[5,0] DÉMONSTRATION ÉVANGÉLIQUE - LIVRE V. Préface. Les deux caractères de notre Sauveur Jésus-Christ ont été exposés dans le livre précédent de la Démonstration évangélique; l'un est sa nature si fort relevée : ainsi nous l'avons montré fils unique de Dieu ou Verbe substantiel du Père, seconde cause du monde ou substance intelligente, la nature même et le premier-né du père; la puissance qui préexiste à toute chose, et qui n'a pas de limites, enfin l'image intelligente de l'être sans principe : l'autre, sa consanguinité et sa parenté avec nous ; et alors nous avons montré le Verbe de Dieu révélant le culte de son Père par l'homme qu'il s'est uni; ainsi apparut-il autrefois aux fidèles qui vécurent vers le temps d'Abraham, ce père des nations, si célèbre parmi les amis de Dieu ; enfin il fut prédit comme devant paraître au milieu des hommes par la naissance humaine et dans une chair semblable à la nôtre pour subir des supplices honteux. Or, pour procéder directement et avec ordre dans l'exposition des prophéties qui se rapportent à Jésus, il faut d'abord, ainsi que nous l'avons promis, que nous développions ce qui est le plus important de notre matière, et que nous établissions par les témoignages des anciennes prophéties ce que les Evangiles nous font connaître de Notre-Seigneur. Mais il est nécessaire de bien comprendre auparavant le mode de l'inspiration des prophètes hébreux auxquels nous devons ce que nous avons exposé précédemment. Comment les prophètes hébreux annonçaient l'avenir et révélaient la véritable science divine. De l'aveu des Grecs et des Barbares il y eut dans toutes les contrées du monde des oracles et des lieux où se rendaient des prédictions. La sollicitude de l'auteur du monde, disent-ils, les a accordés pour l'usage et la commodité des hommes, de sorte que rien ne distingue les prophètes des Juifs des oracles des autres nations. Ainsi, par le canal des prophètes pour les Hébreux, comme par les oracles pour les autres peuples, le Dieu du monde répond aux hommes et leur fait connaître ce qui leur est nécessaire. Il n'est pas, en effet, seulement le Dieu des Juifs, mais encore celui des autres habitants de la terre : sans préférence en sa prédilection, sa providence s'étend sur tous également. Ainsi, il n'accorde pas seulement aux Hébreux, mais à tous les hommes, le soleil et les secours annuels des biens de la vie ; tous sont crées semblables : leur naissance est la même et leurs intelligences sont de même nature. Ainsi encore donne-t-il à tous la connaissance de l'avenir sans aucune préférence, à ceux-ci par le ministère des prophètes, à ceux-là par les réponses des oracles; aux autres par le vol des oiseaux, l'examen des victimes, l'explication des songes, les augures, les agitations extraordinaires, ou d'autres signes encore. Car ils disent que ce sont les bienfaits que la Providence prodigue aux hommes, et les prophètes hébreux n'ont rien à revendiquer en leur faveur. Tels sont les propos qu'ils tiennent, et voici ce que nous y répondrons : si l'on établit que c'étaient les dieux, les puissances divines ou les bons génies qui présidaient aux oracles, aux augures et aux autres pratiques désignées, il faut convenir que le Dieu suprême en a accordé la connaissance pour l'utilité de ceux qui y recouraient. Mais si des preuves irrécusables et l'aveu des Grecs eux-mêmes démontrent que c'est l'œuvre d'esprits mauvais et auteurs du mal, comment peut-on les regarder comme les prophètes de Dieu ? Or, déjà la Préparation évangélique a fait ressortir leur perversité en montrant la généralité des sacrifices humains dans l'antiquité, les tromperies que leur ignorance de l'avenir les contraignait de faire, les mensonges nombreux où ils ont été surpris d'une manière évidente, où malgré cette ambiguïté de leurs réponses, faisaient tomber dans un abîme de malheurs les infortunés qui avaient recours à leurs impostures. Cet ouvrage a encore établi que c'est une engeance immonde et impure, puisqu'ils prennent plaisir aux chants obscènes et lascifs qui les célèbrent, à des hymnes, des fables et des histoires pleines d'irréligion et de maximes dangereuses. Ils ont été convaincus de les appuyer contre eux-mêmes et de les autoriser comme véridiques. Enfin la dernière preuve de leur faiblesse est cette cessation absolue des oracles de leurs anciennes réponses, qui ne date que du jour de la manifestation de notre Sauveur Jésus. Du moment, en effet, que la parole de l'Évangile se fut répandue chez les nations, dès lors les oracles se turent et la chute des dieux fut constatée. Ces preuves et mille autres encore sont les autorités par lesquelles les esprits dont il est traité dans la Préparation évangélique, ont été convaincus d'être des démons pervers. Si telles sont leurs inclinations, comment croire jamais que les oracles des démons soient des inspirations du Dieu de l'univers ? Comment les comparer aux prophètes de Dieu? Quelles étaient ces réponses formulées sur l'événement? Ne roulaient-elles pas sur des hommes tarés, vils et grossiers en l'honneur desquels elles exigeaient des sacrifices ? Que l'on pèse ce qui concerne les sacrifices humains, car c'est là un point capital. Laissèrent-elles possibles quelques excès nouveaux de cruauté? Si ce dieu, sauveur de l'humanité, et ces génies bienfaisants contraignirent leurs adorateurs et leurs suppliants d'immoler ce qu'ils avaient de plus cher comme ils l'eussent fait de leurs troupeaux, n'accusèrent-ils pas leur soif de sang humain plus grande que celle des bêtes féroces, leur avidité pour le sang et la chair de l'homme, et leur amour de la destruction? Que l'on me dise si l'on peut montrer quelque principe d'honnêteté et de justice des prédictions ou des promesses avantageuses a l'humanité entière, des lois ou des constitutions qui régleraient la conduite des hommes, des préceptes de sagesse et des renseignements donnés par les dieux aux amis de la philosophie. Mais jamais on ne dira que rien de tel soit provenu des oracles les plus vantés. Alors les hommes qui ont reçu leurs lois de la Divinité, n'eussent pas été gouvernés par des législations absolument contraires. Dieux bons par essence, comment n'eussent-ils pas indiqué des règles conformes entre elles, des institutions sages et pleines de justice ? Quel besoin les Grecs et les Barbares avaient-ils donc des Solon, des Dracon et des autres législateurs, tandis que les dieux leur étaient si fort accessibles, et révélaient par les oracles ce qui était nécessaire ? Dira-t-on que ce sont bien les dieux qui ont donné les lois qui gouvernent chaque nation ? Mais qu'on me dise quel est ce dieu qui a ordonné aux Scythes, par exemple, de dévorer leurs semblables. Quel est ce dieu qui a sanctionné le commerce avec les mères et les sœurs ; ce dieu qui met le bien à jeter aux chiens les vieillards, celui qui consacre le mariage avec les sœurs et le commerce contre nature. Faut-il que j'aille ici recueillir ces récits impies des Grecs et des Barbares pour prouver que loin d'être des dieux, ces merveilleux législateurs qui imposèrent à la pauvre humanité ces absurdités contre nature, ne furent que des génies impies et sanguinaires, tandis qu'on ne saurait établir que ces dieux si vantés dans la Grèce, et ces devins fameux aient jamais rendu quelque oracle utile et avantageux à ceux qui les consultaient? Pourquoi donc les Grecs renonçaient-ils à ces moyens si faciles de posséder la vérité pour se répandre cher les Barbares, afin d'y acquérir pour ainsi dire une moisson de préceptes, tandis qu'ils pouvaient s'instruire auprès des dieux? Car si ces dieux et ces bons génies manifestaient leur puissance par leur connaissance de l'avenir et leurs merveilleuses actions; s'ils révélaient la véritable sagesse par l'infaillible justesse de leurs préceptes, pourquoi les philosophes ne prenaient-ils pas leurs leçons, pourquoi cette diversité d'enseignements, et cette multitude de sectes philosophiques qui proviennent de leur grande opposition, si la multitude était sourde à leur voix? Au moins les hommes religieux, ceux qui entouraient les autels devaient recevoir de leur bienfaisance une morale assurée. Or, quels furent-ils jamais? Tous ceux que vous désignerez sont accusés d'erreur par les sectateurs des opinions contraires. Cependant, comme il convenait, les démons avertissaient dans leurs réponses des tentatives d'un voleur, de la destruction d'un meuble ou de circonstances semblables, dont ils ont facilement la connaissance, répandus qu'ils sont dans l'air qui environne notre globe. Mais jamais ils n'ont suggéré une maxime belle et sage ; jamais ils n'ont établi un principe d'utilité générale ou une loi conforme à la droite raison; et, pour parler avec franchise, jamais ils ne se sont montrés que les auteurs des maux du monde. Ils entendent célébrer dans les chants les cantiques et les récits des hommes durant les cérémonies cachées des nuptives, leurs adultères, leurs rapprochements contre nature, leurs unions avec leurs mères, leur commerce avec leurs sœurs, une multitude de rivalités mutuelles, des inimitiés et des combats de dieux contre les dieux, et jamais l'un d'eux ne s'indigna de semblables discours comme d'impiétés et de faits messéanls à la pensée et à la parole d'un homme sage. Pourquoi m'étendrais-je davantage quand je puis faire sentir tout ce qu'il y eut de cruel, d'atroce et d'abominable dans leurs institutions par le plus barbare de leurs préceptes, la nécessité des sacrifices humains, et se plaire non seulement au sang des animaux, mais encore à celui de l'homme; n'est-ce pas le comble de la cruauté? Cependant, comme je l'ai dit, toutes ces infamies ont été confirmées dans la Préparation évangélique, par les témoignages des philosophes et des littérateurs de la Grèce; elles montrent que les mauvais esprits ont perverti l'homme par des trames subtiles, soit par les oracles, soit par les auspices, les présages, les sacrifices et les autres superstitions semblables. Ainsi donc, il faut reconnaître que ces oracles n'avaient pas pour auteur le Dieu du monde. Il serait donc injuste de les confondre avec les prophètes des Hébreux, dont le premier hiérophante et le docteur fut Moïse. Considérez quels biens il procura aux hommes : il transmit les livres sacrés des doctrines évangéliques et véritables sur le Dieu créateur et ordonnateur du monde, sur celui qui est la seconde cause des intelligences placées au-dessous de lui, sur la création du monde et celle de l'homme. Quand il esquissa l'histoire des anciens Hébreux amis de Dieu, il fit comme des tableaux de vertu pour exciter son peuple à l'imitation des justes ; il orna de la splendeur de la parole les préceptes de la loi divine et proportionnée à ceux qui devaient la suivre: il établit un culte vraiment religieux. Enfin il prédit ce qui devait arriver longtemps après lui, comme nous le verrons plus bas. Tel fut ce législateur, tels furent aussi les prophètes qui vinrent après lui. Il leur eût été hors de propos de répondre à de futiles questions sur les événements du jour ; leur mission ne roulait que sur de grandes circonstances. Ce n'était pas, en effet, à la révélation des événements du jour et du moment actuel qu'ils rapportaient l'inspiration divine ; mais les splendeurs de l'esprit de Dieu en eux embrasaient le genre humain tout entier et ne se bornaient pas à la santé d'un malade ou aux vicissitudes de cette vie passagère et exposée à mille maux, à la perte de quelque objet ou à quelque autre de ces choses indifférentes qui ne rendent pas meilleur, et dont la privation ne saurait nuire et porter préjudice, quoique cependant les prophètes révélassent quelquefois des événements semblables, non pas suivant la fin de l'inspiration divine, toujours, au contraire, pour concilier les esprits à des avertissements plus graves ; car le but en était bien plus noble. Or, si le lecteur examine avec soin l'ensemble des écrits de Moïse et des prophètes qui lui ont succédé, il y verra des exhortations à embrasser le culte qu'il faut rendre au Dieu qui a créé le monde, l'enseignement de ce culte, la connaissance et la théologie sublime de la seconde cause de l'univers. Il y verra encore la condamnation de l'idolâtrie, le souvenir de ces patriarches fidèles qui les premiers ont pratiqué cette religion, les prédictions et les promesses qui concernent ces hommes de volonté qui dans les jours à venir régleront leur conduite sur la vie de ces premiers fidèles, éclairés qu'ils seront par l'avènement et la manifestation de Dieu, le second Seigneur, le Dieu inférieur seulement au Père suprême, le docteur de la piété, le Sauveur des hommes, qui devait appeler tous les peuples, Grecs ou Barbares, au culte qui suivirent les anciens Hébreux. Telles étaient les prédictions que Moïse et les prophètes faisaient d'une commune voix. Le motif de l'inspiration divine était donc la connaissance de Dieu et la science sublime du Père et du Fils, l'enseignement de la vraie piété, le souvenir de ceux qui s'étaient montrés fidèles autrefois, l'accusation longuement formulée des vices des temps postérieurs, l'avènement futur du Christ, sauveur et docteur du monde, et le culte des anciens