[2,0] LIVRE SECOND. Je crois t'entendre me dire : Que me veux-tu avec ton épître ? N'est-ce donc point assez que j'aie la complaisance de lire tes épigrammes ? Et d'ailleurs, que peux-tu me dire ici que tu ne puisses aussi bien me dire dans tes vers ? Que les poètes tragiques mettent des prologues en tête de leurs pièces ; on le conçoit, puisqu'ils ne parlent pas en leur nom ; mais des épigrammes n'ont pas besoin d'un interprète, et savent très bien s'expliquer elles-mêmes dans leur langage satirique. Chaque page, à la volonté de l'auteur, devient une épître. Épargne-toi donc, je te le conseille, un ridicule ; et ne jette point un manteau sur les épaules d'un danseur. Enfin, vois s'il est à propos pour toi de te mesurer, armé seulement d'une épée de bois, contre le trident du rétiaire. Pour moi, je me range parmi ceux qui déclarent le combat inégal. - Par Hercule, Décianus, tu dis vrai ! tu ne sais pas avec quelle longue et terrible épître tu allais avoir affaire ! Ainsi donc, soit fait comme tu le désires ! Ceux entre les mains de qui tombera ce livre, t'auront l'obligation de ne point arriver fatigués à la première page. [2,1] 1. A SON LIVRE. Mon petit livre, adieu! pars en leste équipage ! Je pourrais bien doubler ou tripler ton bagage, Mais à ton seul aspect on pourrait s'effrayer. En t'abrégeant, d'ailleurs, j'économise Pour moi d'abord, des soins, de l'huile et du papier ; Puis pour mon scribe un temps qu'il peut mieux employer ; Ensuite, à ton lecteur, si tant est qu'on te lise, Tu peux sembler mauvais, mais non pas l'ennuyer. De plus encore, à table, où tu seras de mise, Le convive pourra, sans qu'on s'en scandalise, En attendant son vin, te lire tout entier. Pars donc ! ainsi réduit par la main de ton maître, Tu seras, pour beaucoup, encore trop long peut-être. [2,2] 2. A DOMITIEN. La Crète à Métellus valut un nom fameux ; L'Afrique à Scipion en donne un plus illustre ; Le Rhin dompté par toi, dès ton troisième lustre, César, te vaut un titre encor plus glorieux, Celui de Germanique. Aux lauriers d'Idumée Ton frère avec son père eut une égale part ; Mais les Daces vaincus, jamais la renommée N'en peut donner l'honneur qu'à toi seul, ô César ! [2,3] 3. A SEXTUS. Tu ne dois rien, Sextus : tu dis vrai, j'en conviens ; Qui ne saurait payer, en effet ne doit rien. [2,4] 4. CONTRE AMMIEN. Ammien, quel est donc ce genre de caresse Qui s'établit entre la mère et toi ? Que de douceurs ! que de mots de tendresse ! Voudrais-tu me dire pourquoi, Quittant les titres saints et de fils et de mère, Vous vous donnez ceux de sueur et de frère ? Quel est cet ambigu jargon Qui d'amitié n'a point le ton, Et que le sang ne peut permettre ? Ce que vous n'êtes pas, pourquoi le vouloir être ? Devez-vous, de concert, laissant votre vrai nom, Prendre une qualité qui vous est étrangère ? C'est un jeu, dites-vous ? Ammien, quelle erreur ! La mère qui prétend porter le nom de soeur Voudrait n'être ni soeur ni mère. [2,5] 5. A DECIANUS Que ne puis-je te voir tous les jours de ma vie ! Mais la distance, ami, s'oppose à mon envie. Deux mille pas du mien séparent ton séjour, Et j'en double le nombre en comptant le retour. Tu t'absentes souvent : quelquefois on te cèle, Occupé pour toi-même ou de ta clientèle. Je puis bien pour te voir faire deux mille pas ; Quatre mille sont trop quand je ne te vois pas. [2,6] 6. A SÉVÈRE Viens me redire encore : Publiez vos ouvrages ! Ton oeil en a pu lire à peine une ou deux pages. Que, du titre, déjà vers la fin il a fui, Et qu'un long bâillement atteste ton ennui. Les voilà donc ces vers qui narguent la censure, Rapidement saisis au vol d'une lecture, Et dont furtivement ton indiscrète main Chargeait tous les feuillets d'un recueil clandestin ; Qui, colportés par toi des tables au théâtre, Arrachaient les bravos d'une foule idolâtre ! Les voilà, ce sont eux, et même accompagnés D'autres, peut-être encore meilleurs que leurs aînés. Que sert d'avoir réduit ces enfants de ma plume A la mince épaisseur du plus maigre volume, S'ils ont pu te coûter trois jours à parcourir ? Jamais plus à son aise on n'a pris du plaisir. Des fruits de mon travail tu t'es lassé bien vite ! Au début du chemin déjà tu prends un gîte. Sorti de Rome, à peine as-tu franchi le mûr, Tu partais pour Tuscule et descends à Tibur. Indolent casanier, laisse les longs voyages, Et ne me redis plus : Publiez vos ouvrages ! [2,7] 7. CONTRE ATTICUS. Atticus est un homme charmant ; Il fait tout avec tant de grâce ! Pour le bel air, pour l'agrément, Où trouver quelqu'un qui l'efface Au Palais, beau déclamateur, Aux salons, élégant parleur, Il charme, et jamais il ne lasse. Faut-il faire un joli couplet, Filer une scène