CHAPITRE I LE RECIT DE BARINTHUS (? -48 ou 552) A SAINT BRENDAN(485-574 ou 583 environ) Saint-Brendan, fils de Finloch, petit- fils(l) d'Altus, de la lignée d'Eogène, naquit dans la région marécageuse (2) des Mumenensiens.C'était un homme d'une grande abstinence et célèbre pour ses vertus, père de trois mille moines environ. Comme il était dans son lieu de combat (spirituel)(3) au lieu nommé "lande des vertus de Brendan"(4), il arriva qu'un soir vînt vers lui un des pères, du nom de Barinthus, son propre disciple. (4) Et comme il était interrogé sur de nombreux points par le saint père, il commença à pleurer, à se prosterner et à demeurer fort longtemps en oraison. Saint Brendan le releva de terre et le baisa disant : "Père, pourquoi avons nous tristesse pour ton arrivée ? N'est-ce pas en vue de notre consolation que tu vins ? Tu dois plutôt apprêter ta joie pour tes frères ! Indique-nous la parole de Dieu et réconforte nos âmes des très nombreux (5) miracles que tu as vus sur l’Océan ! » Alors Saint-Barinthus, au terme des paroles de Brendan, commença à parler d'une certaine île, disant : "Mon filleul Mernocatus, intendant des pauvres du Christ, s'éloigna de mon visage et voulut se faire solitaire. Et il découvrit une île près d'une montagne de pierre, - son nom est l'Ile Délicieuse- ; après bien des ans, on m'annonça qu'il avait de multiples moines et que Dieu montrait par lui de nombreux miracles. C'est pourquoi j'ai été amené à visiter mon filleul. Et comme je m'en étais approché par un voyage de trois jours, il se hâta à ma rencontre avec ses frères. Car le Seigneur lui révéla mon arrivée. Alors que nous naviguions, les frères sur 1'île, à notre rencontre, coururent, comme un essaim d'abeilles, sortant de leurs différentes cellules. En effet, leurs habitations étaient dispersées. Et pourtant pour leur séjour il y eut toujours unité, dans l'espoir, la foi et la charité, grâce à un seul lieu de réfection. Aucune autre alimentation n'apparaît si ce n'est des pommes, des noix et des racines, et toutes les espèces d'herbes. Ainsi, après complies, chacun dans sa cellule, jusqu'au chant du coq ou au son de la cloche, demeure. Or, comme j'avais passé la nuit et visité l'île tout entière, mon filleul me conduisit vers le rivage de la mer, face à l'occident, où était une embarcation, et me dit : "Père, montez dans le navire et naviguons face à l'étendue occidentale, vers l'île nommée Terre de Promission des Saints, que Dieu va donner à nos successeurs dans un temps très proche". Une fois que nous fûmes embarqués et naviguant, nous fûmes couverts de nuages en si grand nombre qu'à peine pouvions nous voir la poupe ou la proue du navire. Mais après une heure à peu près s’étendit autour de nous une immense lumière, et parut une terre spacieuse, herbeuse, porteuse de pommes (6) en abondance. Comme le navire avait touché terre, nous accostâmes et commençâmes à aller et parcourir l'île pendant quinze jours, d'après ce que nous pensions, et nous ne pouvions pas en découvrir l'extrémité. Nous ne vîmes point d'herbe si ce n'est des fleurs, point d'arbres sans fruit. Et aussi les pierres de cette île sont de par leur nature précieuses. De plus, le quinzième jour, nous découvrîmes un fleuve serpentant vers le Couchant. Comme nous considérions tout cela, il y eut doute en nous sur ce que nous devions faire. Et nous prîmes la résolution de traverser le fleuve. Mais nous attendions l'avis de Dieu. Tandis que nous en avions délibéré entre nous, soudain parut un homme d'une grande splendeur, devant nous. Et lui aussitôt de nos propres noms nous appela et nous salua, disant : " C'est merveille, valeureux frères ! Car le Seigneur vous a révélé cette terre qu'il va donner à ses saints. C'est en effet le milieu de l'île jusqu'à ce fleuve. Il ne vous est pas permis d'aller au-delà. Retournez donc d'où vous êtes venus. Après qu'il eut dit ces mots, aussitôt je le questionnai sur son origine et sur son nom. Il répondit : « Pourquoi me demandes-tu d’où je http://www.utqueant.org Editions Carâcara 46 suis et quel nom je porte ? Mais pourquoi ne me demandes-tu rien concernant cette île ? Telle que tu la vois maintenant, de même ainsi depuis l'origine du monde elle a perduré. As-tu besoin de nourriture, ou de boisson, ou de vêtements? Or c'est une année, dans cette île que tu es resté sans besoin d'aliment ni de boisson. Jamais tu n'as été écrasé de sommeil, ni la nuit ne t'a recouvert. Car le jour y est éternellement sans aucune cécité des ténèbres. Notre Seigneur Jésus Christ est la lumière d'ici même. » Ensemble nous avons fait route, et l'homme (avec nous parvint au rivage où était notre embarcation. Mais à notre embarquement, il disparut de nos yeux et nous allâmes par le-même brouillard) (7) vers l'île Délicieuse. Ainsi, lorsque les frères nous virent, ils se réjouissaient avec grande joie de notre arrivée, et ils pleuraient de notre absence qui avait duré longtemps, disant : "Pourquoi, pères, avez-vous laissé à l'errance vos brebis sans pasteur dans cette forêt ? Nous savons que notre abbé fréquemment de nous s'éloigne dans quelque endroit, parfois deux semaines parfois une semaine ou plus ou moins." Comme j'entendais ces mots, j'ai commencé à les réconforter, leur disant : « Frères, ne pensez à rien qui ne soit du bien. Votre séjour sans aucun doute est devant la porte du Paradis. Ici, toute proche, est l'île appelée Terre de Promission des Saints, où la nuit ne pèse pas, où le jour ne finit pas. Et là-bas, notre abbé Mernocatus se rend souvent. Or l'Ange du Seigneur la garde. Ne reconnaissez-vous pas à l'odeur de nos vêtements que nous avons séjourné au Paradis de Dieu ? » Alors les frères répondirent, disant : "Père, nous savons votre séjour au Paradis placé en haute mer, mais le lieu du Paradis nous est inconnu. Car souvent nous avons vérifié qu'une odeur suave s'exhalait des vêtements de notre abbé à son retour, après un espace de quarante jours. " - "Là-bas(8), en vérité, j'ai demeuré deux semaines continues avec mon filleul, sans nourriture ni boisson.(Sur 1'lle des Délices) nous avons eu tant pour la satiété du corps que nous paraissions ivres d'un vin nouveau. Mais après quarante jours, une fois reçue la bénédiction des frères et de l'abbé, je suis revenu avec mes compagnons, pour retourner vers ma cellule où je vais aller demain. CHAPITRE II SAINT BRENDAN REND GRACE A DIEU A ces paroles entendues, Saint Brendan et son entière communauté, se prosternèrent, glorifiant Dieu et disant/ 3 Juste est le Seigneur en toutes ses voies, et saint en toutes ses oeuvres (9), Lui qui a révélé à ses serviteurs de si nombreuses et si grandes merveilles, et qu'Il soit béni pour ses dons, Lui qui aujourd'hui a refait nos forces d'une telle dégustation spirituelle. » Cette louange s'acheva et, saint Brendan ajouta : "Allons pour la réfection du corps et pour la nouvelle mission". Et la nuit passée, une fois reçue la bénédiction matinale des frères, vers sa cellule, saint Barinthus s'en retourna. CHAPITRE III LE CONSEIL DE SAINT BRENDAN Donc Saint Brendan, prenant de toute sa communauté, deux fois sept frères qu'il choisit, s'enferma dans un oratoire avec eux, leur parlant et disant : "Compagnons de combat, mes plus aimants, je vous réclame conseil et aide, du fait que mon coeur et toutes mes pensées sont assemblés en un seul vouloir. Si seulement c'est le vouloir de Dieu, la terre dont a parlé le père Barinthus, Terre de Promission des Saints, en mon coeur j'ai projet de la chercher (10). Que vous en semble,ou quel conseil me voulez-vous donner ? Une fois le vouloir du Saint père connu, comme d'une seule bouche, tous disent : "Père, ton vouloir est aussi nôtre. N'avons-nous point quitté nos parents, n'avons-nous point méprisé notre héritage, et n'avonsnous point remis nos personnes entre tes mains (11) ? C'est pourquoi nous sommes en mesure d'aller soit vers la mort, soit vers la vie. Cherchons seulement le vouloir de Dieu". Aussi Saint Brendan décide d'observer, avec ses compagnons, tous les trois jours, un jeûne pendant quarante jours, et ensuite de partir. Une fois cette période écoulée, après avoir salué et http://www.utqueant.org Editions Carâcara 47 recommandé tous les frères au prévôt de son monastère, qui fut ensuite son successeur dans le même lieu, il se dirigea face à l'étendue occidentale, avec quatorze frères,vers l'île d'un certain saint père, nommé Ende (12) et là, il resta trois jours et trois nuits. CHAPITRE IV LA CONSTRUCTION DU NAVIRE Une fois reçue la bénédiction du saint père et de tous les moines qui l'accompagnaient, Saint Brendan se dirigea aux extrémités de son pays où demeuraient' ses parents. Cependant il ne voulut pas les voir, mais sur le sommet d'une certaine montagne s'étendant au loin dans l'Océan, dans un lieu nommé « siège de Brendanl »(l3), il fixa une tente assez grande pour abriter le passage d'un navire. Saint Brendan et ses compagnons, pourvus d'outils, firent une embarcation très légère, munie de couples et de vaigres, d'un bois utilisé traditionnellement dans ces régions, et ils la couvrirent entièrement de cuirs de boeufs, rougis dans l'écorce m'un chêne. Et ils enduisirent de beurre, à l'extérieur, toutes les jointures des peaux, et ils placèrent deux autres parois faites d'autres cuirs à l'intérieur du navire, ainsi que des vivres pour quarante jours, du beurre pour réparer les peaux servant à l'étanchéité du navire, et d'autres objets utiles qui conviennent à l'usage de la vie humaine. De plus ils placèrent et fixèrent au centre du navire un mât et une voile et tout ce qui convient à la manoeuvre du navire. D'autre part Saint Brendan prescrivit à ses frères, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, d'entrer dans le navire. Et alors qu'il se tenait seul sur le rivage et bénissait le port, voici que trois frères venant en plus de son monastère, le rejoignirent et ils tombèrent aussitôt aux pieds du Saint père, disant : "Père, permettez-nous d'aller où vous irez; sinon nous nous laisserons mourir en ce lieu, de faim et de soif. Nous avons en effet décidé d'être pèlerins pour tous les jours de notre vie". Et lorsque l'homme de Dieu vit leur angoisse, il leur prescrivit d'entrer dans le navire, disant "Que votre volonté soit faite, mes fils " Et il ajouta: " Je sais comment vous êtes venus. Le frère (Barinthus) a accompli une bonne oeuvre. Car Dieu a apprêté pour lui un lieu d'élévation. " Alors Saint Brendan monta dans le navire, et voiles étendues ils commencèrent à naviguer tout à fait face au solstice d'été. Or ils avaient un vent favorable. Ils n'eurent d'autre peine pour naviguer que de tendre les voiles. CHAPITRE V DIFFICULTES ET FATIGUE Après quinze jours le vent cessa et ils en vinrent à naviguer à la rame(l4) jusqu'au moment où leurs forces firent défaut. Sur l’heure Saint Brendan se mit à les réconforter les encourageant et disant : « Frères, n'ayez crainte. Car Dieu est notre secours, notre nautonier et notre pilote, et il nous gouverne. Rentrez toutes les rames et dérivons (15) Laissez seulement les voiles tendues, et que Dieu fasse comme il veut de ses serviteurs et de son navire. Alors ils continuaient de refaire leurs forces jusqu'au soir, tant qu'ils ne cessaient d'avoir du vent. Cependant ils ignoraient de quel endroit le vent venait ou vers quel lieu le navire était emporté. Dès que quarante jours furent consommés ainsi que toutes les ressources qui convenaient à la nourriture, il leur apparut une île du côté septentrional tout à fait rocheuse et haute. Et comme ils approchaient de son rivage, ils virent une rive très haute comme un mur, et divers ruisseaux descendant du sommet de l’île pour s'écouler dans la mer. Cependant ils avaient peine à découvrir un port où le navire aurait tenu. Or les frères étaient fortement tourmentés par la faim et la soif. Chacun aussi prit des vases de façon à pouvoir recueillir un peu d'eau. Saint Brendan, lorsqu'il vit