[0] L'ÉPITHALAME. [1] L'Heure suavelette et voluptueuse, l'heure des blandices, de la grâce, du rire, l'heure des délices, des jeux, des murmures, l'heure des baisers, d'un sort qui nous égale aux dieux et à Jupiter, l'heure telle que n'en pourraient promettre de plus heureuse ni la sainte déesse du Cnide ni celui qui, porteur d'un carquois, parcourt le monde, mêlant aux peines les joies délicieuses, Cupidon splendide aux ailes d'or, ni la Sceur présidant-aux-mariages du grand dieu du Tonnerre, ni l'Hymen, hôte cueilleur des fleurs de la roche mélodieuse, qui, ravissant au giron tenace des mères les pucelles en fleur, les fait ployer sous l'avide étreinte d'un amant, cette heure est arrivée enfin, dans la série qui tourne au haut du ciel. O heureux jeune homme, pucelle heureuse! Heureux jeune homme, qui vas voir reposer en tes deux bras ton flambant désir, cette pucelle comblée d'une beauté céleste, que souhaiteraient la grande Vénus et Junon et Pallas au casque martial sortie resplendissante de la tête divine, si ces déesses décidaient ensemble de revenir aux vallées ombreuses de l'Ida verdoyant, pour s'offrir à la vue l'une après l'autre et pour qu'enorgueillie d'un jugement quelconque la victorieuse rem- porte dans sa demeure astrale une pomme un peu dorée. O heureux jeune homme, pucelle heureuse! Heureuse fiancée, qui vas voir, étendu dans ta couche comblée, l'ardent objet de ton désir entourer ton col de l'étreinte de ses bras, ce jeunehomme charmant à la beauté insigne, qui, pâmé à tes lèvres roses, à tes tétins neigeux, à ta chevelure brillante, et vaincu par ton regard éloquent, depuis longtemps en proie à un feu secret, maudit sans cesse la paresse du soleil, et gourmande sans cesse le retard de la lune. O heureux jeune homme, pucelle heureuse! Fiancé bouillant de voeux, renonce aux voeux, et laisse les soupirs, laisse les plaintes; le Temps suave va vite : la douce Vénus entend les gémissements des siens; le dieu du Cynthe voile son visage, il le voile, et, se baignant au gouffre Ibérique, il cède la place à sa Soeur errante de la nuit. Et là où ne reluit pas le feu de la lune, si agréable aux âmes unies d'un doux amour, voici que montre sa tête et qu'étincelle au ciel Hespérus, conducteur de la troupe dorée. O heureux jeune homme, pucelle heureuse! Bientôt une vierge entrera dans la chambre, d'où il te sied, mari, de faire en sorte qu'elle ne revienne pas vierge. Bientôt une vierge placée sur un lit neigeux désirera ton approche, et tremblera, les joues recouvertes d'une rougeur ingénue : il est possible que son visage se mouille de larmes, qu'elle exhale des soupirs et des plaintes. Mais toi, sans t'arrêter à rien, tu mettras fin aux plaintes, aux soupirs et aux larmes, en essuyant ses yeux avec ta bouche lu, en répondant par un doux murmure à ses plaintes et paroles. O heureux jeune homme, pucelle heureuse! Donc, quand le lit heureux réchauffera les membres si blancs de la jolie vierge, ses membres prêts au languissant sommeil, et qu'il te réchauffera toi aussi placé dans cette couche douce, Dioné comblée te mettra au-dessus des rois vêtus de pourpre, au-dessus de Jupiter; mû d'une juste chaleur, tu commenceras à te préparer aux luttes pleines de mignardises, à te préparer à la lutte tendrelette; signes favorables d'une guerre non sanglante, tu lui mettras hardiment mille baisers çà et là, un grand nombre sur le cou, un grand nombre sur les joues, plus encore sur les lèvres, plus encore sur les yeux. Elle se défendra, elle te traitera de méchant, elle dira : « Assez ! » d'une voix tremblante, elle écartera avec sa main tes lèvres hardies, elle repoussera avec sa main ta main hardie. O nuit trois fois, et plus encore, comblée ! Qu'elle lutte vaillamment, qu'elle lutte ! les tendres Amours veulent se repaître de lutte; ton ardeur, par la lutte redoublée, te procurera de nouvelles forces pour combattre; sur son cou blanc, sur cette gorge qui rivalise d'éclat avec l'ivoire, sur ses jambes tendrelettes, sur son ventre et les parties voisines, déploie d'un saut agile une main salace, et poses-y autant de milliers de baisers que le ciel contiendra de feux rutilants. O nuit quatre fois et quatre fois comblée ! Ne t'abstiens ni des paroles mignardes, ni de tous les mots adroits qui font plaisir, ni de ces suaves chuchotements accompagnés de murmures pareils à ceux que répandent les feuillages quand le Zéphyr langoureusement y sonne, pareils au chant qu'exhale la colombe, au chant qu'exhale d'une bouche expirante le cygne chargé d'années, jusqu'au moment où vaincue par les puis- santes flèches et le feu secret de l'Enfant volant, de moins en moins sévère peu à peu, elle renoncera dans le lit à sa pudeur pourprée, en abandonnant son cou à tes bras doux-serrants126, en étreignant ton cou de ses bras doux-serrants. O nuit quatre fois, quatre fois comblée! Alors, alors tu prendras de délicieux baisers, qui, n'étant plus souillés par nulles rapines, vous joindront l'un à l'autre en une mutuelle étreinte. Alors la vierge te rendra jeux pour jeux, délices pour délices, et offrant sa bouche désireuse à ta bouche ardemment avide, elle comblera d'un baiser profond ton désir de son âme brûlante. Puis jouant bientôt à un jeu plus voluptueux encore, elle te dira des mignardises plus suaves, elle étendra des doigts plus libertins, elle inventera des privautés plus salaces. O nuit par trop et par trop comblée! C'est qu'alors il faut apprêter tes armes, c'est alors que Vénus et Cupidon t'appellent aux armes. C'est alors qu'il faut te ruer aux blessures charmantes. Porte çà et là cette lance agile, qu'à coups répétés agite dans sa fureur non point la sueur de Mars, mais l'amie de Mars toujours réjouie d'une blessure neuve, Cypris. Point de repos pour les flancs à l'ouvrage. point de repos pour les souples hanches, jusqu'au moment où la voix essoufflée défaille, où la moelle défaille, où les membres s'alanguissent, tandis que, l'un et l'autre en moiteur, les amants suent des ondes de mutuelle liqueur. O nuit par trop, par trop comblée! Suez donc comme il vous plaît lu, et consumez la longueur des jours et des nuits dans des jeux effrénés; et donnez-vous bientôt de doux enfants et une longue file de calins petits-enfants, dont la troupe menue allègera plus tard les années soucieuses de votre vieillesse, écartera de votre couche les plaintives douleurs, réchauffera les membres tremblants de vos êtres languissants, et élèvera un tombeau à ses parents chéris. O heureux jeune homme, pucelle heureuse!