comique, Aiguiser un trait satirique, Broder un conte ? c'est son fait. Lui parlez-vous arts et science ? Il est peintre, grammairien, Astronome, physicien ; Et sa docile complaisance, Dans un amusant entretien, Vous étale avec élégance Un savoir qu'on croirait le sien. Il chante, il pince de la lyre, Et sa danse a de quoi séduire. Il brille encore et j'en conviens, Dans tous les genres d'exercice ; Mais, s'il faut lui rendre justice, Tout est grâce en lui, rien n'est bien. Qu'en deux mots je le définisse : Il veut être tout, et n'est rien. [2,8] 8. AU LECTEUR. Lecteur ! dans mes légers ouvrages, Si tu trouves quelques passages Trop peu corrects, obscurs, embarrassés, Rejette-les sur les copistes, A te servir trop empressés. Mais si, malgré tout, tu persistes A les imputer à l'auteur, Pardonne alors. Il peut, avec justice, Accuser à son tour ton goût ou ton caprice. Mais l'ouvrage est mauvais ! - Il se peut, cher lecteur ! Eh bien ! fais-en donc un meilleur. [2,9] 9. SUR NAEVIA. J'écris, point de réponse: ainsi, rien à. prétendre. Mais, je pense, on m'a lu: donc il suffit d'attendre. [2,10] 10. CONTRE POSTHUME. Chaque matin gratifié D'un demi-baiser au passage, Posthume, de ton amitié Je ne veux point un autre gage. De ce baiser estropié Veux-tu supprimer la moitié ? Tu le peux sans trop me déplaire. Tu peux même encore mieux faire, Posthume, et j'ose t'en prier : Garde le baiser tout entier, Et que la faveur soit entière. [2,11] 11. CONTRE SÉLIUS. Ami, vois Sélius, qui, resté seul ce soir, Erre sous le portique; il semble au désespoir. L’air morne, l'oeil éteint, et la tête baissée, Il roule je ne sais quelle noire pensée. Il marche, et tout à coup s'arrête ; de sa main S'arrache les cheveux et se meurtrit le sein. Pleure-t-il un ami ? regrette-t-il un frère ? - Non ; chez lui, femme, enfants, fortune, tout prospère. Son fidèle intendant lui transmet les loyers Qu'à jour fixe en ses mains ont versés ses fermiers. - Qu'a-t-il donc ? quel sujet allonge ainsi sa mine ? - Le malheureux ! il faut qu'à ses dépens il dîne ! [2,12] 12. CONTRE POSTHUME. Pourquoi donc tes baisers sont-ils parfumés d'ambre ? Tout est ambré chez toi, ta personne et ta chambre. Posthume, tant d'odeurs me mettent en soupçon : Sent bien mauvais qui sent toujours si bon. [2,13] 13. A SEXTUS. Il te faudra payer juge, avocat, huissier ; Ne vaudrait-il pas mieux payer ton créancier ? [2,14] 14. A PAULINUS CONTRE SÉLIUS. Quand Sélius, le fameux parasite, Ne trouve point d'ami qui veuille le traiter. Comme il se démène et s'agite ! Que de soins, que de pas, pour se faire inviter ! Du portique d'Europe au champ des exercices Il vole, et de Paulin vante l'agilité : "C'est un nouvel Achille !" Et si de ce côté Il n'obtient rien, il passe aux septes des Comices Où du fils de Phyllire et de celui d'Oeson, Le marbre, avec leurs traits, a consacré le nom. S'il les implore en vain, il court au sanctuaire De la divinité que l'Égypte révère, Et s'assied sur tes bancs, ô toi que de Junon Longtemps persécuta l'implacable colère ! Il parcourt le portique, ouvrage merveilleux Que le gendre d'Auguste éleva jusqu'aux cieux, Et dont cent fûts d'airain décorent la structure ; Puis celui de Pompée, où deux riants jardins Offrent aux promeneurs leurs dômes de verdure. De Fortuné, de Fauste il visite les bains, Et de Grillus quittant l'étuve obscure, Va braver chez Lupus le vent et la froidure. Vingt fois il entre aux bains, et vingt fois il en sort, Toujours en vain ; et maudissant le sort, Tout humide, il revoit la place où, d'aventure, Il peut trouver encore quelque honnête vieillard De ses amis, chez soi retournant un peu tard. Taureau divin, par toi, par ton amante, Prends en pitié le mal qui le tourmente ; Invite Sélius, ou je le vois enfin Expirer à tes pieds, de fatigue et de faim. [2,15] 15. CONTRE HERMUS Le verre où boit Hormus à nul n'est présenté Est-ce orgueil de sa part ? - Non, c'est humanité. [2,16] 16. CONTRE ZOÏLE. Bardus se dit malade, et sa fièvre est l'ouvrage Du luxe somptueux dont il fait étalage. En santé, que lui sert ce beau lit, de brocart Dont le faste éclatant éblouit le regard ? Son mal n'est qu'un prétexte à sa vanité folle. Donne à ton médecin congé, sur ma parole ; Tout son art ne peut rien, Bardus, pour ton état : Mon cher, veux-tu guérir ? emprunte mon grabat. [2,17] 17. CONTRE UNE BARBIÈRE. A l'endroit où Suburre étale A côté de mainte sandale, L'instrument que redoute un esclave mutin, Près d'Argilet, passant chaque matin, Je vois s'établir sous un porche Une barbière dont la main N'a. jamais rasé. - Mais enfin. Que fait-elle donc ? - Elle écorche. [2,18] 18. CONTRE MAXIME. Chaque jour, j'en rougis, pour m'asseoir à