[1,7] CHAPITRE 7 Qu'il y a cinq principaux ennemis des hommes studieux, la pituite, l'humeur noire, l'acte vénérien, la satiété, le sommeil du matin. Et afin que nous retournions d'où nous nous sommes bien fort éloignés, la voie est très longue qui conduit à la vérité et à la sapience et pleine de griefs labeurs, tant par terre que par mer. Donc tous ceux, qui entrent en tel chemin, comme dirait quelque poète, sont souvent en danger et par mer et par terre. Car soit qu'ils sillonnent la mer, continuellement ils sont jetés entre les flots, c'est-à-dire entre deux humeurs à savoir entre la pituite et cette mélancolie nuisante, comme entre Scylla et Charybde. Et soit (par manière de dire) qu'ils cheminent par terre, soudain trois monstres se présentent devant eux. Premièrement la terrestre Venus, secondement Bacchus et Cérès, tiercement la nuitalle Hécate s'oppose souvent à eux. Donc souvent il faut réclamer du ciel Apollon, de la mer Neptune et Hercule de la terre, afin qu'Apollon perce de ses sagettes, Neptune dompte de son trident, et Hercule écache et brise de sa massue tels monstres ennemis de Pallas. Le premier monstre est l'acte Vénérien, même s'il excède tant soit peu les forces naturelles, car tout soudain il épuise les esprits, principalement les plus subtils, débilite le cerveau, et endommage l'estomac et les parties nobles, qui et le mal le plus contraire qui puisse arriver à l'entendement. Pourquoi, je vous prie, a jugé Hippocrate l'acte Vénérien être semblable au mal caduc? sinon d'autant qu'il étonne la pensée, qui est sacrée et lui porte telle nuisance qu'Avicenne a dit au livre des Animaux : "Si en l'acte Vénérien il s'écoule plus de semence que nature ne porterait, il nuit d'avantage que s'il s'était écoulé quarante fois autant de sang, de sorte que non sans cause les Antiques ont voulu que les Muses et Minerve fussent Vierges". A quoi tend ce dire de Platon : "Comme Vénus menaçait les Muses, si elles n'honoraient les sacrifices Vénériens, qu'elle armerait à l'encontre d'elles son fils Cupidon; les Muses répondirent à Mars : ô Vénus, tu dois faire telles menaces car contre nous ton Cupidon ne vole". En somme la nature n'a éloigné nul des sens plus loin de l'intelligence que le sens du touchement. Le second monstre est la satiété du vin et de la viande. Car si le vin est ou trop abondant ou trop chaud et véhément, il remplira la tête d'humeurs et de fort mauvaises fumées. Je me passe de dire que l'ivrognerie rend les hommes insensés et le trop de viande premièrement retire toute la force de nature à l'estomac pour la cuire et digérer, dont il advient qu'elle ne peut ensemblement entendre à la tête et à la contemplation. Puis étant mal cuite par plusieurs humeurs et vapeurs grossières, elle rebouche la pointe de l'entendement. Et encore qu'elle fut assez bien cuite, toutefois, comme dit Galien, l'âme étant suffoquée de graisse et de sang, ne peut bien voir rien de céleste. Le tiers monstre enfin, c'est de veiller bien tard la nuit, même souvent après souper, de sorte qu'après le lever du Soleil, vous soyez contraint de dormir. Et d'autant qu'en ce point plusieurs hommes studieux errent et se trompent beaucoup, à cette cause je tâcherai d'exprimer plus amplement combien cela nuit à l'entendement et en amènerai sept raisons principales. La première du ciel, la seconde des éléments, la tierce des humeurs, la quarte de l'ordre des choses: la cinquième de la nature de l'estomac, la sixième des esprits et la septième tirée de la fantaisie. En premier lieu il y a trois planètes, comme nous disions ci-dessus, qui favorisent grandement à la contemplation et à l'éloquence, à savoir le Soleil, Vénus et Mercure. Or ceux-ci, courants ensemble presque d'un pas égal, la nuit venant se reculent de nous et le jour s'approchant ou se levant, elles remontent et nous viennent revoir. Et après le lever du Soleil sont mises incontinent en la douzième maison du ciel, qui par les astronomes est assignée à la prison et aux ténèbres. Donc ce ne sont pas ceux qui étudient de nuit, quand ces planètes nous fuient ou de jour après le lever du Soleil, quand ils entrent en prison et en la maison des ténèbres, mais lorsqu'ils approchent là fort près du Levant ou bien qu'ils se lèvent déjà sur l'horizon, les hommes qui se lèvent aussi pour contempler ou écrire, ceux là seuls contempleront très subtilement et écriront et composeront très éloquemment leurs inventions. La seconde raison tirée des éléments est telle. Le Soleil se levant l'air est mu et devient plus subtil et clair, et se couchant devient tout le contraire. Or le sang et les esprits sont nécessairement contraints de suivre le mouvement et la qualité de l'air qui les environne et qui leur est semblable par nature. La tierce raison, qui est tirée des humeurs, est telle : à l'aube du jour le sang esi mu et est en vigueur, et par le mouvement devient plus subtil, chaud et clair, et les esprits ont de coutume de suivre et d'imiter le sang. Mais quand vient la nuit, alors la mélancolie plus grosse et plus froide et la pituite dominent, lesquelles sans point de doute rendent les esprits sort ineptes à la contemplation. La quatrième raison, qui est empruntée de l'ordre des choses, est celle-ci. Le jour à la veille, la nuit au sommeil est attribué. Car lorsque