ. Le sabbat suivant, presque toute la ville se réunit pour entendre la parole du Seigneur, C'est ce qui détermina les Juifs les plus violents à s'efforcer, par leurs blasphèmes, de prévenir les effets de la prédication apostolique. Alors Paul et Barnabé dirent avec assurance: «C'est à vous qu'il fallait d'abord faire entendre la parole de Dieu; mais puisque vous la repoussez, et que vous vous jugez indignes de la vie éternelle, nous allons chez d'autres nations; car le Seigneur nous l'a prescrit ainsi: je vous ai établis pour être la lumière des nations, afin que vous serviez à leur salut jusqu'à l'extrémité de la terre.» A ces mots le peuple se réjouit, et ceux qui étaient prédestinés crurent à la vie éternelle. Les Juifs, après avoir excité une persécution contre Paul et Barnabé, les chassèrent du pays, ils allèrent pleins de joie à Iconium, et là, dans la synagogue, ils parlèrent devant les Grecs et les Juifs. Restés dans cette ville quelque temps, ils travaillèrent avec confiance pour la gloire de Dieu, avec la coopération duquel ils firent beaucoup de prodiges et de miracles. Les impies, les Gentils et les Juifs les accablèrent d'outrages et cherchèrent à les faire lapider, tant était grande l'envie qu'ils leur portaient. Les saints docteurs se rendirent à Listre et à Derbe villes de Lycaonie; ils parcoururent tout le pays aux environs, et portèrent partout les paroles de l'Evangile. Tous les citoyens furent touchés de leur doctrine. A Listre, un certain boiteux, qui n'avait jamais marché, entendit les prédications de Paul. Ayant invoqué le nom du Seigneur Jésus, il fut aussitôt guéri par Paul, recouvra l'usage de ses jambes, et plein de foi glorifia le Sauveur. Le peuple, témoin de ce miracle, plein d'admiration, s'écria en lycaonien: «Ce sont des dieux qui ont revêtu la figure humaine pour descendre vers nous.» Et il donnait à Barnabé le nom de Jupiter, et à Paul le nom de Mercure. Un prêtre de Jupiter et plusieurs hommes du peuple ayant témoigné le desir de leur offrir un sacrifice, les apôtres s'élancèrent aussitôt dans la foule, déchirèrent leur vêtement, et, dans un discours plein d'humilité, rapportèrent au Seigneur la gloire de leur miracle: tout en s'abaissant pour ne pas recevoir de sacrifice, ils parvinrent à peine à calmer la multitude. Des Juifs étant survenus d'Iconium et d'Antioche de Pisidie, la populace égarée lapida Paul, et, croyant l'avoir tué, le traîna hors de la ville. Ses disciples étant accourus autour de lui, il se leva plein de vie, rentra dans la ville, et le lendemain partit pour Derbe. Peu de temps après, les deux apôtres revinrent à Listre, à Iconium, à Antioche de Pisidie: ils y prêchèrent la parole de vie, fortifièrent par leurs exhortations les ames des disciples, établirent des prêtres dans chaque église et les recommandèrent au Seigneur par le jeûne et par la prière. De la Pamphilie ils se rendirent à Attalie et s'embarquèrent pour Antioche. Ils restèrent quelque temps dans cette ville avec leurs disciples. Alors quelques hommes, venus de la Judée, persuadèrent aux croyants qu'ils devaient être circoncis et observer la loi de Moïse; Paul et Barnabé leur répondirent, et furent envoyés, par une délibération commune, à Jérusalem vers les apôtres et les prêtres pour y faire résoudre cette question. A leur passage par la Phénicie et la Samarie, ils racontèrent la conversion des Gentils, et procurèrent ainsi une grande satisfaction aux frères. Ils furent bien accueillis à Jérusalem par l'Eglise, et firent connaître tous les miracles que le Seigneur avait opérés avec eux. Comme quelques-uns des croyants, qui appartenaient à la secte des Pharisiens, faisaient tous leurs efforts pour judaïser, Simon Pierre, Jacques et quelques autres prêtres s'empressèrent de traiter la question qui leur était proposée; ils décidèrent en définitive que des frères choisis et éprouvés seraient envoyés vers les Gentils, et les chargèrent, d'après l'inspiration du Saint-Esprit, d'une lettre, dans laquelle ils prévenaient leurs frères de mettre de côté toute autre charge, pour s'abstenir de ce qui a été sacrifié aux idoles, des animaux suffoqués, du sang et de la fornication. En conséquence, Paul et Barnabé, Judas, surnommé Barsabas, et Silas, furent envoyés à Antioche, et remirent l'épître des apôtres et des prêtres à la multitude des croyants parmi les Gentils. Ceux-ci, l'ayant lue, furent consolés et joyeux. Judas et Silas, qui étaient prophètes, portèrent de grandes paroles de consolation à leurs frères, les fortifièrent, et, peu de temps après, retournèrent en paix à Jérusalem. Cependant Paul et Barnabe annoncèrent pendant quelque temps dans Antioche la parole du Seigneur: à leur départ ils se partagèrent. Barnabé, avec Marc Jean, s'embarqua pour Chypre, tandis que Paul, ayant fait choix de Silas, parcourut la Syrie et la Cilicie, confirma les églises, et prescrivit d'observer les préceptes des Apôtres et des prêtres. Paul se rendit ensuite à Derbe et à Listre: il y circoncit, pour éviter les embûches des Juifs, Timothée, qui était fils d'un Gentil. Il traversa la Phrygie, la Galatie et la Mysie, il descendit en Troade, et, averti par une vision nocturne, passa en Macédoine. Il prêcha à Philippes, qui est la ville capitale de cette dernière contrée, il fit entendre la parole du Seigneur à Lydie, marchande de pourpre, qui était attachée au vrai Dieu: baptisée, ainsi que sa maison, elle crut, et pria vivement les Apôtres de demeurer chez elle. Comme Paul se rendait à la prière avec ses compagnons, il rencontra une jeune fille qui avait un esprit de Python, et qui, par ses divinations, procurait à ses maîtres un grand gain. Elle les suivit en criant: «Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut, et ils vous annoncent la voie du salut.» Ayant continué, d'en agir ainsi pendant plusieurs jours de suite, Paul, qui en était fâché, dit à l'esprit dont elle était obsédée: «Au nom de Jésus-Christ, je t'ordonne de sortir de cette fille.» Il sortit à l'instant même. Les maîtres de la jeune fille, qui voyaient ainsi s'évanouir toute espèce de profit, se mirent en colère; ils conduisirent Paul et Silas à la place publique devant les magistrats, et les accusèrent de mettre le trouble dans la ville en y introduisant une manière de vie étrangère aux Romains. La populace agitée se réunit aux ennemis des innocents: Par l'ordre des magistrats, ils furent frappés de verges, et plongés dans un cachot où on leur fixa les pieds dans des sarments. Au milieu de la nuit Paul et Silas adorèrent le Seigneur et chantèrent ses louanges: ils ne tardèrent pas à éprouver son assistance spéciale. Soudain un grand tremblement de terre se fit sentir à un tel point que les fondements même de la prison furent ébranlés. Toutes les portes s'ouvrirent; les chaînes de tous les prisonniers tombèrent. A cette vue le geôlier, extraordinairement effrayé, et ayant entendu de Paul les paroles de la foi, crut et se fit baptiser avec toute sa famille. Les magistrats de la ville, ayant appris que ces apôtres étaient Romains, éprouvèrent de la crainte, les tirèrent de prison et les prièrent de sortir de la ville. Ils se rendirent chez Lydie, et par Amphipolis et Apollonie vinrent à Thessalonique. Là, pendant trois sabbats, Paul entra dans la synagogue des Juifs, et y prêcha publiquement sur les Ecritures, insinuant et démontrant que le Christ avait dû souffrir la Passion et ressusciter d'entre les morts, et que ce Christ était celui qu'il annonçait. Plusieurs des Juifs et des Gentils crurent et se joignirent à Silas et à Paul: c'est ce qui détermina les Juifs, animés par le dépit, à soulever la populace. Ils accusèrent Jason et quelques autres frères qu'ils traînèrent devant les magistrats de la ville; mais ceux-ci, ayant entendu la justification de Jason et des autres, les mirent en liberté. Aussitôt les frères firent partir dans la nuit Paul et Silas pour Bœrée, d'où les frères conduisirent Paul jusqu'à Athènes, afin de le préserver de la fureur de la multitude. Il y attendit Silas et Timothée, qu'il avait laissés à Bœrée. Cependant il disputait dans la synagogue avec les Juifs et les Païens, et, sur la place publique, il prêchait journellement devant tous ceux qui venaient l'entendre. Quelques philosophes, soit épicuriens soit stoïciens, dissertaient avec lui. Les Athéniens et les étrangers ne s'occupaient à autre chose qu'à dire et se faire raconter des nouvelles. Paul, ayant été conduit à l'Aréopage, prit la parole, reprit les Athéniens sur leur idolâtrie et leurs superstitions, et commença à leur parler de leur autel sur lequel on lisait ces mots: «Au Dieu inconnu.» Il prit de là le texte de la prédication qu'il s'était imposée, et leur annonça le vrai Dieu, qui en effet était jadis inconnu au monde; puis, renfermant beaucoup de choses en peu de mots, il parla d'une manière pressante de la foi et de l'espérance de la résurrection. Alors Denis-l'Aréopagite, Damaris sa femme, et quelques personnes qui leur étaient attachées, crurent à l'apôtre. Ensuite Paul sortit d'Athènes, et se rendit à Corinthe; il y poursuivit le cours de ses prédications en annonçant Jésus-Christ aux Juifs et aux Grecs. Il discutait dans la synagogue tous les jours de sabbat. Silas et Timothée arrivèrent de la Macédoine. Aux prédications de Paul, Crispe, chef de la synagogue, toute sa famille et un grand nombre de Corinthiens se rendirent à la foi et se firent baptiser. Paul alla loger dans la maison d'un certain Tite-le-Juste, laquelle était contiguë à la synagogue. Par l'ordre de Dieu, manifesté dans une vision nocturne, l'apôtre y demeura un an et six mois, et y enseigna avec persévérance la parole de Dieu. Là, un juif nommé Aquilas, originaire du royaume de Pont, demeurait avec Priscille sa femme. Paul fabriquait des tentes comme ce juif, travaillait avec lui et vivait ainsi de l'ouvrage de ses mains. Après avoir fait ses adieux à ses frères, Paul vint en Syrie et se rendit à Éphèse. Il alla ensuite à Césarée, et, peu de temps après, à Antioche; après quelque séjour, il en partit, et parcourut de suite la Galatie et la Phrygie, où il confirma dans la foi tous les disciples. [2,5] CHAPITRE V. Jusqu'ici j'ai sommairement recueilli sur la primitive Eglise ce que rapporte Luc dans les Actes des Apôtres, jusqu'au lieu où Paul baptisa dans Ephèse, au nom de Jésus-Christ, les disciples qui n'avaient été baptisés que du baptême de Jean. Il y resta avec ceux qui, pleins de l'Esprit-Saint, avaient le don des langues et prophétisaient; il y rendit de grands services durant trois mois par ses prédications sur le règne de Dieu; il