cela, s'écria: « N'agissez pas ainsi ! Car ce que vous faites est sot. Maintenant encore Dieu ne veut pas nous montrer un port pour entrer et vous voulez faire rapine ! Le Seigneur Jésus Christ, après trois jours, montrera un port et un lieu pour demeurer, et nos corps seront reposés de nos tourments. » CHAPITRE VI L'ILE INHABITEE(16) Et après qu'ils eurent fait le tour de l'île trois jours durant, lors du troisième jour, aux alentours de la neuvième heure, ils découvrirent un port où un seul navire avait accès. Et aussitôt Saint Brendan se leva et bénit l'entrée. Or il y avait une roche taillée de chaque côté, d'une hauteur merveilleuse autant qu'un mur. Et comme tous étaient descendus du navire et se tenaient à l'extérieur sur la terre, Saint Brendan prescrivit de ne sortir aucun bagage du navire. Et outre, alors qu'ils longeaient le rivage de la mer, leur vint un chien par quelque sentier et il alla vers les pieds de Saint Brendan comme ont l'habitude d'aller les chiens vers les pieds de leurs maîtres. Alors Saint Brendan et ses frères suivirent le chien les conduisant vers un château. Et à leur entrée dans le château, ils virent une grande cour et une salle parée avec des lits et des sièges, et de l'eau pour laver les pieds. Mais comme ils s'étaient assis, Saint Brendan conseilla ses compagnons, disant : « Veillez, frères, à ce que Sathan ne vous entraîne pas dans la tentation. Je le vois persuader un des trois frères qui, après nous, vinrent de notre monastère, de commettre un larcin honteux. Aussi priez pour son âme. Car sa chair a été livrée au pouvoir de Sathan. » La pièce (17) dans laquelle ils séjournaient, était pour ainsi dire enchassée, le long des parois, dans une guirlande de coupes suspendues de diverses sortes de métal, de freins (18) et de cornes cerclés d'argent. Alors Saint Brendan dit à son serviteur qui avait coutume d’apporter le pain aux frères : « Apporte le repas que Dieu nous a envoyé. » Et lui aussitôt se leva et découvrit une table dressée et des linges et des pains individuels d'une blancheur merveilleuse et des poissons. Lorsque l'on eut tout apporté Saint Brendan bénit le repas et dit à ses frères : "Reconnaissons Dieu du ciel, celui qui donne nourriture à toute chair." Donc les frères s'étaient assis et magnifiaient le Seigneur. De la même manière, ils découvraient autant de boisson qu'ils voulaient. A la fin du repas et une fois le service de Dieu achevé, le saint homme dit : « Prenez du repos; voici des lits pour chacun et bien couverts. Il faut que vous reposiez vos membres épuisés de trop de fatigue. » Mais comme les frères se livraient entièrement au sommeil, Saint Brendan vit l’oeuvre du Diable, à savoir un enfant éthiopien, tenant un frein dans la main et ricanant devant le frère. Aussitôt Saint Brendan se leva et se mit à prier la nuit durant jusqu'au jour. Et une fois le matin venu, les frères firent, avec empressement, le service de Dieu; puis après la célébration du mystère divin, tandis qu'ils se dirigeaient vers la navire, voici qu'apparut la table préparée comme la veille. Ainsi pendant trois jours et trois nuits, Dieu prépara un repas à ses serviteurs. CHAPITRE VII LE FREIN VOLE Puis, Saint Brendan avec ses compagnons entreprit de faire route; il dit aux frères : "Soyez vigilants afin que nul d'entre vous n’emporte avec lui quelque objet de la substance de cette île". Mais tous lui répondirent : "Père, que tout vol portant atteinte à notre route soit absent(l9) !" Alors Saint Brendan dit : "Voici que notre frère - je vous l'ai prédit - depuis hier garde dans son sein un frein d'argent que, cette nuit, lui a donné un diable". Comme il disait ces mots, le frère jeta le frein de son sein et tomba devant les pieds de l'homme de Dieu, disant: "J'ai péché, Père; pardonne moi et prie pour mon âme afin qu'elle ne périsse point !"(20) Aussitôt tous ensemble se prosternaient, intercédant auprès du Seigneur pour l'âme du frère. Mais comme ils se relevaient et que le saint père relevait le frère, voici qu'ils virent un éthiopien tout petit saillir de son sein, criant à pleine voix et disant : « Pourquoi, homme de Dieu, me jettes-tu de mon habitation où j'ai habité sept ans, et me fais tu m'éloigner de mon héritage ?"(21) Mais Saint Brendan à cette voix dit : "Je te prescris, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, de ne point faire de tort à aucun homme jusqu'au jour du Jugement." S'étant retourné, l'homme de Dieu dit au frère : « Reçois le corps et le sang du Seigneur, http://www.utqueant.org Editions Carâcara 49 puisque ton âme va ainsi quitter ton corps. Ici en effet, tu auras le lieu de ta sépulture. Et ton frère qui t’accompagna depuis son monastère, a, en enfer, son lieu de sépulture. » C'est pourquoi, après avoir reçu l’eucharistie l’âme du frère sortit du corps, soutenue par des anges de lumière, sous les yeux des frères. Et le corps fut enseveli dans ce lieu même par le saint père. CHAPITRE VIII L'INTENDANT Donc les frères avec Brendan vinrent au rivage de l'île où se tenait leur navire. Or comme ils montaient dans le navire, arriva vers eux un jeune homme (22)portant un panier plein de pains et une amphore d'eau. Et il leur dit :"Recevez la bénédiction de la main de votre frère. Car il reste une longue route jusqu'à ce que vous découvriez la consolation. Cependant ne vous feront défaut ni le pain ni l'eau jusqu'à Pâques". Une fois la bénédiction reçue, ils commencèrent à naviguer sur l'Océan, se nourrissant tous les deux jours. Et ainsi, par les multiples lieux de l'océan, le navire était emporté. CHAPITRE IX L'ILE DES MOUTONS Un certain jour, ils virent une île non loin d'eux. Et comme ils commençaient à naviguer vers elle, leur survint un vent favorable pour les aider à ne pas peiner plus que leurs forces ne le pouvaient supporter. Puis, lorsque le navire fut dans le port, l'homme de Dieu prescrivit à tous de débarquer. Mais lui-même sortit après eux. Et comme ils commençaient à parcourir l'île, ils virent des eaux très abondantes se répandre de nombreuses sources, pleines de poissons. Et Saint Brendan dit à ses frères : "Faisons ici le service divin. Sacrifions à Dieu l'hostie immaculée, car aujourd'hui c'est la Cène du Seigneur". Et ils demeurèrent là jusqu'au samedi saint de Pâques. Alors, parcourant 1'île, ils découvrirent de nombreux troupeaux de brebis, d'une seule couleur, c'est-à-dire blanche, si bien qu ils ne pouvaient plus voir la terre en raison de la multitude de brebis. Après qu'il eut rassemblé ses frères, Saint Brendan leur dit : "Prenez du troupeau ce qui est nécessaire pour un jour de fête." Alors les frères, conformément au commandement de l'homme de Dieu, se hâtaient vers le troupeau. Et aussi tôt ils prirent du troupeau une brebis. Et comme ils l'avaient liée par les cornes, c'était elle qui suivait comme si elle eut été domestiquée, celui qui, de sa main, la tenait liée, jusqu'au lieu où se trouvait l'homme de Dieu. A nouveau l'homme de Dieu dit à un des frères : "Prenez l'agneau immaculé du troupeau". Et il se hâta et fit comme il lui avait été enjoint. Comme ils avaient tout préparé pour le service du lendemain, voici que leur apparut un homme tenant dans la main une corbeille pleine de pains cuits sous la cendre et tout ce qui était nécessaire par ailleurs. Lorsqu'il eut tout déposé devant l'homme de Dieu, il se laissa tomber face contre terre, à trois reprises, au pied du Saint père, disant : "En quoi ai-je mérité, pâquerette de Dieu, que tu célèbres Pâques, en ces jours saints, à partir du travail de mes mains ?". Saint Brendan le releva de terre, l'embrassa et dit : "Fils, c'est notre Seigneur Jésus Christ qui nous offre un lieu où nous puissions célébrer sa Sainte Résurrection". L'homme lui répondit : "Père, vous célébrerez ici le Samedi Saint. Mais demain, c'est dans cette île que vous voyez là-bas, que Dieu a décidé que vous célébreriez vigiles et messes de sa Résurrection" (23). Pendant qu'il disait ces mots, il commença à préparer le service des serviteurs de Dieu et tout ce qui était nécessaire pour le lendemain. Une fois les préparatifs achevés et le navire chargé, il dit à Saint Brendan : " Votre embarcation ne peut pas porter davantage. Mais je vous ferai parvenir ce qui vous est nécessaire en nourriture et en boisson jusqu'à Pentecôte". Saint Brendan dit : " D'où sais-tu où nous serons après une huitaine ?" L'homme lui répondit : "Cette nuit, vous serez dans l'île que vous voyez à proximité, et demain jusqu'à la sixième heure. Après vous naviguerez face à l'étendue occidentale, vers une autre île qui n'est pas éloignée de la http://www.utqueant.org Editions Carâcara 50 précédente, et porte le nom de Paradis des Oiseaux. Et là, vous resterez jusqu'à l'octave de Pentecôte". Saint Brendan l'interrogeait aussi comment pouvaient être si grandes les brebis que l'on voyait ici. En effet elles étaient plus grandes que des boeufs. Il lui dit : "Personne ne recueille le lait de ces brebis dans cette île; ni l'hiver ne les affaiblit, mais, sur les pâturages, toujours elles demeurent jour et nuit. C'est ainsi qu'elles sont plus grandes ici que dans vos régions". CHAPITRE X JASCONIUS NON REVELE(24) Et ils s'en allèrent sur le navire et commencèrent à naviguer, après s'être donné mutuellement la bénédiction. Mais comme ils arrivaient à l'autre île, le navire commença à s'immobiliser avant qu'ils n'aient pu atteindre le port de cette île. Saint Brendan prescrivit aux frères de sortir du navire et ainsi firent-ils. Et ils soutenaient le navire des deux cotés avec des cordes jusqu'à ce qu'il vint au port. Or cette île était rocheuse sans aucune herbe. La forêt y était rare et, sur son rivage, point de sable. Plus tard, alors que les frères descendus du navire passaient la nuit en prières et en veilles, l'homme de Dieu était assis à l'intérieur du navire. CHAPITRE XI JASCONIUS REVELE (25) Mais Saint Brendan savait la nature de l'île; cependant il ne voulut pas leur en parler, de crainte qu'ils ne fussent terrifiés. Puis, au matin, il prescrivit aux prêtres que chacun chantât la messe, et ainsi firent-ils. Donc alors que Saint Brendan lui aussi, chantait la messe dans le navire, les frères se mirent à tirer du navire la viande crue afin de la saler et aussi les poissons emportés avec eux de l'autre île. Comme ils faisaient cela, ils posèrent un chaudron sur le feu. Or, comme ils fournissaient le feu de bois, et que le chaudron commençait à bouillonner, l'île se mit à se mouvoir comme le flot. Alors les frères se mirent à courir au navire, implorant la protection du saint homme. Et il les tirait un par un à l'intérieur, par les mains. Ayant tout laissé de ce qu'ils avaient apporté sur cette île, ils commencèrent à naviguer. Au loin, l'île était emportée sur l'océan. Alors ils pouvaient voir le feu brûler pendant plus de deux miles. Saint Brendan raconta aux frères ce qu'il en était, disant : « Frères, admirez- vous ce qu'a fait cette île ?" Ils disent : "Nous admirons grandement, et surtout une immense peur nous a pénétrés". Il leur dit : "Mes chers fils, n’ayez point crainte. Car Dieu m'a révélé cette nuit, par vision le mystère de cette chose. Ce n'était point une île où nous fûmes, mais un poisson. Antérieur à tout ce qui nage dans l'océan, il cherche sans cesse sa queue afin de la joindre ensemble à la tête, mais il ne le peut pas, vu la longueur qu'il a, lui dont le nom est Jasconius (26) ». CHAPITRE XII L'ILE DES OISEAUX Or comme ils avaient navigué pour s'approcher de l'île, où ils furent durant trois jours auparavant, et qu'ils étaient en vue de son sommet, du côté de l'étendue occidentale, ils virent une autre île, près d'eux, qui la joignait - mais un vaste bras de mer les séparait - herbeuse, couverte d'arbres et pleine de fleurs, et ils commencèrent à-rechercher un port en faisant la tour de l'île. Comme ils naviguaient plus loin face à l'étendue méridionale de cette île, ils découvrirent une rivière