[25,0] LIVRE XXV. [25,1] La paix était rétablie entre les deux rois Antigone et Antiochus, lorsqu'Antigone, rentrant en Macédoine, y trouve un nouvel ennemi. Les Gaulois, que Brennus, en marchant contre la Grèce, avait laissés pour la garde du pays, craignant de paraître seuls oisifs, armèrent quinze mille fantassins et trois mille cavaliers ; vainqueurs des Gètes et des Triballes, prêts à fondre sur la Macédoine, ils envoyèrent au roi des députés pour lui offrir d'acheter la paix, et en même temps pour reconnaître l'état de son camp. Antigone, dans un festin magnifique, déploya à leurs regards tout le faste de la royauté ; éblouis de ces masses énormes d'or et d'argent, excités par l'appât d'un si riche butin, les Gaulois revinrent plus que jamais disposés à la guerre. Espérant effrayer ces barbares par un spectacle nouveau, le roi leur avait fait voir ses éléphants et ses galères chargées de soldats, sans songer que leur montrer ainsi ses forces, c'était leur inspirer plus de cupidité que d'effroi. Aussi les députés, à leur retour, exagèrent à la fois et la richesse et la négligence du roi. Ils annoncent que son camp, rempli d'argent et d'or, n'a ni retranchements ni fossés ; que des exercices militaires y sont inconnus, comme si les richesses étaient un assez puissant rempart, et que l'abondance de l'or rendît le fer inutile. [25,2] Un tel rapport eût suffi pour irriter la cupidité naturelle des Gaulois ; mais ils étaient encore animés par l'exemple de Belgius, qui, peu auparavant, avait taillé en pièces un roi de Macédoine et son armée. Tous conviennent d'attaquer de nuit le camp du roi. Ayant prévu l'orage, il avait ordonné la veille à ses troupes de tout enlever, et de se poster en secret dans un bois voisin. Ce fut en abandonnant son camp qu'il le sauva ; les Gaulois, le trouvant vide, sans défenseurs et même sans gardes, soupçonnèrent un piège plutôt qu'une fuite, et hésitèrent longtemps à y pénétrer. Ils y entrent enfin, et, sans y renverser les retranchements, ils s'occupent plus à reconnaître qu'à piller. Puis, enlevant ce qu'ils trouvent, ils se dirigent vers le port. Là, ils se livrent sans précaution au pillage des navires, et sont surpris, massacrés par les rameurs et une partie de l'armée qui s'y était réfugiée avec les enfants et les femmes. On en fit un tel carnage, que l'éclat de cette victoire assura la paix à Antigone, non seulement avec les Gaulois, mais avec les barbares qui entouraient ses états : Cependant, vers cette époque, on vit les Gaulois, se multipliant sans cesse, inonder l'Asie de leurs innombrables armées. Dès lors les rois d'Orient ne firent aucune guerre sans une armée gauloise à leur solde ; renversés de leur trône, c'est aux Gaulois qu'ils recourent : telle fut la terreur qu'inspira leur nom, tel fut le succès constant de leurs armes, que la valeur gauloise paraissait seule capable de soutenir ou de relever les états, Le roi de Bithynie ayant imploré leur secours, il leur céda après la victoire une partie de son empire ; ils donnèrent à cette contrée le nom de Gallo-Grèce. [25,3] Tel était l'état de l'Asie, lorsque Pyrrhus, battu sur mer en Sicile par les Carthaginois, fait demander des renforts à Antigone, roi de Macédoine ; il annonce que s'il essuie un refus, forcé de rentrer dans son royaume, il fera sur la Macédoine les conquêtes qu'il voulait faire sur les Romains. Sa demanda fut repoussée, et aussitôt, sans découvrir ses desseins, il part à la hâte ; ordonne à ses alliés de se tenir prêts à combattre, laisse à son fils Helenus et à Milon son ami la garde du fort de Tarente. A peine de retour en Épire, il fond sur la Macédoine : Antigone, qui vient le combattre, est vaincu et mis en fuite. Ainsi Pyrrhus se vit maître de la Macédoine, et, se croyant dédommagé, par cette conquête, de la perte de la Sicile et de l'Italie, il rappelle son fils et son ami, qu'il avait laissés à Tarente. Cependant Antigone, tout à coup déchu de ses grandeurs, escorté dans sa fuite par quelques cavaliers, s'était retiré à Thessalonique pour observer les suites de cette révolution, et renouveler la guerre en prenant des Gaulois à sa solde. Mais, vaincu de nouveau par Ptolémée, fils de Pyrrhus, forcé de fuir avec sept compagnons, il renonce à l’espoir de recouvrer sa couronne, et ne songe plus qu'à sauver sa vie, en se cachant, dans des lieux déserts. [25,4] Non content d’embrasser dans une si vaste puissance ce qu'il eût dû à peine atteindre de ses voeux, Pyrrhus méditait la conquête de la Grèce et de l'Asie. L'empire même n’était pas pour lui plus doux que la guerre ; nul ne put jamais résister à ses coups. Mais les royaumes qu'il avait subjugués avec un courage invincible, il les perdait en un instant, toujours plus jaloux d'acquérir que de conserver. Ayant fait passer des troupes dans la Chersonèse, il y reçut les députations d'Athènes ; de l'Achaïe et de Messène. Éblouie par la grandeur de son nom et l'éclat de ses succès contre Rome et Carthage, la Grèce entière l'attendait. Il porta d'abord ses armes contre Sparte, mais il trouva plus de résistance dans le courage des femmes que dans celui des hommes, et perdit son fils Ptolémée avec l'élite de ses troupes. Une multitude de femmes, accourant au secours de leur patrie assiégée, lui firent essuyer une défaite, plus honteuse encore que funeste. Son fils Ptolémée était, dit-on, si audacieux et si brave, qu'avec soixante soldats il's'était emparé de Corcyre. Dans un combat naval, on l’avait vu, avec sept hommes, s'élancer d'un esquif sur un vaisseau, s'en emparer et en rester maître ; et, au siège de Sparte, il poussa son cheval jusqu'au milieu de la ville, où il périt accablé par le nombre. On prétend que Pyrrhus, lorsqu'on lui rapporta le corps de son fils, dit qu'il avait vécu plus que ne l'espérait son père, et que ne le méritait sa témérité. [25,5] Repoussé de Sparte, Pyrrhus se dirige vers Argos : il essaie d'y forcer Antigone, qui s'était renfermé dans la ville ; mais, en combattant avec valeur au milieu de la plus épaisse mêlée, il tombe frappé d'une pierre qu'on lui lance du haut des murailles. Sa tête fut portée à Antigone, qui, usant noblement de sa victoire, rendit la liberté à Helenus et aux Epirotes tombés en sa puissance, et le renvoya dans sa patrie, avec les restes non ensevelis de son père. Tous les auteurs s'accordent à dire que ni dans ce siècle, ni dans ceux qui précédèrent, il ne parut de prince comparable à Pyrrhus, et que rarement on trouva, non seulement parmi les rois, mais parmi les hommes illustres, l'exemple d'une vie plus pure ou d'une probité plus sévère. Tels furent surtout ses talents militaires, que les plus grands monarques, Lysimaque, Demetrius, Antigone, ne réussirent point à le vaincre ; que dans ses guerres d'Illyrie ou de Sicile, contre Rome ou contre Carthage, il ne fut jamais battu, et resta souvent victorieux : qu'enfin sa patrie, jusqu'alors faible et obscure, fut illustrée dans l'univers par la grandeur de ses exploits, et par la gloire de son nom.