L'enjeu. Non, non, répétez-vous, cette guerre aux fous d'Allah n'est pas une guerre faite à l'islam ; elle n'est pas un conflit de civilisations! D'accord! (Mais pour en conjurer la probabilité vous ne cessez d'en mentionner l'hypothèse ... ) Et constatons que si, de notre côté, la règle de nos Etats laïques est de tolérer toutes les religions dans la sphère privée, le fait est que le terrorisme islamique se présente, lui, sans fard, comme le pur combat d'une foi coranique pour un refus radical : celui des valeurs à vocation universelle de l'Occident. Un rejet de civilisation! Le sort de ce défi se décidera, pour l'essentiel, non par les armes mais dans les têtes et les coeurs. Chez les musulmans, selon qu'ils condamneront avec plus ou moins de vigueur cette rage extrême de la violence missionnaire; chez nous, selon que nous trouverons le ressort moral de défendre un certain « idéal » : le nôtre. Cet « idéal », aussi oublié soit-il, constitue le « logiciel » qui nous gouverne. Il nous détermine plus que la politique, plus que l'économie, car il ordonne à l'une et à l'autre. Les civilisations naissent dans la passion de l'« idéal» qui les enfanta. Et meurent comme une terre féconde que sa source n'irrigue plus. L'islam peut-il être contaminé par son poison terroriste ? Le pronostic actuel n'est pas décourageant. L'extrémisme des tueurs répugne presque partout aux pouvoirs musulmans et même à certains islamistes. La condamnation du fléau par les puissances chinoise et russe impressionne les plus bigots. Ainsi le pouvoir pakistanais affronte-t-il, pour le moment sans défaillance, sa fronde fondamentaliste. De même, les princes saoudiens mesurent que l'Amérique ne paiera pas sans fin leur pactole pétrolier d'une complaisance aveugle. L'Asie musulmane, l'Egypte, le Maghreb, l'Iran lui-même sont certes agités ici et là de fièvres fanatiques, mais partout les pouvoirs ne se laissent pas déborder. Quant aux opinions musulmanes, évidemment plus vulnérables, elles ne sont pas insensibles aux séductions de la modernité. Par exemple, à leur humiliant isolement pour le sort qu'ils font aux femmes. Des optimistes vont même jusqu'à penser que l'attentat de New York agira en électrochoc sur l'islam. Et le libérera de ses carcans médiévaux. lnch'Allah ! On peut aussi en douter. D'abord parce que l'islam, partout où il règne, continue de fomenter un double et retentissant échec : on n'y rencontre, en cinquante nations, ni vraie démocratie ni système de production performant. D'où, dans toute son aire, la frustration, puis cette révolte qu'ici ou là la religion cautionne et sacralise : ainsi - boucle infernale! - passe-t-on de l'islam tutélaire et stérilisant à l'islam révolté puis agressif. Il y a plus: l'islam, en énonçant des règles concrètes « sur la Société, l'Economie, le Droit, l'Etat, en consacrant cent fois plus de versets du Coran aux problèmes sociaux qu'aux sujets de dévotion", l'islam traditionnel décourage les modernistes désireux de le borner à la sphère privée. Il s'étale, au contraire, dans la sphère publique. "L'islam est politique ou n'est rien" jugeait un connaisseur, l'imam Khomeyni. Et le dernier Nobel, l'Indien Naipaul, qui a beaucoup écrit sur l'islam, ne dit rien d'autre. Ce n'est pas l'enseignement rustico-mystique donné, de Tombouctou à Peshawar, dans les centaines de milliers d'écoles coraniques qui peut contrarier une telle pente. Le grand avantage des certitudes chimériques, pour les millions de pauvres hères endoctrinés en noir et blanc, c'est qu'elles sont chargées d'incandescentes espérances et que, contre elles, la raison s'épuise. Pour décourager ses excès de foi, et ses propres intégristes, la chrétienté a mis des siècles. L'islam contemporain, lui, marine encore dans son passé. Le doute n'est pas son fort. Alors, la laïcité... Ajoutez enfin que notre globe rétrécit. Les frontières s'effacent et, sous les flux expansifs du commerce, de l'image et des migrations, le monde devient un grand corps où le sang circule de plus en plus vite avec ses bons globules et ses mauvais virus. Quid alors de ces innombrables guerres oubliées (Angola, Sri Lanka, Burundi ... ) auxquelles Bernard-Henri Lévy consacre un livre haletant ? Quid de ces millions d'hommes broyés dans des conflits sans caméra et qui sont encore écartés de la grande Histoire ? Mais écartés, demande BHL, pour combien de temps ? Sur ces terres de massacres oubliés, l'Occident propose, non sans arrogance ni maladresse, de l'inaccessible : son modèle démocratique et un libre marché où il tient le haut du pavé. L'islam, lui, avance ses certitudes, les lois du Prophète et l'espérance du paradis d'Allah. L'un et l'autre «modèles» prétendent donner un sens à l'aventure humaine. Ils se ressemblent comme le jour et la nuit.