La faute. Les bombes et les missiles envoyés sur l'Afghanistan sont-ils vraiment la bonne réponse au terrorisme? La riposte anglo-americaine aux terrifiants attentats du 11 septembre est juste. Mais la methode militaro-humanitaire employée est catastrophique. En rééditant l'infernal schema irakien, George W Bush joue, malgré lui, le jeu du « Robin des bois » integriste. Pas de circonlocutions: la réaction anglo-américaine à la terrifiante agression terroriste dont les Etats-Unis ont été victimes est juste. Elle était inévitable. Elle était nécessaire. Qui aurait compris que la seule réplique à un forfait aussi monstrueux fût une résolution des Nations unies ou qu'on se contentât de remontrances au gouvernement de Kaboul? Deux faits sont devenus patents, au point que les contester dissimule un état de complicité tacite avec les tueurs. Le crime a bien été décidé, organisé, planifié par l'organisation Ben Laden, et celle-ci, dont l'état-major est installé en Afghanistan, bénéficie en effet de la protection active du pouvoir taliban. Au demeurant, Ben Laden a presque avoué, et le mollah Omar n'a jamais nié. Dans ces conditions, que l'effroyable régime rétrograde de Kaboul soit renversé, que Ben Laden soit liquidé, que ses complices soient mis hors d'état de nuire, nul, hors quelques minorités fanatisées, ne s'en serait offusqué. Bien au contraire. Reste une question: la méthode employée est-elle la bonne? A l'examen: elle est absolument catastrophique. Quel est l'adversaire? Une grande puissance? Un empire? Une force redoutable? Non! Un syndicat du crime semi-mafieux, s'appuyant sur un pouvoir anarchique, servi par une mini-armée féodale de va-nu-pieds plus ou moins consentants! Si donc les Américains, secondés par leurs alliés, avaient envoyé en Afghanistan ne fût-ce que 5 000 ou 6 000 hommes de leurs compagnies d'élite, qui en coopération avec l'opposition afghane - quelques jours auraient suffi - avaient chassé les talibans de Kaboul et de Kandahar, avaient favorisé l'installation d'un gouvernement représentatif, puis avaient entrepris, avec l'aide des populations libérées, de traquer des terroristes, qui aurait protesté? Dans leur majorité, les opinions auraient applaudi. Au lieu de quoi on a choisi de rééditer l'infernal schéma irakien dont les conséquences, on le sait aujourd'hui, ont été redoutables. Déjà, il s'agissait d'une guerre juste, qui se retourna contre les valeurs démocratiques au nom desquelles elle avait été menée. Imagine-t-on l'effet que provoque sur les populations du tiers-monde en général, et les pays musulmans en particulier, l'image de ces bombardements répétitifs, quotidiens, implacables, sur un pays exsangue, misérable, martyr. Bombardements dont chacun imagine, peut-être à tort, qu'ils provoquent d'indicibles dégâts parmi des populations civiles qui sont globalement innocentes des erreurs commises par ceux qui les ont prises en otages. En vérité, cette riposte-là, sous cette forme-là, est précisément celle qu'attendait, que souhaitait Ben Laden. Qu'il avait, en quelque sorte, planifiée. La preuve en est qu'il avait, d'avance, enregistré le message qui devait être diffusé le lendemain des premières frappes. Et ce message - hélas, trois fois hélas -, aussi épouvantable et totalitaire qu'il soit, a déjà fanatisé des dizaines de millions d'individus dans le monde; enthousiasmé les masses égyptiennes, pakistanaises, indonésiennes, nigériennes, marocaines ou algériennes. L'Amérique va gagner cette bataille. On le souhaite. Elle ne pouvait de toute façon pas la perdre. Mais la guerre... la vraie guerre, celle que l'intégrisme, que l'islamisme, que le fanatisme nous a déclarée? Cette guerre-là, disions-nous la semaine dernière (et il est dommage que des médias conditionnés aient refusé d'entendre cet avertissement), nous pouvons encore la perdre. Surtout si, par paresse intellectuelle, cette sorte d'aveuglement qu'induit l'excès d'arrogance, nous offrons sur un plateau des millions de nouveaux adhérents et des milliers de nouveaux soldats à nos ennemis. Or, c'est très exactement ce qui se passe. Comme le déclarait Victor Hugo au lendemain de la guerre de 1870: « L'insomnie du monde a commencé. »