[0] Sur la succession de Ménéclès. 1 Je croyais, juges, que si jamais un homme avait été adopté par un autre conformément aux lois, c'était bien moi, et que personne n'oserait jamais dire qu’en m'adoptant Ménéclès n'était pas sain d’esprit ou obéissait aux suggestions d'une femme. Mais puisque mon oncle, contre toute raison, je l'affirme, emploie tous les moyens pour faire en sorte que son frère se trouve être mort sans enfants, et ne respecte ni les dieux paternels ni aucun d’entre vous, je me vois forcé de prendre la défense de mon père adoptif et de moi-même. 2 Je vais donc vous montrer, depuis le commencement, que cette adoption s’est faite régulièrement et suivant les lois, et que la succession de Ménéclès n’est pas sujette à adjudication, puisque je suis son fils, qu’ainsi le témoin produit dans la protestation a dit la vérité. Je vous prie tous, je vous supplie et je vous conjure d'écouter mes paroles avec bienveillance. 3 Notre père, Eponyme d'Acharnes, juges, était l’ami intime de Ménéclès et le familier de la maison. Nous étions ses quatre enfants, deux fils et deux filles. Notre père étant mort, nous donnâmes l’aînée des filles, quand elle fut d’âge, à Leucolophos, avec une dot de vingt mines. 4 Trois ou quatre ans après, notre plus jeune sœur se trouva à son tour en âge d’être mariée, et la première femme de Ménéclès, vint à mourir. Après lui avoir rendu les derniers devoirs, Ménéclès nous demanda notre sœur. Il nous rappela l'amitié qui l'unissait à notre père et ses bonnes dispositions à notre égard. 5 Et nous, sachant que notre père n’aurait plus volontiers donné sa fille à aucun autre, nous la lui donnâmes, non pas sans dot, comme notre adversaire le répète, mais avec une dot égale à celle que nous avions donnée à l’aînée de nos sœurs, et ainsi d'amis que nous étions, nous devînmes alliés. Pour prouver que Ménéclès a reçu vingt mines de dot en même temps que notre sœur, je veux d’abord vous produire le témoignage que voici. TEMOIGNAGE. 6 Ayant ainsi marié nos sœurs, juges, et étant nous-mêmes en âge, nous entrâmes au service militaire et nous fîmes campagne en Thrace avec Iphicrate. Il se trouva que nous ne nous étions pas mal comportés et nous revînmes avec quelque argent : ici nous trouvâmes l’aînée de nos sœurs avec deux enfants. La plus jeune, mariée à Ménéclès, n'en avait pas. 7 Un ou deux mois après, tout faisant grand éloge de notre sœur, il nous fit ses confidences. Il se voyait, avec âgé et sans enfants. Ma sœur avait-elle d’autre récompense de son mérite que de vieillir avec lui et de rester sans enfants ? 8 C’était assez, disait-il, que lui seul fût malheureux. On voit là par le langage qu’il nous aimait, tout en renonçant à notre soeur car quand on hait les gens, on ne leur fait pas de supplications. Il nous demanda donc, comme une grâce, de donner notre sœur à un autre mari, à quoi il consentit quand nous le chargeâmes de la déterminer lui-même à prendre ce parti, promettant de faire ce qu’elle aurait accepté, nous nous déclarâmes prêts à agir. 9 Elle ne voulut pas d'abord en entendre parler, puis avec le temps, elle se décida non sans peine. C'est ainsi que la mariâmes avec Éleios de Sphette et Ménéclès rendit la dot. — A ce moment même il avait pris à bail, avec d’autres, le patrimoine des enfants de Nicias — Il lui donna aussi les vêtements qu'elle avait apporté en mariage et les menus bijoux en or qui se trouvaient en sa possession. [10] Un certain temps après, Ménéclès songea à ne pas rester sans enfants. Il voulait avoir quelqu’un qui le soignât dans sa vieillesse, qui lui donnât la sépulture après sa mort, et lui rendît ensuite le culte prescrit par l’usage. Mon oncle que voici, n'ayant qu'un fils unique, Ménéclès pensa qu’il ne serait pas honorable de lui enlever ce fils pour l’adopter en le laissant lui-même sans enfants mâles. 11 Il ne trouvait personne qui lui tînt de plus près que nous. Il s’adressa donc à nous et dit qu'il croyait bien faire, puisque le sort n’avait pas permis qu'il eût des enfants de notre sœur, de prendre un fils adoptif dans cette même maison d'où il aurait voulu avoir des enfants nés de son sang. « Je veux, dit-il, adopter un de vous deux, celui à qui l’adoption conviendra ». 