Hébreux que celui-ci devait introduire chez les nations. Voilà ce que portaient dès le commencement, et d'un commun accord, les monuments et les livres sacrés des prophètes; voilà ce qu'il nous a été donné de voir de nos yeux accompli maintenant après de si longues années. D'une commune voix, tous, animés de l'Esprit saint, ils révélaient aux hommes la lumière de la vraie religion ; formés à la continence, ils enseignaient à ceux qui les écoutaient à garder chastes leur corps et leur Ame, et leurs affections toujours pures. Ardents à éloigner leurs disciples de toute action criminelle, ils pressaient ceux qui les approchaient de se soustraire aux superstitions du polythéisme, de fuir toute opération des idoles, et ces sacrifices humains si recherchés autrefois; d'oublier ces infâmes récits des fautes de la Divinité; ils en écartaient les hommes, et les ramenaient au Créateur du monde, comme au juge suprême des actions humaines; ils les exhortaient à ne pas méconnaître le Christ de Dieu qui devait venir parmi les hommes, sauveur de l'humanité et docteur de la vraie religion, pour les barbares et les Grecs. Voilà la différence entre les hommes qu'animait l'Esprit saint et ceux qui se targuaient de prédire par l'efficacité des démons. L'esprit des ténèbres, qui chérit l'obscurité, remplissait de ténèbres et d'obscurité l'âme qui recevait ses communications ; il distendait sa victime comme un mort, et la privait de raison, de sorte qu'elle ne comprenait plus les paroles et les actions que lui suggérait son délire, et qu'elle était insensible et dans la démence ; aussi cette affreuse dégradation tirait son nom de la fureur où l'on tombait. Au contraire, l'Esprit véritable et divin, débordant de lumières, et la lumière même, se communiquait-il à une âme? Il y formait aussitôt un jour nouveau et plein de splendeur; il la rendait bien plus pure, bien plus contemplative qu'elle n'était d'abord; de sorte qu'elle se livrait aux jeûnes, aux veilles, et comprenait et distinguait plus que tout autre le sens des prophéties : c'est pourquoi nous les appelons prophètes, à juste titre, ce semble, puisque l'esprit de Dieu leur manifeste et leur révèle dans le lointain la connaissance exacte et claire du présent et de l'avenir. N'est-il pas plus juste et plus vrai de croire que l'esprit de Dieu ne communique aux âmes pures qu'une intelligence droite et lumineuse préparées à le recevoir? ou faut-il accorder confiance à ceux qui restreignent l'esprit divin dans une matière insensible et des réduits ténébreux ? dans les âmes de femmes ou d'hommes souillées d'obscénités? à ceux qui l'attachent au vol du corbeau, de l'épervier ou des autres oiseaux; aux caprices des chèvres ou des autres animaux; aux eaux, aux agitations du foie des victimes, à l'effusion du sang des bêtes immondes, aux corps des reptiles venimeux, du dragon, par exemple, et des belettes, ou de tout être semblable, par lesquels ces hommes si admirables prétendent que le Dieu de l'univers manifestait l'avenir? Ces idées ne furent conçues que par des esprits qui ignoraient l'essence divine, qui ne considéraient pas que la puissance de l'esprit de Dieu ne s'attache pas à des animaux sans âme et sans raison, ni même à toutes les créatures intelligentes, mais à celles-là seules qu'orne la vertu, telles, en un mot, que nous venons de dépeindre les prophètes des Hébreux; l'esprit divin, avons-nous dit, daignait descendre en leur âme pour leur inspirer les grandes actions qui devaient tourner au salut du genre humain. Si quelquefois dans leurs prophéties se montrait, comme une ombre légère, quelque prédiction d'événements indifférents ou de circonstances du moment inconnues à ceux qui les consultaient, ils les donnaient de nécessité à ceux qui recouraient à eux. Leur aride ardeur de connaître l'avenir les eût entraînés aux oracles des Gentils, s'ils n'eussent eu des prophètes particuliers. Ces preuves suffisent pour établir l'inspiration divine des prophètes des Hébreux. Voici le moment où ces hommes, animés de l'esprit de Dieu, guidés par une sagesse surnaturelle, et formés par l'impression de l'Esprit saint, doivent nous faire connaître les dogmes qui leur ont été révélés, la science infaillible et sainte, sans y laisser d'obscurité, afin de ne sembler rien introduire d'étranger à la vertu et à la vérité. Nous reprenons donc notre exposition de nouveau pour établir par le témoignage des prophètes ce que l'Evangile nous apprend de notre Sauveur Jésus-Christ. L'Evangile dit du Christ : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Toutes choses ont été faites en lui, et sans lui rien n'a été fait » (Jean. I, 1). Il l'appelle lumière intelligente; il l'appelle encore Seigneur, et souvent aussi Dieu. Telle est encore la pensée de l'admirable Paul, disciple du Christ et apôtre, quand il en parle ainsi : « Il est l'image du Dieu invisible, et il est né avant toute créature, car par lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre : les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, tout a été créé par lui et pour lui ; et il est avant tout, et toutes choses subsistent par lui » (Col., I,15). Il est nommé puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Voilà ce qu'il nous faut retrouver dans les écrits des prophètes juifs, afin que leur concours établisse la vérité. Remarquons cependant que les oracles divins qui renferment dans la langue hébraïque des traits que l'on ne peut ni exprimer ni saisir, ont eu diverses interprétations en grec, à cause de leur sublimité ; mais comme plusieurs Hébreux réunis se sont accordés sur le sens qu'ils devaient recevoir, nous les suivrons d'autant plus volontiers, que l'Eglise du Christ a reçu leur interprétation. Et s'il est nécessaire, nous ne balancerons pas à recourir à des interprètes plus récents, comme les Juifs aiment à le faire ; par là, nos preuves auront plus d'autorité encore. Cela posé, nous exposerons les prophéties divines. [5,1] CHAPITRE PREMIER. Salomon, ce roi le plus sage des Hébreux, témoigne dans le livre des Proverbes qu'il connaît un premier-né puissance de Dieu. Comme nous, il l'appelle lu sagesse et le fils de Dieu. « Moi, la sagesse, j'ai habité dans le conseil et la science, et j'ai invoqué la réflexion. La crainte du Seigneur éloigne l'injustice, l'ignorance, l'orgueil et les voies des méchants. J'ai haï les voies obliques de l'homme pervers. A moi sont le conseil et la constance ; la prudence et la force m'appartiennent. Par moi les rois règnent, et les puissants rendent la justice; par moi les grands s'élèvent, et les princes envahissent la terre. J'aime ceux qui m'aiment, et ceux qui me cherchent trouvent le bonheur. L'opulence et la gloire sont à moi, les possessions immenses et la justice. Il vaut mieux me posséder que de jouir de l'or et de l'abondance des pierres précieuses ; mes fruits sont plus beaux que l'argent pur. Je marche en la voie droite, et je me tiens dans les sentiers de l'équité, afin de partager à ceux qui me chérissent les biens véritables, et de remplir leurs trésors de richesses. Si je vous annonce ce qui se fait tous les jours, je rappellerai le souvenir des événements passés. Le Seigneur m'a formée au commencement de ses voies pour ses œuvres, il m'a établie avant le temps. Dès le commencement, avant d'avoir fait la terre, et creusé les abîmes, avant d'avoir fuit jaillir les sources d'eaux, affermi les montagnes et élevé les collines, le Seigneur m'a engendrée. Le Seigneur a créé les déserts et les lieux hauts et peuplés de la terre. Lorsqu'il étendait les cieux et qu'il asseyait son trône sur les nuages, j'étais là avec lui. Quand il épaississait les nuées du ciel, et qu'il fixait les sources de la terre ; quand il donnait des limites à la mer, et les eaux ne les dépasseront pas ; quand il affermissait les fondements de la terre, j'étais auprès de lui, distribuant l'harmonie; je faisais ses délices. Chaque jour je me jouais devant lui, en tout temps, quand il se réjouissait de l'univers qu'il avait créé et qu'il prenait plaisir à considérer les fils des hommes » (Prov. VIII, 12). Substance divine et douée de toute vertu, plus ancienne que toute créature, premier-né et image intelligente de l'Eternel, parmi les noms qui le révèlent et qui lui attribuent les perfections de Dieu, le Fils unique et véritable Dieu de l'univers, reçoit par la bouche du grand Roi le nom de la sagesse même, et l'honneur qui lui revient. Or, nous avons appris à l'appeler le Verbe de Dieu, la lumière, la vie, la vérité, et enfin le Christ, puissance de Dieu, sagesse de Dieu. En ce passage, il dit, par la bouche du sage Salomon, comme sagesse de Dieu vivant et subsistant par elle-même : « Moi, la sagesse, j'ai habité dans le conseil et la science, et j'ai invoqué la réflexion, » et ce qui suit. Puis, comme celui qui est la prévoyance est chargé de tout administrer et de prévoir tout, il ajoute : « Par moi les rois règnent, elles puissants rendent la justice; par moi les grands s'élèvent. » Quand il a dit qu'il rappellera le souvenir des événements passés, il ajoute : « Le Seigneur m'a formée au commencement de ses voies pour ses œuvres; il m'a établie avant le temps. » Il nous révèle encore par ces paroles qu'il est engendré, qu'il n'est pas celui qui ne fut pas engendré, mais qu'il a reçu l'être avant le temps, et qu'il a été produit comme le fondement de toutes les créatures. C'est sur ces paroles sans doute que l'Apôtre s'est appuyé quand il l'a appelé l'image de l'invisible, et le premier-né de toute créature ; car par lui tout a été créé dans le ciel et sur la terre. Il est appelé le premier-né de toute créature d'après ces paroles : « Le Seigneur m'a créée au commencement de ses voies pour ses œuvres. » II est assurément encore l'image de Dieu, comme le fils de la science sans principe. C'est ce qu'il nous révèle par ces paroles, où il parle ainsi de lui-même : « Avant d'affermir les montagnes et d'élever les collines, il m'a engendrée. » Aussi nous appelons cette sagesse divine le Fils unique, le Verbe, premier-né du Père. Or la raison qui nous oblige à le dire engendré du Père mérite une explication particulière. Nous ne comprenons point son ineffable génération par ces écoulements, ces diminutions, ces coupures on quelqu'un des autres moyens des générations de la terre ; car il ne faut pas assimiler sa naissance ineffable et insaisissable au langage, et sa substantialité à quelqu'une des générations périssables, ni lui comparer quelque image empruntée à ce qui est passager et mortel. Il ne serait pas religieux en effet de dire que, suivant les générations des êtres vivants qui nous entourent, le Fils, substance de substance, soit sorti du Père avec des douleurs ou des divisions, par séparation ou partage. Sans parties et sans membres, Dieu ne peut être coupé, divisé ou prolongé, réduit ou resserré, ni devenir supérieur, inférieur ou meilleur; il n'a rien en soi d'étranger à son essence qu'il puisse perdre ; car tout ce qui est en quelque chose est, ou un accident, comme la blancheur qui manifeste un corps; ou une substance en une substance, comme le fruit qu'une mère porte en son sein; ou une partie dans le tout, comme dans le corps la main, le pied, le doigt, parties du tout, dont la perle, le retranchement ou la coupure laissent l'ensemble imparfait et mutilé, comme privé d'une de ses parties. Or, comparer à ces images inexactes la substance éternelle de Dieu et la génération de son Fils unique le premier-né, ce sérail le comble de l'impiété. Ainsi donc ce n'est pas comme une substance se trouve en une autre substance que le Fils coexistait sans génération au Père dès l'éternité, partie du Père qui changea plus tard et sortit de son sein: ce serait proprement une vicissitude. Alors il y aurait deux, sans génération, celui qui aurait engendré et celui qui eût été engendré. Or, quel serait l'état le plus élevé? Assurément celui qui a précédé la désunion. Il sera donc possible de regarder le Fils comme une partie, comme un membre éternellement uni au tout, dont il s'est séparé plus tard ? Mais de telles pensées sont abominables et impies, déduites qu'elles sont de la nature corporelle et opposées à la substance spirituelle et immatérielle. Aussi déjà quelqu'un s'est-il écrié à ce sujet: Que dira sa génération? Car il n'est pas sans danger d'embrasser l'opinion contraire, et d'avancer simplement que le Fils est sort du néant comme les autres créatures.. Autre, en effet, est la naissance du Fils, autre la création à laquelle a concouru le Fils. Or, puisque l'Ecriture sainte l'appelle le premier-né de toute créature, et que dans une magnifique prosopopée elle dit : Le Seigneur m'a créée au commencement de ses œuvres, et qu'elle le reconnaît engendré du Père : Avant d'élever les collines il m'a engendré (Isaïe, LIII, 8), ne sera-l-il pas raisonnable de la suivre et de confesser que le Verbe, ministre de Dieu, a précédé les siècles; qu'il coexiste au Père, qu'il est Fils unique du Dieu de l'univers, ministre et coopérateur de son Père dans la création et la distribution de ce monde ? Si dans la nature il y a des obscurités et dos ténèbres, et mille objets s'offrant