[30] Mais ce qu’il y a de capital et qui tranche le nœud de la question, c’est qu’en supposant que la doctrine du magistrat soit la meilleure, et que le chemin qu’il ordonne de suivre soit le plus conforme à l’Évangile, malgré tout cela, si je n’en suis pas persuadé moi-même du fond du cœur, mon salut n’en est pas plus assuré. Je n’arriverai jamais au séjour des bienheureux par une route que ma conscience désapprouve. Je puis m’enrichir à faire un métier qui me déplaît, et opérer ma guérison par l’usage de certains remèdes dont la vertu m’est suspecte ; mais je ne saurais obtenir le salut par la voie d’une religion que je soupçonne être fausse, ni par la pratique d’un culte que j’abhorre. C’est en vain qu’un incrédule affecte de professer extérieurement un culte qui n’est pas le sien ; il n’y a que la foi et la sincérité du cœur qui puissent plaire à Dieu. C’est en vain qu’on me vante les effets merveilleux d’une médecine, si mon estomac la rejette d’abord ; et l’on ne doit pas forcer un homme à prendre un remède que son tempérament et la nature de ses humeurs ne manqueront pas de changer aussitôt en poison. Quelques doutes que l’on puisse avoir sur les différentes religions qu’il y a dans le monde, il est toujours certain que celle que je ne crois pas véritable, ne saurait être véritable ni profitable pour moi. C’est donc en vain que les princes forcent leurs sujets à entrer dans la communion de leur Église, sous prétexte de sauver leurs âmes : si ces derniers croient la religion du prince bonne, ils l’embrasseront d’eux-mêmes ; et s’ils ne la croient pas telle, ils ont beau s’y joindre, leur perte n’en est pas moins assurée. En un mot, quelque grand empressement, quelque zèle que l’on prétende avoir pour le salut des hommes, on ne saurait jamais les forcer à se sauver malgré eux ; et après tout, il faut toujours finir par les abandonner à leur propre conscience. [31] Après avoir ainsi délivré les hommes de la tyrannie qu’ils exercent les uns sur les autres en matière de religion, considérons ce qui leur reste à faire ensuite. Tout le monde est d’accord qu’il faut servir Dieu en public, et si cela n’était, pourquoi les contraindrait-on à se trouver aux assemblées publiques ? Puis donc qu’ils sont libres à cet égard, ils doivent établir quelque société religieuse, afin de se réunir ensemble, non seulement pour leur édification mutuelle, mais aussi pour témoigner à tout le monde qu’ils adorent Dieu, et qu’ils n’ont pas honte de lui rendre un culte qu’ils croient lui être agréable ; afin d’engager les autres, par la pureté de leur doctrine, la sainteté de leurs mœurs et la bienséance des cérémonies, à aimer la religion et la vertu ; en un mot, afin de pouvoir acquitter en corps tous les actes religieux, dont les particuliers ne sont pas capables. J’appelle ces sociétés religieuses, des Églises, et je dis que le magistrat les doit tolérer ; parce qu’elles ne font autre chose que ce qui est permis à chaque homme en particulier ; c’est-à-dire, d’avoir soin du salut de leurs âmes : et il n’y a, dans ce cas, aucune différence entre l’Église nationale et les autres congrégations qui en sont séparées. [32] Mais comme, dans toute Église, il y a deux choses principales à considérer, savoir le culte extérieur ou les rites, et la doctrine ou les articles de foi, nous traiterons séparément de l’un et de l’autre, afin de donner une idée plus claire et plus exacte de la tolérance. A l’égard du culte extérieur, je soutiens, en premier lieu, que le magistrat n’a nul droit d’établir aucunes cérémonies religieuses dans son Église, et encore moins dans les assemblées des autres ; non seulement parce que ces sociétés sont libres, mais aussi parce que tout ce qui regarde le culte de Dieu, ne peut être justifié qu’autant que ses adorateurs croient qu’il lui est agréable. Tout ce qui se fait sans cette persuasion, ne saurait lui plaire, et devient illégitime. N’est-ce pas d’ailleurs une contradiction