en partit, et, pendant deux années, il porta l'Evangile en Asie, et y fit, au nom du Christ, de grands miracles sur les malades et les démoniaques. Désormais il me reste à parcourir d'autres écrits, et à y puiser certains détails sur les mêmes Apôtres, autant que j'en pourrai découvrir dans les livres authentiques qui ont l'approbation de l'Eglise. Le rang des Apôtres et le mérite de chacun ne sont connus que du seul Créateur de toutes choses, qui, sondant les secrets du cœur humain, distribue à tous la rétribution de leurs travaux. Le mot apôtre signifie envoyé. En effet le Christ les envoya évangéliser par tout le monde, afin que, comme le pêcheur attire du fond de la mer dans ses filets, ils amenassent de l'abîme des vices à la lumière de la vie, par leurs prédications, les hommes exposés à une perte certaine. Voici quels sont leurs noms: Simon-Pierre et André son frère, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, Jacques, fils d'Alphée, et Philippe, Thomas et Barthélemy, Lévi Matthieu et Simon le Chananéen, Jude, Thaddée et Matthias. Le premier par la vocation, le plus grand par la dignité, Pierre, porteur des clefs, monta sur le siège de la puissance apostolique, lui qui, obéissant avec empressement au Christ, l'avait sans cesse aimé de tout son cœur. Fils de Jonas ou Jean, il naquit à Bethsaïde, dans la province de Galilée, village situé auprès du lac de Gennésareth. Pour annoncer sa dignité future et l'éclat auquel s'éleva sa puissance, il porta trois noms: par l'indice de ces trois mots, la vertu multiple qui lui fut donnée par le ciel brille évidemment, car Simon signifie obéissant, Pierre reconnaissant, et Céphas une tête. En effet, Simon, par l'obéissance avec laquelle, ayant entendu le commandement du Seigneur, il s'attacha avec zèle à le suivre jusqu'à la mort, en abandonnant tout ce qui pouvait lui plaire et le retenir, s'éleva à la connaissance de l'ineffable divinité. Inspiré parle ciel, il rechercha ardemment les connaissances divines qui sont au dessus de l'intelligence humaine, et fit entendre fidèlement la voix éloquente d'une glorieuse confession, en disant: «Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant.» Aussi, récompensé incomparablement par le Christ, il mérita d'être honoré et désigné comme le chef et la base de l'Eglise. Le rémunérateur généreux qui lui avait divinement inspiré la connaissance de son essence céleste lui accorda, de son autorité supérieure, la foi d'un cœur pur, que sa bouche avait manifestée. «Simon Barjone, dit le Sauveur, vous êtes bien heureux, parce que la chair ni le sang ne m'ont point révélé à vous, mais bien mon Père, qui est dans les cieux.» Simon, c'est-à-dire l'obéissant, qui s'appelle aussi Barjone, c'est-à-dire fils de la colombe qui désigne le Saint-Esprit, est véritablement bien heureux. L'homme obéissant, comme dit Salomon, publiera ses victoires; pendant qu'il observe sans cesse les commandements divins, il est attaqué par diverses tentations dans ses combats journaliers; et, s'il persévère dans la loi de Dieu, il triomphe de Satan. En effet, qu'est-ce que la loi divine commande ou enseigne qui n'ait pas pour objet d'engager tout homme à combattre pour son Créateur, à lutter avec l'antique serpent, qui nous tend toujours des embûches, et à faire tous ses efforts pour obtenir le prix de la céleste vocation? Alors le courageux champion de la cause divine peut sans doute parler de ses victoires, quand il rend grâces à Dieu son protecteur, après avoir terrassé son ennemi, en disant avec le Prophète: «Vous m'avez ceint de courage pour la guerre, et vous avez renversé sous mes pieds ceux qui s'étaient élevés contre moi.» Il peut dire encore beaucoup d'autres choses semblables. Personne ne peut réjouir Dieu le père par la sainteté des œuvres, si, par la grâce du Saint-Esprit, il n'a obtenu la vertu de l'obéissance. Ensuite le Sauveur, consommant magnifiquement la récompense de la pieuse confession de Simon, lui dit: «Vous êtes pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle.» Petrus, en latin, Cèphas, en syriaque, sont des noms qui, dans l'une et l'autre langue, ont été dérivés du mot qui signifie pierre. En effet, l'Eglise dérive du Christ, qui est la pierre angulaire sur laquelle elle est posée. Ainsi, par son obéissance, Simon parvint à la connaissance du fils de Dieu, qui ne lui fut révélé ni par la chair, ni par le sang, mais par le Père céleste. C'est pourquoi Pierre, c'est-à-dire connaissant, mérita d'obtenir son surnom du Sauveur. Enfin, ayant reçu les clefs du céleste royaume, il fut établi par le roi Sabaoth Céphas, c'est-à-dire la tête de l'Eglise. En effet, prince et souverain pontife des Apôtres, doué de la puissance de lier et de délier, célèbre par la doctrine et la sainteté, illustre par les signes et les miracles, il fut, dans l'Eglise du Christ, le premier pasteur et son vicaire spécial; il prêcha pendant sept ans les circoncis, et manifesta ses œuvres merveilleuses, dont Luc fait mention dans les Actes des Apôtres, comme je l'ai remarqué plus haut. Il guérit, à la porte principale du temple, un boiteux âgé de quarante ans, et conféra le baptême à cinq mille Juifs; il punit, après les avoir réprimandés, Ananie et Saphire sa femme, coupables de fraude et de mensonge, et frappa ainsi de terreur les hommes présents et la postérité, afin qu'ils se corrigeassent salutairement. Son ombre seule touchait dans leurs lits les malades sur les places publiques où il passait; et, par ses mérites ainsi que par la puissance que le ciel lui avait départie, ils étaient aussitôt rendus à la santé. Il guérit à Lydda, au nom du Seigneur, le paralytique Enée qui depuis huit ans gissait sur un grabat, et conduisit à la foi ceux qui virent et admirèrent la nouveauté de ce miracle. Dans Joppé, il ressuscita la vénérable veuve Tabita qu'il rendit vivante aux veuves et aux saints qui l'entouraient. Les autres choses qu'il fit depuis la Judée jusqu'à Antioche, et les victoires qu'il remporta dans ses fréquentes disputes avec Simon-le-Magicien ont été expliquées par Clément le Romain, fils de Faustinien, dans ses livres des Récognitions, ouvrage qu'il a aussi appelé l'Itinéraire de Pierre. Cet auteur, après avoir abandonné tout ce qu'il possédait à Rome, s'embarqua pour la Palestine, et alla trouver à Césarée l'apôtre Pierre, qui lui fut indiqué par Barnabé qu'il avait autrefois traité chez lui avec tous les égards de l'hospitalité et les soins de l'amitié. Clément fut accueilli par Pierre comme un fils par son père, à cause de la bienveillance dont Barnabé et lui l'honoraient. Instruit à fond dans la foi du véritable prophète, et ayant puisé une nouvelle vie dans les eaux sacrées, il s'attacha à l'apôtre d'une manière inséparable. Pierre disputa à Césarée contre Simon-le-Magicien, et fortifia dans la foi ce qui resta de l'assemblée, après que Simon se fut retiré le soir avec mille des assistants. Ayant invoqué le nom de Dieu, il guérit les démoniaques et les malades. Le lendemain, la discussion recommença, et avec l'aide de Dieu Simon fut vaincu sur beaucoup de points. Enfin, vers la chute du jour, Simon confus se retira avec un petit nombre de personnes, et le peuple satisfait se prosterna devant Pierre. Les démoniaques et les malades furent guéris par ses prières, et obtenant la science et la miséricorde du vrai Dieu, ils se retirèrent pleins de joie. Le troisième jour, Pierre convainquit par la vérité de ses raisonnements Simon qui niait l'immortalité de l'ame, et mit au jour ses forfaits dont il lui donna les preuves. Le peuple, indigné, chassa le blasphémateur de la place, et même de la maison: de la multitude qui l'avait long-temps entouré, un seul homme à peine osa le suivre. Cependant Simon chargea sur les épaules de son compagnon toute sa magie de pollution et d'exécration; et craignant d'être repris par les lois, il les précipita la nuit dans la mer. Son compagnon ayant refusé de l'accompagner, parce qu'il le reconnaissait enfin pour un détestable imposteur, il fut obligé de prendre la fuite. Pierre demeura trois mois à Césarée, et y ordonna évêque Zachée. Il y baptisa un jour de fête une multitude de croyants qui s'élevaient jusqu'au nombre de dix mille. De là il envoya douze frères après Simon, afin de tacher de découvrir ses traces. Ceux dont l'apôtre fit choix, furent Sophonie et Joseph, Michée et Eléazar, Phinée et Lazare, Elisée et Benjamin, fils de Saba, Ananie, fils de Saphire, Rubel, frère de Zachée, Nicodème et Zacharie l'architecte. En attachant ainsi au culte de la divinité les frères fidèles, Pierre eut en vue le nombre duodénaire, et, s'appuyant principalement sur la grâce de Dieu, il voulut se servir d'eux pour poursuivre Simon-le-Magicien et les autres ennemis de la justice. Trois mois après, Pierre se rendit, en passant par Dor, à la ville de Ptolémaïs, et y resta dix jours pour instruire le peuple dans la loi du Seigneur. Il s'occupa ensuite à répandre aussi la divine semence de la parole dans Tyr, Sidon et Béryte; puis il entra à Tripoli avec une multitude considérable d'élus qui l'avaient suivi de chacune de ces villes. Là il fut reçu, au grand empressement de tous les citoyens, dans la maison de Maron; ils accordèrent aussi une hospitalité gratuite et pleine d'humanité à tous les compagnons de Pierre. Dès le matin, la foule se porta au jardin de Maron pour entendre l'apôtre; il mit en fuite les esprits immondes qui vociféraient du fond des corps obsédés par eux, et guérit par ses discours ceux qui étaient malades. C'est là qu'il sema pendant trois mois la parole du salut, et qu'il baptisa Clément ainsi que plusieurs autres dans des fontaines qui sont voisines de la mer. Il établit évêque son hôte Maron, déjà accompli en toutes sortes de vertus. De là il se rendit à Antarados, et divisa en deux sections la multitude des croyants qui le suivait. Il ordonna à Nicétas et à Aquilas de les conduire et de le précéder à Laodicée, de peur qu'une si grande multitude n'excitât la jalousie des ennemis de la foi. Pendant le voyage, dans l'intimité de la conversation, Clément fit connaître à Pierre d'où il était; il lui raconta son origine et l'histoire de sa famille. Le lendemain il se rendit dans une île voisine pour y admirer des colonnes de verre d'une immense grandeur. C'est là qu'au bout de vingt ans il reconnut, grâce à Pierre, sa mère Matidie. Pierre guérit par sa prière une paralytique, hôtesse de Matidie, et Clément donna à cette malade une récompense de mille drachmes. Ensuite Pierre alla à Panéade, puis à Palton et Gabala, il gagna ainsi Laodicée, où il resta dix jours. Là