[0] HARANGUE A LA LOUANGE DE L'EMPEREUR CONSTANTIN - Exorde. JE ne parais pas ici pour y débiter des fables, ni des discours ingénieusement composés à dessein de charmer, comme par le chant dès Sirènes, ceux qui me feront l'honneur de m'écouter. Je n'y présente point non plus des fleurs dans des vases d'or, et je n'y apporte point les ornements de l'éloquence pour plaire à ceux qui les recherchent par une vaine curiosité. J'aime mieux suivre l'avis des Sages, et exhorter tout le monde à s'éloigner des grands chemins, et à éviter la foule du peuple. Je viens faire par une nouvelle méthode le Panégyrique de l'Empereur. Quelque presse qu'il y ait autour je moi, je tiendrai une route qui n'a été battue de personne, et où il n'est pas permis d'entrer sans s'être lavé les pieds. Ceux qui n'ont qu'une Rhétorique de Collège, tachent de plaire au peuple par des narrations puériles. Mais, ceux qui sont instruits des mystères de la sagesse savent faire un meilleur choix. Ils préfèrent les vertus Chrétiennes de l'Empereur, à ses vertus purement humaines, et lui laissent donner de basses louanges par ceux qui n'ont que de bas sentiments. Constantin ayant heureusement réuni en sa personne la sagesse sacrée, et la sagesse profane, la science de l'Eglise qui se rapporte au service de Dieu, et la science du monde qui tend à l'utilité des hommes, celle-ci pourra être louée en d'autres assemblées comme une science qui est en effet fort louable, et qui est sort utile à la société civile, bien qu'elle soit beaucoup inférieure à la science de l'Église. Mais ceux qui ont le droit d'entrer dans le Sanctuaire ne doivent parler en présence des fidèles, que des vertus surnaturelles de l'Empereur. Que les fidèles préparent donc leurs oreilles pour écouter les mystères, qu'ils ouvrent leurs cœurs pour les recevoir, et qu'ils les étendent avec le mouvement d'une joie céleste. Nous suivons des Oracles rendus non par une fureur aveugle, mais par l'Esprit saint. Et ces Oracles-là nous donnent l'idée véritable de l'Empire absolu que Dieu exerce sur tous les êtres, de l'Empire légitime que notre Prince exerce sur nous à l'Imitation de Dieu, de la domination injuste que les Tyrans avaient usurpée, et des différents effets de ces différentes manières de gouverner. Nous suivrons cette idée, et entrerons dans notre matière. [1] CHAPITRE I. Nous célébrons aujourd'hui une grande fête, en l'honneur de l'Empereur, de qui nous sommes les sujets fidèles, et nous y faisons paraitre une joie extraordinaire suivant l'ordre de Dieu. C'est le souverain Empereur, et qui est seul véritablement Souverain, qui nous exhorte à célébrer cette fête. Celui qui m'honore de son audience, bien loin d'être fâché que je parle de la sorte, approuvera mon discours, et reconnaîtra avec moi que Dieu est infiniment élevé au dessus des êtres créés, que son trône est dans le Ciel, et que la terre ne lui sert que de marchepied. La lumière qui l'environne, éblouit par son éclat, et empêche de le regarder. Des armées d'esprits célestes l'entourent comme leur Seigneur et leur Maître. Une multitude incroyable d'Anges, et d'Archanges tirent de lui toute leur lumière, comme d'une source inépuisable. Les substances intelligentes qui sont au delà du Ciel, publient ses louanges. Le Ciel est comme un voile bleu, qui répare ceux qui sont dans le Palais, et ceux de dehors. Le Soleil, la Lune et les autres astres courent autour de lui, comme Ces Officiers à l'entrée de son Palais, et éclairent par son ordre, les créatures qu'il a placées dans une région ténébreuse. Pourquoi ferais-je difficulté de publier, qu'il est le Seigneur des Empereurs, et le principe de toute domination puisque je sais que notre victorieux Prince lui attribue la gloire de ses victoires, et célèbre continuellement sa grandeur ? Les très-pieux Césars le reconnaissent pour l'unique Auteur de leurs biens, selon les instructions qu'ils ont reçues de Constantin leur père. Les armées et les peuples, les habitants des villes et de la campagne, les Magistrats et les Gouverneurs de Province s'assemblent pour lui rendre le culte qui lui est dû, selon les préceptes que le Sauveur leur en a donnez. Enfin les nations les plus éloignées, et les plus contraires en coutumes et en mœurs conviennent comme par une inclination secrète de la Nature, de l'invoquer. La terre le reconnaît pour son Seigneur, et déclare aux plantes et aux arbres qu'elle produit, et aux animaux qu'elle porte, quelle obéît à ses ordres. Les fontaines et les rivières disent en leur langage qu'il est l'auteur de tout ce qu'il y a de merveilleux et de surprenant dans leur origine et dans leur cours. Les flots qui sortent du sein de la mer, et qui au lieu d'inonder la terre, s'élèvent jusques au ciel, respectent les bornes qu'il leur a prescrites. La chute réglée des pluies pendant l'hiver, l'éclair et le bruit des tonnerres, l'agitation des vents, le mouvement que ces vents impriment aux nuées, le découvrent à ceux qui ne sont pas assez éclairés pour le reconnaître d'eux-mêmes. Le Soleil, ce globe resplendissant de lumière, qui continue son vaste cours depuis le commencement des siècles, ne reconnaît point d'autre Maître que lui. Mais il suit aussi ses ordres avec tant d'exactitude, qu'il ne s'est jamais écarté du cercle auquel il l'a attaché. La Lune qui a une clarté beaucoup inférieure à celle du Soleil, et qui reçoit tantôt une diminution, et tantôt un accroissement de lumière, est aussi parfaitement soumise que lui, aux commandements du même Maître. La multitude des astres, qui sont attachez au Firmament, et qui y gardent un mouvement si juste, publient que c'est de lui qu'ils reçoivent l'éclat qu'ils répandent. Les cieux annoncent sa gloire, et confessent que leur harmonie vient de lui. La succession continuelle des jours, et des nuits, la vicissitude des saisons, et l'ordre de tout l'univers font voir la grandeur de sa puissance. les puissances invisibles, qui remplissent l'air, chantent ses louanges. Enfin tout le monde récite des Hymnes en son honneur. Les Cieux qui sont au dessus de nous, et les Chœurs des Anges qui sont au dessus des cieux, le révèrent. Les esprits sortis d'une lumière intellectuelle, l'appellent leur Dieu, et leur Père. L'éternité qui précède tous les temps, rend témoignage à sa divinité. Enfin son Verbe et son Fils unique qui est dans toutes choses, avant toutes choses, et après toutes choses, le grand Pontife du grand Dieu, qui est plus ancien que le temps, est consacré à son culte, et qui fait des prières pour notre salut. Ce Fils unique qui de Dieu possède une puissance absolue sur l'Univers, et une gloire égale à celle de son Père dans son Royaume. C'est une lumière qui est au dessus de toutes les créatures, et qui sépare les substances qui n'ont point de principe, ni de commencement d'avec celles qui en ont. Il procède du sein de la divinité, qui n'a ni commencement ni fin, et éclaire de la lumière de sa sagesse, qui est une lumière infiniment plus éclatante que celle du Soleil, la région qui est au dessus du Ciel. Ce Verbe de Dieu, est le Seigneur du monde, qui se répand sur toutes les choses, et dans toutes les choses visibles et invisibles. [2] CHAPITRE II. C'est de sa main que nôtre Empereur très-cheri de Dieu, a reçu la souveraine puissance, pour gouverner son Etat, comme Dieu gouverne le monde. Le Fils unique de Dieu règne avant tous les temps, et régnera après tous les temps avec son Père. Notre Empereur qui est aimé par le Verbe, règne depuis plusieurs années par un écoulement, et une participation de l'autorité divine. Le Sauveur attire au service de son Père le monde qu'il gouverne comme son royaume, et l'Empereur soumet ses sujets à l'obéissance du Verbe. Le Sauveur commun de tous les hommes chasse par sa vertu divine, comme un bon Pasteur, les puissances rebelles qui volent dans l'air et qui tendent des pièges à son troupeau. Le Prince qu'il protège, défait avec son secours les ennemis de la vérité, les réduit à son obéissance, et les condamne au châtiment qu'ils méritent. Le Verbe qui est la raison substantielle, qui existe avant le monde, jette dans les esprits des semences de science et de vérité, par lesquelles il les rend capables de servir son Père. Notre Empereur qui brûle d'un zèle sincère pour la gloire de Dieu, rappelle toutes les nations à sa connaissance, et leur annonce à haute voix la vérité, comme l'Interprète du Verbe. Le Sauveur ouvre la porte du royaume de son père à ceux qui y arrivent d'ici bas. L'Empereur qui se propose continuellement son exemple, extermine l'erreur, assemble les personnes de piété dans les Eglises et prend tout le soin possible pour sauver le vaisseau, de la conduite duquel il est chargé. Il est le seul de tous ceux qui ont gouverné cet Empire, qui ait reçu de Dieu la grâce de solenniser trois fois les jeux et les réjouissances publiques, qui se renouvellent de dix en dix ans, à compter depuis sa proclamation. Ce n'est pas aussi en l'honneur des puissances terrestres, ni des démons qui trompent le peuple, qu'il célèbre cette fête, comme faisaient ses prédécesseurs. Ce n'est qu'en l'honneur de Dieu, à qui il rend d'humbles actions de grâces, des saveurs qu'il a reçues de sa bonté. Il ne fait point son Palais du sang des victimes selon l'usage profane des anciens, il ne tâche point de le rendre les démons propices par le feu, et par la fumée des sacrifices. Il offre au Seigneur souverain de l'univers son cœur comme une pure et une agréable victime. Cette victime est pure et agréable, non par ce qu'elle a d'extérieur, ni par le sang qui coule de ses veines, mais par ce qu'elle a d'intérieur, par les mouvements par lesquels elle se porte à Dieu, par la sincérité de sa piété, par la ferveur de ses prières, par la sainteté de ses actions. Il immole cette hostie comme des prémices du royaume, qu'il gouverne, et il immole ensuite comme un Pasteur le troupeau qu'il assujettit à l'obéissance de la foi. [3] CHAPITRE III. Dieu reçoit avec joie ce sacrifice, loue la piété du Pontife qui le lui présente, récompense de nouveaux dons les nouveaux effets de sa piété, et ajoute de nouvelles années à son Empire. Il lui fait la grâce singulière d'associer à chaque dizaine d'années, un des Princes ses enfants, et de l'élever sur le trône. En la dixième année de son règne, il a communiqué à Constantin son fils-aine l'autorité souveraine. Il l'a communiquée au second en la vingtième année, et il l'a communiquée au trentième en celle-ci, dont la solennité nous assemble. Maintenant que nous entrons dans la quatrième dizaine, et que la proclamation des trois Césars, est achevée, nous voyons l'accomplissement de la prophétie conçue en ces termes : "Les Saints du très-Haut recevront l'Empire"; Dieu a multiplié de la sorte les années, et la postérité de notre très-pieux Empereur, et fait fleurir son règne avec la même vigueur, que s'il ne faisait que de commencer. Il a préparé lui-même la cérémonie que nous célébrons, quand il lui a accordé la victoire sur ses ennemis, et qu'il l'a proposé à son siècle, comme un modèle très-accompli de piété. Cet Empereur gouverne par les Princes ses enfants, les sujets les plus éloignés de sa capitale, comme le Soleil éclaire de ses rayons les peuples les plus éloignés de sa sphère. Il nous a fournis nous autres, qui habitons l'Orient, à la conduite d'un fils tout-a-fait digne de lui ; il a donné d'autres peuples au second, et d'autres au troisième. Ce sont comme autant d'effusions qu'il fait de sa lumière, pour éclairer les sujets qui habitent les Provinces. Il a attaché les quatre Césars au char de l'Empire, qu'il conduit lui-même par là sagesse, et par le moyen duquel il parcourt l'univers, l'honore et le réjouit de sa présence. Il lève les yeux au ciel, pour y chercher l'idée de la domination, qu'il exerce sur la terre. Il garde dans l'étendue de ses Etats, la même forme de gouvernement, que Dieu garde dans tout l'univers. Il use du droit que Dieu a accordé à l'homme seul, d'imiter son pouvoir Monarchique. Le gouvernement d'un seul est sans doute le plus parfait. Le gouvernement opposé qui est possédé également par plusieurs, est toujours rempli de confusion et de désordre. Aussi n'y a-t-il qu'un Dieu. La pluralité des Dieux en détruirait non seulement l'unité, mais la nature, de sorte que s'il y avait plusieurs Dieux, il n'y en aurait aucun. Il n'y a qu'un souverain et indépendant Seigneur de l'univers, qui n'a qu'une parole et une loi qui n'est point exprimée par des syllabes sensibles, ni imprimée sur le papier ou sur les autres matières que le temps détruit, mais qui est vivante et subsistante par elle-même, et qui prépare le royaume de son Père à ceux qui lui sont soumis. Les armées célestes, les esprits invisibles, les Anges qui rendent à Dieu un service continuel, et qui gouvernent le monde par ses ordres, le suivent comme leur Chef, comme leur Général, comme un souverain Pontife, comme le Prophète de Dieu, comme l'Ange du grand Conseil, comme la splendeur de la lumière de son Père, qui l'a donné en qualité de Verbe, de Loi, et de Sagesse, à ceux qui sont soumis à son obéissance. Ce Verbe pénétrant toutes les créatures, et se répandant au milieu d'elles, leur communique avec abondance les bienfaits de son Père, et donne aux hommes qui sont son image, une portion de sa puissance, et les vertus dont ils ont besoin. Il n'y a que Dieu qui soit sage de sa nature, qui soit bon, et qui soit puissant. Il est la source de l'innocence et de la justice, de la raison et de la sagesse, de la lumière et de la vie. Il est le dispensateur de la vérité et de la vertu, le distributeur des royaumes, et de l'autorité de les gouverner. [4] CHAPITRE IV. Comment l'homme sait-il que Dieu possède tous ces avantages ? Comment de si hautes vérités sont-elles venues jusques-à nous ! Comment une langue aussi grossière que la nôtre a-t-elle appris à expliquer des mystères si relevés ? Qui est-ce qui a vu le Roi invisible, et qui a découvert en lui tant de merveilles? Nous connaissons par les sens les objets sensibles, les organes corporels servent à voir les corps, et à les toucher. Mais jamais les yeux du corps n'ont vu le royaume invisible. Jamais mortel n'a découvert la beauté de la sagesse. Qui a vu la justice ? Qui a conçu l'idée de la souveraine puissance, et de la légitime domination? Qui a montré aux hommes une substance spirituelle, et qui n'a ni traits corporels, ni figure extérieure ? Le Verbe de Dieu qui par son immensité est présent en tous lieux, est sans doute le seul qui a expliqué ces vérités si importantes et si sublimes. Il est le principe et comme le Père de la substance raisonnable et intellectuelle, qui est la principale partie de l'homme. Il est uni au Père, et fait couler de lui sur les hommes qui sont ses enfants les eaux de ses grâces. C'est de cette source que procèdent les notions de raison et de sagesse, de prudence et de justice que les Grecs et les Barbares ont eues naturellement, sans les avoir reçues d'aucun maître. C'est de-là que viennent les arts et les