manifeste, que d’accorder à un homme la liberté du choix sur la religion, dont le but est de plaire à Dieu, et de lui commander en même temps de l’offenser, par un culte qu’il croit indigne de sa majesté souveraine ? Mais on conclura peut-être de là que je prive le magistrat du pouvoir dans les choses indifférentes, et que dès lors il ne lui restera plus rien sur quoi il puisse exercer son autorité législative. Point du tout : je lui abandonne de bon cœur les choses indifférentes ; et peut-être n’y a-t-il que celles-là qui soient soumises au pouvoir législatif. [33] Mais il ne s’ensuit pas de là qu’il soit permis au magistrat d’ordonner ce qu’il lui plaît sur tout ce qui est indifférent. Le bien public est la règle et la mesure des lois. Si une chose est inutile à l’État, quoiqu’elle soit indifférente en elle-même, on ne doit pas d’abord en faire une loi. Au reste, quelque indifférentes que soient des choses de leur nature, elles ne dépendent pas du magistrat, du moment où elles regardent l’Église et le culte de Dieu, parce qu’alors elles n’ont aucune relation avec les affaires civiles. Il ne s’agit dans l’Église que du salut des âmes, et il n’importe point à l’État, ni à personne, que l’on y suive tels ou tels rites. L’observance ou l’omission de quelques cérémonies ne peut faire aucun préjudice à la vie, à la liberté, ou aux biens des autres. Par exemple, supposé que ce soit une chose indifférente de laver un enfant qui vient de naître, et qu’il soit permis au magistrat d’établir cette coutume par une loi, sous prétexte que cette ablution est utile aux enfants pour les guérir d’une maladie à laquelle ils sont sujets, ou les en garantir ; me dira-t-on là-dessus que le magistrat a le même droit d’ordonner aux prêtres de baptiser les enfants sur les fonts sacrés, pour la purification de leurs âmes ? Qui ne voit, au premier coup d’œil, que ce sont là des choses tout à fait différentes ? L’on n’a qu’à supposer qu’il s’agisse, dans ce cas, de l’enfant d’un juif, et la chose parlera d’elle-même. Car, qui empêche qu’un prince chrétien n’ait des juifs au nombre de ses sujets ? Si donc vous croyez qu’il est injuste d’en agir de cette manière avec un juif, dans une chose qui est indifférente de sa nature, et qu’on ne doit pas le contraindre à pratiquer un culte religieux qu’il désapprouve, comment pouvez-vous maintenir que l’on puisse faire quelque chose de pareil à l’égard d’un chrétien ? [34] De plus, il n’y a point d’autorité humaine qui puisse introduire des choses indifférentes de leur nature dans le culte qu’on rend à Dieu, par cela même qu’elles sont indifférentes, quelles n’ont ainsi aucune vertu propre et naturelle d’apaiser la divinité et de nous la rendre favorable, et que tout le pouvoir des hommes joint ensemble ne saurait leur donner cette efficace. Dans tout ce qui regarde la vie civile, l’usage des choses indifférentes, que Dieu n’a pas expressément défendues, nous est permis ; et, en ce cas, l’autorité humaine peut avoir lieu : mais il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de la religion. Dans le culte divin, les choses indifférentes ne deviennent légitimes que par l’institution de Dieu, qui a jugé à propos de les élever à cette dignité, et qui, dans sa grande compassion pour de misérables pécheurs, les veut bien recevoir comme des marques de leur obéissance. Lorsque ce juge suprême nous demandera un jour, qui a requis cela de vos mains ? il ne suffira pas de lui répondre, que le magistrat l’a commandé. Si le pouvoir civil s’étend jusque-là, qu’y a-t-il qu’on ne puisse légitimement introduire dans la religion ? Quel amas confus de cérémonies, quelles inventions superstitieuses n’appuiera-t-on pas sur l’autorité du magistrat, pour en accabler la conscience des adorateurs de Dieu ? Car la plus grande partie de ces rites ne consiste que dans l’usage religieux de certaines choses qui sont indifférentes de leur nature ; et il ne devient criminel que