se fit la reconnaissance de la mère et des trois frères de Clément Faustin. Deux frères, qui étaient jumeaux, racontèrent qu'après un naufrage qu'ils avaient éprouvé, comme ils étaient ballottés par les vagues sur un fragment de madrier où ils se tenaient attachés, des pirates les trouvèrent, et, après les avoir fait monter sur leur barque, les conduisirent à Césarée, où ils les vendirent sous des noms supposés à une certaine femme qui était juste: elle les fit élever comme ses enfants, les fit instruire dans les lettres libérales et grecques, et, lorsqu'ils furent parvenus à un certain âge, les mit aux études philosophiques. Pendant que Pierre restait à Laodicée. et qu'il s'y occupait sans relâche, suivant sa manière, à de pieux travaux, un vieillard nommé Faustinien, ayant toutes les apparences de la pauvreté, se présenta pour prouver qu'il n'y a pas de Dieu, qu'il n'y a pas de providence en ce monde, et qu'un culte n'est pas nécessaire; mais que tout se fait par cas fortuit et par le hasard de la naissance. Ses trois fils, qu'il ne connaissait pas encore, s'élevèrent contre lui en présence du peuple, le réfutèrent durant trois jours avec beaucoup de distinction, et, dans leurs réponses, intruisirent leurs auditeurs en toutes sortes de bonnes doctrines. Le premier jour, Nicétas allégua sagement qu'il existe un Dieu maître de tout, qui a fait le monde et le gouverne par sa providence, juste Seigneur, devant rendre à chacun ce qui lui appartient selon ses œuvres. Le lendemain, Aquilas disserta avec éloquence sur ce que le Seigneur juste disposa tout justement: le troisième jour, Clément disputa sur la raison de la naissance, savoir si tout en dépend, ou s'il existe quelque chose en nous qu'il faille attribuer non au hasard de la naissance, mais à la volonté de Dieu. C'est alors que par une inspiration divine, sans laquelle il ne se fait rien, et après vingt ans se fit la reconnaissance de cet obstiné vieillard et de sa femme avec leurs enfants. Le premier magistrat de la ville fit tous ses efforts pour retenir chez lui Pierre et ses frères: sa fille qui, depuis vingt années, était cruellement obsédée par le démon, fut délivrée et guérie. Ces mêmes jours, comme Faustinien était allé voir Anubion et Appion ses amis, qui restaient avec Simon, et comme il soupait avec eux, sa figure, par art magique, fut transformée en celle de Simon: ce qui causa une grande frayeur à tous ses amis qui craignaient que, par l'ordre de l'empereur, il ne fût pris pour le magicien et puni à sa place. Ensuite Pierre vint à Antioche où il fut reçu par le peuple avec de grandes démonstrations de joie: il y prêcha la parole de Dieu, rendit à la santé les malades qu'on lui présenta, et guérit les paralytiques, les démoniaques, ainsi que tous ceux qui étaient affectés de quelque accident pernicieux. Le nombre des malades était immense. En présence du peuple, Pierre offrit pour tous ses prières au Seigneur. Soudain, par la grâce de Dieu, une lumière extraordinaire éclata au milieu de l'assistance, et tous les malades aussitôt furent remis en santé. C'est pourquoi tous les habitants d'Antioche, d'une voix unanime, confessèrent le Seigneur. En sept jours, plus de dix mille hommes croyant Dieu furent baptisés. Théophile, qui, parmi les puissants de la ville, était le plus élevé, s'enflamma pour le Sauveur d'un amour si vif qu'il lui offrit avec reconnaissance sa maison propre à faire une grande basilique, qui fut consacrée sous le nom d'église, et dans laquelle le peuple érigea une chaire à l'apôtre Pierre. Cependant Faustinien, à la vue de tant de miracles, ouvrant son intelligence aux célestes mystères, se jeta en public aux pieds de l'apôtre, abjura ses vieilles erreurs, et demanda à être baptisé. L'apôtre Pierre lui prescrivit le jeûne, et le dimanche suivant lui conféra le baptême; et, prenant texte de cette conversion pour sa prédication, il exposa au peuple tous les événements de la vie de Faustinien. Ainsi cette narration réunit pour tous les auditeurs l'utilité à l'agrément, et rendit tout-à-fait recommandables au peuple le vieillard et sa famille. Toute la ville fit d'heureux progrès dans le culte divin, et la sainte mère Eglise se réjouit dans Jésus-Christ par le nombre des fidèles qui croissait journellement. Le bienheureux apôtre Pierre occupa d'abord pendant sept ans le siége d'Antioche, et prêcha dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie. Ensuite Simon-le-Magicien étant allé à Rome, Pierre consacra l'église d'Antioche, et y ordonna pour établir à sa place, le prêtre Evod. Enfin il partit pour Rome avec plusieurs disciples choisis, et entra dans cette ville du temps de l'empereur Claude. Il y trouva le magicien dont nous venons de parler, occupé à séduire le peuple par ses impostures fantastiques, au moyen de cette puissance diabolique qu'on appelle démon familier. Ce fourbe en était enflé d'un tel orgueil qu'il se glorifiait d'être Dieu; il avait même obtenu des citoyens romains l'honneur d'une statue sur les bords du Tibre, entre les deux ponts, comme s'il eût été mis au nombre des Dieux: en effet, Satan s'était emparé de cet insensé qui proclamait toutes sortes de méchancetés. Il l'arma d'abord d'une criminelle hérésie pour combattre la foi pure de l'Eglise. Le tout-puissant Emmanuel disposa à combattre pied à pied l'illustre chef de sa milice: je désigne ainsi Simon-Pierre, à qui le Christ confia les clefs du céleste royaume, et que, comme prince des apôtres, il établit pour gouverner saintement l'Eglise. Ainsi, arrivé à Rome, il dissipa les ténèbres du mensonge au grand jour de la vérité et de la justice; et là, digne censeur, jugeant avec équité, il occupa le siége pendant vingt-cinq ans deux mois et trois jours. Quand la lumière éclatante de la parole de Dieu eut éclairé la ville de Rome; et que la parole de vérité, prêchée par Pierre, eut pénétré dans l'ame de tous les auditeurs, et leur eut causé tant de satisfaction qu'une seule prédication par jour ne suffisait pas au zèle des assistants, Marc, disciple de l'apôtre, déterminé par ses pressantes et journalières sollicitations, écrivit son Evangile, mit ainsi par écrit ce que Pierre enseignait par la parole, et le transmit à la postérité pour le perpétuel enseignement des lecteurs. Pierre se réjouit de ce que, grâce au Saint-Esprit, il se trouvait ainsi dépouillé par une sorte de larcin religieux. Prenant en considération les avantages de la foi et de la piété, il confirma lui-même les récits de l'Evangéliste, et donna à toujours l'Ecriture à lire aux églises. Il composa deux épîtres qu'on appelle canoniques. C'est ainsi que, pendant les règnes de Tibère, de Caïus Caligula, de Claude et de Néron, il travailla virilement dans la vigne du Seigneur, forma d'excellents disciples, les remplit de vertu et de science, et leur donna une destination spéciale pour diverses contrées. En conséquence il plaça son disciple Marc, qu'il aimait comme un fils, d'abord à Aquilée, puis à Alexandrie; Martial à Limoges; Apollinaire à Ravennes; Valère à Trêves, et plusieurs autres qui, établis dans divers lieux, firent, au nom du Christ, de nombreux miracles, conduisirent à la lumière de la foi une multitude de Gentils, les régénérèrent dans l'onde sacrée du baptême, et les placèrent dans le sein de la pieuse mère Eglise. Un jour que Pierre était à Rome, pendant que plusieurs de ses frères prenaient leur repas, Tite lui dit: «Puisque tous les malades sont guéris par vous, pourquoi laissez-vous étendue à terre la paralytique Pétronille?» L'apôtre répondit: «Il lui convient qu'il en soit ainsi; mais pour qu'on ne croie pas que je veuille, par mes discours, cacher l'impossibilité où je serais de la guérir, je dis à cette femme: Levez-vous, Pétronille, et venez nous servir.» Aussitôt elle se leva guérie, et fit le service de la table. Dès qu'elle eut fini, il lui ordonna de retourner à son grabat; puis, quand elle commença à être parfaite dans la crainte de Dieu, non seulement son mal se dissipa, mais elle recouvra de mieux en mieux une santé parfaite qu'elle dut à l'abondance de ses prières. [2,6] CHAPITRE VI. Illustre champion du Tout-Puissant, vase d'élection, docteur des Gentils, prédicateur de la vérité, méritant de posséder le douzième trône parmi les Apôtres, ravi dans le ciel pour y entendre ces secrètes paroles qu'il n'est pas donné à l'homme de proférer, Paul doit être dignement glorifié et continuellement honoré par les enfants de l'Eglise comme leur savant précepteur. Il avait été appelé Saul: ce qui signifie en hébreu tentation, parce que d'abord il s'attacha à tenter la sainte mère Eglise. Ensuite ayant changé de nom, de Saul il fut appelé Paul, c'est-à-dire admirable, et devint ainsi merveilleusement de loup ravissant le plus doux des agneaux. Paul en latin s'interprète par petit. C'est pourquoi il dit publiquement en parlant de lui-même: «Je suis le plus petit des Apôtres.» Paul, de la tribu de Benjamin, pharisien issu de pharisiens, naquit à Tarse en Cilicie. Il fut élevé à Jérusalem, depuis son enfance, et instruit dans la loi de Dieu par Gamaliel. L'an second après l'Ascension du Seigneur, comme il se montrait trop ardent zélateur de la religion de ses pères, disposé à sévir violemment contre les Chrétiens, et qu'il se rendait, avec des dépêches du prince des prêtres, vers la ville de Damas pour y faire mettre à mort les adorateurs du Christ, il fut tout-à-coup, aux approches de la ville, environné d'une lumière extraordinaire; et, frappé inopinément par la céleste voix du Seigneur Jésus, il fut, pour son salut, précipité à terre d'où il se releva dépouillé de son ancienne férocité. Ce fut alors que conduit à Damas par ses compagnons de voyage, il y resta trois jours privé de l'usage de ses membres. Au bout de ce temps, visité, d'après l'ordre de Dieu, par Ananie, il embrassa la foi qu'il avait combattue, reçut le baptême et alla prêcher avec intrépidité les Juifs et les Gentils. Ayant commencé à Jérusalem, il pénétra jusqu'en lllyrie, en Italie, en Espagne, et proclama le nom de Jésus-Christ devant les peuples de beaucoup de contrées auxquels il était encore inconnu. L'évangéliste Luc, compagnon de Paul et son collaborateur, parle de lui jusqu'à la fin avec exactitude comme avec dignité, et s'occupe admirablement de ses principales actions. Arator, sous-diacre de la sainte Eglise romaine, a écrit à ce sujet un second livre; il a chanté pieusement dans un mètre héroïque les Actes des Apôtres et les combats de Paul, sa patience dans ses maux et le naufrage qu'il souffrit. J'ai déjà précédemment recueilli quelques-unes de