sciences, la philosophie, l'amour de l'étude, la connaissance du bien, le zèle pour le service de Dieu, et le désir de mener une vie conforme à ses préceptes. C'est de ce principe que l'homme a tiré l'autorité et le pouvoir qu'il exerce sur les créatures inférieures. Cette raison souveraine qui a crée les esprits raisonnables, qui leur a imprimé l'image de Dieu, qui leur a communiqué l'autorité, et qui leur a enseigné à commander et à obéir, leur a promis le Royaume du Ciel, et leur en a donné un gage, et une assurance par sa présence, et par sa vie corporelle et visible. Il a exhorté tous les hommes à se préparer à ce Royaume, et à se couvrir de la robe avec laquelle il y faut entrer. Il a répandu sa Doctrine par tout le monde où le Soleil répand sa lumière. Il a appelé tous les peuples au Royaume de son Père, et leur a donné l'espérance de le posséder. [5] CHAPITRE V. Notre Empereur très chéri de Dieu jouit dès cette vie de cette espérance. II est paré des vertus qui sont comme des ruisseaux qui coulent de cette source inépuisable. Il a la raison, la sagesse, et la bonté par la participation de la raison éternelle, de la sagesse incréée, de la bonté infinie. Il est juste, tempérant, et vaillant par la justice, par la tempérance, et par la vaillance que Dieu lui a communiquée. Il mérite avec justice le titre d'Empereur puis qu'il imite autant qu'il peut le maître des Empereurs, et qu'il tâche de gouverner son Etat avec une justice qui ait quelque rapport à celle avec laquelle Dieu gouverne l'Univers. Quiconque prend une conduite contraire, quiconque renonce au souverain Seigneur de l'Univers, et qui au lieu de se parer des vertus convenables à un Empereur se souille de crimes, au lieu de se revêtir de douceur s'arme de cruauté, au lieu d'exercer la libéralité ne répand que le poison de la haine, au lieu de garder une conduite pleine de modération et de sagesse n'agit que par légèreté et par emportement, quiconque enfin au lieu de suivre la lumière de la raison s'égare et s'abîme dans les débauches, s'abandonne aux passions, et tombe dans l'impiété il déclare la guerre à Dieu, commet des impiétés, et des meurtres. Quelqu'empire que puisse exercer celui qui est sujet à ces vices, jamais il ne méritera le titre d'Empereur. Comment celui qui porte les marques et les caractères des Démons pourrait-il être l'image de l'autorité absolue avec laquelle Dieu gouverne l'Univers? Comment celui qui est assujetti à l'obéissance d'un grand nombre de maîtres cruels, pourrait-il être le maître des autres ? Sans doute on ne saurait commander quand on est esclave, et que l'on obéit à la volupté, à l'amour des femmes, à la passion du bien amassé par des voies injustes, à la colère, à la crainte, et à tous les esprits impurs qui sont leur joie de nôtre ruine. Avouons-donc qu'il n'y a point d'autre Empereur que le nôtre, puisqu'il n'y en a point qui soit libre comme lui, ni qui soit comme lui au dessus des passions, et qui méprise les plaisirs, et se prive même de ceux qui sont innocents, et légitimes. Il est maître de sa colère et de son courage. Il est vainqueur non seulement des ennemis étrangers dont il a dompté l'orgueil, mais des domestiques, et de ses propres mouvements dont il a réprimé la violence, il imite Dieu comme son modèle, et le représente comme un miroir. Il représente la tempérance, la justice, la valeur, la paix, la sagesse dont Dieu lui a donné et le commandement, et l'exemple. Il se connaît fort bien, et sait que les vertus qu'il possède, sont des dons du Ciel. Il porte seul la robe de pourpre pour marque de son autorité, et mérite seul d'avoir cette autorité parce qu'il implore jour et nuit le secours du Père céleste, et qu'il brûle du désir de parvenir à son Royaume. Comme il sait qu'il n'y a rien ici bas qui ne soit sujet au changement, et à la corruption, et qui ne passe avec la même rapidité que l'eau d'un fleuve qui se hâte de se précipiter dans l'Océan, il souhaite avec une ardeur incroyable de devenir sujet d'un Royaume, où Dieu donne des biens stables et permanents. Il porte la pensée et son ambition jusques à ce Royaume. Il aspire à la lumière qui y brille, et en comparaison de laquelle tout ce qu'il y a sur la terre de plus éclatant, n'est que ténèbres. Le soin que les Princes prennent de gouverner leurs sujets ne s'étend point au de-là d'une vie qui d'elle-même est fort courte, et sujette à la mort. Il n'est pas beaucoup plus considérable que celui que les Pasteurs prennent de leurs troupeaux, et il est d'autant plus fâcheux et plus incommode que les hommes sont plus difficiles à gouverner que les bêtes. Les louanges des flatteurs, et les applaudissements des peuples font plus de peine à l'Empereur, qu'ils ne lui donnent de plaisir. Il a l'âme naturellement trop ferme, et un trop grand zèle de maintenir la vigueur des lois et de la discipline, en obligeant tour le monde à faire exactement son devoir, pour caresser bassement le peuple. Quand il voit de nombreuses armées soumises à ses ordres, il n'en conçoit ni de l'étonnement, ni de la vanité. Il fait à l'heure-même réflexion sur soi-même, et se reconnaît sujet à toutes les faiblesses de notre nature. Il se moque des habits à fleurs rehaussées d'or, de la pourpre Impériale, et du diadème, et il déplore la faiblesse du peuple qui admire ces ornements.. Il recherche d'autres ornements fort différents, et se pare non le corps mais l'esprit par la connaissance de Dieu, par la tempérance, la justice, la piété, et les autres vertus qui conviennent à un Prince. Il regarde les richesses que la plupart des hommes désirent avec une ardeur si excessive, l'or, l'argent, et les pierreries, comme des pierres, et des matières inutiles. Il ne les estime que ce qu'elles valent, et est très persuadé qu'elles ne préservent d'aucun mal, qu'elles ne détournent aucune maladie, et qu'elles n'exemptent point de la mort. Il ne laisse pas de s'en servir pour l'utilité de ses sujets. Mais il rit en même temps de ceux qui sont sisimples que de les admirer. Il a l'ivrognerie en horreur et s'abstient de tous ces mets si recherchés, et si délicats, qui ne servent qu'à irriter l'appétit, et à provoquer à l'intempérance. Il croit qu'ils conviennent à tout autre plutôt qu'à lui, qu'ils sont extrêmement préjudiciables, et qu'ils obscurcissent l'esprit. La grandeur de son âme, et la connaissance qu'il a des vérités divines, lui font rechercher des avantages plus excellents que ceux de la vie présente. Il aspire sans cesse à un Empire qui n'a n'a point de fin. Il s'en approche par les mouvements de sa piété. Il y porte ses sujets par ses préceptes, et par ses exemples. Dieu ne laisse pas aussi les vertus de ce Prince sans récompense. Il lui donne dès cette vie des gages de celle qu'il lui réserve dans l'autre. Il le couronne de prospérité, et de gloire. Il prolonge li durée de son règne. Il en rend la trentième année célèbre par cette cérémonie, où l'Univers fait éclater les marques d'une joie publique; et où il est probable que les Anges entrent dans les mêmes sentiments que les hommes. Dieu-même se réjouit comme un bon Père de la piété de ses enfants, et accorde un long et heureux règne à l'Empereur qui leur a enseigné les devoirs de cette piété. Il ne se contente pas de l'avoir maintenu trente ans sur le trône. Il donne à son Empire une durée qui n'a ni diminution ni accroissement parce qu'elle n'a ni commencement, ni fin. C'est une durée dont on ne saurait découvrir le centre, et où l'on ne saurait marquer ni un temps présent, ni un temps passé, ni un temps avenir. Le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore. Le présent passe plus vite que la pensée. L'éternité n'est point soumise au calcul des hommes. Elle ne relève que de Dieu, à qui elle rend la gloire qu'elle a reçue de lui. Dieu la gouverne du haut du Ciel. Il la tient non enchaînée avec une chaîne d'or comme disent les Poètes, mais attachée à sa sagesse avec une chaîne invisible, et a placé au milieu d'elle, les années, les mois, les jours et les nuits dans un ordre qui a une beauté merveilleuse. L'éternité n'a d'elle-même aucunes bornes. Elle s'étend à l'infini. Mais Dieu en a comme entrecoupé le milieu par la distinction des temps. C'est comme une ligne droite qu'il a divisée par plusieurs points. Il a mis les nombres dans son unité, et lui a donné diverses formes au lieu qu'elle n'en avait aucune. Il a produit d'abord une matière informe qui devait recevoir toutes les substances. Il a donné ensuite des qualités à la matière, et l'a embellie par le nombre de deux, au lieu qu'elle n'avait auparavant nulle beauté. Par le nombre de trois il a composé de matière et de forme un corps capable des trois dimensions de la longueur, de la largeur, et de la profondeur. Ayant ensuite doublé le nombre de deux, il a inventé les quatre éléments, la terre, l'eau, l'air, et le feu comme des sources d'où coulent tous les biens qui sont dans le monde. Au reste le nombre de quatre produit celui de dix, car en ajoutant un, deux, trois, et quatre ensemble, on trouve dix pour produit. Le nombre de dix étant multiplié par celui de trois donne l'espace d'un mois. Douze mois mesurent le cours du Soleil. Voila comment la suite des années et la révolution des saisons ont embelli le temps pour la satisfaction, et le plaisir de ceux à qui Dieu accorde la jouissance. Il a mis le temps au milieu de l'éternité et a marqué des points dans ces vastes espaces comme les bornes de la carrière où les Athlètes courent, comme les hôtelleries où les voyageurs se reposent. Ce souverain Seigneur du monde à distingué les parties du temps, en attribuant au jour l'éclat de la lumière, et à la nuit l'obscurité des ténèbres, qui ne sont dissipées que par la faible lueur des étoiles. Il a embelli le Ciel par le Soleil, par la Lune, et par les Astres, comme un voile par une agréable diversité de couleurs. Après avoir étendu l'air il l'a rempli des espèces si différentes des oiseaux. Il a affermi là terre comme au milieu, et au centre de l'Univers, et l'a entourée de l'Océan comme d'un vêtement bleu. Il en a fait la demeure et tout ensemble, la mère et la nourrice des animaux.. Il l'a arrosée des eaux dés pluies, et des fontaines. Il l'a couverte de plantes, et de fleurs. Il y a formé l'homme à son image. Il lui a inspiré une âme intelligente, et raisonnable, capable de science et de sagesse, et lui a donné le droit de commander aux animaux, qu'il n'avait faits que pour son usage. Ce n'est que pour la commodité de l'homme qu'il a rendu la mer navigable, et la terre féconde. Il lui a donné un esprit capable de discipline. Il lui a assujetti les animaux qui volent dans l'air,et qui nagent dans la mer. Il lui a permis de contempler le Ciel, et de découvrir le mouvement et le cours des astres. Il lui a accordé à lui-seul la connaissance de la Religion, et le droit de l'appeler son Père, et de publier ses louanges. [6] CHAPITRE VI. Outre tout ce que je viens de dire le Créateur de l'Univers a partagé l'année en quatre saisons. L'hiver est terminé par le printemps, qui bien qu'il commence l'année ne laisse pas d'en être aussi comme le milieu, et de la tenir en quelque sorte d'équilibre. L'été succède avec ses ardeurs à l'agréable température du printemps. L'automne tempère les ardeurs de l'été et est comme destiné au repos. Enfin l'hiver retourne après l'automne, engraisse la terre par ses eaux, et la prépare aux fleurs du printemps. Le souverain Seigneur de l'Univers ayant partagé de la sorte les siècles en quatre saisons avec une sagesse admirable, en a confié le gouvernement à son Fils unique. Celui-ci l'ayant accepte comme un héritage qui lui vient de la bonté de son Père, unit par une merveilleuse harmonie toutes les pièces qui sont renfermées au dessus et au dessous du Ciel. Il pourvoit avec un soin non pareil aux nécessités des créatures raisonnables qui habitent sur la terre. Il a mis des bornes à leur vie, et a voulu que cette vie qui a des bornes, fut comme le passage à une autre qui n'en a point. Il leur a enseigné qu'il y a un état heureux dont jouiront ceux qui s'en seront rendus dignes par leur piété, comme il y a des supplices préparés à ceux qui les auront mérités par leurs crimes. Alors il distribuera les couronnes à peu près de la même sorte qu'on les distribue aux Vainqueurs après les combats. Il déclare dés maintenant que la plus magnifique de toutes les récompenses est réservée à nôtre religieux Empereur, et il lui en donne dés ici un gage par cette cérémonie qu'il lui permet de célébrer avec tant de magnificence, et tant de pompe en cette année dont le nombre est produit par la multiplication réciproque de celui de trois et de dix, qui sont des nombres parfaits. Le nombre de trois est le premier produit de l'unité. L'unité est la mère de tous les nombres. Elle préside aux mois, et aux années, au changement des saisons, et à la révolution des siècles. Elle est le principe, et la base de la multitude. Elle est stable, et fixe au même état. Au lieu que la multitude croît, ou diminue par l'addition, ou par la soustraction des nombres, l'unité ne souffre aucun changement et ne reçoit ni accroissement, ni diminution. Elle est l'image de cette substance indivisible, et séparée de toutes les autres, et par la puissance de laquelle subsiste tout l'Univers. L'unité produit tous les nombres en ajoutant les uns aux autres, ou en les multipliant les uns par les autres. On ne saurait concevoir le nombre sans l'unité, au lieu que l'unité subsiste par elle-même, et indépendamment des nombres, qu'elle est plus excellente qu'eux, qu'elle les sait, et n'est faite par aucun. Le nombre de trois approche fort de la perfection de l'unité. Il ne peut être divisé, et est le premier de tous les nombres composés du pair, et de l'impair. Le nombre de deux qui est pair étant joint à l'unité, fait le nombre de trois qui est le premier des impairs. Le nombre de trois est le premier qui enseigne aux hommes la justice, et l'égalité parce qu'il a un commencement parfaitement égal au milieu, et un milieu parfaitement égal à la fin. Il est une image sensible des trois personnes Divines, dont la nature n'a ni commencement, ni principe ; et est le principe et le commencement, la source et l'origine de tous les êtres. Ainsi le nombre de trois peut être considéré avec raison comme le commencement de toutes choses. Celui de dix est comme la fin, il termine tout, il est parfait, et renferme toutes les espèces des proportions et des nombres, tous les sons et tous les accents de l'harmonie. L'unité produit par addition le nombre de dix, et tourne deux, trois, et quatre fois autour de lui jusques à ce que par dix dizaines elle soit parvenue au nombre de cent. Ces dizaines sont continuellement le même cercle et retournent sans cesse aux mêmes bornes. Dix unités sont une dizaine. L'unité est dix fois dans le même nombre de dix, qui est la fin, le terme, la borne, et la perfection de l'unité : il est le terme qui arrête les nombres, et qui les empêche de s'étendre, et il est la perfection