12 A ces mot, mon frère, voyant qu’il nous préférait à tous autres, le remercia de son langage et dit qu’à son âge et dans son isolement, Ménéclès avait besoin de quelqu’un qui le soignât, et qui fût toujours là. « Pour moi, dit-il, je suis sujet à m’absenter, comme tu sais; mais voici mon frère — c’est de moi qu’il parlait — qui prendra soin de tes affaires comme des miennes, si tu veux l'adopter ». Ménéclès répondit que c’était là bien parler et c'est ainsi qu'il m'adopta. 13 Je veux maintenant vous faire voir que cette adoption a eu lieu conformément aux lois. Lis-moi la loi aux termes de laquelle il est permis de disposer de ses biens par testament, comme on le veut si l’on n’a pas d'enfants mâles légitimes. Le législateur, juges, a fait cette loi parce qu'il voyait que les hommes qui n’ont pas d’enfants n’ont pas d’autre ressource contre l'isolement et d’autre consolation dans la vie que la faculté d'adopter qui il leur plaît. 14 En conséquence, les lois donnant à Ménéclès le droit d’adopter, puisqu'il était sans enfants, il m'a adopté, non pas, juges, dans un testament écrit à l’article de la mort, comme il arrive souvent, ni en état de maladie, non, bien portant, sain d’esprit, ayant toute sa raison ; après m'avoir adopté, il m’a présenté à la phratrie en présence de ces hommes et il m'a fait inscrire tant parmi les membres du dème que parmi les orgéons. 15 A ce moment, ces hommes n'ont fait aucune objection comme on en fait à un homme qui n’est pas sain d’esprit. Pourtant il était bien plus convenable de lui faire comprendre leurs raisons, s’ils en avaient, de son vivant, que d’attendre qu’il fût mort pour l’outrager et rendre sa maison déserte. En effet Ménéclès a vécu encore après l'adoption non pas une année ou deux, mais vingt-trois ans. Et dans un si long espace de temps, il n'a jamais rien regretté de ce qu’il avait fait. Aussi bien tout le monde reconnaissaient qu’il avait fait une chose raisonnable. 16 Pour prouver qu’en cela je dis vrai, je vais vous produire comme témoins de l'adoption les membres de la phratrie, les orgéons et les membres du dème; et pour prouver que Ménéclès avait le droit d'adopter, on va vous lire la loi même suivant laquelle l'adoption a eu lien. Lis-moi les témoignages que voici et aussi la loi. TEMOIGNAGES. LOI. {Il est permis de léguer ses biens à qui l’on veut si l’on ne laisse pas d’enfants mâles et légitimes ; et si on laisse des filles avec celles-ci.} 17 Il était donc permis à Ménéclès d'adopter pour fils qui il voulait. C’est la loi elle-même qui le dit. Que l'adoption ait eu lieu, c’est ce que vous ont attesté les membres de la phratrie et du dème et les orgéons. Nous avons donc clairement démontré, juges, que le témoin produit dans la protestation a dit la vérité, et ces hommes ne seraient pas en état de dire un seul mot contre le fait même de l’adoption. 18 Quand tout cela fut fait, Ménéclès me chercha une femme et dit qu’il fallait me marier. Je reçus donc la fille de Philonide. Ménéclès se montra prévoyant, comme il convient à un père au sujet de son fils, et moi, pareillement, je l’entourai des mêmes soins et du même respect que s’il eût été mon père, et ma femme aussi, à ce point que Ménéclès faisait notre éloge devant tous les membres du dème. 19 Ménéclès, en m'adoptant, avait-il la raison troublée ? obéissait-il aux suggestions d'une femme ? Non il était sain d’esprit et voici ce qui doit vous en convaincre. En premier lieu, ma sœur, dont mon adversaire vous a surtout parlé, prétendant que mon adoption avait été suggérée par elle, était déjà mariée bien avant que l'adoption ait eu lieu. Si donc Ménéclès avait été déterminé par les instances de ma sœur à se donner un fils adoptif, il aurait adopté un de ses enfants de celle-ci, car elle en a deux. [20] Mais, juges, ce n'est pas à la suggestion de ma sœur qu’il m'a adopté. C’est surtout son isolement qui l’a déterminé. En second lieu, Ménéclès avait les raisons que j’ai déjà rappelées et de plus sa bienveillance pour mon père. En troisième lieu, il n’avait aucun parent plus proche que moi, dont il pût faire son fils adoptif. Tels sont les motifs qui le conduisirent alors à m'adopter. Sa raison n’était donc pas troublée et il ne cédait pas aux suggestions d’une femme à moins que mon adversaire ne veuille appeler de ce nom sa solitude et sa vie privée d’enfants. 