ses actions: toutefois je ne crains pas de les rappeler, pour la plus grande gloire du Créateur. Saul, qui est le même que Paul, ayant par l'avertissement du Saint-Esprit quitté ses compagnons, alla prêcher à Paphos, il y frappa d'aveuglement le magicien Elymas, qui résistait aux paroles de la foi, et convertit le proconsul Sergius Paulus. Entré dans la synagogue d'Antioche, il leva la main pour recommander le silence; il parla du peuple d'Israël quittant l'Egypte à travers des mers suspendues et les diverses merveilles qui s'opérèrent dans le désert. Un autre jour de sabbat, il entretint l'auditoire de la Passion du Christ ainsi que de sa Résurrection; il rapporta en preuve les passages des prophètes et augmenta le troupeau de l'Eglise d'un grand nombre de croyants. A Listre, il guérit un boiteux de naissance qui éeoutait avec attention la parole de Dieu; il déchira ses vêtements, et employa l'éloquence et la raison pour calmer le zèle des Lycaoniens, qui, conservant encore leurs vieilles superstitions, voulaient lui offrir des sacrifices. Après beaucoup de combats dans la prédication, il traita la question des Juifs baptisés, afin que les nouveaux croyants ne reçussent pas le baptême avant d'avoir été circoncis. Il envoya à cet effet des délégués aux fidèles de Jérusalem, consulta Pierre, Jacques et d'autres vieillards, et transmit dans une épître leur sentiment sur la nécessité de s'abstenir des victimes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, et en outre de la fornication. Philippe chassa l'esprit immonde du corps d'une jeune fille, et ayant forcé à la fuite le démon, qui répondait aux questions qu'on lui faisait, il priva du prix de leurs divinations les avides spéculateurs qui en trafiquaient. C'est ce qui le fit accuser par cette sorte de gens auprès des magistrats qui l'envoyèrent en prison. Pendant la nuit, il s'adressa dans ses prières au Seigneur de lumière, et ce propice protecteur des fidèles s'empressa de l'exaucer; car, un tremblement de terre s'étant manifesté, les chaînes des prisonniers se détachèrent; et le geôlier lui-même s'étant fait baptiser avec sa famille, Paul et Silas, serviteurs du roi Sabaoth, furent mis en liberté. Paul, prêchant à Athènes, y fut surnommé par le peuple l'homme qui sème la parole, et fut ainsi appelé convenablement par les Infidèles. En effet, de ses paroles il coulait une fontaine propre à désaltérer ceux qui avaient soif de la vie éternelle, et il répandait gratuitement la semence du salut devant ceux qui desiraient la recueillir. Il combattit contre les philosophes, tant épicuriens que stoïciens, et leur annonça le vrai Dieu, que les Athéniens désignaient sous le nom de Dieu inconnu. Denis l'Aréopagite, ainsi que sa femme Damaris, crurent et furent baptisés; et Paul l'admit au nombre de ses amis les plus distingués par la sagesse et la justice. Peu de temps après, comme l'assure l'athénien Aristide, Denis fut ordonné évêque d'Athènes par l'apôtre, et après beaucoup d'illustres témoignages de ses vertus, il reçut la noble couronne du martyre. Paul passa à Corinthe: il y trouva Aquilas qui prêchait avec sa femme Priscilla; il se fixa chez lui, et y exerça l'art de faire des tentes dans lequel ils étaient habiles. C'est là que le Christ l'avertit de ne pas cesser ses prédications; il obéit fidèlement, et beaucoup de conversions furent le fruit de ses travaux. Dans Ephèse, le Saint-Esprit accorda le don de la diversité des langues à douze hommes que Paul venait de baptiser au nom du Seigneur. Pendant que Paul y guérissait, au nom du Seigneur Jésus, plusieurs espèces de malades, sept Juifs osèrent imposer les mains sur Sceva, fils du prince des prêtres, lequel était possédé du démon, qu'ils conjurèrent par le nom du Seigneur que Paul prêchait. Le démon ne tarda pas à prouver par le démoniaque qu'il reconnaissait Jésus et son disciple Paul; car il fondit sur les exorcistes infidèles qu'il déchira et mit en fuite. Un grand nombre d'Ephésiens ayant entendu la prédication de la vérité crurent et reçurent le baptême, et quelques hommes avides de s'instruire brûlèrent leurs livres de magie, dont le prix s'éleva à cinquante mille deniers. Ainsi croissait et se fortifiait puissamment la parole de Dieu; ainsi sa grâce corroborant les fidèles, le parti des impies était confondu et séchait de dépit. Cependant Paul envoya en Macédoine Timothée et Eraste, tandis qu'il restait pour quelque temps en Asie. Un orfèvre nommé Démétrius, voyant que les Ephésiens, par suite des instructions de Paul, cessaient de lui acheter de petits temples de Diane, et regrettant la perte des bénéfices que son métier lui rapportait, puisque la condamnation des idoles le réduisait à l'oisiveté, rassembla des complices, prépara une plainte générale et excita le peuple aux clameurs et à la sédition. C'est ce qui porta une foule de furieux à se précipiter vers le théâtre, où elle enleva les Macédoniens Gaïus et Aristarque, compagnons de Paul: mais ce vain bruit d'insensés n'attira sur ses auteurs que de la confusion. Paul ayant réuni ses frères leur fit ses adieux, et leur adressa ses exhortations. Il se mit en route pour se rendre en Macédoine. Il resta trois mois dans la Grèce. Il eut alors pour compagnons Sosipater, fils de Pyrrhus de Béroée, les Thessaloniciens Aristarque et Secundus, Gaïus de Derbes, Timothée, Titicus et Trophime, tous trois asiatiques. Après la fête des Azimes, Paul et Luc allèrent par mer, en cinq jours, de Philippes à Troade, et y passèrent sept jours. Le premier jour de la semaine, plusieurs personnes s'étant réunies pour rompre le pain, comme ils écoutaient jusqu'au milieu de la nuit un long discours de Paul, qui devait partir le lendemain, un jeune homme nommé Eutychus, assis sur une fenêtre, succomba au sommeil, et tomba du troisième étage. Mais Paul, par ses prières, l'ayant ressuscité, il revint à la vie à la grande satisfaction de ceux qui avaient été témoins de l'événement. De Milet Paul envoya à Ephèse pour mander les anciens de l'église, et leur expliqua beaucoup de choses utiles pour le salut des ames. Ayant terminé sa prédication, il s'agenouilla, et toute l'assistance se mit à prier avec lui. On répandit des larmes abondantes, et les frères s'étant embrassés, ils conduisirent l'apôtre à son vaisseau. Il y monta, et continuant en ligne droite sa navigation, il passa à Chio, à Rhodes, à Patare, et traversant la Syrie, il arriva à Tyr où il resta sept jours avec ses fidèles amis en Jésus-Christ. De Ptolémaïs il alla à Césarée, et logea dans la maison d'un évangéliste, Philippe, qui avait quatre filles vierges qui prophétisaient. Alors le prophète Agabus arriva de Judée; il se lia les pieds et les mains avec la ceinture de Paul, et par la grâce du Saint-Esprit il prédit clairement que les Juifs lieraient ainsi Paul dans Jérusalem, et qu'ils le livreraient entre les mains des Gentils. Tout le monde s'étant mis à pleurer, on le pria de ne pas monter à cette ville. Paul fit cette réponse: «Je suis prêt, non seulement à être enchaîné dans Jérusalem, mais même à y mourir pour la gloire du nom du Seigneur Jésus.» Ainsi appuyé sur la constance de sa foi, il alla à Jérusalem; il y raconta à Jacques et aux autres anciens tout ce que par son ministère Dieu avait opéré parmi les nations. Ayant appris la conversion des Gentils, ils glorifièrent le Seigneur créateur de toutes choses. Ensuite Paul entra dans le temple pour la purification, et commença à accomplir les cérémonies de la loi de Moïse, afin d'ôter toute occasion de scandale aux zélateurs de la législation paternelle: ainsi s'étant fait juif avec les Juifs, il satisfit tout le monde. Cependant les Juifs asiatiques, qui virent Paul dans le temple, soulevèrent le peuple par leurs clameurs malveillantes et le saisirent. Toute la ville fut aussitôt dans l'agitation et le peuple s'attroupa de toutes parts. On l'entraîna hors du temple, dont on ferma les portes; on le frappa violemment et on chercha à le tuer. Glaudius Lysias, tribun d'une cohorte, ayant appris que toute la ville était dans la confusion par suite d'une sédition subite, prit avec lui des centeniers et des soldats, et courut au lieu du tumulte. Il fit enlever de force l'apôtre, le fit lier de deux chaînes, le retira de la foule et le fit conduire dans la forteresse, pour savoir de lui qui il était et ce qu'il faisait. Du consentement du tribun, Paul monta les degrés, et, parlant en hébreu, raconta toute l'histoire de sa conversion, et son passage du judaïsme à la grâce du Christ, de laquelle il rendit parfaitement raison. Tandis qu'il parlait avec la plus grande sagesse, les Juifs ne pouvant supporter la force de ses paroles élevèrent des clameurs violentes, et se mirent à crier avec fureur: «Enlevez-le d'ici-bas, car il n'est pas juste de le laisser vivre.» Le tribun le fit conduire à la forteresse, frapper de verges et livrer à la torture. Alors Paul dit au centenier qui était avec lui: «Est-ce qu'il vous est permis de frapper un citoyen Romain, et qui n'a point été condamné?» Le tribun ayant entendu ces paroles, et voyant dans Paul un citoyen Romain, ne fut pas sans crainte de ce qu'il l'avait fait lier. Le lendemain Paul fut conduit devant le conseil au milieu duquel, se tenant debout, il parla pour lui-même avec une grande justesse. Cependant Ananie, prince des prêtres, ordonna à ceux qui étaient près de lui d'aller le frapper à la figure. Alors Paul lui adressa la parole en ces termes: «Le Seigneur vous frappera aussi, muraille blanchie. Vous siégez ici pour me juger selon la loi, et c'est contre la loi que vous ordonnez qu'on me frappe.» Les assistants dirent à l'apôtre: «Vous maudissez le grand-prêtre de Dieu?» Paul reprit alors: «J'ignorais, mes frères, que cet homme fût le prince des prêtres.» En effet, il est écrit: «Vous ne maudirez pas le prince de votre peuple.» Paul sachant qu'une partie du conseil était composée de Sadducéens et l'autre de Pharisiens, s'écria au milieu du conseil: «Mes frères, je suis Pharisien, fils de Pharisien; je ne suis poursuivi que parce que j'espère une autre vie, et que je crois à la résurrection des morts.» A ces mots, les partis se divisèrent et la multitude se sépara. Les Sadducéens prétendent qu'il n'y a ni résurrection, ni ange, ni âme, tandis que les Pharisiens les reconnaissent. Quelques Pharisiens contestaient, en disant: «Nous ne trouvons rien de répréhensible en cet homme. Que savons-nous si un esprit ou un ange lui a parlé?» Aussitôt il s'éleva un grand tumulte, et le tribun, craignant que Paul ne fût mis en pièces par les furieux, le fit enlever du milieu d'eux