de l'unité. Lorsque le nombre de trois multiplie celui de dix, il produit celui de trente, qui est un nombre fort naturel. Il tient le même rang parmi les dizaines, que le nombre de trois parmi les unités ; il est la mesure et la règle du cours que tient la plus éclatante des planètes après le Soleil. La Lune emploie un mois composé de trente jours à parcourir l'espace qui s'étend depuis le point, où elle se sépare du Soleil, jusques celui où elle s'y rejoint. Quand elle a fourni cette carrière, elle se lève comme de nouveau, et fait de nouveaux jours avec une nouvelle lumière. Elle est parée de dix unités, de trois dizaines, et de dix ternaires, s'il est permis d'user de ce terme. Le règne de notre victorieux Empereur, jouit des mêmes avantages par la libéralité du souverain Seigneur de l'univers. Il refleurit en nos jours, et prend un nouveau commencement. Il a rempli les trente années, s'étendra au delà, et servira d'assurance et de gage de la possession du bonheur qui est promis dans un autre siècle, où des millions d'Astres plus éclatants, sans comparaison que le Soleil, brillent autour du souverain Empereur, par la splendeur qu'il leur communique, où l'âme jouit de la vue d'une beauté incorruptible et immortelle, où il n'y a point de douleur, Si où il n'y a que des plaisirs innocents, où le temps n'a point de bornes, et où il n'est point mesuré par l'espace des jours, des mois et des années, où la durée est égale à une vie qui n'a point de fin. C'est un siècle où la lumière n'est point répandue par le Soleil, par la Lune, ni par les autres Astres, mais par le Verbe qui est Dieu, et Fils unique de notre Dieu et de notre Roi. C'est pour cela que la Théologie mystique l'appelle le Soleil de justice, et la lumière des lumières. C'est pour le même sujet que nous croyons qu'il éclaire les puissances célestes par les rayons de sa justice et de sa sagesse, et que suivant ses promesses, il reçoit les âmes saints, non dans la partie convexe du ciel visible, mais dans son sein. L'œil du corps n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, l'esprit entouré du corps n'a point connu ce qui est préparé aux personnes de piété, comme à vous très religieux Empereur, qui êtes le seul que Dieu ait choisi, pour purger la vie des hommes des crimes dont elle était toute souillée, et à qui il ait montré le signe de nôtre Rédemption, par la force duquel il a vaincu la mort, et triomphé de ses ennemis. Vous avez opposé aux statues des démons ce monument de votre victoire, ce fléau des Idoles, et vous avez dompté l'orgueil des barbares et des démons, qui sont une autre espèce d'ennemis barbares. [7] CHAPITRE VII. Comme nous ne subsistons que par l'union de deux substances, dont l'une est corporelle et visible, l'autre spirituelle et invisible, nous avons aussi à combattre deux sortes d'ennemis, dont les uns sont visibles et déclarés ; et les autres invisibles et secrets. Les premiers attaquent nos corps avec des armes sensibles. Les seconds dressent des pièges à nos âmes par des machines fort subtiles, et imperceptibles aux sens. Les ennemis que l'on voit, sont des peuples aussi sauvages et aussi farouches que les bêtes, qui font irruption contre les nations civilisées, et polies, qui ravagent la campagne, désolent les Villes, et mettent tout à feu et à sang. Les ennemis que l'on ne voit point, et qui sont plus cruels que ceux que l'on voit, ce sont les démons qui corrompent l'esprit de l'homme, qui remplirent l'air, et qui par les machines détestables de l'impiété, ont réduit tous les peuples sous leur tyrannie, de sorte que ne connaissant plus le vrai Dieu, et ne l'honorant non plus que s'il n'était point, ils en ont introduit d'étrangers et d'imaginaires. C'est de cette source que procède l'erreur, qui leur a fait prendre la génération des corps, pour une divinité, et la corruption de ces mêmes corps pour une autre divinité contraire. Ils ont adoré sous le nom de Vénus, cette première divinité, qui préside à la naissance, et sous le nom de Pluton, la seconde qui cause la mort et qui enlève les richesses. Les hommes de ce temps-là ont cru que la cause de la naissance était une divinité, parce qu'ils ne connaissaient point d'autre vie, que celle qui commence par cette naissance corporelle et sensible. Ils ont cru aussi que la cause de la mort était une autre divinité, parce qu'ils se sont imaginés qu'il n'y avait rien au delà, et qu'ils n'ont pas porté plus loin leurs pensées, ni leurs espérances. D'ailleurs la créance, où ils ont été, qu'ils n'auraient aucun compte à rendre après la destruction que la mort produit, leur a donné la licence de s'abandonner aux crimes les plus énormes, et de commettre des abominations qui ne pourraient être expiées par mille morts. Ils n'ont point eu Dieu devant les yeux. Ils ne se sont point attendus à paraitre à son jugement ; ils n'ont reconnu que la mort pour Juge, et dans la créance qu'elle détruit l'homme entier, ils l'ont adorée comme une divinité fort puissante et fort riche. Ils n'ont pas révéré la mort seule comme une divinité. Ils ont révéré avant elle et plus profondément qu'elle, tout ce qui pouvoir contribuer à leur rendre la vie commode et agréable. Ils ont pris pour un Dieu le plaisir du corps, les aliments, les fruits des arbres, la bonne chère, l'ivrognerie, les cupidités les plus grossières, et les plus charnelles. C'est de là que sont venus les mystères de Cérès et de Proserpine, l'enlèvement dé Proserpine fait par Pluton, qui la ramena depuis, et la rendit. C'est de là que sont venus les mystères de Bacchus, où l'on célèbre les victoires qu'il remporta sur Hercule. C'est de là que sont venus les adultères de Cupidon et de Venus, la passion furieuse que Jupiter avait pour les femmes, et pour Ganymède, et toutes les autres fables qui représentent les Dieux comme d'infâmes esclaves de la volupté. C'a été par ces traits empoisonnés de l'impiété et de la superstition que les cruels ennemis de Dieu, le souverain des Empereurs, ont percé tous les hommes, et les ont tellement assujettis à leur injuste domination, qu'ils les ont obligés de consacrer leurs statues, et d'élever des temples en leur honneur, dans toutes les parties du monde. Ceux qui tenaient en ce temps-là la place des souverains croient si fort prévenus de cette erreur, qu'ils sacrifiaient leurs proches à ces faux Dieux, qu'ils poursuivaient à main armée les défenseurs de la vérité, qu'ils faisaient la guerre non aux étrangers, mais à leurs amis, à leurs parents et à leurs frères, et enfin à tous ceux qui adoraient le vrai Dieu, et qui lui rendaient le culte solide qui consiste dans la sainteté des mœurs, et dans la piété. Voila comment ces Princes insensés ont immolé aux démons, comme des victimes, des hommes qui étaient consacrés au service du Seigneur et du Maître de tous les Princes. Ces illustres témoins de la Religion, et ces généreux défenseurs de la piété se couvrirent de la patience, et méprisèrent tous les genres de mort. Ils se moquèrent du fer, du feu, des clous, des dents des bêtes, des abîmes de la mer, de la cruauté avec laquelle on leur coupa les membres, on leur creva les yeux, on les laissa sans aliments, et on les accabla de travail dans les mines. L'amour dont ils brulaient, pour leur Roi, leur fit trouver des délices dans ces tourments. Les femmes firent paraître dans ces combats un courage égal à celui des hommes, et remportèrent de semblables victoires. Quelques-unes ayant été menacées de la prostitution, aimèrent mieux perdre la vie, que la pudeur. Voila comment les fidèles sujets du souverain Maître de l'Univers, subirent généreusement les attaques des Idolâtres. Cependant les démons qui sont les ennemis du culte de Dieu, et du salut des hommes, prenaient un singulier plaisir à voir répandre le sang qui leur était offert. Qu'était-il juste, qu'était-il raisonnable que Dieu fit alors en saveur de ses serviteurs opprimés ? Pouvait-il les abandonner ? Un sage Pilote a-t-il jamais manqué d'employer toute son adresse pour sauver le vaisseau qu'il a entrepris de conduire? Un vaillant Général a-t-il jamais livré son armée aux ennemis ? Un bon Pasteur a-t-il jamais négligé le soin d'une brebis égarée? N'a-t-il pas mis le reste du troupeau en sureté, et n'est-il pas allé après cela chercher la brebis, à dessein même de combattre les bêtes les plus cruelles qui la voudraient dévorer ? Notre Pasteur a conservé les ouailles raisonnables. Notre Pilote a préservé son vaisseau du naufrage. Notre Général a conserve son armée. Il a secondé la valeur de ceux qui combattaient pour ses intérêts. Il a loué leur zèle et leur constance. Il a distribué une couronne immortelle à ceux qui sont morts pour son service, et les a placés parmi les Anges. Il a retenu les autres pendant quelque temps sur la terre, afin qu'ils y servissent comme d'une semence pour faire revivre la piété, et qu'après avoir été spectateurs du châtiment des impies, ils en pussent aussi être témoins. Quand il lui a plu d'étendre son bras, et de se venger de ses ennemis, il les a frappés avec une main invisible, et les a contraints de révoquer solennellement leurs édits, et de renoncer à l'impiété. Il a élevé au même temps ceux qui étaient abaissés, et a opéré la plupart de ces merveilles par le ministère de son serviteur. La piété de notre Empereur lui fait recevoir avec joie ce titre de serviteur de Dieu. Il l'a opposé seul à ses ennemis, et l'a fait triompher seul de toutes leurs forces. Ils étaient en grand nombre, parce qu'ils étaient les amis des démons, qui sont aussi en grand nombre. Ou plutôt ils n'étaient rien dès lors, puisqu'ils ne sont rien maintenant, et qu'ils ne paraissent plus. Notre Empereur que notre Dieu a établi, demeure seul comme sa fidèle image. Les tyrans qui ne connaissaient point Dieu, ont enlevé les personnes de piété par les meurtres les plus cruels et les plus barbares. L'Empereur, à l'imitation du Sauveur, a conservé les tyrans-mêmes, et leur a enseigné la douceur, et la piété. Il a vaincu les deux sortes d'ennemis, que j'ai dit que nous avions à combattre. Il a vaincu les hommes les plus barbares, en les dépouillant de leurs mœurs farouches, et en les accoutumant à une manière de vivre conforme à la raison, et aux lois. Et il a vaincu les démons, qui sont les ennemis invisibles, en rendant leur défaite toute publique, et en publiant les avantages que le Sauveur avait remportés sur eux. Il y longtemps que ce Sauveur commun de tous les hommes, a défait invisiblement ces esprits invisibles. Mais l'Empereur les a poursuivis comme son ministre, et a partagé leurs dépouilles entre ses soldats. [8] CHAPITRE VIII. L'Empereur ayant remarqué que le peuple qui n'a que l'ignorance en partage, regardait avec une crainte respectueuse, ces statues d'or et d'argent que la superstition avait fabriquées, crut les devoir ôter comme des pièges, qui avaient été dressés à dessein de faire tomber ceux qui marchent dans un lieu obscur. Il n'eut pas besoin pour ce dessein de la puissance de ses armées. Il n'employa qu'un ou deux de ses domestiques. qu'il envoya dans les Provinces. Ils y allèrent presque seuls, et sans autre force que celle qu'ils tiraient du zèle de l'Empereur, et de leur propre piété. Ils passèrent au travers des peuples Idolâtres. Ils pénétrèrent les retraites les plus secrètes que l'erreur eut aux Villes ou à la campagne. Ils obligèrent les Prêtres des Idoles à les tirer des lieux, ou ils les avaient cachées. Ce qu'ils ne purent faire sans attirer les railleries de tout le monde. Ils ôtèrent ensuite à ces statues les ornements, dont elles étaient déguisées, et en découvrirent toute la laideur. Enfin les ayant fait fondre, ils mirent à part la matière la plus riche et la plus unie, et laissèrent le reste aux Païens, comme pour leur reprocher la vanité de leur superstition. Au même tems que l'on fondait ces statues d'or, et d'argent, l'Empereur fit enlever celles qui n'étaient que de cuivre et de bronze, et entraîner comme des captifs ces Dieux de la Grèce, autrefois si fort vantés par les fables. L'Empereur chercha ensuite s'il y avait quelque reste de la superstition païenne. Comme un aigle découvre du haut du ciel ce qui se fait sur la terre, il découvrit de son Palais un piège qui avait été dressé en Phénicie pour faire misérablement périr les âmes. C'était un bois et un temple consacré à l'honneur d'un infâme démon sous le nom de Vénus, non dans une place publique, pour servir d'ornement à une grande Ville, mais en un endroit du mont Liban. On y tenait une école ouverte d'impudicité. Il y avait des hommes qui renonçant à la dignité de leur sexe, s'y prostituaient comme des femmes, et qui croyaient se rendre la divinité propice par l'infamie de cette monstrueuse corruption. C'était un lieu privilégié pour commettre impunément l'adultère, et d'autres abominations. Personne n'en pouvait arrêter le cours, puisque personne ne pouvait entrer en ce lieu-là, pour peu qu'il eut d'honnêteté et de retenue. L'Empereur en ayant eu connaissance, jugea que ce temple ne méritait pas d'être éclairé des rayons du Soleil, et commanda qu'il fût démoli avec les statues et les ornements. Cet ordre fut exécuté à l'heure-même par des soldats, et ceux qui avaient été autrefois les plus adonnés à la débauche, changèrent de mœurs, de peur d'être châtiés avec la rigueur dont l'Empereur les menaçait. Ce Prince arracha de la sorte à la malice le masque, dont elle se couvrait pour tromper les simples, et publia hautement la gloire du Sauveur. Les Idoles demeurèrent sans appui. Il n'y eut ni Dieu, ni Démon, ni Devin, ni Prêtre qui entreprît de les protéger. La lumière de la foi avait dissipé les ténèbres du paganisme, et il n'y avait plus personne qui ne condamnât l'aveuglement de ses ancêtres, et qui ne s'estimât fort heureux d'en avoir été délivré. Les ennemis visibles et invisibles ayant été ainsi vaincus par la force que l'Empereur avait reçue du Ciel, l'Univers commença à jouir d'une très-profonde paix. On ne vit plus de guerres non plus que de Dieux. Il n'y eut plus de sang répandu, comme il y en avait eu pendant que la superstition était en vigueur. [9] CHAPITRE IX. Comparons l'état présent de nos affaires avec le passé, et reconnaissons l'heureux changement qui est survenu. Autrefois il n'y avait point de Ville qui n'eut des bois, et des temples consacrés en l'honneur des Dieux, et qui n'eut soin de parer et d'enrichir ces temples de divers ornements. Ceux qui avaient entre les mains l'autorité souveraine, prenaient un grand soin du culte des Dieux. Les peuples les honoraient en public et en particulier dans les temples, et dans leurs maisons. Ils ont eu pour récompense de leur fausse piété, non la paix, dont nous goûtons maintenant les fruits, mais des divisions domestiques et des guerres civiles qui ont souillé leurs mains du sang de leurs proches. Ceux qui étaient reconnus pour des Dieux, promettaient aux Princes, de leur découvrir l'avenir. Mais la preuve convaincante de la fausseté de leurs promesses, et de l'imposture de leurs