se déversant dans la mer, et ils tirèrent le navire vers la terre. Or comme ils descendaient du navire, Saint Brendan leur prescrivit de tirer le navire par des cordes, en remontant le lit du fleuve, autant que possible. Or ce fleuve était aussi large que la largeur du navire. Quant au saint père, il était assis dans le navire et ainsi firent-ils sur la distance d'un mille, jusqu'au moment où ils arrivèrent à la source de ce même fleuve. Saint Brendan dit : "Voici le lieu que notre Seigneur Jésus Christ nous a donné pour demeurer http://www.utqueant.org Editions Carâcara 51 jusqu'à sa sainte résurrection." Et il ajouta : "Si nous n’avions pas d'autres vivres excepté cette source, sa substance et sa boisson nous suffiraient je crois". Or il y avait au-dessus d'elle un arbre d'une ramure en cercle merveilleuse, d'une hauteur non excessive, recouvert d'oiseaux très blancs. Ces derniers l'avaient tant recouvert que ses feuilles et ses rameaux étaient à peine visibles. Donc, à cette vue l'homme de Dieu se mit à penser en lui-même, et à se demander ce qu'il en était ou pour quelle raison une si grande multitude d'oiseaux pouvaient être ainsi rassemblée. A ce sujet, sa lassitude devint si grande qu'il fondit en larmes, s'humiliant à genoux et qu’il implorait Dieu, disant : "Dieu, toi qui connais l'inconnaissable et qui révèles toute chose obscure, tu sais l'angoisse de mon coeur. J'implore ta majesté pour que tu me juges digne, moi pécheur, au nom de ta grande miséricorde, de révéler ton secret, ainsi placé devant mes yeux. Ce n'est pas de ma dignité ou de mon mérite que je présume, mais de ta clémence". Comme il avait dit ces mots en lui et s'était assis de nouveau, voici qu'un des oiseaux s'envolait de l'arbre, et ses ailes résonnaient pour ainsi dire comme une clochette au son clair, - face au navire, où l'homme de Dieu était assis. Et cet oiseau se posa au sommet de la proue et se mit à étendre les ailes comme en signe de joie, et à regarder d’un visage serein le saint père. Aussitôt l'homme de Dieu reconnut que Dieu s'était souvenu de la prière de son coeur. Et il dit à l'oiseau "Si tu es l'envoyé de Dieu, raconte-moi d'où viennent ces oiseaux, ou pour quelle raison ils sont ici réunis ?" Et lui aussitôt répondit : « Nous sommes issus de la grande ruine de 1’antique ennemi. Car dès que nous fûmes créés, nous n'avons pas dit notre entier refus à son péché; sa chute avec ses fidèles causa aussi notre ruine. Mais notre Dieu juste et véridique, en vertu de sa grande justice, nous envoya en ce monde où nous ne supportons pas de peine, si ce n'est que nous ne pouvons pas voir la présence de Dieu. Et ainsi, avec miséricorde, il nous a retirés de la communauté des autres qui furent orgueilleux. Nous errons aussi à travers les multiples parties de l'air, du firmament et des terres, comme les autres esprits qui sont envoyés. Mais, dans les saints jours et les dimanches, nous recevons des corps (27) tels que tu les vois maintenant, et nous demeurons ici et louons notre Créateur. Mais toi, avec tes frères, te voici depuis un an sur la route. Il reste encore six ans. Au lieu où tu as célébré Pâques, aujourd'hui, en ce lieu chaque an tu feras sa célébration, et après tu découvriras ce que tu as placé en ton coeur, c'est-à-dire la Terre de Promission des Saints. » CHAPITRE XIII CHANT DES PSAUMES PAR LES OISEAUX Après ces paroles, l'oiseau s'élança de la proue pour aller voler vers les autres. Or comme l'heure vespérale approchait, tous les oiseaux qui sur l’arbre se tenaient, se mirent à chanter, pour ainsi dire d'une seule voix, se frappant les flancs et disant : "A toi la louange est due, ô Dieu, dans Sion. Et pour toi, en Jérusalem, sera acquitté le voeu.(28). Et sans cesse ils reprenaient le verset sus-dit, pendant l'espace d'une heure environ, et il apparaissait à l'homme de Dieu et à ses compagnons que cette modulation et le son des ailes étaient comme un chant de douleur en vertu de sa suavité. Alors Saint Brendan dit aux frères : "Refaites vos forces corporelles car aujourd'hui nos âmes sont rassasiées de réfection divine", Le repas une fois terminé, ils accomplirent le service de Dieu, qu'ils achevèrent en tout point. Et l'homme de Dieu et ses compagnons, livrèrent leur corps au repos jusqu'à la troisième veille de la nuit. Alors s'étant éveillé, l'homme de Dieu se mit à appeler ses frères pour la veille de la sainte nuit, entonnant ce verset ; "Seigneur, tu ouvriras mes lèvres."(29) Dès que la prière de l'homme de Dieu fut achevée, tous les oiseaux de leurs ailes et de leur bouche, répondaient en disant : « Louez le Seigneur, (30) vous tous qui êtes ses envoyés, louez-le, vous tous qui êtes ses vertus(30).» Et comme ils l'avaient fait au soir, sur l'espace d'une heure, sans cesse ils chantaient. Puis quand l'Aurore eut resplendi, ils entamèrent ces chants : « Et que soit la splendeur (de Notre Seigneur Jésus christ au-dessus de nous (31)», avec une modulation égale http://www.utqueant.org Editions Carâcara 52 et une longueur du chant des psaumes identique à celles des louanges du matin. De même à la troisième heure, ce verset : "Chantez des psaumes à notre Dieu (32)" etc. A sexte : "Eclaire, Seigneur, ton visage au-dessus de nous et prends pitié de nous.(33)". A none, ils psalmodiaient : "Oui, qu'il est bon et doux pour des frères d'habiter unis ensemble. (34)" Et nuit et jour, les oiseaux rendaient louange au Seigneur. Ainsi Saint Brendan, jusqu'au Huitième jour, refaisait les forces de ses frères par ces joies pascales. C'est pourquoi au terme de ces jours de fêtes il dit : "Prenez de cette source, ce qu’il nous faut et seulement ce dont nous avons eu besoin jusqu'ici pour nous laver mains ou pieds". A ces mots, voici l'homme d'avant, avec qui ils furent trois jours avant Pâques, qui leur avait offert la nourriture pascale, voici qu'il vint vers eux avec son navire plein de victuailles et de boissons. Une fois tout embarqué, en présence du saint père, il leur parle, disant : "Hommes frères, vous aurez ici suffisamment jusqu'au jour saint de Pentecôte, et ne buvez pas de cette source. Car il est hardi (35) de la boire. Je vous dirai sa nature. Quiconque en boit, le sommeil se jette sur lui, et il ne s'éveille pas jusqu'à ce que soient accomplies vingt quatre heures. Jusqu'au moment où il émerge hors du pouvoir de la source, il a le sommeil et la nature de l'eau.(36)" Une fois la bénédiction du saint père reçue, il s'en retourna. Alors Saint Brendan demeura au même lieu jusqu’à l'octave de Pentecôte. Car leur réconfort était le chant des oiseaux. Mais au jour de Pentecôte, comme le saint homme avec ses compagnons entonnait des chants, vint à eux l'intendant, portant tout ce qui était nécessaire au service du jour de fête. Or, comme ensemble ils avaient pris place à table pour le repas, ce même homme de Dieu leur parla, disant : "Il vous reste un grand chemin, Remplissez de cette source(37) vos vases et prenez des pains secs, que vous pouvez conserver jusqu'à l'an prochain. Quant à moi, je vous accorderai autant de vivres que votre navire en peut porter. CHAPITRE XIV LA PROPHETIE DE L'OISEAU(38) Or quand cela fut bien achevé, une fois la bénédiction reçue, il s'en retourna. Alors Saint Brendan, après huit jours, fit charger le navire de tout ce que lui avait accordé l'homme, et de la source il fit remplir tous les vases. Or une fois tous parvenus au rivage, voici que vint l'oiseau, d'un vol rapide, et il se posa de nouveau sur la proue du navire. C'est ainsi que l'homme de Dieu reconnut qu'il voulait lui indiquer quelque chose. Alors, d'une voix humaine, l'oiseau parla : "Avec nous, vous célèbrerez le jour saint de Pâques et cette époqueci qui s'est écoulée, l'année prochaine. Et là où vous avez été cette année-ci pour la Cène du Seigneur, là vous serez l'année suivante, au jour propice. Semblablement vous célébrerez la nuit dominicale de Pâques là où vous l'avez déjà célébrée sur le dos de Jasconius. Vous découvrirez aussi une île après huit mois, nommés l'île de la famille d'Albe, et là vous célébrerez la Nativité du Seigneur". Et lorsqu'il eut dit ces mots, il s'en retourna. Alors les frères commencèrent à étendre les voiles et à naviguer dans l'océan, et les oiseaux chantaient comme d'une seule voix : "Ecoute nous, Dieu, notre Sauveur, espoir de tous ceux qui habitent les confins les plus reculés de la terre, et de ce qui est au loin en mer"(39). Donc le saint père avec sa famille, par les plaines de l'océan, ici et là, était ballotté, durant trois mois(40) et ils ne pouvaient rien voir, si ce n'est le ciel et la mer. Et ils refaisaient leurs forces, tous les deux ou trois jours, régulièrement. CHAPITRE 15 L'ILE D'ALBE ET LA TENTATION DES SOURCES Or un jour, leur apparut une île non loin. Et comme ils s'étaient approchés du rivage, un vent les entraîna en partie (41). Et ainsi pendant quarante jours, tout autour de l'île, ils naviguaient et ne pouvaient pas découvrir un port. Alors les frères qui étaient dans le navire, en vinrent à implorer le Seigneur avec des pleurs, afin qu'Il leur procure son aide. En effet leurs forces, en raison d'une excessive fatigue, presque défaillaient. Et comme ils étaient demeurés en de fréquentes et de nombreuses prières pendant trois jours et en abstinence, leur apparut un port étroit, juste assez pour accueillir un seul navire, et leur apparurent ici-même deux sources, l'une trouble et l'autre claire. Plus tard les frères s'empressaient avec des vases de puiser de l'eau. L'homme de Dieu le vit et leur dit : "Fils, ne poursuivez pas ces gestes interdits sans la permission des vieillards qui, sur cette île, séjournent. Car ils vous accorderont spontanément ces eaux que vous voulez ainsi boire à la dérobée". CHAPITRE 16 L'ACCUEIL DU VIEILLARD Donc après être descendus du navire, ils se demandaient de quel côté ils iraient, lorsque vint à eux un vieillard, que ses cheveux de l'éclat de la neige, rendaient très digne ainsi que son visage lumineux. Par trois fois, il se prosterna avant d'embrasser l'homme de Dieu. Alors Saint Brendan et ses compagnons, le relevèrent de terre. Et ils s’embrassèrent mutuellement; puis ce même vieillard prit la main du Saint père et avec lui faisait chemin sur une distance d'un stade jusqu'au monastère. CHAPITRE 17 L'ACCUEIL AU MONASTERE DU SILENCE Maintenant Saint Brendan avec ses frères s’arrêta devant la porte du monastère et dit au vieillard : "A qui appartient ce monastère ? Qui le dirige ? D'où viennent ceux qui y séjournent ? " Et c'est ainsi que le saint père questionnait par diverses paroles, et jamais il ne pouvait obtenir de réponse de cet homme, mais seulement avec une incroyable bienveillance, il le faisait savoir. Dès que le saint père eut reconnu la loi de ce lieu, il avertissait ses frères, disant : "Gardez vos bouches exemptes de paroles, afin que ces frères ne soient pas souillés par notre attitude ridicule". Une fois les paroles interdites, voici que onze frères vinrent à leur rencontre avec des chasses, des croix et des chants, disant ce chapitre : « 0 saints, sortez de vos demeures et avancez-vous en présence de la vérité. Sanctifiez le lieu, bénissez la foule et jugez digne de garder dans la paix nous qui sommes vos serviteurs (42.). » Une fois le verset achevé, le père du monastère embrassa Saint Brendan et ses compagnons à tour de rôle. Semblablement aussi ses prêtres embrassaient la famille du saint homme. Après cet échange de paix, ils les menèrent au monastère comme c'est la coutume dans les terres occidentales de mener les frères tout en priant. Après cela, l'abbé du monastère avec ses moines, commença de laver les pieds des hôtes et de chanter cette antienne : "Je vous donne ce commandement nouveau (aimez-vous les uns les autres)"(43). CHAPITRE l8 LE REPAS AU MONASTERE (44) Ces actes achevés, avec un grand silence, l'abbé les conduisit au réfectoire, et au son de la cloche, après s'être lavé les mains, tous