[1,31] Mais cette faute du pape Léon, par rapport à la dispensation des dignités ecclésiastiques, fut suivie d'une autre bien plus grande et bien plus dangereuse dans ses conséquences. Comme ce pontife se croyait naturellement tout permis, il se laissa aisément entraîner aux conseils du cardinal Laurent Pucci, homme vif et brouillon, qui avait beaucoup de crédit sur son esprit, et qui lui persuada que pour subvenir à ses dépenses excessives, il devait proposer par une bulle, des indulgences à toute la Chrétienté, et promettre à tous les fidèles la rémission de leurs péchés et la vie éternelle, qui ne leur coûterait qu'une certaine somme d'argent, mesurée sur le nombre et la grandeur des péchés. On marqua dans chaque pays les lieux, où l'argent qui proviendrait de cet étrange commerce, serait porté et remis à des receveurs établis à cet effet. On choisit en même temps d'habiles écrivains, des prédicateurs éloquents, qui furent chargés de peindre aux yeux du peuple les grands avantages de cette libéralité du Saint Siège et d'en exagérer l'utile efficacité par de pompeux discours. Or les ministres du pape se comportèrent dans leurs emplois d'une manière scandaleuse et particulièrement en Allemagne, où cette espèce d'impôt avait été mis en parti et où les traitants consumaient dans le jeu et dans le libertinage le produit des indulgences et par un sacrilège abus faisaient servir aux plus infâmes débauches le pouvoir de délivrer les âmes du purgatoire. Alors parut le célèbre Martin Luther, de l'Ordre des Augustins, professeur en théologie dans l'Université de Wittemberg en Saxe, qui ayant d'abord refusé les discours des prédicateurs, traita ensuite de superstition le système des indulgences et attaqua l'autorité que le pape dans sa Bulle s'attribuait en cette matière ; sur quoi les esprits s'étant échauffés dans l'ardeur des disputes, Luther en vint jusqu'à examiner la doctrine établie dans l'église, et altérée, selon lui, par l'ignorance et l'erreur. Mais nous en parlerons plus au long dans la suite. [1,32] En ce temps-là mourut Ferdinand roi d'Espagne, prince également prudent et heureux, à qui il semble qu'on ne peut rien reprocher que la mauvaise foi, qu'il colora souvent du prétexte spécieux de la religion, et qu'il employa avec beaucoup d'adresse pour satisfaire son ambition démesurée et la passion qu'il avait de faire des conquêtes. Toutes ses couronnes étant échues par sa mort à Charles d'Autriche, son petit-fils, la paix, fut confirmée entre François et lui par le traité de Noyon, contre l'avis du pape Léon et de l'empereur Maximilien, aïeul de Charles. On songea alors à marier ce jeune prince avec Madame Renée, fille du feu roi Louis XII, quand elle serait en âge, et on fit espérer pax cette alliance la restitution de la Navarre. L'Empereur fit ensuite la paix avec la France et les Vénitiens, à qui le roi remit Vérone, qui s'était enfin rendue à Lautrec, après une longue guerre qui avait beaucoup coûté. Car dans les huit années qui s'écoulèrent depuis la paix de Cambrai jusqu'à l'année 1517, on dépensa cinq millions d'écus d'or, comme les comptes rendus le firent voir dans la suite. Le traité des Français avec les Suisses fut confirmé cette même année; et Galeas Visconti nous servit en cette occasion avec autant de zèle, qu'il nous avait jusque-là témoigné de haine, Alors l'Italie, étant délivrée de tous les princes étrangers, qui y avaient porté la guerre, Léon attaqua le duché d'Urbin. Ce pape qui brûlait du désir d'agrandir sa maison, après avoir excommunié François-Marie duc d'Urbin, lui fit la guerre, et obligea l'empereur et le roi, qui avaient taché vainement de le détourner de cette entreprise, de lui fournir quelques troupes. Mais Julien, son frère, n'ayant pas réussi, le Saint Père s'accorda avec le duc, par l'entremise de Hugues de Monco de vice-roi de Sicile. [1,33] Cependant Luther commençait à faire beaucoup de bruit en Allemagne, et un grand nombre de princes, de seigneurs et de personnes du premier mérite se déclaraient ouvertement pour lui contre le Pape, qui, au lieu de châtier l'audace et l'effronterie des commis de sa ferme des indulgences, n'y apportait pour tout remède que des ménaces et des censures contre ceux qui les décréditaient; en sorte qu'il irrita le mal au lieu de le guérir. Se mettant même assez peu en peine de ce qui se passait en Allemagne, il ne parut