prédictions, est qu'ils n'ont pu prédire leur propre ruine. Jamais aucun de ces Oracles si vantés par l'antiquité, a-t-il prédit l'avènement du Sauveur, et la prédication, par laquelle il devait instruire les hommes de la divinité de son Père ? Jamais l'Oracle d'Apollon, ou de quelqu'autre démon a-t il prédit qu'il serait abandonné ? Jamais a-t-il nommé celui qui lui imposerait un jour silence ? Quel Devin a prévu que le culte des Dieux serait aboli par le culte d'un nouveau Dieu, que la Religion Chrétienne serait embrassée par toutes les nations ; que les Idoles seraient renversées par notre saint et pieux Prince et des trophées érigés sur leurs débris ? Y a-t-il eu quelque Héros qui ait prédit que ses statues seraient fondues, et que la matiére en serait employée à un usage avantageux à la société civile ? Y a-t-il jamais eu quelque Dieu qui ait dit que ses statues seraient coupées en lames ? Où étaient leurs protecteurs, lorsque des mains aussi faibles que celles des hommes, ont abattu les monuments qui avaient été élevés à leur gloire ? Où sont ces esprits inquiets qui allumaient autrefois le feu de la guerre, et qui voient maintenant leurs vainqueurs jouir de la paix? Où sont les hommes qui avaient mis en eux leur confiance ? Où sont ceux qui après avoir porté la superstition jusques au dernier excès, et avoir pris les armes contre les défenseurs de la vérité, sont péris misérablement ? Où sont les Géants qui avaient eu l'insolence de déclarer la guerre à Dieu ? Ou sont les dragons qui aiguisaient leurs langues contre le souverain Maître de l'univers ? Ces ennemis déclarés du Seigneur absolu des Empereurs ont mis espérance dans la multitude des Dieux, ont marché à la tête de leurs armées qui semblaient être innombrables, et ont porté pour enseignes les images des morts. Mais notre Empereur s'étant couvert de la cuirasse de la piété, et ayant opposé à ses ennemis le signe de nôtre salut, a défait les impies et les démons. Il a reconnu à l'heure-même la grâce que Dieu lui avait faite de favoriser ses armes, et lui a rendu la gloire de sa victoire. Il a érigé au milieu de sa capitale l'Étendard par la force duquel il l'a remportée, et a ordonné a ses sujets de le regarder comme le boulevard de l'Empire. Il a plus particulièrement donné ces préceptes aux gens de guerre qu'aux autres. Il leur a enseigné à mettre leur espérance non dans la constitution de leur corps, ni dans la force de leurs armes, mais dans la protection de Dieu, qui est l'Auteur de tous les biens et le dispensateur de la victoire. Ce que je vais ajouter, est encore plus merveilleux, et pourrait paraître incroyable. C'est qu'il leur a prescrit la méthode de prier, qu'il leur a appris à lever les yeux au Ciel, et à porter leur esprit jusques à Dieu, pour l'invoquer comme le Dieu des armées, comme l'arbitre des combats, comme le protecteur et le défenseur de ceux qui le servent. Il leur a marqué le jour qui est le premier de tous les autres, qui est le jour de la lumière et de la vie, de la résurrection, de l'immortalité, du Seigneur et du salut, comme un jour particulièrement destiné à l'exercice de la prière. Il a observé lui-même la loi qu'il leur a imposée. Il a fait de son Palais une Église où il adore le Sauveur, et où il se nourrit des vérités de l'Ecriture. il a choisi pour ses principaux Officiers des hommes consacrés au service de Dieu, et recommandables par la pureté de leurs mœurs, et par l'éminence de leur piété. Il révère ce signe de notre rédemption, ce trophée de ses victoires, ce monument de la défaite de ses ennemis, parce qu'il en a éprouvé la puissance. Il a vu ses ennemis mis en déroute, et les armées invisibles des démons dissipées par la force toute-puissante de ce signe. II a vu l'insolence de ceux qui avaient déclaré la guerre à Dieu réprimée, la bouche des impies fermée, la calomnie confondue, les barbares domptés, la fourberie découverte, la superstition abolie. Pour témoigner sa reconnaissance de ces bienfaits, il a élevé des arcs de triomphe par toute la terre. Il a bâti des temples avec une magnificence convenable à un grand Prince, et a commandé de construire des Oratoires. Les villes et les Provinces ont vu élever en très-peu de temps des Ouvrages, qui ont publié la libéralité de l'Empereur, et l'impiété des tyrans. Il n'y a pas longtemps que comme des chiens furieux, ils déchargèrent sur des édifices qui n'avaient point de sentiment, la rage qu'ils ne pouvaient décharger sur Dieu-même, qu'ils ruinèrent de fond en comble des lieux consacrés à la prière, et firent voir dans la cruauté de ces destructions l'image d'une Ville abandonnée au pillage. L'insolence qu'ils ont eue de prendre les armes contre Dieu, a été suivie d'un prompt châtiment. Ils ont été emportés par un tourbillon, sans qu'il soit resté aucun vestige d'eux. Bien qu'ils fussent en grand nombre, ils ont tous été exterminés par la justice divine. Notre Empereur qui avait marché seul contre ses ennemis à la faveur du signe de notre salut, ou plutôt qui n'avait pas marché seul, puisqu'ii était soutenu par le maître des Empereurs, a élevé bientôt après dans la Ville de son nom, dans la capitale de Bithynie, et dans plusieurs autres, des Eglises plus magnifiques que celles qui avaient été démolies. Il choisit entre toutes les villes d'Orient, Jérusalem et Antioche, pour y consacrer les plus illustres monuments de sa magnificence et de sa piété. Il entreprit d'élever dans Antioche comme dans la Métropole, un Ouvrage d'une structure toute singulière, soit que l'on en considère l'étendue ou la beauté. C'est une Eglise d'une vaste enceinte, et d'une prodigieuse hauteur, qui a huit côtés, qui est accompagnée de divers appartements, et enrichie de tous les ornements de l'art. Il fit construire au milieu de la Ville, qui était autrefois la capitale de la Palestine et du royaume des Juifs à l'endroit du saint Sépulcre une Eglise très-belle et très-riche, en l'honneur de la croix. Il n'y a point de langage qui puisse exprimer la diversité ni l'excellence des ornements, dont il honora ce monument de la victoire remportée par le Sauveur sur la mort. Il choisit outre cela trois cavernes, qui avaient été honorées par l'accomplissement des plus grands mystères, pour y construire trois autres Eglises. La première est celle où le Sauveur parut sur la terre, revêtu d'un corps mortel. La seconde est celle d'où il disparut en montant au Ciel, et la troisième celle où il donna des combats, et remporta des victoires. En honorant ces trois lieux par la dédicace de la consécration de trois Églises, il a excite tous les peuples à reconnaître et à révérer le signe de la rédemption. Il trouve aussi dans les honneurs qu'il rend à ce glorieux trophée la récompense de sa vertu, l'agrandissement de sa famille, l'affermissement de son trône, la prolongation de son règne, la promesse et l'assurance d'une heureuse postérité, et d'une longue suite de descendants. La grandeur de la puissance du Dieu que nôtre Empereur adore paraît dans la souveraine équité avec laquelle il distribue les châtiments, et les récompenses. L'impiété de ceux qui ont démoli les Eglises a été suivie d'un prompt châtiment. Ils sont morts sans enfants, sans postérité, sans successeurs. Mais notre Empereur qui laissé par toute la terre des marques de son affection, et de son zèle au service du souverain maître de l'Univers, qui élève des temples en son honneur, et qui parc ces temples avec tous les ornements de la nature et de l'art, qui le montre et le prêche à tous les peuples, est visiblement favorite de sa protection. [10] CHAPITRE X. Voila comment la puissance de notre Dieu a été manifestée par le signe salutaire de la Rédemption. Ceux qui sont instruits des mystères de notre Religion savent, combien on peut dire de choses sur ce sujet. Ce que l'on peut dire de cet Étendard de notre salut est en effet merveilleux, et ce que l'on en peut penser l'est encore plus. Dés qu'il a paru sur la terre, il a découvert la fausseté de ce que l'on avait publié depuis plusieurs siècles touchant la nature des Dieux. Il a enseveli l'erreur dans l'oubli, et dans les ténèbres il a éclairé les esprits raisonnables par une lumière spirituelle en leur montrant le vrai Dieu. Il n'y a personne qui ne change de sentiment, et qui ne méprise les idoles, qui ne foule aux pieds les cérémonies impies des démons, qui ne se moque de l'erreur. Et de l'aveuglement de ses ancêtres on court en foule à des Ecoles publiques, où l'on enseigne les préceptes de la foi. On ne regarde plus des créatures corporelles avec une crainte religieuse. On ne lève plus les yeux au Ciel pour y voir avec étonnement le Soleil, la Lune, et les Astres. On porte les yeux de l'esprit jusques à celui qui est au dessus du Ciel, et qui ne peut être vu par les sens, on le reconnaît pour l'Auteur de l'Univers, et on confesse qu'il mérite seul les hommages, et les adorations des hommes. Ce merveilleux signe nous a produit tous ces avantages. Il nous a délivré des maux que nous souffrions, et nous a procuré les biens dont nous étions privés. La tempérance, et la piété sont prêchées à toutes les Nations, et l'Empereur s'acquitte lui-même de ce ministère. II élève sa voix comme l'interprète ou comme le héraut du souverain Seigneur du monde pour exhorter tous ses sujets à le reconnaître, et à l'adorer. On ne voit plus comme autrefois des impies célébrer dans son Palais les mystères de l'ancienne superstition. On n'y voit que des Evêques, et des Prêtres qui y chantent les louanges de Dieu. Le nom de ce Dieu qui a seul créé l'Univers est annoncé à tous les peuples, et l'Evangile par lequel il promet de leur être favorable se répand par toute la terre. Les hommes mêlent leur voix à celle des Anges pour l'honorer, et se servent de leur corps comme d'un instrument de musique pour former un concert à sa louange. Les nations d'Occident reçoivent sa doctrine avec le même zèle que celles d'Orient. Le Septentrion s'accorde parfaitement avec le Midi pour se soumettre à ses lois, pour célébrer sa grandeur pour confesser le nom du Sauveur son Fils unique, et pour témoigner la joie qu'il a de relever de la puissance de notre Empereur, et des Princes ses enfants. Cet Empereur tient le gouvernail de l'Etat, comme un habile Pilote, et conduit heureusement son vaisseau au port, à la faveur du vent qui le pousse. Le souverain des Empereurs lui tend la main du haut du Ciel, lui donne la victoire sur ses ennemis, étend la durée de son règne, lui promet pour l'autre vie, des saveurs plus solides que celles de la vie présente, et lui donne des gages de ses promesses. Il faut attendre un autre temps pour parler de ces promesses parce que ni les yeux, ni les oreilles du corps ne peuvent sentir les dons de Dieu. [11] CHAPITRE XI. Permettez-moi maintenant, victorieux Empereur, de vous expliquer les mystères de Dieu dans ce discours que j'ai consacré à sa gloire. Ce n'est pas que j'aie la présomption de vous instruire, parce que je sais que Dieu même vous a instruit. Je n'entreprends pas de vous enseigner des vérités qui vous ont été révélées non par des hommes, ni par un homme, mais par le Sauveur commun de tous les hommes qui vous est souvent apparu. J'ai seulement dessein de présenter la lumière à ceux qui sont dans les ténèbres, de montrer les rares effets de vôtre piété à ceux qui n'en ont point de connaissance. Il n'y a personne qui ne sache les grandes entreprises que vous avez heureusement exécutées pour le service de Dieu dans toute l'étendue de l'Univers. Mais tout le monde n'est pas informé de la magnificence des monuments que votre reconnaissance a élevés en l'honneur du Sauveur dans notre pays, et au milieu de la Ville d'où les ruisseaux de la foi ont commencé à couler pour arroser toute la terre. Plusieurs ignorent la piété des motifs qui vous ont porté à ériger des trophées pour conserver la mémoire des victoires remportées par le Fils de Dieu sur la mort. Ceux qui sont éclairés des lumières de l'Esprit saint ne sauraient se lasser d'admirer et de louer la serveur de votre zèle. Mais ceux qui n'ont aucun goût des choses de Dieu, se moquent de vos desseins et s'étonnent qu'un aussi grand Prince que vous se soit abaissé jusques à orner, et embellir des tombeaux qui semblent n'être destinés qu'à renfermer une corruption qui fait horreur à la nature. Ne serait-il pas plus à propos, disent-ils, d'observer religieusement les anciennes coutumes, et de révérer les Dieux et les demi-Dieux qui ont été reconnus dans chaque Province depuis une longue suite d'années ? N'est-il pas injuste de les mépriser sous prétexte qu'ils sont sujets à des faiblesses, et à des misères ? Ces faiblesses-là doivent exciter à les honorer aussi bien que celui que l'on honore sous le nom de Fils de Dieu, ou si l'on persiste à les rejeter, il le faut rejeter aussi bien qu'eux. Voila ce que quelqu'un d'entre ceux dont je parle, dira en fronçant les sourcils, et en affectant par une vanité qui n'est sondée que sur des paroles, de paraître beaucoup plus éclairé que les autres. Cependant le Verbe du Père de la miséricorde a la bonté de lui pardonner son ignorance, de la pardonner aussi à tous les autres qui s'éloignent comme celui-là, du chemin de la vérité, d'inviter les Grecs et les Barbares, les savants et les ignorants, les riches et les pauvres, les maitres et les esclaves, les princes et les sujets, enfin les plus injustes, les plus impies, et les plus criminels à entrer dans les écoles qu'il a établies aux Villes et à la Campagne, aux lieux les plus fréquentés, et aux lieux les plus déserts, et d'y écouter les divins enseignements de la science du salut. Il y a déjà longtemps qu'il promet à tous les hommes d'oublier leurs crimes, et qu'il leur crie à haute voix, "Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et qui êtes chargés, et je vous soulagerai". Ce sont les pécheurs, et non pas les justes que je suis venu appeler à la pénitence. Il en rend la raison quand il ajoute : "Ce ne font pas les saints, mais les malades qui ont besoin de Médecin". Il dit en un autre endroit, "Je ne souhaite pas la mort du pécheur, mais je souhaite sa pénitence". Voila pourquoi il n'y a que ceux qui ont été appelés à notre sainte Religion, et qui en ont appris les divins mystères, qui puissent juger sainement de l'application avec laquelle l'Empereur a travaillé aux ouvrages dont je parle, et reconnaître que ce n'a été que par l'inspiration de Dieu, qu'il tient à honneur de servir, qu'il a entrepris, et achevé ces édifices. J'explique d'autant plus volontiers, très religieux Empereur, l'intention par laquelle vous vous êtes porté à ces actions de piété, que je suis persuadé que vous n'aurez-pas désagréable que je sois l'interprète de vos pensées. Je publierai donc ce que personne ne doit ignorer. Je représenterai la grandeur de la puissance de notre Sauveur qui étant plus ancien que le monde, et qui l'ayant toujours gouverné depuis qu'il l'a tiré du néant n'a paru que depuis peu de temps parmi nous. Je dirai les raisons pour