[41,0] LIVRE XLI. [41,1] I. Les Parthes qui, maîtres aujourd'hui de l'Orient, semblent avoir partagé avec les Romains l'empire du monde, étaient des exilés Scythes : leur nom même atteste cette origine ; car, dans la langue des Scythes, Parthe signifie exilé. Au temps des Assyriens et des Mèdes, ils étaient les plus obscurs entre les peuples de l'Orient. Plus tard même, lorsque l'empire des Mèdes passa aux Perses, ils furent la proie du vainqueur, comme un peuple sans force et sans nom. Enfin les Macédoniens les asservirent dans la conquête de l'Orient. Il faut admirer leur courage, qui les éleva à cette haute puissance, et leur soumit les peuples dont ils avaient été les esclaves. Rome même les attaqua trois fois, à l'époque de sa grandeur, et par ses plus grands capitaines : elle les vit, seuls de tous les peuples, non seulement ses égaux, mais ses vainqueurs. Il y eut, au reste, moins de gloire pour eux à repousser des attaques lointaines qu'à s'élever entre les Assyriens, les Mèdes et les Perses, peuples naguère si fameux, et les mille cités de l'empire de Bactriane, malgré les attaques opiniâtres des Scythes et de leurs voisins, et des guerres sans cesse renaissantes. Chassés de la Scythie par des dissensions domestiques, ils vinrent furtivement s'établir dans les solitudes qui séparaient l'Hyrcarnie, les Dahes, les Ariens, les Spartaniens et les Margiens. Ils reculèrent bientôt leurs frontières, d'abord sans trouver d'obstacles ; et plus tard, malgré les efforts de leurs voisins, ils occupèrent non seulement de vastes plaines et de profondes vallées, mais aussi des hauteurs escarpées et des montagnes fort élevées De là vient que la plus grande partie de leurs pays est ou très chaude, ou très froide ; la neige y couvre les montagnes, et le soleil y dessèche la plaine. [41,2] II. A la chute de l'empire de Macédoine, les Parthes furent gouvernés par des rois. Après la dignité royale, le peuple tient parmi eux le premier rang. Ils tirent de son sein les généraux pour la guerre et les magistrats pour la paix. Leur langue tient le milieu entre celles du Mède et du Scythe ; elle est un mélange de l'une et de l'autre. Leur costume ancien leur était propre ; ils ont adopté, depuis leur puissance, le costume transparent et léger des Mèdes. Leurs armes sont celles des Scythes, leurs ancêtres. Leur armée ne se compose pas d'hommes libres, comme celle de presque tous les peuples : les esclaves en forment la plus grande partie. Le nombre s'en grossit chaque jour, parce que nul ne pouvant les affranchir, tous leurs enfants naissent esclaves. Les Parthes les élèvent comme leurs propres fils, et leur apprennent avec grand soin à monter à cheval et à tirer de l'arc. En temps de guerre, chacun, selon sa fortune, fournit au roi des cavaliers. Enfin lorsqu’Antoine fit une invasion chez eux, des cinquante mille cavaliers qu’ils lui opposèrent, quatre cents seulement étaient hommes libres. Ils ne savent pas combattre en ligne et de près, ni assiéger et prendre les villes. On les voit, dans le combat, tantôt lancer leurs chevaux sur l'ennemi, tantôt fuir à la hâte ; souvent même ils feignent de tourner le dos, pour que l'ennemi, dans sa poursuite, se méfie moins de leurs coups. Le tambour, et non la trompette, est leur signal de bataille. Ils ne peuvent combattre longtemps ; mais ils seraient invincibles, si leur force et leur persévérance répondaient à l'ardeur de leur choc. Souvent, au plus chaud de la mêlée, ils se retirent, et reviennent bientôt de la fuite au combat ; et, à l'instant où'on les croit vaincus, il faut recommencer la lutte. Cavaliers et chevaux sont entièrement bardés de lames de fer, en forme de plumes. Ils n’emploient l'or et l'argent que dans leurs armures. [41,3] III. Pour varier leurs plaisirs, les Parthes ont chacun plusieurs femmes. Nul crime n'est puni par eux plus sévèrement que l'adultère ; ils écartent donc leurs femmes, non seulement des festins, mais des regards même des hommes. La seule chair qu'ils mangent est celle que leur fournit la chasse. On les voit toujours à cheval ; c'est à cheval qu'ils vont à leurs guerres, à leurs festins, à leurs fonctions publiques et à leurs affaires privées ; c'est à cheval qu'ils voyagent, s'arrêtent, trafiquent et conversent. Enfin le signe distinctif entre l'homme libre et l'esclave, est que celui-ci est à pied, et l'autre toujours à cheval. Ils ne connaissent d'autre sépulture que de livrer les morts aux chiens, aux oiseaux de proie : seulement ils enterrent les ossements dépouillés. Tous portent le respect des dieux jusqu'à la superstition. Leur caractère est superbe, séditieux, plein d'impudence et de fourbe ; la violence est à leurs yeux le partage des hommes et la soumission celui des femmes. Toujours remuants ou chez eux ou au dehors, naturellement taciturnes, et plus enclins à agir qu'à parler, ils savent taire également le bien et le mal. Ils obéissent à leur chef, moins par devoir que par crainte. Sobres de nourriture, ardents à la débauche, ils n'observent la foi donnée qu'autant que le veut leur intérêt. [41,4] IV. Lorsqu'à la mort du grand Alexandre, ses successeurs se partageaient