par ses soldats, et conduire à la forteresse. La nuit suivante le Seigneur se présentant à l'apôtre, lui dit: «Sois constant; car, de même que tu as rendu témoignage de moi dans Jérusalem, il faut que tu rendes aussi à Rome témoignage de moi.» Le jour étant venu, plus de quarante juifs se rendirent auprès des princes des prêtres et des anciens, et firent vœu de ne manger ni boire qu'ils n'eussent conduit Paul au conseil, et qu'ils ne l'eussent massacré. Le tribun, ayant appris cette conjuration par le fils de la sœur de Paul, déjoua adroitement les machinations des impies. En effet, à la troisième heure de la nuit, cet officier envoya à Césarée l'apôtre enchaîné, sous l'escorte de deux cents soldats, de soixante-dix cavaliers et de deux cents lanciers; il remit la connaissance de l'affaire au gouverneur Félix, auquel il écrivit. Amené à Césarée, Paul fut renfermé dans le palais d'Hérode, et cinq jours après conduit à l'interrogatoire. Le grand-prêtre Ananie s'y présenta avec les vieillards-juifs; et l'orateur Tertulle exposa insidieusement l'accusation contre Paul. Celui-ci, du consentement du gouverneur, répondit en peu de mots, et, par une réponse prudente, réfuta complétement ses accusateurs. Le gouverneur ajourna l'affaire jusqu'à ce que le tribun fût descendu de Jérusalem, et prescrivit au centenier de garder soigneusement le prisonnier. Quelques jours après, Félix étant venu avec Drusilla sa femme, qui était juive, fit venir Paul, et l'entendit sur la foi qu'il avait en Jésus-Christ. Comme l'apôtre parlait de la justice, de la chasteté et du jugement dernier, Félix trembla, et, dans l'espoir d'obtenir de l'argent de l'accusé, il l'envoya chercher fréquemment. Au bout de deux ans, Félix eut pour successeur Porcius Festus qui, voulant se rendre agréable aux Juifs, laissa Paul dans les fers. Peu de temps après, Festus descendit de Jérusalem à Césarée, et fit accuser Paul par les Juifs. Ceux-ci lui imputèrent beaucoup de griefs qu'ils ne purent prouver. Paul se justifia très-bien des imputations qu'on lui faisait d'être coupable envers la loi des Juifs, contre le temple et contre César. Enfin, à cause de la perfidie des Juifs et de la tergiversation du juge qui essayait de les favoriser, il se détermina à en appeler à César. En conséquence, il parut devant le roi Agrippa et le gouverneur Festus: ayant élevé la main, rendant raison de sa vocation et de sa foi en Jésus-Christ, il parla fort éloquemment. Enfin tout le monde admira son mérite, et les grands se disaient à l'envi et à part: «Il n'y a rien qui mérite la mort ni les fers dans ce que cet homme a fait. On pourrait le renvoyer s'il n'en eût pas appelé à l'empereur.» Il fut donc remis à Jules, centenier de la cohorte Augustine. Le macédonien Aristarque et lui l'accompagnèrent. On comptait dans le navire qui le portait deux cent soixante-seize âmes; la navigation, que les tempêtes rendirent fort dangereuse, dura quatorze jours, pendant lesquels on ne vit ni le soleil ni les étoiles: comme toute espérance de salut était perdue, on ne prit pas même de nourriture. Paul avait conseillé de passer l'hiver dans l'île de Crète; mais l'avis et les efforts du commandant et du pilote avaient prévalu; le centenier et ses soldats se rangèrent à ce parti. C'est ainsi qu'une téméraire précipitation fit affronter la saison les tempêtes, et eût fait périr tous les passagers, si Paul, par ses grands mérites, ne les eût préservés. Ils eurent à souffrir de grandes terreurs et de grands travaux, au point de se jeter sur les syrtes, de voir briser tous les agrès du bâtiment, et d'être contraints à jeter, de leurs propres mains, dans la mer les vivres et tout le chargement du vaisseau. Sur ces entrefaites, l'ange du Seigneur apparut à Paul et lui dit: «Paul, ne craignez rien; il faut que vous comparaissiez devant César; c'est à vous que Dieu accorde la vie de tous vos compagnons de navigation.» Après ces désastres on arriva avec de grandes difficultés à l'île de Malte. Les barbares eux-mêmes leur témoignèrent beaucoup d'humanité: ils allumèrent des feux pour se rétablir à cause du froid et de la pluie. Pendant que Paul apportait des sarments au foyer, une vipère, ranimée par la chaleur, lui saisit la main. Les barbares, voyant cette attaque, assurèrent que l'animal était dangereux, et que, sans nul doute, l'apôtre ne tarderait pas à mourir; mais il lança la vipère dans le feu, et, au grand étonnement de ceux qui étaient présents, il ne souffrit aucun mal. Publius, gouverneur de l'île, accueillit avec bienveillance les naufragés qu'il garda trois jours. Cependant Paul alla voir le père de Publius qui était dangereusement malade de la fièvre et de la dysenterie. Il pria, il lui imposa les mains, et le malade fut guéri; quelques autres insulaires malades vinrent trouver Paul, et reçurent leur guérison. C'est ainsi que les mérites de Paul attirèrent de grands honneurs aux naufragés et leur firent donner tout ce qui leur était nécessaire pour leur navigation. Au bout de trois mois, ils s'embarquèrent sur un bâtiment d'Alexandrie qui avait hiverné dans l'île, et, sous la conduite de Dieu, ils ne tardèrent pas à arriver à Rome. Quelques-uns des frères, ayant appris l'arrivée de Paul, vinrent au devant de lui pour le féliciter; il fut permis à Paul de rester dans la ville sous la garde d'un seul soldat. Trois jours après, les principaux d'entre les Juifs ayant été appelés par lui, il se plaignit devant eux de son arrestation, et de ce qu'il avait eu à souffrir de la part des frères à Jérusalem. Il leur parla ensuite avec fermeté de la foi qu'il faut avoir en Jésus-Christ. Il passa deux ans dans la maison qu'il avait louée, et prêcha à tous le royaume de Dieu. Il enseigna, sans obstacle et en toute liberté, ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ. [2,7] CHAPITRE VII. Jusqu'ici nous avons tiré des actes des Apôtres la narration de saint Luc évangéliste, qui rapporte qu'après s'être séparé des autres frères, Paul vint à Rome, et y prêcha la parole de Dieu pendant deux ans, sans que personne empêchât ses prédications. L'an second du règne de Néron, il entra dans Rome, et se défendit lui-même devant ce prince, dont les commencements étaient favorables encore; rassuré par lui, il fut mis en liberté par Néron même, que, par une figure de rhétorique, il appelle lion; il sortit de Rome et dirigea ses pas vers les nations occidentales jusqu'à Narbonne, ville de la Gaule. On rapporte qu'il y construisit une basilique, dont il fit la dédicace en l'honneur des martyrs Macchabées; on y voit encore sur le mur, marqué à l'huile, un signe de croix, que l'apôtre y traça avec son pouce. Il y ordonna pour évêque Paul son disciple, qu'il établit dans la ville, et qui, après avoir multiplié ses bonnes œuvres, termina sa vie par une fin bienheureuse. Cet évêque, et plusieurs autres, jetèrent un grand éclat dans l'Eglise de Dieu, après avoir été formés à la foi catholique par le saint docteur des nations: ils furent placés dans la chaire magistrale pour gouverner prudemment le peuple de Dieu dans les différentes contrées de la terre. En effet, Luc en Bithynie, Tite dans l'île de Crète, Carpus à Troade, Timothée et Archippe dans l'Asie, Trophime à Arles, Onésime à Ephèse, Sosthènes à Corinthe, Titicus à Paphos, Denis l'Aréopagite à Athènes, Epaphras à Colosses, et Eraste à Philippes, jetèrent les filets de la vraie foi, et tirèrent les Païens des ténèbres de l'ignorance à la lumière de la vérité, de même que les poissons du fond de la mer. Comme ils enseignèrent le sentier de la justice, ils y retinrent, par leurs paroles et leurs actions, ceux qu'ils y avaient introduits. Aussi leurs noms sont écrits dans le livre de vie, et tous les peuples de la terre célébreront leur sagesse et leurs louanges. Maintenant c'est une digne entreprise que de parler de la mort triomphante des saints, et de continuer avec véracité la suite de notre narration d'après les documents des Pères. Nous dirons comment ces glorieux princes de la terre, élevant noblement l'étendard du véritable Josué, conquirent la terre de la répromission; comment ils s'aimèrent l'un l'autre pendant la vie, ne furent point séparés à leur mort, et animés d'un même esprit, combattirent à Rome contre l'empereur Néron et le magicien Simon; comment, ayant dans un seul jour vaincu l'ennemi, ils obtinrent le royaume des cieux. Le Romain Marcel, fils du préfet Marc, baptisé par le bienheureux apôtre Pierre, a donné dans une lettre des détails sur la perversité de Simon-le-Magicien et l'innocence de Pierre à l'époque du martyre de Nérée et d'Achillée qui, pour la foi du Christ, souffrirent l'exil dans une île, et y combattirent journellement pour les invincibles assertions de la vérité contre les magiciens Furius et Priscus, disciples du magicien Simon. Ce Marcel rapporte qu'un certain jour pendant que Simon, disputant contre Pierre, vantait sa magie, et cherchait à exciter la haine du peuple romain contre l'apôtre, une veuve vint à passer au milieu d'une grande foule, faisant porter au tombeau son fils unique sur lequel elle gémissait à grands cris. Alors Pierre dit aux sectateurs de Simon: «Approchez-vous de ce cercueil, et tirez-en ce cadavre. Celui-là qui le ressuscitera passera à bon droit pour avoir la foi véritable.» Le peuple, ayant apporté le mort, Simon dit: «Si je le ressuscite, vous mettrez Pierre à mort.» La foule répondit: «Nous le brûlerons tout vif.» Alors Simon, ayant évoqué ses démons, se mit à opérer avec leur ministère, et parvint à rendre au corps quelque mouvement. A cette vue le peuple commença à chanter les louanges de Simon, et à demander la perte de Pierre. Mais l'apôtre, ayant avec peine obtenu le silence, parla ainsi à la multitude: «Si, ce corps est vivant, qu'il parle, qu'il marche, qu'il prenne de la nourriture, qu'il retourne chez lui. S'il en est autrement, sachez que vous êtes trompés par Simon.» Alors le peuple se mit à crier d'une voix unanime: «S'il en est ainsi, et que Simon ne fasse pas ce qu'il a promis, il subira la peine dont il a menacé Pierre.» Le magicien, feignant d'être en colère, chercha à fuir; mais la foule le retint en l'accablant d'injures. Pierre, étendant alors ses mains vers le ciel, s'exprima ainsi: «Seigneur Jésus-Christ, qui nous avez dit à nous autres disciples, allez! en mon nom, chassez les démons, guérissez les malades, ressuscitez les morts; rendez la vie à cet enfant, afin que tout le peuple reconnaisse que vous êtes Dieu, et qu'il n'y en a pas d'autre que vous, qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vivez et régnez dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!» Aussitôt l'enfant ressuscita; il adora Pierre, et dit: «J'ai vu le Seigneur Jésus-Christ commandant aux anges, et leur parlant ainsi: A la demande de mon ami Pierre, que cet unique orphelin soit rendu à la veuve sa mère.» Tout le peuple se mit à crier unanimement: «Il n'y a de Dieu que celui que Pierre enseigne.» Simon changea de visage, et voulut s'échapper; mais le peuple le retint encore, et voulut le jeter dans le feu. Pierre s'élança au milieu de la foule, et le délivra en lui disant: «Notre maître nous a enseigné à rendre le bien pour le mal.» Ainsi Simon s'étant évadé alla trouver Marcel qu'il avait déjà séduit. Il attacha près de sa porte un énorme chien qu'une chaîne de fer pouvait à peine retenir. «Voyons, dit-il, si Pierre, qui a coutume de venir chez vous, pourra y entrer.» Une heure après, Pierre vint en effet; il fit un signe de croix, déchaîna le chien, et lui dit: «Va, et dis à Simon de cesser d'employer le ministère des démons à tromper le peuple pour lequel le Christ a répandu son sang.» Marcel, voyant tant de miracles, courut au-devant de Pierre; et, s'étant jeté à ses genoux, le reçut dans son logis, d'où il chassa honteusement Simon. Le chien devint doux pour tout le monde, et ne s'attacha à poursuivre que le magicien. Après l'avoir lâché, Pierre courut, et cria: «Je t'ordonne, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de ne mordre aucune partie du corps de cet homme.» Aussi l'animal ne put lui toucher aucun membre; mais il déchira tellement par ses morsures les vêtements de Simon, qu'aucune partie de son corps ne resta couverte. Alors toute la populace, et surtout les enfants se mirent à courir sur lui, de concert avec le chien, et ils le chassèrent hors des murs de la ville en hurlant après lui comme après un loup. Accablé de tant de honte, Simon fut un an sans oser reparaître; ensuite il se fit connaître de Néron, et par les liens d'une perverse amitié, le méchant se réunit au plus méchant. Vers la fin du terme du combat apostolique, le Seigneur apparut dans une vision à l'apôtre Pierre, et lui dit: «Simon et Néron, possédés par Satan, trament des embûches contre vous. Ne craignez rien; je suis avec vous, et je vous accorderai la consolation de voir l'apôtre Paul qui demain entrera dans Rome. Vous aurez, de concert avec lui, la guerre contre Simon durant sept mois entiers; et quand vous l'aurez vaincu, chassé et précipité en enfer, vous viendrez tous deux vers moi avec les palmes de la victoire.» C'est ce qui eut lieu. En effet Paul arriva le lendemain. Saint Lin a raconté quand et comment les deux apôtres se virent, et le combat dans lequel, après sept mois, ils triomphèrent de Simon. Tout le récit de leur passion fut écrit en grec, et transmis par ce pape aux églises d'Orient. [2,8] CHAPITRE VIII. Ainsi que j'ai déjà commencé, je vais faire un choix entre les événements; et, sans me livrer à une copieuse prolixité de paroles, je mettrai en ordre une suite abrégée de ce qui s'est passé de remarquable. Ayant appris que Paul devait venir à Rome, Pierre en éprouva une grande joie; et, se levant aussitôt, il alla au-devant de lui. En se voyant mutuellement, ils pleurèrent de satisfaction, restèrent long-temps dans les bras l'un de l'autre, et se baignèrent de larmes. Bientôt la parole de Dieu étant prêchée par ces grands apôtres, la majeure partie des peuples crut en eux, et les vains discours des Juifs et des Gentils ne purent résister en public à ceux que le Saint-Esprit avait largement doués d'une grande abondance de toute sagesse. Pendant que des peuples innombrables se convertissaient au Seigneur par les prédications de Pierre, il arriva que Livie, femme de Néron, et Agrippine, femme du préfet Agrippa, furent aussi conduites à la conversion. L'effet en fut tel qu'elles quittèrent le lit conjugal, et que par amour pour le Roi éternel, elles se consacrèrent à la chasteté. Paul se distingua aussi par la splendeur de toutes sortes de grâces, et se signala grandement dans l'univers romain par ses miracles, par ses vertus, par sa grande doctrine, et par son admirable sainteté. Il acheta hors de la ville un jardin public; et là, de concert avec Luc, Tite et quelques autres fidèles, il s'occupa de la parole de vie. Cependant il réunit une très-grande multitude d'auditeurs, et, avec l'aide de Dieu, il attacha à la foi beaucoup d'âmes: de sorte que ses prédications et sa sainteté retentissaient par toute la ville, et que de là sa réputation volait dans toutes les contrées d'alentour. Plusieurs officiers de la maison impériale accouraient à lui; et, ayant entendu sa prédication, se convertissaient au Seigneur Jésus-Christ. Quelques-uns même des gardes de Néron venaient entendre l'apôtre, et, devenus chrétiens, abandonnaient leurs enseignes. Enflammés d'une ferveur intérieure, ils s'attachaient tellement au Christ qu'ils ne voulaient plus désormais retourner à leurs corps ni au palais, préférant aux armes, aux richesses et aux honneurs la gloire des vertus et la foi véritable. Ainsi chaque jour il causait au diable de notables dommages, et apportait de salutaires joies aux fidèles. Sénèque même, le précepteur de l'empereur, se lia avec Paul d'une telle amitié, en contemplant sa divine science, qu'il pouvait à peine se passer un instant de la conversation de l'apôtre; de sorte que, lorsque le philosophe ne pouvait s'entretenir de vive voix avec le saint, il tâchait, par la fréquence de leur correspondance épistolaire, de se procurer la douceur de son entretien amical et de ses conseils. C'est, ainsi que, par la grâce active du Saint-Esprit, la doctrine de Paul se propageait et se faisait chérir: aussi enseignait-il librement, et trouvait-il beaucoup d'empressement de la part de ses nombreux auditeurs. Il disputait avec les philosophes païens, et confondait les Juifs. Presque tout le monde se soumettait à son enseignement. Plusieurs même de ses écrits furent lus en présence de l'empereur par son précepteur: ce qui le fit admirer de tout le monde; même le sénat romain n'avait pas de lui une médiocre opinion. Mais pendant que les deux illustres apôtres faisaient éclater une splendeur divine, non seulement sur les Romains, mais aussi sur tous les hommes qui, des diverses contrées, se rendaient à Rome comme dans la capitale du monde, les chefs des synagogues s'agitèrent dans toute l'amertume de leur zèle, et, par leurs clameurs impies, excitèrent le vulgaire turbulent à partager leur haine contre les Apôtres. A cet effet, ils dépêchèrent Simon-le-Magicien vers Néron qui descendait de son palais, et s'appliquèrent à inculper faussement les deux bienheureux. Simon commença par alléguer des calomnies contre Pierre, qu'il assura être un magicien et un séducteur. Les hommes pervers croyaient à Simon, et ceux qui admiraient sottement ses fantastiques merveilles étaient les dupes de leurs illusions: car il faisait mouvoir un serpent d'airain, aboyer des chiens de pierre, rire et marcher des statues de bronze: lui-même il courait, et soudain s'élevait dans les airs. A ces prodiges Pierre opposait ses miracles. A sa voix les infirmes étaient guéris; ses prières rendaient la lumière aux aveugles; et, dès les premiers mots de son commandement, les démons prenaient la fuite. Cependant il ressuscitait les morts eux-mêmes, et enlevait tous ceux qu'il pouvait à la pernicieuse société du magicien. Il en résultait que tous les hommes pieux détestaient Simon, tandis que les scélérats, qui étaient ses complices, imputaient par un faux témoignage des crimes au saint apôtre. A la fin, ces accusations parvinrent jusqu'à Néron qui fit appeler le magicien. Conduit devant l'empereur, il commença par abuser la cour à force d'illusions, et se métamorphosa plusieurs fois de manière à paraître tout à coup tantôt enfant, tantôt vieillard, tantôt jeune homme. C'est ainsi qu'il se livrait à ses impiétés, à l'aide de Satan: ce que voyant l'empereur, il le prenait pour le fils de Dieu. Alors ce magicien séducteur, ayant, avec ses complices, accusé les apôtres, Néron fit en grande hâte conduire devant lui Pierre et Paul. Dès le lendemain les apôtres et le magicien disputèrent en présence de l'empereur; et, comme le raconte une histoire véridique, ils opérèrent beaucoup de prodiges. Les disciples manifestèrent la vérité des choses, prouvèrent que le magicien n'était en tout qu'un voleur et un scélérat; et, pour que les hommes faibles n'eussent en lui aucune confiance, ils protestèrent, sur leur damnation, que c'était un infâme apostat. Simon, les ayant menacés qu'il enverrait ses anges pour punir Pierre, cet apôtre pria secrètement Néron de faire apporter un pain d'orge, et de le lui remettre en particulier. L'ordre ayant été exécuté, Pierre prit ce pain, le bénit, le rompit et le cacha sous sa manche: puis il demanda au magicien, qui se vantait d'être fils de Dieu, ce qu'il venait de faire à l'instant. Alors Simon, éprouvant un violent dépit de ne pouvoir découvrir ce secret de l'apôtre, appela à grands cris des chiens énormes auxquels il ordonna de dévorer Pierre sous les yeux de César. Voilà que tout à coup des chiens, d'une merveilleuse grandeur, vinrent à apparaître, et s'élancèrent sur Pierre. Celui-ci, s'étant agenouillé à terre, étendit les deux mains, et présenta le pain qu'il venait de bénir. Les chiens ne l'eurent pas plus tôt vu qu'ils disparurent à l'instant même. C'est ainsi que le magicien devint publiquement la risée de tout le monde, n'ayant pu offrir que des chiens après avoir promis qu'il enverrait des anges contre l'apôtre: ce qui prouve que les anges dont l'imposteur disposait n'avaient qu'une forme canine, au lieu d'une apparence divine. Enfin Simon-le-Magicien ayant été en beaucoup de choses confondu par la puissance des paroles des Apôtres, Néron fit construire une haute tour de bois dans le Champ de Mars. Le lendemain l'empereur, le sénat, les chevaliers romains et tout le peuple se réunirent pour ce spectacle où Néron fit conduire les Apôtres. Alors Simon, en présence de tout le monde, monta au haut de la tour. Le front couronné de lauriers, il étendit les mains vers les cieux, et commença à prendre son vol dans les airs. Cependant Paul, à genoux devant toute l'assemblée, priait le Seigneur; tandis que Pierre, attentif aux entreprises de Simon, attendait avec sécurité le moment favorable de la vengeance divine. Enfin il dit à son fidèle compagnon: «Paul, levez un peu la tête, et regardez.» Les yeux baignés de larmes, Paul leva la tête, et vit Simon qui déjà volait dans les airs; puis il dit: «Pierre, qu'attendez-vous? Terminez