s’assirent. A nouveau à un deuxième son de cloche, se leva un des frères du père du monastère et il commença à servir la table de pains d'une étonnante blancheur et de certaines racines d'une saveur incroyable. D'autre part les frères et leurs hôtes étaient assis l'un à côté de l'autre. Et entre deux frères, toujours un pain intact était posé. Le même serviteur au son de la cloche, servait la boisson aux frères. L'abbé aussi les exhortait avec une grande joie, disant aux frères : "De cette source vous vouliez boire aujourd'hui à la dérobée, ainsi faites lui honneur, dans la joie et le respect du Seigneur. Avec l'autre source trouble que vous avez vue, sont lavés les pieds des frères chaque jour, car tout le temps, elle est chaude. Mais les pains qu'ainsi vous voyez, nous ne savons pas où ils sont http://www.utqueant.org Editions Carâcara 54 préparés, ni qui les apporte à notre office. Cependant nous savons que, selon la grande aumône de Dieu, ils sont servis à ses serviteurs par quelque créature soumise. Nous sommes ici vingt quatre frères. Tous les jours nous avons douze Pains. Les jours de fêtes et les dimanches, Dieu a ajouté un pain entier à chaque frère, afin qu'ils aient à dîner de leurs morceaux . Précisément, à votre arrivée, nous avons double vivres et c'est ainsi que le Christ nous a fait des dons depuis le temps de Saint Patrick et de Saint Albe(45), notre père depuis justement quatre vingt ans. Cependant la vieillesse ou la langueur se sont dans nos membres très peu propagées. Dans cette île, nous n’avons besoin de rien pour manger qui soit apprêté par le feu. Ni le froid ni la chaleur ne nous abattent jamais. Mais lorsque le moment des messes ou des veilles vient, dans notre église sont allumés les cierges, que nous avons emportés avec nous de notre pays, selon une prédestination divine, et ils brûlent jusqu'au jour, et aucun de ces cierges ne diminue". CHAPITRE 19 LA FLECHE ENFLAMMEE Or après qu'ils eurent bu par trois fois, l'abbé, selon le rite accoutumé, sonna la cloche, et les frères ensemble, dans un grand silence et avec grand effort, se levèrent de table, précédant les pères vers l'église. Et marchaient après eux Saint Brendan et le père du monastère. Donc comme ils entraient dans l'église, voici douze autres frères qui, vinrent à leur rencontre, en s'inclinant, joyeusement. Lorsque Saint Brendan les vit, il dit : « Abbé, pourquoi ceux-ci n'ont point mangé avec nous ? » - Ce dernier lui répondit : "A cause de vous, car notre table ne peut pas tous nous recevoir en un seul groupe. Sous peu ils referont leurs forces et rien ne leur manquera. Quant à nous, dans l'église, chantons les vêpres pour que nos frères qui sous peu referont leurs forces puissent au moment voulu chanter après nous." Or tandis qu'ils achevaient leur service du soir, Saint Brendan en vint à considérer comment cette église avait été construite. En effet, elle était carrée, aussi longue, que large, et avait sept fois trois cierges. Et trois cierges étaient devant l'autel placé au centre, et deux devant les autres autels. Or les autels étaient taillés dans le cristal, de forme carrée, et leurs vases semblablement de cristal, à savoir les patènes, 1es calices, les burettes, et tous les vases par ailleurs convenant au culte divin et les vingt quatre sièges entourant l'église (46). D'autre part une place était réservée où l'abbé s'asseyait entre les deux choeurs. En effet, c'est en partant de lui qu'un groupe commençait son chant, et vers lui le finissait, et semblablement l'autre groupe. Personne de l'un ou de l'autre groupe n'osait commencer, si ce n'est l'abbé. Aucune voix dans le monastère ni aucun bruit. Personne ici ne se mettait en avant. Si un frère avait quelque besoin, il allait devant l'abbé, s'agenouillait devant lui, demandant en son coeur ce qu'il était nécessaire de faire. Aussitôt le saint père prenant une tablette et un stylet, par suite d'une révélation de Dieu écrivait et donnait la tablette au frère qui réclamait de lui conseil. Or comme Saint Brendan en lui-même considérait tout cela, l'abbé lui dit : "Père, il est désormais temps que nous revenions au réfectoire, pour que tout soit fait avec le jour". Et ainsi allèrentils au repas du soir comme ils l'avaient fait à celui de midi. Tout étant achevé selon l'ordre de la course du jour, tous avec une grande ardeur se hâtaient à complies. Alors l'abbé commençait le verset suivant : « Dieu, venez à mon secours » (47), et en même temps ils rendaient honneur à la Trinité : « Nous avons mal agi, nous avons commis l'injustice. Toi qui es notre père pieux, épargne-nous, Seigneur. Que dans la paix, elle-même, je dorme et me repose, puisque toi, Seigneur, particulièrement tu m'as établi dans l'Espérance (48). » Après cela, ils chantaient ce qui convient à cette heure. Une fois les psaumes achevés selon leur ordre, tous les frères sortaient et se dirigeaient vers leur propre cellule, prenant avec eux leurs hôtes. Mais l'abbé avec Saint Brendan restait dans l'église attendant la venue de la lumière. Alors le bienheureux Brendan interrogea le saint père sur leur silence et sur leur vie, comment ils pouvaient être ainsi dans une chair humaine. Alors le père avec une immense déférence et http://www.utqueant.org Editions Carâcara 55 humilité, répondit : "Abbé, en présence du Christ bien aimé, je te l'avoue; voilà quatre vingt ans que nous vînmes sur cette île. Nous n'entendons aucune voix humaine, excepté quand nous chantons des louanges à Dieu. Entre nous qui sommes vingt quatre, nous ne parlons pas autrement que par signe du doigt ou des yeux, et seuls les plus anciens en ont l'initiative. Aucun de nous n'a subi la faiblesse de la chair ou des esprits(49) qui errent autour de l'espèce humaine, après être venus en ce lieu". Saint Brendan dit : "Est-ce qu'il nous est permis de rester ici maintenant ?" Il lui dit : "Il ne vous est pas permis car ce n'est pas la volonté de Dieu. Pourquoi m'interroges-tu père ? Est-ce que Dieu ne t'a pas révélé ce qu'il te faut faire avant que tu viennes ici vers nous ? Car il te faut revenir en ton propre pays avec tes quatorze frères. En effet Dieu y a préparé le lieu de ta sépulture. Quant aux deux qui sont en plus, l'un sera pèlerin sur l’île des anachorètes. Puis l'autre, d'une mort très honteuse, sera condamné aux Enfers". Comme entre eux ils échangeaient ces mots, voici que sous leurs yeux, une flèche enflammée envoyée à travers la fenêtre alluma toutes les torches qui étaient placées devant les autels. Et aussitôt la flèche retourna à l'extérieur. Cependant la lumière précieuse demeura sur les torches. A nouveau le bienheureux Brendan questionna : « Par qui seront éteints au matin les cierges ? » Le saint père lui dit : "Viens et vois le mystère de ce miracle. Voici que tu remarques les chandelles ardentes au milieu des vases. Cependant rien n'en est consumé, de sorte qu'elles soient moindres ou décroissent et aucune cendre au matin, ne demeurera, car la lumière est spirituelle". Saint Brendan dit : "Comment se peut-il que dans une chose créée corporelle, une lumière incorporelle, corporellement brûle ? ". Le vieillard répondit : "N'as-tu pas lu le buisson ardent sur le Mont Sinaï ? Et pourtant le buisson demeura tel qu'il était sans être endommagé par le feu (50)". Et après une veille de toute la nuit jusqu'au matin, Saint Brendan demanda la permission de partir sur sa route. Le vieillard lui dit : "Non, père. Tu dois, avec nous, célébrer la Nativité du Seigneur, jusqu'à l'octave de l'Epiphanie". Donc le saint père avec sa famille demeura durant ce temps, avec les vingt quatre pères, sur 1’île appelée l'île de la famille d'Albe. Mais les fêtes passées, une fois les provisions reçues ainsi que la bénédiction des saints hommes, le bienheureux Brendan avec ses dociles compagnons tendit la voile de son embarcation, sur l'Océan, au plus vite, et soit par la rame, soit par la voile, le navire était emporté par de multiples lieux jusqu 'au début du Carême. CHAPITRE 20 L'EAU DU SOMMEIL Or un jour, ils virent une île à l'horizon, non loin d'eux. Comme les frères la voyaient, ils se mirent à ramer avec ardeur, car déjà ils étaient profondément épuisés par la faim et la soif. En effet, trois jours avant, avaient manqué nourriture et boisson. Mais quand le saint père eut béni le port et que tous furent sortis du navire, ils découvrirent une source très limpide, des herbes diverses et des racines autour de la source, et divers genres de poissons courant au travers de son lit vers la mer, Alors Saint Brendan dit à ses frères : "Dieu nous a donné ici réconfort après la peine. Prenez des poissons autant qu'il suffit à notre repas, et faites-les rôtir au feu. Rassemblez herbes et racines que le Seigneur a préparées à ses serviteurs". Et ainsi firent-ils. Or comme ils puisaient de l'eau pour boire, l'homme de Dieu ajouta : "Frères, méfiez-vous de ne pas utiliser outre mesure ces eaux, afin qu'elles ne tourmentent pas trop gravement vos corps". Mais les frères, inégalement, tenaient compte des limites prescrites par l'homme de Dieu, et les uns buvaient une seule coupe, les autres deux, et le reste trois, et sur eux tomba un sommeil de trois jours et de trois nuits, sur les autres aussi un sommeil de deux jours, sur le reste enfin un sommeil d'un jour et d'une nuit. Cependant le saint père sans arrêt, implorait le Seigneur pour ses frères parce que leur ignorance leur causait un tel péril. Ces trois jours passés, le saint père dit à ses frères : "Frères fuyons cette mort afin que rien de pire http://www.utqueant.org Editions Carâcara 56 ne nous arrive. En effet le Seigneur nous a donné une nourriture et vous en avez fait votre perte. Partons donc de cette île, prenez pour vivres de ces poissons, et faites autant de préparatifs qu'il est nécessaire pour vous restaurer tous les trois jours, jusqu'à la Cène du Seigneur. Et de même pour l'eau, une coupe pour chaque frère, par jour, et pour les racines de même". Alors, chargeant le navire de tout ce que l'homme de Dieu avait recommandé, ils tendirent les voiles et commencèrent à naviguer dans l'océan, en direction de l'étendue septentrionale. Ensuite, après trois jours et trois nuits, le vent cessa et la mer commença à être pour ainsi dire coagulée, en vertu d'une excessive immobilité. Le Saint père dit : "Mettez les rames dans le navire, et relâchez les voiles. En quelque lieu, en effet, où Dieu veut le navire gouverner, qu'Il le fasse". Et ainsi le navire était emporté par les multiples lieux de l'Océan, environ durant vingt jours. Il s'ensuivit que, Dieu suscita pour eux un vent favorable venant de l'Ouest vers l'Est. Alors ils commencèrent dans le même temps à tendre les voiles sur la haute mer et à naviguer. D'autre part, ils refaisaient leurs forces tous les trois jours. CHAPITRE 21 CELEBRATION DE LA CENE ET DE PAQUES(51) Or un certain jour, leur apparut une île au loin comme un nuage, et Saint Brendan de dire : « Fils, reconnaissez-vous cette île-là ? » Et ils répondirent : "A peine". Alors il déclare : "Quant à moi, je la reconnais. Car c'est précisément l'île sur laquelle nous avons été, l'autre année, pour la Cène du Seigneur, là où notre bon intendant demeure". Alors les frères se mirent à ramer avec ardeur, en raison de leur joie, autant que leurs forces pouvaient le supporter. Ce que voyant l'homme de Dieu eût à dire : "Ne fatiguez pas vos membres sottement, mes enfants. Est-ce que Dieu tout-puissant n'est pas le pilote et la nautonier de notre embarcation? Abandonnez-vous à Lui, car Lui-même dirige notre chemin comme il veut". Mais comme ils approchaient du rivage de l'île, vint à leur rencontre, sur une embarcation, le même intendant, et il les conduisit au port où, l'année passée, ils descendirent du navire, et il magnifiait Dieu, et embrassait les pieds de chacun d'eux, commençant par le saint père jusqu'au dernier, disant: "Merveille est Dieu dans ses oeuvres saintes" jusqu'à "Béni soit Dieu (52).Une fois le verset achevé, et tous sortis du navire, il étendit une tente et prépara un bain. Or c'était la Cène du Seigneur : à la fois il couvrit tous les frères de vêtements nouveaux, et il les servit durant trois jours. Les frères de leur côté pour célébrer la Passion du Seigneur, avec un grand zèle, jusqu'au Samedi Saint, demeuraient. Et une fois les cérémonies du Samedi Saint achevées, et les victimes spirituelles immolées à Dieu, et la Cène accomplie, le même intendant dit à Saint Brendan et à ses compagnons : "Repartez et embarquez pour que vous célébriez la nuit sainte du dimanche de la Résurrection là où Vous l'avez célébrée l'autre année, et de même la journée jusqu'à la sixième heure. Apres, naviguez vers l'île appelée "Paradis des oiseaux" où vous avez été, l'année passée, de Paques jusqu'à l'octave de Pentecôte, et emportez, avec vous tout ce qui vous est nécessaire de nourriture et de boisson. Quant à moi, je vous rendrai visite le dimanche suivant". Et ainsi firent-ils. Il chargea luimême le navire de pains, de boisson, de viande et de bien d'autres vivres délicieux autant qu'ils pouvaient en prendre. Saint Brendan, une fois la bénédiction donnée, monta sur le navire, et vers la deuxième île ils commencèrent aussitôt à naviguer. Et comme ils approchaient du lieu où il leur fallait descendre du navire, leur apparut le chaudron que l'autre année, ils avaient abandonné. Alors Saint Brendan sortant du navire avec ses frères, se mit à chanter l'hymne des trois enfants (53) jusqu'à la fin. Une fois l'hymne achevée, l'homme de Dieu avertissait ses frères, disant : "Fils, veillez et priez pour que vous n’entriez pas en http://www.utqueant.org Editions Carâcara 57 tentations.