71. {sans correspondance} 72. Cest ainsi. que saint Paul, après avoir rappelé aux Phi:ippiens que c'est par la foi seule qu'ils sont devenus riches et qu'ils ont tout obtenu, ajoute : "S'il y a quelque consolation en Christ, quelque soulagement dans la charité, quelque communion de l'esprit, rendez ma joie parfaite, en ayant un même sentiment, une même charité, ne faisant rien par vaine gloire et par un esprit de contention, mais vous considérant par humilité comme inférieur aux autres, et ne regardant point chacun à son intérêt particulier, mais à l'intérêt des autres." » 73. Voilà donc la règle de la vie chrétienne telle que l'apôtre l'a établie : Que toutes nos œuvres aient pour but lc bien-être de notre prochain. Puisque par la foi nous avons en abondance tout ce qui nous est nécessaire, le reste, c'est-à-dire l'oeuvre de la vie entière doit se répandre sur notre prochain. et être consacré à son service dans un esprit de bienveillance toute spontanée. 74. Pour donner plus de force à sa recommandation, il nous cite l'exemple de Jésus-Christ : « Ayez, dit-i!, entre vous, les mêmes sentiments qu'a eus Jésus-Christ, lequel étant en forme de Dieu, n'a point regardé comme une usurpation d'être égal à Dieu; mais il s'est anéanti lui-même; ayant pris la forme de serviteur il a été fait semblable à l'homme, et comme tel il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort. » Ceux qui appliquent à la .nature divine et à la nature humaine les expressions de « forme de Dieu », "forme de serviteur," ne comprennent pas le sens de ces paroles apostoliques et obscurcissent l'enseignement salutaire qu'elles nous donnent. Saint Paul veut dire que Christ, bien que jouissant de la plénitude divine, abondant en tous biens, n'ayant besoin ni d'oeuvres, ni de souffrances pour être juste, possédant toutes ces choses dès le commencement, n'a pourtant point été enorgueilli par elles, ne s'est point élevé au-dessus de nous, .ne s'est attribué aucune puissance sur nous; qu il a vécu, au contraire, qu'il a agi, souffert, accepté la mort comme s'il eût été un homme semblable aux autres, comme s'il eût manqué lui-même de tout et qu'il eût été dépouillé de sa divinité ! Et cela il l'a fait uniquement à cause de nous, pour nous servir, et afin que toutes les œuvres qu'il accomplissait sous cette forme de serviteur devinssent nôtres. 75. Le chrétien, comme son Christ, possède toutes choses; lui aussi est en forme de Dieu, et il n'a d'autre tâche que d'augmenter sa foi et de la rendre parfaite. La foi est sa vie, sa justice, son salut; la foi fait de lui une créature aimée de Dieu , qui possède toutes les grâces et accomplit les mêmes actions que son maitre. « Si je vis encore dans ce corps mortel, dit saint Paul, je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé. » Mais, comme son Christ aussi, il se dépouille de sa liberté, il devient un homme comme un autre, il revêt la forme de serviteur, il se met au service de ses frères, il fait à leur égard ce que Jésus-Christ a fait pour lui, et dans toutes ces actions il n'a rien en vue que d'être agréable à Dieu. 76. Dieu, se dit-il, dans sa miséricorde infinie et sans qu'il y eût nul mérite de ma part, m'a donné dans la personne de son Fils, à moi créature indigne et condamnée, toutes les richesses de sa justice, tous les trésors de sa grâce. Rien de manque à ma vie et je n'ai besoin que d'une chose, de la foi qui accepte et qui croit. Comment ne mettrais-je pas maintenant mon coeur et ma vie tout entière au service de Celui qui m'a comblé de si grands bien- faits et n'accomplirais-je pas tout ce qui peut lui être agréable ? Enrichi des dons de Christ, je serai pour mes frères ce qu'il a été pour moi; je consacrerai ma vie à les servir, à travailler à leur bonheur et à leur salut. 77. Voilà comment de cette source de la foi, découlent l'amour et la joie en Dieu. L'amour engendre à son tour une âme libre, heureuse, dévouée, insouciante de la gratitude des hommes et de leur ingratitude, élevée au-dessus de la louange et du blâme, du dommage ou du gain. Elle ne connaît ni ami ni ennemi, ni obligé ni ingrat; elle répand avec bonheur ses bienfaits, elle donne et elle se donne sans calculer. De même que Dieu le Père distribue liberalement ses dons à tous et fait lever son soleil sur les justes et sur les injustes; ses enfants, à son exemple, travaillent, souffrent, font le bien et ne cherchent d'autre récompense que la joie de Christ qui remplit leur coeur. 78. Sitôt que nous reconnaissons, comme le dit l'apôtre saint Pierre , la grandeur et le prix des choses qui nous ont été données, l'esprit met dans nos coeurs la charité. La charité amène la joie, la liberté, la puissance, l'activité elle nous rend victorieux du mal. Et tout en nous soumettant à nos frères, nous n'en sommes pas moins les maîtres du monde. Pour ceux, au contraire, qui méconnaissent cet inestimable bienfait, Christ est né en vain : Ils marchent dans leurs oeuvres et n'arrivent jamais à connaître, à goûter un pareil bonheur. Notre prochain souffre dans son indigence et réclame notre richesse de même que nous, souffrants devant Dieu, nous avons fait appel à sa miséricorde. Le Père céleste nous a délivrés gratuitement par son Christ; allons donc au secours de nos frères et soyons pour eux ce qu'il a été pour nous. C'est ainsi que Christ sera tout en tous, et que nous serons dignes du nom de chrétiens que nous portons. 79. Que la vie chrétienne est donc belle et glorieuse Qui peut en comprendre la beauté et la richesse ! elle possède toutes choses et ne souffre jamais d'indigence; elle est plus forte que le péché, la mort et l'enfer; mais en même temps elle est tout entière au service des autres, pleine de bonté et de sollicitude. Hélas! combien. cette vie est ignorée aujourd'hui ! personne ne la prêche, nul ne la recherche, et nous savons à peine pourquoi nous portons le nom de chrétiens. Nous avons droit à ce titre non parce que nous croyons à un Christ absent, mais parce qu'il habite en nous, et, qu'identifiés à lui par la foi, nous sommes pour notre prochain ce qu'il a été pour nous et lui faisons ce qu'il nous a fait. Mais imbus de toutes ces doctrines humaines quon nous a enseignées, nous ne savons qu'exalter nos oeuvres, nos mérites, et nous avons fait de Christ un juge plus sévère que Moise lui-même. 80. Il y a dans l'histoire de la bienheureuse Vierge Marie un touchant exemple de sa foi. L'évangliste saint Luc rapporte d'elle qu'après la naissance de son Fils, elle se présenta, selon la loi de Moïse, pour être purifiée connue toutes les autres femmes. Elle n'était pourtant point obligée à cette loi, puisqu'elle n'avait nul besoin d'étre purifiée; mais elle s'y soumit volontairement par une admirable condescendance, s'abaissant ainsi au rang des autres femmes qu'elle ne voulait point mépriser. L'observance à laquelle elle se soumit ne la justifiait pas; mais juste, elle s'y soumit librement et par amour. C'est ainsi que nous devons accomplir nos oeuvres, non pour être justifiés, puisque nous le sommes déjà, mais librement et joyeusement par amour pour nos frères.