21 Je voudrais bien apprendre de lui, qui se trouve lui-même si raisonnable, qui Ménéclès aurait dû adopter entre ses parents. Est-ce le fils de mon adversaire? Mais mon adversaire ne lui aurait pas donné pour rester lui-même sans enfants. Non, il n'a pas à ce point l’amour de l’argent. Est-ce le fils de sa sœur, celui de sa cousine ou de son cousin ? au début il ne lui était encore né aucun parent. 22 Il lui fallait donc, de toute nécessité, en adopter un autre plutôt que de vieillir sans enfants. Il l’aurait dû, au dire de mon adversaire. Vous tous, d’ailleurs, je n’en doute pas, prêts à admettre que s’il voulait adopter, il ne pouvait prendre personne qui fût plus avant que moi dans son intimité. S’il en est un, que mon adversaire vous le montre ; il ne le pourrait, car Ménéclès n’avait pas d’autres parents que dont je viens de parler. 23 Mais, apparemment, le reproche que me fait aujourd’hui mon adversaire ce n'est pas de ne pas avoir adopté son fils à lui, c’est d’en avoir adopté et de n’être pas resté sans enfants jusqu’à sa mort; voilà ce qu’il lui reproche, en quoi il fait une chose odieuse et injuste. Il avait des fils, lui, et ses reproches vont à un homme qui était sans enfants et malheureux. 24 Chez tous les hommes, Grecs et barbares, l'adoption est généralement approuvée. Mais mon oncle que voici ne rougit pas d’enlever aujourd’hui à son frère cette faculté, d'adopter que personne n'a regardée d’un mauvais œil, même lorsqu’elle s’adresse à ceux qui ne sont pas parents. 25 A coup sûr, si on lui demandait ce qu'il eût fait, s’il se fût trouvé dans la même situation que Ménéclès, il n’aurait rien à dire sinon qu'il eût adopté un homme capable de le soigner durant sa vie et de l'ensevelir après sa mort. Evidemment cette adoption se serait faite comme la mienne et suivant la même loi. Alors si mon oncle eût été sans enfants, il aurait adopté, et quand Ménéclès fait la même chose, il lui reproche de ne pas avoir été sain d’esprit et d’avoir obéi aux suggestions d’une femme. 26 Ne trouvez-vous pas que ce langage est pitoyable? Pour moi celui qui n’est pas sain d’esprit, c’est plutôt lui si j’en juge et par ce qu’il dit et par ce qu’il fait. Son langage, en effet, est contraire aux lois et au droit, et à ce qu’il aurait fait lui-même et il ne rougit pas de trouver bonne pour lui-même la loi sur l'adoption, tout en s’efforçant de faire en sorte que cette même loi ne vaille rien pour son frère. 27 Et maintenant quel est le dissentiment qui le pousse à faire en sorte que son frère soit mort sans enfants? Ecoutez-moi, juges, la chose en vaut la peine. S'il est en dissentiment avec moi au sujet du nom et s’il trouve mauvais que je sois, moi, le fils de Ménéclès, c’est un envieux? Si c’est de l’argent qu’il parle, eh bien ! qu'il vous montre quelles terres, quel édifice, quelle maison laissés par Ménéclès se trouvent actuellement en ma possession. Si Ménéclès n’a rien laissé de tout cela, si ce qui lui restait, une fois avoir restitué à l'orphelin son argent, mon adversaire l’a reçu du vivant même de Ménéclès, en vérité ne devrait-il pas rougir de parler comme il le fait? Je vais vous montrer ce qu’il en est. 28 Lorsqu’il a fallu restituer à l'orphelin sa fortune, Ménéclès n'avait pas de quoi payer et de plus les intérêts s'étaient accumulés depuis longtemps. Il mit en vente sa terre ; mon adversaire saisit l'occasion et voulant lui jouer un mauvais tour à cause de mon adoption, il lui fit défense de procéder à la vente, afin que l’immeuble put être saisi et Ménéclès contraint de l’abandonner en paiement à l'orphelin. Il revendiqua donc contre lui une partie de l’immeuble qu'il n'avait jamais revendiquée auparavant, et fit défense à tous de se rendre acquéreurs. 