(54) Considérez comment Dieu subjugue la Bête très prodigieuse sous nos pieds, sans que rien ne l'en empêche. " Les frères, alors, veillaient, éparpillés par l'île, jusqu'aux vigiles matinales. Ensuite tous les prêtres offraient à Dieu, chacun, des messes, jusqu'à la troisième heure. Alors Saint Brendan immola l'agneau immaculé à Dieu et disait aux frères : "L'année dernière ici j'ai célébré la Résurrection du Seigneur. Je veux faire de même cette année". Et puis, de ce lieu, ils partirent vers l'île des Oiseaux. 0r comme ils touchaient au port de l'île même, tous les oiseaux chantaient, presque d'une seule voix, disant : "Salut à notre Dieu qui siège sur le trône ainsi qu'à l'agneau.(55)". Et à nouveau : « Le Seigneur, notre Dieu nous illumine. Instituez un jour de fête, en des cortèges jusqu'à la corne de l'autel »(56). Autant leurs voix que leurs ailes, résonnaient longtemps -environ la moitié d'une heure-, jusqu’à ce que fût sorti le saint père, avec sa sainte famille et tout ce que le navire portait, et qu'il fût assis dans sa tente. Et comme en ce lieu, avec ses compagnons, il avait célébré les fêtes pascales, l'intendant déjà rencontré vint à eux, comme il l'avait prédit, le dimanche suivant Pâques, portant avec lui tous les vivres qui conviennent à l'usage de la vie humaine. Comme ils se reposaient au repas, voici que l'oiseau se posa sur la proue du navire, les ailes étendues, et sonores, comme le son issu d'un orgue puissant. Le saint homme reconnut donc qu'il voulait lui donner quelque révélation. En effet le même oiseau prononça ces paroles : "Dieu qui est tout puissant et bon vous a réservé quatre lieux pour quatre périodes, jusqu'à ce que s'achèvent les sept années de votre voyage; ainsi la Cène du Seigneur avec votre intendant, qui, toute l'année vous accompagne; sur le dos de la Bête, vous célébrerez Pâques; avec nous, les fêtes pascales jusqu'à l'octave de Pentecôte; auprès de la famille d'Albe, vous célébrerez la Nativité du Seigneur. Mais, après sept ans, précédés de grandes et multiples épreuves vous découvrirez la Terre de Promission des Saints que vous cherchez et vous y habiterez quarante jours, et après, Dieu vous reconduira vers la terre de votre naissance". Le saint père, lorsqu'il l'entendit, se prosterna à terre en présence de ses frères, rendant grâce et louange à son Sauveur. CHAPITRE 22 FIDELITE ET ATTENTIONS DE L'INTENDANT Comme le vénérable vieillard achevait ses prières, l'oiseau revint en son lieu. Puis à la fin du repas, l'intendant parla : "Avec l'aide de Dieu je reviendrai vers vous, au jour de la venue du Saint Esprit sur les apôtres, avec vos vivres". Une fois reçue la bénédiction du Saint père et de tous ses compagnons, il revint en son lieu. Puis le vénérable père demeura, ici-même, durant des jours. Ainsi donc une fois les jours de fête accomplis, Saint Brendan prescrivit à ses frères de préparer la navigation, et de remplir les vases d'eau. Une fois le navire mis à la mer, voici que leur ami, sur un navire chargé de nourriture, vint vers les frères. Comme il avait déposé les vivres dans l'embarcation du saint homme, après les avoir tous embrassés, il revint d'où il était venu. Alors le vénérable père, avec ses compagnons, navigua sur l'Océan, et le navire était emporté durant quarante jours. CHAPITRE 23 L’ATTAQUE ET LA DEVORATION DU MONSTRE MARIN PROPHETIE DE SAINT BRENDAN Or un jour, leur apparut une bête(57) d'une immense grandeur qui les poursuivait, de loin, écumant de ses narines, et labourant les flots à très vive allure(58), comme pour les dévorer. Comme les frères la voyaient, vers le Seigneur ils s'écriaient, disant : "Libère-nous, Seigneur, afin que ce monstre ne nous dévore pas". Alors Saint Brendan les réconfortait, disant : "Rassurez-vous, hommes de peu de foi"(59). Dieu qui est toujours notre défenseur, lui-même nous délivrera de la gueule de cette bête et de tous les autres périls". Ainsi, comme le monstre s'approchait d'eux, il était précédé par des flots d'une stupéfiante hauteur jusqu'au navire. http://www.utqueant.org Editions Carâcara 58 C'est pourquoi les frères avaient de plus en plus de crainte. Quant au vénérable vieillard, étendant ses mains vers le ciel, il dit : "Seigneur, délivre tes serviteurs, comme tu as délivré David de la main de Goliath le Géant, Seigneur, délivrez-nous, comme tu as délivré Daniel de la fosse des lions. Seigneur, délivre-nous, comme tu as délivré Jonas du ventre de la grande baleine (60)". Une fois ces trois versets achevés, voici qu'un monstre immense venu de l'Ouest, tout proche d'eux, traversait les flots à la rencontre de l'autre bête. Et aussitôt il entra en guerre contre cette dernière, de telle sorte qu'il crachait du feu de sa gueule. Cependant le vieillard dit à ses frères : "Voyez, fils, les merveilles de notre Rédempteur. Voyez l'obéissance des bêtes à leur Créateur. Seulement regardez la fin de l'affaire. Ce combat ne nous apporte, en effet, rien de mal, mais comptera pour la Gloire de Dieu". A ces mots, le monstre malveillant qui poursuivait les serviteurs du Christ, fut tué et mis en trois parties, sous leurs yeux, et l'autre monstre, après la victoire, retournait d'où il était venu. Puis un autre jour, ils virent une île, au loin, boisée grandement et de bel aspect. D'autre part, approchant de son rivage et descendant du navire, ils virent la partie arrière du monstre qui avait été tué. Saint Brendan dit : "Voici ce qui voulut nous dévorer. C'est lui que vous dévorerez, parce que nous attendrons longtemps dans cette île. Tirez-donc votre embarcation plus haut sur la terre et cherchez un lieu sur cette île où votre tente puisse être dressée". Quant au saint père, il leur indiqua un lieu d'habitation. Puis lorsqu'il eurent agi selon le précepte de l'homme de Dieu et qu'ils eurent placé tous les ustensiles dans la tente, Saint Brendan dit à ses frères : « Prenez vos vivres de ce monstre, de quoi nous suffire durant trois mois. Car cette nuit-ci, ce cadavre sera dévoré par des bêtes ». Alors, jusqu'au soir ils emportaient de la viande autant qu’il leur en fallait, selon la recommandation du saint père. Alors les frères, une fois tout achevé, dirent : "Père, comment pouvons-nous vivre ici sans eau ?" Il leur dit :' "En quoi est-il plus difficile à Dieu de vous offrir de l'eau que de la nourriture? Allez donc du côté de l'étendue méridionale de cette île, et vous découvrirez une source très limpide, des herbes nombreuses et des racines, et prenez-moi, de ce lieu, des vivres avec modération". Et ils découvrirent tout ce que l'homme de Dieu avait prévu. Ici resta donc Saint Brendan trois mois, parce qu'il y avait tempête en mer, vent très violent, trouble de l'air en pluie et en grêle. Cependant les frères allaient voir ce que devenait le monstre. Or, comme ils étaient venus au lieu où la cadavre était auparavant, ils ne découvrirent rien, sinon des os. Et ils revinrent sur l'heure, auprès de l'homme de Dieu, disant : "Père, il est arrivé ce que vous avez dit". Il leur répondit : "Je sais, fils, que vous avez voulu me mettre à l'épreuve pour savoir si j'avais dit vrai ou non. Je vous donnerai un autre signe : (Une partie d'un poisson, échoue ici, cette nuit; demain vous en serez restaurés"(61)». Alors, au jour suivant, les frères s'en allèrent vers l'endroit indiqué et ils découvrirent le poisson que l'homme de Dieu avait prédit. Et ils en prirent autant qu'ils pouvaient en porter. Mais le vénérable père leur dit : "Conservez, avec soin, cet approvisionnement; de là vous aurez le nécessaire. Car le Seigneur rendra le temps serein, aujourd'hui(62), demain et après demain, et cessera la violence de la mer et des flots. Après nous partirons de ce lieu". CHAPITRE 24 L'ILE DES TROIS CHOEURS (63) Or les jours prévus s'étant écoulés, Saint Brendan prescrivit à ses frères de charger le navire, d'emplir les outres et les autres vases, de rassembler herbes et racines pour son usage; car le père, après son ordination de prêtre, n'avait plus jamais goûté de chair où avait habité un souffle de vie. Et une fois que le navire fut entièrement chargé, et les voiles tendues, ils partirent face à l'étendue septentrionale. Mais un jour, comme ils voyaient une île loin d 'eux, Saint Brendan leur dit : "Voyez-vous cette île ?" Ils dirent : "Nous voyons". Et il leur dit : "Trois peuples sont sur cette île, un d'enfants, un autre de jeunes gens, un troisième de http://www.utqueant.org Editions Carâcara 59 vieillards. De plus, un de nos frères, ici, sera pèlerin". Alors les frères demandaient qui d'entre eux était nommé. Or comme ils avaient persévéré dans cette réflexion, et que Saint Brendan les voyait tristes, de dire : "C'est ce frère-ci qui va demeurer ici", Or c'était un des trois frères qui suivirent Saint Brendan du monastère, A leur sujet, il avait fait une prédiction aux frères autrefois, quand ils embarquèrent dans sa patrie. Donc les frères approchaient de 1'île, jusqu'au moment où le navire toucha le rivage. Or, cette île était d'une étendue plane merveilleuse, tant et si bien qu'elle leur apparaissait identique à la mer, sans arbre ou quoi que ce soit que le vent pût agiter, En effet, elle était toute brillante, recouverte d'une végétation blanche et pourpre, Et là, ils virent trois groupes, comme l'homme de Dieu l'avait prédit. En effet, entre un groupe et un autre, la distance était, à peu près, d'une pierre jetée par une fronde ; et ils ne cessaient d'aller ici et là, et un groupe chantait, en se tenant à un endroit, disant : "Les Saints iront se fortifiant de plus en plus jusqu'à ce qu'ils paraissent devant Dieu à Sion(64)". Pendant qu'un groupe achevait ce verset, l'autre groupe se plaçait et commençait à chanter le même chant, et ainsi faisaient-ils sans s'arrêter. Or le premier groupe était celui des enfants dans des vêtements très blancs, le deuxième dans des vêtements verts et le troisième groupe en tuniques pourpres. D'autre part, c'était la quatrième heure quand ils atteignirent le port de l'île. Puis, quand la sixième heure vint, les groupes commencèrent à chanter ensemble, disant : "Dieu, prends pitié de nous (65)" jusqu’à la fin,(66) et « Dieu, viens à mon secours ».De même aussi