parce que Dieu n’en est pas l’auteur. Il n’y a rien de plus indiffèrent de sa nature, ni de plus commun dans la vie ordinaire, que l’usage de l’eau, du pain et du vin : s’ensuit-il de là qu’on les pouvait introduire dans le culte religieux, sans l’institution expresse de la divinité ? Si cela dépendait du magistrat, d’où vient qu’il ne pourrait pas aussi commander qu’on mangeât du poisson et qu’on bût de la bière dans la célébration de l’Eucharistie ; qu’on immolât des bêtes et qu’on en répandît le sang dans les temples ; qu’on fit des lustrations, et plusieurs autres choses de cette nature, qui, bien qu’indifférentes en elles-mêmes, sont aussi abominables à Dieu, que l’était autrefois le sacrifice d’un chien ? Car quelle différence y a-t-il entre un chien et un bouc, par rapport à la nature divine, qui est également et infiniment éloignée de toute sorte de matière ? si ce n’est qu’elle voulait admettre le dernier des animaux dans le culte qu’on lui rendait, et en exclure l’autre. Nous voyons donc, que les choses indifférentes en elles-mêmes, quoique soumises en général au pouvoir du magistrat civil, ne sauraient, sous ce prétexte, être introduites dans le service divin, ni être prescrites aux sociétés religieuses ; parce qu’elles ne sont plus indifférentes, dès qu’on les admet dans le service divin. Celui qui adore Dieu, le fait dans la vue de lui plaire et d’obtenir sa faveur ; mais il ne saurait y parvenir si, par l’ordre du magistrat, il offre à Dieu un culte qu’il croit lui être désagréable, parce qu’il ne l’a pas commandé lui-même. Bien loin de lui plaire et d’apaiser son indignation, c’est l’irriter par un mépris manifeste, qui est incompatible avec la nature du culte qu’on lui doit. [35] Mais, me demandera-t-on, si les hommes ne peuvent rien prescrire dans le culte religieux, d’où vient qu’on permet aux Églises de fixer le temps, le lieu et plusieurs autres choses qui regardent le culte public ? Je réponds qu’il faut distinguer ce qui fait partie du culte, d’avec ce qui n’en est qu’une simple circonstance. Tout ce qu’on croit être exigé de Dieu même et lui être agréable, fait partie de son culte et devient par là nécessaire. Mais les circonstances, quoiqu’on ne puisse pas les séparer absolument du culte, ne sont point fixes ni déterminées, au moins dans le détail et pour les cas particuliers, et c’est ce qui les rend indifférentes. Par exemple, le lieu où l’on doit adorer, le temps auquel on doit se trouver aux assemblées publiques, les habits et la posture des adorateurs, sont des circonstances de cet ordre, lorsque Dieu ne les a point expressément prescrites. Mais, chez les Juifs, tout cela faisait partie de leur culte ; et, s’il venait à y manquer la moindre chose, ou à s’en introduire quelqu’une qui différât de l’institution, ils ne pouvaient pas se flatter qu’elle serait agréable à Dieu. Il n’en est pas de même à l’égard des chrétiens, que l’Évangile a délivrés du joug des cérémonies ; ce ne sont pour eux que de simples circonstances, qu’il est permis à chaque Église de régler de la manière qui lui paraît la plus séante et la plus propre à l’édification de ses membres : quoiqu’à l’égard de ceux qui sont persuadés que Dieu a institué le dimanche pour lui être consacré, la célébration de ce jour n’est plus une simple circonstance, mais fait partie essentielle du culte divin, qu’ils ne peuvent ni changer ni négliger sans crime. [36] Ensuite, le magistrat n’ayant nul droit de prescrire à quelque Église que ce soit les rites et les cérémonies qu’elle doit suivre, il n’a pas non plus le pouvoir d’empêcher aucune Église de suivre les cérémonies et le culte qu’elle juge à propos d’établir : parce que, autrement, il détruirait l’Église même, dont le but est uniquement de servir Dieu avec liberté et à sa manière. Suivant cette règle, dira-t-on peut-être, si les membres d’une Église voulaient immoler des enfants, et s’abandonner hommes et femmes, à un mélange criminel, ou