[14,0] LIVRE XIV. [14,1] CAP. I. 1. Nous avons rapporté dans le livre précédent l'histoire de la reine Alexandra et sa mort; nous raconterons maintenant les évènements qui suivirent et s’y rattachent, attentifs avant tout à n'en omettre aucun, soit par ignorance, soit par paresse. Car si le récit et l'explication de faits inconnus de la plupart, en raison de leur ancienneté, réclament, dans l'exposition, tout le charme qui peut résulter du choix des mots, de leur arrangement, et de ce qui peut ajouter au style quelque ornement, afin que le lecteur trouve à s'instruire agrément et plaisir, toutefois les historiens doivent avant tout viser à l'exactitude et considérer comme leur premier devoir de dire la vérité à ceux qui, ignorant les faits, s'en rapportent entièrement à eux. 2. Hyrcan monta sur le trône la troisième année de la 177e Olympiade, sous le consulat de Quintus Hortensius et de Quintus Metellus, surnommé Creticus. Aristobule lui fit aussitôt la guerre et, au cours d'une bataille livrée près de Jéricho, nombre des soldats d'Hyrcan passèrent dans le camp de son frère. Hyrcan se réfugia dans la citadelle, où la femme et les enfants d'Aristobule avaient été enfermés par sa mère, comme nous l'avons dit. Il attaqua et fit prisonniers ceux de ses adversaires qui s'étaient enfuis dans l'enceinte du temple. Puis il entra en pourparlers avec son frère et traita avec lui : il s'engageait à cesser les hostilités et consentait qu'Aristobule fût roi et que lui-même vécût sans se mêler aux affaires, en jouissant tranquillement de sa fortune. Ce traité fut juré sur les objets sacrés conservés dans le sanctuaire et confirmé par des serments qu'ils prêtèrent la main dans la main ; puis, après s'être embrassés en présence de tout le peuple, ils se retirèrent, Aristobule, dans le palais, Hyrcan, devenu simple particulier, dans l'ancienne maison d'Aristobule. 3. Il y avait alors un ami d'Hyrcan, Iduméen, appelé Antipater, possesseur d'une grande fortune, homme entreprenant par nature et remuant, mal disposé pour Aristobule et brouillé avec lui à cause de son dévouement pour Hyrcan. Nicolas de Damas dit qu'il appartenait à l'une des premières familles juives revenues de Babylone en Judée : mais il le dit pour plaire au fils d'Antipater, Hérode, devenu roi des Juifs à la suite d'événements que nous raconterons le moment venu. Cet Antipater s'était appelé d'abord Antipas ; c'était là aussi le nom de son père, qui, nommé par le roi Alexandre et sa femme gouverneur de toute l'Idumée, avait, dit-on, fait amitié avec les Arabes limitrophes et les habitants de Gaza et d'Ascalon, gagnés par ses riches présents. Antipater le jeune, voyant donc d'un mauvais oeil Aristobule, devenu le maître, et craignant que la haine qu'il avait pour celui-ci ne lui attirât des ennuis, conspira secrètement contre ce roi et s'aboucha avec les plus influents des Juifs ; il était injuste, disait-il, qu'on supportât qu’Aristobule gardât injustement le pouvoir, après l'avoir arraché à son frère, plus âgé que lui, auquel le trône appartenait par droit d'aînesse. Et constamment il tenait ces mêmes propos à Hyrcan lui-même, ajoutant que la vie de celui-ci était en danger s'il ne se gardait et ne se mettait à l'abri ; car les amis d'Aristobule, disait-il, ne laissaient passer aucune occasion de lui conseiller de tuer son frère, l'assurant qu'il affermirait ainsi son pouvoir. Hyrcan n'ajoutait pas foi à ces discours, car il était d'un naturel honnête, et sa loyauté n'admettait pas facilement la calomnie. Son éloignement des affaires et sa douceur le faisaient même regarder comme dégénéré et dépourvu de virilité. Aristobule, d'un tempérament tout opposé, était actif et d'esprit éveillé. 4. Lorsqu'Antipater vit qu'Hyrcan ne prêtait aucune attention à ses discours, il ne laissa plus passer un seul jour sans calomnier auprès de lui Aristobule, qu'il accusait de vouloir tuer son frère ; enfin, à force de le presser, il le décida par ses conseils à se réfugier auprès d'Arétas, roi des Arabes : il lui promettait, s'il l'écoutait, d'être lui-même son allié. Hyrcan, sur ces assurances, pensa qu'il était de son intérêt de s'enfuir auprès d'Arétas : l'Arabie est, en effet, limitrophe de la Judée. Il envoya d'abord Antipater auprès du roi des Arabes, pour recevoir des assurances qu'il ne le livrerait pas à ses ennemis s'il venait auprès de lui en suppliant. Antipater, dès qu'il eut reçu ces garanties, revint à Jérusalem, auprès d'Hyrcan. Puis, peu de temps après, il sortit avec lui de la ville pendant la nuit, et l'amena, après un long voyage, à Pétra : c'est le nom de la ville où se trouvait le palais d'Arétas. Comme il était grand ami du roi, il lui demanda de ramener Hyrcan en Judée ; et grâce à ses instances, qu'il renouvelait chaque jour sans se lasser, grâce aussi à ses présents, il décida Arétas. Hyrcan cependant promit à celui-ci, s'il le ramenait et lui rendait la royauté, de lui restituer le territoire et les douze villes que son père Alexandre avait enlevées aux Arabes : c'étaient Médaba, Libba, Nabalôth, Rabatha, Agalla, Athôné, Zôara, Oronas, Marissa, Rhydda, Lousa, Oryba. [14,2] CAP. II. 1. Arétas, fort de ces promesses, marcha contre Aristobule avec cinquante mille cavaliers et de l'infanterie, et le vainquit en bataille rangée. A la suite de cette victoire, il y eut de nombreuses défections en faveur d'Hyrcan, et Aristobule abandonné s'enfuit à Jérusalem. Mais le roi des Arabes, à la tête de toutes ses troupes, vint attaquer le Temple et l'y assiégea, avec l'aide du peuple, qui s'était prononcé pour Hyrcan, tandis que les prêtres seuls restaient fidèles à Aristobule. Arétas, ayant réuni les forces des Arabes et des Juifs, poussa vivement le siège. Gomme ces événements se passaient vers le temps de la fête des Azymes, que nous appelons la Pâque, les plus considérables des Juifs, abandonnant le pays, s'enfuirent en Egypte. Un certain Onias, homme juste et pieux, qui, jadis, au moment d’une sécheresse, avait prié Dieu d'y mettre fin, et dont les prières exaucées avaient amené la pluie, s'était caché en voyant que la rébellion continuait toujours aussi violente ; amené au camp des Juifs, on l'invita, de la même façon qu'il avait autrefois par ses prières fait cesser la sécheresse, à prononcer des imprécations contre Aristobule et ses partisans. Comme il s'y refusait et comme son refus lui attirait les violences de la foule, se dressant au milieu des Juifs, il s'écria : « Ô Dieu, roi de tout l'Univers, puisque ceux qui m’entourent sont ton peuple, et que ceux qui sont assiégés sont tes prêtres, je te demande de ne pas écouter ce que demande ton peuple contre tes prêtres, et de ne pas exaucer les prières de tes prêtres contre ton peuple. » Quand il eut prié de la sorte, les plus méchants des Juifs qui étaient autour de lui le lapidèrent. 2. Mais Dieu les châtia sur le champ de leur cruauté et vengea le meurtre d'Onias de la manière suivante. Pendant qu'Aristobule et les prêtres étaient assiégés, le moment approcha de la fête appelée Pâque à l'occasion de laquelle nous avons coutume d'offrir à Dieu de nombreux sacrifices. Comme ils manquaient de victimes, Aristobule et les siens demandèrent à leurs compatriotes de leur en fournir, offrant de les payer aussi cher que l'on voudrait. Les assiégeants leur demandèrent mille drachmes par tête de bétail ; Aristobule et les prêtres acceptèrent avec empressement et, au moyen d'une corde, firent descendre l'argent le long du mur. Les assiégeants prirent l'argent mais ne donnèrent pas les victimes, poussant la méchanceté jusqu'à violer leur serment et commettre un sacrilège, en refusant à ceux qui en avaient besoin ce qui leur était nécessaire pour les sacrifices. Les prêtres ainsi trompés prièrent Dieu de les venger de leurs compatriotes, et le châtiment ne se fit pas attendre, car Dieu envoya un vent violent qui détruisit la récolte dans tout le pays, si bien que l'on dut payer le boisseau de blé onze drachmes. 3. A ce moment Pompée, qui se trouvait alors en Arménie, encore en guerre contre Tigrane, envoya Scaurus en Syrie. Celui-ci, arrivé à Damas, trouva cette ville aux mains de Lollius et de Métellus, qui venaient de s'en emparer ; lui-même se dirigea alors rapidement sur la Judée. Dès qu'il y fut arrivé, des envoyés vinrent le joindre de la part d'Aristobule et d'Hyrcan, demandant les uns et les autres son alliance. Aristobule promit de lui donner quatre cents talents, Hyrcan offrit la même somme. Scaurus accepta les offres d'Aristobule ; car celui-ci était riche et généreux et ne demandait que des choses raisonnables, tandis qu'Hyrcan, pauvre et avare, exigeait davantage en retour d’une promesse incertaine. Il était, en effet, autrement difficile de s'emparer par la force d'une ville fortifiée et bien défendue que de chasser une troupe de transfuges et la foule des Nabatéens, peu propres à la guerre. Pour ces raisons, il prit le parti d'Aristobule, reçut l'argent et fît lever le siège, en donnant à Arétas l'ordre de se retirer s'il ne voulait pas être déclaré ennemi des Romains. Puis Scaurus revint à Damas, et Aristobule, à la tête de forces nombreuses, marcha contre Arétas et Hyrcan, les attaqua près de l'endroit appelé le Papyrôn, les vainquit, et tua environ six mille ennemis, au nombre desquels Phallion, frère d'Antipater. [14,3] CAP. III. 1. Peu de temps après, Pompée arriva à Damas et entra dans la Cœlé-Syrie ; il reçut des envoyés de toute la Syrie, de l'Égypte et de la Judée. Aristobule lui envoya un riche présent, une vigne d'or de la valeur de cinq cents talents. Strabon le Cappadocien mentionne ce présent en ces termes : « Il reçut aussi d'Égypte une députation et une couronne de la valeur de quatre mille pièces d'or, et de Judée une vigne ou un jardin : les Juifs donnaient à ce travail le nom de “charme des yeux”. Nous avons pu voir nous-même ce présent à Rome dans le temple de Jupiter Capitolin ; il porte l'inscription “d'Alexandre, roi des Juifs”. Il est estimé cinq cents talents. On dit que ce présent fut envoyé par Aristobule, chef des Juifs. » 2. Peu après, Pompée reçut de nouveaux ambassadeurs, Antipater de la part d'Hyrcan, et Nicodémos de celle d'Aristobule. Celui-ci porta plainte contre Gabinius et contre Scaurus, pour lui avoir extorqué de l'argent, l'un d'abord trois cents, l'autre quatre cents talents ; c'était se créer deux nouveaux ennemis en plus des anciens. Pompée ordonna aux plaignants de se présenter en personne ; puis, au commencement du printemps, il concentra son armée, quitta ses quartiers d'hiver et marcha vers le territoire de Damas. Sur sa route, il détruisit la citadelle d'Apamée, qu'Antiochus Cyzicène avait bâtie, et dévasta le territoire de Ptolémée fils de Mennaios : cet homme cruel ne valait pas mieux que Dionysios de Tripolis, son allié par mariage, lequel périt sous la hache ; Ptolémée échappa au châtiment que méritaient ses crimes moyennant mille talents qui servirent à Pompée à payer ses troupes. Pompée détruisit ensuite la forteresse Lysias, dont le Juif Silas était maître. Puis il traversa les villes d'Héliopolis et de Chalcis, et, franchissant la montagne qui sépare la Cœlé-Syrie du reste de la Syrie, vint à Damas. Là il écouta les doléances des Juifs et de leurs chefs : Hyrcan et Aristobule ne s’entendaient pas entre eux, et le peuple n'était d'accord ni avec l'un ni avec l'autre, demandant à ne pas avoir de rois car la tradition était, disaient-ils, d'obéir aux prêtres du Dieu qu'ils honoraient, et ces hommes, qui descendent des prêtres, avaient voulu amener le peuple à changer de gouvernement, pour le réduire en servitude. Hyrcan se plaignait d'avoir été, lui le plus âgé, privé de son droit d'aînesse par Aristobule, et de ne posséder plus qu'une petite étendue de territoire. Aristobule s'étant emparé du reste par la force ; il accusa mensongèrement celui-ci d'être l'auteur des incursions chez les peuples voisins, des actes de piraterie sur mer, assurant que jamais le peuple ne se serait soulevé sans sa violence et sa turbulence. Ses plaintes étaient appuyées par plus de mille des Juifs les plus considérables, à l'instigation d'Antipater. Aristobule répondait que, si son frère était tombé du pouvoir, c'était la faute de son caractère, dont l'indolence le rendait méprisable ; lui-même n'avait pris le pouvoir que par crainte de le voir passer en d'autres mains ; quant à son titre, c'était celui qu'avait porté son père Alexandre. Comme témoins, il citait des jeunes gens insolents, que rendaient odieux leurs vêtements de pourpre, leur coiffure apprêtée, leurs bijoux et tous les ornements dont ils étaient couverts, on eût dit qu'ils ne venaient pas comparaître en justice, mais figurer dans quelque cortège. 3. Pompée, après avoir entendu les deux adversaires, condamna la violence d'Aristobule ; pour l'instant il les renvoya avec de bonnes paroles, promettant, une fois dans leur pays, de tout arranger, dès qu'il aurait examiné les affaires des Nabatéens. Jusque-là, il les invita à rester tranquilles, tout en flattant Aristobule de peur qu'il ne soulevât le pays et ne lui coupât ses communications. C'est ce que fit cependant Aristobule : sans attendre l'effet d'aucune des promesses de Pompée, il se rendit à Dion et de là passa en Judée. 4. Pompée, irrité, rassembla les troupes qu'il allait diriger contre les Nabatéens, leur adjoignit les auxiliaires de Damas et du reste de la Syrie, et les réunissant aux légions romaines qu'il avait déjà, marcha contre Aristobule. Mais quand il eut dépassé Pella et Scythopolis et eut parvenu à Corées, qui est la première ville de Judée, quand on vient de l'intérieur, Aristobule se réfugia dans la magnifique place forte d'Alexandreion, située sur le sommet de la montagne. Pompée lui envoya l'ordre de se rendre auprès de lui. Aristobule, sur le conseil que lui donnèrent nombre de ses amis de ne pas faire la guerre aux Romains, descendit de son asile, et, après avoir plaidé contre son frère la question du pouvoir, remonta dans sa citadelle, avec la permission de Pompée. Il recommença une seconde, puis une troisième fois, flattant Pompée dans l'espoir d'obtenir de lui le trône, et promettant d'obéir à tout ce qu'ordonnerait celui-ci, mais toutefois se retirant toujours dans sa place forte afin de ne pas se laisser désarmer, et se préparant des ressources en cas de guerre, dans la crainte que Pompée ne donnât le pouvoir à Hyrcan. Pompée lui avant ordonné de livrer ses châteaux forts et d'envoyer aux chefs des garnisons les instructions nécessaires écrites de sa propre main - ils avaient défense d'exécuter toute autre espèce d'ordre -, il dut obéir, mais, irrité, il se retira à Jérusalem et se prépara à la guerre. Peu de temps après, comme Pompée partait en expédition contre lui, des messagers arrivant du Pont lui apprirent en route que Mithridate venait de périr de la main de son fils Pharnace. [14,4] CAP. IV. 1. Après avoir campé autour de Jéricho - canton où pousse le palmier et où l'on récolte l'opobalsamon, le plus précieux des parfums, qui coule, comme un suc, des troncs (de baumier) entaillés avec une pierre tranchante -, Pompée marcha dès l’aube sur Jérusalem. Aristobule changea alors de tactique, se rendit auprès de lui et promit de lui donner de l'argent et de le recevoir à Jérusalem, le suppliant de mettre fin à la guerre et d'arranger pacifiquement les choses à sa guise. Pompée, touché par ses prières, lui pardonna, et envoya Gabinius avec des troupes pour s'emparer de l'argent et de la ville. Mais rien ne s'accomplit : Gabinius revint sans avoir pu prendre ni l'argent ni la ville, dont les portes avaient été fermées devant lui ; les soldats d'Aristobule avaient refusé d'exécuter les clauses du traité. Pompée, irrité de cet insuccès, jeta Aristobule en prison, et marcha lui-même sur la ville, qui était forte de tous les côtés, sauf sur le flanc Nord, mal défendu : elle est, en effet, entourée d'un large et profond ravin, en deçà duquel se trouve le Temple solidement fortifié d'une enceinte de pierre. 2. A l'intérieur de la ville régnait la sédition, les habitants ne s'entendant pas sur la situation : les uns voulaient livrer la ville à Pompée ; les partisans d'Aristobule étaient d'avis de fermer les portes et de résister, puisque Pompée retenait Aristobule prisonnier. Ces derniers, prenant les devants, s'emparèrent du Temple et coupèrent le pont qui le reliait à la ville, se préparant à soutenir un siège. Les autres ouvrirent les portes à l'armée et livrèrent à Pompée la ville et le palais. Pompée envoya son lieutenant Pison avec des troupes mettre garnison dans la ville et dans le palais, et fortifier les maisons voisines du Temple, ainsi que les lieux environnants. Il n'eut d'abord pour les défenseurs que des paroles conciliantes ; puis, comme ils refusaient de l'écouter, il fortifia tous les lieux d'alentour, activement secondé en tout par Hyrcan. Pompée alla au point du jour camper au nord du Temple, côté le plus accessible. Mais de ce côté aussi se dressaient de hautes tours ; on avait creusé un fossé, et un ravin profond entourait l'édifice. Du côté de la ville les communications étaient impossibles, le pont ayant été coupé. Cependant les Romains, avec de grands efforts, élevèrent jour par jour une terrasse d'approche, en abattant les forêts des environs. Quand elle fut suffisamment haute, et une fois le fossé, qui était extrêmement profond, comblé à grand'peine, Pompée amena des machines et des engins de guerre, qu'il fit venir de Tyr, les dressa et battit les murs du Temple avec des balistes. Sans la tradition qui nous oblige au repos tous les sept jours, la terrasse n'aurait pu être élevée ; les assiégés s'y seraient opposés : mais si la loi permet de se défendre au cas où l'ennemi engagerait le combat et porterait des coups, elle l'interdit hors ces cas, quoi que fasse l'adversaire. 