le troisième psaume: « J'ai foi »(67), et la prière comme ci-dessus. De même à la neuvième heure, les trois autres psaumes : "De profundis"(68), "Voyez, qu'il est bon et doux pour des frères d'habiter unis ensemble(69)", et "Louez, ô Jérusalem, le Seigneur"(70). Et ils chantaient aux vêpres : "A toi la louange est due(71)" "Loue Dieu, ô mon âme"(72), et le troisième psaume (73) : "Louez, ô enfants, le Seigneur". Et ils chantaient assis quinze des psaumes graduels. Puis quand ils eurent achevé ce chant, aussitôt une nuée d'une merveilleuse clarté obscurcit l'île, mais ils ne pouvaient pas voir ce qu'ils avaient vu avant, en raison de l'épaisseur de la nuée. Cependant les voix de ceux qui chantaient faisaient entendre le même chant jusqu'aux vigiles matinales. Alors les groupes se mirent à chanter; disant : "Louez le Seigneur des Cieux (74)", "Chantez pour le Seigneur un chant nouveau(75)", "Louez le seigneur en ses oeuvres saintes(76)". Après cela, ils chantaient douze psaumes selon l'ordre du psautier. Mais tandis que le jour illuminait, la nuée découvrit l'île, et aussitôt ils chantaient six psaumes : "Aie pitié de moi, Dieu (77)", "Dieu, mon Dieu, vers toi(78)", "Seigneur, tu as été pour nous un refuge (79)", "Toutes les races, battez des mains (80)", "Dieu, en ton nom (81)", "J'aime puisque Dieu écoute (82)", au-dessous de 1'Alléluia. Ensuite ils sacrifiaient l'agneau immaculé, et tous, à la communion, venaient, disant : "Le corps sacré du Seigneur et le sang du Sauveur, prenez les pour vous, dans la vie éternelle. (83) Et ainsi une fois le sacrifice achevé, deux du groupe des jeunes gens prenaient une corbeille pleine de fruits pourpres, et les portèrent au navire, disant : "Recevez la récolte de l'île des hommes forts (84), et rendez-nous notre frère, et partez en paix". Alors Saint Brendan appela le frère à lui, pour lui dire : "Embrasse tes frères et va avec ceux qui te réclament. Jour faste où ta mère t'a conçu parce que tu as mérité d'habiter avec une telle congrégation !" Et une fois qu'il les eut tous embrassés ainsi que le saint père, Saint Brendan ; lui dit : "Fils, souviens-toi en ton coeur des nombreux bienfaits que Dieu t'a accordés en ce siècle. Va et prie pour nous ". S'avançant, le frère suivit les deux jeunes gens vers leur compagnie Le vénérable père, avec ses aides, se mit à naviguer. Or comme la neuvième heure était venue, il prescrivit à ses frères de refaire leurs corps des fruits de 1'île des hommes forts. L'homme de Dieu choisit un fruit. Lorsqu'il vit sa taille et qu'il était plein de suc, il s'étonna et dit : "Jamais je n'ai vu ni ramassé de fruits d'une taille si grande". Ils étaient, en effet, d'une taille égale à celle d'une grosse boule. Alors l'homme de Dieu demanda qu'on lui apportât un vase, écrasa l'un de ces fruits, et tira de son suc le poids d'une livre; puis le saint père la divisant en douze onces, donna à chacun une once(85). Ainsi, durant douze jours, les http://www.utqueant.org Editions Carâcara 60 frères refaisaient leurs forces de ces fruits, un par un, et gardaient toujours dans la bouche la saveur du miel. CHAPITRE 25 L'ILE DES GRAPPES (86) Une fois autant de jours achevés, le saint père prescrivit un jeûne, tous les trois jours. Puis les trois jours écoulés, voici qu'un oiseau très grand volait en direction du navire, tenant le rameau de quelque arbre inconnu, avec, à l'extrémité, une grosse grappe d'un rouge éclatant merveilleux. Ce rameau, il l’envoya de son bec, sur la poitrine du saint homme. Alors Saint Brendan appela ses frères à lui et dit : « Voyez et recevez la nourriture que Dieu nous a envoyée ». Car les grains de cette grappe étaient comme des pommes. Ainsi l'homme de Dieu les sépara en grains uniques, et ils avaient de la nourriture jusqu'au douzième jour. A nouveau l'homme de Dieu entreprit un jeûne tous les trois jours, avec ses frères. Et en effet, au troisième jour, ils virent une île, non loin d'eux, toute entière recouverte d'arbres très denses, portant des fruits de la dimension des grappes sus-dites, d'une abondance incroyable, de telle sorte que tous les arbres étaient courbés vers la terre, sous un même fruit, d'une même couleur. Aucun arbre n'était stérile, et aucun arbre n'était d'une autre espèce sur la même île. Alors les frères atteignirent un port. Puis l'homme de Dieu descendit du navire et se mit à parcourir l'île. Son odeur était comme l'odeur d'une maison pleine de pommes puniques (87). Les frères, pendant ce temps, attendaient au navire jusqu'à ce que l'homme de Dieu revînt à eux. Durant cette attente, le vent leur apportait une odeur si suave que leurs âmes étaient poussées à rechercher cette odeur. Cependant le vénérable père découvrit six sources baignant des herbes verdoyantes et diverses racines. Après cette découverte, il revint vers ses frères, portant avec lui des prémices de l'île, et leur dit : "Descendez du navire et dressez la tente; réconfortez-vous des fruits de cette terre, que le Seigneur nous a montrés". Ainsi, durant quarante jours ils refaisaient leurs forces des grappes, des herbes ou des racines que les sources baignaient. CHAPITRE 26 LE COMBAT DES OISEAUX Or le bienheureux Saint Brendan et ses compagnons aimés, après cette période, embarquèrent emportant avec eux des fruits autant que pouvait en porter leur navire. Tandis qu'ils étaient embarqués, alors ils tendaient la voile sur les flots, vers où le vent pourrait les diriger. Et comme ils naviguaient, leur apparut un oiseau appelé Griffon, au loin, volant à leur rencontre. Comme les frères le voyaient, ils disaient à Saint Brendan : "C’est pour nous dévorer que vient cet oiseau !" Et il leur dit "Ne craignez pas. Dieu est notre aide, qui nous défendra encore cette fois-ci". L'oiseau étendait ses griffes pour prendre les serviteurs de Dieu. Soudain l'oiseau qui leur apporta autrefois un rameau avec des fruits, voici qu'il vint à l'encontre du griffon, d'un vol très rapide, et voulut aussitôt le dévorer. Cependant le griffon se défendait jusqu'à ce que l'oiseau eût vaincu le griffon et en eût arraché les yeux. Puis le griffon s'envolait ver les hauteurs, si bien qu'à peine les frères pouvaient le voir. Toutefois le meurtrier ne l'abandonna pas avant de l'avoir tué. En effet, son cadavre, en présence des frères, tomba en mer, à côté du navire. Puis l'autre oiseau revint en son lieu. Alors Saint Brendan, avec ses navigateurs, peu de temps après, vit l'île de la famille d'Albe, Et là il célébra la Naissance du Seigneur avec ses frères. Ces jours de fête achevés, le vénérable père, une fois la bénédiction de l'abbé et de ses disciples reçue, parcourait l'Océan, pendant longtemps, à l'exception des jours de Fêtes, c'est-à-dire Paques et la Naissance du Seigneur. En effet, en ces jours, il avait repos dans les lieux déjà nommés. http://www.utqueant.org Editions Carâcara 61 CHAPITRE 27 LA MER TRANSPARENTE Or, à l'époque, où Saint Brendan avait célébré, en son navire, la fête de Saint Pierre Apôtre,(88) ils découvrirent une mer si claire qu'ils pouvaient voir tout ce qui était dessous. Et comme ils en regardaient l'intérieur, ils virent de multiples espèces de bêtes étendues sur le sable. Il leur semblait aussi qu'ils auraient pu les toucher de la main, en raison de l'extrême limpidité de cette mer. Elles étaient, en effet, comme troupeaux étendus sur des pâturages. Ainsi, en raison de leur multitude, elles semblaient être une cité d'hommes assis en cercle la tête baissée(89).Alors les frères demandaient au vénérable père qu'il célébrât en silence sa messe, de crainte que les bêtes n'entendent et qu’elles ne se lèvent pour les poursuivre. Le saint père sourit et leur disait : "Je m'étonne grandement de votre sottise. Pourquoi craignezvous ces bêtes et pourquoi n'avez-vous pas craint celui qui dévore toutes les bêtes de la mer et en est le maître, lorsque vous étiez assis et que vous psalmodiez de nombreuses fois sur son dos ? Loin de là, vous avez coupé du bois et vous avez fait cuire de la viande. Aussi pourquoi les craindre ? Est-ce que le Dieu de toutes les bêtes n'est pas notre Seigneur Jésus Christ, qui peut rendre humbles tous les êtres vivants ?" A ces mots, il se mit à chanter aussi haut qu'il le pût. Et tous les autres frères, en effet, ne cessaient de regarder les bêtes. D'ailleurs comme les bêtes avaient entendu la voix de celui qui chantait, elles se levèrent et nageaient tout autour du navire, si bien que les frères ne pouvaient, en aucun côté, voir au-delà, en raison de la multitude de bêtes qui nageaient. Cependant, elles n'approchaient pas de l’embarcation, mais de long en large, elles nageaient, et ainsi, ici et là, jusqu'à ce que l'homme de Dieu eût fini la messe, elles se tenaient dans ces bornes. Après quoi, comme en fuite, toutes les bêtes, par les multiples chemins détournés de l'océan, s'éloignaient du visage du serviteur de Dieu, en nageant. D'autre part, Saint Brendan, durant huit jours, avec un vent favorable et les voiles tendues, eut peine à franchir la mer transparente. CHAPITRE 28 LA COLONNE DANS LA MER (90) Puis un certain jour, comme ils avaient célébré les messes, leur apparut une colonne sur la mer, et elle ne leur semblait pas loin, mais ils leur fallait trois jours pour l'approcher. Or comme l'homme de Dieu s'en était approché, il cherchait à distinguer son sommet; cependant il ne put que très peu la voir, en raison de sa hauteur. Car elle était plus haute que l'air. En outre, elle était recouverte d'un filet à larges mailles, si larges que le navire pouvait traverser par ses ouvertures. Et ils ignoraient quelle était la matière du filet lui-même. S'il avait, en effet, la couleur de l'argent, il semblait plus dur que le marbre. D'autre part, la colonne était d'un cristal très limpide (91). Alors Saint Brendan dit à ses frères : « Rangez les rames dans le navire, le mât et les voiles aussi, et quelques-uns parmi vous tiendront entre temps, les agrafes du filet. » En effet le treillis occupait de tous côtés un grand espace, loin de la colonne, d'environ un mille, et s'étendait de même en profondeur. Comme ils avaient fait ces manoeuvres, l'homme de Dieu leur dit : "Dirigez le navire à l'intérieur par quelque ouverture, dans le but de voir attentivement les magnificences de notre Créateur". Or comme ils avaient pénétré à l'intérieur, ici et là, la mer leur apparut de verre, en raison de sa limpidité, si bien qu' ils pouvaient voir tout ce qui était dessous. Car ils pouvaient considérer les fondements de la colonne, et l'extrémité du filet semblablement s'enfonçant en terre. La lumière du soleil n'était pas moins forte à l'intérieur qu'à l'extérieur. Alors, Saint Brendan mesurait une ouverture à travers le filet; elle était carrée, de quatre coudées de côté. CHAPITRE 29 http://www.utqueant.org Editions Carâcara 62 LES DEUX PRESENTS : LE CALICE ET LA PATENE Donc ils naviguaient durant tout le jour, longeant un côté de cette colonne, et à travers l'ombre, ils pouvaient sentir la chaleur du soleil, qui la traversait. Ainsi jusqu'à la neuvième heure. L'homme de Dieu mesurait un côté, de mille quatre cents coudées. La mesure était identique pour les quatre côtés de cette colonne. Ainsi, durant quatre jours, oeuvrait (92) le vénérable père, aux quatre angles de la tour. Or, au quatrième jour, ils découvrirent un calice, de la matière du filet, et une patène de la couleur de la colonne, posés sur une fenêtre, sur le côté de la colonne face au Sud. Et ces vases, aussitôt, Saint Brendan les prit, disant : "Notre Seigneur Jésus Christ montre ce miracle et, afin qu'il soit montré à plusieurs pour qu'ils y croient, Il m'a donné ces deux présents". Aussitôt l'homme de Dieu invita ses frères à accomplir le service divin, et après, à refaire leurs corps, parce qu'il n'y avait aucun désagrément à prendre de la nourriture ou de la boisson, après avoir vu cette colonne. CHAPITRE 30 NAVIGATION FAVORABLE VERS LE NORD Puis, la nuit