[52,0] COLLOQUE LII : LE JEU DES OSSELETS. CHARLES, QUIRIN. {QUIRIN} Apprends, dit Caton, mais auprès des doctes. {Caton, Distiques, IV, 23} Je désire donc, mon cher d'Utenhof, savoir de vous, mon maître, pourquoi les anciens pontifes de la religion ont ordonné que les clercs porteraient des robes qui descendent jusqu'à la cheville. {CHARLES} Sans doute pour deux raisons. Premièrement, par décence, afin que rien de nu ne s'offrît aux regards. Car autrefois on ne connaissait pas ce genre de vêement qui couvre depuis les hanches jusqu'au bas des pieds, et l'on ne portait pas de haut-de- chausses. Par la même raison, l'usage de vêtements trop courts est inconvenant pour les femmes, qui ont surtout à ménager la pudeur de leur sexe. On a voulu ensuite que les clercs différassent non seulement par leurs moeurs, mais encore par leur costume, du public, chez lequel les plus profanes se plaisent à porter des habits très-courts. {QUIRIN} Ce que vous dites là est assez juste. Cependent j'ai lu dans Aristote et dans Pline que la cheville n'existe pas dans l'homme, mais seulement dans les quadrupèdes, et non pas chez tous, mais chez ceux qui ont le pied fendu, et encore ne se trouve-t-il que dans les jambes de derrière. Comment donc peut-on dire d'une robe portée par l'homme, qu'elle descend jusqu'à la cheville, à moins que les hommes n'aient été jadis des quadrupèdes, suivant la comédie d'Aristophane? {CHARLES} Bien plus, si nous en croyons Oedipe, on trouve des hommes à quatre pieds, à trois pieds et à deux pieds; en outre, il nous arrive souvent de la guerre des hommes à un pied, et quelquefois sans pieds. Mais, pour ce qui concerne le mot cheville, vous seriez bien plus surpris, en lisant Horace, de voir qu'il donne des chevilles même aux pièces de théàtre. Voici, je crois, ce qu'il écrit dans l'Art poétique : "Sans s'inquiéter si se piècee tombe ou si elle se tient droite sur ses chevilles". {Horace, Epîtres II, 176} {QUIRIN} Les poètes sont libres de s'exprimer comme ils l'entendent. Chez eux le Tmolus {montagne de la Lydie} a des oreilles, les vaisseaux parlent et les chênes dansent. {CHARLES} Votre Aristote pouvait encore vous apprendre qu'il existe des demi-osselets, qu'il nomme g-hehmiastragalous et qu'il attribue à la famille des lynx. Il ajoute que les lions ont une espèce d'osselet tortueux qu'il nomme g-labyrinthohdes et que Pline traduit par "tortuosus". Partout où les os sont joints aux os, pour la commodité de la flexion, les parties creuses correspondent aux parties saillantes; les unes et les autres sont garnies et comme incrustées d'un cartilage glissant, de peur qu'elles ne s'endommagent par un frottement mutuel, suivant la remarque du même Aristote. Parmi ces os, il en est qui diffèrent peu de la forme et de l'usage de l'osselet; ainsi, au bas de la jambe, près du talon, où s'exerce la flexion du pied, fait saillie une espèce d'osselet que les Grecs nomment g-sphyron; puis dans le fléchissement du genou, qu'ils nomment, si je ne me trompe, g-ischion, et d'autres vertebram. Nous voyons pareille chose dans les hanches, dans les épaules, et enfin dans les articulations des doigts du pied et de la main. Pour que cela ne vous étonne pas, les Grecs rapportent que le mot g-astragalou; est affecté par d'excellents auteurs aux os qui forment la colonne vertébrale, surtout vers le cou. Ils citent ce vers : "g-Ek g-de g-moi g-auchehn g-astragalohn g-eageh". Suivant le dire d'Aristote, les jambes de devant ont été données à l'animal pour courir, et à cause de cela elles n'ont point d'osselets; les jambes de derrière contribuent à la solidité, parce que le poids du corps incline de leur côté, de même quelles servent de défense aux animaux qui ruent. Horace, voulant faire entendre qu'une pièce de théâtre n'a point été rejetée, mais a été jouée jusqu'au bout, dit qu'elle s'est "tenue debout sur ses chevilles"; il attribue à la pièce