ta table, Près de toi je remplis les devoirs d'un client ; Chaque jour, près d'un autre on t'en voit faire autant. Mon sort jusqu'à présent au tien est donc semblable. J'accours à ton lever : Chez un grand, me dit-on, Il fait sa cour. Des deux, quel rôle est préférable ? J'escorte ou je précède un fastueux patron, Et je te vois soumis à pareille étiquette ; Puisqu'entre nous subsiste égalité parfaite, Maxime, cherche ailleurs un client, s'il te plaît : Moi, je veux un patron qui ne soit pas valet. [2,19] 19. A ZOÏLE. Zoïle, en m'invitant, tu crois combler mes voeux ; Heureux, moi, d'un dîner ! du dîner de Zoïle ! Qu'il partage celui des gueux de notre ville, Celui que ton dîner aura pu rendre heureux ! [2,20] 20. SUR PAUL. Si Paul se fait honneur des ouvrages d'autrui, A-t-il tort ? il les paie ; ils sont donc bien à lui. [2,21] 21. CONTRE POSTHUME. Tes baisers sont pour l'un, ta main pour l'autre ; enfin, Tu demandes mon-choix ? je préfère ta main. [2,22] 22. CONTRE LE MÊME. Muses et toi, Phébus, que ma douleur vous touche Ce sont vos vers badins que j'en dois accuser ; J'en étais quitte hier pour un demi-baiser, Et Posthume aujourd'hui me baise à pleine bouche. [2,23] 23. SUR LE MÊME. Un veut savoir quel Posthume est le mien, Mais c’est en vain qu'on me harcelle ; De mon secret, non, je ne dirai rien. A quoi bon se mettre en querelle Contre un baiseur qui se venge si bien? [2,24] 24. A CANDIDE. Oui, si le sort t'appelle au banc des accusés, On me verra, couvert d'habits sales, usés, M'asseoir auprès de toi, plus pâle que toi-même. Si Thémis te bannit, avec l'ami que j'aime Des mers et des écueils affrontant le péril, J'abandonnerai tout pour te suivre en exil. Mais, dis-moi : si le sort, demain, de ses largesses Venait à te combler, pourrais-je à ta richesse A mon tour espérer d'obtenir une part, Une moitié - C'est trop. Eh bien, du moins un quart ? - Tu n'en serais pas mieux ; j'en serais moins à l'aise. - Oh ! j'ouvre enfin les yeux, et vois, ne t'en déplaise, Que, si le ciel un jour daigne exaucer tes voeux, Ingrat, je dois m'attendre à te voir seul heureux. [2,25] 25. A GALLA. Promettre sans tenir, si c'est là ton système, Dans ta bouche un refus vaut mieux qu'un : Je vous aime. [2,26] 26. A BITHYNICUS. Ta femme tousse, râle, et d'un prochain veuvage La vieille à chaque instant caresse ton désir. Bithynicus, tu crois tenir son héritage ; Erreur! elle te leurre, et ne veut pas mourir. [2,27] 27. SUR SÉLIUS. Lisez dans un salon, ou plaidez au palais ; Quand l'heure du dîner s'avance Il faut que Sélius vous prenne en ses filets. - Admirable ! A ravir ! Quel goût ! Quelle éloquence ! - Bien : c'est assez ; je t'invite : silence ! [2,28] (28) Ris beaucoup, Sextillus, à celui qui te dit pédéraste et tends ton majeur ! Mais tu n'es pas, Sextillus, un sodomite, ni un baiseur et la bouche en chaleur de Vetustina ne te plaît pas. Tu ne fais pas partie de tout cela, je l'avoue, Sextillus : qu'est-ce que tu es ? Je ne sais pas, mais tu sais qu'il y a encore deux autres vices. [2,29] 29. A RUFUS. Vois-tu, mon cher Rufus, avec grand apparat Au banc des sénateurs cet homme qui s'installe ? Une sardoine orientale De sa main jusqu'à nous reflète un vif éclat. Sa toge ternirait la neige la plus pure, Et Tyr pour son manteau prodigua sa teinture. De ses cheveux les parfums exhalés Embaument tout l'amphithéâtre. Ses jambes et ses bras, avec soin épilés, Présentent le poli, le luisant de l'albâtre. Une brillante agrafe attache élégamment Son brodequin de pourpre, ennobli d'un croissant. La bandelette où, sur la toile, L'or a dessiné mainte étoile, Couvre son front d'un riche bourrelet. Cet homme, quel est-il ?... Si ta main indiscrète Soulève un peu la bandelette, Son front stigmatisé te dira ce qu'il est. [2,30] 30. CONTRE CAIUS. J'avais très grand besoin de quelque cent écus, Et pour les emprunter, je m'adresse à Priscus, Mon ami de trente ans. Une pareille somme N'aurait pas, même en don, trop pesé sur un homme Dont les coffres sous l'or cent fois se sont rompus. - Ami, le barreau t'offre une riche carrière, Exploite-la, crois-moi, tu ne saurais mieux faire. - Merci de ton conseil, lui dis-je assez surpris ; Je te demande un prêt, et non pas un avis. [2,31] (31) Souvent j'ai baisé Chrestina. Tu me demandes ce qu'elle fait de bien ? Au-dessus de tout ce que tu peux imaginer, Marianus. [2,32] 32. CONTRE. PONTICUS. Ponticus, j'ai besoin de votre patronage : Vous pouvez me servir ; je plaide contre Albus. - Je crains de l'offenser; excuse mon refus. - Contre Licinien. - C'est un grand personnage, Je dois le respecter. - Patrobas, mon voisin, Souvent de quelques pieds écorne mon terrain. - L'affranchi de César