3. Les Romains, qui le savaient bien, se gardèrent, les jours que nous appelons sabbat, de tirer sur les Juifs et d'en venir aux mains, se contentant d'apporter de la terre, d'élever des tours, d'avancer leurs machines, afin que tout fût prêt pour le lendemain. Et le fait suivant montrera à quel point nous poussons la piété envers Dieu et le respect de la loi : les Juifs ne furent jamais détournés par les terreurs du siège de l'accomplissement des rites ; deux fois par jour, le matin et vers la neuvième heure, on les accomplissait sur l'autel, et quelles que fussent les difficultés provenant des attaques de l'ennemi, on n'interrompit jamais les sacrifices. Bien plus, quand la ville fut prise le troisième mois (du siège), le jour du jeûne, en la cent soixante-dix-neuvième Olympiade, sous le consulat de Calus Antonius et de Marcus Tullius Cicéron, quand les ennemis envahirent le Temple et égorgèrent ceux qui s'y trouvaient, ceux qui offraient des sacrifices n'en continuèrent pas moins les cérémonies, sans que la crainte pour leur vie ni les massacres qui se multipliaient autour d'eux pussent les décider à s'enfuir : mieux valait, pensaient-ils, s'ils devaient subir un sort funeste, l'attendre à l'autel, que de transgresser quelque précepte de la loi. Et la preuve que ce n'est pas la une légende destinée à exalter une piété imaginaire, mais bien la vérité, se trouve dans les livres de tous ceux qui ont écrit l'histoire de Pompée, entre autres Strabon, Nicolas de Damas, et, de plus, Tite-Live, auteur de l'histoire romaine. 4. Dès que, sous l'effort des machines de guerre, la plus élevée des tours se fut écroulée et eut ouvert une brèche, les ennemis s'y précipitèrent. Cornélius Faustus, fils de Sylla, le premier, à la tête de ses soldats, escalada le rempart ; après lui, le centurion Furius et ceux qui l'accompagnaient pénétrèrent du côté opposé ; par un point intermédiaire entra Fabius, centurion lui aussi, avec une forte troupe. Partout régnait le carnage. Les Juifs étaient massacrés par les Romains ou se massacraient entre eux ; quelques-uns se jetèrent dans les précipices d'autres mirent le feu à leurs maisons et se brûlèrent vifs, incapables de supporter leur sort. Il périt environ douze mille Juifs, mais fort peu de Romains. Absalon, oncle et beau-père d'Aristobule, fut fait prisonnier. De graves sacrilèges furent commis dans le sanctuaire, dont l'accès était jusque-là interdit et où nul ne pouvait porter les yeux : Pompée, avec une suite nombreuse, y pénétra ; ils virent tout ce qu'il est interdit de voir aux autres hommes, hors les seuls grands-prêtres. Il y avait là la table d'or, les chandeliers sacrés, des vases à libations, des quantités de parfums, sans compter, dans les caisses, environ deux mille talents composant le trésor sacré : Pompée ne toucha à rien, par piété, en quoi aussi il agit d'une manière digne de sa vertu. Le lendemain, après avoir fait nettoyer le Temple par les serviteurs et offrir à Dieu les sacrifices prescrits par la loi, il conféra la grande-prêtrise à Hyrcan, en reconnaissance de tous les services que celui-ci lui avait rendus, et notamment parce qu'il avait empêché les Juifs de la campagne de faire cause commune avec Aristobule ; puis il fit trancher la tête aux promoteurs de la guerre. Faustus et les autres qui étaient courageusement montés à l'assaut des murailles reçurent les récompenses dues à leur valeur. Pompée rendit Jérusalem tributaire des Romains ; il enleva aux Juifs les villes de Cœlé-Syrie dont ils s'étaient rendus maîtres et soumit celles-ci à l'autorité du gouverneur romain ; ainsi il ramena dans ses anciennes frontières ce peuple juif naguère si ambitieux. Pour faire plaisir à Démétrius de Gadara, son affranchi, il rebâtit Gadara, récemment détruite ; et il rendit à leurs habitants les autres villes, Hippos, Scythopolis, Pella, Dion, Samarie, Marissa, Azotos, Iamnée, Aréthuse. Outre toutes ces villes de l'intérieur, et sans compter celles qui avaient été détruites, Pompée déclara libres et rattacha à la province les villes maritimes de Gaza, Jopé, Dôra, Tour de Straton, qui, plus tard, rebâtie par Hérode et magnifiquement dotée de ports et de temples, prit le nom de Césarée. 5. Jérusalem fut redevable de tous les maux aux dissensions d'Hyrcan et d'Aristobule. Nous perdîmes, en effet, la liberté et devînmes sujets des Romains ; nous dûmes rendre aux Syriens tout le territoire que nous leur avions enlevé par les armes ; de plus, les Romains, en peu de temps, levèrent sur nous plus de dix mille talents, et la royauté, autrefois héréditaire dans la famille des grands-prêtres, devint l'apanage d'hommes du peuple. Nous reparlerons de tout cela le moment venu. Pompée, après avoir confié à Scaurus toute la Cœlé-Syrie (et le reste de la Syrie) jusqu'à l'Euphrate et à l'Égypte, avec deux légions romaines, partit pour la Cilicie, ayant hâte de rentrer à Rome. Il emmenait Aristobule prisonnier avec ses enfants, deux filles et deux fils ; l'un, Alexandre, put s'échapper, tandis que le plus jeune, Antigone, fut conduit a Rome avec ses soeurs. [14,5] CAP. V. 1. Scaurus fit une expédition contre Pétra, en Arabie. La ville étant d'un accès très difficile, il se mit à piller le pays environnant. Comme l'armée souffrait de la famine, Antipater, sur l'ordre d'Hyrcan, lui fournit du blé, pris en Judée, et tous les approvisionnements dont il avait besoin. Envoyé par Scaurus comme ambassadeur à Arétas, en raison de leurs relations d'hospitalité, il persuada celui-ci de payer une indemnité pour éviter le ravage de son territoire et se porta lui-même garant pour trois cents talents. A ces conditions Scaurus mit fin à la guerre, ce qu'il désirait lui-même autant qu’Arétas. 2. Quelque temps après, comme Alexandre, fils d'Aristobule, faisait des incursions en Judée, Gabinius vint de Rome en Syrie comme gouverneur. Entre autres exploits remarquables, il fit la guerre à Alexandre, auquel ne pouvait plus résister Hyrcan. Alexandre avait même essayé de relever les murs de Jérusalem, détruits par Pompée ; mais les Romains qui se trouvaient dans la ville l'en empêchèrent. Il parcourut alors tout le pays à l'entour, arma nombre de Juifs, et réunit promptement dix mille hoplites et quinze cents cavaliers, puis il fortifia Alexandreion, place voisine de Corées, et Machairous, prés des monts d'Arabie. Gabinius marcha donc contre lui, après avoir envoyé en avant Marc Antoine et d'autres officiers ; ceux-ci armèrent les Romains qui les suivaient, ainsi que les Juifs soumis que commandaient Peitholaos et Malichos, et renforcés des gardes d’Antipater ils se portèrent à la rencontre d'Alexandre. Gabinius les suivait avec la grosse infanterie. Alexandre se retira près de Jérusalem ; on en vint aux mains, et dans le combat, les Romains tuèrent environ trois mille ennemis, et en firent autant prisonniers. 3. Cependant Gabinius marcha sur Alexandreion et invita la garnison à se rendre, avec promesse d'amnistie. Comme un corps nombreux d'ennemis campait sous les murs de la place, les Romains s'avancèrent contre eux ; Marc Antoine se distingua dans le combat et en tua un grand nombre, au point qu'il parut remporter le prix de la valeur. Gabinius laissa une partie de son armée pour achever de réduire la place, et parcourut lui-même le reste de la Judée ; chaque fois qu'il rencontrait sur sa route quelque ville détruite, il en ordonnait la reconstruction. Ainsi furent relevées Samarie, Azôlos, Scythopolis, Anthédon, Raphia, Adora, Marissa, Gaza et beaucoup d'autres villes. Et comme les populations obéissaient aux ordres de Gabinius, des villes restées longtemps désertes purent être repeuplées eu toute sécurité. 4. Après avoir pris ces mesures dans le pays, Gabinius revint à Alexandreion ; et comme il poussait activement le siège, il reçut un envoyé d'Alexandre qui faisait implorer le pardon de ses torts et lui livra les places fortes d'Hyrcania, de Machairous et enfin d'Alexandreion. Gabinius rasa ces places ; puis, comme la mère d'Alexandre était venue auprès de lui - elle avait pris parti pour les Romains, qui détenaient à Rome son mari et ses enfants -, il lui accorda ce qu'elle demandait, et quand il eut réglé cette affaire, il ramena Hyrcan à Jérusalem pour lui confier la garde du Temple. Il établit ensuite cinq Conseils et partagea le peuple en cinq fractions égales ; ces Conseils siégeaient respectivement à Jérusalem, à Gazara, à Amathonte, à Jéricho, et à Sepphoris en Galilée. C'est ainsi que les Juifs, délivrés du gouvernement monarchique, furent organisés en aristocratie. [14,6] CAP. VI. 1. Aristobule s'échappa de Rome en Judée et tenta de relever Alexandreion de ses ruines récentes. Gabinius envoya contre lui des troupes commandées par Sisenna, Antoine et Servilius pour l’empêcher d'occuper la place et s'emparer de lui. Nombre de Juifs se déclarèrent pour Aristobule, tant en souvenir de son ancienne renommée que par leur goût constant pour les révolutions. Un certain Peitholaos, sous-gouverneur à Jérusalem, fit défection en sa faveur avec mille hommes. Cependant beaucoup de ses partisans étaient sans armes. Aristobule, qui avait résolu de se retirer à Machairous, renvoya ces désarmés qui ne pouvaient lui être d'aucune utilité pour agir, et partit à la tête de ceux qui étaient armés, au nombre d'environ huit mille. Mais les Romains les ayant attaqués vigoureusement, les Juifs, après s'être vaillamment et hardiment battus, furent défaits, et les ennemis les obligèrent à prendre la fuite. Ils eurent environ cinq mille hommes de tués ; les autres, dispersés de tous côtés, essayèrent de se sauver comme ils purent. Aristobule, avec plus de mille hommes, s’enfuit a Machairous et fortifia la place ; bien que fort éprouvé, il n'en gardait pas moins bon espoir. Après une résistance de deux jours, pendant lesquels il reçut plusieurs blessures, il fut fait prisonnier avec son fils Antigone, qui s'était enfui de Rome avec lui, et conduit devant Gabinius. Tel fut le sort d'Aristobule. On le renvoya à Rome, où il fut mis aux fers et gardé en prison. Il avait été roi et grand-prêtre trois ans et six mois. C'était un homme de nature brillante et généreuse. Le Sénat délivra ses enfants, Gabinius avant écrit qu'il l'avait promis à leur mère, en échange des places fortes qu'elle livra ; ils revinrent alors en Judée. 2. Gabinius marchait contre les Parthes et avait déjà traversé l'Euphrate, quand il changea de dessein, et se tourna vers l'Égypte, voulant y rétablir Ptolémée. Ces événements ont été racontés ailleurs. Antipater, pendant toute l'expédition que Gabinius dirigea contre {Archélaüs}, lui fournit du blé, des armes et de l'argent ; il lui gagna l'amitié et l'alliance des Juifs qui, au-dessus de Péluse, gardent les 400 passages qui commandent l'entrée de l'Égypte. A son retour d'Égypte, Gabinius trouva la Syrie en proie aux soulèvements et aux troubles : car Alexandre, fils d'Aristobule, s'était emparé de nouveau du pouvoir par la force, avait soulevé un grand nombre de Juifs, et parcourant le pays à la tête d'une forte armée, tuait tous les Romains qu'il rencontrait ; beaucoup se réfugièrent sur le mont appelé Garizim, où il les assiégea. 3. Gabinius, trouvant la Syrie dans cet état, envoya aux rebelles Antipater, comptant sur son intelligence pour essayer de les guérir de leur folie et les ramener à la raison. Antipater partit, en raisonna un bon nombre et les fit rentrer dans le devoir, mais ne put arrêter Alexandre. Celui-ci, à la tête de trente mille Juifs, marcha à la rencontre de Gabinius, l'attaqua, et essuya près du mont Itabyrion une défaite qui lui coûta dix mille des siens. 4. Gabinius, après avoir tout réglé à Jérusalem, conformément aux désirs d'Antipater, marcha contre les Nabatéens, les battit et l'envoya les exilés Parthes, Mithridate et Orsanès, qui s'étaient réfugiés auprès de lui: on raconta qu'ils s'étaient évadés. Gabinius, s'étant ainsi couvert de gloire pendant son gouvernement, rentra à Rome, après avoir remis ses pouvoirs à Crassus. Le récit des expéditions de Pompée et de Gabinius contre les Juifs a été écrit par Nicolas de Damas et Strabon le Cappadocien; on ne trouve aucune divergence dans leurs exposés. [14,7] CAP. VII. 1. Crassus, sur le point de faire une expédition contre les Parthes, vint en Judée ; il enleva du Temple l'argent monnayé que Pompée y avait laissé - deux mille talents - et fit mine de dépouiller le sanctuaire de tout l'or qui s'y trouvait ; il y en avait pour huit mille talents. Il emporta d'abord une poutre d'or forgée d'un seul bloc massif pesant trois cents mines : notre mine vaut deux livres et demie. Ce fut un prêtre, nommé Éléazar, chargé de la garde des trésors, qui lui donna cette poutre, non pas d'ailleurs par méchanceté, car c'était un homme honnête et juste ; mais, préposé à la garde des voiles du sanctuaire, admirables de beauté, de richesse et de travail, et qui étaient suspendus à cette poutre, lorsqu'il vit que Crassus se disposait à faire main basse sur tous les objets d'or, il conçut des craintes pour la décoration entière du sanctuaire ; il lui donna donc, comme rançon de tout le reste, cette poutre, après lui avoir fait jurer de ne rien emporter d'autre du sanctuaire, et de se contenter du présent qu'il allait lui faire et qui valait beaucoup de myriades de drachmes. Cette poutre était cachée dans une autre poutre de bois creuse ; personne ne s'aperçut donc de sa disparition, que seul Eléazar connut. Crassus donc la prit, assurant qu’il ne toucherait à rien d'autre dans le Temple : puis il viola son serment et emporta tout l'or qui se trouvait dans le sanctuaire. 2. Il ne faut pas s'étonner qu'il y eût autant de richesse dans notre Temple ; tous les Juifs de la terre et tous ceux qui honorent notre Dieu aussi bien en Asie qu'en Europe, contribuaient depuis longtemps à l'enrichir. Et les témoins ne manquent pas pour affirmer l'importance des richesses dont j'ai parlé plus haut ; que l'on ne croie donc pas qu'en les estimant à une telle valeur, nous cédions à un désir de vantardise et de gloriole. Nous avons pour nous le témoignage de nombre d'écrivains, entre autres Strabon le Cappadocien, qui s'exprime en ces termes : « Mithridate envoya à Cos des émissaires qui s'emparèrent des richesses que la reine Cléopâtre y avait déposées, et des huit cents talents des Juifs. » Or nous n'avons d'autres richesses publiques que celles qui sont consacrées à Dieu, et il est évident que ces sommes avaient été transportées par les Juifs d'Asie à Cos par crainte de Mithridate : car il est peu vraisemblable que les Juifs de Judée, qui avaient une ville fortifiée et le sanctuaire, eussent envoyé de l'argent à Cos ; d'autre part, il est difficile de croire que la chose ait été faite par les Juifs habitant Alexandrie, lesquels n'avaient rien à craindre de Mithridate. Le même Strabon, dans un autre passage, témoigne qu'au temps où Sylla passa en Grèce pour aller combattre Mithridate et envoya Lucullus réprimer la révolte de ses compatriotes à Cyrène, les Juifs remplissaient le monde. Voici ce qu'il dit : « Il y avait à Cyrène quatre (classes) : les citoyens, les laboureurs, les métèques et les Juifs. Ceux-ci ont déjà envahi toutes les cités, et l'on trouverait difficilement dans le monde un endroit où ce peuple n'ait été accueilli et ne soit devenu le maître. La Cyrénaïque, placée sous la même domination que l'Egypte, a suivi son exemple sur bien des points et notamment en accueillant avec faveur les colonies juives, qui s'y sont multipliées en observant leurs lois nationales. En Egypte, on assigne aux Juifs une résidence à part et tout un quartier d'Alexandrie est réservé à ce peuple. Ils ont même à leur tête un ethnarque, qui gouverne la nation, décide les contestations, et s'occupe des contrats et des ordonnances, comme s'il était le chef d'un gouvernement autonome. Si ce peuple a pris en Égypte une pareille importance, c'est que les Juifs étaient à l'origine des Égyptiens et se sont établis dans le voisinage du pays qu'ils quittaient ; et s'ils se répandirent en Cyrénaïque, c'est qu'elle aussi était limitrophe de l'Égypte, comme la Judée, ou plutôt faisait autrefois partie de ce royaume. » Voilà ce que dit Strabon. 3. Crassus, après avoir tout réglé à son gré, marcha contre les Parthes ; mais il fut défait et périt avec toute son armée, comme on l'a raconté ailleurs. Cassius put s'enfuir en Syrie, s'en arrogea le gouvernement et tint tête aux Parthes qui voulaient l'envahir, enhardis par leur victoire sur Crassus. Ensuite, étant revenu à Tyr, il passa de là en Judée. Il attaqua aussitôt Tarichées, s'en empara, fit environ trente mille esclaves, et mit à mort Peitholaos, qui avait succédé à Aristobule comme chef de la rébellion ; il le fit à l'instigation d'Antipater, qui avait sur lui une très grande influence, et qui était alors en grande considération aussi auprès des Iduméens ; il épousa une femme de cette nation, une Arabe d'une naissance distinguée, nommée Cypros, et en eut quatre fils Phasaël, Hérode, qui fut roi plus tard, Joseph et Phéroras, ainsi qu'une fille, Salomé. Antipater noua aussi des relations d'amitié et d'hospitalité avec les princes voisins, notamment celui des Arabes, auquel il confia ses enfants lorsqu'il était en guerre contre Aristobule. - Après cela Cassius leva le camp et marcha en toute hâte vers l'Euphrate, pour s'opposer aux ennemis qui arrivaient de ce côté, comme d'autres historiens l'ont raconté. 