ainsi à nos yeux, comme les promesses faites aux amis de Dieu : L'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, jamais le cœur de l'homme n'a éprouvé, etc., suivant le saint Apôtre, les mystères de la première génération du Fils unique de Dieu sont bien davantage au-dessus de toute pensée, de l'expression et du langage, de l'intelligence et du cœur, et nous n'avons plus à méditer et à dire que ces mots : Qui dira sa génération ? Et si dans les prétentions de la témérité on compare des mystères si sublimes aux êtres visibles et matériels, on pourra dire que douce vapeur, splendeur lumineuse de l'essence éternelle du Père et de la substance ineffable, le Fils existe dès l'origine des siècles, avant même tous les siècles; qu'il coexiste à son père, qu'il est toujours avec lui comme l'odeur avec le parfum, et l'éclat avec la lumière; non pas absolument comme les exemples le témoignaient, mais selon les limites que nous avons déjà tracées. La matière en effet compte les accidents au nombre de ses qualités ; car l'éclat qui est de même nature que la lumière, et qui lui coexiste substantiellement, ne pourrait exister sans elle. Or le Verbe de Dieu tire son essence de lui-même, il coexiste au Père, non sans génération, mais comme le Fils unique engendré du Père avant tous les siècles. L'odeur qui est une émanation corporelle d'un objet, et qui embaume d'elle-même l'air environnant, est cependant matérielle, mais ce n'est pas ainsi qu'il nous faut entendre la première génération du Fils : une partage pas l'essence de l'Eternel par quelque souffrance ou quelque division de celui-ci ; il ne lui coexiste pas sans avoir de principe, puisque l'un est sans principe et l'autre est engendré : l'un est Père, l'autre est Fils. Or tout homme avouera que le Père existe avant le Fils qu'il précède. Ainsi encore il est image de Dieu d'une manière ineffable et incompréhensible; image vivante du Dieu vivant, qui est par elle-même immatérielle, spirituelle, sans aucun mélange contraire : non pas semblable à ces images, œuvres imparfaites de notre habileté, qui ont leur essence propre et qui renvoient une forme étrangère, mais image fidèle, semblable en substance au Père: émanation vivifiante qui s'est élevée du Père d'une manière inconnue et inaccessible; car en réalité toutes ses perfections surpassent le langage des hommes, et sont inaccessibles aux intelligences des mortels. Mais de quelque manière que nous l'entendions, c'est là ce que nous apprennent les oracles sacrés. Le grand Apôtre ne dit-il pas que ceux qui suivent ses traces et lui-même sont la bonne odeur de Jésus-Christ, à cause de l'esprit du Christ qui est avec eux (II Cor., II, 15) î Dans le cantique des cantiques, l'époux céleste n'est-il pas appelé un parfum répandu ? Visibles et invisibles, corporelles et incorporelles, raisonnables et privées de raison, toutes les créatures ont été honorées d'une manière proportionnée de l'effusion et de la libéralité du Verbe de Dieu. Tout l'univers répand cette bonne odeur du souffle divin, sensible à ceux qui n'ont pas usé leurs sens spirituels, car les corps terrestres et corruptibles ont reçu un parfum spirituel et pur, qu'a répandu sur eux le Dieu souverain, Père du Verbe unique. Dieu suprême et véritable, qui engendre le second bien, le Fils, premier fruit de la première essence, déjà désigné comme le parfum de la substance du Père, par ces paroles auxquelles nous aimons à conformer notre croyance: Elle est une vapeur de la puissance de Dieu, une émanation pure de la gloire du Tout-Puissant, la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l'image de sa bonté (Sages., VII, 25). Cependant on peut leur attacher telle importance qu'on jugera convenable : pour nous il nous suffit de répéter ces mots, pleins de vérité et de religion, par lesquels nous résoudrons toute difficulté, et que nous avons déjà cités souvent : Qui dira sa génération ? Cette génération du Fils unique de Dieu est inaccessible à l'homme aussi bien qu'aux puissances supérieures, ainsi que le Sauveur et Seigneur de nos âmes l'enseigna à ses disciples, lorsqu'il les initiait à sa doctrine. Nul, dit-il, ne connaît le Père, si ce n'est le Fils; et il ajouta : Et personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père (Luc, X, 22). Puis donc que les mystères du Père et du Fils sont impénétrables à tous, eux seuls exceptés, il faut écouter la sagesse qui dit mystérieusement, en ces paroles de Salomon déjà citées : Avant d'avoir affermi les montagnes, formé la terre et élevé les collines, le Seigneur m'a engendrée. Elle dit encore qu'elle était avec le Père qui créait les cieux : Quand il étendait les cieux j'étais là avec lui. Enfin elle manifeste son éternelle société avec le Père, en disant : J'étais auprès de lui distribuant l'harmonie; je faisais ses délices; chaque jour je me jouais devant lui. Or il faut prendre comme désignant la formation de l'univers, en indiquant le tout dans la partie, les abîmes, les sources d'eaux vives, les montagnes et les collines et tout ce qui est décrit en paroles vulgaires en ce passage, ou les entendre comme des figures qu'il faut transporter aux substances intelligentes et aux vertus célestes, dont la première, l'unique et seule progéniture de Dieu est la sagesse, le Verbe que nous appelons Christ, guidés en cela par l'Apôtre, qui l'appelle le Christ, la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu ; mais on lui a donné avec raison le nom de sagesse... {LACUNE : Le reste du chapitre manque.} [5,2] CHAPITRE II. {LACUNE - Sans commencement.} Dans le second il lui confère les honneurs du sceptre royal; dans le troisième, il témoigne de sa parfaite vertu, enfin il apprend qu'il a été sacré Dieu et roi sur eux tout ensemble, et que pour cela il est Christ. Comment appeler autrement, en effet, celui qui n'a reçu l'onction que de la main du Dieu suprême? Ô Dieu, dit-il, s'adressant à celui qui est oint, vous avez aimé la justice et haï l'iniquité, aussi le Dieu votre Dieu vous a-t-il oint (Ps. XLIV, 7). Comme s'il disait, le Dieu suprême vous a oint de l'huile d'allégresse, au-dessus de tous ceux qui y participent avec vous. Ce parfum n'est pas un baume terrestre et grossier, semblable à celui qui fut composé, d'après les ordonnances de Moïse, d'une matière corruptible, et dont l'onction était en usage autrefois pour les pontifes et les rois des Juifs. Ainsi, il est justement appelé de nous Dieu et Christ, puisque seul il a reçu, non pas de la main des hommes ni de leur entremise, mais de la main du Créateur universel, l'onction spirituelle et céleste de la joie divine et de l'allégresse. C'est donc avec justesse, à bon droit et proprement, qu'il est appelé Christ au-dessus de ceux qui sont dits y participer avec lui. Or, quels sont-ils, sinon ceux qui peuvent ainsi parler : Nous avons été rendus participants du Christ (Héb., III, 14), et dont il a été dit : Ne touchez pas à mes christs et n'offensez pas mes prophètes (Ps. CIV, 15)? Puis donc que le Christ est bien-aimé, Dieu et roi, cherchez maintenant comment celui qui est si grand peut avoir des ennemis, quels ils sont, et pourquoi il prépare contre eux ses flèches et son glaive: comment enfin sans armée aucune, il se soumet des peuples innombrables par sa droiture, par sa véracité, sa justice et sa mansuétude. En pénétrant le sens de ce passage, on sera forcé de convenir qu'il faut l'appliquer à notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu, et de recourir à ce que nous avons exposé sur sa venue au milieu des hommes, par laquelle il a mis en fuite les puissances ennemies et invisibles, les démons perfides et cruels, les esprits impurs et mauvais, et s'est attaché des peuples innombrables parmi les tribus de la terre. Il faut donc l'appeler le vrai Christ de Dieu, oint non pas de l'onction antique (car il n'est rien dit de semblable de lui), mais de l'onction supérieure et divine de celle dont Isaïe a dit: L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi, parce qu'il m'a oint (Is,, LXI, 1). Aussi est-il appelé dans toute la terre le Christ préférablement à tous les Hébreux qui ne reçurent jamais l'onction corporelle, et il a rempli le monde du nom de chrétien. Pour la manière dont nous le disons oint, pour le parfum, le mode de l'onction, nous l'avons suffisamment expliqué dans le livre précédent. Or, telle était la grâce répandue sur ses livres et dans sa doctrine, que la religion qu'il a apportée au monde a pénétré rapidement tout l'univers; et déjà chez toutes les nations, suivant la prophétie citée ici, il a des disciples qui célèbrent sa royauté et sa divinité, et tous les peuples l'appellent Christ. Ses ennemis sont évidemment non seulement ceux qui existeront avant lui, mais encore ceux qui s'opposèrent toujours à sa parole parmi les hommes ou les puissances invisibles, dont il a détruit la tyrannie sur les nations par sa puissance secrète et cachée, en soumettant les peuples à ses lois. Quant à ces paroles da même psaume : « La myrrhe, l'ambre et le sandal s'exhalent de vos vêtements, » et ce qui suit sur cette reine et cette fille invitée à quitter la maison de son père et à se fiancer a celui que le prophète appelle Christ, roi et Dieu, et qu'elle nomme son Seigneur ; traits qui se rapportent tous à l'Eglise des Gentils, qui abandonne les erreurs de la religion de ses pères, se voit purifiée de ses fautes et entre en partage de la parole de Dieu ; elles seront rapportées lorsque nous pourrons leur donner l'interprétation convenable. [5,3] CHAPITRE III. Au Ps. CIX, le même prophète reconnaît deux Seigneurs, le premier qui est le Dieu suprême, le second qu'il appelle son Seigneur et qui a été engendré avant la création du monde. David reconnaît le second Seigneur, comme pontife éternel du Père, assesseur du Dieu de toute créature, et témoigne d'une foi conforme à la nôtre. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. Le Seigneur va faire sortir de Sion le sceptre de votre autorité, et vous dominerez vos ennemis. La puissance vous sera donnée au jour de votre force, au milieu des splendeurs de vos saints. Je vous ai engendré avant l'aurore. Le Seigneur l'a juré, et il ne révoquera pas son serment : Vous êtes le prêtre éternel suivant l'ordre de Melchisédech ; le Seigneur est à votre droite. » Notre Sauveur et Seigneur, le Verbe de Dieu, premier-né du toute créature, la sagesse qui a précédé les siècles, le commencement des voies de Dieu, le premier et unique fils de Dieu, qui est décoré du nom de Christ, est appelé Seigneur au psaume qui révèle à notre foi qu'il est l'assesseur et le Fils du Dieu de l'univers, du Seigneur de toutes choses, et pontife éternel du Père. Remarquez d'abord que le second Seigneur est appelé la progéniture du Père, et parce que c'est l'Esprit divin qui a suggéré les paroles de la prophétie, considérez si cet esprit qui animait le prophète-roi, ne désigne pas son Seigneur après celui du monde. Le seigneur, dit-il, a dit à mon Seigneur : « Asseyez-vous à ma droite. » Les Hébreux ont donné au premier Seigneur, comme au maître du monde, un nom inexprimable, composé de quatre lettres. Il n'en est pas ainsi du second, à qui ils donnent proprement le nom de Seigneur. Aussi le Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu, ayant demandé un jour aux pharisiens : « Que vous semble-t-il du Christ ? De qui est-il fils? Et ceux-ci ayant répondu : de David (Matth.. XXII, 42), comment donc, ajouta-t-il, David, sans l'inspiration de l'Esprit, l'appelle-t-il Seigneur en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: « Asseyez-vous à ma droite? » Il laissa ainsi à entendre que ce cantique ne l'appelait pas seulement le Seigneur de David, mais encore de l'Esprit qui animait le prophète : or si cet Esprit prophétique, que nous croyons être l'Esprit saint, reconnaît comme Seigneur celui qu'il révèle comme assesseur du Père, et non pas absolument, mais comme son Seigneur, à plus forte raison, le Seigneur doit-il être reconnu des puissances inférieures à l'Esprit saint et de l'universalité des créatures corporelles et spirituelles, et leur Seigneur est a juste titre l'assesseur unique du Père par qui tout existe ; puisque suivant le grand Apôtre (Coloss., I, 16) : Par lui ont été créées toutes choses dans le ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles. A lui seul il appartient donc de ressembler au père ; puisque seul il s'assied à sa droite ; par conséquent nulle créature n'a droit à l'honneur de la droite du principe de la royauté suprême, sinon celui dont nous avons établi la divinité par diverses preuves. C'est à lui seul, en effet, que le Seigneur suprême et souverain adresse cette parole : Asseyez-vous à ma droite; et celle-ci : Je vous ai engendré avant l'aurore. C'est avec serment qu'il lui a conféré l'honneur du sacerdoce éternel, inamovible et immuable: Le Seigneur l'a juré, et il ne révoquera pas son serment: Vous êtes le prêtre éternel; mais qui est désigné? Ce n'est pas un mortel ni l'ange qui, ouvrage de Dieu, est appelé au sacerdoce perpétuel ; mais celui qui a déjà dit dans le passage déjà cité : « Le Seigneur m'a formé au commencement de ses voies pour