vaut bien qu'on le ménage. - Philoenis me dérobe un valet de vingt ans, Puis, quand je le réclame, impudemment m'outrage. - Elle est veuve, elle est riche, âgée et sans enfants, Bonne part dans son héritage M'est promise depuis longtemps ; Devant les tribunaux veux-tu que je la brave ? - Adieu, je ne suis plus l'esclave d'un esclave, D'un stérile patron qui craint petits et grands ; Je suis libre, et ne veux désormais reconnaître Pour maître, que celui qui n'aura pas de maître. [2,33] (33) Pourquoi je ne t'embrasse pas, Philaenis ? Tu es chauve. Pourquoi je ne t'embrasse pas, Philaenis ? Tu es rousse. Pourquoi je ne t'embrasse pas, Philaenis ? Tu es borgne. Celui qui embrasse cela, Philaenis, est un lècheur. [2,34] (34) Alors que Philéros acheté avec tout ta dot te plaît, Galla, tu souffres que tes trois enfants meurent de faim. Ta as une telle indulgence pour un con blanchi, qu'un chaste amour ne pourrait plus convenir. Que les dieux te fassent la maîtresse perpetuelle de Philéros, mère qui est encore pire que Pontia. [2,35] (35) Puisque tes jambes ressemblent aux cornes de la lune, tu pourrais te laver les pieds, Phoebus, dans un rhytium. [2,36] 36. A PANNICUS. Pannicus, vos cheveux, sans être négligés, Ne doivent jamais être artistement rangés. Que votre peau soit nette et non pas éclatante, Loin de vous les parfums qui la rendent luisante. Pour votre barbe aussi fuyez les deux excès, Qu'elle ne vous donne jamais L'air d'un accusé, ni d'un Mage ; Sans être efféminé, n'ayez rien de sauvage. Votre dehors annonce un dur stoïcien, Mais l’âme en vous décèle un épicurien. [2,37] 37. CONTRE CÉCILIANUS. Je t'invite à dîner à peine as-tu pris place, Qu'à droite, à gauche, ainsi qu'en face, Tout ce qu'on a servi dans l'instant disparaît, Tout est raflé. D'un porc la hure et le filet, Un francolin ; flanqué de quatre grives, Ample dîner pour deux convives, Un brochet tout entier, moitié d'un surmulet, Un gros ramier garni de fromentée, Un côté de lamproie, un quartier de poulet, Dans ta serviette bien lestée, Tout s'empile: de graisse et de jus humectée Tu la remets aux mains de ton valet, Pour être à ton logis à l'instant emportée ; Tandis que nous, convives sans festin, Nous restons interdits de ton hardi larcin. De quelque honte encor si ton âme est capable, Cécilien, allons, regarnis notre table Je ne t'ai point invité pour demain. [2,38] 38. CONTRE LINUS. Que peut te rapporter ton champêtre manoir ? - Oh ! beaucoup ! le bonheur de ne jamais te voir. [2,39] (39) Tu offres des vêtements écarlates et violets à une prostituée connue. Veux-tu lui faire le cadeau qu'elle mérite ? Envoie-lui une toge. [2,40] 40. CONTRE TONGILIUS. Tongilius, dit-on, est brûlé de la fièvre ; On se trompe : son mal, c'est la soif et la faim. Je connais l'homme, et suis, s'il veut, son médecin. Qu'une tourte de grive, ou qu'un pâté de lièvre Suivi d'un gros brochet et d'huîtres du Lucrin, Sur sa table étalés, viennent chaque matin Prévenir de son mal l'accès périodique ; Qu'il arrose le tout d'un excellent massique. Loin de lui le falerne et les vins capiteux, Que l'on ne boit qu'avec réserve ; Mais qu'en abondance on lui serve Le cécube épuré, l'opimien bien vieux Que son riche cellier sous dix clefs lui conserve. Tous tes prétendus médecins, Tongilius, t'ont ordonné les bains ; Moque-toi d'eux, et ris de leur sottise ; Sur ton état leur art est en défaut. Un cuisinier, voilà le docteur qu'il te faut ; Ton vrai mal, c'est la gourmandise. [2,41] 41. CONTRE MAXIMINA. Le rire vous sied bien ; riez, nymphes gentilles, A dit certain auteur, de Sulmone, je crois. Mais ce conseil qu'il donne à quelques jeunes filles, Maxime, si tu veux être de bonne foi, Conviens qu'il ne s'adresse à nulle moins qu'à toi. Tu n'as plus que trois dents d'une ébène assez noire, Cesse de les montrer; et si tu veux m'en croire ; D'un rire délateur crains l'éclat imprudent ; Comme pour ses cheveux Spanius craint le vent, Pour sa robe, Priscus un fâcheux voisinage, Pour ses roses, Fabulle ou la pluie ou l'orage, Sabella, pour ses lis un soleil trop aident. D'Hécube ou d'Andromaque affiche l'air austère : Fuis tout plaisir bruyant, évite tout banquet Où la gaîté se donne une libre carrière ; Les propos agaçants où le rire pourrait Épanouir ta lèvre et trahir ton secret. Redoute Philiston et ses farces comiques ; N'assiste désormais qu'aux spectacles tragiques. Mêle tes pleurs à ceux dont une femme en deuil De l'objet le plus cher arrose le cercueil. Aux beautés de vingt ans laisse la gaîté folle ; Pleure, Maxime, pleure ; aujourd'hui c'est ton rôle. [2,42] (42) Zoile, pourquoi salis-tu la baignoire en y trempant ton anus ? Pour qu'elle soit encore plus