de théâtre des chevilles, de même que ous attribuons au livre une fin (calx) et au volume un cylindre (umbilicus). {QUIRIN} Certes, vous faites à merveille le grammairien. {CHARLES} Pour mieux vous convaincre, les grammairiens grecs veulent qu' g-astragalon vienne de g-strephoh et de la particule privative g-a, parce qu'il ne bouge pas et qu'il est immobile. Cependant d'autres prétendent qu'ânpiya) s le même sens qu' g-astragalon avec g-r en plus, parce que, doué d'une extrême mobilité, il ne peut rester en place. {QUIRIN} De cette manière-là, on peut deviner bien des choses. Il était plus simple de dire : "Je ne sais pas". {CHARLES} La divination ne vous paraîtra point si absurde si vous songez à l'obscurité qui enveloppe la dérivation des mots. D'ailleurs, dans ce cas, il n'y a aucune contradiction, comme vous pourrez le voir en regardant de près. L'osselet est mobile; mais, tout en étant mobile, il rend plus ferme la partie à laquelle il est fixé ; ensuite, l'os est joint à l'os pour qu'il ne puisse pas se luxer aisément. {QUIRIN} Vous pourriez même, à ce que je vois, faire le sophiste, si bon vous semblait. {CHARLES} Mais, Talésien, l'étymologie du mot n'a rien qui nous embarrasse. Car ce que les Grecs nomment aujourd'hui g-astragalon, les anciens Grecs l'ont nommé g-astrion, témoin Callimaque, dont on cite cet hémistiche : g-Deka g-d' g-astria g-ainuto g-lytron, aussi g-astragalizein et g-astrizein signifiaient également jouer aux osselets. {QUIRIN} Qu'appelle-t-on donc proprement osselet? {CHARLES} C'est le jeu auquel s'adonnent aujourd'hui les jeunes filles; c'était autrefois le jeu des enfants, de même que les noix. Il a fourni ce mot aux Grecs : g-Amph' g-astragaloisi g-cholohtheis "en colère pour des osselets", quand on indique une colère qui provient d'un motif léger. Ensuite, Horace a écrit dans ses Odes : "Nec regna uini sortiere talis" : Tu ne tireras point au sort avec des osselets le roi du festin; puis dans ses Épftres : g-Te g-talos, Aule, nucesque : Les osselets et les noix, Aulus, etc. ; enfin un Lacédémonien, si je ne m'abuse, a dit qu'il fallait tromper les enfants avec des osselets et les hommes avec des serments. On prétend que cet osselet ne se trouve ni dans les animaux solipèdes, c'est-h-dire à sabot plein, excepté l'âne indien armé d'une corne, ni dans les fissipèdes, dont le pied est divisé en plusieurs doigts ou sabots, tels que le lion, la panthère, le chien, le singe, l'homme, l'oiseau et une foule d'autres. Quant aux animaux à pied fourchu, la plupart ont un osselet, et cela, comme vous le disiez fort bien, dans les jambes de derrière. L'homme seul n'a point d'osselet, pour deux raisons : d'abord parce qu'il est bipède, ensuite parce qu'il a les pieds divisés en cinq doigts. {QUIRIN} J'ai souvent entendu dire cela. Mais je voudrais bien qu'on me fit une description de la structure et de la forme de l'osselet, car ce genre de jeu est dédaigné aujourd'hui, même des jeunes filles, qui préfèrent les dés, les cartes et autres jeux virils. {CHARLES} Ce n'est pas étonnant, puisqu'elles s'occupent même de théologie. Mais, quand je serais mathématicien, peintre ou sculpteur, je ne pourrais mieux vous représenter la forme de l'osselet qu'à l'aide d'un véritable osselet, à moins que vous ne préfériez que je vous en donne la description par lettres, comme font les mathématiciens. {QUIRIN} Avez-vous un osselet? {CHARLES} En voici un de mouton, pris sur la jambe droite. Vous voyez qu'il n'a que quatre côtés, tandis que le cube, le dé et la tessère en ont six : quatre à la circonférence et deux en haut et en bas. {QUIRIN} Oui. {CHARLES} Dans l'osselet, comme la partie du haut et celle du bas sont creuses, il n'y a que quatre côtés, dont l'un, comme vous voyez, est arrondi en forme de dos. {QUIRIN} Je vois. {CHARLES} Le côté qui lui fait face est creux. Aristote appelle l'un g-pranes, c'est-à-dire le