ses œuvres; il m'a établi avant le temps dès le commencement, avant d'avoir affermi les montagnes et élevé les collines: le Seigneur m'a engendré» (Prov. VIll, 22). Que l'attention se renouvelle, et que l'on compare ce psaume cité et le passage qui l'a précédé. Dans le premier, en effet, Dieu fait asseoir auprès de lui le second Seigneur, Notre-Seigneur, en lui disant : « Asseyez-vous à ma droite; » et le dernier témoigne que son trône est établi dès les siècles des siècles, et l'appelle aussi Dieu. « Votre trône, ô Dieu ! est un trône éternel.» Dans le psaume cité, il est dit: «Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre autorité, et dans le quarante-quatrième, le sceptre d'équité est le sceptre de votre empire. Le premier s'exprime ainsi : « Asseyez- vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ; et vous dominerez vos ennemis. » Le second : « Vos flèches sont aiguës, elles perceront le cœur des ennemis du roi. » Ainsi s'accorde dans l'un et dans l'autre ce qui concerne les ennemis de celui qui est désigné. Or, en voyant de ses yeux dans les villes et les villages et toutes les contrées, dans tous les lieux du monde, les Eglises de notre Sauveur florissantes, les peuples qui suivent ses lois, et l'innombrable multitude de ceux qui sont consacrés à son culte, assiégés par les ennemis de la doctrine du Christ, visibles chez les hommes, invisibles et cachés, qui n'admirerait la vérité de cette prophétie, adressée au Christ : « Dominez sur vos ennemis ? » Comme le psaume cité plus haut nous apprend qu'il a été sacré de l'huile de l'allégresse, au-dessus de tous ceux, qui partagèrent cet honneur (or il était d'usage chez les Hébreux de sacrer les prêtres), le psaume CIX, que nous citons, le déclare prêtre avec plus de clarté, et développe le motif qui le fait déclarer seul pontife éternel, ce qui ne peut convenir à la nature humaine. Si le prophète-roi le proclame pontife selon l'ordre de Melchisédech, il l'oppose au pontife selon l'ordre de Moïse, à Aaron ou à ses enfants dont chacun, sans sacerdoce d'abord, oint ensuite par les hommes d'un parfum matériel, devint comme en type et en symbole un Christ emblématique et figuratif; mais mortel qu'il était, il dépouillait bientôt le sacerdoce. D'ailleurs, loin de d'étendre sur toutes les nations, son pouvoir ne sortait pas de la nation juive ; au lieu du serment inviolable de Dieu, il n'était appelé à ce ministère que par le choix des hommes qui tombait souvent sur des personnes qui n'en étaient pas dignes comme sur un lieu. Cet antique pontife, selon l'ordre de Moïse, était tiré de la tribu de Lévi seulement. Il fallait qu'il descendit de la race d'Aaron, et qu'il honorât la Divinité par le sacrifice et l'effusion du sang des victimes, par un culte charnel. Mais celui que l'Ecriture appelle Melchisédech, nom qui, dans la langue grecque, signifie roi de justice, le roi de Salem ou de paix, sans père, sans mère, sans généalogie, dont l'histoire n'a marqué ni la naissance, ni la fin, n'a rien de commun avec le sacerdoce d'Aaron ; car il ne fut pas élu par les hommes, il ne fut pas sacré de l'onction sacerdotale et ne descendait pas d'une tribu qui n'existait point encore ; et ce qui est plus extraordinaire, tout incirconcis qu'il était, il bénit Abraham comme supérieur à ce saint patriarche. Enfin il n'offrait pas au Dieu suprême le sang des victimes et les libations : ce n'était point dans le temple qu'il accomplissait son ministère. Comment eût-il exercé dans un temple qui n'existait pas encore? Ainsi donc le Christ, notre Sauveur, ne devait ressembler en rien à Aaron; car il n'est pas dit que, n'étant pas prêtre d'abord, il l'est devenu, ni qu'il a été prêtre; mais qu'il l'est. Considérez ces mots : « Vous êtes prêtre pour l'éternité ; » il n'est pas dit : Vous serez, ne l'étant pas autrefois ; ni vous l'avez été, et vous ne l'êtes plus ; mais celui qui a dit : « Je suis qui suis » (Exode, III, 14), dit ici : Vous êtes et vous demeurerez prêtre pour l'éternité. Puis donc que le Christ n'a pas commencé son sacerdoce dans le temps, puisque étranger a la tribu sacerdotale, il ne fut pas oint de l'huile composée et matérielle, puisqu'il ne devait pas voir se terminer son sacerdoce, et être établi sur les Juifs seulement, mais sur toutes les nations, sons l'impression de ces motifs, le prophète l'élève avec raison au- dessus du sacerdoce figuratif d'Aaron, et le déclare pontife de l'ordre de Melchisédech. L'événement de l'oracle saint n'est-il pas merveilleux pour celui qui considère comment notre Sauveur, le Christ de Dieu, accomplit aujourd'hui encore, par ses ministres et d'après l'ordre de Melchisédech, les rites du sacrifice. Car, de même que, le pontife des nations, loin d'immoler des victimes, n'offrit que le pain et le vin quand il bénit Abraham, de même, notre Sauveur et Seigneur le premier, et ceux qui chez les nations tiennent leur sacerdoce de lui et qui consomment le sacrifice spirituel suivant les lois de l'Eglise, figurent avec le pain et le vin les mystères de son corps et de son sang salutaire, que Melchisédech avait prévus par l'inspiration divine, et dont il employait la figure par anticipation, ainsi que le témoigne le récit de Moïse, ainsi conçu : « Melchisédech, roi de Salem, offrit le pain et le vin, car il était prêtre du Très-Haut, et il bénit Abraham » (Gen., XIV, 18). Ainsi, le Seigneur fit-il à celui dont il est parlé, une promesse confirmée par un serment qu'il ne révoquera pas, et dit : Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech. Or, apprenez ce que dit l'Apôtre à ce sujet : (Hébr., VI, 17) « C'est pourquoi Dieu voulant faire voir avec plus de certitude aux héritiers de la promesse la fermeté immuable de sa résolution, employa le serment, afin qu'étant appuyé sur deux choses inébranlables par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe, nous eussions une puissante consolation, nous qui avons mis notre refuge dans l'espérance qui nous a été offerte. » Il dit ailleurs : « Il y a en sous la loi plusieurs prêtres qui se succédaient, parce que la mort les empêchait de servir toujours. Mais celui-ci, demeurant éternellement, possède un sacerdoce éternel. Aussi, peut-il toujours sauver ceux qui s'approchent de Dieu par son entremise, toujours vivant pour intercéder pour nous ; car il convenait que nous eussions un pontife semblable, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé au-dessus des cieux» (Ibid., VII, 23 ). Il ajoute : « Voici l'abrégé de ce que nous avons dit : Nous avons un pontife si grand, qu'il est assis dans le ciel à la droite ; du trône de la divine Majesté, ministre du sanctuaire, et du tabernacle véritable que Dieu a dressé, et non pas l'homme » (Ib., VIII, 1). Telles sont les paroles de l'Apôtre. Vers la fin, le psaume prophétise sans obscurité la passion de celui qu'il annonce, en disant : « Il boira en passant l'eau du torrent ; c'est pourquoi il lèvera la tête » (Ps.. CIX, 8). Un autre psaume désigne par le torrent le temps des épreuves, et dit : « Notre âme a franchi un torrent ; notre âme a franchi peut-être des eaux impraticables » (Ib., CXXIII, 5). Le Seigneur boira donc dans le torrent, dit le psaume, sans doute le calice qu'il indique lui-même au temps de sa passion, en disant : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi. » (Matth., XXVI, 39). Et encore : « Mais s'il n'est pas possible qu'il s'éloigne sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » Lors donc qu'il eût bu ce calice, il leva la tête; et, ainsi que dit l'Apôtre, comme « il s'est rendu obéissant à son Père jusqu'à la mort et à la mort de la croix, Dieu l'a élevé » (Philip., II, 8), en le tirant du milieu des morts et en le plaçant à sa droite, au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus.de toutes les dominations et de toute grandeur, non seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle à venir (Eph., I, 20). « Il a mis toutes choses sous ses pieds », dit-il, suivant la promesse du psaume : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. » Vous dominerez vos ennemis. Or, il est évident pour tous que maintenant encore la puissance du Seigneur et la parole de sa doctrine dominent ceux qui ont cru en lui, au milieu même de leurs ennemis et de leurs adversaires. [5,4] CHAPITRE IV. Isaïe, le plus grand des prophètes, a su clairement que Dieu est en Dieu, conforme en cela à notre foi, laquelle nous fait honorer le Père dans le Fils, et le Fils dans le Père. « Moi, le Seigneur, j'ai fait la terre et l'homme qui l'habite; ma main a étendu les cieux, et j'ai donné mes ordres à tous les astres. Moi, j'ai suscité le roi avec justice, et toutes ses voies sont droites. Il rebâtira ma ville; il délivrera les captifs de mon peuple sans rançon, ni présents, dit le Seigneur des armées » (Isaïe.XLV, 11). Voilà ce que le Créateur annonce par son prophète d'un roi sauveur qui viendra établir une société religieuse et terminer la captivité des hommes dans les erreurs du culte des démons. Puis, l'esprit prophétique annonce encore la soumission de toutes les nations ; elles doivent se soumettre à ce qui est prédit, l'adorer comme un Dieu, et prier en lui le Créateur et le Père suprême, parce que ce Dieu plus grand que lui habite en lui. Voici la suite du passage : « Voici ce que dit le Seigneur : L'Égypte a travaillé et le commerce d'Ethiopie, les habitants de Saba à la taille élevée viendront vers toi ; ils seront tes esclaves, et marcheront derrière toi les mains liées. Les jeunes gens t'adoreront, et te prieront : un Dieu est en toi, diront-ils, et il n'y a pas d'autre Dieu que toi ; car vous êtes vraiment Dieu, nous ne le savions pas, Dieu d'Israël, sauveur. Que ses ennemis rougissent et qu'ils soient confondus; qu'ils tombent dans la confusion. » Telles sont les paroles de la prophétie. Or, je ne crois pas que l'on puisse jamais, quel que soit l'aveuglement, ne pas se rendre à l'évidence et à la clarté de ce texte qui montre un Dieu sauveur d'Israël et un autre Dieu en lui. « Les justes, dit-il, l'adoreront et le prieront, parce que Dieu est en toi, et il n'y a pas d'autre Dieu que lui, car vous êtes Dieu, et nous ne le savions pas, Dieu d'Israël, sauveur.» Ces mots : « Et nous ne le savions pas, » que les Septante mettent dans la bouche de ceux qui ne l'avaient pas connu d'abord ne sont ?as dans l'hébreu : Aquila traduit ainsi : « Vous êtes vraiment le Dieu fort et caché, le Dieu sauveur d'Israël;» et Théodotion «Aussi vous êtes le Dieu fort et caché, le sauveur. » II est vraiment surprenant qu'il appelle le Christ un Dieu caché, et la raison sur laquelle il s'appuie pour le déclarer Dieu lui seul sur tous les êtres, sauf celui qui est le principe éternel, c'est le séjour du Père en lui ; car, suivant le grand Apôtre, « il a plu au Père que toute la plénitude de la Divinité reposât en lui » (Coloss., I, 19). C'est ce que nous témoigne encore ce passage : « Dieu est en vous, il n'y a pas d'autre Dieu que vous. » Au lieu de Que vous, Théodotion traduit : Que lui, de sorte que le sens complet devient : Il n'est pas de Dieu que lui, celui assurément qui est en vous, et par lequel vous êtes Dieu vous-même. D'après Aquila, le passage est ainsi conçu : « Cependant en vous est le fort, il n'est pas hors de vous, le Dieu fort et caché, le Dieu sauveur.» Suivant Symmaque: « Dieu est en vous seulement, et au delà il n'est pas et ne se montre pas : Vous êtes réellement un Dieu caché, le Dieu sauveur d'Israël. » Ainsi, le texte sacré nous révèle pourquoi le Christ de Dieu est Dieu. Dieu, dit- il, est en vous; pour cela vous êtes un Dieu fort et caché. Donc, il n'y a qu'un seul et vrai Dieu qui seul possède ce nom à juste droit. Quant au Christ, il partage par la communication du véritable Dieu, l'honneur de ce glorieux titre. Il n'est pas par lui-même, il n existe pas sans le Père qui l'a engendré, il n'est pas Dieu sans le Père ; mais engendré, produit, soutenu par le Père qui est en lui coexistant au Père, il reçoit la divinité de sa libéralité féconde, et c'est du Père et non pas de lui-même qu'il tient son existence et sa divinité. Aussi, nous l'honorons comme Dieu, a cause du Dieu qui habite en lui ; mais après celui-ci, ainsi que le témoigne la prophétie que nous voulons approfondir. Ainsi, l'image d'un roi en reçoit les honneurs à cause de celui dont elle retrace les traits et la ressemblance, et les honneurs rendus à l'image et ceux rendus au roi ne s'adressent qu'à une seule personne; car ce ne sont pas deux rois différents, l'un réel et antérieur, et l'autre représenté par l'image ; mais il n'y en a qu'un et dans la pensée et dans les noms et les honneurs ? ceux auxquels la faveur de l'adoption confère l'honneur de ce titre; mais de sa nature, fils unique de Dieu, Dieu lui-même, il n'est pas pour cela le premier Dieu, mais le premier et l'unique Fils de Dieu et Dieu pour cela même. Il est Dieu, parce qu'il est par sa nature le seul Fils de Dieu, qu'il est son Fils unique et qu'il conserve toujours en lui l'image vivante et intelligente du Dieu unique, semblable en tout à son Père et offrant la ressemblance de la substance divine. Ainsi donc, Fils unique et unique