lesquelles il a bien voulu se revêtir d'un corps mortel, et se soumettre à la rigueur de la mort ; je dirai aussi ce qui l'a obligé à sortir du tombeau, et à triompher de la corruption, et je n'avancerai rien touchant ces mystères si sublimes, que je n'appuie sur des preuves convaincantes. Commençons : Ceux qui rendent aux créatures le culte qui n'est dû qu'au Créateur, et qui déférent des honneurs divins au Soleil, à la Lune, aux Astres, au feu, à l'air, à la terre, à la mer et aux éléments qui n'ont reçu l'être que par un effet de la puissance du Verbe, ressemblent à ceux qui admirent l'architecture, la sculpture, la peinture, et les autres ornements d'un Palais, qui regardent avec étonnement ces merveilles de l'art, et qui ne conçoivent aucune estime, ni ne forment aucune pensée qui soit avantageuse à la réputation de l'Architecte et des ouvriers auxquels appartient toute la gloire de ces ouvrages. Ceux qui ne regarderaient qu'une lyre, et les sept cordes qui servent à en composer l'harmonie sans élever leur pensée jusques à celui qui a inventé un si bel instrument sembleraient aussi simples, et aussi ignorants que des enfants. Il faudrait mettre au même rang ceux qui au lieu de présenter des couronnes au Général après une victoire qu'il aurait remportée les présenteraient à un bouclier, ou à une lance ; ou ceux qui au lieu de rendre les témoignages de leurs respects à un Prince qui aurait fondé une Ville, les rendraient à la Ville même, et aux pierres insensibles dont ses Temples, ses Palais, ses Collèges, les Bains, et ses autres édifices publics seraient composés. Ainsi ceux qui voient le monde sensible, bien loin d'en attribuer la production au Soleil, à la Lune, ou à quelque cause qui soie sous le Ciel, doivent avouer qu'il est l'ouvrage de la sagesse éternelle, la regarder de l'œil de l'esprit, la révérer par préférence à toutes choses. Jamais personne n'a regardé la tête ou les yeux, les pieds ou les mains d'un homme savant et habile avec les mêmes sentiments d'estime et de vénération avec lesquels il a regardé son habileté et sa suffisance. Jamais il n'a admiré ses habits, ni ses meubles, comme s'ils avaient eu quelque part à sa sagesse. Ainsi nous admirons, et nous honorons au dessus de toutes les choses corporelles et visibles le Verbe invisible qui les a créées, et qui les gouverne. Le Père qui l'a produit de soi-même, l'a établi en qualité de Prince, et de chef de l'Univers. La distance qui est entre la grandeur du Père et les créatures sensibles ou raisonnables les empêche de s'approcher de lui. Comme il n'a point été engendré il possède des perfections qui ne peuvent être expliquées. Il demeure selon le témoignage de l'Ecriture au milieu d'une lumière, à laquelle il n'y a nul accès. Voila pourquoi il a mis la puissance divine de son fils entre lui, et les créatures. Elle est très-proche de son Père, elle habite au dedans de lui, et pénètre tous ses secrets. Et en même temps elle descend avec une bonté non pareille jusques aux êtres les plus éloignés de l'élévation, et de la majesté du Père. Il n'y avait point d'apparence de joindre le Père à une matière corruptible. Ainsi le Fils s'est mêlé avec le monde pour le gouverner par sa puissance Divine. Il est aisé de produire des preuves convaincantes de ce que j'avance. Si les principales parties de l'Univers, la terre, l'eau, l'air, et le feu que nous comprenons sous le nom d'éléments et qui sont privées de raison, comme il est aisé de le reconnaître, en les regardant, n'ont qu'une matière commune que ceux qui savent les secrets de la nature appellent le réceptacle, la mère, et la nourrice de tous les corps ; si elles n'ont ni âme, ni connaissance, ni figure, ni beauté, d'où cette beauté leur est-elle venue ? Comment ces éléments se sont-ils séparés ? Comment est-ce qu'ayant des qualités si contraires ils ne laissent pas de s'accorder, et de concourir à l'ornement du monde ? Qui est-ce qui a commandé que la fluidité de l'eau soutîent la pesanteur de la terre ? Qui est-ce qui a renfermé dans les nues qui sont au haut de l'air, des eaux qui d'elles-mêmes descendent toujours et tendent vers les lieux les plus bas ? Qui est-ce qui a attaché le feu au bois, et aux autres matières qui semblent être d'une nature toute opposée à la sienne ? Qui est-ce qui a accordé la chaleur, avec la froideur de l'air ? Qui est-ce qui a inventé la multiplication par laquelle les hommes se conservent et se rendent en quelque sorte immortels, bien qu'ils soient sujets à la mort ? Qui est-ce qui a formé les deux sexes, et qui les a joints ensemble, pour n'en faire qu'un principe de la génération de leur espèce ? Qui est-ce qui a mis une source de vie dans les semences qui semblent ne procéder que de la corruption ? Qui est ce qui a produit, et qui produit encore chaque jour ces effets qui sont plus admirables qu'on ne les peut admirer ? Qui est ce qui dispose à chaque moment par une vertu invisible, le changement continuel-qui renouvelle la nature? Ces miracles si surprenants ne peuvent sans doute être attribués qu'à la puissance infinie du Verbe, qui s'étant mêlé dans toutes les parties de l'univers, et s'étant étendu en haut et en bas, d'une manière spirituelle et invisible, les a rangées dans l'ordre où nous les voyons. Il s'est fait un instrument d'une merveilleuse harmonie, et a touché avec raison et sagesse la matière qui d'elle-même n'a ni raison ni sagesse, ni forme, ni beauté. Il a disposé de telle sorte le soleil, la Lune, les étoiles et les autres astres qui brillent dans le Ciel, que leur lumière, et leurs influences procurent de grandes commodités au monde inférieur. Le même Verbe s'étant répandu sur la surface de la terre y a produit les espèces si différentes des plantes et des animaux, et étant aussi descendu jusques à la mer il a fait les poissons. II forme les petits dans le sein des mères comme dans la boutique de la nature. Il élève l'eau malgré sa pesanteur naturelle. Il l'adoucit dans les nues comme dans un alambic. Il la verse après cela sur la terre, la distribue par divers canaux comme un prudent Jardinier, et la mêle par un si juste tempérament avec la poussière, qu'il en tire la diversité des couleurs qui émaillent les prairies, des odeurs qui nous récréent, et des fruits qui nous nourrissent. Mais pourquoi est-ce que j'entreprends d'expliquer la grandeur de la puissance du Verbe, puisqu'elle est infiniment au dessus, non seulement de nos paroles, mais de nos pensées ? Quelques-uns l'ont appelé la Nature de l'Univers, d'autres l'Ame du monde, d'autres la destinée. D'autres ont assuré qu'il était un Dieu infiniment élevé au dessus de toutes ces choses. J'avoue que je ne comprends pas comment l'esprit humain a été capable de concevoir sur le même sujet des idées si opposées. Comment il a confondu des choses si éloignées les unes des autres. Comment il a mêlé avec la corruption de la matière, une nature qui n'a point de commencement, comment il l'a placée comme au milieu entre les animaux qui ont la raison, et ceux qui ne l'ont point; entre les substances sujettes à la mort, et celles qui en sont exemptes. [12] CHAPITRE XII. Voila les sentiments où ont été les hommes dont je parle. Mais selon la doctrine qui nous a été révélée de Dieu, il faut tenir pour certain que le souverain bien qui est le principe de tous les biens est au dessus de nos pensées, et que nulle parole ne le peut exprimer. Il n'est renfermé dans aucun lieu. Il n'est resserré ni dans les corps terrestres, ni dans le Ciel, ni dans l'air. Il est hors de toutes ces choses, comme caché dans son propre sein. L'Ecriture nous enseigne qu'il doit être reconnu pour l'unique Dieu, dégagé de la matière. C'est pourquoi, on dit que toutes choses ont été faites de lui, et non pas par lui. Il est comme un Empereur dans son Palais, au milieu d'une lumière inaccessible, d'où il donne les ordres qu'il lui plait. Tout ce qui est produit, est produit parce qu'il le veut, et ce qui n'est pas produit, n'est pas produit, parce qu'il ne le veut pas. Il veut toujours le bien, parce qu'il est le souverain bien, de soi-même. Le Verbe sortant du sein de son Père, comme d'une source vaste et immense, se répand comme un large fleuve sur toutes les créatures. L'esprit humain dont personne n'a jamais connu la substance, est comme un Prince au dedans de nous-mêmes, où il ordonne ce que nous devons faire. Ainsi le Verbe et le Fils unique de Dieu sort du sein de son Père, où il a été engendré d'une manière que nul ne peut exprimer, déclare ses pensées, et exécute ses desseins. L'usage de la parole est extrêmement utile aux hommes. Cette parole frappe les oreilles, mais l'esprit qui la produit, ne peut être vu. La très-parfaite parole de Dieu, qui est le souverain Seigneur de l'Univers, n'est point formée par le mouvement des lèvres et par l'agitation de l'air. Elle ne consiste point en syllabes, mais elle est vivante et efficace. Elle subsiste personnellement. Elle procède de la Divinité et de la Royauté du Père, et elle est sa puissance et sa sagesse. Elle est la bonne production d'un bon Père. Elle conserve généralement toutes les créatures-, se répand au milieu de toutes, les éclaire par sa lumière, les conduit par sa raison, les anime par sa vie, et le communique non seulement à celles qui sont proches, mais à celles qui sont éloignées : non seulement à celles qui sont séparées de nous, par la vaste étendue des terres et des mers, mais aussi à celles qui sont dans une autre sphère que celle que nous habitons. Il leur a assigne à toutes des places, prescrit des bornes y et impose des lois avec une parfaite équité, et une souveraine puissance. Il a mis les unes au dessus du Ciel, les autres dans l'air, et les autres sur la terre. il transfère quelquefois les hommes d'un lieu à un autre, examine leurs actions et les punit ou les récompense avec une très-exacte justice. Il fournit des vivres en abondance et aux hommes, et aux animaux qui servent à l'usage des hommes. Il n'accorde à ceux-ci que la jouissance d'une vie fort courte, au. lieu qu'il communique aux autres l'immortalité. Enfin il exécute et consomme tout comme le Verbe Eternel et infini. Il est présent en tous lieux par son immensité, et se répand par son opération continuelle dans toutes les parties de l'Univers. Il a les yeux fixement arrêtés sur son Père pour recevoir les ordres par lesquels il gouverne les créatures inférieures qui ont été produites depuis lui. Il est comme le milieu entre les substances qui ont en un commencement, et le Père qui n'a point été engendré. Il est le nœud qui unit ces deux termes si éloignés, et qui empêche qu'ils ne se séparent. Il est la providence qui veille sur tout, et qui a soin de tout. Il est la puissance et la sagesse de Dieu. Il est le Fils unique de Dieu, et le Verbe qui procède de Dieu,. "Au commencement était le verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui". Comme disent les Théologiens. Il est comme le jardinier qui arrose toute la nature, et qui renouvelle sans cesse sa beauté et sa vigueur. Il est le Pilote qui tient en main le timon du monde,: et qui conduit ce vaste vaisseau selon l'intention et le commandement de son Père. Dieu le Père dont la grandeur et la bonté sont infinies, l'a engendré de sa propre substance comme un excellent Fils, et l'a donné au monde comme un riche présent. Il l'a répandu comme une âme dans les corps qui n'avaient point d'âme, et l'a communiqué comme une raison aux esprits qui n'avaient pas la raison. Nous devons le regarder dans la matière et dans les éléments, comme le principe de la génération des animaux, et le considérer dans les substances spirituelles, comme la lumière qui les éclaire en qualité de terme d'un entendement infini. Bien qu'il soit unique parce qu'il procède d'un Père unique, il ne laisse pas d'avoir plusieurs facultés et plusieurs puissances. Le monde est composé de plusieurs parties ; mais il ne faut pas s'imaginer pour cela, qu'il soit sorti de plusieurs principes. Il y a une diversité prodigieuse de créatures. Il ne faut pas pour cela admettre la pluralité des Dieux. Ceux qui ont adoré plusieurs Dieux, sont tombés dans une erreur très-grossiére comme des enfants qui n'ont que l'ignorance, et l'indiscrétion en partage, quand ils ont mis certaines parties du monde au rang des Dieux, et que du monde qui est unique, ils en ont voulu faire plusieurs. Si quelqu'un ne regardant dans l'homme que les yeux disait qu'ils sont l'homme, ou si ne regardant que les oreilles ou la tête, ou l'estomac, les pieds, les mains, et les autres membres, il en disait la même chose, ou enfin si considérant séparément les facultés sensitives, il divisait un homme et en faisait plusieurs, il est certain qu'il se rendrait ridicule. Ceux-là ne le sont pas moins, qui de plusieurs parties du Monde font plusieurs Dieux, ou qui croient que le Monde qui a été crée, et qui est composé de plusieurs parties, est un Dieu, et qui ne sauraient comprendre qu'il est impossible que la Nature Divine ait des parties. Si elle était composée de parties, elle aurait un principe de composition et. si elle avait un principe de composition, elle ne conserverait plus l'indépendance ni l'imperfection d'une Nature Divine. Ayant des parties inégales, elle en aurait de plus parfaites et de moins parfaites. La Nature Divine est donc simple et indivisible, également exempte de composition et de division, et infiniment élevée au dessus des objets qui tombent sous nos sens. Voila pourquoi le Héraut de la vérité crie à haute voix, que le Verbe de Dieu est avant toutes choses, et qu'il conserve seul toutes les créatures raisonnables. Le Père était le Principe de toute génération, l'Auteur de tous les êtres, est appelé proprement le Père de son Verbe unique. Il n'y a qu'un Dieu, et qu'un seul Fils, et un seul Verbe de Dieu, qui se répand dans toutes les parties de l'Univers et qui les conserve. Le monde sensible est comme un instrument de Musique. Les parties qui le composent, et qui ont des qualités si différentes, la chaleur, la froideur, l'humidité, la sécheresse, sont comme les cordes dont les unes sont fort bandées, et les autres sont fort lâches, dont les unes ont un son aigu, et les autres ont un son grave, et qui toutes ensemble forment une juste harmonie et un agréable concert en l'honneur du Créateur. Un corps n'est animé que d'un esprit, bien qu'il soit formé de plusieurs membres ; de même le Monde n'est gouverné que par le Verbe, bien qu'il soit composé de diverses parties, et ce Verbe se communique et se fait sentir en toutes ces parties par sa vertu toute-puissante. Ne voyez-vous pas quelle est la disposition de ce vaste Univers ? Ne vous apercevez-vous pas de la multitude des Etoiles qui sont attachées au Firmament, et du nombre innombrable des Astres dont le Soleil efface la splendeur ? Ainsi il n'y a qu'un Père, et qu'un Verbe. Un excellent terme d'un excellent principe. Que si quelqu'un se plaint de ce qu'il n'y a qu'un Père, et un Verbe, il se pourra plaindre avec autant de raison, de ce