Le qui-vive « Vieil Occident, après deux mille ans d'essor continu, considère ce massacre à New York et comprends qu'une nouvelle adversité se lève... » Ce message nous siffle aux oreilles depuis les tours fracassées de la capitale d'Occident. L'Histoire, comme on dit, est à nouveau en mouvement. Et avec elle la tragédie, sa fidèle suivante. Le monde, c'est entendu, ne sera plus comme avant. Et l'Occident moins encore. Le terrorisme l'a, pour l'heure, terrorisé. Car une question taraude: ces forcenés sont-ils des vestiges d'un islam médiéval dont la vaste famille musulmane se détournera avec horreur ? Ou sont-ils les premiers termites guerriers, avant-garde de colonnes souterraines en passe de ronger nos vieilles poutres, nos anciens parapets ? La réponse ne va pas de soi. Seule certitude: notre vulnérabilité. Elle est considérable. Vulnérable, l'Occident l'est d'abord par son aveuglement sur les deux tiers d'humanité qui pensent, rêvent et vivent autrement que nous. Ces « sous-développés », disons-nous, n'ont qu'à épouser nos recettes... Et, en effet, l'heureux couplage de la démocratie et de l'économie de marché fait partout des émules: en Europe de l'Est, en Amérique latine, en Asie du Sud-Est. La Chine, la Russie, immenses masses, y tendent, chacune à sa manière. Mais où le bât blesse, c'est lorsque nous sous-estimons l'altérité des cultures, le poids des agrégats collectifs hostiles au culte individuel de la liberté, la magie des religions, et ces bravades et défis d'honneur qui sont l'orgueil des pauvres. Notre croyance en l'universalité de notre modèle nous fait condamner tous ceux qui, fût-ce pour y accéder, ignorent nos Lumières. Il est vrai que l'Amérique, parce qu'elle est la plus intimement, religieusement, patriotiquement convaincue du « Bien » occidental, l'Amérique a mal vu, mal compris la géographie confuse de la Babel planétaire. Hélas! Vulnérable, l'Occident l'est donc surtout par ignorance. Dans la famille d'Islam il n'aura aidé que chichement les pays qui combattent les cruels rejetons du djihad coranique. Il bêtifia, au contraire, jusqu'à offrir, chez nous, le secours de ses libertés aux ennemis déclarés de la liberté: voyez Londres devenue couveuse islamiste pour des terroristes égyptiens, tunisiens, algériens poursuivis par leurs propres pays... Le terrorisme d'Allah n'est pas neuf et ses détournements d'avions non plus. Mais rien d'efficace n'aura été sérieusement entrepris pour s'en protéger. Rien pour renforcer l'immunité des sites nucléaires. Rien pour déjouer l'hydre financière d'un terrorisme engraissé, dans l'opacité banquière, par l'intégrisme saoudien que ménageait l'intérêt pétrolier. Rien pour adapter les énormes moyens militaires de l'Amérique - services spéciaux inclus - au risque nouveau. Rien pour solidariser, entre les pays d'Occident, la répression policière et judiciaire. Pensez aux incessants ratés des procédures d'extradition... Bref, tout ou presque est à forger pour blinder le ventre mou de l'Occident. Vulnérable, l'Occident l'est aussi par ta nature même de ses sociétés ouvertes, chèrement conquises, paradis de toutes sortes de libertés d'expression, de circulation, d'installation. Et plus vulnérable encore par son recours immodéré à des immigrations non sélectives. Depuis que le monde est monde, des empires, des civilisations se sont effondrés de l'intérieur. Combien d'intégrations ratées auront attisé de leur ressentiment des fanatismes importés! Et voici qu'il nous faudrait accepter de l'islam ce que nos lois laïques et républicaines refusent aux autres Eglises... Allons donc! La vigilance se dilue dans l'aménité libérale. Et la révolution médiatique charrie le meilleur et le pire. Ainsi le Web, où courent les rumeurs imbéciles, les gloses de Nostradamus et les fatwas du fascisme islamique. Que disent alors nos grandes consciences de « l'islam de paix » pour condamner ceux qui nous vouent aux gémonies? Un inaudible bredouillis! Vulnérable, notre Occident l'est enfin par l'affaiblissement de sa détermination morale. Avec l'évitement oblique de la mort, avec l'euphorie substituée au bonheur, l'assistance à l'énergie, les tranquillisants à la volonté, le cocon des psys au courage, une sorte de veulerie d'un nouveau type s'est instillée dans le noble principe de tolérance. On divague d'excuses en repentances, de pénitences en contritions... Après son septembre noir, on peut escompter que l'Amérique, avec son incoercible vitalité, reprendra, elle, le dessus en ranimant contre le terrorisme la «tolérance zéro» appliquée avec succès à l'ordre public. Mais l'Europe et la France en particulier paraissent plus faiblardes. Déjà s'installe, dans notre landerneau politico-médiatique, un prêchi-prêcha "islamiquement correct " qui eût bâillonné Voltaire et prétend nous apprendre à penser courbés. Merci bien! La vérité, c'est que vient le temps du qui-vive. Et le devoir d'opposer aux soupirants de la mort -"ce qui nous fait vivre, et qui est l'amour de la vie" - (1). (1) Exergue de Flaubert dans « Voyez comme on danse », de Jean d'Ormesson.