29 Ménéclès fut mécontent, je pense ; et se vit forcé de réserver la partie de l’immeuble qui était revendiquée par son frère. Le surplus fut vendu à Philippe de Pithe pour soixante-dix mines et Ménéclès paya de cette manière l'orphelin, en lui remettant sept mines et un talent sur le prix de l’immeuble. Puis il intenta contre son frère une action pour opposition faite. Beaucoup de paroles furent échangées et l'inimitié devint très forte. Enfin nous ne voulûmes pas qu’on puisse dire que j’aimais l’argent et que de deux frères ils devinssent deux ennemis. Nous crûmes donc qu’il fallait faire un compromis et prendre pour arbitre le beau-frère de mon adversaire et quelques amis communs. [30] Ceux-ci nous dirent qu’ils ne siégeraient pas contre nous, si nous voulions qu’ils décidassent en droit car ils n’avaient nul besoin de se brouiller ni avec une des parties ou avec l’autre, mais qu’ils siégeraient si nous leur promettions d’être amiables compositeurs. Nous acceptâmes le compromis dans ces termes afin d’en régler les affaires, nous l’espérions du moins. 31 Les arbitres s’engagèrent envers nous par serment devant l'autel d'Aphrodite à Képhalé à rendre une sentence juste et leur décision fut que nous devions abandonner ce que notre oncle avait revendiqué, et le faire sans compensation. Il n’y avait, disaient-ils aucun autre, il fallait que nos adversaires eussent une part dans les biens de Ménéclès. 32 Ils décidèrent en outre qu'à l'avenir nous nous devions service les uns aux autres, en paroles et nous contraignirent de part et d’autre à jurer devant l'autel que nous le ferions ainsi et nous jurâmes de nous rendre service les uns aux autres à l'avenir, de tout notre pouvoir, et de fait. 33 Pour vous prouver que ce serment a été prêté, que mes adversaires sont en possession de tout ce qui leur a été attribuée par les amis de notre oncle, et qu’après cela ils nous rendent tous les services que vous savez, faisant tous leurs efforts pour que le défunt se trouve être décédé sans enfants et que je sois chassé outrageusement de la maison, je vais produire comme témoins ceux qui ont rendu cette décision, s'ils consentent à monter ici (car ils sont amis de mes adversaires) ; sinon je vous produirai ceux qui étaient présents lors de la sentence. 34 Lis-moi les témoignages que voici; toi, arrête l'eau. TEMOIGNAGES. Prends-moi maintenant ces autres témoignages, pour prouver que la terre a été vendue soixante-dix mines et que l'orphelin a reçu soixante-sept mines après la vente de la terre. TEMOIGNAGES. 35 Ainsi notre oncle que voici a hérité des biens de Ménéclès, de fait et non pas de son nom, comme moi, et il en a eu bien plus que moi. En effet, j'ai reçu les trois cents drachmes qui restaient sur le prix de la terre, et une méchante maison qui ne vaut pas trois mines, mais lui, il a reçu une terre qui vaut plus de dix mines, et après cela il vient encore plaider pour que la maison de Ménéclès soit déserte. 36 Et moi, le fils adoptif, j'ai soigné Ménéclès vivant, moi et ma femme, fille de Philonide que voici ; j'ai donné à mon enfant le nom de Ménéclès pour que la maison de celui-ci ne restât pas sans nom; après sa mort, je lui ai donné la sépulture d’une manière digne de lui et de moi, je lui ai élevé un beau monument; j'ai célébré sur son tombeau le neuvième jour et j’ai accompli toutes les autres cérémonies funéraires du mieux que j’ai pu, de façon à obtenir les éloges de tous les membres du dème. 37 Et lui, le parent qui reproche à Ménéclès d'avoir adopté un fils, il lui a enlevé de son vivant la terre qui lui restait et, après sa mort, il veut faire disparaître sa postérité et jusqu’à son nom. Voilà l’homme que vous avez devant vous. Pour prouver que j'ai rendu à Ménéclès les derniers devoirs, que j'ai célébré le troisième et le neuvième jour et accompli toutes les autres cérémonies funéraires, on va vous lire les témoignages de ceux qui ont tout vu de leurs yeux. TEMOIGNAGES. 