[0] PLAIDOYER POUR EUPHILÉTOS (FRAGMENT). [1] 1. Ainsi, juges, Euphilétos est bien notre frère. Vous avez entendu sur ce point non seulement notre témoignage, mais encore celui de tous nos parents. Examinez d'abord celui de notre père. Pourquoi mentirait-il? Pourquoi introduirait-il dans sa maison un homme qui ne serait pas son fils? 2. On fait ces choses-là, comme vous le verrez toujours, quand on n'a pas d'enfants légitimes ou quand on est contraint par la pauvreté d'adopter des étrangers pour tirer d'eux quelque assistance après en avoir fait des Athéniens. Notre père n'est ni dans un cas ni dans l'autre. En effet, il a en nous deux enfants légitimes. Ce n'est donc pas l'isolement qui l'aurait conduit à adopter celui-ci. 3. Ce n'est pas davantage le désir de s'assurer des aliments, une vie plus large. Il n'en avait pas besoin. Sa fortune est suffisante, et d'ailleurs les témoins vous ont déclaré qu'il a nourri cet homme après l'avoir pris tout enfant, qu'il l’a formé et introduit dans la phratrie, et ce ne sont pas là de petites dépenses. Il n'est donc pas vraisemblable, juges, que notre père ait tenté de faire une si mauvaise action, sans intérêt. 4. Ce n'est pas moi non plus qu'on pourrait soupçonner d'être assez stupide pour rendre un faux témoignage en faveur de cet homme afin de n'être pas seul à recueillir la succession de mon père. Aussi bien il ne me serait plus possible de soutenir un jour qu'Euphilétos n'est pas mon frère. Pas un seul d'entre vous ne voudrait m'écouter si ayant déclaré aujourd'hui, à mes risques et périls, qu'il est notre frère, je me présentais un jour devant vous pour affirmer le contraire! 5. Mais ce n'est pas notre témoignage seulement qui vous paraîtra vraisemblable, c'est encore celui des autres parents. Et d'abord songez-y. Les maris de nos sœurs n'auraient jamais rendu un faux témoignage au sujet de cet homme. En effet, sa mère était une marâtre pour nos sœurs; or, la plupart du temps marâtres et filles du premier lit n'ont pas coutume de vivre en bonne intelligence. Si donc cette marâtre avait eu Euphilétos d'un autre mari que notre père, jamais, juges, nos sœurs n'auraient laissé leurs maris témoigner comme ils l’ont fait. [6] Ce n'est pas non plus notre oncle maternel, juges, qui, s'il n'était nullement parent d'Euphilétos, aurait consenti à rendre à la mère de ce dernier un faux témoignage, nous faisant par là un tort évident, puisque nous nous donnerions ainsi pour frère un étranger. Enfin, juges, outre tout cela, est-ce qu'un seul d'entre vous pourrait condamner pour faux témoignage Démarate que voici, Hégémon et Nicostrate, contre qui, d'abord, on ne prouvera jamais qu'ils se soient prêtés à quelque manœuvre honteuse, qui de plus, étant étroitement liés avec nous et nous connaissant tous, ont témoigné chacun séparément, en faveur d'Euphilétos, qu'il est du même sang que nous? 7. Je demanderais donc volontiers au plus respectable de nos adversaires si, pour prouver qu'il est Athénien, il a d'autres moyens que ceux que nous avons employés pour faire la même preuve au sujet d'Euphilétos. Tout ce qu'il pourrait dire, à mon sens, c'est qu'il est né d'une mère citoyenne et d'un père citoyen, et pour prouver qu'il dit vrai il produirait comme témoins ses propres parents. 8. Après cela, juges, si mes adversaires étaient discutés, je vous engagerais à croire les témoignages de leurs intimes plutôt que les dires des accusateurs. Et aujourd'hui quand nous produisons tout cela ils vont vous engager à les croire sur parole plutôt que le père d'Euphilétos, moi, mon frère, les membres de la phratrie et toute notre parenté ! Remarquez qu'ils ne s’exposent, eux, à aucun risque, et n'agissent que pour satisfaire leur inimitié particulière, nous au contraire nous venons tous témoigner sous notre responsabilité. 9. Ajoutez à ces témoignages, juges, en premier lieu, que la mère d'Euphilétos, dont la qualité de citoyenne n'est pas contestée, a offert de prêter serment devant l'arbitre, au Delphinion, pour jurer qu'Euphilétos est né d'elle et de notre père. Et qui peut le savoir mieux qu'elle? En second lieu, juges, notre père que voici, qui apparemment connaît son fils mieux que personne, du moins après la mère, notre père, dis-je, aujourd'hui comme alors, offre de jurer qu'Euphilétos est son fils, né d'une femme citoyenne, son épouse légitime. 10. Enfin, juges, j'avais treize ans, comme je l'ai déjà dit, lorsqu'Euphilétos est né. Or, je suis prêt à jurer qu'Euphilétos que voici est mon frère, issu du même père. C'est pourquoi, juges, il serait juste d'ajouter foi à nos serments plus qu'à leurs discours, car quand nous offrons de prêter serment à son sujet nous savons exactement les choses, mais eux, ils répètent ce qu'ils ont entendu dire aux ennemis d'Euphilétos, ou ce qu'ils inventent eux-mêmes. Et de plus, juges, nous produisons comme témoins, soit devant les arbitres soit devant vous, nos parents dont la parole mérite toute confiance ; mais eux, lorsqu'Euphilétos intenta sa première action contre le corps des membres du dème et le démarque alors en exercice, aujourd'hui décédé, pendant deux ans que l'affaire resta pendante devant l'arbitre, ils n'ont pas pu trouver un seul témoin pour attester qu'Euphilétos a un père qui n'est pas le nôtre. Aussi les arbitres trouvèrent en cela de puissantes raisons pour les soupçonner de mensonge, et se prononcèrent tous les deux contre eux. Prends le témoignage du premier arbitrage. TÉMOIGNAGE. 12. Vous venez d'entendre comment cette fois encore la sentence arbitrale les a condamnés. J'estime, juges, que si les arbitres avaient donné gain de cause à mes adversaires ils tireraient de là un puissant argument pour prouver qu'Euphilétos n'est pas fils d'Hégésippe. Eh bien! l'argument se retourne contre eux. La preuve que nous disons la vérité c'est qu'au dire des arbitres ils ont fait tort à Euphilétos, qui est bien Athénien, et qu'après l'avoir d'abord inscrit définitivement ils l'ont ensuite effacé. Ainsi Euphilétos que voici est bien notre frère et votre concitoyen, et il a été injustement outragé par des gens du dème qui ont formé une cabale contre lui. Sur ce point juges, il me semble que vous en avez assez entendu.