4. Quelque temps après, César, resté maître de Rome, par la fuite de Pompée et du sénat au delà de la mer Ionienne, rendit la liberté à Aristobule et résolut de l'envoyer en Syrie avec deux légions, pour y rétablir l'ordre, comme il en était capable. Mais Aristobule ne put réaliser aucune des espérances qu’il avait conçues en recevant le pouvoir des mains de César : les partisans de Pompée le prévinrent en l'empoisonnant. Les amis de César l'ensevelirent, et le cadavre resta longtemps conservé dans du miel, jusqu'au jour où Antoine le renvoya en Judée et le fit déposer dans les tombeaux royaux. Scipion, sur l'ordre que lui envoya Pompée de mettre à mort Alexandre, fils d'Aristobule, reprocha au jeune homme tous ses anciens torts à l'égard des Romains, et le fit décapiter à Antioche. Les autres enfants d'Aristobule furent recueillis par Ptolémée fils de Mennaios, qui régnait à Chalcis, au pied du mont Liban. Ce prince envoya son fils Philippion à Ascalon auprès de la veuve d'Aristobule et l'invita à lui confier son fils Antigone et ses filles, dont l'une, Alexandra, devint la femme de Philippion, qui s'en était épris. Plus tard, Philippion fut tué par son père Ptolémée, qui épousa alors Alexandra, et resta le protecteur du frère et de la soeur de celle-ci. [14,8] CAP. VIII. 1. Après sa victoire sur Pompée et la mort de celui-ci, César dans sa guerre d'Égypte eut fort à se louer des bons offices d'Antipater, administrateur de Judée, agissant par ordre d'Hyrcan. Comme Mithridate de Pergame, qui amenait des renforts à César, ne pouvait forcer le passage de Péluse, et s'arrêtait auprès d'Ascalon, Antipater vint à la tête de trois mille hoplites Juifs, et détermina les chefs d'Arabie à fournir également leur concours. Ce fut aussi grâce à lui que de toutes les parties de la Syrie arrivèrent des renforts, personne ne voulant se laisser distancer en empressement à l'égard de César : tels le dynaste Jamblique. Ptolémée, fils de Soaimos, qui habitait le Liban, et presque toutes les villes. Mithridate, parti de Syrie, arriva à Péluse, et comme les habitants refusaient de le recevoir, il mit le siège devant la ville, Antipater se distingua entre tous : il put faire une brèche dans la muraille, et ouvrit ainsi le chemin aux troupes pour envahir la ville. C'est ainsi que Péluse fut prise. Cependant les Juifs habitant le territoire dit d'Onias voulurent empêcher Antipater et Mithridate de rejoindre César. Antipater arriva à les persuader de se rallier à la cause de l'envahisseur, à l'exemple de leurs compatriotes, surtout en leur montrant les instructions du grand-prêtre Hyrcan, qui les priait d'être les amis de César, d'accueillir son armée et de lui fournir tout le nécessaire. Quand les Juifs virent qu'Antipater et le grand-prêtre étaient d'accord, ils obéirent ; les habitants de Memphis, apprenant qu'ils s'étaient ralliés à César, appelèrent à leur tour Mithridate ; celui-ci se rendit à leur appel et se les adjoignit également. 2. Il avait déjà parcouru toute la région qu'on appelle le Delta, quand il rencontra l'ennemi près de l'endroit appelé le camp des Juifs. Mithridate commandait l'aile droite et Antipater l'aile gauche. Une fois le combat engagé, l'aile de Mithridate faiblit, et eût couru les plus grands dangers si Antipater, qui avait déjà vaincu l'ennemi de son côté, n'était accouru par les bords du fleuve avec ses soldats, et n'avait tiré Mithridate de ce mauvais pas et mis en déroute les Égyptiens vainqueurs. Il les poursuivit avec ardeur, s'empara de leur camp et rappela Mithridate, qui avait été repoussé fort loin : Mithridate perdit huit cents hommes, Antipater quarante. Mithridate écrivit à César à ce sujet, déclarant qu'il devait la victoire et son propre salut à Antipater ; aussi César envoya-t-il à celui-ci des éloges et l'employa-t-il pendant toute la guerre dans les missions les plus périlleuses; Antipater fut même blessé en différents combats. 3. Avec le temps, César termina la guerre et fit voile pour la Syrie. Il combla d'honneurs Hyrcan, auquel il confirma la grande prêtrise, et Antipater, auquel il accorda le titre de citoyen à Rome et l'exemption d'impôts en tout pays. Beaucoup prétendent qu'Hyrcan prit part à l'expédition et alla en Égypte, et je trouve dans Strabon de Cappadoce la confirmation de cette assertion ; il s'exprime, en effet, sur la foi d'Asinius, en ces termes : « Après que Mithridate et Hyrcan, grand-prêtre des Juifs, eurent envahi l'Égypte ». Ce même Strabon s'exprime ailleurs comme il suit, sur l'autorité d'Hypsicratès : « Mithridate partit seul, mais Antipater, administrateur de Judée, appelé par lui à Ascalon, lui amena trois mille soldats de renfort et lui gagna les autres dynastes ; le grand-prêtre Hyrcan prit aussi part à l'expédition. » Tel est le récit de Strabon. 4. Antigone, fils d'Aristobule, se rendit alors auprès de César, déplorant le sort de son père et de son frère, l'un empoisonné, l'autre décapité par Scipion, par la faute de César, et il demandait pitié pour lui-même, qui avait été chassé du pouvoir ; il incriminait aussi Hyrcan et Antipater, qu'il accusait de gouverner le peuple par la violence et d'avoir à son égard violé la loi. Antipater, qui était présent, réfuta l'accusation sur les points qui le concernaient ; il dénonça Antigone et les siens comme agitateurs et fauteurs de troubles, rappela toutes ses peines, l'aide donnée à César dans ses campagnes, mentionnant des faits d'armes dont celui-ci avait été témoin. Il dit qu'Aristobule avait été à bon droit déporté à Rome, car il avait toujours été l'ennemi des Romains et ne s'était jamais montré bien disposé pour eux ; que le frère d'Antigone n'avait reçu de Scipion que le châtiment qu'il méritait par ses brigandages, et n'avait été en cela victime ni de la violence ni de l'injustice. 5. Après ce discours d'Antipater, César nomma Hyrcan grand-prêtre, et permit à Antipater de choisir le gouvernement qu'il voudrait. Celui-ci s'en étant remis à lui sur ce point, César le nomma procurateur de Judée. Il permit aussi à Hyrcan, qui lui demanda cette faveur, de relever les murs de sa patrie : car ils étaient encore en ruines depuis que Pompée les avait jetés bas. Puis il manda aux consuls à Rome d'avoir à inscrire ces dispositions au Capitole. Le décret rendu par le sénat est conçu en ces termes : « Lucius Valerius, fils de Lucius, préteur, a proposé cette décision au sénat, aux ides de décembre, dans le Temple de la Concorde. Etaient présents, quand fut rédigé le décret, Lucius Coponius, fils de Lucius, de la tribu Collina, et … Papirius fils de … de la tribu Quirina. Au sujet des choses dont nous ont entretenus Alexandre, fils de Jason, Numenius, fils d'Antiochus, et Alexandre, fils de Dorothéos, ambassadeurs des Juifs, hommes justes et fidèles alliés, lesquels ont renouvelé l'assurance déjà donnée jadis de leur reconnaissance et de leur amitié pour les Romains, apporté, en signe d'alliance, un bouclier d'or du poids de cinquante mille pièces d'or, et demandé qu'on leur donnât des lettres pour les villes indépendantes et pour les rois, afin que leur territoire et leurs ports aient toute sécurité et n'aient à souffrir aucune injustice, - Nous avons décidé de faire amitié et alliance avec eux, de leur accorder tout ce qu'ils demandaient, et d'accepter le bouclier qu'ils apportaient. » Cela se passa sous le grand-prêtre et ethnarque Hyrcan, l'an 9, au mois de Panémos. Hyrcan reçut aussi de grandes marques d'honneur du peuple athénien, auquel il s'était également rendu très utile. Les Athéniens lui envoyèrent un décret conçu en ces termes : « Dionysios, fils d'Asclépiadès, étant prytane et prêtre, le cinquième jour avant la fin du mois Panémos, fut remis aux stratèges ce décret des Athéniens. - Sous l’archontat d’Agathoclès … Euclès, fils de Xenandros, du dème d'Aithalé, remplissant les fonctions de greffier, le onzième jour du mois de Munychion, {le onzième jour} de la prytanie, dans l'assemblée tenue au théâtre, les suffrages ayant été recueillis par Dorothée fils de…, d'Erkhia, président des proèdres et ses collègues, voici la décision prise par le peuple. Dionysios, fils de Dionysios, du dème de…, a proposé : Attendu que Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque (des Juifs), fait preuve d'une constante bienveillance pour tout notre peuple en général et pour chacun des citoyens en particulier, montrant pour eux toute la sollicitude possible; qu'il reçoit avec amitié ceux des Athéniens qui se rendent chez lui, soit en ambassade, soit pour leurs affaires personnelles, et les renvoie après avoir pris soin que leur retour s'effectue en toute sécurité : attendu que nombre de témoignages ont déjà établi ces faits quand nous fûmes saisis de la question par Théodotos, fils de Diodoros, de Sunium, qui a rappelé au peuple le mérite de cet homme et son désir de nous servir de son mieux, - Plaise maintenant au peuple de lui décerner une couronne d'or comme récompense, suivant la loi, et de dresser sa statue en bronze dans le sanctuaire du Peuple et des Charites ; la couronne sera proclamée dans le théâtre aux Dionysies, lors de la représentation des nouvelles tragédies, et dans les concours gymniques des Panathénées, des Éleusinies et des (Ptolémaia) ; les stratèges, tant qu'Hyrcan continuera et persévérera à notre égard dans ses bonnes dispositions, veilleront à ce qu'il éprouve tous les sentiments de déférence et de reconnaissance que nous inspirent sa bienveillance et son zèle : en sorte que ces démonstrations fassent voir que notre peuple réserve le meilleur accueil aux gens de bien, qu'il est prêt à reconnaître comme il convient leurs bons offices, et que tous, en voyant ces marques d'honneur rivalisent de bienveillance à notre endroit. On choisira enfin parmi tous les Athéniens {trois} envoyés pour porter à Hyrcan ce décret, et le prier d'accepter ces marques d'honneur et de s'efforcer de toujours faire quel que bien a notre ville.» Ces documents en disent assez sur les marques d'honneur décernées par les Romains et le peuple athénien à Hyrcan. [14,9] CAP. IX. 1. César, ayant réglé les affaires de Syrie, reprit la mer. Antipater, après avoir reconduit César, revint de Syrie en Judée et se mit aussitôt à relever les murs renversés par Pompée ; puis il parcourut tout le pays et réprima partout les troubles, rétablissant la tranquillité par menace ou par persuasion. Les partisans d'Hyrcan, assurait-il, vivraient heureux, jouissant en toute sécurité de leurs biens : quant à ceux qui mettraient encore leur espoir dans une révolution et dans les profits qu'ils compteraient en tirer, ils trouveraient en lui, au lieu d'un patron, un maître, en Hyrcan, au lieu d'un roi, un tyran, en César et les Romains de cruels ennemis et non des chefs, car ils ne supporteraient pas qu'on ébranlât le pouvoir qu'ils avaient eux-mêmes établi. En tenant ces discours Antipater se soumit le pays. 2. Voyant qu'Hyrcan était indolent et lourd, il désigna l'aîné de ses propres fils, Phasaël, comme préfet de Jérusalem et du territoire environnant, et confia la Galilée au suivant, Hérode, encore extrêmement jeune : il n'avait en effet que quinze ans. Sa jeunesse ne lui fit pourtant aucun tort : comme il avait un caractère énergique, le jeune homme trouva tout de suite l'occasion de montrer ce qu'il valait. Ayant appris qu'Ezéchias, chef de brigands, parcourait à la tête d’une forte bande les frontières de Syrie, il l'attaqua et le tua avec bon nombre des brigands qui l'accompagnaient. Cet exploit lui valut l'attachement des Syriens, car il exauça leur désir d'être débarrassés du brigandage. Aussi dans les villages et dans les villes les habitants célébraient ses louanges, pour leur avoir rendu la paix et la paisible jouissance de leurs biens. C'est ce qui attira aussi sur lui l'attention de Sextus César, parent du grand César, et gouverneur de Syrie. Les hauts faits d'Hérode excitèrent l'émulation de son frère Phasaël, qui, stimulé par cette renommée, s'efforça de ne pas rester en arrière et d'en acquérir une semblable ; il se concilia l'affection des habitants de Jérusalem : maître de la ville, il la gouverna sans se comporter durement et sans abus de pouvoir. Antipater y gagna, de la part du peuple, le respect qu'on témoigne aux rois, et des honneurs comme en reçoit un maître tout-puissant. Et cependant, malgré toute la gloire qu'il en retirait, jamais, contrairement à ce qui arrive souvent, il ne se départit de son attachement et de sa fidélité à l'égard d'Hyrcan. 3. Quand les principaux des Juifs virent que le pouvoir d'Antipater et de ses fils allait grandissant grâce à l'affection que leur portait le peuple, aux revenus de la Judée et aux richesses d'Hyrcan, ils furent fort indisposés contre lui. Antipater avait fait amitié avec les généraux romains, et, après avoir persuadé Hyrcan de leur envoyer de l'argent, il avait détourné le présent à son honneur en l'envoyant comme son don personnel, et non celui d'Hyrcan. Hyrcan, lorsqu'il apprit le fait, ne s'en inquiéta pas et témoigna même sa satisfaction, mais les premiers des Juifs étaient remplis de crainte, en voyant Hérode, violent et audacieux, aspirer à la tyrannie. Ils se rendirent donc auprès d'Hyrcan et accusèrent ouvertement Antipater. « Jusqu'à quand, dirent-ils, supporteras-tu sans t'émouvoir ce qui se passe ? ne vois-tu pas qu'Antipater et ses fils possèdent en réalité le pouvoir et que tu n'as plus de la royauté que le titre ? Il ne faut pas que tu l'ignores, ni que tu t’imagines que ton insouciance pour tes propres affaires et pour la royauté ne présente aucun danger ; car Antipater et ses fils ne sont plus maintenant les simples administrateurs de tes affaires, - ne te livre pas à cette illusion - on les reconnaît ouvertement pour maîtres. Ainsi, son fils Hérode a tué Ezéchias et plusieurs de ses compagnons, en violation de notre loi, qui interdit de donner la mort à un homme, fût-il un criminel, s'il n'a été auparavant condamné à cette la peine par le Conseil ; et il a osé le faire sans t'en avoir demandé permission. » 4. Hyrcan se laissa convaincre par ces discours. Sa colère fut encore excitée par les mères des victimes d'Hérode : celles-ci, en effet, venaient tous les jours au Temple, demandant au roi et au peuple qu'Hérode vint rendre compte de ses actes devant le Conseil. Hyrcan, ébranlé par leurs plaintes, cita Hérode pour répondre aux accusations portées contre lui. Hérode vint. Son père lui conseilla de se présenter, non comme un simple particulier, mais avec des sûretés et une garde du corps. Aussi, après avoir arrangé les affaires de Gaulée de la manière qu'il jugeait utile à ses intérêts, Il se fit accompagner d'une escorte suffisante pour le voyage, de telle sorte qu'il n'effrayait pas Hyrcan, en se faisant suivre d'une troupe trop nombreuse, et qu'il n'arrivât cependant ni désarmé ni sans gardes, pour comparaître en justice. Cependant Sextus (César), gouverneur de Syrie, écrivit à Hyrcan pour l'inviter à absoudre Hérode, ajoutant des menaces pour le cas où on lui désobéirait. Cette lettre de Sextus fournissait à Hyrcan un bon prétexte pour renvoyer Hérode sans qu'il fût inquiété par le Conseil car il l'aimait comme un fils. Quand Hérode se présenta au Conseil avec son escorte, il en imposa d'abord à tous, et aucun de ceux qui le décriaient avant son arrivée n'osa plus soutenir l'accusation personne ne bougea, on ne savait à quoi se résoudre. Telle était la situation, lorsqu’un certain Saméas, homme juste et par conséquent au-dessus de toute crainte, se leva et dit : « Conseillers et vous, roi, jamais je n'ai vu aucun des hommes appelés par vous en justice avoir pareille attitude, et je ne suppose pas que vous puissiez de votre côté citer un tel exemple. Quiconque arrive devant cette assemblée pour être jugé se présente humble, dans l'attitude d'un homme craintif, implorant notre pitié, la chevelure longue, revêtu de vêtements noirs. Et cet excellent Hérode, prévenu de meurtre, et cité sous ce chef d'accusation, comparait drapé dans la pourpre, la tête ornée d'une coiffure savante, entouré de soldats, afin que, si, obéissant à la loi, nous le condamnons, il puisse nous tuer et se sauver en violant le droit. Je ne fais aucun reproche à Hérode s'il met ainsi son propre intérêt au-dessus de la légalité ; c'est à vous que j'en fais, et au roi, pour lui avoir donné pareille licence. Sachez cependant que Dieu est grand, et que cet homme, que vous voulez aujourd'hui absoudre par égard pour Hyrcan, vous châtiera un jour, vous et le roi lui-même. » Sa prédiction se réalisa. Car Hérode, quand il se fut emparé de la royauté, fit mettre à mort tous les membres du Conseil, et Hyrcan lui-même ; il fit exception pour Saméas, car il l'estimait fort pour son honnêteté et pour avoir conseillé aux habitants, plus tard, lors du siège de la ville par Hérode et Sossius, de lui ouvrir les portes, assurant qu'en raison de leurs fautes, ils ne pouvaient lui échapper. Nous parlerons de ces événements en temps utile. 5. Quand Hyrcan vit les membres du Conseil pencher vers la condamnation à mort d'Hérode, il renvoya le jugement à un autre jour. Puis il dépêcha secrètement un messager à Hérode pour lui conseiller de s'enfuir de la ville, seul moyen d'échapper au danger. Hérode se réfugia à Damas, comme s'il fuyait le roi, se rendit auprès de Sextus César, et, une fois en sûreté, décida, si le Conseil le citait encore en justice, de ne pas obéir. Les membres du Conseil, vivement irrités, essayèrent de persuader Hyrcan que tout cela était dirigé contre lui. Hyrcan s'en rendit bien compte, mais ne sut prendre aucune décision tant par faiblesse que par sottise. Sextus nomma Hérode préfet de la Cœlé-Syrie, charge qu'il lui vendit à prix d’argent ; Hyrcan fut alors saisi de la crainte qu’Hérode ne partît en guerre contre lui. Ses craintes ne tardèrent pas à se réaliser : Hérode vint à la tête d'une armée, irrité d'avoir été l’objet de poursuites et convoqué pour se justifier devant le Conseil. Cependant son père Antipater et son frère vinrent à sa rencontre et l'empêchèrent d'attaquer Jérusalem ; ils calmèrent son élan, le suppliant de ne se porter à aucune extrémité, et de se contenter de frapper de terreur ses ennemis par ses menaces, sans pousser plus loin les choses contre un homme auquel il devait la situation qu'il occupait. S'il s'indignait au sujet de sa citation en justice, il ne devait pas oublier sa mise hors de cause, qui lui imposait de la reconnaissance ; il n'était pas juste d'en vouloir à Hyrcan de sa rigueur et de ne pas lui savoir gré de l'avoir sauvé : il devait considérer que, si les chances de la guerre sont dans les mains de Dieu, l’injustice emporte la balance sur le talent militaire, et qu’il ne pouvait trop compter sur la victoire, attaquant un homme qui était son roi, son ami, son bienfaiteur, qui ne lui avait jamais fait aucun mal ; quant aux griefs d'Hérode, c'étaient les mauvais conseillers d'Hyrcan et non Hyrcan lui-même à qui il devait s'en prendre de ce qui n'était qu’une ombre et un soupçon d'hostilité. Hérode se laissa persuader, prouvant qu'il suffisait, en vue de ses espérances secrètes, d'avoir montré au peuple sa puissance. Telle était la situation en Judée. [14,10a] CAP. X. 1. Comme César, revenu à Rome, s'apprêtait à s'embarquer pour l'Afrique, où il devait combattre Scipion et Caton, Hyrcan lui envoya demander de resserrer les liens d'amitié et d'alliance qui l'unissaient à lui. Je crois nécessaire d'enregistrer ici toutes les marques d'honneur et d'alliance accordées par les Romains et leurs chefs à notre peuple, afin que nul n'ignore que les rois tant d'Asie que d'Europe nous eurent en haute estime, et firent grand cas de notre valeur et de notre fidélité. Beaucoup de gens mal disposés pour nous refusent de croire les décrets des Perses et des Macédoniens à notre sujet, attendu que ces témoignages ne se trouvent pas partout et dans tous les lieux publics, mais ne sont conservés que chez nous et chez quelques autres peuples barbares ; au contraire, il est impossible d'opposer aucun démenti aux décrets des Romains, car ils se trouvent dans des endroits publics des villes, et sont gravés encore maintenant sur des tables de bronze déposées au Capitole, et même Jules César fit dresser pour les Juifs d'Alexandrie une stèle en bronze, publiant qu’ils étaient citoyens dans cette ville. Je citerai donc les décrets rendus par le Sénat et par Jules César en faveur d'Hyrcan et de notre peuple. 