passée, les frères commencèrent à naviguer à la rame, face à l'étendue septentrionale. Or, comme ils avaient traversé une ouverture, ils dressèrent le mât, les voiles, et quelques-uns parmi les frères tenaient les agrafes du filet, jusqu'à ce qu'ils eurent tout arrangé dans le navire. Une fois le mat dressé et les voiles tendues, un vent favorable commença à souffler derrière eux, de sorte qu'ils n'avaient nul besoin de naviguer à la rame, mais seulement de tenir les cordes et le gouvernail. CHAPITRE 31 L'ILE DES FORGERONS (93) Ainsi se laissaient-ils porter durant huit jours; dès lors ils virent une île non 1oin d'eux, entièrement rouge, rocheuse et pleine de scories, sans arbre ni herbe, couverte d'ateliers de forgerons. Le vénérable père dit à ses frères : "Voyez, frères; J'ai l'angoisse de cette île; c'est pourquoi je ne veux pas y aller ou même en approcher. Mais le vent nous y pousse en droite ligne". Donc alors qu'ils passaient vite devant, et à distance d'un jet de pierre, ils entendirent le sifflement des soufflets, semblable aux fracas que produisent tonnerre et maillets de fer. A ces bruits, le vénérable père s’arma du trophée du Seigneur, disant en se signant (94) : « Seigneur Jésus Christ, délivre-nous de celle île ».Or, une fois la prière de l'homme de Dieu achevée, voici qu'un des occupants de l'île sortit, comme pour accomplir quelque travail; il était entièrement hirsute, géant et noir. Mais lorsqu'il vit les disciples du Christ passer à côté de l'île, il revint dans son atelier. L'homme de Dieu, à nouveau, se prépara (95) et dit à ses frères : "Fils, tendez les voiles en haut, et en même temps naviguez à la rame dès que possible; fuyons cette île". Plus rapide que ces paroles, voici que le barbare s'avança vers le rivage, dans leur direction, portant une tenaille dans ses mains, serrant une masse en feu tirée d'une roche dont la taille et la chaleur étaient prodigieuses. Aussitôt, sur les disciples du Christ, il jeta la masse. Mais elle ne leur nuit pas. En effet, elle passa au-delà d'eux, à environ un stade de distance. Et, quand elle tomba en mer, la mer commença à bouillonner, comme si une montagne de feu se fut éboulée là, et une fumée s'élevait de la mer comme d'un four en feu. Alors comme l'homme de Dieu s'éloignait d'environ un mille au-delà du lieu où la masse tomba, tous ceux qui étaient sur l'île, coururent au rivage, portant chacun leurs propres masses. Ils jetaient après les disciples du Christ les masses dans la mer, à tour de rôle jetant leur masse, et, sans cesse ils revenaient à leurs ateliers, qu'ils faisaient rougeoyer, et l'île apparut alors comme si entière, elle brûlait à la façon d'une forge; et la mer bouillonnait comme un chaudron plein, plein de viande et bouillonnant d'avoir été mis sur le feu; et ils http://www.utqueant.org Editions Carâcara 63 entendaient, tous le jour durant, l'immense hurlement venu de l'île, et même quand ils ne pouvaient plus la voir, même jusque là le hurlement des habitants à leurs oreilles arrivait, ainsi qu'une immense puanteur à leurs narines. Alors le saint père réconfortait ses moines en disant : "Soldats du Christ, prenez appui dams la vraie foi, et dans les armes spirituelles, puisque nous sommes aux confins des enfers; c'est pourquoi veillez et agissez courageusement". Le lendemain, leur apparut une montagne haute sur l'océan, face à l'étendue septentrionale, non loin, pour ainsi dire au milieu de légers nuages. Mais elle était entièrement couverte de fumée au sommet, et aussitôt, en une course très vive, le vent les conduisit au rivage de cette îlemême, jusqu'à ce que le navire s’arrêtât non loin de la terre. Car la rive était d'une si grande hauteur qu'à peine en pouvaient-ils voir le sommet; et elle était de la couleur du charbon, d'une prodigieuse grandeur, s'élevant à pic comme un mur. Un des trois frères qui restait de ceux qui suivirent Saint Brendan hors du monastère, descendit du navire en exil et se mit à marcher jusqu'à la base du rivage, Il se mit à hurler : "Malheur à moi, je suis perdu et m'éloigne de vous, je n'ai pas la possibilité de revenir". Les frères aussitôt conduisaient le navire en arrière, loin de la terre et criaient, disant : "Pitié pour nous, Seigneur, pitié". Alors le vénérable père et ses compagnons regardaient comment le malheureux était emmené par une multitude de démons vers les tourments, et comment il était brûlé au milieu d'eux; et Saint Brendan disait : "Malheur à toi, fils, puisque tu as trouvé une telle fin méritée pour ta vie " A nouveau les saisit un vent favorable vers l'étendue australe. Mais comme ils regardaient l'île s'éloignant derrière eux, ils virent la montagne sans voile de fumée, et jetant des flammes écumantes jusque vers l'éther, et à nouveau, avalant ces mêmes flammes, de sorte que la montagne entière jusque dans la mer, paraissait être un bûcher. CHAPITRE 32 JUDAS ISCHARIOT (96) Donc comme Saint Brendan naviguait face au Sud, leur apparut en mer une silhouette, comme celle d'un homme assis sur une pierre, et leur apparut une toile loin devant lui, de la taille environ d'un manteau, pendant entre deux petites fourches de fer, et ainsi était-elle agitée par les flots comme c'est coutume pour un navire qui fait l'épreuve d'un tourbillon. Certains des frères disaient que c'était un oiseau, d'autres pensaient à un navire. Comme l'homme de Dieu les entendait discourir ainsi, il s'écria : "Cessez de discuter, dirigez la course du navire jusque vers ce lieu". Or, comme l'homme de Dieu s'en approchait, ils restèrent alentour, pour ainsi dire figés. Et ils découvrirent un homme assis sur une pierre, hirsute et difforme, et les flots de toutes parts quand ils tombaient en glissant sur lui, le frappaient jusqu'à la nuque, et quand ils le découvraient, apparaissait cette pierre nue, sur laquelle le malheureux était assis. Le haillon, qui, devant lui, pendait, parfois le frappait aux yeux et au front. Le bienheureux Brendan en vint à lui demander son nom, quelle faute le condamnait à cet exil ici, quel motif l'obligeait à subir si grande pénitence. Il lui répondit : "Je suis le très malheureux Judas et l'homme du très mauvais négoce. Ce n'est pas à mon démérite que je dois ce triste lieu, mais en vertu de la miséricorde ineffable de Jésus Christ. Ce lieu ne m’est pas compté comme lieu de peine, mais il est dû à l'indulgence du Rédempteur, en l'honneur du dimanche de la Résurrection". Car c'était alors dimanche. "En effet il me semble, quand j'occupe ce lieu-ci, être pour ainsi dire dans le jardin des Délices, à côté de la peur des tourments qui seront miens, ce soir. Car je brûle comme une masse de plomb liquéfiée, dans un creuset, jour et nuit, au milieu de la montagne que vous avez vue. Léviathan s'y tient avec son escorte. J'y fus quand il avala votre frère, et l'enfer avait tant de joie qu'il vomit des flammes immenses, et ainsi fait-il toujours quand il dévore les âmes des impies. Or j'ai ici mon soulagement, chaque dimanche, du soir jusqu'au soir, et de la Nativité du Seigneur jusqu'à la Théophanie, et de Pâques jusqu'à la Pentecôte, et le jour de la Purification de la mère de Dieu ainsi qu'à l'Assomption. Après et avant je suis supplicié dans les profondeurs avec Hérode et Pilate, http://www.utqueant.org Editions Carâcara 64 Anne et Caïphe. C'est pourquoi je vous adjure, par le Rédempteur du monde, de bien vouloir intercéder auprès du Seigneur Jésus Christ, de façon que j'aie la possibilité de rester ici jusqu'à la naissance du soleil demain, afin que les démons, durant votre venue, ne me supplicient pas et ne me conduisent pas vers le mauvais héritage que j'ai préparé pour un mauvais argent". Saint Brendan lui dit : « Que la volonté du Seigneur soit faite ! » Cette nuit, tu ne seras pas la proie des démons jusqu'au matin". A nouveau l'homme de Dieu l'interrogeait, disant : "Que signifie ce haillon ?" Il répondit : « Ce haillon, je l'ai donné à un lépreux quand je fus au service du Seigneur. Cependant ce n'était pas le mien que je donnai. Car il appartenait au Seigneur et à ses frères. C'est pourquoi, de cela, je n'ai aucun soulagement, mais plutôt une gêne. Car les fourches sur lesquelles pend le manteau, je les ai données aux prêtres du temple, pour y suspendre des chaudrons. La pierre sur laquelle je suis assis, je l'ai mise sur l'ornière d'une voie publique, sous les pieds de ceux qui la passaient, avant d'être disciple du Seigneur". Mais comme l'heure du soir obscurcissait Thétys, voici qu'une multitude innombrable de démons couvrit la face de Thétys, en un cercle vociférant et disant : " Eloigne-toi de nous, Homme de Dieu, car nous ne pouvons pas approcher de notre compagnon, tant que tu ne t'éloignes pas de lui. Nous n'avons pas osé voir le visage de notre prince, jusqu'à ce que nous lui ayons rendu son ami. Quant à toi, tu nous as enlevé le but de notre course (2). Ne le défends pas, cette nuit !" L'homme de Dieu leur dit : "Je ne le défends pas mais le Seigneur Jésus Christ lui a concédé d'être ici, cette nuit, jusqu'au matin". Les démons lui disent : "Comment invoques-tu le nom de Dieu au-dessus de lui, alors qu'il est celui-là même qui a trahi le Seigneur ?" L'homme de Dieu leur dit : "Je vous prescris, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, de ne lui faire aucun mal jusqu'au matin". C'est pourquoi, une fois la nuit passée, comme l'homme de Dieu commençait à partir, voici qu'une infinie multitude de démons couvrit la surface de l'abîme, poussant des cris horribles et disant : « Homme de Dieu, maudits soient ta venue et ton départ, car notre prince, cette nuit, nous a flagellés de coups très durs, parce que nous ne lui avons pas présenté le captif maudit". Et l'homme de Dieu leur dit : "Ce n'est pas à nous que convient votre malédiction mais à vousmêmes en personne. Ainsi celui que vous maudissez, celui-là est béni, et celui que vous bénissez, celui-là est maudit". Les démons lui répondirent: "Le malheureux Judas supportera double peine dans les six jours, puisque vous l'avez défendu durant la nuit passée". Le vénérable père leur dit : "Vous n'aurez pas ce pouvoir ni votre prince, mais ce sera le pouvoir de Dieu". Puis il ajouta : "Je vous prescris, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, et à votre prince, de ne pas l'accabler de tourments plus grands qu'auparavant". Ils lui répondirent : "Estu le Seigneur de tout, pour que nous obéissions à tes paroles ?" L'homme de Dieu leur dit : "Je suis son serviteur et tout ce que je prescris en son nom, arrive vraiment; j'ai le ministère de ce qu'il me concède". Et ainsi les démons le suivirent jusqu'au moment où ils ne pouvaient plus voir Judas. Alors les démons revinrent, enlevèrent l'âme malheureuse, au milieu d'eux, avec force violences et hurlements. CHAPITRE 33 PAUL L'ERMITE Or Saint Brendan, avec ses compagnons de combat, navigua face à l'étendue méridionale, glorifiant le seigneur en tout. Puis le troisième jour, apparut une île petite, face au Sud, au loin. Et comme ils commençaient à naviguer à la rame avec plus d'ardeur et qu'ils approchaient de l'île, Saint Brendan leur dit : "Hommes, mes frères, ne fatiguez pas outre mesure vos corps. En effet, vous avez suffisamment de peine. Depuis sept ans déjà, nous sommes partis de notre patrie, dès que le jour très proche de Pâques viendra. Et pourtant vous verrez Paul l'Ermite spirituel, habitant cette île, sans aucune nourriture corporelle, depuis soixante ans. Et les trente années précédentes, il reçut sa nourriture d'une certaine bête". Or, comme ils approchaient du rivage, ils ne pouvaient trouver aucun accès, vu la hauteur de la http://www.utqueant.org Editions Carâcara 65 rive. Cette île était d'autre part extrêmement petite et circulaire, d'un stade environ de diamètre. Rien ne s'élevait de terre mais la pierre nue, semblable au roc apparaissait. Mêmes largeur et longueur, même hauteur. Or, comme ils allaient en naviguant à la