à d’autres impuretés de cette nature (comme on reprochait autrefois, sans aucun sujet, aux premiers chrétiens), faudrait-il pour cela que le magistrat les tolérât, parce que cela se ferait dans une assemblée religieuse ? Point du tout : parce que de telles actions doivent toujours être défendues, dans la vie civile même, soit en public ou en particulier, et qu’ainsi l’on ne doit jamais les admettre dans le culte religieux d’aucune société. Mais si l’envie prenait à quelques personnes d’immoler un veau, je ne crois pas que le magistrat eût droit de s’y opposer. Par exemple, Mélibée a un veau qui lui appartient en propre ; il lui est permis de le tuer chez lui, et d’en brûler telle portion qu’il lui plaît, sans faire de tort à personne, ni diminuer le bien des autres. De même, l’on peut égorger un veau dans le culte que l’on rend à Dieu ; mais, de savoir si cette victime lui est agréable, ou non, cela n’intéresse que ceux qui la lui offrent. Le devoir du magistrat est seulement d’empêcher que le public ne reçoive aucun dommage, et qu’on ne porte aucun préjudice à la vie ou aux biens d’autrui. Du reste, ce qu’on pouvait employer à un festin, peut aussi bien être employé à un sacrifice. Mais s’il arrivait, par hasard, qu’il fût de l’intérêt du public que l’on s’abstînt pour quelque temps de tuer des bœufs, pour en laisser croître le nombre, qu’une grande mortalité aurait fort diminue ; qui ne voit que le magistrat peut, en pareil cas, défendre à tous ses sujets de tuer aucun veau, quelque usage qu’ils en voulussent faire ? Seulement il faut observer qu’alors la loi ne regarde pas la religion, mais la politique, et qu’elle ne défend pas d’immoler des veaux, mais de les tuer. [37] On voit par là quelle différence il y a entre l’Église et l’État. Rien de ce qui est permis dans l’État ne saurait être interdit par le magistrat dans l’Église. La loi ne saurait empêcher aucune assemblée religieuse, ni les prêtres d’aucune secte, de tourner à un saint usage ce qui est permis à tous les autres sujets dans la vie ordinaire. Si l’on peut manger du pain chez soi, ou boire du vin, être assis ou à genoux, sans qu’il y ait de crime, le magistrat ne saurait défendre cette pratique dans l’Église, quoique le pain et le vin y soient appliqués aux mystères de la foi et aux rites du culte divin. Mais tout ce qui peut être dommageable à l’État, et que les lois défendent pour le bien commun de la société, ne doit pas être souffert dans les rites sacrés des Églises ni mériter l’impunité ; seulement, il faut que le magistrat prenne bien garde à ne pas abuser de son pouvoir, et à ne point opprimer la liberté d’aucune Église, sous prétexte du bien public ; tout au contraire, ce qui est permis dans la vie commune et en dehors du culte divin ne peut pas davantage être prohibé par la loi civile dans les choses qui se rapportent au culte de Dieu et dans les lieux sacrés. [38] « Quoi, dira-t-on peut-être, le magistrat devra-t-il tolérer aussi une Église qui est idolâtre ? » Mais je demanderai, à mon tour, si le même pouvoir, qui autorise le magistrat à supprimer cette église idolâtre, ne lui pourra pas servir dans l’occasion, à ruiner celle qui est orthodoxe ? Car il ne faut pas oublier que le pouvoir du magistrat est partout le même, et que la religion du prince est toujours la seule orthodoxe à ses yeux, de sorte que, si le magistrat civil a le droit de se mêler de ce qui concerne la religion (comme celui de Genève par exemple), il pourra extirper, par des violences sanguinaires, la religion qu’il regarde comme idolâtre ; tandis que celui de quelque autre pays voisin aura le même droit de persécuter la religion réformée, et qu’on opprimera le christianisme dans les Indes. Ou le pouvoir civil peut tout changer dans la religion suivant la volonté du prince, ou il n’y peut rien changer. S’il lui est permis d’employer la force et les supplices, pour introduire quelque chose dans la religion, il n’y a plus de