2. (I) « Caïus Julius César, général en chef, grand pontife, dictateur pour la seconde fois, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Sidon, salut. Si vous allez bien, à merveille ; moi et l'armée sommes en bonne santé. Je vous envoie, pour la placer dans vos archives publiques, la copie du décret gravé sur une table (de bronze), concernant Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs. Je veux qu'il soit inscrit, en grec et en latin, sur une table de bronze. Le voici. Moi, Jules César, général en chef, grand pontife, {dictateur} pour la seconde fois, voici ce que j'ai décidé, avec l'assentiment de mon Conseil : Attendu qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, Juif, actuellement et dans le passé, dans la paix comme dans la guerre, a toujours fait preuve à notre égard de fidélité et de zèle, comme en ont témoigné nombre de généraux : que tout récemment dans la guerre d'Alexandrie il vint, à mon secours avec quinze cents soldats, et envoyé par moi auprès de Mithridate, surpassa tous les chefs en bravoure : pour ces raisons je veux qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, et ses descendants soient ethnarques des Juifs et détiennent à perpétuité la grande-prêtrise des Juifs, suivant les coutumes de leur nation : qu'ils soient comptés, lui et ses enfants, au nombre de nos alliés et de nos amis nominativement désignés ; que lui et ses enfants conservent tous les privilèges sacerdotaux et pécuniaires établis par leurs lois nationales ; et si quelque dissentiment s'élève sur la coutume des Juifs, je veux qu'ils en soient juges. J'interdis que les troupes prennent chez eux leurs quartiers d'hiver ou qu’on exige d'eux de l'argent. » 3. (II). « Voici les décisions, autorisations, concessions, de Caïus César, général en chef et consul : {Hyrcan fils d'Alexandre et} ses descendants régneront sur le peuple juif et jouiront de tous les territoires à eux concédés ; le grand-prêtre et ethnarque sera le protecteur de ceux des Juifs qui seront lésés. On enverra à Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre des Juifs, des ambassadeurs, porteurs de paroles d'amitié et d'alliance. Une table de bronze contenant ces dispositions, gravées en latin et en grec, sera déposée dans le Capitole, et à Sidon, à Tyr, à Ascalon dans les temples. Ce décret sera porté à la connaissance de tous les trésoriers et gouverneurs des villes et de tous nos amis. Les envoyés recevront les présents d'hospitalité, et ces dispositions seront notifiées partout. » 4. (III). « Caïus César, général en chef, dictateur, consul, en raison de l'estime dont jouit Hyrcan, fils d'Alexandre, de son mérite, de son humanité, lui concède pour lui et ses descendants, dans l'intérêt du Sénat et du peuple romain, la dignité de grand-prêtre {et ethnarque} de Jérusalem et du peuple Juif, avec les droits et les prérogatives sous lesquels leurs ancêtres ont détenu la grande-prêtrise. » [14,10b] 5. (IV) « Caïus César, consul pour la cinquième fois, a décidé qu'ils posséderaient et entoureraient de murailles la ville de Jérusalem ; qu'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs, l'occuperait comme il l'entendrait. Les Juifs, la seconde année de la ferme de l'impôt, seront dispensés… ; personne ne pourra (alors) les prendre à entreprise ni leur faire payer les mêmes impôts. » 6. (V). « Caïus César, général en chef, {dictateur} pour la seconde fois, a décidé que chaque année les Juifs paieront un tribut pour la ville de Jérusalem {et le reste de leur territoire} excepté Jopé, sauf tous les sept ans, en l'année que les Juifs appellent sabbatique, puisqu'ils ne cueillent pas cette année-là les fruits des arbres et ne font pas de semailles. Ils payeront le tribut à Sidon le deuxième {mois}, le quart de ce qui aura été semé ; ils payeront, en outre, à Hyrcan et à ses descendants la dîme qu'ils ont payée à ses ancêtres. Personne, magistrat ou promagistrat, préteur ou légat, ne pourra lever sur le territoire juif des troupes auxiliaires ; il est interdit aux soldats de demander aux Juifs des contributions, soit pour les quartiers d’hiver, soit sous tout autre prétexte ; les Juifs resteront indemnes de toute exigence… Et tous les biens qu'après cette date ils ont pu posséder, détenir, acheter, leur appartiendront. La ville de Jopé, que les Juifs possédaient dès le début de leur alliance avec les Romains, leur appartiendra comme auparavant, c’est notre volonté ; Hyrcan, fils d'Alexandre, et ses fils payeront pour cette ville et prélèveront sur les habitants, à titre de droits d'exportation du port et du pays, vingt mille six cent soixante quinze boisseaux, payables tous les ans à Sidon, sauf chaque septième année, l'année dite sabbatique où les Juifs ne labourent pas et ne cueillent pas les fruits des arbres. Quant aux villages situés dans la grande plaine et qu'Hyrcan et ses ancêtres avant lui occupaient, la volonté du Sénat est qu'ils appartiennent à Hyrcan et aux Juifs dans les conditions où ils les ont possédés autrefois. Les anciens droits réglant les rapports des Juifs et de leurs grands-prêtres et prêtres subsisteront> ainsi que les bienfaits qu'ils tiennent d'un vote du peuple et du Sénat. Outre (?) ces droits ils pourront se servir de…. Et tous les territoires, localités, villages, dont les rois de Syrie et de Phénicie, alliés des Romains, ont eu par concession gratuite la jouissance, appartiendront, par décision du Sénat, à l'ethnarque Hyrcan et aux Juifs. Il est accordé à Hyrcan et à ses descendants et aux ambassadeurs envoyés par lui le privilège d'assister aux luttes de gladiateurs et aux combats de bêtes assis parmi les sénateurs ; s'ils adressent au dictateur ou au maître de la cavalerie une demande pour comparaître devant le Sénat, ils seront introduits, et réponse leur sera donnée dans un délai de dix jours, à partir du vote du décret. » 7. (VI). « Caïus César, général en chef, dictateur pour la quatrième fois, consul pour la cinquième fois, dictateur désigné à vie, a parlé en ces termes au sujet des droits d'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs : Les généraux qui m'ont précédé dans les provinces ayant porté bon témoignage à Hyrcan, grand-prêtre des Juifs et aux Juifs, devant le peuple et le Sénat, et le peuple et le Sénat leur ayant manifesté leur reconnaissance, nous croyons bon à notre tour de nous souvenir d'eux et de pourvoir à ce que Hyrcan, le peuple juif et les enfants d'Hyrcan reçoivent du Sénat et du peuple romain un témoignage de gratitude digne de leurs bonnes dispositions à notre égard et des services qu'ils nous ont rendus. » 8. (VII). « N…, préteur proconsul des Romains. aux magistrats, au Conseil et au peuple des Pariens, salut. Les Juifs de Délos sont venus me voir, avec quelques-uns des Juifs domiciliés chez vous, et, en présence de vos envoyés, m'ont exposé que vous leur interdisiez par décret l'usage de leurs coutumes et de leur religion nationales. Il ne me plait pas que de semblables décrets soient rendus contre nos amis et alliés, qu'on leur interdise de vivre suivant leurs coutumes, de réunir de l'argent pour des repas en commun et des cérémonies, alors qu'à Rome même on ne les empêche pas de le faire. Car lorsque Caïus César, notre général en chef, a interdit par ordonnance la formation d'associations à Rome, les Juifs sont les seuls qu'il n'ait pas empêchés de réunir de l'argent ou de faire des repas en commun. De même moi aussi, interdisant toutes les autres associations, j'autorise les Juifs seuls à vivre suivant leurs coutumes et lois nationales, et à se réunir dans des banquets. Quant à vous, si vous avez pris quelque décret contre nos amis et alliés, il est opportun que vous le rapportiez, en raison des services qu'ils nous ont rendus et de leurs bonnes dispositions à notre égard. » 9. Après la mort de César, Marc Antoine et Publius Dolabella, qui étaient consuls, réunirent le Sénat, et ayant introduit les envoyés d'Hyrcan, prirent la parole sur leurs demandes, et firent amitié avec eux ; le Sénat vota qu'on leur accordât tout ce qu'ils désiraient. Je cite également ce décret afin que les lecteurs de cette histoire aient sous les yeux la preuve de ce que j'avance. Le voici : [14,10c] 10. (VIII). « Sénatus-consulte tiré du trésor, copié sur les tables publiques de la questure ; Quintus Rutilius, Quintus Cornélius étant questeurs urbains; table deuxième, première tablette. « Trois jours avant les ides d'avril, dans le Temple de la Concorde. Étaient présents à la rédaction Lucius Calpurnius Pison, {fils de Lucius}, de la tribu Menenia, Servius Papinius…. Quintus, de la tribu Lemonia, Caïus Caninius Rebilus, {fils de Caïus}, de la tribu Teretina, Publius Tidetius, fils de Lucius, de la tribu Pollia, Lucius Apuleius, fils de Lucius, de la tribu Sergia, {Lucius}, Flavius, fils de Lucius, de la tribu Lemonia, Publius Plautius {Hypsaeus}, fils de Publius, de la tribu Papiria, Marcus Asellius, fils de Marcus, de la tribu Mæcia, Lucius Erucius, fils de Lucius, de la tribu Stellatina, Marcus Quintius Plancillus, fils de Marcus, de la tribu Pollia, Publius Sergius… « Publius Dolabella et Marc Antoine, consuls, ont pris la parole. - Sur les décisions relatives aux Juifs prises par Caius César de l'avis du Sénat, qu'il n'a pas eu le temps de déposer aux archives du trésor public, notre volonté est qu’il soit fait suivant l'opinion des consuls Publius Dolabella et Marc Antoine : que ces décisions soient portées sur les tables et communiquées aux questeurs urbains afin qu'eux aussi prennent soin de les porter sur les diptyques. La date en est cinq jours avant les ides de février, dans le temple de la Concorde. Les envoyés du grand-prêtre Hyrcan étaient : Lysimaque, fils de Pausanias, Alexandre, fils de Théodore, Patrocle, fils de Chæréas, Jonathas, fils d'Onias. 11. Hyrcan envoya aussi l'un de ces ambassadeurs auprès de Dolabella, alors gouverneur d'Asie, pour le prier de dispenser les Juifs du service militaire, et de leur permettre de conserver leurs coutumes nationales et d'y conformer leur vie. Il l'obtint sans peine, car Dolabella, au reçu de la lettre d'Hyrcan, sans même délibérer, donna ses instructions à tous les habitants de la province, et écrivit à la ville d'Éphèse, première de l'Asie, une lettre au sujet des Juifs conçue en ces termes : 12. (IX). « Artémon étant prytane, le premier du mois Lénœon. Dolabella, général en chef, aux magistrats, au Conseil et au peuple d'Éphèse, salut. Alexandre, fils de Théodore, ambassadeur d'Hyrcan, fils d'Alexandre, grand-prêtre et ethnarque des Juifs, m'a déclaré que ses compatriotes ne pouvaient faire de service militaire parce qu'ils ne peuvent porter les armes, ni faire de marches les jours de sabbat, ni s'approvisionner des aliments que commandent leurs lois et leurs coutumes. Je leur accorde donc, comme l'ont fait mes prédécesseurs, l'exemption de service et je les autorise à observer leurs coutumes nationales, ainsi qu'à se réunir pour célébrer leur culte et leurs cérémonies comme leur loi le leur prescrit, et pour recueillir les contributions destinées aux sacrifices. Et je désire que vous transmettiez aux autres villes cette lettre. » 13. Telles furent les faveurs accordées par Dolabella à nos compatriotes, à la suite de l'ambassade d'Hyrcan. (X) Et Lucius Lentulus, consul, dit : « J'ai exempté du service militaire, à Éphèse, devant le tribunal, pour motif d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains, qui observent et célèbrent le culte juif ; le douzième jour avant les Calendes d'octobre, Lucius Lentulus et Caius Marcellus étant consuls. Etaient présents Titus Ampius Balbus, fils de Titus, de la tribu Horatia, légat, Titus Tongius, fils de Titus, de la tribu Crustumina, Quintus Cæsius, fils de Quintus, Titus Pompeius Longinus, fils de Titus, Caïus Servilius Bracchus, fils de Caïus, de la tribu Teretina, tribun militaire, Publius Clusius Gallus, fils de Publius, de la tribu Veturia, Caïus Sentius, fils de Caïus...., de la tribu Sabbatina. » (X bis) Titus Ampius Balbus, fils de Titus, légat propréteur, aux magistrats, au Conseil et au peuple d'Éphèse, salut. Lucius Lentulus, consul, sur mon intervention, a exempté les Juifs d'Asie du service militaire. Ayant ensuite adressé la même demande d'exemption à Fannius, propréteur, et à Lucius Antonius, proquesteur, j'ai obtenu satisfaction ; et je désire que vous preniez vos mesures pour que personne ne leur suscite d'embarras. » [14,10d] 14. (XI) Décret des Déliens : « Sous l'archontat de Bœotos, le 20 du mois de Thargélion, motion des stratèges. Marcus Pison, légat, résidant dans notre ville et préposé au recrutement, nous ayant convoqués avec des citoyens de marque, nous a enjoint, s'il y a parmi nous des Juifs citoyens romains, de ne point les tracasser au sujet du service militaire, attendu que le consul Lucius Cornélius Lentulus, pour des motifs d'ordre religieux, a exempté les Juifs du service. Nous devons donc obéir au général. » (XII) Les habitants de Sardes ont rendu à notre sujet un décret analogue. 15. (XIII). « Caïus Fannius, fils de Caïus, préteur, proconsul, aux magistrats de Cos, salut. Je veux que vous sachiez que des ambassadeurs des Juifs se sont présentés à moi et m'ont demandé de leur remettre les décrets rendus a leur sujet par le Sénat. Les dispositions en sont ci-jointes. Je veux donc que vous preniez soin de ces hommes conformément aux décisions du Sénat, afin qu'ils puissent rentrer dans leur pays sans difficulté en traversant votre territoire. » 16. (XIV) Lucius Lentulus, consul, a dit : « J'exempte du service, pour motifs d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains qui m'ont paru observer et pratiquer les rites juifs à Éphèse. Fait le douzième jour avant les Calendes de Quintilis. » 17. (XV). « Lucius Antonius, fils de Marcus, proquesteur et propréteur, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Sardes, salut. Les Juifs citoyens romains sont venus me remontrer qu'ils ont eu, de tout temps, leur association particulière, conformément à leurs lois nationales, et leur lieu de réunion particulier, dans lequel ils jugent leurs affaires et leurs contestations ; ils m'ont demandé l'autorisation de conserver cette coutume, et j'ai décidé de le leur permettre. » 18. (XVI). Marcus Publius, fils de Spurius, Marcus Lucius, fils de Marcus Publius, disent : « Nous étant rendus auprès de Lentulus, consul, nous lui avons soumis la requête de Dosithéos, d'Alexandrie, fils de Cléopatridès, en vue d'exempter du service, pour motifs d'ordre religieux, s'il le juge bon, les Juifs citoyens romains qui célèbrent le culte juif : il a accordé cette exemption le douzième jour avant les calendes de Quintilis. » 19. (XVII). « Lucius Lentulus et Caius Marcellus étant consuls. Etaient présents Titus Ampius Balbus, fils de Titus, de la tribu Horatia, questeur, Titus Tongias, de la tribu Crustumina, Quintus Cœsius, fils de Quintus, Titus Pompeius Longinus, fils de Titus, de la tribu Cornelia, Caïus Servilius Bracchus, fils de Caïus, de la tribu Teretina, tribun militaire, Publius Clusius Gallus, fils de Publius, de la tribu Veturia, Caïus Sentius, fils de Calus, tribun militaire, de la tribu Æmilia, tribun militaire, Sextus Atilius Serranus, fils de Sextus, de la tribu Emilia, Calus Pompeius, fils de Caius, de la tribu Sabatina, Titus Ampius Menander, (affranchi) de Titus (Ampius), Publius Servilius Strabon, fils de Publius, Lucius Paccius Capito, fils de Lucius, de la tribu Couina, Aulus Furius Tertius, fils d'Aulus, Appius Menas. En leur présence Lentulus a décrété : J'exempte, à Éphèse devant le tribunal, de tout service, pour motifs d'ordre religieux, les Juifs citoyens romains qui pratiquent la religion juive. » [14,10e] 20. (XVIII). « Les magistrats de Laodicée à Caïus Rabirius, fils de Caïus, proconsul, salut. Sopater, envoyé du grand-prêtre Hyrcan, nous a remis ta lettre, dans laquelle tu nous faisais savoir que certains envoyés étaient venus de la part d'Hyrcan, grand-prêtre des Juifs, t’apporter une décision écrite concernant leur peuple, enjoignant qu'on leur permette de célébrer le sabbat et de pratiquer leurs autres rites suivant leurs lois nationales ; qu'en raison de leur amitié et alliance avec nous (Romains), ils n'aient à recevoir d'ordre de personne et n'aient rien à souffrir de personne dans notre province ; ladite lettre ajoutait que, les habitants de Tralles t'ayant déclaré en face leur désapprobation des décisions prises au sujet des Juifs, tu leur avais formellement prescrit de s'y conformer, et que (les Juifs) t'ont prié de nous écrire aussi à ce propos. En obéissance à tes prescriptions, nous avons reçu cette lettre, nous l'avons placée dans nos archives publiques, et sur tous les autres points de tes instructions, nous prendrons nos mesures pour n'encourir aucun blâme. » 21. (XIX). « Publius Servilius Galba, fils de Publius, proconsul, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Milet, salut. Prytanis, fils