dessus, et l'autre g-hyppion, c'est-à-dire le dessous. De même, dans l'union des sexes, la position respective de l'homme et de la femme; de même encore la paume de la main, qui,tournée vers la terre, présente le dessus, et qui, dans le sens opposé, présente le dessous. D'ailleurs, les orateurs et les poètes emploient souvent ces mots, ce qui est en dehors de notre sujet. {QUIRIN} Vous m'avez mis parfaitement la chose sous les yeux. Qu'elle différence y a-t-il entre les deux autres côtés ? {CHARLES} L'un est légèrement creux, afin de s'adapter à l'os auquel il est fixé; l'autre n'a presque rien de concave : il n'est point muni d'une enveloppe cartilagineuse, mais couvert seulement par le nerf et la peau. {QUIRIN} Je vois. {CHARLES} Le côté de dessus n'a point de nerfs; le nerf adhère à la concavité du côté de dessous, de même qu'au sommet du côté droit et au bas du côté gauche. {QUIRIN} Vous parlez à merveille; mais comment distinguerai-je l'osselet de droite de celui de gauche ? {CHARLES} Vous avez raison. Ma leçon ne vaudrait rien si vous ne saviez reconnaître l'osselet de la jambe droite. Je vais donc mieux m'expliquer, et, en même temps, selon votre désir, vous indiquer la place de l'osselet. Il se trouve dans le jarret même, au-dessous de l'os de la hanche. {QUIRIN} Beaucoup de gens s'imaginent qu'il est près du pied. {CHARLES} C'est une erreur. Ce qu'on appelle proprement osselet existe dans les jarrets, que les Grecs nomment g-kampas, mais, comme je vous l'ai dit, des jambes de derrière. Entre votre pied et votre genou, il y a le tibia. {QUIRIN} Oui. {CHARLES} Derrière le genou est le jarret. {QUIRIN} Oui. {CHARLES} Le fléchissement qui chez l'homme a lieu dans les bras se produit chez le quadrupède dans les jambes de derrière, à l'exception du singe, qui est à moitié homme. Donc, ce que le genou est aux jambes, le coude l'est aux bras. {QUIRIN} En effet. {CHARLES} Donc le fléchissement répond au fléchissement. {QUIRIN} Vous dites cela des jambes de derrière et de celles de devant. {CHARLES} Précisément. Dans la jointure qui répond à celle qui est derrière le genou, il y a un osselet droit, quand le quadrupède est debout, et dont les parties haute et basse sont légèrement arrondies, quoique d'une façon inégale. La partie supérieure présente de certaines cornes qu'Aristote nomme g-keraias et que Théodore traduit par antennes, auxquelles est adhérent le côté du dessus; la partie inférieure n'a rien de semblable. {QUIRIN} Je vois parfaitement. {CHARLES} Le côté qui regarde les jambes de devant est nommé par Aristote le dessus, le côté opposé le dessous; il y a deux autres côtés dont l'un , intérieur, regarde la jambe de derrière, soit la gauche, soit la droite, et l'autre est tourné en dehors. Aristote nomme g-kohlon le côté qui est en dedans, et g-ischion celui qui est en dehors. {QUIRIN} Je vois la chose ou ne peut plus clairement. Il vous reste maintenant à m'indiquer quelle était jadis la manière de jouer aux osselets. Car la façon dont on y jouait de notre temps n'a aucun rapport avec les détails que nous trouvons chez les anciens auteurs sur ce genre de jeu. {CHARLES} De même que nous appliquons les cartes et les dés à différentes formes de jeux, il peut se faire que les anciens aient eu plusieurs manières de jouer aux osselets. {QUIRIN} C'est probable. {CHARLES} Théodore Gaza, ou, comme d'autres préfèrent le nommer, le Thessalonicien, traduisant le second livre de l'Histoire des animaux d'Aristote, dit que le côté de l'osselet qui est en dehors de la jambe s'appelle chien, et que celui qui est en dedans se nomme Vénus. Mais il a ajouté cela de son cru, car Aristote dit seulement ceci Le dessus de l'osselet est en arrière, le dessous en avant; le côté auquel on donne le nom d'as est en dedans de la jambe, le côté qui porte le nom de six est en dehors; enfin, les antennes sont en haut. g-To g-men g-pranes g-exoh, g-to g-de