Livre LXXIX (fragments). An de Rome 971. Antonin Elagabale et Octvaius Adventu consuls. 1. Avitus, qu'on I'appelle, soit faux Antonin, soit Assyrien, ou encore Sardanapale et Tibérien (car il reçut aussi ce dernier nom après que son cadavre eut été jeté dans le Tibre) , {Avitus, à la suite de sa victoire, entra. le lendemain à Antioche, après avoir promis cinq cents drachmes aux soldats qui I'entouraient, afin qu'ils ne pillassent pas la ville, ce dont ils avaient grande envie, somme qu'il leva, cela va sans dire, sur le peuple; il écrivit aussi à Rome une lettre où, entre autres choses appropriées aux circonstances, il prodiguait les invectives à Macrin sur Fobscurit6 de sa naissance et sur sa conspiration contre Antonin (à ses autres reproches il ajoutait le suivant : "Un homme à qui il n'était pas permis d'entrer dans l'assemblée du sénat après la proclamation qui en écarte tous ceux qui ne sont pas sénateurs, a osé assassiner traîtreusement l'empereur dont la garde lui était confiée, afin de s'emparer du pouvoir et se faire empereur avant d'être sénateur)" ; où il prodiguait sur son propre compte les promesses, non seulement aux soldats, mais au sénat et au peuple (il prétendait se conduire absolument en tout d'après I'exemple d'Auguste, dont il comparait I'âge au sien, et d'après l'exemple de Marc-Antonin) ; il écrivit encore ces paroles, où il faisait allusion aux critiques publiées contre lui par Macrin : "Il a essayé de critiquer mon âge, lui qui a nommé empereur son fils âgé de cinq ans." 2. Tel fut son message au sénat. Il expédia à cette compagnie, il expédia aux légions, un mémoire sur ce qui s'était passé parmi les soldats, ainsi que la lettre écrite à Maximus par Macrin, afin d'exciter par là davantage encore la haine pour la mémoire de Macrin et l'amour pour sa propre personne. Dans sa lettre au sénat et dans son adresse au peuple, il prit les titres d'empereur, de César, de fils d'Antonin, de petit-fils de Sévère, de Pieux, d'Heureux, d'Auguste, de proconsul, de prince ayant la puissance tribunitienne . . . . . . . (fragments en grec) il le mit au rang des consulaires, et lui enjoignit, dans le cas où il rencontrerait quelque résistance, d'avoir recours au bras des soldats ; aussi fut-elle lue en entier, malgré le mauvais vouloir . . . . . . . . . . . . . . contraints par la nécessité qui les pressait, ils ne purent rien faire en vue de leur dignité ni de leurs intérêts ; ils furent frappés de terreur et rendirent le décret ; Macrin, qu'ils avaient comblé d'éloges, ils I'accablèrent d'insultes, comme un ennemi public, lui et son fils ; et Tarautas, que mainte fois ils avaient voulu déclarer ennemi, ils le glorifiaient alors, et.faisaient des voeux pour que son fils lui ressemblât. (fragments en grec) ayant fait un acte digne d'un bon empereur, un grand nombre de particuliers, en effet, de peuples et de Romains, en effet, de peuples et de Romains . . . . . . . . . . } ayant, comme hommes privés et comme hommes publics, ainsi que le firent connaître les lettres de Macrin, commis en paroles et en actions une foule d'outrages tels envers CaracalIus} et envers lui-même, {il déclara qu'il ne punirait}, et il ne punit on effet, qui que ce fût ; bien que. dans tout le reste de sa conduite, il ait poussé la débauche, l'injustice et la cruauté à un tel excès que {certains usages tout à fait inconnus à Rome y furent pratiqués comme venant do nos ancêtres, et que les crimes: commis isolément par d'autres en divers endroits} s'y maintinrent florissants pendant les trois ans neuf mois quatre jours que dura son règne, compté de la bataille qui le mit en possession du souverain pouvoir. {Il versa le sang, en Syrie, de Nestor, et de Fabius Agrippinus, gouverneur de cette province, ainsi que celui des principaux chevaliers qui entouraient Macrin ; chose qu'il fit aussi à