CHAPITRE X. Comment il saut éviter l'humeur noire ou mélancolique. Or voici qui augmente cette humeur noire très dangereuse que ci-dessus nous avons tant détestée. Le vin gros et trouble, même le noir, les viandes dures, sèches, salées, aigres, vieilles, brûlées, rôties ou frites, les chairs de boeuf ou de lièvre, vieil fromage, salures, légumages, principalement les fèves, les lentilles, la mélangienne, la roquette, les choux, la moutarde. Les Latins nomment radicula ou Lanaria , les Grecs g-strouthion, la racinette, les aulx, les oignons, les poreaux, les mûres, les carottes et toutes choses qui échauffent et refroidissent et désèchent ensemble et toutes choses noires. L'ire, la peur, la pitié, la douleur, l'oisiveté, la solitude et tout ce qui offense la vue, le flair et l'ouïe, et plus que tout les ténèbres. Davantage le trop grand désèchement du corps, provenant ou de trop longues veillées ou de grande agitation d'entendement ou de soin ou de l'acte vénérien trop fréquent, et pour trop user de choses chaudes et sèches ou d'un flux et purgation immodérée ou d'exercice laborieux ou de faim, de soif, de chaud, de froid ou de vent trop sec. Or d'autant que l'humeur noire est toujours fort sèche et pareillement froide, non pas du tout tant à cette cause il lui faut résister par choses moyennement chaudes mais fort humides, de viandes bouillies continuellement, qui se puissent cuire et digérer facilement et qui engendrent un sang subtil et très clair. Toutefois cependant il faut avoir égard à l'estomac et à la pituite, aussi bien comme à l'humeur noire, les viandes soient assaisonnées de canelle, de safran, de sandal ou blance. Les graines de pompon et de courge et les noyaux de pommes de pin y profitent. Y conuiennent aussi les chairs des oiseaux, des poulets et des bêtes à quatre pieds encore au lait, les oeufs rnollets principalement, et des mebres des animaux, le cerveau, les pommes douces,poires, persiques, ponpons, prunes de damas et semblables fruits, la coucourde bien cuite et les herbes humides non glueuses. Je ne loue point les cerises, les figues ni les raisins. Mais je déteste grandement la satiété et gloutonnie jusques à contre-coeur. Or n'y a-il rien meilleur à l'encontre de telle peste qu'un vin clair pur, léger, doux, odoreux fort propre pour engendrer des esprits plus clairs et luisants que les autres. Car, comme veulent Platon et Aristote, par ce vin l'humeur noire s'amollit, s'adoucit et s'éclaircit, non autrement que les lupins trempés en eau ou le fer embrasé de flammes. Mais tout autant que son visage profite aux esprits et à l'entendement, autant l'abus en nuit. Davantage verser de l'or ou de l'argent fort embrasê et leurs feuillages en la boisson ou au brouet et potage ; il est bien probable que cela profite et boire en vase d'or ou d'argent et y prendre ses viandes. En outre c'est chose fort utile à estomac vide et à jeûn d'avaler du suc de réglisse et même du suc de la grenade douce et de la douce orange. Y profitent aussi beaucoup les fortes odeurs même les ternpérées et celles qui déclinent à la chaleur, si le froid domine, ou bien tendantes à froideur si le chaud obtient le dessus. Il convient donc de les tempérer de roses, violettes, myrte, canfre, blance ou sandal, eau rose, qui sont toutes choses froides. Et aussi de canelle, citron d'orange, clous de girolle, menthe, mélisse, safran, bois d'aloës, d'ambre, de musc, qui sont choses chaudes. Surtout les fleurs du printemps y profitent et les feuilles de citron ou d'orange et les pommes bien flairantes, rnême celles qui ont le flair de vin. Telles odeurs, ainsi qu'il est à chacun convenable, se doivent humer par les narines et être mises sur la poitrine et l'estomac. Mais nous n'approuvons point les odeurs fort chaudes et sèches, si elles sont seules et continuelles. Il faut tenir en sa bouche de l'hyacinthe, qui réjouit grandement le coeur. Aussi l'hierobotane, c'est a dire l'éclaire sauvage, profite tant en viande qu'en odeur. Aussi fait la buglosse, la bourrache, la mélisse, l'eau de toutes les trois. Si fait la laitue, l'endive, le raisin sec, le lait d'amendes, qui doivent être familiers et communs aux tables. Il faut éviter l'air ou trop chaud ou trop glacial, ou nuageux et trouble mais il faut recevoir librement et ouvertement l'air tempéré et serein. Mercure Trismégiste, Pythagore et Platon commandent de composer et rasséréner l'âme discordante ou triste avec le son de la harpe et le chant, non moins constant que bien accordé, et en même temps de l'élever. Et David poète sacré par son psaltérion et ses psaumes délivrait Saul de sa manie. Et rnoi-même (s'il est permis de comparer les plus petits aux plus grands) j'éprouve souvent à la maison combien vaut la douceur de la lyre et du chant contre l'amertume de la mélancolie. Nous louons le fréquent regard d'une eau claire et nette, la couleur verte et rouge, l'usage des jardins et des forêts, la déambulation le long des fleuves et à travers les prés plaisants et délicieux. Nous approuvons aussi grandement d'aller à cheval, se faire porter en coche, ou en bâteau tout doucement sans violence, et surtout la varieté, les faciles occupations et les affaires diverses non ennuyeuses, et l'assidue compagnie des hommes gracieux.