g-hyppion g-eisoh, g-kai g-ta g-men g-kohla g-entos g-estrammena g-pros g-allehla, g-ta g-de g-ischia g-kaloumena g-exoh, g-kai g-tais g-kerais g-anoh. en avant; le côté auquel on donne le nom d'as est en de-dans de la jambe, le côté qui porte le nom de six est en dehors; enfin, les antennes sont en haut. Mais, puisqu'il demeure établi par d'autres témoignages que le coup de Vénus se produit quand sur quatre osselets il n'y en a pas un dont la face supérieure ressemble à un autre, je me demande en vertu de quoi Théodore appelle Vénus un seul côté. Notre compatriote Érasme, que nous avons pour ami commun, et qui est très friand de ces sortes de remarques, fournit dans quelques proverbes, d'après le témoignage des anciens, certains détails sur le jeu des osselets. Ainsi, dans le proverbe : "Non l'as, mais le six", il rapporte que le six est ce que les Grecs nomment g-exitehn. Dans le proverbe : "L'as comparé au six", après avoir montré que l'as et le chien sont la même chose, il dit que le six était un coup heureux et le chien un coup malheureux; d'après ces paroles de Perse : "Tout mon rêve était de savoir ce que gagnait l'heureux six, ce que perdait le chien funeste" {Perse, Satires, III, 48-50}. Properce a dit de même : "Toujours sortirent les chiens funestes". {Properce, Élégies, IV, 8, 46} Ovide, au second livre des Tristes, appelle les chiens funestes. {Ovide, Les Tristes, II, 1, 474} Érasme ajoute que le six, heureux par lui-même, devient malheureux s'il est uni à l'as, d'après ce vers de Martial : "Je ne mêle point dans mon cornet le six arec l'as". De plus, Martial indique, dans les Étrennes, que le coup de Vénus, par cela même qu'il était rare, était très heureux : "Comme aucune de mes surfaces", dit-il, "ne présente le même aspect, conviens que le don que je te fais est de quelque importance". {Martial, Les Épigrammes, XIV, 14} On jouait avec autant d'osselets qu'il y a de côtés dans l'osselet, car aux dés le nombre ne dépasse pas ordinairement trois. Mais ce qui caractérise mieux la manière de jouer, c'est ce passage d'une lettre d'Octave-Auguste à Tibère, cité par Suétone : "Nous avons joué pendant le dîner comme des vieillards, hier et aujourd'hui. Après avoir jeté les osselets, celui qui avait amené le chien ou le six mettait au jeu un denier pour chaque osselet, et celui qui avait amené Vénus raflait le tout". {Suétone, Vie d'Auguste, II, 71} {QUIRIN} Vous m'avez appris que le coup le plus heureux se produisait quand les quatre osselets présentaient chacun une face différente, de même qu'au jeu de dés le plus beau coup est celui qui s'appelle Midas; mais vous ne m'aviez pas encore dit que ce coup portait le nom de Vénus. {CHARLES} Lucien vous l'expliquera. Voici comment il s'exprime dans les Amours : "Il jetait les osselets; si par un coup heureux il amenait celui de la Déesse même, aucun osselet ne tombant dans la même position, alors il adorait Vénus et se flattait de jouir bientôt de l'objet de sa passion". {Lucien (?), Les Amours, XVI} Or Lucien mentionne ici le coup de Vénus. {QUIRIN} Si Théodore est dans l'erreur, il n'y a que deux côtés qui ont une dénomination particulière. {CHARLES} Peut-être s'en est-il rapporté au témoignage d'un écrivain que nous ne connaissons pas. Pour moi, je cite des faits qui ont la garantie des auteurs. II y en a qui parlent du nombre de Stésichore dans les osselets, qu'ils croient être de huit points, et du nombre d'Euripide, qui contenait quarante points. {QUIRIN} Il vous reste à prescrire les règles du jeu. {CHARLES} Je ne crois pas que les enfants aient adopté les mêmes règles qu'Octave dit avoir suivies. Et il n'est pas probable que la manière de jouer dont parle ce prince ait été commune; autrement il se serait contenté de dire : "Pendant le dîner, nous avons joué aux osselets". Mais il me parait sous-entendre une nouvelle règle du jeu imaginée entre eux, laquelle était