qu'il n'y a qu'un Soleil, une Lune, et un Monde, et il entreprendra (s'il veut) avec la dernière extravagance, de renverser l'ordre qui a été le plus sagement établi dans la Nature. Le Verbe Divin éclaire par une lumière intérieure toutes les substances intelligentes et raisonnables, comme le Soleil éclaire d''une lumière extérieure le monde sensible. Bien que l'âme de l'homme soit unique, elle ne laisse pas de produire quantité d'effets fort différents. Elle donne des préceptes et pour cultiver la Terre, et pour naviguer les Mers : pour bâtir et des maisons, et des Vaisseaux. Elle renferme un grand nombre de disciplines et de sciences. Elle fait l'Astronomie, la Géométrie, la Grammaire, la Rhétorique, la Médecine. Elle invente les Arts qui conduisent les ouvrages des mains. Personne ne s'avise pour cela d'assurer que le même corps est animé de plusieurs âmes. Supposons que quelqu'un ayant trouvé du limon, l'a manié, et en a fait l'image d'un homme avec une tête, des yeux, des oreilles, un nez, un estomac, des bras, des jambes, des pieds et des mains. Bien que cette image eût divers membres de diverses figures, on ne dirait pas pas qu'elle aurait été faite par divers ouvriers. Il faut faire le même jugement de l'Univers, qui est seul et unique, bien qu'il soit composé de plusieurs parties. Il ne faut pas s'imaginer qu'il ait été produit par plusieurs puissances ni par plusieurs dieux ; mais reconnaître au contraire que la seule sagesse et la seule connaissance de Dieu qui est très excellente et très parfaite, se répand dans toutes les parties de la Nature, et leur communique tout ce qu'elles ont d'avantageux. Le même rayon de Soleil illumine l'air, éclaire les yeux, échauffe tout le corps, rend la terre fécond, nourrit les fruits, parcourt le ciel, modère le mouvement des Astres, règle le temps et les saisons, et découvre la grandeur de la puissance divine. Le feu purifie l'or, fond le plomb, amollit la cire, endurcit la boue et brûle le bois. Ainsi le Verbe divin produit des effets fort différents dans toutes les parties de la Nature. Il les remplit par son immensité, il les pénètre par sa subtilité, il les gouverne par son opération. Il communique de sa lumière au Soleil, à la Lune, et aux Astres. Il règle perpétuellement le mouvement de la vaste machine du Ciel, qu'il a formé afin qu'elle fût une des plus fidèles images de sa grandeur et de sa gloire. Il a accordé des perfections fort éminentes aux Puissances qui sont au dessus du Ciel, aux purs Esprits, aux substances intelligentes et raisonnables, et les a enrichies par la participation de sa beauté, et de sa bonté, de sa lumière, de sa vie, de sa sagesse, et de sa force. Enfin il conserve l'Univers, il maintient les Eléments, il compose les corps naturels, il distingue les espèces, les formes, et les figures des plantes, des arbres, et des animaux, et fait voir que l'harmonie merveilleuse du Monde est son ouvrage. [13] CHAPITRE XIII. Je crois devoir expliquer maintenant les rayons qui ont excité ce Verbe Divin à descendre sur la Terre. Les hommes ne l'ayant point connu, bien qu'il soit sorti du sein de son Père, comme d'une source inépuisable pour soutenir le monde par sa présence, et pour y donner des preuves continuelles de sa Providence et de sa bonté ; ils sont tombés dans un si étrange aveuglement, et dans une si déplorable extravagance, que de donner le nom de dieux au Soleil, et à la Lune, au Ciel, et aux Astres. Ils se sont abaissés jusques à rendre un souverain culte à la Terre, et aux fruits qu'elle produit ; et c'est de-là que sont venus les noms et les statues de Cérès, de Proserpine, et de Bacchus. Leur superstition a été encore plus loin. Ils ont révéré leurs pensées et leurs paroles. Ils ont donné à l'esprit le nom de Minerve ; au discours celui de Mercure ; aux facultés par lesquelles on apprend les disciplines et les sciences, celui de Monnaie et de Muses. En chérissant de jour en jour sur leur impiété, ils ont consacré leurs passions au lieu de les réprimer, et ont honoré sous le nom de Cupidon, de Priape, et de Vénus, les mouvements les plus déréglés et les plus infâmes, par lesquels la concupiscence nous porte au plaisir. Ils ont placé des hommes dans le Ciel après leur mort, et les ont mis au rang des Héros et des Dieux. Leur folie ne s'est pas terminée à ce point, ils ont adoré diverses sortes d'animaux, et entre autres les serpents les plus venimeux. lls ont coupé les arbres dans les forêts, tiré les pierres des carrières, fondu les métaux pour faire des statues d'hommes, de femmes, de bêtes, et pour leur rendre en suite des honneurs divins. Ils ont déféré le titre de dieux à des esprits impurs qui s'étaient cachés dans ces statues, et qui y recevaient avec joie de l'encens et des sacrifices. Ils ont tâché de se rendre propices, par des enchantement et par d'abominables Cérémonies, ces puissances invisibles qui volent dans l'air. Il faut néanmoins avouer qu'ils n'ont pu s'accorder dans le choix des hommes, auxquels ils ont attribué la Divinité. Les Grecs ont préféré Bacchus, Hercule, Esculape, Apollon. Les Egyptiens, ont reconnu Horus, Isis, et Osiris; et quoi qu'ils se vantent d'avoir inventé la Géométrie, l'Astronomie et l'Arithmétique, ils n'ont pu apercevoir la distance qu'il y a entre la bassesse de l'homme et l'élévation de Dieu, et ont respecté les plus sales et les plus méprisables espèces des animaux, les plus dangereuses et les plus terribles, comme si elles avaient eu quelque chose de Divin. Les Phéniciens ont dressé des Autels à Melcatare, à Usore, et à quelques autres hommes encore moins considérables. Les Arabes en ont dressé à Dusare et à Obodas. Les Gètes à Zamolxis, les Ciliciens à Mopsius, les Thébains à Amphiaraüs, et d'autres peuples à d'autres qui n'avaient rien au dessus de notre nature. Les Egyptiens, les Phéniciens, les Grecs, et presque toutes les Nations qui sont éclairées des rayons du Soleil, sont convenues de rendre un culte religieux aux éléments et aux biens que la terre produit pour notre usage ou pour notre plaisir. Et ce qui est plus surprenant, quoi qu'ils avouent que ces dieux-la se sont souillés de toutes sortes de débauches, qu'ils ont enlevé des femmes, et commis avec elles des adultères, ils n'ont pas laissé de remplir les Villes et la Campagne de leurs statues, et de leurs Temples, et d'imiter leurs débordements. On les entend souvent, qui en parlant des enfants de leurs dieux, les appelait des Héros, et d'heureux Génies. Mais si l'on examine ces termes, on trouvera qu'ils sont diversement opposés à la vérité. Ils ressemblent à peu près à ceux qui voulant montrer à d'autres le Soleil et les Astres, abaisseraient leurs yeux et leurs mains vers la terre. Ainsi les hommes trompés par leur propre malice, et par l'artifice des démons, se sont faussement persuadés que la Nature divine, qui est infiniment plus élevée que le Ciel, consiste dans des corps sujets à la naissance et à la mort, et à un grand nombre d'autres faiblesses et d'autres misères. Ils sont montés à cet excès d'extravagance, que de leur sacrifier leurs enfants, et d'égorger aux pieds de leurs statues un fils unique qui leur soit fort cher. Quelle plus étrange fureur, que d'immoler des hommes, que de souiller sa Ville et sa maison du sang de ses proches? Les Grecs ne fournissent-ils pas des exemples de cette monstrueuse impiété, et leur Histoire n'en est-elle pas remplie ? Les Phéniciens sacrifiaient tous les ans à Saturne les enfants qui leur étaient d'autant plus chers, qu'ils étaient uniques. Les habitants de l'île de Rodes sacrifiaient des hommes au même dieu, le même jour du mois Métagitnion. C'étrait autrefois une coutume à Salamine, qu'un homme tournait trois fois autour de l'Autel de Minerve et de Diomède, pendant que les autres le poursuivaient, que le Prêtre lui enfonçait ensuite une lance dans l'estomac, et le brûlait sur un bûcher Il n'y avait rien de si commun en Egypte que ces cruels sacrifices. On immolait autrefois trois hommes chaque jour à Junon dans la Ville d'Héliopole. Le Roi Amosis détestant avec raison une si inhumaine coutume, ordonna que l'on immolerait trois hommes de cire, au lieu d'en immoler de véritables. Dans l'île de Chio, et dans celle de Ténéde, on sacrifiait un homme à Bacchus. A Lacédémone on en sacrifiait un à Mars. En Crète on en sacrifiait un à Saturne. A Laodicée Ville de Syrie, on sacrifiait tous les ans une fille à Minerve, maintenant on ne lui sacrifie plus qu'une Biche. Les habitants d'Afrique et de Carthage répandent aussi le sang des hommes, pour se rendre les dieux favorables. Les Dumaténiens peuples d'Arabie, avaient accoutumé d'égorger tous les ans un enfant, et de l'enterrer sous l'Autel. L'Histoire fait foi que les Grecs ne partaient jamais de leur pays pour aller à la guerre, qu'auparavant ils n'eussent immolé un nomme. On dit que les Thraces et les Scythes observaient la même coutume. Les Athéniens témoignent eux-mêmes, que les filles de Lée, et la fille d'Eryctée, ont été sacrifiées parmi eux. Chacun sait que l'on immole encore aujourd'hui à Rome un homme le jour de la fête du Jupiter du Latium. Les plus célèbres d'entre les Philosophes ont confirmé par leur témoignage la vérité de ce que j'avance. Diodore qui a fait un abrégé des Bibliothèques, rapporte que les Africains immolèrent à Saturne deux cents jeunes hommes des meilleures familles, et que les pères en offrirent jusques à trois cents autres pour être immolés. Denys l'un des plus fameux écrivains de l'Histoire Romaine, assure que Jupiter et Apollon demandèrent aux peuples qui habitaient autrefois au lieu où Rome a été depuis fondée, et que l'on appelait Aborigènes, qu'ils sacrifiassent des hommes; que ces peuples n'ayant offert que les premiers de leurs fruits, ils furent accablés de toutes sortes de calamités, qui ne cessèrent qu'après qu'ils se furent décimés. Cette décimation désola extrêmement le pays. Voila une fidèle image des malheurs sous la pesanteur desquels les hommes gémissaient en ce ternps-là. Toutes les Nations étaient agitées par le démon, et ébranlées pas des séditions si furieuses, qu'elles ne conservaient plus entre elles aucune société. Elles étaient tellement aigries les unes contre les autres, qu'elles ne quittaient point les armes. Les laboureurs les retenaient en cultivant la terre, et avaient un plus grand soin d'en acheter, que d'acheter les instruments qui servent à l'agriculture. Ils croyaient que c'était une fort belle action que d'enlever le bien d'autrui, et de charger de chaînes des personnes libres. Les fables qu'ils avaient inventées touchant les débauches de leurs dieux, ont autorisé leur licence. Ils ont violé toutes les lois de la Nature, et l'ont outragée par les plus monstrueuses abominations. Les hommes remettant l'alliance des deux sexes qui est selon la Nature, ont été embrasés d'un désir brutal les uns envers les autres, et ont ainsi reçu en eux-mêmes la juste peine qui était due à leur erreur et à leur impiété, comme parle l'Ecriture. Ils ont nié la Providence, et ont attribué au hasard, à la nécessité, et à la destinée, la production et le gouvernement de l'Univers. S'étant persuadés que la fin de heur corps serait aussi celle de leur âme, ils ont mené une vie semblable à celle des bêtes, sans attendre le Jugement de Dieu, sans espérer de récompense, sans appréhender de châtiment. Des peuples entiers ont été sujets à une effroyable corruption. Quelques-uns ont commis des incestes avec leurs mères, d'autres avec leurs sœurs, et d'autres avec leurs filles; Quelques-uns ont coupé la tête aux étrangers qui arrivaient en leur pays. Quelques-uns ont mangé des hommes, et il s'en est trouvé qui ont étranglé leurs pères lors qu'ils étaient dans une extrême vieillesse, et qui les ont ensuite mangés. D'autres au lieu de les tuer pour les manger, les ont exposés tous vivants. aux chiens. Je n'ai pas assez de loisir pour décrire tous les symptômes de la funeste maladie qui s'était alors emparée du genre humain. Je me contente de dire qu'il était tourmenté par un grand nombre de semblables maux qui donnèrent au Verbe de Dieu des sentiments de tendresse et de compassion pour des sujets. quoique rebelles, et le portèrent à susciter premièrement des Prophètes, et ensuite des hommes éminents en sainteté et en vertu, qui posèrent les fondements de la véritable Religion. Mais comme le genre humain était engagé en des erreurs déplorables, et exposé à la fureur non des bêtes cruelles, mais des démons qui ne respiraient que sa ruine ; le Verbe jugea que de si extrêmes maux avaient besoin d'un secours tout puissant, et suivant les intentions de son Père, descendit sur la terre. J'ai déjà expliqué les motifs de son avènement. Il n'a pas agi conformément à la majesté de sa Nature divine, quand. il s'est rendu visible, et qu'il a conversé familièrement avec nous. Auparavant n'ayant point de corps, il était par son immensité dans le Ciel et sur la terre, et y faisait éclater par ses œuvres la grandeur de sa puissance. Il a pris depuis une méthode toute extraordinaire. Il s'est revêtu d'un corps pour conférer avec des. hommes corporels à dessein de les sauver. Je m'arrêterai un peu en cet endroit, pour exposer les raisons de ce Mystère, et pour déduire les motifs qui ont porté le Verbe invisible à se rendre visible. [14] CHAPITRE XIV. La Nature Divine qui étant spirituelle ne peut tomber sous les sens, pouvait-elle se manifester aux hommes d'une autre manière, qu'en prenant au corps sensible et palpable ? Il n'y avait point de moyen plus convenable de s'accommoder à notre faiblesse. Il fallait se rendre semblable à nous pour converser avec nous, puisqu'il n'y a rien qui nous plaise si fort, que ce qui nous est semblable. Le Verbe s'est montré d'une manière grossière et sensible actes hommes charnels, qui ne se conduisaient que par les sens, et qui cherchaient la Divinité dans des Corps, dans des statues insensibles, et dans les ouvrages de leurs mains. Le Verbe Divin s'est fait un corps comme un instrument dont il se voulait servir pour accomplir l'ouvrage de notre Rédemption, comme un Temple qu'il voulait consacrer à la gloire de son Père, comme un Palais où il désirait loger la Sagesse, comme une Statue vivante, et infiniment plus excellente que celles que les Païens ont adorées. Celles-ci n'étant que d'une matière insensible, de cuivre, de fer,. d'or, d'ivoire, de bois, de pierres, et n'étant taillées ou jetées en moule que par des hommes qui n'ont que la faiblesse et la misère en partage ; elles sont fort propres à servir de retraite des esprits aussi impurs, et aussi infâmes que sont les démons. Cette Statue qui a été faite par la Sagesse Divine est pleine de vie et d'esprit : elle renferme toutes les vertus et Dieu même. Le Verbe l'ayant choisie comme un Instrument par lequel il pouvait se communiquer aux hommes, il ne s'est pas assujetti à toutes les imperfections de leur nature. Il ne s'est pas renfermé dans son Corps, de la même sorte que les âmes des hommes sont renfermées dans les corps