allumé que des menaces des Turcs. Selim II, leur empereur, après avoir empoisonné son père, fait mourir ses frères et ses neveux, après avoir tué le roi des Amulites en Arménie et vaincu Ismaël, sophi de Perse, s'était emparé de la ville de Tauris, avait battu Campson, sultan de Syrie, sur les bords du fleuve Singa et avait réduit tout son royaume sous sa puissance ; il avait enfin pris le grand Caire, capitale d'Égypte, et aboli l'empire des Mamelus, dont il avait fait pendre le roi Tonombei. Après de si grands exploits en Orient, il était vraisemblable que ce conquérant allait tourner ses armes du côté de l'Europe. On employa donc toute l'année 1518 à lever des troupes pour s'opposer aux Turcs et tous les princes chrétiens parurent s'y intéresser: Mais la mort de Selim arrivée alors et le caractère de Soliman II, son fils et son successeur, qui semblait moins féroce et moins belliqueux, calma un peu les alarmes du pape et de la chrétienté. Le Saint Père reprit donc ses premiers desseins et se lia plus étroitement avec le roi de France, qui procura le mariage de Laurent de Médicis, neveu de sa Sainteté, avec Magdelaine de la Tour, comtesse de Boulogne et d'Auvergne, dont naquit Catherine de Médicis, mariée à Henri, duc d'Orléans, qui fut depuis le roi Henri II. Laurent vint en France et par reconnaissance de l'honneur qu'il recevait, il y apporta un bref de son oncle, qui, se montrant libéral du bien d'autrui, permettait au roi de faire l'usage qui lui plairait, de l'argent qu'on avait levé sur les revenus ecclésiastiques pour la guerre contre les Turcs. [1,34] Cependant l'empereur Maximilien accablé de vieillesse voulant se donner un successeur, tint pour la dernière fois la diète à Augsbourg ; il y recommanda aux électeurs, Charles, son petit-fils, et les pria instamment de l'élire roi des Romains. Mais il ne put y réussir et s'en retournant en Autriche, il mourut en chemin à Lintz, le 12 de Janvier de l'année 1519. François et Charles, qui depuis la mort de Ferdinand portait le nom de roi catholique, devinrent rivaux pour l'empire. L'archevêque de Mayence soutenait le parti de Charles et le marquis de Brandebourg, secondé de l'archevêque de Trèves, soutenait celui de François. Charles l'emporta et fut élu roi de Romains, parce qu'il était né Allemand et qu'il faisait son séjour en Allemagne. L'archevêque de Trèves se récria en vain et prédit inutilement les maux que cettte funeste élection causerait un jour au corps Germanique. L'événement a justifié sa prédiction. Il passa alors pour constant que les suffrages avaient été achetés et on reprocha beaucoup aux sept électeurs d'avoir reçu des sommes considérables de la part des deux concurrents, surtout des ministres de François, et de n'avoir pas plutôt élu quelqu'un de leur collège. Car l'intention de François était moins d'attirer à lui les suffrages que de les enlever à Charles, dont on redoutait avec raison la puissance, et de faire élire quelque électeur ou quelqu'autre prince d'Allemagne. Ayant dessein de reconquérir le royaume de Naples et de rétablir Henri d'Albret dans celui de Navarre, il prévoyait que le pape, dont l'autorité et le secours lui étaient nécessaires pour cette entreprise, au lieu de le seconder, suivrait la légèreté de son esprit et la bassesse de son coeur, qui l'entraînaient d'ordinaire dans le parti que la fortune favorisait d'avantage. D'ailleurs il ne doutait pas que Charles, jeune prince de grande espérance, se voyant dans un si haut point de puissance et de force, ne voulût recouvrer la Bourgogne, qu'il se plaignait depuis longtemps que Louis XI eût enlevé à Marie son aïeule et qu'il ne fit tous ses efforts pour chasser les Français du Milanais, où il prétendait que le roi, à qui il n'en avait point donné l'investiture, n'avait d'autre droit que celui qu'il avait acquis par le succès de ses armes. De plus, la haine ancienne et implacable de la maison de Bourgogne à l'égard du duc de Gueldres, qui était alors Charles d'Egmond, protégé par le roi en dépit de Charles, faisait juger que ces deux jeunes monarques, jaloux l'un de l'autre, et ayant plusieurs sujets particuliers de se haïr, se feraient bientôt la guerre. [1,35] François ne fut point trompé dans son opinion. Car Léon X, ayant excommunié Luther et approuvé l'élection de Charles, contraire à une clause de l'acte d'investiture du royaume de Naples, ce prince