ce que vous avez commencé. Le Seigneur Jésus-Christ ne nous appelle-t-il pas déjà?» Aussitôt Pierre, tournant ses regards vers Simon, s'écria: «Anges de Satan, qui portez cet imposteur dans les airs pour induire en erreur le cœur des hommes infidèles, je vous adjure, par le Dieu créateur de toutes choses, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ son fils, qui au bout de trois jours est ressuscité d'entre les morts, à l' instant même cessez de soutenir Simon, et qu'il soit abandonné à lui-même.» Aussitôt, à la voix de Pierre, le magicien, précipité des airs, tomba dans le lieu que l'on appelle la Voie Sacrée, et, mis en quatre parties, il couvrit de ses membres quatre pierres. Jusqu'à ce jour cet accident porte témoignage de la victoire de l'apôtre. Le bruit de la chute fut affreux. Paul leva la tête, et rendit grâces à Dieu, juge équitable. Cependant Néron, enflammé de colère, fit jeter dans les fers Pierre et Paul. Le corps de Simon fut par ses ordres gardé avec soin pendant trois jours et autant de nuits: car le prince pensait que le magicien ressusciterait le troisième jour. Pierre au contraire assurait qu'il était damné pour l'éternité. Les Apôtres se réjouissant dans le Saint-Esprit, et confessant ouvertement le Seigneur Jésus leur maître, Néron, rempli d'une grande fureur, dit à son préfet Agrippa: «Il faut absolument faire périr ces impies; procurez-vous donc des chaînes de fer, et qu'ils soient brûlés dans la naumachie.» Agrippa lui répondit: «C'est à tort que vous voulez ainsi les faire périr, puisque Paul paraît innocent du meurtre de Simon: il est juste toutefois que, pour son impiété, il ait la tête tranchée. Quant à Pierre, qui a commis un homicide, il doit être élevé en croix.» César ayant adopté cet avis, les docteurs du salut éternel furent aussitôt éloignés de la présence de l'empereur, et remis aux mains de Paulin. Ce Paulin, l'un des plus illustres magistrats de Rome, fit saisir les Apôtres du Christ, et les renferma dans la prison Mamertine sous la garde de Processus, de Martinien, et de quelques autres soldats. Ils restèrent là pendant neuf mois, et ils y guérirent par leurs prières un grand nombre de malades et de démoniaques qui étaient venus vers eux. Enfin tous ceux qui étaient dans la prison avec eux criant sans cesse et réclamant unanimement de l'eau pour calmer la soif qui les tourmentait, aussitôt les bienheureux Apôtres prièrent le Seigneur, et furent promptement exaucés par celui auquel ils s'étaient attachés. En effet, le bienheureux apôtre Pierre, ayant fait un signe de croix sur le mont Tarpéien, au même moment une fontaine en jaillit. Alors Processus et Martinien, et tous ceux qui étaient dans la prison se prosternèrent aux pieds de l'apôtre Pierre. Quarante-sept personnes, croyant au Seigneur, furent baptisées alors. L'apôtre offrit pour elles un sacrifice de louanges au Seigneur, et tons les dimanches les fit participer à l'Eucharistie. A la vue de tant de miracles, les officiers Processus et Martinien dirent aux Apôtres: «Allez où vous voudrez; Néron vous a oubliés et n'attend rien de vous.» Pierre et Paul, suppliés par leurs frères de sortir de la prison, la quittèrent après neuf mois de captivité, et gagnèrent une des portes de la ville, en passant par la voie Appienne. Alors Paul alla trouver, dans la ville de Rome ses amis et les personnes qui le connaissaient. Il fortifia dans la foi les Romains et les autres croyants qui se réjouissaient vivement de sa libération. Suivant sa manière accoutumée, il répandit avec abondance la parole de Dieu, et, avec le secours du Seigneur, il augmenta encore pendant quelques jours le nombre des fidèles. Le bienheureux Pierre, qui avait eu la jambe démise par les fers dont il avait été enchaîné, et dont la bande qui couvrait la blessure vint à tomber dans la voie nouvelle, parvenu près de la porte Appienne, vit le Seigneur Jésus. Christ. Aussitôt que Pierre le reconnut, il l'adora et lui dit: «Seigneur, où allez-vous?» Jésus lui répondit: «Pierre, suivez-moi; car je vais à Rome me faire crucifier une seconde fois.» L'apôtre ayant suivi le Sauveur rentra dans Rome, et Jésus lui dit: «Ne craignez rien; car je suis avec vous jusqu'à ce que je vous introduise dans la maison de mon père.» Pierre était à peine rentré dans la ville le matin que les magistrats le firent saisir et le traduisirent au tribunal de l'empereur. Néron, se rappelant ce qui s'était passé, ordonna que Pierre serait élevé en croix, et que Paul serait décollé. Pierre, conduit au pied de la croix, et tout occupé de choses célestes, considérant sagement, dans son esprit, que le Seigneur Jésus-Christ, qui était descendu du ciel sur la terre, avait été élevé sur une croix plantée droite, pria les bourreaux de retourner la sienne et de le crucifier la tête en bas. ils retournèrent la croix et lui attachèrent les pieds en haut et les mains vers la terre. Alors une innombrable multitude de peuple se rassembla, et sa colère fut si violente qu'elle voulut jeter dans les flammes l'empereur Néron lui-même. Pierre arrêtait cette multitude en disant: «N'allez pas, mes chers enfants, n'allez pas mettre obstacle à mon départ; mes pieds marchent déjà dans la céleste voie. Gardez-vous de vous attrister, partagez plutôt ma joie, puisque j'obtiens aujourd'hui le fruit de mes travaux.» Après une longue exhortation, dans laquelle il expliqua parfaitement la figure de la croix du Christ qu'il imitait, il pria, et, rendant grâces à Dieu, il dit: «Je vous rends grâces, bon pasteur, parce que le troupeau que vous m'avez confié compatit à mon sort; Seigneur, je vous le demande, qu'il participe comme moi à votre bonté dans votre royaume.» Il ajouta: «Bon pasteur Jésus-Christ, je vous recommande le troupeau que vous m'avez remis, afin qu'il ne s'aperçoive pas qu'il est privé de moi quand il est sous la garde de celui par lequel j'ai pu le conduire jusqu'à ce jour.» A ces mots il rendit l'esprit. Aussitôt des hommes qu'on n'avait jamais vus dans ce lieu et qui n'y reparurent plus, se montrèrent tout à coup, et dirent qu'ils étaient venus de Jérusalem à cause de Pierre. Réunis à l'illustre Marcel, ils enlevèrent secrètement le corps de l'apôtre, et le déposèrent sous un térébinthe près de la naumachie dans le lieu qu'on nomme le Vatican. Ils attestèrent que cet événement avait donné aux Romains de grands protecteurs an ciel, dans la personne de ces deux grands patrons qui avaient été honorés de l'amitié du Seigneur Jésus-Christ. Maintenant je vais, en peu de mots, tirer de l'histoire de la passion du docteur des Gentils le récit du combat glorieux qu'il soutint, de la course qu'il termina, et du voyage par lequel il parvint à sa suprême vocation. Je raconterai ces choses avec vérité à la louange de notre ineffable Sauveur. Aussitôt que Paul fut sorti de prison, comme nous l'avons dit, il regagna le jardin où il demeurait auparavant. Là une nombreuse réunion de ses amis vint lui témoigner sa joie. Enfin un certain jour, qu'il enseignait la doctrine du salut, et que, vers le soir, dans un appartement élevé, il instruisait la multitude, Patrocle, échanson de l'empereur, s'étant soustrait aux regards de la cour, se rendit à la nuit, et sur l'invitation de ses collègues, à la demeure de Paul, afin d'entendre de sa bouche l'enseignement de la vie éternelle. La foule du peuple n'ayant pas permis à ce seigneur de parvenir jusqu'auprès du maître pour entendre commodément la parole de Dieu qu'il aimait avec ferveur, il monta sur une fenêtre très-haute, et s'assit sur elle en dehors. La prédication très-étendue s'étant beaucoup prolongée, et le jeune homme, accablé de sommeil, ayant commencé à dormir un peu par l'effet des embûches du malin esprit, il tomba de la fenêtre de la chambre qui était fort élevée et rendit l'esprit aussitôt. Cet accident fut annoncé à Néron à son retour du bain. Comme il aimait beaucoup ce jeune homme, il fut vivement attristé et choisit un autre officier pour le remplacer dans l'emploi d'échanson. Paul, qui continuait d'instruire le peuple dans l'intérieur de sa chambre, sut aussitôt par le Saint-Esprit ce qui venait de se passer: il l'annonça, à l'assistance, et se fit, sur-le-champ, apporter ce corps qui était inanimé. Le cadavre ayant été déposé dans la chambre, Paul harangua la multitude, et l'exhorta à prier avec une pleine foi le Seigneur Jésus pour la résurrection du mort. Tout le monde s'étant prosterné et mis en prière, aussitôt qu'elle fut finie, Paul s'exprima ainsi: «Jeune Patrocle, levez-vous, et racontez ce que vous a fait le Seigneur.» Soudain Patrocle, sorti comme d'un songe, se mit à glorifier le Seigneur tout-puissant. Paul le renvoya en joie avec tous les autres officiers de la maison impériale. Pendant que Néron était occupé à se lamenter sur la mort de Patrocle, et qu'il était plongé dans la profondeur immense de sa tristesse, il entendit dire autour de lui que Patrocle vivait, et qu'il arrivait aux portes du palais. A ces mots, César fut saisi d'effroi; il défendit qu'on laissât le jeune homme pénétrer jusqu'en sa présence. Cependant, à la persuasion de ses amis, il permit qu'il entrât. Quand il le vit plein de force et n'offrant aucun signe de mort, il resta stupéfait; et, s'étant entretenu avec lui, il vit qu'il était chrétien. Néron en fut enflammé de colère et lui donna un soufflet: Patrocle ne fit que s'en réjouir davantage dans le Seigneur Jésus. Alors Barnabé et Just, le soldat Paul, Arion de Cappadoce, et Festus de Galatie, tous ministres de César, tous amis, dirent au prince: «Pourquoi frappez-vous ce jeune homme d'une sagesse si droite et d'une véracité si franche? Et nous aussi nous combattons pour l'invincible roi Jésus-Christ, notre Seigneur.» César, ayant entendu que dans un même sentiment, et dans les mêmes paroles, ces hommes proclamaient Jésus roi invincible, les fit jeter en prison, afin de faire torturer ceux qu'auparavant il avait trop aimés. Il fit aussi rechercher avec le plus grand soin tous les prédicateurs de ce grand roi, et rendit un édit barbare par lequel il ordonna de punir par différents tournions et sans interrogatoire tous ceux que l'on trouverait, n'importe en quel lieu. En conséquence, les fidèles furent recherchés partout avec la plus grande rigueur par les agents du gouvernement. La plupart furent découverts et conduits devant César; parmi ceux-ci se trouva Paul, portant encore, au nom du Christ, ses fers accoutumés: il fut conduit enchaîné. Tous les autres Chrétiens le regardaient comme leur maître, honoraient à bon droit celui que le Seigneur avait désigné comme un vase