qu'elles animent. Il n'a rien perdu de sa grandeur en se faisant homme. Sa Nature Divine est demeurée Spirituelle et impassible quand il s'est joint à la Nature humaine, de la même sorte que le rayon du Soleil demeure pur et incorruptible, quand il touche la boue, et la corruption. Le Sauveur commun de tous les hommes a répandu de la sorte ses grâces, et a procuré le salut de la Nature corrompue par le péché. Il s'est servi de son Corps pour opérer ces guérisons miraculeuses, comme un Musicien se sert de sa lyre pour faire paraître l'excellence de son art. Les Grecs rapportent dans leurs fables, qu'Orphée adoucit autrefois par ses chansons les bêtes les plus farouches. On dit communément parmi eux, qu'un Instrument inanimé eut la force de changer le naturel des animaux, et de transporter les arbres d'un lieu à un autre, et le peuple est assez simple pour croire des contes si incroyables. Le Verbe de Dieu qui fait une musique et une harmonie infiniment plus excellente, ayant résolu d'apporter un remède salutaire aux maladies de l'homme, quelqu'impliquées qu'elles fussent, prit en main un Instrument que sa Sagesse avait inventé, un Corps et une Ame, et touchant cet Instrument avec une adresse non pareille, il enchanta non les bêtes, mais les hommes, apprivoisa les Grecs et les Barbares, et donna leurs passions. Comme ils étaient malades d'une vieille maladie qui leur faisait chercher la Divinité en des Natures corporelles et sensibles, il les guérit par un remède spécifique, en leur montrant le vrai Dieu dans un homme. N'ayant pas moins de charité pour les corps que pour les âmes, il opéra des guérisons miraculeuses. Il enseigna une doctrine céleste, et fit par le moyen de l'humanité à laquelle il s'était uni, tout ce qui était nécessaire pour prouver la Divinité. Il accomplit ces Mystères suivant la volonté et l'intention de son Père, demeurant toujours immatériel et incorporel, comme il était auparavant, sans souffrir aucun changement dans sa substance, sans rien perdre de l'excellence de sa Nature Divine, sans se renfermer dans l'étendue du corps qu'il avait pris volontairement. Car bien qu'il fût dans le Corps qu'il avait pris pour converser avec les hommes, il remplissait tout le monde par son immensité, il reposait dans le sein de son Père, et prenait soin de tout ce qui se passait dans le Ciel et sur la Terre. Il n'était point renfermé, comme nous, dans un petit espace, et ne trouvait aucun obstacle aux desseins de sa puissance. Il communiqua ses perfections à la Nature humaine, sans se charger de ses défauts. Il ne contracta aucun péché en naissant et ne souffrit aucune douleur en mourant. Quand la corde d'une lyre se rompt, le Musicien qui la touche n'en sent aucun mal. Quand le corps d'un homme sage est exposé aux tourments, la sagesse ou l'âme même qui est dans le corps n'est pas tourmentée. Elle n'est ni entamée par le fer, ni brulée par le feu. S'il est permis de répéter l'exemple dont je me suis déjà servi, le Soleil ne se salit point quand il répand ses rayons sur le fumier et sur la boue. Ces sales matières reçoivent l'impression de la lumière, sans lui rien laisser de leur infection. Quand le Verbe Divin qui est la vie essentielle, et une lumière spirituelle, touche quelque chose, il la rend vivante et intelligente. Quand il touche un corps il le rend sain, et le délivre de toutes les indispositions qui pourraient altérer son tempérament Il soulage la disette des créatures, et subvient à leurs besoins. Voila pourquoi il a affecté pendant tout le cours de sa vie, de faire paraitre qu'il avoir un corps sujet aux mêmes faiblesses et aux mêmes infirmités que les nôtres, et de donner d'un autre côté des preuves convaincantes de sa Divinité par la grandeur de ses Miracles, par la clarté de ses Prophéties, par la force de sa Prédication, et par la manière toute Divine dont il exhortait ses auditeurs à se rendre dignes de la demeure qui est préparée dans le Ciel aux âmes saintes. [15] CHAPITRE XV. Que me reste-t-il maintenant, si ce n'est de rapporter les raisons de la principale et de la dernière action de sa vie, du genre de sa mort dont on parle tant, et du miracle de sa Résurrection ; et d'ajouter les preuves certaines et convaincantes de ces Mystères? Le Verbe de Dieu ayant pris pour les raisons que nous avons dites, un Corps mortel comme un Instrument fort propre à l'accomplissement des Temps, il s'en est servi d'une manière convenable à la divine Puissance. Que si après avoir conversé visiblement avec les hommes, il était disparu tout d'un coup, et avait dérobé son corps à la violence de ses persécuteurs, pour le laisser mourir dans un autre temps d'une mort naturelle, tout le monde l'aurait pris pour un fantôme. Il n'aurait pas lui-même accompli de cette sorte ce qu'il désirait d'accomplir : car étant la puissance de Dieu, il aurait fait paraître de la faiblesse, et étant la vie, il aurait abandonné son corps à la mort. Il n'aurait pas terminé par un combat livré à la mort, les entreprises qu'il avait faites contre le démon. On n'aurait point su où il le serait retiré, et ce que l'on en aurait pu dire n'aurait point trouvé de créance dans l'esprit de ceux qui n'en auraient point été témoins. Il ne serait point constant qu'il eut un pouvoir absolu sur la mort, ni qu'il eût délivré la Nature humaine de sa tyrannie. Jamais sa doctrine n'aurait été reçue par toute la terre, jamais il n'aurait persuadé à ses Disciples de mépriser la mort, ni d'espérer une autre vie. Jamais il n'aurait accompli ni ses promesses ni les prédictions des Prophètes. Enfin jamais il n'aurait donné le dernier combat qu'il gagna contre la mort. Voila les raisons pour lesquelles, après qu'il a accompli par le ministère de son Corps, les desseins qu'il s'était proposés, il a permis qu'il ait été détruit de la manière dont il l'a été. Il ne pouvait terminer sa vie qu'en l'une de ces deux façons, ou en abandonnant entièrement son Corps à la mort et à la corruption, ou en le retirant du sein de la mort et de la corruption même, et en le rendant immortel et incorruptible. La première façon était contraire et à ses promesses, et à sa grandeur. Ce n'est point le propre de la vie de donner la mort, ni de la souveraine raison d'agir au hasard comme ce n'est point le propre du feu de rafraîchir, ni de la lumière d'aveugler. Comment celui qui avait promis l'immortalité à ses sectateurs, aurait-il livré à la mort l'Instrument de ses combats et de ses victoires, II fallait donc qu'il terminât sa vie de l'autre façon. Mais la devait-il terminer en cachette et comme à la dérobée, ou en public et à la vue de tout le monde ? Une action aussi importante que celle-là serait demeurée inutile, si elle avait été secrète ; au lieu qu'elle devait être très-utile étant publique. Il a eu donc raison de ne point éviter la mort, puisqu'en l'affrontant il a triomphé d'elle à la face de toute la Terre. S'il l'avait évitée, il aurait fait paraître ou de la faiblesse ou de la crainte. Mais en la combattant, il a procuré l'immortalité à un Corps qui de sa Nature était mortel. Si quelqu'un voulait faire voir qu'un vase a la force de résister à l'activité du feu, il faudrait qu'il le mit dans un brasier, et qu'après l'y avoir laissé quelque temps, il l'en retirât aussi entier qu'il l'y aurait mis. C'est ce que le Verbe Divin a fait quand il a voulu montrer que l'Instrument dont il s'était servi pour travailler au salut des hommes, était plus puissant que la mort. Il l'a abandonné pour un peu de temps, pour faire voir que de sa nature il était mortel, puis l'ayant retiré d'entre les mains de la mort, il l'a rendu immortel, et a montré que la vie qu'il promet est égale à l'Eternité. Il fallait que ses Disciples pour mépriser la mort, vissent un exemple de la Résurrection dans laquelle ils mettaient leur espérance. Que si ce gage et cette assurance de la vie future était nécessaire à tous ceux qui embrassaient sa doctrine, elle l'était encore plus à ceux qui la devaient publier, puis qu'ils devaient moins apprehender la mort que les autres, et s'exposer avec une courage intrépide aux violences des idolâtres. C'est pourquoi le Verbe ne s'est pas contenté de leur faire des discours touchant l'immortalité; il leur a montré les dépouilles qu'il avait remportées sur la mort, et les a convaincus par leurs propres yeux de cette vérité, que la mort qui paraît si formidable n'est rien. Il avait encore une autre raison de ressusciter, pour faire éclater la puissance de la Nature Divine, qui avait été comme cachée sous le voile de son humanité. Comme les hommes avaient consacré d'autres hommes après leur mort, et les avaient mis au rang des Héros et des Dieux, le Verbe de Dieu eut la bonté de les désabuser, en leur découvrant le pouvoir qu'il exerçait sur la mort, et que nul autre que lui n'avait jamais exercé. Voila pourquoi après que son corps eut subi cette loi, il lui rendit la vie, et le fit paraître comme un trophée, et comme un signe de sa victoire. Je pourrais rapporter une troisième raison pour laquelle le Verbe a bien voulu mourir. C'est qu'il était comme une victime offerte à Dieu pour la rédemption du genre humain, et l'extirpation de l'idolâtrie. Depuis que cette victime très-pure et très-sainte eut été immolée au souverain Seigneur de l'Univers, au lieu de tous les hommes qui avaient mérité la mort par l'impiété du culte qu'ils avoient rendu aux démons, la puissance des esprits impurs a été détruite, et l'erreur abolie. C'est la victime qui a été choisie entre les hommes, et qui a été sacrifiée pour le salut de tous les hommes. C'est d'elle dont l'Ecriture parle, quand elle dit : "Voilà l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde". Et dans un autre endroit : "II sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger. Il demeurera dans le silence sans ouvrir la bouche, comme un agneau est muet devant celui qui le tond". Elle en rend la raison quand elle ajoute : Il a pris véritablement nos langueurs sur lui, et il s'est chargé lui-même de nos douleurs. Le châtiment qui nous devait procurer la paix est tombé sur lui, et, nous avons été guéris par ses meurtrissures. Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes. Chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie, et Dieu l'a chargé lui seul de l'iniquité de nous tous. Le Corps auquel le Verbe s'était uni, fut immolé comme une victime, pour les raisons que je viens de dire. Mais parce que ce verbe était distingué de la victime, qu'il était le souverain Pontife, la parole de Dieu, la sagesse, et la puissance du Père, il retira bientôt ce Corps d'entre les bras de la mort, et le remplit d'une vie nouvelle, comme les prémices de notre rédemption, comme des dépouilles remportées sur le démon, comme une expiation des sacrilèges commis contre lui par les peuples Idolâtres. [16] CHAPITRE XVI. Il est temps maintenant de produire les preuves de ces vérités, si toutefois des vérités aussi évidentes que celles-là, ont besoin de preuves. Je vous supplie de les écouter avec votre attention ordinaire. Les peuples étant autrefois répandus en divers pays, et soumis à différentes formes de gouvernement entrèrent en guerre, et ruinèrent le pays les uns des autres. C'est de-là que sont venus les événements si surprenants qui sont renfermés dans leurs Histoires, les enlèvements des femmes, et les adultères, le siège et la ruine de Troie, et d'autres accidents tragiques, que l'on peut attribuer (sans se tromper) au culte de plusieurs Dieux. Mais depuis que l'Instrument de notre salut, que l'humanité du Sauveur dont la puissance surpassait la malice du démon, et dont la sainteté était très-éloignée de toute action et de toute parole infectée du moindre pêché, a été élevée comme un monument de la défaite des ennemis invisibles, et comme un rempart allure contre leurs incursions, toutes leurs œuvres ont été dissipées. Les Etats dont le gouvernement était fort différent, ont été détruits au même temps, et on n'a plus vu de Toparchies, de Polycraties, de Monarchies, de Républiques, de Démocraties, ni de guerres, de désolations, ou de sièges, comme l'on en avait vu pendant que chaque peuple se conduisait selon l'une de ces formes. L'unité de Dieu a été prêchée, la Majesté de l'Empire reconnue, et la haine invétérée des Nations assoupie. La paix a été solidement établie sur la terre, dès que le vrai Dieu y a été adoré, que la doctrine du Sauveur y a été reçue, et que l'Empire Romain a été gouverné par un seul Prince. L'autorité de l'Empire, et la sainteté de la Religion, ont été comme deux sources d'où Dieu a fait couler des fleuves de prospérité et de bonheur. Avant ce temps-là chaque pays était sous la domination de divers Seigneurs. La Syrie relevait de la puissance d'un Prince, l'Asie de celle d'un autre, et la Macédoine d'un autre. L'Egypte avait été usurpée par un Seigneur qui y commandait avec un pouvoir absolu. L'Arabie avait eu un sort tout pareil. La Palestine était réduite à l'obéissance des Juifs. Les habitants de chaque Ville et de chaque Bourg étant comme transportés de fureur, et comme agités par le démon, ne respiraient que les armes. Mais deux grandes puissances, l'Empire Romain, et la Religion Chrétienne ayant paru en un même temps, ont apaisé la fureur de ces Nations ; la doctrine du Sauveur a ruiné la Polycratie des démons, et la multitude des Dieux, en annonçant aux Grecs, aux Barbares, et aux Nations les plus reculées, la Monarchie du vrai Dieu. L'Empire Romain a réuni les peuples en les assujettissant, et d'ennemis qu'ils étaient les a rendus amis et alliés, en abolissant un grand nombre de petits Etats, dont les intérêts différents étaient une source inépuisable de haines et d'inimitiés continuelles. Il a déjà réconcilié en très-peu de tems plusieurs peuples. II embrassera bientôt les plus éloignés, et s'étendra jusqu'aux extrémités de là terre à la faveur de la doctrine céleste de l'Evangile, qui rend l'exécution de toutes ses entreprises aisées. Quiconque considérera sans préoccupation de si grands événements avouera qu'ils sont tout-à-fait merveilleux. En un même temps l'erreur a été convaincue, la superstition abolie, la guerre éteinte, la paix rappelée, l'unité de Dieu reconnue, la Majesté de l'Empire Romain établie. Tous les hommes ont commencé alors à s'embrasser comme des enfants nés du même Père qui est Dieu, et de la même Mère qui est l'Eglise. Le monde n'a plus été qu'une famille dont tous les membres étaient unis par une parfaite intelligence. Tous les peuples ont voyagé en sureté d'Orient en Occident , et d'Occident en Orient, selon les anciennes Prophéties qui ont été faites touchant le Verbe. "Sa domination, dit l'Ecriture, s'étendra depuis la mer jusques à l'autre mer ; et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités du monde. Les justes fleuriront sous son règne, la paix y régnera avec abondance". Dans un autre endroit elle dit ce qui suit. "Ils forgeront de leurs épées des socs de charrue et de leurs lances des faux. Un peuple ne tirera plus l'épée contre