d'Hermas, votre concitoyen, est venu me voir à Tralles où je tenais les assises, et m'a appris que contrairement à notre décision vous attaquez les Juifs, que vous les empêchez de célébrer le sabbat et de pratiquer leurs rites nationaux, de préparer leurs récoltes suivant leurs coutumes, et que lui-même avait rédigé le décret conformément aux lois. Je veux donc que vous sachiez que, les deux parties entendues contradictoirement, j'ai décidé qu'on ne doit pas interdire aux Juifs de vivre suivant leurs coutumes. » 22. (XX). Décret des Pergaméniens. « Cratippos étant prytane, le premier du mois Daisios, sur la motion des stratèges Attendu que les Romains, suivant l'exemple de leurs ancêtres, affrontent tous les dangers pour la sécurité commune de tous les hommes, et se font gloire d'assurer à leurs alliés et amis la prospérité et une paix solide ; - Attendu que le peuple juif et Hyrcan, son grand-prêtre, leur ayant envoyé en ambassade Straton, fils de Théodotos, Apollonios, fils d'Alexandre, Enée, fils d'Antipater, Aristobule, fils d'Amyntas, Sosipater, fils de Philippe, hommes justes et honnêtes, après un exposé détaillé de leurs griefs, le Sénat a rendu le décret suivant sur les points qui en faisaient l'objet : Le roi Antiochus, fils d'Antiochus, ne doit faire aucun tort aux Juifs, alliés des Romains ; s'il leur a pris des places fortes, ports, territoires, ou quelque autre chose, il le leur rendra ; …et personne peuple ni roi, à l'exception du seul Ptolémée, roi d'Alexandrie, en raison de son amitié et de son alliance avec nous, n'exportera rien du territoire et des ports des Juifs sans payer de droits ; la garnison de Jopé sera retirée, comme ils l'ont demandé ; - Attendu que Lucius Pettius, homme juste et honnête, a recommandé à notre Conseil de prendre des mesures pour que ces décisions soient exécutées, suivant le décret du Sénat romain, et de veiller à ce que le retour des ambassadeurs dans leur patrie ait lieu sans danger, - Nous avons reçu Théodore devant notre Conseil et notre assemblée ; il nous a remis la lettre et le sénatus-consulte, et après qu'il nous eut parlé avec beaucoup de chaleur, vantant la valeur et la grandeur d'âme d’Hyrcan, sa bienveillance pour tous en général, et en particulier pour ceux qui arrivent auprès de lui, nous avons placé la lettre dans nos archives publiques et décrété de tout faire nous-mêmes pour les Juifs, conformément au sénatus-consulte, en notre qualité d'alliés des Romains. Théodore, après nous avoir remis la lettre, a demandé aussi à nos stratèges d'envoyer à Hyrcan la copie du décret, avec des ambassadeurs chargés d'affirmer les bonnes dispositions de notre peuple et de prier Hyrcan de conserver et d'accroître encore son amitié pour nous et de nous faire incessamment quelque bien, dont il sera payé de retour, comme il convient, se souvenant que du temps d'Abraham, qui fut le père de tous les Hébreux, nos ancêtres étaient leurs amis, ainsi que nous le trouvons consigné dans les actes publics. » 23. (XXI). Décret des Halicarnassiens. « Sous la prêtrise de Memnon, fils d'Aristide, et par adoption d'Euonymos, le … du mois d'Anthestérion, décret du peuple, sur la proposition de Marcus, fils d'Alexandre : Attendu que de tout temps nous avons respecté les sentiments pieux et saints envers la divinité, à l'exemple du peuple romain, bienfaiteur de tous les hommes, et conformément à ce qu'il a écrit à notre ville touchant son amitié et son alliance avec les Juifs, à savoir que ceux-ci doivent pouvoir célébrer leurs cérémonies et leurs fêtes et tenir leurs réunions habituelles. Nous avons décidé que tous les Juifs, hommes et femmes, qui le désiraient, pourraient célébrer le sabbat, offrir des sacrifices suivant la loi juive, faire des prières au bord de la mer, selon leur coutume nationale. Et si quelqu'un, magistrat ou particulier, y met empêchement, qu’il soit frappé de cette amende au profit de la ville. » 24. (XXII). Décret des habitants de Sardes : « Le Conseil et le peuple, sur la proposition des stratèges, ont décidé : Attendu que les Juifs citoyens, qui habitent notre ville, et qui ont toujours été traités avec la plus grande humanité par le peuple, se sont présentés maintenant au Conseil et au peuple, rappelant que leurs lois et leur liberté leur ont été rendues par le Sénat et le peuple romain, et demandent qu'ils puissent se réunir, se gouverner, se juger entre eux, suivant leurs coutumes, et qu'on leur donne un lieu où ils puissent se rassembler avec leurs femmes et leurs enfants pour offrir leurs prières et leurs sacrifices traditionnels à Dieu ; en conséquence, le Conseil et le peuple ont décidé de les autoriser à se réunir aux jours fixés, pour se conformer à leurs lois ; les stratèges leur assigneront, pour bâtir et habiter, l'emplacement qu'ils jugeront convenable à cet effet, et les agoranomes de la cité auront soin de faire introduire dans la ville tout ce qui sera nécessaire pour leur subsistance. 25. (XXIII). Décret des Éphésiens : « Ménophilos étant prytane, le premier du mois d'Artémision, décret du peuple, motion de Nicanor, fils d'Euphémos, introduite par les stratèges. Attendu que les Juifs qui habitent la ville, ayant obtenu audience de Marcus Junius… Brutus… proconsul, la permission de célébrer le sabbat et de suivre en tout les prescriptions de leurs lois nationales, sans que personne les en empêche, le préteur a accordé cette autorisation ; en conséquence, le Conseil et le peuple ont décidé, la chose intéressant les Romains, que personne ne sera empêché de célébrer le jour du sabbat, ni passible d'amende pour l'avoir fait, et que les Juifs seront autorisés à se conformer en tout a leurs lois particulières. 26. Il existe encore bon nombre de décrets analogues du Sénat et des généraux romains en faveur d'Hyrcan et de notre nation, de décrets des villes, d'actes des magistrats en réponse aux lettres des gouverneurs relatives à nos droits. De tous ces documents le lecteur impartial peut se faire une idée d'après ceux que nous avons cités. Car, maintenant que nous avons fourni des preuves évidentes et frappantes de l'amitié des Romains pour nous et montré ces preuves inscrites sur des tables de bronze et dans des actes qui existent encore et resteront au Capitole, je m'abstiens d'en reproduire toute la série, ce qui serait inutile et fastidieux ; je ne crois pas, en effet, que personne soit d'assez mauvaise foi pour refuser de croire à la bienveillance des Romains à notre égard, alors qu'ils l'ont témoignée par de nombreux décrets, et pour nous soupçonner de n'avoir pas dit la vérité après les preuves que nous avons fournies. J'ai donc démontré que les Romains à cette époque avaient été pour nous des amis et des alliés. [14,11a] CAP. XI. 1. Vers ce même temps, il y eut en Syrie des troubles, dont voici la cause : Bassus Cæcilius, un des partisans de Pompée, conspira contre Sextus César et l'assassina ; puis, ralliant les troupes de celui-ci, il s'empara du pouvoir. La guerre éclata aussitôt aux environs d'Apamée, les généraux de César ayant marché contre Cæcilius avec de la cavalerie et de l'infanterie. Antipater leur envoya des renforts avec ses fils, en souvenir des bienfaits de (Sextus) César, et trouvant donc juste de le venger et de châtier le meurtrier. La guerre traînant en longueur, Murcus vint de Rome pour remplacer Sextus dans son gouvernement. César à ce moment fut assassiné par Cassius et Brutus en plein sénat, après avoir gardé le pouvoir trois ans et six mois. Ces événements ont été racontés ailleurs. 2. La mort de César déchaîna la guerre ; tous les personnages importants se dispersèrent de côté et d'autre pour rassembler des troupes. Cassius arriva de Rome en Syrie afin de s'assurer celles qui campaient autour d'Apamée. Après avoir fait lever le siège, il se concilia les deux adversaires, Bassus et Murcus, et parcourut les villes, rassemblant des armes et des soldats, et imposant partout de forts tributs. La Judée surtout fut éprouvée : il l'imposa de sept cents talents d'argent. Antipater voyant partout la terreur et le trouble, résolut de diviser cette somme, pour la lever, en plusieurs parts ; il chargea chacun de ses deux fils d'en percevoir une partie ; Malichos, qui était mal disposé pour lui, eut le soin d'en rassembler une autre portion ; d'autres celui de réunir le reste. Hérode, qui eut le premier tiré de la Gaulée tout l'argent qu'il était chargé de lever, entra très avant dans les bonnes grâces de Cassius ; il trouva prudent, en effet, de flatter dès ce moment les Romains, et de s'assurer leur bienveillance, aux dépens d'autrui. Les commissaires de plusieurs villes furent vendus corps et biens, et Cassius réduisit en esclavage quatre villes entières, dont les deux plus importantes étaient Gophna et Emmaüs, les deux autres Lydda et Thamna. Emporté par la colère, il fut sur le point de mettre aussi à mort Malichos ; il l'aurait fait, si Hyrcan ne l'avait retenu en lui envoyant par Antipater cent talents pris sur ses propres richesses. 3. Dès que Cassius se fut retiré de la Judée, Malichos conspira contre Antipater, dont la mort, pensait-il, consoliderait le pouvoir d'Hyrcan. Il ne put cacher ses projets à Antipater, qui, les ayant découverts, se retira au delà du Jourdain et rassembla une armée composée d'Arabes et d'indigènes. Malichos, en homme avisé, désavoua le complot ; il protesta, jurant à Antipater, et à ses fils que, du moment que Phasaël tenait garnison à Jérusalem et qu'Hérode avait la garde de l'arsenal, personne n'aurait même pu concevoir l'idée d'un pareil projet, le sachant inexécutable. Il se réconcilia donc avec Antipater et tous deux s'unirent. Murcus était alors préteur de Syrie : quand il apprit que Malichos méditait une révolution en Judée, peu s'en fallut qu'il ne le fit mettre à mort ; il ne l'épargna que sur les instances d'Antipater. 4. Antipater, sans s’en douter, sauva ainsi la vie à son meurtrier Malichos. Sur ces entrefaites, en effet, Cassius et Murcus avaient rassemblé une armée et en avaient confié tout le soin à Hérode ; ils le nommèrent gouverneur de Cœlé-Syrie, lui donnèrent des navires, de la cavalerie et de l'infanterie, et lui promirent de le faire roi de Judée après la guerre qui venait d'éclater contre Antoine et le jeune César. Malichos cependant, qui craignait alors plus que jamais Antipater, résolut de s'en débarrasser : il gagna à prix d'argent l'échanson d'Hyrcan, chez lequel tous deux dînaient, et empoisonna son rival ; puis, avec ses hommes d'armes, il prit possession de la ville. Hérode et Phasaël, à la nouvelle de l'attentat commis contre leur père, ayant montré une vive irritation, il nia de nouveau et se déclara innocent de ce meurtre. Telle fut la fin d'Antipater, homme véritablement supérieur par sa piété, sa justice, son patriotisme. De ses deux fils, Hérode résolut aussitôt de venger son père, en marchant à la tête d'une armée contre Malichos ; mais Phasaël, l'aîné, pensa qu'il fallait jouer avec lui au plus fin, pour n'avoir pas l'air de déchaîner une guerre civile. Il accepta donc la justification de Malichos, feignit de croire qu'il n'était nullement coupable du meurtre d'Antipater et s'occupa d'élever un somptueux tombeau à son père. Hérode, arrivé à Samarie, s'en empara, releva la ville, qu'il trouva dévastée, et apaisa les discordes des habitants. [14,11b] 5. Peu de temps après, à l'approche de la fête de Jérusalem, il se dirigea vers la ville avec ses soldats. Malichos prit peur et conjura Hyrcan de ne pas le laisser entrer. Hyrcan y consentit et donna comme prétexte de cette interdiction l'impossibilité d'admettre une troupe d'étranger, au milieu du peuple occupé à se purifier. Hérode, sans se soucier de cette défense, entra de nuit dans la ville, à la grande terreur de Malichos. Celui-ci cependant ne jeta pas le masque ; il pleurait Antipater, évoquait publiquement son souvenir, comme celui d'un ami, tandis qu'en secret il se constituait une garde du corps. Hérode ne crut pas le moment venu de dénoncer sa fausseté ; il résolut même, pour ne pas éveiller ses soupçons, de répondre à ses démonstrations d'amitié. 6. Hérode envoya cependant la nouvelle de la mort de son père à Cassius. Celui-ci, qui connaissait bien le caractère de Malichos, répondit à Hérode par le conseil de venger son père, et envoya secrètement aux tribuns militaires qui se trouvaient à Tyr l'ordre d'aider Hérode à accomplir un acte de justice. Lorsque Cassius eut pris Laodicée, les habitants du pays vinrent à sa rencontre avec des couronnes et de l'argent. Hérode s'attendait à ce que Malichos vint aussi et reçut son châtiment ; mais celui-ci, arrivé à Tyr de Phénicie, conçut des soupçons et forma de son côté un projet plus hardi : son fils étant retenu comme otage à Tyr, il projeta d'entrer dans la ville, de l'enlever, puis de partir pour la Judée, et pendant que Cassius marcherait en Égypte contre Antoine, de soulever le peuple et de s'emparer du pouvoir. Mais la Providence déjoua ses desseins et le rusé Hérode pénétra ses calculs ; celui-ci envoya d'avance un serviteur, sous couleur de veiller aux préparatifs d'un banquet qu'il avait annoncé leur offrir à tous, en réalité pour parler aux tribuns militaires, qu'il persuada d'aller à la rencontre de Malichos avec des poignards. Ils sortirent et, l'ayant rencontré près de la ville, sur le rivage, ils le poignardèrent. Hyrcan fut tellement ému de cet événement qu'il en perdit la parole ; puis, revenu à lui à grand'peine, il demanda aux gens d'Hérode ce qui s'était passé et quel était le meurtrier de Malichos. Quand on lui eut dit que l'ordre était venu de Cassius, il approuva tout, ajoutant que Malichos était un méchant, qui conspirait contre sa patrie. C'est ainsi que Malichos expia sa déloyauté à l'égard d'Antipater. 7. Lorsque Cassius eut quitté la Syrie, des troubles s'élevèrent en Judée. Hélix, qui avait été laissé à Jérusalem avec des troupes, marcha contre Phasaël, et le peuple prit les armes. Hérode était en route pour rejoindre Fabius, qui commandait à Damas ; il voulut aller au secours de son frère, mais la maladie l'en empêcha. Phasaël put enfin avec ses seules forces avoir raison d'Hélix, qu'il enferma dans une tour, puis relâcha après avoir traité avec lui. Il reprocha vivement à Hyrcan, n'ayant reçu que des bienfaits de son frère et de lui, de faire cause commune avec leurs ennemis. Le frère de Malichos venait, en effet, de faire défection et occupait quelques places fortes, et la mieux défendue de toutes, Masada. Hérode, revenu à la santé, marcha contre lui, s'empara de toutes les forteresses qu'il possédait, et lui rendit la liberté après avoir traité. [14,12] CAP. XII. 1. Cependant Antigone, fils d'Aristobule, qui avait rassemblé une armée et s'était concilié Fabius à prix d’argent, revint, ramené par Ptolémée fils de Mennaios, auquel l’unissaient des liens de famille. Il avait aussi pour allié Marion, que Cassius avait laissé comme tyran à Tyr ; car celui-ci, après s'être emparé de la Syrie, y avait établi des tyrans comme gardiens. Marion attaqua aussi la Galilée, qui était limitrophe de son territoire, s’empara de trois forteresses et y mit garnison. Hérode marcha contre lui, lui enleva toutes ses conquêtes, mais laissa généreusement libres les soldats Tyriens, donnant même à quelques-uns des présents par bienveillance pour leur ville. Cela fait, il marcha contre Antigone, l’attaqua, le battit et le mit en déroute au moment où il allait franchir les frontières de la Judée. Quand il revint à Jérusalem, Hyrcan et le peuple lui décernèrent des couronnes. Il était déjà par ses fiançailles allié à la famille d’Hyrcan, aussi n'en défendait-il que mieux celui-ci ; il devait épouser la fille d'Alexandre, fils d'Aristobule, et petite-fille d'Hyrcan par sa mère. Il eut d'elle trois fils et deux filles. Il avait eu une première femme, du nom de Doris, prise dans le peuple, et qui fut la mère de son fils aîné, Antipater. 