Rome pour ceux qui étaient le plus attachés à la cause de ce prince ; en Arabie, celui de Picas Caerianus, à qui était confiée l'administration de cette contrée, parce qu'il ne s'était pas sur-le-champ rangé à son parti ; en Cypre, celui de Claudius Attalus, ancien gouverneur de la Thrace, chassé du sénat par Sévère, au temps de la guerre contre Niger, rétabli par Tarautas dans sa dignité, et mis par le sort à la tête de la province de Cypre, parce qu'il avait offensé Comazon ; en effet, lorsque jadis celui-ci servait en Thrace, Attalus I'avait, pour cause d'infraction à son devoir, relégué parmi les rameurs.} 4. Avec ce caractère, Comazon (c'était un nom qu'il avait mérité comme mime et comme bouffon), eut le commandement des prétoriens, bien que n'ayant à aucun titre exercé aucune charge de procurateur ou de préfet, sinon de préfet de camp ; {Il reçut Ies ornements consulaires,} et il fut ensuite consul ; (il fut aussi préfet urbain} non pas une fois seulement, mais une deuxième et une troisième fois ce qui n'a jamais eu lieu pour personne ; aussi ce fait sera-t-il compté au nombre des actes les plus illégaux. {Attalus donc fut mis à mort à cause de Comazon ; quant à Triecianus, ce fut à cause des Albaniens qu'il commandait sévèrement sous Macrin, et aussi parce qu'il était homme d'action, et qu'il était connu d'un grand nombre de soldats tant à cause des charges qu'il avait exercées qu'à cause de son intimité avec Antonin ; ce qui lui avait valu d'être, après mûre réflexion, envoyé en avant par Macrin en Bithynie, où il avait établi sa résidence. Le faux Antonin mit donc à mort Attalus, bien qu'il eût écrit au sénat à son sujet qu'il l'avait rappelé à Rome d'où il avait été, ainsi que Julius Asper, éloigné par Macrin, et Sylla, ancien gouverneur de la Cappadoce, bien qu'alors parti de cette province, parce qu'il se mêlait à certaines intrigues et parce que, mandé par lui à Rome, il était allé au-devant des soldats gaulois retournant dans leurs foyers après avoir passé l'hiver en Bithynie, où ils avaient excité un certain trouble. Ces deux personnages périrent pour ces motifs sans qu'avis en fût donné au sénat ; quant à Séjus Carus, petit-fils de Fuscianus autrefois préfet de Rome, ce fut parce qu'il était riche, qu'il était grand et qu'il avait de l'intelligence, sous prétexte d'avoir poussé à la sédition des soldats de la légion d'Albe (comme c'était le prince seul qui le dénonçait la cause de Séjus fut entendue dans le palais, où il fut égorgé);} Valérianus Paetus, parce qu'il avait fait faire des portraits de lui en or destinés à la parure de ses maîtresses ; {cette action fit, en même temps, accuser d'avoir eu l'intention de passer en Cappadoce, province limitrophe de sa patrie (il était Galate), pour y exciter un soulèvement, et d'avoir, dans cette vue, fabriqué des pièces d'or portant son image gravée. 9. En outre d'eux, furent à mis à mort par le sénat}, Silius Messala et Pomponius Bassus, sous l'inculpation d'avoir, disait I'empereur, désapprouvé sa conduite. Il ne craignit pas d'en écrire au sénat, qu'il appelait I'examinateur de sa vie et le censeur de ce qui se passait dans le palais : {,Quant aux preuves de leur complot, ajoutait-il, je ne vous les ai pas envoyées, car on les lirait en vain, attendu qu'ils sont déjà morts." .