rame, autour de l'île, ils trouvèrent un port si resserré qu'ils eurent peine à placer la proue de l'embarcation, et ils trouvèrent une montée très périlleuse à gravir. Alors Saint Brendan dit à ses frères : "Attendez ici jusqu'à ce que nous revenions vers vous. En effet il ne vous est pas permis de traverser l'île sans la permission de l'homme de Dieu qui demeure en ce lieu". Et comme le vénérable père était parvenu au sommet de cette île, il vit deux grottes, face à face quant aux entrées, sur le côté de l'île orienté vers le lever du soleil, une source très petite, circulaire, semblable à une coquille, surgissait de la roche, et l'homme de Dieu y puisait. Puis comme Saint Brendan s'approchait de l'entrée d'une grotte, de l'autre sortit un vieillard sur le Seuil, venant à sa rencontre, disant : "Voyez comme il est bon et doux pour des frères d'habiter unis ensemble »(98). A ces mots, il invita Saint Brendan à ordonner à tous ses frères de descendre du navire et de venir. Puis après des baisers communs, et i1 appelait chacun de son propre nom. Lorsque les frères l'entendirent, ils admirèrent profondément, à la fois son don de prophétie, et son apparence. Il était tout entier recouvert de cheveux, de barbe et de tous les autres poils, jusqu'aux pieds - ces poils étaient blancs comme la neige en raison de sa très grande vieillesse -. L'on ne voyait de lui que le visage et les yeux. Il n'avait pour tout vêtement que les poils issus de son corps. CHAPITRE 34 LE RECIT DE PAUL L'ERMITE Mais Saint Brendan, voyant cela, fut attristé, se disant en lui même "Malheur à moi car je porte l'habit de moine, et sous moi sont assemblés bien des gens au nom de cet ordre alors que nous voyons, dans un état angélique, un homme de chair, siégeant jusqu'à présent sans être blessé par les vices corporels". L'homme de Dieu lui dit : "O vénérable père, que de merveilles étonnantes Dieu t'a montrées, qu'Il n'a manifestées à aucun des saints pères. Ainsi tu prétends en ton coeur ne pas être digne de porter l'habit de moine, alors que tu es plus grand qu'un moine. Car un moine, du labeur de ses mains se sert et se revêt. Mais Dieu, de ses secrets, depuis sept ans te nourrit toi et ta famille. Quant à moi, misérable, je suis assis comme un oiseau sur cette roche, nu, couvert de mes seuls poils". Alors Saint Brendan l'interrogeait sur son arrivée, en lui demandant d'où il venait, depuis combien de temps il avait supporté ici une telle vie. Il lui répondit : "Je fus élevé dans le monastère de Saint Patrick (99), durant cinquante ans, et je gardais le cimetière des frères. Or un jour, comme mon supérieur m'avait désigné le lieu d'une sépulture pour y enterrer un défunt, m'apparut un vieillard qui me dit : « Ne fais pas la fosse ici, frère, car c'est celle d'un autre ». Je lui dis "Père, qui es-tu?" Alors il me répondit : "Pourquoi ne me reconnais-tu pas ? Ne suis-je pas votre abbé ?" Je lui dis : "Saint Patrick fut mon abbé". Alors il me répondit : "C'est moi. En effet, hier j'ai quitté le siècle. Mais voici le lieu même de ma sépulture. Tu feras ici la sépulture demandée par notre frère et ne dis à personne ce que je t'ai dit. Mais demain, va au rivage de la mer et là tu trouveras un navire, dans lequel tu entreras, qui te conduira au lieu où tu attendras le jour de ta mort". Alors au matin, selon le précepte du saint père, je suis allé au rivage, et j'ai trouvé une embarcation comme il me le prédit. Puis, comme j'étais embarqué, j'ai commencé par naviguer durant trois jours et trois nuits. Ce temps achevé, j'ai abandonné le navire là où le vent voulut le jeter. Puis, au septième jour, apparut cette roche où j'ai aussitôt abordé; l'embarcation fut abandonnée et repoussée de mon pied pour qu’elle s'en retournât d'où elle venait. Sur-le-champ, je la vis en une course très rapide sillonner les eaux à travers les flots pour revenir en sa patrie. Quant à moi je restai ici. Vers la neuvième heure, une loutre m'apporta une nourriture de la mer, c'est-à-dire un poisson dans sa bouche, et un petit fagot de sarments pour faire un feu, entre ses pieds antérieurs, marchant sur les deux pieds postérieurs. http://www.utqueant.org Editions Carâcara 66 Comme elle avait posé devant moi le poisson et les sarments, elle retourna d'où elle venait. Quant à moi, je pris un fer, frappai le silex, enflammai les sarments, et préparai pour moi ce poisson pour m’en nourrir. Ainsi, durant trente ans, tous les trois jours, ce même serviteur apporta ces mêmes aliments, à savoir un poisson pour trois jours. Je mangeai un tiers du poisson chaque jour, et je n'avais nul besoin de boire (100). Mais le dimanche, sortait du sol un peu d'eau de cette pierre, et j'avais moyen d'en tirer de la boisson et de remplir une petite cruche pour le service des mains. C'est aussi après trente ans que j'ai découvert ces deux grottes et cette source. C'est par elle que je vis, et que j'ai vécu depuis, durant soixante ans, sans prendre d'autre nourriture que de cette source. En effet, je suis depuis quatre vingt dix ans sur cette île; trente ans je me suis nourri de poisson, et soixante ans j'ai bu de cette source. J'avais cinquante ans dans ma patrie. Le total des ans de ma vie fait cent quarante ans. Et ici je dois ainsi, comme il me fut promis, attendre le jour du jugement, dans cette chair. C'est pourquoi poursuivez votre route jusqu'à votre patrie, et emportez avec vous des vases pleins de cette eau. Elle vous sera, en effet, nécessaire, puisque désormais il vous reste à cheminer durant quarante jours, jusqu'au samedi de Pâques. Vous célébrerez alors le samedi saint de Pâques là où vous l'avez célébré durant six ans, et puis, une fois la bénédiction de votre intendant reçue, vous irez vers la terre de Promission des Saints, et là vous resterez quarante jours, et ensuite, le Dieu de vos pères vous conduira sains et saufs sur la terre de votre naissance. » CHAPITRE 35 LA CELEGRATION DES FETES ET L'AIDE DE L’INTENDANT (LA NAVIGATION SUR JASCONIUS) Donc Saint Brendan avec ses frères, une fois la bénédiction de l'homme de Dieu reçue, se mit à naviguer face au Sud pendant quarante jours entiers, et leur embarcation était emportée ici et là, et ils avaient comme seule nourriture l’eau qu’ils prirent sur l'île de l'homme de Dieu, refaisant leurs forces tous les trois jours, sans aucune faim ni soif, tous demeurant dans la joie. Alors, comme l'avait prédit l'homme de Dieu, ils arrivèrent à l'île de l'intendant au jour du Samedi Saint. Quand ils parvinrent au port, ce dernier, à leur rencontre, vint avec une grande joie, et il les tira tous du navire de ses propres bras. Le divin office du jour saint achevé, il leur offrit un repas. Une fois le soir venu, ils montèrent dans l'embarcation, et avec eux cet homme. Or comme ils naviguaient, ils rencontrèrent vite la bête à l'endroit habituel, et là ils chantèrent des louanges à Dieu, la nuit entière, et des messes au matin. Une fois la messe achevée, Jasconius se mit à suivre sa route, et tous les frères qui accompagnaient Saint Brendan, en vinrent à appeler le Seigneur, disant : "Exauce-nous, Dieu, notre Sauveur, Espoir de tous ceux qui habitent aux confins les plus reculés de la terre et de l'Océan"(101). CHAPITRE 36 LA TERRE DE PROMISSION Saint Brendan encourageait ses frères, disant "Ne redoutez rien. Car vous n'aurez aucun mal, mais (Jasconius) va nous être une aide pour notre voyage". En droite course, la bête parvint jusqu'au rivage de l'île des oiseaux. Et là, ils demeurèrent jusqu'à l'octave de Pentecôte. Une fois le temps des solennités passé, l'intendant qui les accompagnait, dit à Saint Brendan : "Montez dans l'embarcation et remplissez les outres de cette eau. Car je serai cette fois le compagnon de votre chemin ainsi que votre guide. Sans moi, vous ne pourrez pas trouver la Terre de Promission des Saints". Or à leur embarquement, tous les oiseaux de cette île comme d'une seule voix disaient : "Le Dieu de notre salut nous fera un chemin favorable". Saint Brendan et ses compagnons, naviguèrent vers l'île de l'intendant, lui-même vint avec eux, là ils prirent des vivres pour quarante jours. D'autre part leur navigation était face à l'étendue orientale durant quarante jours. En outre, l'intendant lui-même les précédait. Puis http://www.utqueant.org Editions Carâcara 67 les quarante jours passés, le crépuscule approchant, l'obscurité les saisit grande au point de rendre difficile la vue de son prochain. Alors l'intendant dit à Saint Brendan : "Savez-vous ce qu'annonce cette obscurité ?" Saint Brendan dit : "Qu'annonce-t-elle ?" Alors il dit : "Cette obscurité entoure l'île que vous recherchez depuis sept ans". Après un espace d'une heure, à nouveau, une lumière immense les entoura, et le navire s'arrêta au rivage. Puis une fois descendus du navire, ils virent une terre merveilleuse d'aspect, couverte d'arbres lourds de pommes (102), comme au temps d'automne. Et, comme ils parcouraient cette terre, aucune nuit ne leur advint. CHAPITRE 37 LE JEUNE HOMME DU FLEUVE Ils ne cueillaient que des pommes, et buvaient aux sources. Et ainsi, durant quarante jours, ils parcouraient en tous sens la terre et ne pouvaient pas en découvrir l'extrémité. Puis un jour, ils arrivèrent à un grand fleuve dont la courbe s'enfonçait vers le centre (103) de l'île. Alors Saint Brendan se tourna vers ses frères et dit : "Ce fleuve, nous ne pouvons pas le traverser et nous ignorons la grandeur de cette terre. Comme intérieurement ils désiraient savoir, aussitôt un jeune homme se présenta à leur rencontre, les embrassant avec une grande joie, et il appelait chacun par son nom et disait : "Heureux ceux qui habitent dans ta demeure. Dans les siècles des siècles ils te loueront (104)". Après ces mots, il dit à Saint Brendan : "voici la terre que tu as recherchée depuis longtemps. Certes ce n'est pas immédiatement que tu as pu la trouver, parce que Dieu a voulu te montrer ses divers secrets sur l'Océan immense. Ainsi, retourne vers la terre de ta naissance, emporte avec toi des fruits de cette île, et des pierres précieuses autant que ton embarcation peut en prendre. Approchent, en effet, les jours de ton départ, afin que tu dormes avec tes pères. Puis, au retour de bien des années, cette terre sera révélée à vos successeurs, quand surviendra la persécution des chrétiens. Le fleuve que vous voyez divise cette île. De même qu'elle se montre à vous mure de par ses fruits, de même, éternellement, aucune ombre de mort n'y a demeuré. Car le Christ en est la lumière". Alors ils prirent des fruits de cette terre et toutes sortes de pierres précieuses, et ils quittèrent l'intendant et le jeune homme après bénédiction; puis Saint Brendan avec ses frères, monta dans l’embarcation et se mit à naviguer au milieu de l'obscurité. Or, comme ils achevaient leur traversée, ils vinrent en l'île appelée île des Délices. Et là, pendant trois jours, ils obtinrent une entière hospitalité; puis une fois la bénédiction reçue, Saint Brendan, en droite ligne, revint en son lieu. CHAPITRE 38 LE RETOUR DE SAINT BRENDAN ; SA MORT Or ses frères eurent grand plaisir à l'accueillir, glorifiant Dieu qui, avec tant d'amour, ne voulut pas leur ôter la vue de leur père, dont ils avaient été privés si longtemps par son absence. Alors le bienheureux, les remerciant de leur tendresse, raconta tout ce qui était arrivé, et il rappela aussi les nombreux signes prodigieux de miracles, que le Seigneur jugea digne de lui montrer en route. Enfin, en un témoignage précis il indiqua (105) aussi selon la prédiction du jeune homme, la rapidité de sa mort, et la terre de Promission des Saints. Et c'est ce que l'évènement confirma, car, lorsque toutes les dispositions eurent été prises après lui, après un bref intervalle de temps, fortifié par les sacrements divins, entre les mains de ses disciples, glorieusement il alla vers le Seigneur, à qui sont honneur et gloire pour les siècles des siècles. Amen.