l'Orient, le gouvernement des Parthes, dédaigné par tous les Macédoniens, fut donné par eux à l'étranger Stasanor, leur allié. Plus tard, lorsque des guerres civiles divisèrent les chefs macédoniens, on vit les Parthes, avec les autres peuples de la haute Asie, se déclarer pour Eumène ; après sa défaite, ils passèrent à Antigone. Ils obéirent ensuite à Seleucus Nicator, puis à Antiochus et à ses successeurs, jusqu'à Seleucus, arrière-petit-fils de Nicator, contre qui ils se soulevèrent aux temps de la première guerre punique, sous le consulat de L. Manlius Vulson et de M. Attilius Regulus. Cette révolte resta impunie, grâce aux discordes des deux frères, Seleucus et Antiochus, qui, cherchant à se ravir la couronne, négligèrent de les châtier. Dans le même temps, Théodote, gouverneur des mille villes de la Bactriane, se souleva, et prit le titre de roi : tout l'Orient suivit cet exemple et secoua le joug macédonien. Alors parut Arsace, homme d'une naissance obscure, mais d'une valeur éprouvée. Accoutumé à vivre de pillage et de rapine, et ne craignant plus Seleucus, qu'on disait vaincu en Asie par les Gaulois, il attaque les Parthes avec un corps de brigands, surprend et écrase Andragoras leur chef, et saisit l'empire à sa place. Bientôt il envahit l'Hyrcanie ; et, maître ainsi de deux états, il lève une puissante armée, par crainte de Séleucus et du roi des Bactriens Théodote. Mais la mort de ce dernier vient calmer ses inquiétudes ; il s'allia au fils de ce prince, nommé aussi Théodote, et, quelque temps après, ayant livré bataille à Seleucus, qui venait châtier la défection des Parthes, il fut vainqueur. Cette journée fut depuis célébrée par les Parthes, comme l'origine de leur liberté. [41,5] V. De nouveaux troubles rappelèrent Seleucus en Asie, et donnèrent quelque relâche à Arsace ; il constitua le royaume des Parthes, fit des levées, construisit des forts, s'assura des villes, et fit bâtir Dara sur le mont Zapaortenon, le lieu le plus fort et le plus agréable qu’on puisse voir. La place, entourée partout de roches escarpées, n'a nul besoin de défenseurs, et le sol qui l'entoure est assez fécond pour suffire seul à ses besoins. Des sources nombreuses l'arrosent, et les forêts voisines y offrent les plaisirs de la chasse. Arsace, ayant ainsi conquis et fondé son empire, mourut dans un âge avancé, lassant un nom aussi cher aux Parthes que l'est aux Perses celui de Cyrus, aux Macédoniens celui d'Alexandre, aux Romains celui de Romulus. Tel fut le respect des peuples pour sa mémoire, qu'ils ont donné depuis le nom d'Arsace à tous leurs rois. Son fils et son successeur, nommé aussi Arsace, combattit avec un rare courage Antiochus, fils de Séleucus, qui avait cent mille fantassins et vingt mille cavaliers : il devint ensuite l'allié de ce prince. Le troisième roi des Parthes fut Priapatius, appelé encore Arsace ; car, comme je l'ai dit plus haut, les Parthes donnent ce nom à tous leurs rois, comme Rome donne à ses empereurs les noms de César et d'Auguste. Il mourut après quinze ans de règne, laissant deux fils, Mithridate et Phrahate. Celui-ci était l'aîné : selon l'usage du pays, il hérita du sceptre, dompta les Mardes, peuples belliqueux, et mourut bientôt après, laissant plusieurs fils mais il les repoussa de son trône, qu'il aima mieux laisser à son frère Mithridate, guerrier plein de valeur ; pensant qu'il devait plus au titre de roi qu'à celui de père, il mit les intérêts de sa patrie avant ceux de ses enfants. [41,6] VI. Deux grands hommes, Mithridate chez les Parthes, dans la Bactriane Eucratide, montèrent en même temps sur le trône. Les Parthes, secondés par la fortune, parvinrent, sous l'empire de Mithridate, au plus haut degré de puissance ; mais les Bactriens, fatigués par de longues guerres, y perdirent et leur puissance et leur liberté même. Las déjà des coups des Sogdiens, des Drangianiens, des Indiens, ils tombèrent enfin, comme épuisés, devant les Parthes, jusque là plus faibles qu'eux. Cependant la valeur d'Eucratide s'était signalée dans plus d'une guerre : quoiqu'il y eût perdu ses forces, assiégé par Demetrius, roi des Indes, il fit de continuelles sorties, et vainquit, avec trois cents soldats, une armée de soixante mille hommes. Le siège fut levé après cinq mois, et il soumit l'Inde à sa puissance. A sen retour, il fut assassiné dans la route par son fils qu'il avait associé à l'empire ; et qui, sans cacher son parricide, comme s'il eût massacré un ennemi et non un père, souilla de ce sang les roues de son char, et fit jeter le corps sans sépulture. Tel était l'état de la Bactriane, lorsque la guerre éclata entre les Mèdes et les Parthes. Après des succès balancés, la victoire resta enfin aux Parthes. Aidé de ces nouvelles forces, Mithridate donne à Bacasis le gouvernement de la Médie ; lui-même marche contre l'Hyrcanie. A son retour, il fit la guerre au roi des Elymaeens, le vainquit, joignit encore cette contrée à son empire ; et par ces nombreuses conquêtes, il étendit la domination des Parthes du mont Caucase aux rives de l'Euphrate. Alors il tomba malade, et mourut dans une vieillesse glorieuse, ayant égalé son bisaïeul Arsace.