"TU AS OBTENU SPARTE, GOUVERNE-LA ! (1515)
C'est encore dans l'édition des Adages de 1515 que nous rencontrons
pour la première fois ce proverbe à la formulation laconique (c'est le
cas de le dire !) quelque peu sibylline. Il est le chef de file de la cinquième
centurie de la deuxième chiliade, parmi les 3411 adages de l'édition
Froben : adag. 1401 (LB Il 551E).
De quoi s'agit-il ? Demandons-le à Erasme lui-même, qui s'exprime
ainsi dans les premières lignes de son commentaire : « Ce proverbe nous
enseigne que c'est à la province (quelle qu'elle soit) dont le destin nous
a donné la charge, que nous devons nous appliquer, réglant notre conduite
en fonction de ses intérêts légitimes. Cicéron à Atticus : « Tout ce qui
me reste à présent, c'est, selon le proverbe : « Sparte t'a été désignée
par le sort : tu dois en tirer le meilleur parti ! » Mais, par Hercule, cela
m'est impossible ! Je comprends Philoxène, qui préférait retourner en
prison. « Et encore, au livre I,20, Suit une autre citation de Cicéron,
dont le sens est quelque peu gauchi par rapport à celui qui se dégage
de la première confidence à Atticus, une allusion à Théocrite et à son
scholiaste.
Puis Erasme fait le point, soulignant la pluralité et l'obscurité
du proverbe ; et, comme à son ordinaire, il l'oriente de sa propre autorité
dans la direction propice à son argumentation morale et politique : un
roi, un prince, doit avoir comme unique préoccupation, comme devoir
absolu, d'administrer la province ou le royaume que le sort (le droit de
succession, les accidents historiques auxquels il n'a point eu de part)
lui a donné en partage, même si l'exiguïté ou la modestie de son Etat
ne répond pas à ses ambitions, à ses appétits de conquête et d'expansion
territoriale.
Donc appel à la sagesse, prise de conscience d'un idéal
de gouvernement monarchique fort éloigné de tout ce qui ressemble
à la gloire des armes et à la domination des peuples : idéal moins brillant,
sans doute, moins spectaculaire et moins fracassant que celui qui
se révèle à travers l'impérialisme d'un Alexandre, d'un César, et même —
par anticipation, prophétie ou appréhension — d'un Charles Quint (qui
n'est, à cette date, que le jeune prince Charles de Bourgogne). La signification
de l'adage est même beaucoup plus générale, comme s'en explique
l'humaniste chrétien : « Tu es père ; fais ton métier de père ; tu es
évêque : joue le rôle d'un évêque ; tu es un juge : ne te comporte ni
en ami ni en ennemi, mais simplement en juge... » Mais il va sans dire
que, dans ses évocations courageuses de l'action politique et des entreprises
guerrières des princes de son temps — François Ier, Henri VIII,
le pape Jules II, le feu roi de France Louis XII, etc. —, il fait surtout
la preuve (une fois de plus !) de son anti-bellicisme acharné. ..."