2. Antoine et César défirent Cassius à Philippes, comme l'ont raconté d'autres historiens. Après sa victoire, César revint en Italie, Antoine se rendit en Asie. Arrivé en Bithynie, il reçut de tous côtés des ambassades. Les principaux des Juifs vinrent aussi pour se plaindre de Phasaël et d'Hérode, assurant qu’Hyrcan ne possédait que l'apparence de la royauté, et que ceux-ci avaient tout le pouvoir. Hérode vint se justifier de ces accusations ; Antoine le reçut avec les plus grands honneurs et ses adversaires ne purent même obtenir la parole : Hérode s'était ménagé cet accueil d'Antoine, à prix d'argent. Puis, lorsqu'Antoine vint à Éphèse, le grand-prêtre Hyrcan et le peuple lui envoyèrent une ambassade pour lui porter une couronne d'or et le supplier d'écrire aux gouverneurs des provinces de faire remettre en liberté les Juifs que Cassius, contre le droit de la guerre, avait réduits en esclavage ; ils redemandaient aussi les territoires dont ils avaient été dépossédés du temps de Cassius. Antoine, estimant justes les réclamations des Juifs, écrivit aussitôt à Hyrcan et au peuple : il donna en même temps des ordres aux Tyriens et leur envoya un décret en ce sens : 3. « Marc Antoine, général en chef, à Hyrcan, grand-prêtre et ethnarque, et au peuple juif, salut. Si vous allez bien, c'est à merveille : l'armée et moi sommes en bonne santé. Vos envoyés Lysimaque, fils de Pausanias, Joseph, fils de Mennaios, et Alexandre, fils de Théodore, sont venus me trouver à Ephèse ; ils ont renouvelé auprès de moi la mission précédemment remplie par eux à Romeet se sont acquittés avec zèle de leur mission actuelle en ton nom et au nom du peuple, manifestant tes bonnes dispositions à notre égard. Persuadé donc, tant par les faits que par vos protestations, que vous avez pour nous les sentiments de la plus réelle amitié, et connaissant d'autre part la fermeté de vos moeurs et votre piété, je regarde votre cause comme la mienne. Des bandes hostiles à nous-même et au peuple romain se sont répandues dans toute l'Asie, n'épargnant ni les villes, ni les temples, parjures à tous les serments qu'ils avaient faits ; considérant que nous ne combattions pas pour nous-mêmes, mais dans l'intérêt de tous, nous avons repoussé ceux qui se rendaient ainsi coupables envers les hommes de déloyauté, envers les dieux de sacrilèges, capables, croyons-nous, de faire reculer le soleil, qui a vu avec horreur le crime commis sur la personne de César. Ces complots hostiles aux dieux, qui avaient cherché en Macédoine le seul air respirable à leur audacieuse impiété, ce ramassis de méchanceté forcenée qu'ils avaient formé à Philippes, en Macédoine, occupant des positions favorables, défendues par les montagnes jusqu'à la mer, de façon à ne ménager d'accès que par un seul passage, nous les avons écrasés avec l'aide des dieux, qui les avaient condamnés pour leur criminelle entreprise. Brutus, qui s'était enfui à Philippes, fut cerné par nous et enveloppé dans la ruine de Cassius. Ceux-là châtiés, nous espérons pouvoir désormais jouir de la paix et délivrer l'Asie du fléau de la guerre. Nous faisons donc partager à nos alliés la paix que Dieu nous a donnée. L'Asie se relève d'une maladie grave, grâce à notre victoire. Me souvenant donc de toi et de ton peuple, je m'occuperai de vos intérêts. J'ai affiché des instructions dans les villes pour que ceux qui, libres ou esclaves, ont été vendus à l'encan par Caïus Cassius ou ceux qui étaient sous ses ordres, soient remis en liberté ; et je veux que vous jouissiez des bienfaits accordés par moi et Dolabella. J'interdis aux Tyriens d'user de violence à votre égard, et je leur ordonne de restituer tout ce qu'ils ont pris aux Juifs. J'accepte la couronne que tu m'as envoyée. » 4. « Marc Antoine, général en chef, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Tyr, salut. Les envoyés du grand-prêtre et ethnarque Hyrcan, venus à ma rencontre à Éphèse, m'ont appris que vous occupiez une partie de leur territoire, envahie par vous sous la domination de nos adversaires. Maintenant que nous avons combattu pour l’empire, et que, guidés par la piété et la justice, nous avons repoussé ces hommes oublieux des bienfaits reçus et parjures à tous leurs serments, je veux que nos alliés trouvent auprès de vous la paix ; rien de ce que vous avez reçu de nos adversaires ne doit vous rester ; je vous ordonne de le restituer à ceux qui en ont été dépouillés. Ce n'est pas en effet du Sénat qu'aucun de ces hommes a obtenu ses provinces ou ses troupes : c'est à la violence qu'ils devaient ces possessions, et c'est par la violence qu'ils ont récompensé ceux qui leur avaient été utiles dans leurs injustes entreprises. Aussi, maintenant que ces usurpateurs ont été châtiés, nous trouvons bon que nos alliés rentrent sans difficulté en possession de tout ce qui a été jadis leur propriété ; et vous-mêmes, si vous détenez actuellement quelques places ayant appartenu à Hyrcan, ethnarque des Juifs, à la veille du jour où Caïus Cassius, entreprenant une guerre non autorisée a mis le pied dans notre province, j'ordonne que vous le lui restituiez, et que vous ne fassiez aux Juifs nulle violence, en vue de les rendre trop faibles pour se maintenir dans leurs possessions. Et si vous avez quelque réclamation à présenter contre Hyrcan, lorsque nous arriverons sur les lieux, vous pourrez vous en prévaloir, car nous examinons avec une égale attention les réclamations de tous nos alliés. » 5. « Marc Antoine, général en chef, aux magistrats, au Conseil et au peuple de Tyr, salut. Je vous envoie un édit rendu par moi ; je veux que vous preniez soin de l'insérer dans vos actes publics, en grec et en latin, et qu'il soit affiché dans l'endroit le plus apparent, afin que tous puissent en prendre connaissance. - Marc Antoine, général en chef, l'un des triumvirs chargés du gouvernement, a décidé : Attendu que Caïus Cassius, au cours de la présente rébellion, a pillé une province qui ne lui appartenait pas, l'a occupée avec des troupes, a saccagé nos alliés et mis à feu et à sang le peuple juif, ami du peuple romain ; nous, après avoir eu raison par les armes de sa folle témérité, voulons, par des édits et des jugements, rétablir l'ordre dans les territoires ravagés par lui et rendre à nos alliés ce qui leur est dû. Et tout ce qui chez les Juifs a été vendu, biens ou personnes, sera restitué ; les personnes seront libres, comme elles l'étaient auparavant, et les biens seront rendus aux anciens propriétaires. Quiconque enfreindra cet édit s'exposera à être poursuivi, et s'il est condamné, j'aurai soin qu'il soit châtié, suivant l'importance de sa faute. 6. Il écrivit la même chose aux habitants de Sidon, d'Antioche et d'Arados. Nous avons, puisque l'occasion s'en présentait, cité ces nouveaux témoignages de la bienveillance, dont nous parlions, des Romains pour notre peuple. [14,13a] CAP. XIII. 1. Antoine passa ensuite en Syrie ; Cléopâtre vint à sa rencontre en Cilicie, et le rendit passionnément épris. Cent des plus notables parmi les Juifs, qui s'étaient adjoint les orateurs les plus capables de plaider leur cause, se rendirent de nouveau auprès de lui pour accuser Hérode et ses partisans. Messala leur répondit au nom des jeunes gens, en présence d'Hyrcan, qui était déjà devenu le beau-père d'Hérode. Antoine, après avoir entendu les deux partis à Daphné, demanda à Hyrcan lesquels des antagonistes seraient les mieux placés à la tête du peuple. Sur la réponse d'Hyrcan que c'était Hérode et son frère, Antoine, qui avait pour eux des sentiments anciens d'amitié, en souvenir des relations d'hospitalité qu'il avait nouées avec leur père, du temps où il se trouvait en compagnie de Gabinius, les nomma tous deux tétrarques, leur confia le gouvernement des Juifs, rédigea des instructions…, et jeta dans les chaînes quinze de leurs adversaires ; il allait même les mettre à mort, mais Hérode obtint leur grâce. 2. Même après cela ils ne restèrent pas tranquilles à leur retour d'ambassade. Mille hommes, en effet, vinrent encore au devant d'Antoine, à Tyr, où l'on supposait qu'il allait arriver. Mais Antoine, gagné au prix de sommes considérables par Hérode et son frère, ordonna au commandant de l'endroit de châtier les envoyés des Juifs, qui désiraient une révolution, et de consolider le pouvoir d'Hérode. Comme ils étaient campés sur la plage, devant la ville, Hérode alla aussitôt les trouver et leur conseilla de partir - Hyrcan était avec lui -, car s'ils entraient en contestation ils seraient cause d'un grand malheur. Ils refusèrent. Aussitôt les Romains se précipitant sur eux avec des poignards tuèrent les uns, en blessèrent quelques autres ; le reste s'enfuit chez soi et, pris de terreur, se tint coi. Puis, comme le peuple injuriait Hérode, Antoine exaspéré fit massacrer ses prisonniers. 3. Deux ans après, Pacoros, fils du roi, et Barzapharnès, satrape des Parthes, occupèrent la Syrie. Ptolémée, fils de Mennaios, mourut, et son fils Lysanias, qui hérita de son pouvoir, fit amitié avec Antigone, fils d'Aristobule, grâce aux bons offices du satrape qui avait sur lui beaucoup d'influence. Antigone promit de donner aux Parthes mille talents et cinq cents femmes s'ils enlevaient le pouvoir à Hyrcan pour le lui donner et tuaient Hérode. Mais il ne devait pas tenir sa promesse. Les Parthes, ramenant Antigone, marchèrent donc vers la Judée, Pacoros le long de la côte, et le satrape Barzapharnès par l'intérieur. Les Tyriens fermèrent leurs portes à Pacoros, mais les habitants de Sidon et de Ptolémaïs le reçurent. Pacoros envoya vers la Judée, pour explorer la région et agir de concert avec Antigone, un détachement de cavalerie commandé par un échanson qui portait le même nom que le roi. Aux environs du mont Carmel, quelques Juifs ayant rejoint Antigone, prêts à faire invasion avec lui, Antigone espérait, grâce à leur aide, s'emparer d'une partie du pays ; l'endroit se nomme Drymoi (les Chênaies). Ils rencontrèrent un parti ennemi qu'ils poursuivirent dans la direction de Jérusalem. Des nouveaux venus vinrent grossir leur nombre, et ils marchèrent tous sur le palais, qu'ils assiégèrent. Mais Phasaël et Hérode vinrent le défendre ; une bataille s'engagea dans l'agora, et les jeunes gens vainquirent leurs adversaires ; ils les contraignirent à se réfugier dans le temple et envoyèrent des soldats occuper les maisons voisines ; mais le peuple soulevé brûla avec les maisons les malheureux qui ne reçurent aucun secours. Peu de temps après Hérode tira vengeance de cette injuste agression ; il attaqua les rebelles et leur tua beaucoup de monde. 4. Chaque jour avaient lieu des escarmouches ; les ennemis attendaient la foule qui devait, de tout le pays, venir pour la fête appelée Pentecôte. Ce jour arrivé, des myriades d'hommes, avec ou sans armes, s'agglomérèrent autour du Temple. Ceux qui se trouvaient là occupèrent le Temple et la ville, sauf le palais qu'Hérode tenait avec quelques soldats. Pendant que Phasaël gardait les murailles, Hérode avec un détachement attaqua l'ennemi dans le faubourg, combattit vigoureusement et mit en fuite des myriades d'insurgés, dont les uns s'enfuirent dans la ville, les autres dans le Temple, quelques-uns dans le retranchement extérieur qui se trouvait en cet endroit ; Phasaël le soutint. Pacoros, général des Parthes, marcha alors sur la ville avec quelques cavaliers à la demande d'Antigone, sous prétexte d'apaiser le soulèvement, en réalité pour aider Antigone à s'emparer du pouvoir. Phasaël vint à la rencontre de Pacoros, et le reçut comme un hôte ; celui-ci, pour lui tendre un piège, lui conseilla d'envoyer une ambassade à Barzapharnès. Phasaël, sans défiance, accepta, bien que cette démarche fût désapprouvée par Hérode, qui redoutait la déloyauté des barbares, et lui conseillait plutôt d'attaquer Pacoros et les nouveaux arrivants. 5. Hyrcan et Phasaël partirent donc en ambassade ; Pacoros, laissant à Hérode deux cents cavaliers et dix des guerriers appelés éleuthères (libres), les escorta. Quand ils arrivèrent en Galilée, les révoltés de ce pays vinrent en armes à leur rencontre. Barzapharnès, après les avoir d'abord reçus avec empressement et comblés de présents, conspira contre eux. Phasaël et ses compagnons furent amenés à Ecdippa, au-dessus de la mer ; là ils apprirent qu'Antigone avait promis aux Parthes mille talents et cinq cents femmes, promesses dirigées contre eux, et commencèrent à se défier des barbares. Enfin on leur fit savoir que ceux-ci préparaient contre eux un complot qu'on devait exécuter de nuit, et qu'on les gardait secrètement à vue ; ils auraient été déjà enlevés si l'on n'avait attendu que les Parthes laissés à Jérusalem se fussent emparés d'Hérode : car on craignait que si l'on commençait par s'assurer d'eux, Hérode ne l'apprit et ne pût s'échapper. Ce rapport était exact ; et ils étaient visiblement gardés. Certains conseillaient à Phasaël de monter à cheval et de s'enfuir sans plus tarder ; il y était poussé surtout par Ophellios, qui était renseigné par Saramallas, l'homme le plus riche de Syrie, et qui promettait de fournir des bateaux pour la fuite, car la mer était assez proche. Mais Phasaël ne voulait pas abandonner Hyrcan, ni mettre son frère en danger. Il alla donc trouver Barzapharnès, lui dit qu'il avait tort de nourrir de semblables projets à leur égard : car s'il avait besoin d'argent, il en aurait de lui bien plus qu'Antigone ne lui en donnait ; que d'ailleurs il serait honteux de mettre à mort des ambassadeurs innocents, venus confiants en sa loyauté. Le barbare, à ce discours, jura à Phasaël qu'il n'y avait rien de vrai dans ses conjectures, et qu'il était troublé par de faux soupçons. Puis il alla rejoindre Pacoros. [14,13b] 6. Dès qu'il fut parti, quelques-uns des Parthes enchaînèrent Hyrcan et Phasaël, qui leur reprochèrent durement de violer leur serment. - L'échanson envoyé à Hérode avait pour instructions de l'attirer hors des murailles et de s'emparer de lui. Mais Phasaël avait expédié des messagers à son frère pour lui dévoiler la conduite déloyale des Parthes. Hérode, à la nouvelle que les ennemis avaient capturé ces courriers, se rendit auprès de Pacoros et des chefs des Parthes, qui avaient tout pouvoir sur les autres. Bien qu'au courant de tout, ils montrèrent une dissimulation pleine de perfidie et lui dirent qu'il fallait qu'il vint avec eux, hors des murs, au devant des courriers qui apportaient les lettres car ces messagers n'avaient pas été pris par les rebelles et arrivaient certainement avec l'annonce des succès de Phasaël, Hérode ne se fia point à eux : il avait appris d'un autre côté que son frère avait été fait prisonnier ; et les conseils de la fille d'Hyrcan, à la fille de laquelle il était fiancé, ne firent qu'accroître ses soupçons à l'égard des Parthes. Bien que les autres n'eussent pas grande confiance en elle, il crut cette femme, qui était d'un grand sens. 7. Les Parthes tinrent conseil sur ce qu'ils devaient faire, car ils n'osaient s'attaquer ouvertement à un pareil homme, et remirent leur décision au lendemain. Hérode, profondément troublé, et plus porté à croire les nouvelles relatives à son frère et aux complots des Parthes que les assurances contraires, résolut, la nuit venue, de profiter de l'obscurité pour s'enfuir, sans tarder davantage, comme s'il y avait doute sur les dangers qui le menaçaient de la part des ennemis. Il partit donc avec tout ce qu'il avait de soldats, chargea sur des bêtes de somme les femmes, sa mère, sa soeur, sa fiancée, fille d'Alexandre fils d'Aristobule, la mère de celle-ci, fille d'Hyrcan, avec son plus jeune frère, tous leurs serviteurs et toute leur suite et se dirigea vers l'Idumée, sans que l'ennemi s'en aperçût. Et nul, assistant à ce départ, n'aurait eu le coeur assez dur pour ne pas prendre en pitié le sort des fugitifs : les femmes emmenant leurs enfants en bas âge, abandonnant avec des larmes et des gémissements leur patrie et leurs amis captifs, sans garder pour elles-mêmes grand espoir de salut. 8. Hérode sut élever son âme au-dessus du malheur qui le frappait. Non seulement il endurait lui-même avec fermeté ce malheur, mais encore, allant de l'un à l'autre pendant le voyage, exhortait chacun à reprendre courage et à ne pas s'abandonner à l'affliction : l'abattement ne pouvait que nuire à leur fuite, qui restait leur seule chance de salut. Ses compagnons essayèrent, suivant ses conseils, de supporter leur triste sort. Quant à lui, son char avant versé et sa mère avant été en danger de mort, peu s’en fallut qu’il ne se tuât, tant par suite des inquiétudes qu'il eut au sujet de sa mère, que dans la crainte que les ennemis qui le poursuivaient, profitant du retard causé par cet accident, ne s'emparassent de sa personne. Il avait déjà tiré son épée et allait se frapper quand ses compagnons l’en empêchèrent ; ils eurent raison de lui grâce à leur nombre et en lui remontrant qu'il ne pouvait les abandonner ainsi à l’ennemi ; car il n'était pas généreux de se soustraire lui-même au danger sans se soucier de ses amis qui y restaient exposés. Hérode fut donc forcé de renoncer à sa tentative de suicide, tant par la honte que lui causèrent ces discours, que par le nombre de ceux qui arrêtèrent sa main. Puis sa mère ayant recouvré la santé et obtenu les soins que permettaient les circonstances, il continua son voyage, en hâtant sa marche vers la forteresse de Masada. Il eut à subir de nombreuses attaques de la part des Parthes, qui le harcelaient et le poursuivaient, mais il en sortit toujours vainqueur. 9. Il ne fut pas non plus dans sa fuite épargné par les Juifs. Ceux-ci l'attaquèrent à soixante stades de la ville et le long de la route engagèrent le combat. Hérode les battit et les mit en fuite, non point en homme qui se trouvait en proie au dénuement et aux difficultés, mais comme s'il avait eu à sa disposition de nombreuses et importantes ressources pour faire la guerre. Plus tard, devenu roi, il bâtit à l'endroit où il avait vaincu les Juifs un magnifique palais, autour duquel il fonda une ville qu'il appela Hérodion. Quand il arriva à la place forte d'Idumée nommée Thressa, son frère Joseph vint à sa rencontre, et il tint conseil sur la conduite à tenir. Le nombre des fugitifs qui l'accompagnaient, en dehors même des mercenaires, était considérable, et la forteresse de Masada, qu'Hérode avait choisie comme refuge, se trouvait trop petite pour recevoir une pareille cohue. Hérode en renvoya donc la plus grande partie, plus de neuf mille, après leur avoir recommandé de se mettre en sûreté de côté et d'autre en Idumée, et leur avoir donné un viatique. Conservant avec lui les plus lestes et ses familiers les plus intimes il arriva à la forteresse. Là il laissa les femmes et leur suite, environ huit cents personnes ; la place était bien pourvue de vivres, d'eau et de ressources de tout genre. Lui-même alors marcha vers Pétra, en Arabie. Le jour venu, les Parthes pillèrent Jérusalem et le palais, ne respectant que les trésors d'Hyrcan, qui montaient à environ trois cents talents. Une grande partie des richesses d'Hérode échappèrent au pillage, notamment tout ce que par prudence il avait déjà fait passer d'avance en Idumée. Les Parthes ne se contentèrent pas du butin qu'ils firent dans la ville ; ils se répandirent dans tout le pays environnant, qu'ils pillèrent, et ils détruisirent la ville considérable de Marissa. 