ne manqua pas, pour complaire au pape, de se déclarer contre la doctrine de Luther, dans la diète qui fut tenue l'année suivante à Worms, et de se liguer en même-temps avec ce pontife, pour chasser les Français de l'état de Milan et de toute l'Italie. Laurent de Médicis, qui semblait être le lien de l'union du pape et du roi, était mort. Déjà Lautrec, gouverneur du Milanais pour le roi, informé des desseins de Léon, avait tellement réglé le gouvernement ecclésiastique dans cet état que tout se rapportait à l'évêque de Tarbes, sans avoir aucunement recours à l'autorité du saint siège. Léon en fut si irrité, que quoiqu'il souhaitât avec ardeur de recouvrer Parme et Plaisance, dont les Français étaient les maîtres et de déposséder du Duché de Ferrare Alfonse d'Est, à qui il avait même tâché d'ôter la vie par trahison, il n'omit rien pour allumer la guerre en Italie, sans se souvenir que peu de temps auparavant il avait exhorté tous les princes chrétiens à l'union et à la paix. On marcha d'abord à Milan, parce que Léon haïssait extrêmement Lautrec et que Charles avait bien envie d'être maître de cette place. Les Suisses, alliés de la France, auxquels il était dû des sommes considérables qu'on ne leur payait point, ayant été subornés par l'empereur, abandonnèrent les Français ; ce qui rendit l'entreprise des ennemis très facile. On en attribua la faute à Louise de Savoye, mère du roi ; car comme elle haïssait Lautrec, dont elle se croyait méprisée et qu'elle ne voulait pas qu'il pût acquérir de la gloire, elle sacrifia tout à sa vengeance, selon la coutume des femmes et divertit les sommes destinées au payement des Suisses; ce qui couta la vie à Jacques de Beaune de Samblançai, surintendant des Finances, bon citoyen et bon serviteur du roi. François, qui ne pouvait faire sentir à sa mère la colere où il était de la perte de Milan, s'en vengea sur un ministre innocent et vertueux. [1,36] Milan pris par l'empereur fut mis entre les mains de François Sforce, frère de Maximilien, comme on en était convenu ; le pape s'empara aussi de Parme et de Plaisance mais dans le temps qu'il semblait méditer les plus grandes entreprises, il mourut subitement, à l'âge de 47 ans, empoisonné, comme on l'a cru, par Barnabé Malespine san camérier. Jamais le ciel ne parut se déclarer avec plus d'éclat pour l'agrandissement de l'empereur que lorsque les cardinaux, assemblés pour l'élection d'un nouveau Pape, se réunirent tous, après avoir été partagés, dans le choix du cardinal Adrien, Hollandais de nation, précepteur de Charles et qui était alors en Espagne avec Chièvres, où l'un et l'autre avaient été laissés pour gouverner le Royaume. Car que pouvait-il arriver de plus heureux à ce prince, qui venait de chasser les Français de l'état de Milan et d'affermir sa puissance en Italie, que l’élection d'un nouveau pape, qui dégagé de toute affection particulière, dont un Italien est peu exempt, n'eût en vue que la tranquillité publique (à laquelle le portait naturellement son peu d'élévation dans l'esprit) et qui fût en état de favoriser les intérêts d'un disciple si reconnaissant ? Cet événement fit tellement pencher tous les esprits du côté de l'empereur, qu'après que le roi eut essayé vainement de reprendre Parme et Pavie ; que les Suisses eurent été taillés en pièces près de la Bicoque ; que le marquis de Pescaire eut pris Lodi et du Guast, son cousin, eut pris et mis au pillage la ville de Gênes, les Vénitiens, qui avaient au roi des obligations toutes récentes, renoncèrent à son alliance et se liguèrent avec l'empereur, le pape, et François Sforce, par les conseils de George Cornaro, dont l'avis fut combattu par André Gritti, sénateur d'un grand crédit, qui depuis fut élu doge, après la mort d'Antoine Grimani. [1,37] Mais la révolté du connétable Charles de Bourbon fut encore bien plus sensible au roi. Charles, prince fier et courageux, voyant avec chagrin que Louise de Savoye lui disputait la succession aux biens de la maison de Bourbon, et que cette femme également impérieuse et libertine abusait de son autorité excessive sur l'esprit indulgent de son fils, qu'elle avait indisposé contre lui, traita secrètement avec l'empereur et le roi d'Angleterre, par le moyen de Maximilien, comte de Buren, pour leur livrer la France et la partager entre eux. Or voici l'origine du différend qui s'éleva entre la mère du roi et le