le soleil s'approche de notre demi-rond ou qu'il chemine là dessus, il ouvre par ses rayons les conduits du corps et dilate les humeurs et les esprits du centre à la circonférence : ce qui excite à la veille et conduit aux actions. Au contraire, quand il se retire, toutes choses se resserrent, ce qui par un certain ordre naturel invite au sommeil, même après la tierce ou quatrième partie de la nuir. Donc quiconque sommeille au matin, lorsque le Soleil et le monde s'éveillent, et qui veille bien tard la nuit, lorsque la nature commande qu'on se repose des labeurs, celui-là sans point de doute répugne tant à l'ordre de univers qu'à soi-même, tandis que de mouvements par ensemble contraires il se sent et troubler et distraire. Car tandis qu'il est mu de l'univers au dehors, il se meut lui-même au dedans. Et au contraire quand de l'univers il est tiré au dedans, lui cependant se retire au dehors. Donc tant le corps total que les esprits et l'entendement par ordre pervertis et mouvements tous contraires se sent empirer et endommager. En cinquième lieu de la nature de l'estomac nous argumentons en cette manière. L'estomac, par la continuelle action de l'air journalier les pores ouverts, est grandement dilaté et enfin les esprits s'envolant se sent grandement débilité. Donc la nuit venant il requiert une nouvelle abondance d'esprits par laquelle il puisse être réchauffé et conforté, à cette cause quiconque en tel temps commence et entreprend de longues et difficiles contemplations, il s'efforce et retirer les esprits à la tête. Et ici distraits ne suffisent ni à l'estomac ni au chef. Et principalement cela nuit, si, après souper composant, nous travaillons longtemps après tels études plus attentivement qu'il n'est requis. Car alors l'estomac a besoin de plus d'esprits et de beaucoup de chaleur pour cuire et digérer la viande. Or l'un et l'autre, à savoir les esprits et la chaleur, par telle composition et étude se retirent à la tête d'où il advient qu'ils ne satisfont ni au cerveau ni à l'estomac. Ajoutez que le chef pour tel mouvement est rempli des plus grosses vapeurs de la viande et la viande en l'estomac dégarnie de chaleur et d'esprit devient crue et pourrie et pourtant derechef remplit et offense la tête. Finalement aux heures du matin quand il se faut lever afin que tous les membres soient purgés de tous les excréments retenus par le dormir, alors, ce qui et le pire, celui qui en composant la nuit avait du tout interrompu la digestion, lui même dormant le matin est contraint d'empêcher plus longtemps la vidange des excréments. Ce que tous les médecins jugent porter fort grade nuisance tant à l'esprit qu'au corps. A bon droit donc ceux qui contre nature font de la nuit le jour, et au contraire, du jour la nuit, ainsi que les hiboux et chevêches, eux aussi imitent en ce point les chats-huants, que, comme les yeux de ceux là s'éblouissent à la lumière du Soleil, ni plus ni moins à ceux-ci s'émousse la pointe de l'entendement à la splendeur de vérité. En sixième lieu, le même se prouve par les esprits en cette manière Tous les esprits, même les plus subtils, par longue agitation sont en fin dissouts et évanouis. Donc la nuit il en reste bien peu qui sont grossiers et du tout ineptes à l'étude des lettres, de sorte que l'esprit ne peut non plus voler avec ces ailes émanquées que les chauves-souris et les hiboux. Au contraire du matin après le dormir les esprits sont recréés et les membres tellement renforcés qu'ils n'ont besoin que de bien peu d'aide des esprits, et y a beaucoup d'esprits subtils qui servent au cerveau et le peuvent plus promptement secourir comme étant bien empêchés à réchauffer et gouverner les membres. Finalement la septième raison est ainsi tirée de la nature de la fantaisie. La fantaisie, l'imagination, appréhension, ou de quelconque autre nom qu'on la veuille appeler, est distraite et troublée de plusieurs images contraires en veillant et de longs pansements et soucis. Laquelle distraction et perturbation est par trop contraire à la contemplation suivante, qui du tout requiert une tranquille et sereine pensée. Et par le seul repos de la nuit telle agitation est en fin apaisée et rassérénée. Donc la nuit venant toujours l'entendement est troublé, mais elle se retirant presque toujours d'entendement tranquille nous nous pouvons donner à l'étude des lettres. Mais tous ceux qui de pensée trop agitée s'efforcent de faire jugement des choses, non autrement que ceux qui ayant l'esprit confus et pirouettant, ils estiment que tout tourne (comme dit Platon ) bien que seuls ils soient tournés et pirouettés. Par quoi sagement Aristote aux Économiques commande qu'on se lève avant le jour et assure que cela profite beaucoup tant pour la santé du corps que pour l'étude de la Philosophie, Ce que toutefois il faut prendre en sorte que par un prompt et petit souper nous évitions diligemment la crudité et indigestion du matin. En somme le sacré prophète et poète David trompe du Dieu tout puissant, ne dit jamais qu'au soir, ainsi que toujours au matin au fin point du jour il te levait pour chanter et célébrer Dieu sur sa harpe et en ses hymnes et cantiques. Certainement à telle heure mous nous devons du tout lever de l'entendement puis incontinent du corps, voire si cela se peut faire commodément.