10. Antigone, ramené ainsi en Judée par le roi des Parthes, reçut Hyrcan et Phasaël mis aux fers. Mais il était fort embarrassé par la fuite des femmes, qu'il avait l'intention de donner aux ennemis, car il les avait promises comme paiement outre l'argent. Dans la crainte que le peuple n'arrachât Hyrcan aux mains des Parthes qui le gardaient et ne le rétablît sur le trône, il lui fit couper les oreilles, afin que cette mutilation l'empêchât de jamais redevenir grand-prêtre, la loi réservant cette charge aux seuls hommes exempts de toute infirmité. Il faut admirer le courage de Phasaël, qui, à la nouvelle qu'il devait être égorgé, ne recula pas devant l'idée de la mort, mais trouvant trop d'amertume et de déshonneur à la recevoir d'un ennemi, et n'ayant pas, dans ses fers, les mains libres pour se la donner, se tua en se brisant la tête contre une pierre : par cette fin, la plus belle, à son gré, que lui laissait son dénuement, il enleva à son ennemi la possibilité de disposer de lui selon son plaisir. Il se blessa grièvement et l'on dit qu’Antigone envoya des médecins, sous prétexte de le soigner, mais qui l'achevèrent avec des poisons mortels appliqués sur sa blessure. Avant cependant de rendre le dernier soupir, Phasaël apprit par une femme que son frère Hérode avait échappé aux Parthes ; alors il supporta courageusement la mort, sachant qu’il laissait quelqu'un qui saurait le venger et châtier ses ennemis. [14,14] CAP. XIV. 1. Hérode ne se laissa pas abattre sous le poids des maux qui l'accablaient ; il n'en devint que plus ingénieux à chercher des occasions de tentatives hardies. Il se rendit auprès de Malchos, roi des Arabes, qui lui avait d'anciennes obligations ; il voulait, maintenant qu'il en avait grand besoin, se faire payer de retour et lui demander de l'argent à titre de prêt ou de don, en invoquant tous les services rendus. Ignorant, en effet, le sort de son frère, il avait hâte de l'arracher aux ennemis moyennant rançon, prêt à payer une somme allant jusqu'à trois cents talents. C'est pourquoi il emmenait le fils de Phasaël, âgé de sept ans, pour le remettre en gage aux Arabes. Mais il rencontra des messagers venant de la part de Malchos, chargés de lui donner l'ordre de s'éloigner, car les Parthes lui avaient interdit de recevoir Hérode. Malchos saisissait ce prétexte pour ne pas acquitter ses dettes, poussé d'ailleurs par les principaux des Arabes, désireux de s'approprier les dépôts qu'ils tenaient d'Antipater. Hérode répondit qu'il venait, non pour leur créer des difficultés, mais seulement pour conférer avec Malchos de choses de la dernière importance. 2. Puis, jugeant sage de s'éloigner, il prit prudemment la route d'Égypte. Il s'arrêta ce jour-là dans un sanctuaire où il avait laissé quelques-uns de ceux qui le suivaient ; le lendemain, arrivé à Rhinocouroura, il apprit le sort de son frère. Malchos, revenu sur sa détermination, courut après Hérode, mais sans résultat : Hérode était déjà loin, hâtant sa marche vers Péluse. Arrivé là, les navires mouillés dans le port refusèrent de l'emmener à Alexandrie ; il alla voir les commandants, qui l'accompagnèrent avec de grandes marques d'honneur et de respect à la capitale, où Cléopâtre voulut le retenir. Celle-ci ne put le persuader de rester auprès d'elle ; il avait hâte de se rendre à Rome, malgré la mauvaise saison et le trouble et l'agitation où étaient les affaires d'Italie. 3. Il s'embarqua donc pour la Pamphylie, fut assailli par une tempête terrible et put à grand'peine se sauver à Rhodes, après avoir dû jeter une partie de la cargaison par dessus bord. Deux de ses amis y vinrent à sa rencontre, Sapphinias et Ptolémée. Il trouva la ville encore toute ruinée par la guerre contre Cassius ; son propre dénuement ne l'empêcha pas de s'employer pour elle, et il contribua, au delà de ses forces, à la relever. Puis, ayant équipé une trirème, il s'embarqua avec ses amis pour l'Italie et débarqua à Brindes. De là il gagna Rome, où son premier soin fut d'informer Antoine de tout ce qui s'était passé en Judée : son frère Phasaël pris et mis à mort par les Parthes ; Hyrcan retenu prisonnier par eux ; Antigone par eux rétabli sur le trône, après avoir promis de leur donner mille talents et cinq cents femmes, qui devaient être des premières familles et de race juive ; comment lui-même avait emmené de nuit toutes ces femmes, et échappé aux mains des ennemis au prix de mille fatigues ; les dangers, enfin, que couraient ses parents et amis, qu'il avait dû laisser assiégés, pour s'embarquer en plein hiver, au mépris de tous les périls, et accourir auprès d'Antoine, désormais tout son espoir et son seul secours. 4. Antoine eut pitié du changement de la fortune d'Hérode et fit la réflexion commune que ceux qui sont le plus haut placés sont aussi plus exposés aux coups du sort ; partie en souvenir de l'hospitalité d'Antipater, partie à cause de l'argent qu'Hérode promettait de lui donner, s'il devenait roi, comme auparavant lorsqu'il avait été nommé tétrarque, surtout, enfin, en raison de sa haine contre Antigone, qu'il regardait comme un factieux et un ennemi des Romains, il fut tout disposé à soutenir les revendications d'Hérode. César, de son côté, en souvenir des campagnes d'Egypte où son père avait été aidé par Antipater, de l'hospitalité qu'il en avait reçue, de la bonne volonté témoignée par Hérode en toutes circonstances, aussi pour plaire à Antoine, qui s'intéressait vivement à lui, se montrait prêt à écouter la requête d'Hérode et à lui donner l'aide qu'il réclamât. Le Sénat fut donc réuni ; Messala, et après lui Atratinus, ayant présenté Hérode, dirent tous les services rendus par son père et rappelèrent les bonnes dispositions dont il avait fait preuve lui-même à l'égard des Romains ; ils accusèrent en même temps et dénoncèrent comme ennemi Antigone, non seulement à cause de la première offense dont il s'était rendu coupable envers eux, mais aussi pour avoir reçu le pouvoir des mains des Parthes, et montré ainsi son dédain pour les Romains. Le Sénat témoigna son irritation de ces insultes, et Antoine intervint pour faire remarquer qu'il importait aussi au succès de la guerre contre les Parthes qu'Hérode fût roi. La motion fut approuvée et votée à l'unanimité. 5. Le plus important effet du zèle d'Antoine pour Hérode ne fut pas seulement d'assurer à celui-ci la couronne sans qu'il l'espérât : ce n'était pas, en effet, pour lui-même qu'il était venu la demander, - il ne pouvait supposer qu'il l'obtiendrait des Romains dont la coutume était de la réserver à la famille légitime - mais pour le frère de sa femme, qui se trouvait être le petit-fils d'Aristobule par sa mère et d'Hyrcan par son père ; il y gagna encore, au bout de sept jours en tout, de pouvoir repartir d'Italie, après un succès bien inattendu. - Ce jeune prince fut, d'ailleurs, tué par Hérode, comme nous le raconterons le moment venu. - La séance du Sénat levée, Antoine et César, ayant entre eux deux Hérode, sortirent escortés des consuls et des autres magistrats, pour aller offrir un sacrifice et déposer le décret au Capitole. Antoine fêta par un banquet ce premier jour du règne d'Hérode. C'est ainsi que celui-ci fut nommé roi, dans la cent quatre-vingt-quatrième olympiade, sous le consulat de Cnæus Domitius Calvinus, consul pour la seconde fois, et de Caïus Asianus Pollion. 6. Pendant tout ce temps, Antigone assiégeait les fugitifs enfermés à Masada ; ils étaient abondamment pourvus de tout, seule l'eau était rare, ce qui décida le frère d'Hérode, Joseph, à projeter de s'enfuir chez les Arabes avec deux cents de ses compagnons ; il avait appris, en effet, que Malchos se repentait de sa conduite à l'égard d'Hérode. Une pluie que Dieu envoya pendant la nuit le fit renoncer à son dessein ; car les citernes s'étant remplies d'eau, il n'était plus besoin de fuir. Les assiégés, reprenant, au contraire, courage, moins encore parce qu'ils avaient désormais en abondance ce qui leur avait manqué que parce qu'ils voyaient là une marque de la sollicitude divine, firent des sorties, et attaquant les troupes d'Antigone, tuèrent beaucoup de monde à l'ennemi, soit ouvertement, soit en cachette. Sur ces entrefaites, Ventidius, le général romain envoyé de Syrie pour repousser les Parthes, vint à leur suite en Judée, sous prétexte de porter secours à Joseph, mais dans l'unique dessein de se faire donner de l'argent par Antigone ; il campa donc tout près de Jérusalem et extorqua à Antigone une somme assez importante. Puis il se retira avec la plus grande partie de ses forces et, pour que sa perfidie ne fut pas trop manifeste, il laissa, avec quelques-uns de ses soldats, Silo. Antigone sut aussi gagner cet officier pour qu’il ne lui causât pas d'embarras, en attendant que les Parthes lui envoyassent de nouveaux secours. [14,15a] CAP. XV. 1. Cependant Hérode, déjà revenu d'Italie, débarqua à Ptolémaïs ; il réunit une assez forte armée, composée d'hommes de sa nation et de mercenaires, et la mena, à travers la Galilée, contre Antigone. Il reçut l'aide de Silo et de Ventidius, que Dellius, envoyé par Antoine, avait persuadés de ramener Hérode. Ventidius était alors occupé à apaiser les troubles soulevés dans les villes par les Parthes ; Silo se trouvait en Judée, gagné par l'argent d’Antigone. Hérode cependant, à mesure qu'il avançait, voyait chaque jour ses forces augmenter, et toute la Galilée, à peu d'exceptions près, s'était déclarée pour lui. Mais en avançant sur Masada, - dont il était nécessaire de délivrer les assiégés, qui étaient ses parents, - il fut arrêté par Jopé ; comme cette ville lui était hostile, il fallait commencer par s’en emparer, afin de ne pas laisser sur ses derrières, dans sa marche sur Jérusalem, une forteresse aux mains de l'ennemi. Silo, ayant trouvé là un prétexte pour s'éloigner, les Juifs le poursuivirent : Hérode les assaillit avec une troupe peu nombreuse, mit les Juifs en déroute et délivra Silo, qui se défendait péniblement ; puis, après avoir pris Jopé, il courut au secours de ses amis de Masada. Les indigènes se joignaient à lui, les uns en souvenir de l’amitié qui les avait liés à son père, les autres attirés par sa renommée, d'autres encore en reconnaissance de services reçus de son père ou de lui, la plupart à cause des espérances qu'ils fondaient sur lui, comme devant être certainement roi. 2. Il réunit ainsi des forces imposantes. Sur sa route, Antigone avait occupé, en y dressant des embuscades, les points favorables des passages ; mais toutes ses dispositions ne causèrent aucun dommage à l'ennemi, ou peu s'en faut. Hérode, après avoir enfin délivré ses compagnons de Masada et pris la forteresse de Thressa, marcha sur Jérusalem. Ses troupes s'étaient grossies de celles de Silo et de beaucoup de gens venus de la ville, que sa puissance avait vivement frappés. Comme il avait posté son camp sur la colline située à l'ouest de la ville, les gardes placés de ce côté lançaient des flèches et des javelots sur ses soldats ; quelques-uns même firent des sorties en troupe et attaquèrent ses avant-postes. Hérode alors ordonna tout d'abord de proclamer autour des remparts qu'il était venu pour le bien du peuple et le salut de la ville, sans intention de se venger même de ses ennemis déclarés, et décidé à oublier les torts qu'avaient envers lui ses pires adversaires. Antigone, en réponse aux proclamations d'Hérode, déclara à Silo et aux troupes romaines qu'ils violaient leurs propres traditions de justice en donnant le trône à Hérode, simple particulier et Iduméen, c'est-à-dire seulement demi Juif, alors qu'ils devraient le réserver, suivant leur coutume, à ceux qui étaient de race royale. S'ils étaient irrités contre lui, Antigone, et avaient résolu de lui enlever la royauté parce qu'il la tenait des Parthes, il y avait nombre d'hommes de sa race qui devaient, suivant la loi, recueillir la couronne, et qui, sans reproche à l'égard des Romains et nés prêtres, seraient victimes d'une injustice, s'ils étaient privés de leur dignité. Telles étaient les discussions engagées entre les deux adversaires. On en vint aux injures, et Antigone permit aux siens de repousser les ennemis du haut des murailles. Mais ceux-ci, en les criblant de flèches et grâce à leur action vigoureuse, les obligèrent vite à quitter les tours. 3. C'est alors que Silo montra visiblement qu'il s'était laissé acheter : il lâcha un assez grand nombre de ses soldats, qui vinrent crier famine, réclamer de l'argent pour acheter des vivres, et demander qu'on les menât hiverner dans des lieux favorables, les environs de la ville n'offrant aucun moyen de subsistance parce qu'ils avaient été dévastés par les soldats d'Antigone ; là-dessus il leva son camp et fit mine de partir. Hérode supplia les officiers de Silo et les soldats de ne pas l'abandonner, lui l'envoyé de César, d'Antoine et du Sénat ; il promettait de veiller à ce que rien ne leur manquât, de leur donner en abondance tout ce qu'ils désireraient. Il fit suivre aussitôt ses instances d'une incursion dans le pays, et ne laissa plus à Silo aucun prétexte de départ : car il rapporta une quantité d'approvisionnements dépassant toutes les espérances, et il donna l'ordre aux gens de Samarie, qui étaient ses amis, d'envoyer du blé, du vin, de l'huile, du bétail et tout le nécessaire à Jéricho, afin que désormais rien ne manquât aux soldats pour leur entretien. Cette démarche n'échappa point à Antigone, qui envoya aussitôt des hommes dans le pays pour arrêter les fourrageurs et leur dresser des embuscades. Suivant ces ordres, ils réunirent autour de Jéricho une forte troupe armée et, s'établissant sur les montagnes, guettèrent l'arrivée des convois. Hérode, en présence de ces dispositions, ne resta pas inactif ; il prit dix cohortes, dont cinq romaines et cinq juives, et une troupe mêlée de mercenaires, auxquels il adjoignit quelques cavaliers, et marcha sur Jéricho. Il trouva la ville abandonnée, et fit prisonniers, puis relâcha, cinq cents hommes qui avaient occupé les hauteurs avec leurs femmes et leurs enfants ; les Romains se répandirent dans la ville, qu'ils pillèrent, ayant trouvé les maisons remplies de richesses de toutes sortes. Le roi, laissant une garnison à Jéricho, revint, et envoya l'armée romaine prendre ses quartiers d'hiver dans les pays voisins, l'Idumée, la Galilée, Samarie. Antigone obtint cependant de Silo, à prix d'argent, la faveur de recevoir une partie de l'armée romaine à Lydda : il voulait par là flatter Antoine. Les Romains vécurent ainsi dans l'abondance et débarrassés du service de guerre. 4. Hérode cependant ne crut pas devoir rester en repos ; il envoya en Idumée son frère Joseph avec deux mille hommes d'infanterie et quatre cents chevaux ; lui-même alla à Samarie, y installa sa mère et ses parents, extraits de Masada, et partit pour la Galilée, afin de s'emparer de certaines places occupées par les garnisons d'Antigone. Il arriva à Sepphoris par la neige, et comme la garnison d'Antigone venait de quitter secrètement la ville, il se trouva abondamment approvisionné. Informé que des brigands habitaient aux environs dans des cavernes, il envoya contre eux un détachement de cavalerie et trois compagnies d'infanterie, décidé à mettre fin à leurs déprédations : c'était tout près du bourg d'Arbèles. Vers le quarantième jour, il arriva lui-même, avec toute son armée ; sous l'effort d'une attaque audacieuse des ennemis, l'aile gauche de son corps de bataille fléchit ; mais Hérode survint avec du renfort, mit en déroute ses adversaires vainqueurs, et rallia ses troupes en fuite. Il poursuivit jusqu'au Jourdain l'ennemi, qui fuyait par diverses routes, et soumit toute la Galilée, à l'exception des habitants des cavernes. Les troupes reçurent des distributions d'argent ; les hommes touchèrent cent cinquante drachmes par tête, les officiers beaucoup plus ; après quoi il les renvoya dans leurs quartiers d'hiver. A ce moment il fut rejoint par Silo et les chefs des troupes qui avaient déjà pris leurs quartiers d'hiver : Antigone refusait, en effet, de leur donner des vivres ; il les avait nourris pendant un mois, pas davantage, puis il avait envoyé à toutes les populations des environs l'ordre d'enlever tout dans la région et de s'enfuir dans la montagne, afin que les Romains, dénués de toutes ressources, mourussent de faim. Hérode confia le soin de les nourrir à Phéroras, son plus jeune frère, et le chargea en même temps de fortifier Alexandreion. Phéroras ramena promptement l’abondance dans les camps et releva Alexandreion, qui avait été dévasté. [14,15b] 5. Pendant ce temps, Antoine séjournait à Athènes. Ventidius manda Silo en Syrie contre les Parthes ; il lui ordonna d'assister d'abord Hérode dans sa guerre, ensuite de convoquer les alliés pour celle que les Romains avaient à conduire. Hérode cependant, tout à la poursuite des brigands qui habitaient les cavernes, renvoya Silo à Ventidius, mais partit lui-même contre ses adversaires. Ces cavernes étaient situées dans des montagnes complètement abruptes ; elles avaient à mi-hauteur des entrées d’accès difficile et entourées de roches escarpées. Les brigands y vivaient cachés avec tous leurs biens. Le roi fit construire des coffres, les suspendit avec des chaînes de fer, et, à l'aide d'une machine, les fit descendre du sommet de la montagne ; car il n'y avait nul moyen, d'en bas, de monter jusqu’aux brigands, à cause de l'âpreté des rochers, ni, du haut, de ramper jusqu'à eux. Les coffres étaient remplis de soldats, armés de longs crocs, avec lesquels ils devaient harponner ceux des brigands qui leur résisteraient, et les tuer en les précipitant dans l'abîme. La descente des coffres fut rendue dangereuse par la très grande profondeur : les soldats cependant avaient, à l'intérieur, tout ce qui était nécessaire. Une fois les coffres descendus, aucun des brigands n'osa assaillir. L'ennemi arrivé au niveau de leurs cavernes, pris de peur, ils ne bougèrent pas. Alors l'un des soldats ceignit son glaive, et, s'accrochant des deux mains à la chaîne où le coffre était suspendu, se laissa glisser jusqu'aux ouvertures, irrité de la lenteur que les brigands effrayés mettaient à sortir. Arrivé à l'une des entrées, il commença par repousser à coups de javelots la plupart de ceux qui s'y tenaient ; puis, avec son croc, il attira à lui ceux qui résistaient, les poussa dans le précipice, pénétra au fond de la caverne, égorgea nombre de ceux qui s'y trouvaient, et revint se reposer dans le coffre. Les autres, en entendant les gémissements, furent frappés de terreur et se sentirent perdus ; mais la nuit survint, qui empêcha de tout terminer. Beaucoup, avec la permission du roi, et après avoir envoyé des parlementaires, firent leur soumission et se rendirent. Le lendemain les soldats d'Hérode recommencèrent l'attaque de la même façon ; de leurs coffres, ils assaillirent leurs adversaires plus vigoureusement encore, attaquèrent les portes et mirent le feu. L'incendie se propagea dans les cavernes, où se trouvait beaucoup de bois. Un vieillard, cerné à l'intérieur avec ses sept enfants et sa femme, qui le suppliaient de les laisser se rendre à l'ennemi, vint se placer à l'entrée et là égorgea ses fils, à mesure qu’ils sortaient, jusqu'au dernier ; puis ce fut le tour de sa femme ; et, après avoir jeté les cadavres dans l'abîme, il s'y précipita lui-même, préférant la mort à la servitude. Avant de mourir il accabla de reproches Hérode sur la bassesse de sa condition, bien que le roi, qui pouvait voir toute la scène, lui tendît la main et lui promit grâce entière. C'est ainsi que les cavernes de ces brigands furent toutes prises. 