image de Dieu orné pour sa ressemblance des vertus de l'essence éternelle et sans principe du Père, et rendu une parfaite image par le Père, inventeur et auteur de la vie, rempli d'habileté et de sagesse, les Ecritures l'appellent Dieu ainsi que ceux qui ont été élevés par le Père à cet honneur, parce qu'il l'a reçu et ne le tient pas de lui-même. Car le Père donne et le Fils reçoit. Le Père est proprement le Dieu seul unique, et qui existe nécessairement sans devoir rien à d'autres, le Fils reçoit du Père l'honneur du second rang et d'être Dieu ; car il est image de Dieu, et une seule divinité les comprend l'un et l'autre; et ce Dieu étant unique qui existe par lui-même sans commencement et sans principe, et qui se reflète en son Fils comme en un miroir ou en une image. Tel est l'enseignement de l'oracle de l'Esprit quand il avance que celui qu'il offre à nos hommages n'est Dieu que parce que Dieu le Père habite en lui; car, dit-il, « ils le prieront parce que Dieu est en toi, et toi-même tu es Dieu, sauveur d'Israël, et par cela tu es un Dieu fort et caché parce que Dieu est en toi et qu'il n'est pas d'autre Dieu que lui. Au lieu de : L'Egypte a travaillé, l'hébreu et les autres interprètes disent : Le travail d'Egypte ; de sorte que ce passage devient alors : Le travail de l'Egypte et le commerce d'Ethiopie et les habitants de Séba. Sous ces noms le prophète désigne, je pense, spécialement quelques nations barbares et impies, et d'une manière générale toutes celles qui étaient asservies autrefois au joug du démon. Comme les Egyptiens furent le peuple le plus livré aux superstitions du paganisme, et qu'ils ont introduit les erreurs de l'idolâtrie, le prophète les soumet les premiers au Christ, et par leur entremise il abat devant la puissance de Dieu tout ce qui appartenait aux adorateurs des idoles, prédiction qui s'est accomplie en notre Sauveur et Seigneur, aux pieds duquel se prosterne une innombrable multitude chez toutes les nations de la terre. Or, ces Ethiopiens et ces peuples de Séba qui doivent adorer le Christ sont, à mon avis, les peuples que désigne le psaume LXXI. « Les Ethiopiens se prosterneront devant lui : les rois de l'Arabie et de Saba lui apporteront des présents, et l'adoreront » (Ps. LXXI, 9). Il est évident d'après le contraste que c'est le Christ annoncé en ce psaume qu'ils adoreront. [5,5] CHAPITRE V. DU PSAUME XXXIII. David a connu, comme nous, que le Verbe de Dieu qu'engendra ta volonté du Père, a créé le monde. Ce prophète annonce qu'il est envoyé par le Père pour guérir tes hommes, et qu'il remplira avec rapidité toute la terre de sa doctrine. « Les cieux ont été créés par la parole du Seigneur, et toute leur puissance par le souffle de sa bouche » (Ps. XXXII, 6) Il est dit aussi au CVIe psaume : « Il a envoyé sa parole et il les a guéris, et il les a retirés de leur mort » (Ps., CVI, 20), et au CXLVIIe : « II envoie sa parole, et sa parole parcourt la terre avec légèreté. » Or, à cette parole du psaume que nous considérons : « Les cieux ont été créés par la parole du Seigneur » est conforme au passage suivant de l'Evangile où il est dit sans mystère : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Il était en Dieu dès le commencement. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n'a été fait » (Jean, I, 1) C'est à juste litre que l'Evangile l'appelle Dieu, puisque d'après les paroles que nous avons citées, celui qui est ici nommé Dieu, est désigné comme Verbe, sagesse et Fils de Dieu, comme pontife, christ, roi, seigneur, Dieu et image de Dieu. Et parce que, autre que le Père, il a été le ministre des ordres que lui imposait ce Dieu si élevé au- dessus de lui, le psaume cité ajoute avec raison : « Que toute la terre craigne le Seigneur, que tous les habitants de l'univers tremblent devant lui; car il a dit, et la terre a été il a voulu et elle a été établie (Ps. XXXII, 8). » Il est clair, en effet, que celui qui dit à quelqu'un, que celui qui commande, commande à un ministre autre que lui-même ; il est évident encore qu'après l'incarnation de notre Sauveur, une innombrable multitude, au sein des nations de la terre, cessa de redouter les démons et ne craignit plus que le nom du Seigneur Jésus. Au nom de Christ tous les habitants de la terre tremblèrent, car le psaume avait dit: « Que toute la terre craigne le Seigneur; que tous les habitants de la terre tremblent devant lui. » Ces paroles sont tirées du psaume XXXIIe, auquel est entièrement conforme le CXLVIIIe où il est affirmé que non seulement la terre, mais encore les cieux, toute créature en un mot a été produite par l'ordre de Dieu. «Chantez le Seigneur, y est-il dit, dans les cieux ; chantez le Seigneur dès les hauteurs du firmament : Anges de Dieu, chantez le Seigneur; chantez-le, milices divines. Soleil et lune, louez le Seigneur. Astres de la nuit lumière du jour, chantez le Seigneur; car il a dit, et tout a été fait ; il a ordonné, et tout a été créé. » Mais s'il a commandé, qui a pu recevoir un ordre aussi sublime, sinon le Verbe de Dieu, celui qui dans le cours de cet ouvrage a été reconnu de diverses manières et proclamé Verbe de Dieu et à juste litre, puisque le Tout-Puissant lui a confié les secrets créateurs et formateurs du monde, en lui remettant de dispenser et de gouverner toute existence avec intelligence et ordre? et que l'on ne croie pas que la parole articulée, expression de la pensée de l'homme, formée d'un assemblage de lettres, de noms et de verbes soit semblable à la parole de Dieu composée de sons, de syllabes et du sens qui leur est attaché. Notre langage se manifeste au secours de la langue, des artères, du pharynx et de la bouche ; mais éternelle et immatérielle, bien supérieure en un mot à celle qui nous unit sur la terre, la parole de Dieu n'a rien d'humain et n'a que le nom de commun avec notre langage ; car il n'est pas permis de supposer en Dieu une voix qui s'étend par le mouvement de l'air, des paroles, des syllabes, une langue, une bouche ou quelques autres des moyens de la créature humaine et mortelle; un tel langage serait celui de l'intelligence qui ne peut pas sans elle être ni subsister par lui-même. Tel est celui de l'homme qui n'a en propre ni substance, ni existence, mais qui est un mouvement et une opération de l'intelligence. Mais la parole de Dieu a par elle-même une essence divine et intelligente dont l'existence est spéciale, dont l'efficacité est à part, qui est libre, spirituelle, incorporelle, semblable en tout a ce Dieu unique, principe de l'être, sans principe lui-même, et qui contient en elle-même les raisons de toutes les créatures et les types éternels et invisibles de toutes les choses visibles ; aussi les divines Écritures l'appellent-ellles la sagesse et le Verbe de Dieu. [5,6] CHAPITRE VI.. Isaïe, ainsi que David, reconnaît deux Seigneurs, dont le second est le Créateur du monde, comme nous le proclamons. Ecoutez-moi, Jacob, et toi, Israël, que j'appelle. Je suis le premier et je suis l'Eternel. Ma main a fondé la terre, et ma droite a étendu les cieux. Je les appellerai, et ils se lèveront ensemble; ils se rassembleront tous, et ils écouteront pour connaître celui qui leur a fait ces promesses (ls.. XLVIII, 14). Le Seigneur, qui t'aime, a accompli ta volonté sur Babylone, pour enlever la race des Chaldéens. J'ai parlé et j'ai appelé. Je l'ai amené, et j'ai aplani ses voies. Approches, écoutez-moi. Dès le commencement, je n'ai point parlé dans le secret; quand cela arrivait, j'étais auprès de vous, et maintenant le Seigneur Seigneur m'a envoyé, et son Esprit. Remarquez donc comment celui qui dit : Je suis le premier, et je suis celui qui a créé le ciel et la terre, reconnaît qu'il a été envoyé par le Seigneur, lorsqu'il appelle le Père deux fois Seigneur, comme il le fait ordinairement, afin que vous ayez ce témoignage incontestable de ce qui fait l'objet de vos recherches. Le prophète reconnaît que le Fils est le premier, mais des choses créées, n'attribuant qu'au Père l'essence suprême, sans principe ni commencement. En effet, ce qui est premier précède un nombre plus élevé, et est antérieur en ordre et en dignité. Ce qui ne saurait convenir au Père, car le souverain de l'univers n'est pas la première des créatures, puisqu'on ne saurait lui supposer un commencement; il est donc au-dessus de celui qui est le premier des autres êtres, puisqu'il l'a engendré et lui a donné se« attributs, et, Verbe de Dieu, seul il porte le titre de première créature. Que si l'on demande après ce passage : « Il a dit, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé, » à qui a été confiée l'œuvre de la création? il est clair maintenant que c'est à celui qui a dit : « Ma main a affermi la terre, et ma droite a étendu les cieux» (Ps. XXXII, 6), et qui reconnaît qu'il est envoyé par quelqu'un plus élevé que lui, quand il dit : « Le Seigneur Seigneur m'a envoyé, et son Esprit.» ?'est le Verbe de Dieu qui prononce ces paroles, puisque « les cieux ont été créés par la parole du Seigneur, » d'après le psaume cite. Or, si le Verbe de Dieu est honoré du nom de Seigneur, il appelle avec une religion profonde son père et son seigneur supérieur et préférable à lui- même, deux fois Seigneur, en se servant pour le désigner d'un nom différent. « Car, dit-il, le Seigneur Seigneur m'a envoyé. » En effet, c'est le Seigneur de toutes choses, du Verbe, son Fils unique et de ce qu'il a créé; et le Verbe de Dieu, qui a reçu de son Père la puissance et la domination secondaire sur les créatures, comme son Fils véritable et unique, peut recevoir le nom de second Seigneur d'une religion éclairée. [5,7] CHAPITRE VII. DE LA GENÈSE. Le plus grand des serviteurs de Dieu, Moïse, a connu dans la création du monde que le Père créateur et le Dieu du monde avait reçu un concours étranger dans la création de l'homme; or, nous avons reconnu précédemment que c'est le concours du Verbe divin. Dieu dit ensuite : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Gen., 1, 26). Plus loin Dieu dit aussi : Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide semblable à lui (Ib., II, 18). Afin que l'on ne vienne pas à croire que cette parole fut dite aux anges, l'historien nous montre aussitôt que celui qui reçut cet ordre ne fut pas un ange de Dieu, en disant : Et Dieu fit l'homme; il le fit à l'image de Dieu. [5,8] CHAPITRE VIII. DU MÊME LIVRE. Moïse lui-même reconnaît manifestement et sans voile l'existence de deux Seigneurs. Le soleil se leva sur la terre, et Loth entra dans Ségor, et le Seigneur fit tomber sur Sodome, par l'entremise du Seigneur, une pluie de soufre et de feu (Gen., XIX, 23). Il désigne ici un second Seigneur, qui reçoit de celui qui est au-dessus de lui l'ordre de sévir contre les impies. Or, si nous reconnaissons deux Seigneurs, nous sommes loin cependant de leur attribuer les mêmes qualités : par une religieuse distinction, nous croyons que le Père suprême est Dieu et Seigneur, et Seigneur et Dieu du second Seigneur, et que le Verbe de Dieu est le second Seigneur, le maître de tout ce qui est au-dessous de lui, non pas cependant d'une manière semblable à celui qui est supérieur : le Verbe de Dieu n'est pas le Seigneur du Père ni le Dieu du Père, mais son image, sa parole, sa sagesse et sa force: il n'est le Seigneur et le Dieu que des êtres inférieurs, mars le Père est le Père, le Seigneur et le Dieu du Fils. Ainsi ils tendent au même principe, et la doctrine sainte n'établit qu'un Dieu. [5,9] CHAPITRE IX. DU MÊME LIVRE. Ce fidèle adorateur de Dieu fait connaître que le Verbe de Dieu est celui qui est nommé plus haut Dieu et second Seigneur ; il raconte aussi qu'il s'est manifesté et a révélé ses volontés aux patriarches sous la forme et l'apparence humaines. « Le Seigneur apparut à Abraham et lui dit: « Je donnerai ce pays à votre race » (Genèse. XV, 18). Ailleurs : « Abraham entrait dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année lorsque le Seigneur lui apparut et lui dit : Je suis votre Dieu. Cherchez à me plaire, et devenez irréprochable; et je ferai alliance avec vous, et je multiplierai votre race à l'infini » (Id., XVII,1). Ailleurs encore : « Dieu lui apparut près du chêne de Mambré, lorsqu'il était assis à la porte de sa tente au milieu du jour. Abraham ayant levé les yeux, trois hommes apparurent devant lui ; aussitôt qu'il les eut aperçus, il courut de la porte de sa tente à leur rencontre, et les adora » (Id., XVIII, 1). Après le récit de la vision, l'historien continue : « Le Seigneur dit : Pourrais-je cacher à Abraham, mon serviteur, ce que je dois faire? Abraham doit être chef d'un peuple puissant et nombreux, et en lui seront bénies toutes les nations de la terre. » Le Seigneur ajoute à ces paroles, comme en parlant d'un autre: «Car je sais qu'il ordonnera à ses fils et à toute sa maison après lui de garder la voie du Seigneur, de suivre la justice et l'équité, afin que le Seigneur accomplisse ce qu'il lui a promis. » Telle est la promesse que le Seigneur fait à Abraham, et il y révèle un autre Seigneur, son Père assurément et le créateur de toutes choses. Or Abraham, qui comme prophète avait une connaissance claire de ce qui lui était