un peuple, et ils ne s'exerceront plus à combattre l'un contre l'autre". Il y a plusieurs siècles que ces Prophéties ont été écrites en langue Hébraïque, et l'accomplissement que nous en avons vu en nos jours en confirme la vérité. Que si vous désirez d'autres preuves, au lieu d'attendre de moi des paroles, considérez les choses mêmes. Ouvrez les yeux de vôtre esprit, faites réflexion sur vous-même, interrogez-vous, et vous demandez quel Roi ou quel Prince, quel Philosophe, ou quel Législateur, quel Prophète, soit Grec ou Barbare, a jamais acquis un si absolu pouvoir, et une si haute réputation, que de faire publier ses louanges durant la vie, par la bouche de tous les peuples ? Notre Sauveur a sans doute eu seul cet avantage, lors qu'après avoir vaincu la mort, il a dit à ses Disciples : "Allez enseigner toutes les nations en mon nom". Il leur a prédit que son Evangile serait publié par toute la terre, et a accompli incontinent sa prédiction. Ceux qui condamnaient le commencement de mon discours dans le secret de leur cœur peuvent-ils reprocher ce témoignage que leurs propres yeux rendent contre eux-mêmes? Qui est-ce qui a exterminé la troupe pernicieuse des démons qui dévoraient depuis plusieurs siècles tous les peuples, et qui leur imposaient par les mouvements qu'ils imprimaient aux statues, Qui est-ce qui a donné à ceux qui observent fidèlement les préceptes de notre Religion, le pouvoir de chasser par leurs prières les restes de ces esprits impurs ? n'est-ce pas notre Sauveur ? Y- a-t-il quelqu'autre que lui qui ait enseigné à ses sectateurs à offrir des sacrifices raisonnables, et non sanglants, qui ne consistent qu'en la pureté des prières, et en l'invocation du nom de Dieu ? Qui a élevé par toute la terre des Eglises et des Autels, et établi de Saints Ministres pour offrir à Dieu seul des Sacrifices spirituels ou l'on ne répand point de sang, où l'on n'allume point de feu, on l'on ne sent point de fumée ? Qui a aboli les immolations cruelles et meurtrières qui étaient en usage parmi toutes les Nations ? Les Histoires des Païens témoignent que la coutume d'égorger des victimes ne fut abolie qu'au temps du règne de l'Empereur Adrien. La puissance du Divin Sauveur ayant éclaté après sa mort par des miracles si évidents, y a-t-il encore quelqu'un assez opiniâtre pour révoquer en doute la vérité de sa résurrection. ? Les grandes actions que nous voyons de nos propres yeux, sont des ouvrages qui ne peuvent appartenir qu'à des personnes vivantes, et non à des personnes mortes. Jugeons par les choses que nous voyons, de celles que nous ne saurions voir. Il n'y a que deux jours que l'insolence et la fureur des impies troublait la tranquillité publique, et faisait de tout l'Univers un funeste théâtre de confusion et de désordre. La fin de leur vie a été aussi celle de leur réputation, et depuis qu'ils ont été enlevés du monde, leur nom a été en horreur. Voila l'état où la mort a réduit les hommes. On ne considère point ceux qui ne sont plus, parce que ceux qui ne sont plus ne peuvent rien faire. Que si quelqu'un agit, et qu'il agisse avec un pouvoir plus absolu que ceux qui vivent, comment pourrait-on croire qu'il ne serait plus ? Il est vrai qu'on ne saurait le voir par les yeux du corps. Mais l'esprit a beaucoup de connaissances qu'il n'acquiert pas par le ministère des yeux. Jamais personne n'a rien vu des préceptes des sciences. Jamais personne n'a vu ni son âme, ni la nature de Dieu. Ce sont des substances qui ne se font connaître que par leurs opérations. La puissance du Sauveur étant invisible de la même sorte, on ne peut juger d'elle que par les œuvres qu'elle produit. Il faut examiner si les illustres exploits qu'elle sait encore aujourd'hui sont les exploits d'une personne qui est, ou d'une personne qui n'est plus, ou plutôt si ce n'est pas la dernière extravagance de proposer sérieusement cette question, et d'en témoigner le moindre doute. Comment attribuerait-on des actions si merveilleuses et si éclatantes à une personne qui ne serait plus, puisque du consentement de tout le monde, il faut être pour agir ? Les morts sont en cet état, et ceux qui vivent sont en un état tout contraire. [17] CHAPITRE XVII. Considérons maintenant les glorieux exploits que le Divin Sauveur a entrepris, et exécutés en notre temps, et voyons si ce ne sont pas les exploits d'un Dieu. Quelqu'un demandera peut-être quels sont ces exploits. Je vous les expliquerai si vous avez agréable de m'honorer de votre attention ordinaire. Il n'y a pas longtemps que les ennemis de Dieu ont eu l'insolence de tirer contre lui les traits empoisonnés de leur langue impie, de prendre les armes pour démolir les Églises, et pour renverser les Autels. Mais il les a châtiés. Il les a enlevés au milieu de leurs délices ; et en les privant de la vie, il les a privés de l'autorité souveraine, et de tous les honneurs qui l'accompagnent. Dès qu'ils eurent pris les armes contre lui, et qu'ils se furent rangés en bataille sous la conduite des faux Dieux qu'ils adoraient, ils furent défaits et contraints de prendre la suite, d'avouer là Divinité de celui qu'ils avaient si témérairement attaqué, et de permettre l'exercice de notre Religion, qu'ils avaient interdite sous des peines très rigoureuses. Le Sauveur éleva à l'heure-méme dans toutes les parties de la terre des monuments de sa victoire. Il remplit les villes, la campagne, et les pays les plus déserts, d'Eglises consacrées en l'honneur du seul Roi, et du seul Seigneur du monde ; et c'est pour cela qu'elles portent son nom, et que l'on les appelle les maisons du Seigneur. Que ceux qui voudront s'avancent au milieu de cette assemblée, et qu'ils nous disent qui sont ceux qui ont tiré les Églises de leurs ruines, et qui les ont élevées jusques au comble. Qui sont ceux qui leur ont donné plus de beauté et de magnificence qu'elles n'en avaient jamais eue, et qui sont venus à bout d'un si grand dessein, non depuis la mort des ennemis de la piété, mais durant leur vie, et au temps qu'ils révoquaient leurs Edits, non par aucun sentiment d'humanité et de douceur, mais par la force des châtiments qu'ils avaient déjà reçus du Ciel. Qu'ils nous disent qui est celui qui a eu le pouvoir de retenir dans sa Religion, durant la chaleur des persécutions, et au milieu des plus terribles dangers, un nombre innombrable d'hommes qui faisaient profession de la véritable sagesse, de saintes femmes et de sacrées vierges qui avaient renoncé à tous les plaisirs des sens. Qui leur avait enseigné à vivre, selon les régles de la tempérance, à s'abstenir plusieurs jours de boire et de manger, et à user envers eux-mêmes d'une très-grande sévérité. Qui leur a appris à mépriser le pain, et à chercher le pain spirituel de la parole, qui est la véritable nourriture de l'âme. Qui a inspiré à des peuples barbares, à des hommes grossiers, à des femmes faibles, à des esclaves et à des enfants, un courage allez élevé et assez intrépide pour affronter la mort, pour se promettre l'immortalité, pour attendre le Jugement où Dieu récompensera toutes les vertus, et punira tous les vices, et pour s'acquitter exactement de tous les devoirs de la justice, et de la piété. Il est clair que quiconque sera dans une disposition différente de celle où se trouvaient ces personnes, ne fera jamais profession de la vertu. Il n'y a jamais eu que le Sauveur qui ait fait, ni qui fasse encore tout ce que je viens de dire. Tâchons d'émouvoir les plus insensibles, et de convaincre les plus opiniâtres. Répondez à ce que je vous demanderai, et répondez-y raisonnablement; et après avoir examiné sérieusement vôtre réponse. Y a-t-il eu quelqu'un de ceux qui dans les siècles passés se sont rendes célèbres par l'étude de la Philosophie, qui ait été annoncé comme notre Sauveur par les Prophètes et prêché au peuple Juif, qui était le seul peuple chéri de Dieu? Ils ont su par la voie de la révélation le pays où il devait naître, le temps auquel il devait s manifester aux hommes, les miracles qu'il opérerait, la doctrine qu'il leur enseignerait, et ils ont récrit toutes ces choses. Qui est-ce qui a jamais puni les crimes commis contre lui, par un aussi prompt châtiment, qu'a été celui qui a ébranlé la Nation entière des Juifs, et renversé de fond en comble leur Temple, un peu après qu'ils eurent attenté à la vie du Sauveur ? Qui est-ce qui a prédit aussi clairement l'avenir, qui a marqué aussi précisément toutes les circonstances du châtiment des impies, et de la fondation de l'Eglise, et qui a confirmé par des effets aussi sensibles la vérité de ses prédictions ? En parlant du Temple des impies il avait dit : "Le temps s'approche que vos maisons demeureront toutes désertes. Elles seront tellement détruites, qu'il n'y demeurera pas pierre sur pierre". Et en parlant de son Eglise, il dit : "Sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'Enfer ne prévaudront point contre elle". Quel jugement ferez-vous du changement qu'il a-opéré dans ses Disciples, quand il les a tirés de la pêche pour les établir Docteurs et Législateurs de l'Univers ? La promesse qu'il leur fit de les rendre pêcheurs d'hommes, et l'accomplissement de cette promesse, ne sont-ce pas de fortes preuves de sa Divinité? La capacité qu'il leur a donnée d'écrire des livres, n'en est-elle pas une très-évidente, et surtout des livres qui ont été traduits en toutes les langues, appris par tous les peuples, et révérés comme des oracles ? Que dirons-nous de ce qu'il a averti ses Disciples de tout ce qui leur devait arriver, de ce qu'ils seraient conduits devant les Rois et les Princes, et punis des plus rigoureux supplices, non pour aucuns crimes qu'ils auraient commis, mais pour la fidélité et la hardiesse avec laquelle ils auraient confessé son nom ? Où pourrions-nous trouver des paroles qui approchaient de la force qu'il leur inspira, de résister à leurs ennemis, sans être plus émus de leur violence, que les rochers le font de celle des vagues ? Y a-t-il rien de si admirable que la constance, non seulement des Apôtres, mais aussi de leurs successeurs, et des fidèles de notre siècle, qui bien qu'ils fussent très-innocents, ont souffert avec joie les plus cruels supplices, plutôt que de renoncer à la piété? Quel Prince a jamais prolongé son règne l'espace de tant de siècles ? Qui a jamais fait la guerre de la sorte après sa mort ; et qui a jamais réduit tant de Nations à son obéissance par une force secrète et invisible ? La calomnie, pour impudente qu'elle puisse être, n'est-elle pas confondue par la paix que sa puissance a rendue à toute la terre? Ce qui l'a réduit à un honteux silence, c'est que cette paix est rendue au même temps que la doctrine du Sauveur est publiée, comme les Prophètes avaient prédit que ces deux notables événements arriveraient conjointement. Le jour finirait avant que j'eusse fini mon discours, très-religieux Empereur, si je voulais ramasser toutes les preuves que les choses qui se font en nos jours me pourraient souffrir, de la grandeur de la puissance du Verbe. Il est certain que jamais Grec ni Barbare n'en fit paraître une semblable dans tous les siècles passés. Ceux mêmes que les Païens appellent des Dieux, n'ont rien pu faire d'approchant. Si ce que je dis n'est pas véritable, je consens que quelqu'un m'interrompe, et qu'il me convainque d'imposture. Paraissez ici Philosophes, et dites moi si depuis le commencement du monde on a entendu parler d'un Dieu ou d'un Héros, qui ait donné des préceptes pour arriver à la vie éternelle, et pour acquérir le Royaume du Ciel, semblable à ceux que notre Sauveur nous a donnés ? Qui a pu persuader comme lui les hommes de faire profession d'une sainte Philosophie, et d'aspirer au bonheur qui est préparé après cette vie à la vertu ? Quel Dieu, quel Héros, ou quel homme a jamais passé d'Orient en Occident d'un pas égal à celui du Soleil, et qui a répandu les rayons d'une doctrine céleste, qui enseigne à rendre à Dieu le culte qui n'est du qu'à lui ? Quel Dieu ou quel Héros a mis sous le joug les Dieux des Grecs et des Barbares, a aboli leur culte, a défait par la force de ses armes le parti qu'ils protégeaient, et a excité tous les peuples a reconnaître la puissance et la Divinité du Fils unique de Dieu? Qui a commandé aux peuples de l'Univers de s'assembler toutes les semaines pour honorer le jour du Seigneur, et pour célébrer une Fête, non par des festins qui chargent le corps, mais par la lecture et par la méditation qui nourrissent l'âme ? Quel Dieu, ou quel Héros a été attaqué par un aussi grand nombre d'ennemis que notre Sauveur, et qui les a réduits comme lui à son obéissance ? Ces ennemis n'ont jamais cessé de combattre sa doctrine, et ses Disciples. Et il n'a jamais cessé de protéger invisiblement ses serviteurs, et depuis peu de jours il a rendu fort célèbres les lieux de leurs assemblées. Qu'est-il besoin que je fasse ici son éloge, puis qu'il est au dessus de l'éloquence des hommes ? Ses actions parlent d'elles-mêmes, et se font assez entendre à ceux qui n'ont pas les oreilles de l'âme bouchées. C'est sans doute un miracle nouveau, et inouï, que le Fils de Dieu, qui de toute éternité était dans le sein de son Père, soit venu converser visiblement avec les hommes, et les ait comblés de tant de grâces. [18] CHAPITRE XVIII. Tout ce que je dis ici est très inutile pour vous, très religieux Empereur, qui ayant reconnu par des effets qui sont plus forts que mes paroles, la Divinité du Fils de Dieu, l'avez toujours depuis publiée. Vous nous raconterez quand vous l'aurez agréable à vos heures de loisir, combien de fois il est apparu visiblement devant vous, combien de fois il vous a déclaré ses intentions durant votre sommeil. Je ne parle pas des mystères qu'il vous a révélés et qui sont au dessus de nos pensées. Je ne parle que des préceptes qu'il vous a donnés pour le gouvernement des peuples, et pour le bien commun de l'Univers. Vous nous direz quand il vous plaira, la protection visible dont il vous a favorisé dans les combats en vous découvrant les ruses de vos ennemis, en vous retirant du milieu des dangers, en vous accompagnant dans la solitude, en vous éclairant dans vos doutes, en vous assurant dans vos craintes, en vous avertissant de l'avenir. Vous nous direz les conseils qu'il vous a inspirés pour former et pour conduire les plus importantes entreprises, pour ranger vos armées, pour pourvoir aux besoins de l'Etat, pour publier de saintes lois. Vous nous apprendrez quand il vous plaira toutes ces choses que nous ignorons, que vous savez parfaitement, et dont vous conservez des idées fort claires et fort distinctes dans le trésor de votre mémoire. Ce sont sans doute ces effets sensibles de la bonté du Sauveur, et ces preuves illustres de sa puissance qui vous ont porté à élever cette Eglise, afin qu'elle servît d'un monument public pour avertir les fidèles et les infidèles de la victoire qu'il a remportée sur la mort, et pour représenter sur la terre une image de l'empire, et de la gloire dont ses serviteurs jouiront dans le Ciel.