à la portée des vieillards, et ne tourmentait point l'esprit par une attention soutenue, comme font aujourd'hui beaucoup de jeux pour rendre plus facile le retour à l'étude. {QUIRIN} Montrez, je vous prie, les autres osselets, afin que nous essayions. {CHARLES} Mais il nous manque un cornet pour agiter les osselets, puis unis table à jeu. {QUIRIN} Cette table à manger suffira pour nous en donner une idée. Le cornet sera remplacé par un verre ou un chapeau. {CHARLES} Non, par le creux de nos mains. On amène plus souvent le dessus de l'osselet que le dessous, et plus souvent le dessous que le chien ou le six. {QUIRIN} Il paraît. {CHARLES} Si dans les quatre osselets il se trouve un chien, vous déposerez un écu; si deux chiens, deux écus; si trois chiens, trois écus; si quatre chiens, quatre écus. Puis, autant de fois que vous amènerez le six, vous prendrez un des écus. {QUIRIN} Mais si j'amène le six avec le chien ? {CHARLES} Si vous voulez, nous ajouterons tous deux un écu, nous ne retirerons rien; le premier qui amènera Vénus empochera le tas. {QUIRIN} Mais si l'osselet présente le dessus ou le dessous ? {CHARLES} Ce coup ne comptera pas; ou vous recommencerez, ou le tour me sera dévolu. {QUIRIN} Va pour la dévolution. {CHARLES} Maintenant, mettez votre enjeu. {QUIRIN} Essayons sans risque. {CHARLES} Voudriez-vous apprendre pour rien un si grand art ? {QUIRIN} Mais la lutte serait inégale entre l'artiste et l'apprenti. {CHARLES} Mais l'espoir de gagner et la crainte de perdre vous rendront plus attentif. {QUIRIN} Combien jouerons-nous? {CHARLES} Si vous voulez vous enrichir vite, cent ducats. {QUIRIN} Plût à Dieu que je pusse les déposer ! il est plus sûr de s'enrichir peu peu. Tenez, voilà un sou. {CHARLES} Eh bien, nous ajouterons petit à petit, suivant le conseil d'Hésiode, ce qui finira par faire un monceau énorme. Agitez et jetez. Heureux auspice! vous avez un chien; mettez un sou, et reconnaissez désormais le côté funeste. Donnez-moi les osselets. {QUIRIN} Plus heureux auspice! vous avez trois chiens; mettez trois sous. {CHARLES} La fortune vous tend des piéges; jetez les osselets, mais après les avoir bien remués, mon bon ami. Peine perdue, vous avez un dessous et un dessus. A mon tour; passez-moi les osselets. {QUIRIN} O bonheur! je vois encore trois chiens. {CHARLES} Ne chantons pas avant la victoire. Je vous le répète, la fortune vous amorce. Mais, dites-moi : voilà le jeu qu'on m'a appris; mais, à mon avis, Octave jouait autrement. {QUIRIN} Comment jouait-il ? {CHARLES} Celui qui avait amené un chien mettait au jeu un denier, comme nous l'avons dit; celui qui avait amené un six ne gagnait rien, mais le partenaire mettait au jeu. {QUIRIN} Et si plusieurs six étaient sortis ? {CHARLES} Le partenaire ajoutait autant de pièces de monnaie. Quand le tas s'était bien arrondi, Vénus le raflait d'un seul coup. Nous devrions donc ajouter cette clause : Celui qui n'amènera ni le six ni le chien ne perdra que son tour de jouer. {QUIRIN} Je veux bien. {CHARLES} Il me parait aussi plus convenable que celui qui tient les osselets joue trois coups avant de céder le tour. {QUIRIN} D'accord; mais combien faudra-t-il de Vénus pour finir la partie? {CHARLES} Trois, si vous voulez. Ensuite on sera libre de faire de nouvelles conventions. D'ailleurs, les faveurs de Vénus sont rares. Maintenant, commençons sous de bons auspices. {QUIRIN} Oui, mais il vaut mieux fermer la porte, pour que la reine de ma cuisine ne noua voie pas nous occuper de niaiseries comme des enfants. {CHARLES} Dites plutôt comme des vieillards. Votre servante est donc bien bavarde ? {QUIRIN} Si bavarde que, si elle ne trouvait personne à qui raconter ce qui se passe à la maison, elle le raconterait longuement aux poules et aux chats. {CHARLES} Hé! petit, ferme la porte et tire le verrou, pour que penionne ne nous dérange et que nous puissions jouer tout notre soûl.