prédit, supplie ceux que nous venons de désigner, et dit : « Perdrez-vous le juste avec l'impie, et le sort du juste serait-il celui de l'impie? S'il y a cinquante justes dans la ville, périront-ils? ou plutôt ne pardonnerez-vous pas à toute la ville en faveur des cinquante justes ? Sans doute vous êtes loin d'agir de la sorte, de perdre le juste avec l'impie, et de rendre le sort du juste semblable à celui de l'impie : vous qui jugez toute la terre, vous ne vendrez pas la justice. » Or, il n'est pas possible à mon avis de supposer qu'il tienne ce langage à un ange ou à quelque autre ministre du Très-Haut, car il n'est pas dans l'attribution du premier venu de juger la terre. Ce n'est donc pas un ange qui est désigné, mais un être supérieur, le Dieu et le Seigneur de l'ange, qui a été vu sous la figure d'un homme entre les deux anges, auprès du chêne indiqué. De plus, il n'est pas possible de supposer que ce soit le Dieu suprême qui est indiqué, puisqu'il est impie de dire que la Divinité s'est changée et a emprunté la forme et l'apparence humaines. Il faut donc avouer que ce personnage est le Verbe de Dieu dont précédemment nous avons établi la Divinité. Aussi aujourd'hui encore les habitants révèrent le lieu de l'apparition, à cause de la dignité de ceux qui s'y sont montrés à Abraham, et l'on y voit encore le térébinthe. Ces hôtes qu'Abraham accueillit, selon l'Ecriture, étaient disposés de manière que le plus élevé avait les honneurs de la place du milieu, et c'était assurément le Seigneur dont nous avons traité, notre Sauveur, et celui que vénèrent ceux qui ne le connaissent pas, en rendant témoignage à la vérité des Ecritures. Pour jeter parmi les hommes la semence de la vraie piété, il s'est montré au fidèle patriarche Abraham sous la forme et l'apparence humaines, et il lui a appris les projets de son Père. [5,10] CHAPITRE X. DU MÊME LIVRE. Le saint prophète a montré plus clairement à Jacob le Seigneur en question ; il le nomme Dieu, et l'ange du Dieu suprême. « Jacob alla à Haran, et il arriva en un lieu et il y dormit, car le soleil était couché. Il prit une des pierres qui étaient là, la pinça sous sa tête, et s'endormit dans ce lieu. Or, il eut un songe : une échelle était appuyée sur la terre, et sa tête touchait le ciel, et les anges de Dieu montaient et descendaient;... le Seigneur était appuyé sur elle, et dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père, et le Dieu d'Isaac : ne craignez pas. Cette terre sur laquelle vous dormez, je vous la donnerai à vous et à votre postérité. Votre race sera aussi nombreuse que le sable de la mer, et s'étendra jusqu'à la mer et l'orient, le septentrion et le midi; toutes les nations de la terre seront bénies en vous et en celui qui sortira de vous. Je suis avec vous, vous protégeant en cette route que vous parcourez, et je vous ramènerai en cette terre, car je ne vous abandonnerai pas que je n'aie accompli tout ce que je vous ai dit. Et Jacob s'éveilla et dit : Le Seigneur est en ce lieu, et je ne le savais pas. Il frémit et dit : Que ce lieu est terrible ! c'est assurément la maison de Dieu, et c'est là la porte du ciel. Le matin Jacob se leva; il prit la pierre qu'il avait placée sous sa tête, l'érigea en monument, et répandit de l'huile sur son sommet; et il donna à ce lieu le nom de Maison de Dieu » (Gen., XXVIII, 10). Ce Seigneur et Dieu qui parle aussi longuement au patriarche, plus loin vous trouvez que c'est l'ange de Dieu, alors que Jacob dit à ses femmes : « L'ange de Dieu m'a dit en mon sommeil : Jacob ! et je répondis: Qu'y a-t-il? » Et après quelques paroles : « J'ai vu, dit l'ange, les traitements que Laban vous inflige. Je suis le Dieu qui vous ai apparu au lieu où vous m'avez consacré une pierre, et où vous m'avez fait Jehova » (Gen., XXXI, 11 ). Ainsi donc, celui qui avait dit précédemment : « Je suis le Seigneur, le Dieu d'Abraham votre père, et le Dieu de Jacob, » celui à qui le fidèle serviteur a élevé un monument, était Dieu et Seigneur, car il faut croire à sa parole : non pas le Seigneur suprême, mais le second Seigneur, le ministre et l'envoyé du Père auprès des hommes ; aussi Jacob l'appelle-t-il l'ange en ce passage où il dit : « L'ange du Seigneur m'a dit en mon sommeil : Je suis le Dieu qui vous ai apparu, en ce lieu. » Ainsi donc, l'ange du Seigneur est nommé en ce récit et Dieu et Seigneur. Le prophète Isaïe l'appelle l'ange du grand conseil, Dieu, prince puissant, quand il prédit sa venue parmi les hommes, en disant : « Un enfant nous est né et un fils nous a été donné; il porte sur ses épaules le signe de sa domination, et il est appelé l'ange du grand conseil, le prince de paix, le Dieu fort, le puissant, le père du siècle à venir » (Isaïe, IX, 6). [5,11] CHAPITRE XI. Ainsi qu'Abraham, Jacob a vu celui dont nous avons parlé, le Dieu et le Seigneur, et l'ange de Dieu, sous la forme humaine, ainsi qu'en atteste le récit suivant : Or, Jacob s'étant levé de nuit, prit ses deux femmes, leurs deux servantes et ses onze enfants ; il passa le gué de Jaboc, prit ses biens, et fît passer tout ce qui lui appartenait. Jacob demeura seul, et un homme lutta contre lui jusqu'au matin (Gen. XXXII, 22). En voyant qu'il ne pouvait le terrasser, cet homme toucha le gras de la cuisse de Jacob, qui sécha dans la lutte, et il dit: Laissez-moi aller, car l'aurore apparaît. Jacob répondit : Je ne vous laisserai point aller que vous ne m'ayez béni. Cet homme lui demanda : Quel est votre nom? Jacob, dit-il. Et l'homme : Désormais on ne vous appellera plus Jacob, mais Israël ; puisque vous avez été fort contre Dieu, vous le serez aussi contre les hommes. Or, Jacob l'interrogea : Dites-moi quel est votre nom? et l'homme répondit : Pourquoi me le demandez-vous ? Et il le bénit en ce lieu. Jacob appela ce lieu la vision de Dieu ; car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée. Or, le soleil se leva à ses yeux, quand il eut quitté ce lieu. Il fut dit aussi à Moïse : « Personne ne me verra sans mourir » (Exode, XXXIII, 20 ). Ainsi Jacob vit Dieu, non pas simplement, mais face à face ; il fut conservé, non suivant le corps, mais suivant l'âme, et reçut le nom d'Israël, qui ne convient qu'à l'âme, puisque le nom d'Israël signifie celui qui voit Dieu. Mais il n'a pas vu le Dieu de l'univers qui est invisible et immuable, et ne saurait emprunter la forme humaine, supérieur qu'il est à toute essence. Donc ce fut un autre, et ce n'était pas le moment de révéler son nom à la curiosité de Jacob. En supposant que celui qui manifestait les prophéties aux vents fût un ange ou un de ces esprits divins qui habitent le ciel, on commettrait une erreur grossière. Cela résulte de ce qu'il est appelé Seigneur et Dieu. En effet, la divine Ecriture le nomme clairement Dieu et l'appelle Seigneur, l'honorant du titre formé des quatre lettres hébraïques, que les Juifs ne réunissent que pour former le nom ineffable et mystérieux de Dieu. Cela résulte aussi de ce que l'Ecriture veut indiquer des anges; elle les désigne avec clarté. Ainsi le Dieu et Seigneur, qui a parlé à Abraham, ne veut pas honorer les impies habitants de Sodome de sa présence, comme le marque la divine Ecriture. « Or, est-il dit, le Seigneur se retira après avoir parlé à Abraham. Les deux anges vinrent à Sodome sur le soir» (Gen., XIX, 1). Les anges de Dieu aussi vinrent au-devant de Jacob, et en les voyant il dit : «Voici le camp de Dieu, et il appela ce lieu les camps» (Ib., XXXII, 1). Ainsi, cet ami de Dieu discernait-il les visions, et il appelle ce lien les camps, parce qu'il y a vu le camp des anges. Mais quand il s'entretient avec Dieu, il nomme le lieu la vision de Dieu, en ajoutant : « J'ai vu le Seigneur face à face. » Si un ange apparaît à Moïse, la divine Écriture le témoigne et dit : « L'ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d'un feu au milieu d'un buisson » (Exode, III, 2). Or, lorsqu'elle parle de celui en qui résident la puissance et la connaissance de l'avenir, elle le nomme le Seigneur et Dieu, et jamais l'ange. De même, au passage de la mer Rouge, on distingue l'ange du Seigneur et le Seigneur lui-même, et dit : « L'ange du Seigneur, qui marchait devant le camp d'Israël, alla derrière les Hébreux, et avec lui la colonne de nuée passa derrière eux» (Exode, XIV, 19). Plus haut, Dieu annonçait ses oracles, caché sous la forme d'un homme ; maintenant c'est d'une nuée obscure. Il est dit plus plus bas : «Lorsque la veille du matin fut arrivée, le Seigneur regarda le camp des Égyptiens à travers la colonne de feu et de nuée » (Ibid., XIV, 24 ). Dans le désert, c'est voilé de ce nuage que Dieu parle à Moïse. Toutes les fois donc que l'Ecriture veut parler d'un ange, elle ne l'appelle ni Seigneur, ni Dieu, mais simplement ange. Mais a-t-elle à raconter une manifestation du Seigneur Dieu, elle le désigne sous ces titres mêmes. En appelant l'ange de Dieu le Seigneur et Dieu qui lutta contre Jacob, les expressions de la divine Ecriture nous font bien sentir que ce Seigneur et ce Dieu n'est pas le Dieu principe universel. Il y a donc un Seigneur Dieu après le Seigneur et le Dieu de toutes choses, et c'est le Verbe de Dieu engendré avant les siècles, supérieur à la nature angélique, mais inférieur à la cause première. [5,12] CHAPITRE XII. La même histoire de Jacob désigne encore le second Dieu. Or, Dieu dit à Jacob : « Levez-vous et montez à Bethel, et demeurez là pour y élever un autel au Dieu qui vous apparut quand vous fuyiez Esaü votre frère. Or, Jacob dit à sa famille (Gen., XXXV, 1) et à ceux qui l'accompagnaient : Rejetez les dieux étrangers qui sont au milieu de vous ; purifiez-vous, et changez vos vêtements. Levez-vous et montons à Bethel pour y faire un autel au Seigneur qui m'a exaucé au jour de la tribulation, qui m'a accompagné et qui m'a protégé en mon voyage. » Le Dieu du monde, l'Etre suprême, sans principe et invisible, qui répond à Jacob sans être vu et agit par sa vertu secrète, parle évidemment d'un autre Dieu, et dit : « Elevez un autel au Dieu qui vous apparut?. » Or, nous avons déjà établi suffisamment que c'est le Verbe de Dieu qui s'est manifesté à Jacob. [5,13] CHAPITRE XIII. DE L'EXODE. Le Dieu suprême, qui a manifesté ses volontés à Moïse par le ministère d'un ange, nous apprend lui-même qu'il s'est montré aux patriarches, non par un ange, mais par son propre fils. «Or, Moïse paissait les brebis de Jothor son beau-père, et il vint à la montagne de Dieu à Horeb, et l'ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d'un buisson embrasé » (Exode, III, 1). Et plus bas : «Lorsqu'il vit qu'il venait pour regarder, il l'appela du milieu du buisson en disant : Moïse, Moïse, n'approchez pas d'ici; ôtez votre chaussure, car la terre sur laquelle vous vous arrêtez est une terre sainte. » Après quelques autres paroles, le Seigneur lui dit : « Je suis celui qui suis. » Et encore : « Dieu s'adressa à Moïse et lui dit : Je suis le Seigneur qui apparut à Abraham, à Isaac et à Jacob, leur Dieu ; je ne leur ai point manifesté mon nom, et je ne leur ai point donné mon alliance. » De même dans les révélations faites aux prophètes qui ne vivaient pas au milieu des hommes, à Isaïe ou à Jérémie par exemple, et aux autres, un homme leur apparaissait, mais c'était Dieu qui parlait par sa bouche, comme par un instrument fidèle; et c'était tantôt la personne du Christ, tantôt celle de l'Esprit saint, tantôt encore celle du Dieu suprême, qui parlait par le prophète. Ainsi dans ce moment c'est par l'intermédiaire d'un ange que ce même Dieu adresse à Moïse les paroles citées. Voici le sens qu'il faut y attacher : A vous, prophètes, dont l'intelligence n'est pas assez développée et ne peut rien atteindre au-dessus de la vision des anges, je manifeste mon ange, et je ne vous révèle que mon nom. Je vous apprends que je suis celui qui suis, et que mon nom est le Seigneur. Mais à vos pères non seulement je l'ai fait connaître, je leur ai accordé davantage, je me suis offert à leurs yeux. Or, déjà il a été établi que ce n'est pas le Dieu créateur qui s'est manifesté à nos pères, lorsque nous avons démontré que le Seigneur et Dieu est nommé ange de Dieu. Comment donc celui qui est supérieur à tout et qui est le seul Dieu de l'univers peul-il dire qu'il a été vu de ses patriarches? Cette difficulté sera résolue si nous prenons le texte suivant ses termes propres ; car si les septante traduisent : J'ai apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob, dont je suis le Dieu, Aquila traduit ainsi : J'ai apparu à Abraham et à Jacob en un Dieu convenable. Ce passage établit donc que le Dieu unique et suprême n'a pas été vu en son essence; il ne s'est pas manifesté à nos pères comme à Moïse, par un ange, du milieu d'un buisson, ou du sein des flammes, mais en un Dieu convenable. Ainsi, par le moyen du Fils, le Père s'est montré aux patriarches selon ce que le Fils a dit dans l'Evangile : « Celui qui m'a vu a vu mon Père » (Jean. XIV, 9), car en lui et par lui se révélait la connaissance du Père. Lorsqu'il apparaissait comme le salut des hommes, il se montrait sous la forme humaine, et donnait ainsi à ses amis fidèles le gage de la rédemption générale qu'il