d'élection, et le préféraient chacun à soi-même en toute chose. Aussi, sans autre indice, il fut facile à Néron de reconnaître que Paul était à la tête de la milice du grand roi. Lui ayant demandé pourquoi il s'était introduit en cachette dans l'empire Romain, pourquoi il détournait de son service ses soldats pour les attacher à celui de son roi, Paul, tout plein de l'Esprit-Saint, proclama avec constance, en présence de tous ceux qui étaient là, les vertus du Dieu tout-puissant, et les invita tous à mériter les largesses de cette main qui peut dispenser les plus riches présents à chacun selon ses mérites. Il prévint César lui-même qu'il devait obéir fidèlement au roi suprême. Enfin il lui assura que son roi viendrait juger les vivants et les morts, et qu'il détruirait par le feu la forme de ce monde. A ces mots, le César Néron fut enflammé de colère et ordonna que tous les soldats du Christ fussent jetés sur le bûcher. Quant à Paul, traité comme criminel de lèze-majesté, un senatus-consulte prescrivit que, suivant les lois romaines, il aurait la tète tranchée. Néron le fit livrer à Longin et à Mégiste, préfets, ainsi qu'au centurion Ceste pour qu'il fût mis à mort hors de la ville. Chemin faisant, Paul leur prêcha, sans interruption, la parole du salut. Les ministres et les officiers de Néron employèrent toute leur activité pour découvrir et livrer à la mort tous les Chrétiens qui étaient cachés; il en résulta un massacre si considérable de fidèles que le peuple romain se précipita vers le palais impérial et faisait tous ses efforts pour exciter une sédition contre César lui-même. Ce fut alors que Néron, effrayé des clameurs populaires, publia un autre édit pour ordonner de laisser les Chrétiens vivre en paix: c'est pourquoi Paul fut une seconde fois présenté à ses regards. Dès que Néron le vit, il s'écria avec violence: «Eloignez ce magicien, éloignez cet auteur de maléfices! Qu'on décolle cet imposteur, faites disparaître de la surface de la terre ce novateur qui vient changer les esprits.» Paul eut la constance de déclarer qu'après sa mort il vivrait éternellement et qu'il demeurerait avec son invincible roi, et que, pour preuve de la foi qu'on devait à ses paroles, il se présenterait vivant, après sa décollation, de la manière la plus claire, en présence de l'empereur. Enfin Paul, plein de joie, fut conduit au supplice, et ne cessa de prodiguer les paroles de vie à ses bourreaux et à tous ceux qui les accompagnaient. Avec l'aide du Saint-Esprit, il démontra la vanité de l'idolâtrie et prouva que, pour peu que l'on raisonnât, elle n'était rien du tout. Il exposa admirablement la vraie foi et la connaissance du vrai Dieu. Il pérora avec magnificence sur la damnation des réprouvés et la glorification des justes. Ce ne fut pas inutilement qu'il parla; son divin sermon porta soudain ses fruits. En effet il toucha et enflamma les cœurs de tous les assistants, et changea en gémissements la voix de convertis repentants de leurs crimes passés. Cependant ces saintes occupations amenaient du retard, et une nombreuse multitude élevait fortement la voix. Néron envoya Parthénius et Féritus pour voir si ses ordres étaient accomplis et pour accélérer la passion de l'apôtre, si tant était qu'il vécût encore. Paul s'empressa de leur offrir la semence du salut; mais, comme la perversité l'emportait en eux, il ne put réussir sur ces cœurs endurcis. Comme il marchait avec une innombrable escorte, il rencontra vers la porte de la ville de Rome Plantilla, dame d'une grande qualité: «Adieu, lui dit-il, Plantilla, fille du salut éternel.» Il lui demanda le voile dont sa tète était couverte, afin de se bander les yeux à l'heure de sa passion. Cette dame, tout en pleurs, se recommanda à ses prières, lui présenta aussitôt le voile et se retira un peu à l'écart pour éviter la foule, ainsi que l'apôtre le lui avait ordonné. Paul la réconforta contre les insultes des païens qui lui reprochaient de croire un magicien et imposteur; il lui prescrivit d'attendre à l'écart sa venue, et lui dit qu'elle recevrait, par le moyen de son voile, des signes certains de sa mort. Il instruisit en peu de mots, Longin et ceux de ses compagnons qui croyaient, comment et par qui ils pourraient se faire baptiser après sa mort. Parvenu au lien de sa passion, il se tourna vers l'Orient, tendit les mains au ciel, pria très-long-temps en hébreu, répandit des larmes et rendit grâces à Dieu. Ensuite, prenant congé de ses frères, il les bénit, se banda les yeux avec le voile de Plantilla, fléchit à terre l'un et l'autre genou et tendit le col. Le bourreau frappa avec force et enleva la tête. Lorsqu'elle fut séparée du corps, elle fit encore entendre clairement en hébreu le nom de Jésus-Christ. Aussitôt un jet de lait s'élança du corps de l'apôtre sur le vêtement du soldat, et le sang coula ensuite. On ne retrouva plus le voile qui avait servi à lui bander les yeux au moment de la décollation. Une si grande immensité de lumière et une odeur si suave descendirent des cieux que les yeux des assistants n'en pouvaient supporter l'éclat, et qu'aucune langue humaine n'en pourrait décrire Je parfum. Tous ceux qui virent ces choses furent plongés dans l'admiration et louèrent, pendant plusieurs heures, l'invincible roi Sabaoth. Cependant Parthénius et Féritus s'en retournèrent, et parvinrent à la porte de la ville: ils y trouvèrent Plantilla qui glorifiait le Seigneur. Ils lui demandèrent, par dérision, pourquoi elle ne couvrait pas sa tête du voile qu'elle avait prêté à Paul. Elle leur répondit avec courage, enflammée qu'elle était de la chaleur de la foi: «Hommes vains et misérables, qui ne savez pas croire les choses mêmes que vous voyez de vos propres yeux et que vous touchez de vos propres mains! le voici le voile que j'avais prêté; il est honoré du précieux sang qu'il a reçu.» Ensuite elle raconta avec une sainte allégresse que Paul était descendu du ciel, accompagné de troupes innombrables d'anges vetus de blanc; qu'il lui avait rapporté son voile; qu'il lui avait rendu grâce de sa complaisance, et qu'il lui avait promis les récompenses éternelles. Aussitôt Plantilla tira le voile de son sein et le leur montra tout couvert des roses du sang du martyr. Ces hommes, frappés d'une excessive crainte, doublèrent le pas pour se rendre auprès de César et lui annoncer ce qu'ils avaient vu ou entendu. Lorsqu'il eut appris ces choses, il s'en étonna étrangement; et, frappé d'une grande frayeur, il s'occupa de tout ce qui lui était annoncé avec les philosophes, avec ses amis et avec les ministres de la république. Vers la neuvième heure, pendant qu'on était plongé dans l'étonnement, que les questions se multipliaient et que tout le monde s'en entretenait, Paul entra dans le palais quoique les portes en fussent fermées, et debout devant César, il lui dit: «César Néron, vous voyez en moi Paul, soldat du roi éternel et invincible! Croyez donc maintenant que je ne suis pas mort, mais que je vis par mon Dieu. Quant à toi, misérable, des malheurs affreux te menacent. En peu de temps tu éprouveras un grand supplice, et ta perte sera éternelle, parce que, entre autres forfaits que tu as commis, tu as injustement versé le sang d'un grand nombre de justes.» Disant ces mots, l'apôtre disparut soudain. Néron ayant entendu ces paroles fut frappé d'épouvante au-delà de ce qu'on peut dire; et, devenu comme fou, il ne savait plus ce qu'il devait faire. Enfin, convaincu par ses amis, il fit mettre en liberté Patrocle et Barnabé, et tous ceux qui avaient été jetés dans les fers avec eux. Longin et ses compagnons, comme Paul le leur avait prescrit, vinrent à son tombeau. Ils y trouvèrent deux hommes qui priaient, ayant Paul debout au milieu d'eux. Effrayés de cette merveille, ils n'osèrent approcher davantage. Quand ils virent s'avancer vers eux les préfets et le centurion qui avaient assisté au supplice de Paul, ils prirent aussitôt la fuite, saisis qu'ils étaient d'une frayeur humaine. Aux pieuses supplications de ces magistrats, les fidèles s'arrêtèrent; et, ayant reçu leur profession de foi, ils les baptisèrent avec une joie toute spirituelle. Dans ce temps-là une grande persécution tonna sur les Chrétiens: cette première calamité fournit aux suivantes un admirable exemple de vertu et de constance. En Toscane, Tropès, un des grands officiers de Néron, fut décollé, après de longs tourments; à Rome, Processus et Martinien et quarante-six de leurs compagnons furent baptisés par le bienheureux apôtre Pierre. Enfin Tite et Luc revinrent à eux de l'extase où les plongeait la prière. Longin et deux autres particuliers furent convertis par Paul, et reçurent de Tite et de Luc la salutaire absolution. Ceux-ci suivirent pas à pas, par la foi et le martyre, les docteurs qui les avaient instruits. A Milan, Nazaire, Gervais, Protais et Celse, encore enfant, furent martyrisés. C'est ainsi que Néron ajouta la théomachie à ses innombrables forfaits, et encourut à bon droit l'exécration de son armée et du peuple romain, qui décidèrent que ce prince serait frappé publiquement de verges jusqu'à la mort. Lorsqu'il eut appris cette sentence, la terreur et un insupportable effroi s'emparèrent de lui; le malheureux prit la fuite et ne reparut plus. Quelques personnes rapportent, que pendant qu'il errait dans sa fuite, il périt de faim et de froid, et fut dévoré par les loups. Tels sont les faits principaux que j'ai trouvés épars relativement aux suprêmes sénateurs de l'Eglise, et que j'ai recueillis avec simplicité et concision: ils sont tirés d'un grand nombre de volumes, et j'ai décrit d'un style véridique ces faits mémorables pour les transmettre à la mémoire de la postérité. Pierre prêcha pendant sept ans dans la Judée, et siégea sept autres années à Antioche; il se rendit à Rome sous l'empire de Claude César, pour combattre le magicien Simon, et pendant vingt-cinq ans il y prêcha l'Evangile, en même temps qu'il y occupa le premier le siége pontifical. L'an trente-sixième après la passion du Christ, le 3 des calendes de juillet, (29 juin) il fut crucifié; et son corps fut inhumé sur le Vatican le long de la voie Aurélienne. Le même jour Paul souffrit noblement la passion après d'innombrables combats et les plus grands travaux: il fut décollé sur la voie d'Ostie, au second mille, dans des jardins qui sont situés sur les eaux Salviennes. Ainsi les deux apôtres souffrirent à Rome pendant le règne de César Néron, sous le consulat de Bassus et de Tuscus: le premier est honoré par toute la ville près de la voie triomphale, et l'autre jouit d'un pareil honneur sur la voie d'Ostie.