connétable. Jean I, duc de Bourbon, arrière-petit fils de Robert de Clairmont, fils de saint Louis et de Béatrix de Bourbon, avait eu deux enfants de Marie, fille de Jean duc de Berri, savoir, Charles et Louis duc de Montpensier. De Charles naquirent Jean et Marguerite, mariée à Philippe comte de Bresse, devenu ensuite duc de Savoye et de ce mariage naquit Louise de Savoye, mère du roi. Charles eut encore un autre fils nommé Pierre, père d'une fille nommée Susanne. Le connétable, qui était fils de Gilbert de Montpensier et petit-fils de Louis nommé ci-dessus, prétendait recueillir la succession de Pierre, qui avait hérité de son frère aîné Jean, mort sans enfants, et il fondait son droit sur une espèce de substitution tacite de mâle en mâle, en usage dans la maison de Bourbon ; en sorte qu'il avait même prétendu exclure de la succession de Pierre, Susanne, la propre fille de ce dernier, et que pour terminer le différend il l'avait épousée, à condition que si Susanne mourait la première sans laisser d'enfants, tous les biens de la maison de Bourbon appartiendraient au connétable, à titre même de donation, s'il en était besoin, pour fortifier son droit. Or, Susanne étant morte sans enfants, Louise de Savoye, petite-fille de Charles I, par les conseils, à ce qu'on croit, du cardinal du Prat, voulut faire valoir le droit qu'elle prétendait avoir par la mort de Susanne, sur la succession aux biens de la branche aînée de la maison de Bourbon. Elle prit cette affaire trop à coeur, et on ne put jamais la détourner d'intenter à contretemps un procès fâcheux à un homme, qui, par son mérite, par l'éminence de sa charge et par sa qualité de premier prince du sang, méritait toute sorte d'égards. C'est ainsi que la même femme qui avait causé la perte du Milanais, pensa causer aussi la ruine totale de la monarchie Française. [1,38] La conjuration du duc de Bourbon ayant été découverte, il s'enfuit en Italie, dans le dessein de passer bientôt en Espagne, pour y épouser la princesse Éléonore, soeur de l'empereur, conformément à un des articles de son traité. Mais Charles V, voyant que le duc était hors d'état d'exécuter ce qu'il lui avait promis touchant la Bourgogne, jugea à propos de suspendre le mariage de sa soeur avec ce prince ; et pour avoir un prétexte de différer son voyage en Espagne, il le fit généralissime de ses armées en Italie, à la place de Prosper Colonne qui venait de mourir. Déjà l'empereur était retourné d'Allemagne en Espagne, pour apaiser quelques troubles excités par son absence, et dont le roi s'était prévalu depuis deux ans pour reconquérir presque tout le royaume de Navarre et reprendre Pampelune, que l'Esparre, frère de Lautrec, assiégea et contraignit de se rendre. Ayant donc assemblé la plus forte armée qu'il put, il s'approcha de Pampelune, dans le dessein d'aller attaquer la Guyenne. Mais la difficulté des chemins, la rigueur de l'hiver et l'impossibilité où il se trouva de fournir à ses troupes la solde que les états d'Espagne s'étaient engagés de payer, le réduisirent à se contenter de prendre Fontarabie, qui se rendit par la lâcheté du commandant; et après cette expédition il prit le parti de s'en retourner. Le premier exploit du duc de Bourbon contre sa patrie fut dans la Provence, où ayant pris Aix, Toulon et quelques autres petites places qui se rendirent, il voulut attaquer Marseille. Mais cette ville étant bien fortifiée et d'ailleurs fort ennemie des Espagnols, il ne put réussir dans son entreprise, et fut obligé de repasser en Italie à la hâte et en désordre. Il semblait que le roi accablé de tant de revers devait peu songer à porter la guerre en Italie. Mais la retraite précipitée des impériaux, qui avait eu l'air d'une fuite, inspira à ce prince, plein d'ardeur et de courage, et brûlant du juste désir de se venger, la résolution de passer au plutôt les Alpes avec une puissante armée. La Fortune lui fut d'abord favorable : dès qu'il fut entré en Italie, François Sforce abandonna la ville de Milan, qui se rendit à nous, à la persuasion de Moron. Le roi forma ensuite le siège de Pavie, où il ne se tint pas assez sur ses gardes et manqua de vigilance et de précaution. Le pape Clément VII, qui venait de succéder à Adrien, par la faction de Pompée Colonne, auparavant son ennemi déclaré, lui ayant conseillé de partager ses troupes, il envoya un détachement dans le royaume de Naples