devait opérer. Mais quand il sévit contre des impies et chassé l'orgueil de l'Égypte, ce n'est plus en un Dieu convenable qu'il apparaît, mais par un ange, ministre de ses vengeances, et sous l'apparence du feu et de la flamme, dont l'ardeur doit les dévorer comme des broussailles sauvages. Le buisson, dit-on, représente la féroce cruauté et la barbare corruption de ce peuple, et le feu la puissance vengeresse et répressive qui les a frappés. [5,14] CHAPITRE XIV. Le Verbe Dieu s'est manifesté au peuple sous la forme d'une nuée. comme autrefois aux patriarches, sous la forme de l'homme. Le Seigneur dit à Moïse : «Voici que je viens à vous dans une colonne de nuée, afin que le peuple m'entende vous parler et qu'il vous croit » (Exode). Et le reste : « Le Seigneur les précédait de jour dans une colonne de nuée pour leur montrer leur route, et de nuit dans une colonne de feu pour les éclairer » (Ibid., XIII, 21). Et encore : « Le Seigneur descendit en la colonne de nuée » (Ibid., XXXIII, 9). Et: « Lorsque Moïse fut entré dans le tabernacle, la colonne de nuée descendit et s'arrêta à la porte, et le Seigneur parla à Moïse. Tout le peuple vit la colonne de nuée s'arrêter à la porte du tabernacle, et tous se prosternèrent chacun à la porte de sa tente » (Ibidem). Le peuple voyait donc la colonne de nuée et on parlait à Moïse ; mais qui parlait ? Evidemment la colonne de nuée, qui avait apparu déjà aux patriarches sous la forme humaine. Et déjà il a été prouvé que ce n'était pas le Dieu suprême, mais le Christ, Verbe de Dieu. C'était lui qui avait emprunté cette manière de se montrer à Moïse et au peuple, pour frapper cette multitude qui n'aurait pu le reconnaître sous la forme humaine, comme le firent les patriarches, car il était réservé aux parfaits de prévoir sa manifestation en la chair qui devait avoir lieu, et à laquelle le peuple ne pouvait s'élever; aussi, pour lui imprimer une crainte et un effroi salutaire, tantôt il se montrait à eux comme une colonne de feu, tantôt comme une colonne de nuée, et de la même manière à Moïse à cause d'eux, afin de leur donner des lois entourées d'ombres et de mystères. [5,15] CHAPITRE XV. Ce ne fut pas un ange qui manifesta à Moïse les volontés de Dieu, mais un être supérieur à l'ange. Le Seigneur dit : «Voici que j'envoie mon ange devant vous, afin qu'il vous garde en route et qu'il vous introduise en la terre que je vous ai préparée. Respectez-le et écoutez sa voix, et ne le méprisez point, car il ne vous remettra pas vos offenses. En effet, mon nom est en lui » (Exode. XXIII, 20). Ailleurs le Seigneur dit à Moïse : « Allez, conduisez ce peuple où je vous ai dit; voici que mon ange marchera devant vous ». Et encore : « Le Seigneur dit à Moïse : Allez ; sortez de ce lieu vous et le peuple, etc. J'enverrai mon ange devant vous » (ibid., XXXIII, 1). Il est évident que ces paroles ne peuvent pas venir d'un ange, mais de Dieu seul ; mais de quel Dieu, sinon de celui qui s'est montré aux patriarches, et que Jacob appelle l'ange de Dieu? Il est pour nous le Verbe de Dieu, car il est appelé le Fils de Dieu, Dieu et Seigneur lui-même. [5,16] CHAPITRE XVI. Le même Seigneur nous révèle encore un autre Seigneur. « Je suis le Soigneur votre Dieu qui vous ai tiré de la terre d'Égypte, de la maison de servitude; vous n'aurez point d'autres dieux que moi, etc., car je suis le Seigneur voire Dieu, le Dieu jaloux » ( Exode, XX, 2). Il ajoute : «Vous ne prendrez pas le nom du Seigneur votre Dieu en vain, car le Seigneur ne regardera pas comme innocent celui qui prendra son nom en vain » (Ibid., 5 ). Ici encore le Seigneur fait connaître ces vérités au sujet d'un autre Seigneur. En effet, après avoir dit: Je suis le Seigneur votre Dieu, il ajoute : Vous ne prendrez pas en vain le nom du Seigneur. Ainsi, le second Seigneur votre Dieu initie son peuple aux mystères du Père et du Dieu de tout ce qui existe. Vous trouverez mille autres passages dans les saintes lettres, où, comme en celui-ci, Dieu parle en ses révélations comme d'un autre Dieu, et le Seigneur comme d'un autre Seigneur. [5,17] CHAPITRE XVII. Dans ses communications avec Moise, ce même Seigneur reconnaît un autre Seigneur bien supérieur à lui, son Père, qu'il appelle le vrai Dieu. Et le Seigneur dit à Moïse : « Je ferai encore ce quo vous m'avez demandé, car vous avez trouvé grâce devant moi, et je vous ai distingué d'entre tous » (Exode, XXXIII, 18). Et Moïse dit : « Montrez-moi votre gloire ; » et le Seigneur dit ; « Je ferai passer ma gloire devant vous, et j'appellerai en mon nom le Seigneur devant vous et je ferai grâce à qui je voudrai, et miséricorde à qui il me plaira. » Après d'autres paroles, l'historie continue (Ibid., XXXIV, 5) : « Le Seigneur descendit dans la nuée, et se présenta à Moïse en ce lieu, et lui parla au nom du Seigneur, et le Seigneur lui-même passa en son nom, et dit : Seigneur, Seigneur, Dieu clément et miséricordieux, patient, riche en miséricorde, véritable et juste, qui conservez votre miséricorde jusqu'à mille générations, et qui effacez l'iniquité, l'injustice et le péché, il ne purifiera pas le pécheur et punira les crimes du père sur les enfants, et sur les enfants des enfants, jusqu'à la troisième et à la quatrième génération. Et Moïse se hâta de se prosterner à terre et de l'adorer. » Remarquez donc comment le Seigneur, qui est descendu en la nuée et s'est offert à Moïse au nom du Seigneur, reconnaît un être au-dessus de lui-même, le Père, que, par une répétition ordinaire, il appelle deux fois Seigneur, comme étant son Seigneur et celui du monde; et que ce n'est pas Moïse, comme on pourrait le supposer, mais le Seigneur qui appelle l'autre Seigneur son Père. Celui qui répond le premier à Moïse dit : « Je ferai passer ma gloire devant vous, et j'appellerai au nom du Seigneur. » Après avoir dit ces paroles, l'Ecriture raconte que le Seigneur descendit dans la nuée et se fit voir à Moïse en ce lieu, et lui parla au nom du Seigneur. Aussi le Seigneur, au moment d'accomplir sa promesse, descend sur la terre, et, suivant le texte sacré, passe devant la face de Moïse, et le même Seigneur invoque et dit : « Seigneur, Dieu clément et miséricordieux, » et le reste. Par ces paroles, le Seigneur initie son serviteur à la connaissance de ses mystères et de ceux du Seigneur plus élevés que lui. Moïse en donne une preuve indubitable, lorsqu'en sa prière pour le peuple il répéta ces paroles que nous avons citées comme proférées par le Seigneur, et ne venant pas de lui-même, quand il dit : « Et maintenant. Seigneur, que votre main soit glorifiée, ainsi que vous avez dit : le Seigneur est patient, riche en miséricorde, et véritable ; il efface l'iniquité, l'injustice et le péché; il ne purifiera pas le pécheur et punira les crimes des pères sur les ennemis, jusqu'à la troisième et à la quatrième génération. » Or, remarquez comment le Seigneur, qui appelle ici son père patient et riche en miséricorde, ajoute qu'il est véritable, conformément à ce qui a été dit dans l'Evangile par le même Seigneur notre Sauveur : « afin qu'ils vous connaissent, vous qui êtes le seul vrai Dieu » (Jean, XVII, 3). Dans sa religion profonde, il appelle donc son Père seul vrai Dieu, et c'est avec justice et religion qu'il rend cet honneur à l'essence éternelle, dont il n'est lui-même que l'image et le Fils, comme l'enseignent les saintes Ecritures. [5,18] CHAPITRE XVIII. EXTRAIT DES NOMBRES. La sainte Ecriture fait connaître que Dieu est visible à Israël et désigne ainsi le Verbe de Dieu. Moïse dit en sa prière : « Seigneur, vous êtes le Seigneur de ce peuple, et vous apparaissez d'une manière semblable à ses yeux » (Nombr. XIV, 14 ). Aquila traduit autrement : « Vous êtes, Seigneur, dans les entrailles de ce peuple, et vous voyez face à face, Seigneur. » Symmaque met : « Parce que vous êtes Seigneur. » II est dit dans l'Exode : « Et Moïse, Aaron, Nadab, Abiud et les soixante-dix anciens d'Israël montèrent et virent le lieu où s'était arrêté le Dieu d'Israël » (Exode, XXIII, 9). Aquila dit au contraire : « Ils virent le Dieu d'Israël; » et Symmaque : « Ils virent dans une vision le Dieu d'Israël. » Peut-être que cette autre parole des saints livres : « Personne n'a jamais vu Dieu ». (Jean, 1,18), fera croire que le passage que nous citons est contraire à l'Evangile, puisqu'elle ferait visible celui qui est invisible; mais si vous songez que ce passage ne se rapporte qu'au Verbe de Dieu, qui s'est manifesté aux patriarches en diverses occasions et de diverses manières, ainsi que nous l'avons établi, ils ne sembleront plus tomber en contradiction ; ils enseignent que le Dieu d'Israël, qui s'offrit ici aux regards, est celui qui apparut à Israël lui-même lorsqu'un homme lutta contre lui, et changea son nom de Jacob en celui d'Israël, « parce que, dit-il, tu as été fort contre le Seigneur (Gen., XXXII, 22). » Alors Jacob, rempli de respect pour la puissance divine de son agresseur, appela ce lieu la vision de Dieu, disant : « J'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée.» Or, nous avons établi en son lieu qu'il s'agit en ce moment du Verbe de Dieu. [5,19] CHAPITRE XIX. DE JESUS, FILS DE NAVÉ. Le Verbe Dieu, qui se révélait à Moïse comme aux patriarches, s'est montré aussi sous la forme humaine à Jésus, successeur de Moïse. Comme Jésus était auprès de Jéricho, il leva les yeux, et vit un homme debout devant lui, tenant une épée nue ; et Jésus alla vers lui et dit : « Etes-vous de nous ou de nos ennemis? » II répondit : « Chef de l'armée du Seigneur, je viens à vous; » et Jésus tomba prosterné contre terre, et dit : « Seigneur, qu'ordonnez-vous à votre serviteur. » Et le chef des armées du Seigneur lui dit : « Jésus, ôtez la chaussure de vos pieds, car le lieu où vous êtes est saint ». (Josué, V, 6). Ce sont là les paroles que le Seigneur dit du milieu du buisson à Moïse au commencement de la vision, selon ce que rapporte l'Ecriture. « Lorsque le Seigneur vit qu'il s'approchait pour regarder, le Seigneur l'appela du milieu du buisson, en disant : « Moïse, Moïse, n'approchez pas d'ici ; ôtez la chaussure de vos pieds, car la terre sur laquelle vous vous trouvez est une terre sainte » (Exode, III, 4). Ce fut donc le même Dieu qui se manifesta à l'un et à l'autre, comme le montre l'ordre qu'il leur intime ; mais il se montre ici par le prince de ses armées, tandis qu'il se manifeste à Moïse par l'ange qui a été vu. Ces puissances célestes, ces armées qui dominent les cieux, ces esprits invisibles, ces anges divins et ces archanges, ministres fidèles du Dieu roi et souverain de tout ce qui existe, suivant ces paroles de Daniel « Mille millions le servaient, et dix mille millions étaient devant lui » (Dan., VII, 10), qu'ont-ils pour prince, sinon le Verbe Dieu, la sagesse, le premier-né du Père, et le fruit de la fécondité divine? Il est nommé justement le prince des puissances du Seigneur, comme ailleurs ange du grand conseil, assesseur du Père et pontife éternel ; il a été établi encore qu'il est Seigneur, Dieu lui-même et Christ comme oint de l'huile d'allégresse par son Père. Il apparut à Abraham, près du chêne, sous la forme d'un homme, avec un extérieur tranquille et paisible, en préludant dès lors à son avènement salutaire ; à Jacob, athlète qui allait lutter et combattre contre ses ennemis, c'est comme un homme qu'il se montre. II conduit Moïse et le peuple sous la forme de la nuée et du feu, et se montre terrible et voilé aux regards ; mais comme Jésus, le successeur de Moïse, doit attaquer les nations qui occupaient la Palestine, nations impies et d'origines différentes, il se manifeste armé d'un glaive nu et aiguisé contre les ennemis des Juifs, sans doute afin de faire comprendre par cette vision qu'il marchait contre les impies armé du glaive invisible de la puissance divine, en combattant avec son peuple et en lui portant secours. Il dut donc s'appeler le chef des armées du Seigneur. [5,20] CHAPITRE XX. DE JOB. Le Verbe Dieu, ordonnateur du monde, a parlé à Job, et s'est offert à lui comme aux patriarches, sous une forme sensible. Dieu, répondant à Job du milieu d'un tourbillon et des nuées, lui dit : « Où étais-tu, quand je jetais les fondements de la terre? Réponds-moi, si tu as l'intelligence. Qui en a établi les mesures, le sais-tu? etc. Lors, dit- il, que les astres furent créés, tous mes anges me louèrent avec éclat. J'ai renfermé la mer en ses digues, etc. Est-ce de tes jours que j'ai formé la lumière du malin, que Lucifer a connu sa route? » Et encore : « Est-ce toi qui as formé une créature vivante de la boue de la terre, et qui l'as établie sur la terre avec le don de la parole? As-tu ôté la lumière aux méchants? As-tu brisé le bras des superbes ? As-tu pénétré à la source des mers ? as-tu marché dans le sein de l'abîme? Les portes de la mort se sont-elles ouvertes devant toi par respect? Les portiers d'enfer ont-ils frémi à ta vue » (Job, XXXVIII, 1)? A la fin de ce discours du Seigneur, Job répond : « Ecoutez-moi, Seigneur, et je parlerai. Je vous interrogerai, instruisez-moi. Mes oreilles vous avaient entendu parler autrefois, et maintenant mes yeux vous voient; aussi me suis-je humilié et