} Il avait aussi une raison secrète : {Messala plusieurs fois avait exprimé avec force son avis dans le sénat ; aussi l'avait-il, dès le principe, mandé en Syrie, comme s'il eût eu absolument besoin de lui, de peur qu'il ne fit prévaloir un avis différent dans cette assemblée ; quant à} Bassus, sa femme était belle et noble (elle était petite-fille de Claudius Sévèrus et de Marc-Antonin) ; il l'épousa sans lui permettre, {tellement il lui inspira de frayeur,} de pleurer le malheur de son mari. Bientôt, il sera parlé des épousailles où il était époux et épouse, car il se donnait et pour homme et pour femme ; et il faisait l'un et l'autre avec la dernière impudence . . . . . . . . . . . (fragments en grec) 6 . .. . . . . . le meurtre de Gannys, qui avait préparé le soulèvement, qui I'avait mené au camp, qui lui avait donné la victoire sur Macrin, de Gannys son père nourricier et son tuteur, commis par Iui, à Nicomédie, dès le commencement de son règne, le fit regarder comme le plus impie des hommes. Gannys menait une vie pleine, de mollesse, et recevait avec plaisir les présents ; mais, loin d'avoir causé de mal à personne, il accorda à nombre de gens de nombreux bienfaits ; et, ce qui est plus important, il était plein de zèle pour son prince et dans les bonnes grâces de Maesa et de Soaemis ; de l'une, parce qu'elle I'avait élevé, de I'autre, parce qu'il cohabitait, pour ainsi dire, avec elle. Mais ce ne fut pas pour ce motif que l'empereur le fit mourir, puisqu'il avait voulu faire avec lui un contrat de mariage et le nommer César ; ce fut parce que Gannys le forgeait à observer la tempérance et la sagesse. Ce fut le prince lui-même qui, le premier, de sa propre main, blessa Gannys, attendu que personne parmi les soldats n'osa commencer. Voilà comment les choses se passèrent. 7. . . . Vérus, pour avoir, lui aussi, dans la troisième légion Gallica, dont il avait le commandement, osé tourner ses vues vers le souverain pouvoir, et Maximus Gellius, pour la même cause, bien qu'il ne fût que lieutenant de la quatrième Scythica, dans la seconde Syrie, furent livrés au supplice. Tout, en effet, était tellement bouleversé, en haut comme en bas, que ces officiers, dont l'un était devenu sénateur après avoir été centurion, et dont l'autre était fils d'un médecin, se mirent en tête d'aspirer à l'empire. S'ils sont les seuls que j'aie cités, ce n'est pas parce qu'ils furent les seuls qui se laissèrent aller à cette extravagance, c'est parce qu'ils faisaient partie du sénat ; car un autre, un fils de centurion, essaya aussi de mettre le trouble dans cette même légion Gallica, tandis qu'un autre, qui n'était qu'un ouvrier en laine, entreprenait la quatrième, et qu'un autre encore, un simple particulier, s'adressait à la flotte mouillée à Cyzique, pendant que le faux Antonin était en quartiers d'hiver à Nicomédie. Il y eut également bien d'autres tentatives dans d'autres endroits ; tellement le grand nombre de ceux qui avaient, contre tout espoir et sans en être dignes, foulé de leurs pieds la route du souverain pouvoir avait aplani le chemin à ceux qui voulaient régner et qui osaient se révolter. Que personne ne refuse d'ajouter foi à mes paroles ; . . . . . l'ayant appris de simples particuliers, d'hommes dignes de foi. Quant aux faits relatifs à la flotte, je les ai écrits après exactes informations prises de Pergame, ville située près des lieux, et dont l'administration ainsi que celle de Smyrne, m'avait été remise par Macrin ; ce qui m'a été une raison de ne tenir pour incroyable aucun des autres. 8. Voilà pour ce qui concerne le sang versé ; quant à ce qu'Elagabale fit contre les coutumes des ancêtres, les choses sont simples et ne nous ont causé aucun dommage important, si ce n'est, toutefois, qu'il introduisit des nouveautés contraires à nos usages, en prenant de lui-même, comme je l'ai dit, avant qu'ils ne lui eussent été décernés, des titres relatifs à son autorité, en se substituant à Macrin dans le consulat sans y avoir été élu et sans y être jamais arrivé (ce consulat, en effet, était terminé), bien qu'au principe, il eût, dans trois lettres, déclaré I'année, à partir du consulat d'Adventus, comme écoulée sous le consulat d'Adventus seul, et tenté d'être consul une seconde fois, sans avoir auparavant reçu ni charge, ni ornements d'une charge ; et, enfin, parce, qu'à Nicomédie, il n'avait pas, étant consul}, fait usage, {le jour des voeux, de la toge triomphale}. 