sous la conduite de Jean duc d'Albanie, cousin du roi d'Écosse. Alors il fut attaqué par Bourbon et Lannoi, qui lui ayant livré bataille près de Pavie, taillèrent son armée en pièces et le firent lui-même prisonnier. Cette bataille sanglante et mémorable se donna le 24 de février 1525, jour de la naissance de Charles V. [1,39] Un si grand malheur paraissait devoir être la ruine entière de la France; le roi néanmoins, dans sa déplorable situation, fit ce qu'il n'aurait osé espérer de pouvoir faire dans la plus brillante prospérité et il montra par son exemple que le sort des rois humiliés et abattus touche toujours les coeurs et nourrit naturellement à la compassion ; comme si la chute de ces souverains infortunés nous avertissait de celle dont nous sommes peut-être nous-mêmes menacés et nous faisait mieux sentir la faiblesse et la misère de l'humanité. En effet quoique l'empereur eût témoigné beaucoup de modération au sujet de cet événement, il ne laissa pas de s'attirer la haine de toutes les puissances de l'Italie, qui, alarmées des succès de ce monarque et craignant pour elles-mêmes, délibérèrent ensemble, sans en être sollicitées et résolurent unanimement de donner du secours au roi prisonnier, autant qu'il leur serait possible et de rabaisser la gloire de son vainqueur. Le pape qui avait été incertain jusqu'alors sur le parti qu'il devait prendre, sollicité d'un côté par Nic. de Schomberg, homme sage et d'un grand poids, qui, comme il convenait à un Allemand, était pour l'empereur; et de l'autre par Jean Matthieu Gibert, qui haïssait extrêmement les Espagnols, forma enfin la résolution de faire tous ses efforts pour abattre la puissance de l'empereur en Italie. Il chargea donc Jerôme Moron, chancelier du duc Sforce, de sonder le marquis de Pescaire, qui paraissait alors mécontent de l'empereur, et de savoir s'il voudrait s'employer pour la délivrance de l'Italie : il lui fit dire, qu'en cas qu'il voulût entrer dans ce projet, il serait déclaré généralissime de toutes les troupes des princes confédérés et que, s'il réussissait à chasser les Espagnols du royaume de Naples, il en serait reconnu roi, moyennant. l'hommage qu'il en ferait au Saint Siège, comme d'un fief mouvant de l'église. D'une autre part le roi d'Angleterre, qui avait toujours été si ennemi de la France, commença à devenir jaloux de la grandeur et des prospérités de l'empereur et, quoiqu'il eût eu avec François des différends considérables, il témoigna publiquement la part sensible qu'il prenait à son malheur. L'empereur craignant donc qu'un ennemi abattu ne lui en suscitât plusieurs autres, voulut affaiblir la haine et la jalousie de l'Europe dont il était l'objet, et résolut de rendre la liberté au roi de France. Mercuce de Gatinare, grand chancelier d'Espagne et Charles de Lannoi, vice-roi de Naples, ne furent pas de même avis sur ce sujet mais l'empereur suivit celui de Lannoi, et ayant reçu en otages les deux fils de François, il lui permit de retourner en France, aux conditions stipulées dans le traité de Madrid. Mais ni ce traité ni la délivrance du roi ne purent rassurer les esprits des princes d'Italie, car le marquis de Pescaire, qui mourut bientôt après, ayant découvert, mais trop tard (pour se justifier de la trahison dont il était soupçonné) tout ce que Moron avait tramé avec lui, le pape et la république de Venise se liguèrent ouvertement avec le roi. Cependant les Espagnols, ayant pris Milan, exercèrent longtemps tous les désordres et toutes les cruautés, où se porte la licence, qui n'est retenue par aucun frein et le duc Sforce, ne se voyant point secouru par les alliés, rendit la citadelle au duc de Bourbon. [1,40] Cependant l'empereur pour se venger du pape Clément VII, qui s'était déclaré contre lui, défendit que dans toute l'Espagne on reconnût son autorité et cet exemple fit voir qu'on peut, sans avoir aucun commerce avec le pape, conserver pendant quelque temps toute la forme de la discipline ecclésiastique. En même temps, les colonnes suscités par l'empereur se rendent les maîtres de la ville de Rome, et assiègent le pape dans le château saint Ange. Quelque temps après les troupes impériales marchent à Rome, conduites par Bourbon : la ville est prise et saccagée, 980 ans après qu'elle eût encore éprouvé le même traitement de la part de Totila. Telle fut la vengeance que Charles V tira de Clément VII.