38 Ainsi, juges, Ménéclès, lorsqu'il m'a adopté, était sain d’esprit et n’obéissait pas aux suggestions d'une femme. Mais je veux encore à cet égard vous produire comme témoins mes adversaires eux-mêmes, qui témoignent pour moi, par leurs actes sinon par leurs paroles. Ce qu’ils ont fait eux-mêmes prouve que j’ai dit la vérité. En effet c’est avec moi, et non avec Ménéclès, que ces deux hommes ont publiquement contracté une transaction, après serment prêté à eux par moi, et à moi par eux. 39 Pourtant si l'adoption n'avait pas été faite conformément aux lois, si je n'avais pas été regardé par mes adversaires eux-mêmes comme l’héritier de Ménéclès, qui les forçait à me donner leurs serments et à recevoir les miens ? Rien, assurément. Donc lorsqu’ils ont fait cela ils m’ont évidemment rendu témoignage de ce fait que l'adoption a été faite conformément aux lois et que je suis bien l'héritier de Ménéclès. [40] Il est, je crois, évident pour vous tous, que, de l'aveu de mes adversaires eux-mêmes, Ménéclès n’avait pas la raison troublée. Si quelqu’un mérite ce reproche, c’est bien plutôt mon adversaire qui, après avoir transigé avec nous au sujet de nos différends et après avoir prêté les serments, revient aujourd’hui sur ses aveux, enfreint ses serments et veut me dépouiller du peu qui me reste. 41 Pour moi, si je ne croyais commettre une action honteuse et m’exposer à des reproches en trahissant le père dont je porte le nom et qui m'a adopté, j'aurais peut-être abandonné sa succession à mon adversaire, car il ne reste plus rien, comme vous pouvez vous en douter. 42 Mais je trouve que ce serait un abus et une honte, voici pourquoi. Alors que Ménéclès avait quelque chose, je me suis donné à lui comme fils adoptif; grâce à la fortune qu’il possédait avant la vente de sa terre, j’ai été le gymnasiarque dans le dème et j’ai eu l’ambition de vous servir comme fils de Ménéclès, toutes les campagnes qui ont été entreprises dans cet espace de temps, je les ai faites dans les rangs de la tribu et du dème de Ménéclès. 43 Maintenant qu’il est mort, si je le trahis, si je me retire laissant sa maison déserte, ne serai-je pas un objet d’indignation et de risée, ne fournirai-je pas une ample matière à ceux qui voudront médire de moi ? Et ce n’est pas là le seul motif qui me détermine à soutenir le procès actuel. On dira, je le crains, que je suis un misérable qui ne vaut pas cher, puisque par mi mes amis ceux qui sont sains d’esprit n’ont pas voulu m’adopter, et le seul qui l’ait voulu n’avait pas toute sa raison. Voila ce qui me tourmente. 44 Je vous prie donc tous, juges, et je vous supplie et je vous conjure de me prendre en pitié et d'acquitter par vos votes le témoin que voici. Je vous ai montré d'abord que j’ai été adopté par Ménéclès de la façon la plus régulière, que cette adoption a eu lieu, non en paroles, ni par testament, mais par des actes. 45 Et comme témoins de tous ces actes je vous ai produit les membres de la phratrie et du dème et les orgéons. Je vous ai montré en outre que Ménéclès n’est mort que vingt-trois ans après. Je vous ai montré les lois qui donnent à tout homme la faculté de se donner un fils adoptif. Enfin, vous avez vu que je l'ai soigné vivant, et qu’après sa mort je lui ai rendu les derniers devoirs. 46 Mon adversaire, lui, veut me dépouiller de la succession paternelle, grosse ou non, peu importe ; il veut que le défunt soit mort sans postérité, que son nom même disparaisse, enfin que personne ne puisse s’acquitter pour lui du culte des ancêtres ni célébrer les anniversaires de sa mort. Il le prive de tous les honneurs funèbres. C’est dans cette prévision que Ménéclès, alors qu’il était encore maître de sa fortune, m'a adopté pour fils afin que rien de tout cela ne lui manquât. 47 Ne vous laissez donc pas entraîner, juges, par ce que disent ces hommes, ne m'enlevez pas le nom d’héritier, c’est tout ce qui reste de l’héritage, n'annulez pas l'adoption. Aujourd’hui que l'affaire vient devant vous et que vous la décision vous appartient, venez en aide à nous et à celui qui est dans le séjour des morts, ne voyez pas avec indifférence, au nom des dieux et des démons, le défunt outragé par ces hommes. Souvenez-vous de la loi, du serment que vous avez prêté, de ce qui a été dit sur l’affaire, et votez ensuite suivant le droit, vos serments et les lois.