6. Le roi, après avoir nommé Ptolémée gouverneur de cette région, partit pour Samarie avec six cents cavaliers et trois mille hoplites, espérant trancher par une bataille sa contestation avec Antigone. Ptolémée ne réussit pas dans son gouvernement. Ceux qui avaient déjà auparavant troublé la Galilée l'attaquèrent et le tuèrent, après quoi ils se réfugièrent dans les marais et les cantons d'accès difficile, pillant et dévastant tout le pays. Hérode revint sur ses pas et les châtia : il tua quelques-uns des révoltés, assiégea ceux qui s'étaient réfugiés dans des places fortes, les prit, les mît à mort et détruisit les repaires. Après avoir mis ainsi un terme à la sédition, il frappa les villes d'une amende de cent talents. 7. Cependant, Pacoros avant succombé dans une bataille et les Parthes ayant été défaits, Ventidius envoya comme renfort à Hérode, sur les instances d'Antoine, Machoeras avec deux légions et mille cavaliers. Mais Machoeras, appelé (à Jérusalem) par Antigone, malgré les protestations d'Hérode, s'éloigna, gagné à prix d'or, sous prétexte d'examiner les affaires d'Antigone. Toutefois celui-ci, qui se défiait de ses intentions, prit assez mal son arrivée, le repoussa à coups de fronde, et jeta le masque. Machoeras comprit alors que les conseils d'Hérode étaient les meilleurs et qu'il avait eu tort de ne pas les écouter ; il se retira dans la ville d'Emmaüs, et tous les Juifs qu'il rencontra sur sa route, amis ou ennemis, il les massacra, fort irrité de sa mésaventure. Le roi en conçut une vive colère et se rendit à Samarie, résolu d'aller voir Antoine à ce sujet ; il n'avait, en effet, nul besoin d'alliés de ce genre qui lui feraient plus de mal qu'à ses ennemis : il suffirait seul pour avoir raison d'Antigone. Machoeras, qui l'accompagnait, le suppliait de rester ; s'il avait tant de hâte de partir, qu'il laissât tout au moins son frère Joseph pour concourir avec l'armée romaine à battre Antigone. Hérode, sur les prières instantes de Machoeras, se réconcilia avec lui et laissa Joseph avec une armée, en lui recommandant de ne rien risquer et de vivre en bonne intelligence avec Machoeras. 8. Lui-même marcha en toute hâte vers Antoine, qui assiégeait la place forte de Samosate, sur l'Euphrate ; il avait avec lui des renforts de cavalerie et d'infanterie. Arrivé à Antioche, il trouva réunis nombre de gens qui désiraient aller rejoindre Antoine, mais que la crainte empêchait de partir, car les barbares attaquaient les passants sur les routes et tuaient beaucoup de monde. Il les rassura et se mit à leur tête pour le voyage. A l'avant-dernière étape, avant d'arriver à Samosate, un guet-apens des barbares était dressé contre ceux qui passaient journellement pour se rendre auprès d'Antoine. Comme d’épais taillis empêchaient en cet endroit l'accès de la plaine, les Parthes y avaient placé en embuscade un fort détachement de cavaliers, avec ordre de ne pas bouger jusqu'à ce que la colonne fût arrivée dans un terrain praticable pour les chevaux. Dès que les premiers eurent passé - Hérode veillait à l'arrière-garde -, les cavaliers embusqués, au nombre d'environ cinq cents, tombèrent sur eux à l'improviste et mirent en fuite la tête de la colonne ; mais le roi, se précipitant sur eux, repoussa les assaillants par sa seule impétuosité, releva le courage de ses amis et leur rendit de la résolution ; les fuyards se rallièrent et engagèrent le combat, et les barbares furent tués de tous côtés. Le roi s'acharna au massacre, puis, après avoir recouvré tout le convoi dispersé - il y avait beaucoup de bagages et d'esclaves - il poursuivit sa marche. Les Juifs eurent encore à supporter de nombreuses attaques des ennemis postés dans les taillis, près de l'entrée de la plaine ; Hérode les assaillit à leur tour avec une troupe aguerrie, les mit en fuite, en tua un grand nombre, et rendit la route libre pour ceux qui le suivaient. Ceux-ci le proclamèrent leur sauveur et protecteur. [14,15c] 9. Quand Hérode fut arrivé près de Samosate, Antoine envoya à sa rencontre un corps de troupes en grande tenue, tant pour lui rendre honneur que comme renfort ; car il avait appris l'attaque des barbares. Il témoigna beaucoup de plaisir à le voir, le félicita en apprenant les incidents de sa route et admira sa valeur. Lui-même, il le serra dans ses bras, et lui témoigna tous les honneurs, comme à un homme qu'il avait dernièrement proclamé roi. Peu après, Antiochus rendit la place, et la guerre se trouva ainsi terminée. Antoine confia {la Syrie} à Sossius, et après l'avoir invité à assister Hérode, partit pour l'Égypte. Sossius dépêcha en avant, pour la Judée, deux légions de renfort destinées à Hérode, et suivit lui-même avec le gros de l'armée. 10. Joseph venait de périr en Judée dans les circonstances suivantes. Il oublia les recommandations que lui avait faites son frère, en partant pour rejoindre Antoine, et alla camper dans les montagnes ; car Machoeras lui avait donné cinq cohortes, avec lesquelles il courait vers Jéricho, dans l'intention de couper les moissons des habitants. L'armée romaine était composée de recrues, sans expérience de la guerre, la plupart des soldats ayant été levés en Syrie ; aussi, à la première attaque de l'ennemi, Joseph, cerné dans une position difficile, ne put que mourir courageusement les armes à la main et perdit toute son armée : six cohortes furent détruites. Antigone s'empara des cadavres et coupa la tête de Joseph, que son frère Phéroras voulait racheter pour cinquante talents. A la suite de cet échec, les Galiléens se soulevèrent contre les grands et jetèrent dans le lac les partisans d'Hérode ; sur plusieurs points de la Judée il y eut aussi des révoltes. Quant à Machoeras, il fortifia la place de Gittha. 11. Des messagers portèrent au roi la nouvelle de ces événements vinrent à Daphné d'Antioche lui apprendre le sort de son frère ; il s'y attendait, certaines apparitions en songe lui ayant prédit clairement la mort de Joseph. Il hâta donc sa marche, arriva au pied du mont Liban, joignit huit cents habitants de la région à la légion romaine qu'il avait déjà, et parvint à Ptolémaïs ; il en repartit de nuit avec son armée et traversa la Galilée. Les ennemis vinrent à sa rencontre, furent battus et bloqués dans la forteresse d'où ils étaient partis la veille. Il les y attaqua, le matin venu ; mais une violente tempête éclata, qui l'empêcha de rien faire, et il conduisit son armée dans les villages voisins. Une seconde légion, envoyée par Antoine, le rejoignit alors, sur quoi les défenseurs de la place, effrayés, l'abandonnèrent pendant la nuit. Le roi les poursuivit rapidement vers Jéricho, dans l'intention de venger la mort de son frère. Quand il eut campé, il réunit à dîner les magistrats, puis, après le repas, il renvoya les assistants et se retira dans sa chambre. C'est ici qu'on peut juger de la bienveillance de Dieu pour le roi : le toit de la salle du festin s'écroula, mais sans tuer personne ; aussi tous furent-ils persuadés qu'il fallait qu'Hérode fût aimé de Dieu, pour avoir échappé à un danger aussi grand et aussi inattendu. 12. Le lendemain les ennemis, au nombre de six mille, descendirent des sommets pour livrer bataille, au grand effroi des Romains. Les troupes armées à la légère assaillirent de traits et de pierres les soldats de l'entourage du roi qui s'étaient avancés : Hérode lui-même fut blessé au flanc par un javelot. Antigone envoya contre Samarie un général du nom de Pappos, avec quelques troupes, afin de faire croire à l'ennemi qu’il avait un excès de forces. Mais Machæras vint se poster près de ce général et Hérode, s'étant emparé de cinq villes, fit mettre a mort tous les prisonniers, au nombre d'environ deux mille, brûla les villes, puis revint contre Pappos, qui était campé près du bourg nommé Isana. De Jéricho et du reste de la Judée les renforts affluèrent en masse. Quand il fut proche, les ennemis, pour payer d'audace, tirent une sortie contre lui : il tomba sur eux, les défit, et, désireux de venger son frère, poursuivit les fuyards jusque dans le bourg, en les massacrant. Les maisons étaient remplies de soldats, quelques-uns même s'étaient réfugiés sur les toits ; il s'empara de ceux-ci, et en soulevant les toitures, on aperçut l'intérieur plein de soldats, entassés en groupes compacts. Ces malheureux furent lapidés du haut des murs et écrasés en masse, et ce fut le plus terrible spectacle de toute cette guerre que celui de ces cadavres innombrables, entassés les uns sur les autres, à l'intérieur des murs. Ce massacre ébranla fortement l'assurance des ennemis et les inquiéta sur l'avenir ; on pouvait les voir en bandes nombreuses, accourus de loin, tout autour du bourg. Ils prirent alors la fuite, et si une violente tempête ne l'en avait empêchée, l'armée du roi, enhardie par sa victoire, serait arrivée jusqu'à Jérusalem et tout aurait été terminé car Antigone envisageait déjà la nécessité de la fuite définitive et de l'abandon de la ville. 13. Le roi, comme il était tard, ordonna à ses soldats d'aller dîner, et lui-même, épuisé de fatigue, entra dans une chambre et se disposa à prendre un bain. C'est alors qu'il courut un grand danger, auquel il échappa, grâce à la protection divine. Comme il avait déposé ses armes et se baignait, n'ayant auprès de lui qu'un esclave, quelques ennemis qui, de peur, s'étaient réfugiés là avec leurs armes, sortirent de leur retraite : un premier, le glaive nu, franchit la porte, puis un second, puis un troisième, également armés, et ils partirent sans faire de mal au roi, tant était grande leur frayeur, heureux de pouvoir s'échapper sans avoir eux-mêmes été inquiétés. Le lendemain Hérode fit couper la tête de Pappos, qui avait péri dans la bataille, et l'envoya à Phéroras, en représailles du malheureux sort de son frère, que Pappos avait tué. 14. La mauvaise saison finie, Hérode partit, se rapprocha de Jérusalem et campa tout près de la ville ; c'était la troisième année depuis qu'il avait été proclamé roi à Rome. Levant le camp pour se rapprocher encore, il s'établit du côté le plus favorable à l'attaque, devant le Temple, décidé à donner l'assaut, comme autrefois Pompée. Il investit la place de trois terrassements, et employa de nombreux soldats à élever des tours, en coupant le bois des forêts environnantes. Puis, laissant à la tète de ces travaux des hommes entendus, une fois son armée bien installée, il alla lui-même à Samarie pour y épouser la fille d’Alexandre, fils d'Aristobule, à laquelle il était fiancé, comme je l'ai dit plus haut. [14,16] CAP. XVI. 1. Après son mariage, il vit arriver par la Phénicie Sossius, qui avait envoyé le gros de ses troupes par l'intérieur ; le général lui-même amenait bon nombre de chevaux et d'infanterie. Le roi revint de son côté de Samarie avec des forces considérables - environ trente mille hommes - qui renforcèrent les anciennes. Toutes ces troupes furent réunies devant Jérusalem et campèrent au pied du mur nord de la ville : il y avait onze légions d'infanterie, six mille cavaliers, sans compter des auxiliaires venus, de Syrie ; les deux chefs étaient Sossius, envoyé par Antoine en qualité d'allié, et Hérode, qui combattait pour son propre compte, afin d'enlever le pouvoir à Antigone, déclaré ennemi à Rome, et de le remplacer sur le trône, conformément au décret du Sénat. 2. C'est avec beaucoup d'ardeur et d'acharnement - comme on pouvait l'attendre de tout un peuple réuni - que les Juifs, enfermés dans leurs murailles, résistaient à Hérode ; ce n'étaient au sujet du Temple que prédictions favorables, assurances de bon augure pour le peuple, que Dieu allait délivrer du danger. On avait enlevé tout ce qui se trouvait hors de la ville, afin de ne même pas laisser de quoi nourrir les hommes ou les bêtes, et par de secrets brigandages on affamait l'ennemi. Hérode s'en rendit compte. Pour arrêter les déprédations, il établit des embuscades dans les endroits les plus favorables ; pour se procurer des ressources, il envoya des détachements armés, qui lui ramenèrent de loin des vivres ; en peu de temps l'armée fut fournie en abondance de tout ce dont elle avait besoin. En même temps, les trois terrassements, auxquels de nombreux soldats travaillaient sans relâche, s'élevaient sans encombre ; c'était l'été, et aucun obstacle ne vint, ni de la saison, ni des travailleurs, retarder leur achèvement. On y installa les machines, on ébranla les murs, et on mit en oeuvre tous les moyens. Les assiégés ne se laissaient cependant pas effrayer ; à toutes les tentatives des assiégeants ils ripostaient de leur côté, incendiant dans des sorties les ouvrages à moitié terminés ou même achevés, et dans les engagements faisant preuve d'autant d’audace que les Romains, mais inférieurs par la science de la guerre. Contre les machines, ils élevaient de nouveaux murs, quand les premières constructions étaient renversées ; ils se glissaient sous terre à la rencontre de l'ennemi et combattaient ses mineurs. Par une lutte désespérée plutôt que méthodique, ils résistèrent ainsi jusqu'au bout, bien qu'investis par une armée considérable, et souffrant de la faim et du manque de toutes les choses nécessaires : car c'était précisément l'année sabbatique. Le mur fut enfin escaladé d'abord par vingt hommes choisis, puis par les centurions de Sossius : le premier mur fut pris en quarante jours, le second en quinze. Quelques-uns des portiques qui entouraient le Temple furent incendiés, et Hérode, pour attirer sur Antigone la haine des Juifs, l'accusa faussement d'y avoir mis le feu. Quand les abords du Temple et la ville basse furent aux mains de l'ennemi, les Juifs se réfugièrent dans l'intérieur du Temple et dans la ville haute ; et craignant d'être empêchés par les Romains d'offrir à Dieu les sacrifices quotidiens, ils leur firent demander par des envoyés l'autorisation d'introduire des victimes seulement. Hérode, persuadé qu'ils allaient se rendre, la leur accorda. Mais quand il vit que la soumission attendue ne se faisait pas, que, tout au contraire, les assiégés résistaient vigoureusement pour défendre la royauté d'Antigone, il attaqua la ville et la prit de force. Ce fut alors un carnage général : les Romains étaient irrités des lenteurs du siège, et les Juifs de l'armée d'Hérode ne voulaient laisser vivant aucun de leurs adversaires. On égorgea les malheureux entassés dans d'étroites ruelles, dans les maisons ou réfugiés dans le Temple ; il n'y eut ni pitié pour les enfants et les vieillards, ni ménagement pour la faiblesse des femmes. Quoique le roi eût envoyé de tous côtés l'ordre de faire preuve de modération, personne ne voulut s'arrêter de frapper ; les soldats, comme des furieux, massacrèrent tout, sans distinction d'âge. Antigone, perdant tout sentiment de sa situation passée et présente, descendit de la tour Bans et vint se jeter aux pieds de Sossius ; celui-ci, sans pitié pour l'infortune où il était tombé, l'insulta sans retenue, l'appelant Antigona ; mais au lieu de le renvoyer libre comme une femme, il le fit enchaîner et mettre en prison. 3. Hérode se préoccupa, une fois ses ennemis vaincus, de se faire respecter aussi par ses alliés étrangers, qui se précipitaient en foule pour voir le Temple et les objets sacrés qu'il renfermait. Le roi, par ses prières ou ses menaces, au besoin même par la force, parvint à les contenir ; car il jugeait que sa victoire serait plus regrettable qu'une défaite, s'ils voyaient quelqu'une des choses qu'il leur était interdit de voir. Il empêcha le pillage de la ville, par ses réclamations énergiques auprès de Sossius, demandant si les Romains, en vidant la ville d'hommes et d'argent, voulaient le faire roi d'un désert, et déclarant que l'empire même du monde ne serait qu'une faible compensation pour le meurtre de tant de citoyens. Sossius lui répondit que le pillage était pour les soldats un juste dédommagement des fatigues du siège. Hérode sedéclara alors prêt à les indemniser tous sur ses propres biens. Il racheta ainsi ce qui restait de la ville et tint sa promesse : les soldats furent récompensés brillamment, les officiers à proportion ; Sossius lui-même reçut un cadeau vraiment royal ; tous ainsi purent partir comblés de richesses. 4. Cette catastrophe s'abattit sur Jérusalem sous le consulat de Marcus Agrippa et de Caninius Gallus, en la cent quatre-vingt-cinquième olympiade, le troisième mois, pendant la fête du jeûne comme une sorte de retour anniversaire du malheur qui avait frappé les Juifs sous Pompée : car la ville fut prise par Hérode le même jour, vingt-sept ans plus tard. Sossius, après avoir consacré à Dieu une couronne d'or, partit de Jérusalem, emmenant vers Antoine Antigone prisonnier. Mais Hérode craignit qu'Antigone, s'il était gardé par Antoine et emmené par lui à Rome, ne plaidât sa cause devant le Sénat, faisant valoir qu'il était le descendant des rois, tandis qu'Hérode n'était qu'un simple particulier ; que, par suite, le trône, par droit de race, revenait à ses enfants, même s'il avait été lui-même coupable envers les Romains. Redoutant ces réclamations, il décida Antoine, à prix d'argent, à tuer Antigone et fut alors délivré de souci. Ainsi finit la domination de la race d'Asamonée, qui avait duré cent vingt-six ans. Cette famille avait jeté un vif éclat ; elle devait son illustration tant à la noblesse de sa race, qu'à la grande-prêtrise dont ses membres étaient revêtus et à toutes les grandes choses que ses ancêtres avaient accomplies pour la nation. Elle perdit le pouvoir par ses dissensions intestines, et la royauté passa à Hérode, fils d'Antipater, qui appartenait à une famille d'origine populaire, simples particuliers, sujets des rois. Telle fut, d'après ce qui nous a été transmis, la fin de la race des Asamonéens.