[0] XXIII. PLAIDOYER CONTRE PANCLÉON. (1) Je ne pourrais, Athéniens, m'étendre sur cette affaire, et je ne pense pas que je le doive. Je vais tâcher de vous prouver que Pancléon n'est pas Platéen, et que c'est avec justice que je l'ai cité à votre tribunal. (2) Comme il ne cessait depuis longtemps de me nuire, je vins à la boutique de soulon où il travaillait, et je le sommai de comparaître devant le polémarque en qualité d'étranger. Sur ce qu'il me dit qu'il était Platéen, je lui demandai quel était son bourg ; et d'après le conseil d'un de ceux qui m'accompagnaient, je me disposais à le citer devant sa tribu à laquelle il se dirait appartenir : lors donc qu'il m'eut dit qu'il était du bourg de Décélée, je le citai devant les juges de la tribu Hippothoontide, (3) et je vins à une boutique de barbier, auprès des Hermès, où se rendent les Décéléens. Je m'informais partout s'il y avait des gens du bourg de Décélée, et tous les Décéléens que je trouvais, je leur demandais s'ils connaissaient dans leur bourg un nommé Pancléon : tous me dirent que non. Je savais qu'on lui avait déjà intenté devant le polémarque d'autres procès qui étaient encore pendants ou qu'il avait perdus, je l'attaquai donc moi-même. (4) Je vais produire pour témoins d'abord ceux des Décéléens que j'ai interrogés, ensuite tous ceux qui sont présents parmi les citoyens qui l'ont poursuivi devant le polémarque, et qui ont obtenu sentence contre lui. Greffier, arrêtez l'eau, et faites paraître les témoins. Les témoins paraissent. (5) Tels sont les motifs qui m'ont engagé à citer Pancleon devant le polémarque. Comme il m'opposait une fin de non-recevoir, moi qui avais fort à cœur de paraître moins vouloir l'outrager que chercher à me venger de ses injures, je joignis d'abord Euthycrite que je savais être le plus âgé et le mieux instruit des Platéens, je lui demandai s'il connaissait un Pancléon, Platéen, fils d'Hipparmodore. (6) Lorsqu'il m'eut répondu qu'il connaissait Hipparmodore, mais qu'il ne lui connaissait pas de fils, ni Pancléon, ni autre, j'interrogeai tous les autres Platéens de ma connaissance. Tous ignoraient le nom de Pancléon ; mais ils me dirent que le moyen le plus sûr de m'instruire du fait, était de me rendre le premier jour du mois à un certain marché, où les Platéens se rassemblaient les premiers jours de chaque mois. (7) Je me rendis donc dans le marché le jour prescrit, et je demandai à tous les Platéens s'ils connaissaient pour leur compatriote un nommé Pancléon. Il n'était connu de personne. Un seul me dit qu'il ne connaissait de ce nom aucun de ses compatriotes, mais qu'il avait un esclave nommé Pancléon qui s'était enfui ; (8) il m'ajouta son âge et son métier. Je vais certifier ce que j'avance, en produisant pour témoins Euthycrite que j'ai d'abord interrogé, tous les autres Platéens que j'ai abordés, et en particulier Nicodème qui s'est dit maître de Pancléon. Greffier, arrêtez l'eau, et faites paraître les témoins. Les témoins paraissent. (9) Quelques jours après, voyant Nicodème emmener Pancléon dont il se disait le maître, je m'approchai, voulant savoir ce que la chose deviendrait. Lorsqu'ils eurent fini de disputer, quelques uns de ceux qui étaient avec Pancléon dirent qu'il avait un frère qui le revendiquerait comme libre. [10] En conséquence, se portant caution pour lui, et s'engageant à le représenter devant les juges, ils prirent le chemin de la place publique. Le lendemain, jaloux d'établir l'action que j'avais intentée, et de détruire la fin de non-recevoir, je crus devoir me présenter avec des témoins. Je voulais connaître celui qui revendiquerait Pancléon comme libre, et la raison dont il s'appuierait. Cependant on ne vit arriver ni le frère ni aucun de ceux qui s'étaient portés cautions. Il n'y avait qu'une femme qui prétendait que Pancléon était son esclave, qui le disputait à Nicodème, (11) et qui ne souffrirait pas, disait-elle, qu'il l'emmenât. Il serait trop long de rapporter ce qui fut dit alors ; ceux qui accompagnaient Pancléon, de concert avec lui, en vinrent à cet excès de violence, que, quoique Nicodème et la femme consentissent à le laisser aller si quelqu'un le revendiquait comme libre ou le disait son esclave ; eux cependant, sans s'autoriser d'aucun de ces deux actes, l'arrachèrent des mains de Nicodème, et se retirèrent. Mais, afin de prouver que la veille on s'était porté caution pour lui, s'engageant à le représenter, et que le lendemain ceux qui l'accompagnaient l'arrachèrent de force des mains de Nicodème, je vais produire des témoins. Greffier, arrêtez l'eau, et faites paraître les témoins. Les témoins paraissent. (12) Il est donc facile de voir que Pancléon lui-même ne se croit pas Platéen, ni même libre. Un homme qui, emmené de force, a mieux aimé exposer ses amis à être accusés de violence, que d'être revendiqué comme libre, suivant les lois, et de faire punir ceux qui l'emmenaient comme esclave, est-il difficile de juger qu'un tel homme se reconnaissait lui-même pour esclave, et qu'il a craint d'exposer ses répondants à subir un procès criminel ? (13) Sans doute, Athéniens, vous voilà maintenant à-peu-près convaincus qu'il s'en faut de beaucoup que Pancléon soit Platéen. Mais lui-même qui devait être instruit de son état, lui-même n'a pas cru que vous le jugeriez Platéen ; c'est ce que vous allez apprendre sans peine par sa conduite. (14) Dans le procès qu'Aristodique lui intenta devant le polémarque, et où il opposait une fin de non-recevoir, un témoin déposait qu'il n'était pas Platéen; s'étant inscrit en faux contre ce témoin, il ne le poursuivit pas, et se laissa condamner par Aristodique. Après avoir différé de payer la somme portée dans la sentence, il paya enfin après s'être accommodé avec la partie adverse. Je vais produire des témoins au soutien de ces faits. Greffier, arrêtez l'eau, et faites paraître les témoins. On fait paraître les témoins. (15) Avant qu'il eût fait cet accommodement, il s'enfuit d'ici par crainte d'Aristodique, et alla s'établir à Thèbes. Or, vous savez, je pense, que, s'il eût été Platéen, il est probable qu'il eût été s'établir partout ailleurs que dans cette ville. Je vais produire des témoins aux fins de prouver qu'il a habité longtemps à Thèbes. Greffier, arrêtez l'eau, et faites paraître les témoins. Les témoins paraissent. (16) Il me semble, Athéniens, qu'il serait inutile d'en dire davantage. Si vous vous rappelez mes raisons, je suis convaincu que vous ferez droit à ma demande, et que vous prononcerez suivant la justice et la vérité.