sale, Zoile, enfonce-y la tête. [2,43] 43. CONTRE CANDIDE. Candide, laisse là ton refrain importun, Tes grands mots : "Entre amis tout doit être commun." De ton riche manteau la laine éblouissante Fut ravie aux troupeaux de Parme ou de Tarente ; Le mien semble un débris des ballons en lambeaux Qui des taureaux du cirque ont subi les assauts. Tyr t'envoie à grands frais ta pourpre consulaire ; Je n'aurais pas dix as de ma défroque entière. Ta table, aux pieds d'ivoire, est d'un marbre africain ; La mienne porte à faux sur ses pieds de sapin. Lorsqu'un crabe rougit mon assiette frugale, Un monstrueux barbeau sur tes plats d'or s'étale. Dix valets attentifs à ton moindre désir S'empressent ; et je n'ai que moi pour me servir. Ainsi, gorgé de biens, d'un oeil d'indifférence Tu vois ton vieil ami languir dans l'indigence ; Et quand souvent, le soir, il est encore à jeun, Tu lui dis : "Entre amis tout doit être commun." [2,44] 44. CONTRE SEXTUS. Si, pour environ cent écus, J'achète esclave ou robe neuve, A l'instant l'avare Sextus, Que je connais depuis trente ans et plus, Craignant pour un emprunt d'être mis à l'épreuve, Tout bas murmure en sons confus, Mais de façon pourtant que je l'entende : Je dois dix mille as à Phébus, A Secundus vingt mille, et trente à Philetus ; Chez moi pas une obole !... Oui, ton adresse est grande, Et je t'admire, ami Sextus ; Mais, pour exprimer un refus, Attends du moins qu'on te demande. [2,45] (45) Cette verge qui ne se dressait plus, Glyptus, a été opérée. Idiot, à quoi bon le fer pour toi ? tu étais un Galle. [2,40] 46. CONTRE NAEVOLUS. Comme au printemps, l'Hybla, peint de mille couleurs, Offre au choix de l'abeille une moisson de fleurs, Ainsi l'on voit, chez toi, les armoires, les presses Briller de vêtements de toutes les espèces, Toges, robes, manteaux l'uns sur l'autre empilés, Ou dans ton vestiaire aux regards étalés. Tout un quartier serait vêtu de la dépouille Des troupeaux qui pour toi s'engraissent dans la Pouille, Et tu peux sans pitié voir mes flancs découverts, Subir sous des haillons la rigueur des hivers ! N'est-il pas, dans ta garde-robe, Où dorment tant d'habits divers, Un manteau de rebut, ou quelque ancienne robe ? Permets qu'en ses besoins un ami les dérobe, Non pas à toi, Névol (jamais tu ne t'en sers), Mais à leurs vrais maîtres : aux vers. [2,47] (47) Je te conseille, Gallus, de fuir les rets astucieux d'une fameuse prostituée : tu es plus léger que les conques cythériennes. Tu te fies à tes fesses ? Le mari n'est pas pédéraste : il ne fait les choses que de deux façons : il se fait sucer ou il baise. [2,48] 48. A RUFUS. Un traiteur, des bains, un barbier, Une aimable moitié, peu savante, mais tendre, Quelques livres de choix, des échecs, un damier, Un ami qui sache m'entendre ; Dans le plus ingrat des pays Qu'on m'offre ces biens réunis, Et pour y vivre sous le chaume Je quitte sans regret les délices de Rome. [2,49] (49) Je ne veux pas épouser Telesina : pourquoi ? C'est une salope. Mais Telesina se donne à de jeunes esclaves : je veux l'épouser. [2,50] (50) Que tu suces et que tu boives de l'eau, Lesbie, cela n'est rien : tu prends l'eau, Lesbie, du côté normal. [2,51] (51) Dans tout ton coffre un seul denier et plus usagé que ton cul, Hyllus. Ce n'est pas un boulanger, ce n'est pas un cabaretier qui l'enlèvera mais celui qui aura le plus grand pénis. Ton ventre infortuné regarde le destin de ton cul et ce malheureux a toujours faim alors que le cul dévore. [2,52] (52) Dasius sait compter les baigneurs : il a réclamé pour la grosse Spatalé trois places : elle a payé. [2,53] (53) A MAXIMUS. Je prétends être libre. - Est-il vrai ?... Veux-tu l'être ? Toi-même, Maximus, tu t'abuses peut-être ? Mais, si pourtant c'est un ferme désir, Apprends comment tu peur y parvenir. Laisse là les dîners ; plus de soupers en ville ; Chez toi, table à trois pieds et vaisselle d'argile T'offriront, dans deux ou trois plats, Des mets, sains, mais peu délicats. Qu'une coquille soit ta modeste salière ; Ne redoute pas l'âpreté D'un vin dur et non frelaté Que te verse, une simple aiguière ; Vois en pitié les vases précieux Dont ton Cinna, chaque soir à tes yeux, Etale avec orgueil l'opulente misère. Fais ton palais d'une étroite chaumière ; Que ton manteau, l'hiver comme l'été, Soit, ainsi que le mien, d'une étoffe grossière ; Tu seras, si tu prends cet empire sur toi, Plus libre que le Parthe et plus heureux qu'un roi. [2,54] (54) De quoi ta femme te soupçonne-t-elle, Linus et de quel côté veut-elle que tu sois le plus chaste : elle te l'a montré assez par des indices certains : elle t'a donné comme gardien un eunuque. Elle a beaucoup de flair et elle est très