anéanti, et je me répute cendre et poussière » (XLII, 4). De ce qui vient d'être exposé et de ce que vous pouvez entrevoir vous-même, il sera facile de conclure que ces paroles sont du Seigneur ordonnateur de toutes choses. Quand le Seigneur dit : « As- tu pénétré la source de la mer? As-tu marché dans le sein de l'abime? » Et : « Les portes de la mort se sont-elles ouvertes devant loi par respect, et les portiers d'enfer ont-ils frémi à ta vue? » Nous montrerons qu'il prédit la descente du Sauveur aux enfers. Nous remarquerons seulement que ces paroles se rapportent plutôt au Verbe Dieu qu'au Dieu de toutes choses. Job affirme donc que de même que les patriarches il a vu de ses propres jeux le Seigneur, qui lui parlait du milieu des nuées et du tourbillon. Il dit : « Ecoutez-moi, Seigneur, et je parlerai. Je vous interrogerai, instruisez-moi. Mes oreilles vous avaient entendu parler autrefois, maintenant mes yeux vous voient ; aussi me suis-je humilié et anéanti; et je me répute cendre et poussière. » Comment l'âme, sous l'enveloppe du corps, et les yeux d'un mortel auraient-ils vu le Dieu suprême, celui qui domine toute existence, la substance immuable et sans principe ; s'il ne s'agit pas ici du Verbe Dieu reconnu Seigneur, et qui abaisse sa grandeur : c'est ce qu'il est facile de reconnaître d'après ces paroles de l'entretien qu'il a avec Job, où il parle du démon comme d'un dragon, et dit : Tu ne crains pas, parce qu'il m'est préparé. Or, pour quel Seigneur serait préparé ce dragon, s'il ne l'était pour le Verbe Dieu et notre Sauveur, qui, après avoir détruit les douleurs de la mort, a vaincu le prince dont le pouvoir s'appesantissait sur les hommes ? Lui-même il nous l'apprend, quand il dit : « As-tu pénétré à la source des mers ? As-tu marché dans les profondeurs de l'abîme? Les portes de la mort se sont-elles ouverte« devant toi par respect? les portiers d'enfer ont-ils frémi à ta vue? » Telles sont les paroles que le Seigneur adressa à Job en récompense de sa grande tribulation et des assauts qu'il essaya; il lui apprit ainsi qu'il n'avait éprouvé qu'une partie de l'attaque, tandis que le fort de la lutte et du combat lui était réservé pour le jour où il descendrait sur la terre, afin de mourir. [5,21] CHAPITRE XXI. DC PSAUME XC. Ce psaume indique aussi l'existence de deux Seigneurs. « Seigneur, mon espérance, parce que vous avez pris le Très-Haut pour votre demeure, le mal n'approchera pas de vous, et les fléaux s'éloigneront de votre tente, car le Seigneur a ordonné à ses anges de vous garder ; ils vous porteront en leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre. Vous marcherez sur l'aspic, vous foulerez aux pieds le lion et le dragon » (Ps. XC, 9). Ce sont les paroles que le diable cita dans la tentation qu'il fit essuyer à notre Sauveur. Observez comment le psalmiste dit au Seigneur lui-même : « Seigneur, mon espérance, parce que vous avez pris le Très-Haut pour votre demeure; » car vous, Seigneur, dit-il, ô mon espérance! vous avez pris pour votre demeure relui qui est plus élevé que vous : le Dieu Très-Haut, au-dessus de toutes choses et votre Père. Aussi le mal n'approchera pas de vous, mon Seigneur, et les fléaux s'éloigneront de votre tente; car, bien que des impies s'efforceront de vous déchirer de coups de fouets et de vous mettre à mort, cependant le fouet de Dieu n'approchera pas de votre tente, c'est-à-dire de votre corps, dont vous vous êtes revêtu pour nous à votre incarnation. » Vous pouvez lui rapporter aussi tout ce que contient encore ce psaume, sur lequel nous reviendrons en son temps. [5,22] CHAPITRE XXII. D'OSÉE. Le Dieu Verbe, et le Père Seigneur. « Je cesserai de détruire Jacob parce qu'au milieu de vous je suis Dieu et non un homme saint ; je n'entrerai pas dans la ville, je suivrai le Seigneur » (Osée, XI, 10). Par ces paroles le Verbe Dieu fait homme dit aux hommes qui le regardaient comme un saint, mais non pas comme Dieu : « Je suis Dieu et non pas homme saint. » Après avoir déclaré sa divinité, il désigna l'Etre suprême, Seigneur, Dieu et son Père, en disant : « Je suivrai le Seigneur. » Ces paroles : « Je n'entrerai pas dans la ville » sont de celui qui évitait les usages et les coutumes de la société humaine, dont il détourna ses disciples en disant (Matth., X, 5) : « Ne suivez pas la route des nations, et n'entrez pas dans les villes des Samaritains. » [5,23] CHAPITRE XXIII. D'AMOS. Notre Sauveur est Seigneur ; le Père est Dieu; la ruine de la nation juive. «Je vous ai détruits (Amos, X, 11), comme Dieu à détruit Sodome et Gomorrhe, et vous êtes devenus comme un tison arraché du feu, et alors même vous n'êtes pas revenus à moi, dit le Seigneur; » et en ce passage le Seigneur dit que Dieu a consommé la ruine de Sodome, lui-même n'étant autre assurément que celui qu'il désigne. Dans la destruction de cette ville apparaissent deux Seigneurs, alors que le Seigneur fait descendre le feu du Seigneur sur Sodome et Gomorrhe. Les maux que Sodome a essuyés en punition de ses impiété» affreuses, vous les souffrirez vous-mêmes, dit le Seigneur, et alors même vous n'êtes pas revenus à moi. L'usage de l'Ecriture est de prendre le futur pour le passé. Au lieu du futur je détruirai, il faut donc comprendre en ce passage le passé, j'ai détruit; au lieu de vous reviendrez, il faut entendre vous êtes revenus. Ces malédictions proférées contre la nation juive ne se sont accomplies qu'après son attentat contre notre Sauveur. Ce lieu saint et sacré autrefois a été réduit à ne différer en rien de Sodome détruite. Malgré l'accomplissement rigoureux de la prophétie, cependant, jusqu'à ce jour, ils ne se sont pas tournés vers le Christ de Dieu à l'occasion duquel ils ont souffert ces maux, et cet oracle s'exécute entièrement : « et cependant vous n'êtes pas revenus à moi, dit le Seigneur.» [5,24] CHAPITRE XXIV. D'ADDIAS. Deux Seigneurs, le Père et le Fils ; la vocation des Gentils. Voici ce que le Seigneur dil à l'Idumée« (Abdias, 11) : « J'ai ouï l'ordre du Seigneur ; il a envoyé un rempart aux nations. Le Seigneur Dieu a reçu un ordre, cet ordre se rapportait à la vocation des Gentils. » [5,25] CHAPITRE XXV. DE ZACHARIE. Le Verbe Dieu étant Seigneur reconnaît qu'il est l'envoyé d'un Seigneur au-dessus de lui-même. Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant (Zach., II, 8) : « Après la gloire, le Seigneur m'a envoyé vers les nations qui vous ont dépouillés. » Il ajoute après quelques autres paroles : « Et vous saurez que le Seigneur tout-puissant m'a envoyé. » S'il y a un Seigneur tout-puissant qui envoie, et un Seigneur qui se reconnaît envoyé, il y a donc deux Seigneurs. Or, celui qui est envoyé dit clairement : « Le Seigneur tout-puissant m'a envoyé vers les nations. » [5,26] CHAPITRE XXVI. DU MÊME. La vocation des Gentils. « Réjouis-toi et tressaille d'allégresse, fille de Sion, car voici que je viens vers toi, et j'habiterai en ton sein, dit le Seigneur (Zach., VIII, 10). Et les nations viendront en foule vers le Seigneur en ce jour. Elles seront son peuple, el j'habiterai au milieu de toi, et tu sauras que le Seigneur tout-puissant m'a envoyé vers toi, » etc. Le prophète ajoute, entre autres choses: «Je les fortifierai dans le Seigneur leur Dieu, et ils se glorifieront en son nom,» dit le Seigneur (Ibid., X,12). Ces dernières paroles, conformes aux premières, indiquent ouvertement l'avènement du Christ parmi les hommes, et le salut que son appel procurera. Moi, dit-il, le Seigneur, je viendrai, et à ma présence, ce ne sera pas seulement l'antique Israël, ni une seule nation de la terre, mais les peuples du monde qui accourront vers le Seigneur suprême et tout-puissant, mon Dieu et celui de toute créature, et leur empressement sera pour eux la source de si grands bienfaits qu'ils deviendront et seront nommés le peuple de Dieu, et qu'ils habiteront au milieu de celle que l'on nomme la fille de Sion (c'est ainsi que les saintes lettres se plaisent à nommer l'Eglise de Dieu sur la terre comme étant la fille de l'Eglise du ciel). » Et pour la bonne nouvelle qu'il iui apporte : « Réjouis-loi, dit-il, et tressaille d'allégresse, fille de Sion, parce que voici que je viens et que j'habiterai en ton sein. » Or, nous voyons aussi que le Verbe Dieu habite au sein de l'Eglise; il nous l'a promis lui-même : «Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (Matth., XXVIII, 20), lorsque deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux (Id., XVIII, 20), et lors, dit-il, que moi, le Seigneur, je serai venu habiter au milieu de vous, vous aurez une plus parfaite connaissance du Dieu tout-puissant, tandis que moi, le Seigneur, je rapporterai la cause de ma venue parmi les hommes au Père qui m'a envoyé. Or, vous connaîtrez que le Seigneur tout-puissant m'a envoyé vers vous.» Puis le Seigneur parle ainsi d'un autre Seigneur Dieu : « Et je les fortifierai dans le Seigneur leur Dieu et ils se glorifieront en son nom, dit le Seigneur.» Mais quels sont ceux qui doivent se glorifier dans le Seigneur ? [5,27] CHAPITRE XXVII. Le Seigneur parle d'un autre Seigneur qui évidemment est son Père. Et le Seigneur me montra Jésus, le grand prêtre, debout devant l'ange du Seigneur, et Satan était à sa droite pour s'opposer à lui et le Seigneur dit à Satan : «Que le Seigneur te réprime, Satan, que le Seigneur qui a choisi Jérusalem te réprime. » Là encore le Seigneur dit qu'un autre Seigneur réprimera Satan ; il ne réprime pas lui-même, mais il indique un autre Seigneur. Or, ce me semble, ces paroles établissent avec clarté deux Seigneurs, l'un Père et Seigneur du monde, l'autre qui a reçu du Père la puissance et là domination sur toute existence créée. [5,28] CHAPITRE XXVIII. DE MALACHIE. Le Dieu tout-puissant appelle le Christ et Seigneur, ange du testament. « Voici que j'envoie mon ange, et il préparera la voie devant ma face (Mal., III,1), et soudain viendra dans son temple le Seigneur que vous cherchez et l'ange du testament que vous désirez. Voici qu'il vient, dit le Seigneur tout-puissant, et qui soutiendra le jour de son avènement ? » Ces paroles sont conformes aux précédentes : « Le Seigneur Dieu tout-puissant dit que le Seigneur va venir en son temple.» Il parle d'un autre Seigneur, et désigne le Verbe Dieu. Puis il nomme ange du testament celui que le Seigneur tout-puissant envoie devant sa face : « Voici que j'envoie mon ange devant ma face. » S'il l'appelle mon ange, il le nomme aussi Seigneur : « Et soudain viendra le Seigneur et l'ange du testament. » Après avoir désigné cet envoyé unique, il continue : « Voici qu'il vient, qui soutiendra le jour de son avènement,» et désigne ainsi son second avènement dans la gloire. Celui qui fait ces révélations, c'est le Seigneur tout-puissant, le Dieu de toutes choses. [5,29] CHAPITRE XXIX. Le Dieu de l'univers appelle le Christ soleil de justice. «Sur ceux qui craignent mon nom se lèvera le soleil de justice, et le salut sera à l'ombre de ses ailes» (Malach., IV, 2). Celui que nous avons vu nommer tour à tour Seigneur, Dieu, ange, chef des armées, Christ pontife, Verbe, sagesse et image de Dieu, reçoit maintenant le nom de soleil de justice. Le Père qui l'a engendré annonce qu'il le fera lever, non sur tous, mais sur ceux qui craignent son nom, en leur donnant pour récompense de leur crainte la lumière du soleil de justice. Or, le soleil est le verbe Dieu qui dit lui-même : «Je suis la lumière du monde » (Jean, VIII, 12) C'est cette lumière qui éclaire tout homme qui vient au monde. Dieu dit donc que le soleil, non pas cet astre matériel dont l'éclat se reflète sur les créatures inintelligentes ou irraisonnables, mais le soleil divin et spirituel, la source de toute vertu et de toute justice, doit se lever sur ceux qui le craignent; il le cache aux impies, dont il dit ailleurs : « Le soleil s'obscurcira sur les prophètes qui trompent mes peuples » (Mich., III, 6). [5,30] CHAPITRE XXX. DE JÉRÉMIE. Le Verbe Dieu et Seigneur adresse au Seigneur son Père une prière, dans laquelle il prédit la conversion des nations. « Seigneur, ma force et mon courage, mon refuge au jour de la tribulation, les nations viendront à vous des extrémités de la terre, diront : Vraiment nos pères ont possédé des idoles mensongères en qui il n'y a pas de secours. L'homme se ferait-il des dieux ? Sont-ce là des dieux? C'est pourquoi voici que je leur montrerai maintenant ma main; je leur manifesterai ma puissance, et ils sauront que je suis le Seigneur. » Le Seigneur prie donc un autre Seigneur, le père et le Dieu de l'univers, quand il dit au commencement de ce passage (Jérém., XVI, 19) : «Seigneur, ma force, etc.» Le prophète annonce clairement l'abandon que les Gentils feront des errements de l'idolâtrie pour retourner au culte de Dieu : cette prédiction s'est accomplie après l'avènement de Jésus- Christ notre Sauveur. Puis donc que par trente extraits des prophéties nous avons reconnu que notre Sauveur et Seigneur le Verbe de Dieu est le second Dieu qui suit le Dieu suprême et tout-puissant, il faut maintenant établir un autre de ses caractères, et montrer, par les livres sacrés des Hébreux, que ce même Dieu devait venir au milieu des hommes.