bornes qui puissent l’arrêter, et il pourra, avec autant de droit et avec les mêmes armes, imposer tout ce qu’il s’imagine être véritable. Il n’y a donc personne que l’on doive priver de ses biens temporels à cause de la religion. Les peuples mêmes de l’Amérique, assujettis à un prince chrétien, ne doivent pas être dépouillés de leurs vies et de leurs terres, parce qu’ils n’embrassent pas le christianisme. S’ils croient plaire à Dieu et obtenir le salut, par la pratique des cérémonies qu’ils ont héritées de leurs ancêtres, nous devons les abandonner à eux-mêmes et à la miséricorde divine. Mais allons au fond de la question : supposons qu’un petit nombre de chrétiens, faibles et dénués de tout, arrivent dans quelque pays d’idolâtres ; qu’ils les prient d’abord, au nom de l’humanité, d’avoir compassion d’eux, et de leur fournir ce qui est nécessaire à la vie ; qu’ils l’obtiennent ; qu’on leur donne des habitations, et qu’enfin ils s’unissent avec les naturels du pays, et ne forment qu’un seul peuple. Supposons ensuite que la religion chrétienne y jette de profondes racines, qu’elle s’y répande de toutes parts ; que, durant ces progrès insensibles, on voie régner entre eux la paix, l’union, la bonne foi et la justice. Enfin, ces étrangers, devenus les plus forts par la conversion du magistrat au christianisme, ne songent plus qu’à fouler aux pieds les droits les plus inviolables et les traités les plus solennels, sous prétexte d’extirper l’idolâtrie. Alors, si les naturels du pays, quoique rigides observateurs de l’équité naturelle, et quoiqu’ils n’aient rien fait contre les bonnes mœurs ni contre les lois de la société civile, si ces pauvres malheureux, dis-je, ne veulent pas abandonner leur ancien culte pour en adopter un nouveau, sera-t-on en droit de les dépouiller de leurs biens et de la vie même ? On voit donc par là ce qu’un prétendu zèle pour l’Église, accompagné du désir de la domination, est capable de produire ; et que, sous prétexte de religion et du salut des âmes, on ouvre la porte aux meurtres, à la rapine, aux brigandages et à une licence effrénée. [39] Or, quiconque ose soutenir qu’on doit extirper partout l’idolâtrie par la rigueur des lois, des amendes et des supplices, en un mot, par le fer et par le feu, n’a qu’à s’appliquer la supposition que je viens de faire ; elle s’adresse à lui. Certes, il n’y a pas plus de justice à ravir leurs biens aux infidèles de l’Amérique, qu’à les ôter, en Europe, aux sectaires, qui ne suivent pas la religion que fait dominer une faction qui compose l’Église de la Cour ; et il ne faut jamais, sous ce prétexte, violer, ici non plus que là, les droits les plus légitimes de la nature et de la société. « Mais, dit-on, l’idolâtrie est un péché et, par conséquent, on ne doit pas la souffrir. » Si vous disiez, il faut donc l’éviter avec soin, votre conséquence serait juste ; mais il ne s’ensuit pas que le magistrat la doive punir, parce que c’est un péché : autrement il aurait le droit d’employer le glaive contre tout ce qu’il regarde comme des péchés envers Dieu. L’avarice, la dureté envers les pauvres, l’oisiveté et plusieurs autres défauts sont des péchés, de l’aveu de tout le monde : mais qui s’est jamais avisé de dire que le magistrat a le droit de les punir ? Comme ces défauts ne portent aucun préjudice aux biens des autres, et qu’ils ne troublent point le repos public, les lois civiles ne les punissent pas dans les lieux mêmes où ils sont reconnus pour des péchés. Ces lois ne prononcent pas non plus de peines contre le mensonge, ni contre le parjure, à moins que ce ne soit en certains cas, où l’on n’a nul égard à la turpitude du crime, ni à la divinité offensée, mais à l’injustice faite au public et aux particuliers. D’ailleurs, si un prince, païen ou mahométan, croit que la religion chrétienne est fausse et désagréable à Dieu, ne pourra-t-il pas l’extirper avec le même droit que vous prétendez avoir pour abolir la sienne.