intelligente. [2,55] 55. A SEXTUS. Je puis te respecter ou t'aimer à ton choix, Mais ne puis t'accorder l'un et l'autre à la fois. - Moi, je veux du respect. - Si tel est ton système, Tu seras obéi : cherche un autre qui t'aime. [2,56] (56) Chez les Libyens, Gallus, ta femme est mal vue à cause du reproche honteux d'une cupidité maladive. Mais ce qu'on raconte n'est que mensonge pur et simple : elle n'a pas l'habitude de recevoir. Quelle est donc son habitude ? Elle se donne. [2,57] 57. CONTRE UN FAUX RICHE. Vois-tu ce jeune fat en robe violette, Nonchalamment, à pas lents, inégaux, Des septes traversant l'enclos, Qui, par son luxe et sa mise coquette, De tous nos. élégants éclipse la toilette ? A sa suite se traîne un troupeau de clients, Et sa litière, neuve ainsi que l'équipage, A pour escorte un cortège d'enfants. - Eh bien, cet homme à si grand étalage, Chez Claude l'usurier vient de laisser en gage Son anneau d'or, afin d'avoir Six écus pour dîner ce soir. [2,58] 58. CONTRE ZOÏLE. Malgré le luxe dont tu brilles, Je ne suis pas jaloux de toi, Zoïle ; insolemment tu ris de mes guenilles ; Guenilles, soit, mais elles sont à moi. [2,59] 59. SUR UNE SALLE A MANGER APPELÉE DIAMANT. Le nom de Diamant m'a su bien définir ; Dans mon étroite enceinte habite le plaisir. Ici mange César. Auguste au loin repose Sous ce dôme que l'oeil d'ici peut découvrir. A table, amis ! buvez, couronnez-vous de rose ; Prodiguez les parfums ; hâtez-vous de jouir ; Un dieu même vous dit : Songez qu'il faut mourir ! [2,60] (60) Tu baises, jeune Hyllus, l'épouse d'un tribun militaire : tu ne crains seulement qu'un supplice pour enfants. Malheur à toi ! En jouant, tu vas te retrouver châtré. Mais tu vas me dire : "Cela n'est pas permis" - Eh quoi? Ce que tu fais, Hyllus, est-il permis ?" [2,61] (61) Lorsque tes joues se couvraient d'un doux duvet, ta langue malpropre léchait les hommes. Mais quand ta tête repoussante est devenue sujet de dégoût pour les croque-morts et le misérable bourreau, tu t'es servi de ta bouche d'une autre façon : tu es devenu médisant et tu aboies à tout nom qui se présente à toi. Que ta langue malfaisante reste plutôt attachée aux sexes car lorsqu'elle suçait, elle était plus pure. [2,62] (62) Le fait que tu t'épiles la poitrine, les jambes, les bras ; le fait que ta verge tondue n'est entourée que de fins poils, tu le fais, Labienus - qui ne le sait pas ? - pour ta maîtresse. Mais quel est ton but, Labienus, quand tu t'épiles le cul ? [2,63] (63) Milichus, tu avais seulement cent mille sesterces et tu les a employés pour acheter Léda sur la Voie Sacrée. Milcichus, c'est de la folie d'aimer à ce prix. "Je n'aime pas" me dira-tu : - c'est aussi de la folie. [2,64] 64. SUR LAURUS. Indécis sur le choix où tu dois t'arrêter, Avocat ou rhéteur, quel parti vas-tu prendre ? A suivre une carrière on te voit hésiter, Quand il serait pour toi plus que temps de quitter. Taurus, crois-moi, c'est trop attendre ; Déjà presque aussi vieux que Priam et Nestor, A te fixer peux-tu tarder encore ? La mort de trois rhéteurs t'offre un moyen facile D'embrasser leur état aussi noble qu'utile. Allons, rends-moi témoin de tes heureux essais... Mais tu crains d'affronter les travaux de l'école ; Eh bien ! près de Thémis tu peux avoir accès ; La cour, en ce moment, regorge de procès, Au point que Marsyas, y prenant la parole, De son haut piédestal obtiendrait des succès. Anime-toi ! trop longtemps tu diffères A remplir tes devoirs d'homme et de citoyen ; Sur ce que tu feras, toujours tu délibères, Et bientôt, malheureux, tu peux n'être plus rien. [2,65] 65. CONTRE SALEJANUS. Quelle sombre tristesse enveloppe ton front, Salejanus ? Quel accident si prompt Peut te consterner de la sorte ? Le motif est-il grave ? - Ami, ma femme est morte. - Eh ! quoi donc, elle t'a quitté, Cette Sécundilla, cette femme charmante Qui t'a, m'a-t-on dit, apporté Quinze ou vingt mille écus de rente ! O coup du sort ! ô disgrâce accablante ! D'un tel malheur que je souffre pour toi ! Ah ! que n'est-il plutôt tombé sur moi ! [2,66] 66. CONTRE LALAGEE. Sur trente boucles de cheveux Qu'assembla sur sa tête un soin industrieux, Une seule s'est dérangée Faute d'épingle. Aussitôt Lalagée Saisit le miroir indiscret Qui vient de trahir le forfait. Elle en frappe Plécuse, et sa main furieuse, Dans son sang qui ruisselle étend la malheureuse. Barbare ! laisse là tes cheveux désormais, Et que nulle femme, jamais, Ne prenne soin d'orner une tête en démence ; Puisse la salamandre ou le tranchant rasoir Te payer dignement de tant d'extravagance, Et te rendre le front plus nu que ton miroir ! [2,67] 67. A POSTUME. Du plus loin que tu m'aperçois, "Que fais-tu ? " c'est ton mot, ton salut ordinaire. Si cent fois en un jour nous nous voyons, cent fois Tu me dis : "Que fais-tu ? " Tu n'as donc rien à faire ? [2,68] 68. A OLUS. Je t'appelais jadis mon maître, mon patron, Et t'appelle aujourd'hui simplement par ton nom, Olus ; mais de ma part ce n'est point arrogance ; Je me suis rendu libre au prix de mon aisance. Qu'il se donne un patron et qu'il accepte un roi, Celui qui, ne sachant être maître de soi, Contre les faux plaisirs qui suivent l'opulence Échange le vrai bien de son indépendance. En deux mots voici mon secret : On est libre quand on veut l'être ; Qui sait se passer de valet Sait aussi se passer de maître. [2,69] 69. CONTRE CLASSICUS. C'est malgré toi, dis-tu, que tu dînes en ville, Classicus; à quoi bon ce mensonge, inutile ? Apicius dînait volontiers chez autrui, Et n'aimait pas, dit-on, à manger seul chez lui. On te force ? Eh ! dis-moi, qui t'oblige à t'y rendre ? Ainsi dit Sélius à qui veut bien l'entendre. Ce soir, chez Mélior, t'attend un grand repas... Quoi déjà tu mollis ! Sois homme, et n'y va pas. [2,70] (70) Tu ne veux pas que quelqu’un passe dans la baignoire avant toi, Cotilus. Il n’y a pas de raison si ce n’est que tu ne veux pas te réchauffer dans des eaux remplies de sperme. Tu peux te baigner le premier mais il est nécessaire que ton sexe rentre dans l’eau avant ta tête. [2,71] 71. A CÉCILIANUS Nul, moins que toi n'a de malice, Et pourtant je remarque en toi Un assez singulier caprice. Voudrais-tu me dire pourquoi Lorsqu'il arrive que, de moi, Tu lis à peine un court passage, Tout aussitôt, des vers connus Ou de Catulle ou de Marsus, Tu débites toute une page ? C'est pour faire valoir les miens ; Tu me le dis, je veux le croire ; Mais, en ce cas, que ta mémoire Du moins te fournisse des tiens. [2,72] 72. CONTRE POSTHUME. Posthume, enfin que dois-je croire D'un bruit qui me fait peine et n'est pas à ta gloire ? Hier, dans un souper (j'ose le dire à peine), Tu reçus un soufflet, mais tel, que sur la scène, Jamais l'histrion Pannicus, Dont la joue est vouée à cet indigne outrage, N'en reçut un pareil des mains de Latinus ; Et, ce qui me surprend encore davantage, L'auteur de cet auront serait Cécilius. Tel est le bruit qui partout se propage. Rien n'est plus faux ; dis-tu. Posthume, je te crois, Mais, pourtant, les témoins semblent dignes de foi. [2,73] (73) Lyris veut savoir ce qu’elle fait. Ce qu’elle fait ? Quand elle est sobre elle suce. [2,74] 74. SUR SAUFEJUS. Ami, remarque Saufejus Que précède et que suit le plus nombreux cortège ; Ne croirait-on pas voir l'illustre Régulus, Que jusqu'à sa maison souvent la foule assiégé, Lorsque l'accusé qu'il protège, Et qu'ont sauvé ses soins officieux, Au pied de leurs autels va rendre grâce aux Dieux ? Garde-toi, Maternus, de lui porter envie, Et qu'un luxe pareil ne soit jamais le tien ! Ces amis, ces clients dont il se glorifie, Pour se les procurer il engage son bien, Et bientôt expira sa brillante folie. [2,75] 75. SUR UN LION. Un lion, adouci par la captivité, Souffrait avec docilité Les châtiments infligés par son maître ; Même sa complaisance allait jusqu'à permettre Qu'il promenât en liberté Sa main jusques au fond de sa gueule sauvage. Mais un jour, tout à coup son instinct de carnage Se réveille; il reprend cette férocité Qu'au désert un lion en liberté déploie. Deux enfants, munis de râteaux, Renouvelaient l'arène : en rugissant de joie, Il s'élance, saisit et déchire en lambeaux Cette innocente et faible proie. Le cirque, si souvent témoin d'actes cruels, N'en avait point encore vu d'aussi criminels. Barbare ! de quel nom faut-il que je te nomme ? Assassin, monstre affreux ! dans ce lieu même, apprends Qu'une louve eut pitié de deux tendres enfants, Et nourrit de son lait les fondateurs de Rome ! [2,76] 76. SUR MARIUS. Marius devait, sur son bien, Te laisser, disait-il, une somme en espèces ; Tu ne lui fis pas de largesses, Et tu n'obtins de lui que des promesses : Vous êtes quitte à quitte, et ne vous devez rien. [2,77] 77. A COSCONIUS. L'épigramme est, dis-tu, chez moi trop peu concise. Cosconius, des chars qui disputent le prix Va graisser les essieux, et laisse mes écrits. Aristarque ignorant! ainsi donc ta sottise, Du colosse d'airain abaissant la hauteur, Pour l'enfant de Brutus voudrait plus de grandeur. Apprends à mieux juger. Souvent un seul ouvrage, Chez Marsus ou Pédon, prend une double page ; Un livre où tout s'enchaîne est court pour le lecteur : Tes distiques, à toi, pèchent par leur longueur. [2,78] 78. A CÉCILIANUS. "Où garder mon poisson dans tes grandes chaleurs ?" - Mets-le dans ton étuve; il sera mieux qu'ailleurs. [2,79] 79. A NASICA. Quand je dîne dehors, tu m'invites chez toi ; Mais prends garde! aujourd'hui, je dîne seul chez moi. [2,80] 80. SUR FANNIUS. Par peur de l'ennemi se priver de la vie, C'est se jeter dans l'eau par crainte de la pluie. [2,81] 81. A ZOÏLE. Autant que tu voudras élargis ton brancard ; Zoïle, mais bientôt qu'il soit ton corbillard. [2,82] (82) Pourquoi, après lui avoir coupé la langue, Ponticus, mettre en croix ton esclave ? Tu ne sais pas que le peuple raconte ce que celui-ci ne sait plus dire. [2,83] (83) Tu as défiguré, cher mari, un malheureux débauché et son visage recherche ce qu’il possédait auparavant : des narines et des oreilles. Tu crois ta vengeance suffisante. Tu te trompes : il peut aussi se faire sucer. [2,84] (84) Le héros fils de Poeas était efféminé et se laissait faire par les hommes : ainsi, dit-on, Vénus s’était vengée de la blessure reçue par Pâris. Pourquoi le sicilien Sertorius lèche les cons ? Parce que, Rufus, c’est lui qui a tué Eryx. [2,85] 85. A UN AMI. Ami, durant ces jours consacrés à Saturne, Dans sa robe d'osier, de moi reçois une urne Où la neige, de l'eau conserve la fraîcheur, Malgré la canicule et sa brûlante ardeur. Si tu te plains qu'au milieu de décembre Je t'envoie un présent qui ne sert qu'en été, Toi, donne-moi, de ton côté, D'un drap ras et léger une robe de chambre, Je n'accuserai pas l'inopportunité. [2,86] 86. A CLASSICUS. Je ne sais ni briller par des vers rétrogrades, Ni lire à reculons ceux de l'impur Sotades, Et je me ris des Grecs quand j'entends les échos, Pour réponse, à leurs vers, rendre leurs derniers mots. Du délicat Athys, l'énervé galliambe N'a jamais amolli mon mâle dithyrambe ; En suis-je moins poète? en ai-je moins de prix ? Lada, qui de la course obtient toujours le prix Voudrait-il s'abaisser à franchir le Pétaure ? A pâlir sur des riens l'auteur se déshonore ; Sur des futilités l'esprit se rétrécit, Et dans des jeux d'enfants s'épuise et s'amortit. Qu'un autre pour la foule écrive ses ouvrages ; Moi, des seuls connaisseurs je brigue les suffrages. [2,87] (87) Tu prétends que les jolies filles brûlent pour toi, Sextus, alors que tu as le visage de quelqu’un qui nage sous l’eau [2,88] 88. CONTRE MAMERCUS. Tu ne lis jamais rien et te prétends poète ; Soit, pourvu que toujours ta muse soit muette. [2,89] 89. CONTRE GAURUS. Bien avant dans ta nuit tu pousses ta débauche ; Je t'excuse, Gaurus : Caton eut ce travers. Tes vers n'offrent souvent qu'une grossière ébauche ; Passe encore: Cicéron écrivait mal en vers. A l'exemple d'Antoine, au sortir de !a table... Tu m'entends... Grâce à lui, je te crois pardonnable : On te dit fort gourmand; je n'ose te blâmer : De tant d'Apicius tu peux te réclamer ! Mais tu voles au jeu : réponds avec franchise, Pour un vice aussi bas, quel grand nom t'autorise ? [2,90] 90. A QUINTILIEN. O Vous, dont les leçons et les écrits divins Dans la carrière littéraire Dirigent les essais et les pas incertains D'une jeunesse un peu légère, Quintilien, honneur du haut rang consulaire, Pardonnez si, quittant les pénibles travaux, Et renonçant aux biens que l'on envie, J'ai prévenu le temps qui permet le repos, Empressé que j'étais de jouir de la vie. Jamais on ne se hâte assez de la saisir. Que celui-là diffère d'en jouir, Qui veut de ses aïeux accroître l'héritage, Et dans son atrium contemple leur image, Sans songer que la sienne y doit venir un jour, Et peut-être, bientôt, figurer à son tour. Pour moi, que me faut-il ? une case enfumée, Un modeste foyer bien garni de ramée, Une source d'eau vive, un tapis de gazon, Un valet bien dispos qui soigne la maison ; Une épouse illettrée, aimable plus que belle, La nuit un bon sommeil, le jour point de querelle. [2,91] 91. A DOMITIEN CÉSAR. Digne appui de l'empire, honneur de l'univers, Toi dont parmi nous la présence, Des Dieux atteste l'existence, César, si tant de fois me vers Pour charmer tes loisirs à toi se sont offerts, Daigne accorder à ma prière Les droits du Romain trois fois père. La Fortune m'a refusé Le privilège auquel j'ose prétendre ; Par César seul j'en puis âtre favorisé, Et de lui seul aussi je me plais à l'attendre. Si mes vers n'ont pu plaire, eh bien ! de mes regrets Cette faveur deviendra l'allégeance, Et s'ils ont plu, de mon succès Elle sera la récompense. [2,92] 92. REMERCIEMENT A DOMITIEN. Du père de trois fils je briguais l'avantage, Mes travaux, de César l'ont enfin obtenu. Point d'épouse ?... Adieu donc les soucis d'un ménage ! Ton bienfait, ô César! ne sera point perdu. [2,93] (93) "Où est le premier livre, me dis-tu, puisque c’est le second ?" Que faire, si l’autre est plus convenable ? Si tu veux, Régulus, qu’il soit le premier, enlève un iota du titre.