9. Il épousa Cornélia Paula, à dessein, disait-il, de devenir plus tôt père, lui, qui ne pouvait même pas être homme à la célébration de ces noces, non seulement le sénat et le corps équestre, mais encore les femmes des sénateurs reçurent des largesses ; le peuple eut un festin du prix de cent cinquante drachmes, et les soldats en eurent un de plus de cent ; il donna aussi des combats de gladiateurs où il assista revêtu de la toge prétexte, ce qu'il faisait également pour les jeux votifs. Il y eut aussi quantité de bêtes massacrées, entre autres un éléphant et cinquante et un tigres, ce qui n'avait jamais eu lieu en une seule fois. Ensuite, ayant répudié Paula, sous prétexte qu'elle avait une tache sur le corps, il se maria avec Aquilia Sévéra, par l'infraction le plus manifeste aux lois ; car il souilla cette Vestale par une flagrante impiété. II osa dire : "C'est pour que de moi, grand-pontife, et d'elle, grande-vestale, il naisse des enfants divins, que j'ai fait cela ; et, ces sacrilèges, pour lesquels il aurait dû, après avoir été battu de verges sur le Forum, être jeté en prison et y être mis à mort, il ne craignait pas de s'en glorifier. Il ne la garda pourtant pas longtemps ; il en prit une autre, puis une autre, et une autre encore ; après quoi il revint à Sévéra. 10. Il y eut aussi des prodiges à Rome, entre autres, celui de la statue d'Isis placée au faîte du temple de cette divinité, où elle est portée sur un chien ; cette statue, en effet, tourna sa face du côté de l'intérieur. Quant à Sardanapale, il donnait des combats de gladiateurs et des jeux fréquents, jeux où l'athlète Aurélius Aelix se signala ; en effet, il fut tellement supérieur à ses antagonistes, qu'il voulut combattre, à Olympie, à la lutte et au pancrace, et que, dans, les jeux Capitolins, il remporta cette double victoire. Les Eléens, en effet, jaloux de lui, craignant que (Comme dit le proverbe) il ne fût le huitième depuis Hercule, n'appelèrent aucun lutteur dans le stade, bien que, sur l'affiche, ils eussent proposé ce combat ; mais, à Rome, Aelix l'emporta l'une et l'autre victoire, ce que personne n'avait encore fait. 11. Parmi les plus flagrantes violations des lois, se place le culte d'Elagabale ; non seulement à cause de l'introduction à Rome d'une divinité étrangère, et des honneurs nouveaux et magnifiques accordés à ce dieu, mais aussi à cause de la supériorité qu'il lui attribuait sur Jupiter lui-même, et de son sacerdoce qu'il se fit décerner à cause de sa circoncision et de son abstinence de la chair de pore, {comme si cette abstinence eut rendu son culte plus pur ; et aussi à cause du vêtement, barbare dont font usage les prêtres de Syrie et dont on le voyait souvent revêtu, même en public, ce qui contribua surtout à lui valoir le surnom d'Assyrien. Pour passer sous silence les chants barbares que Sardanapale chantait, avec sa mère et avec son aïeule, en I'honneur d'Elagabale, les sacrifices secrets qu'il lui offrait, immolant des enfants, recourant à des pratiques magiques ; pour ne rien dire d'un lion, d'un singe et d'un serpent vivants qu'il renferma dans le temple de son dieu de membres virils qu'il y jeta, ni de toutes les autres impiétés qu'il commit, ainsi que des mille amulettes dont il faisait usage. 12. Pour laisser de côté, dis-je, toutes ces extravagances, il fiança, ce qui est le comble du ridicule, une femme à Elagabale, comme si ce dieu eut eu besoin de femme et d'enfants. De plus (cette femme ne devait pas être pauvre ni d'une naissance obscure), il choisit I'Uranie des Carthaginois, la fit venir de chez eux, l'établit dans le palais, et ramassa pour elle, ainsi qu'il l'avait fait pour ses propres femmes, des présents de noce parmi tous les sujets de l'empire. Tous ces présents, qui avaient été donnés de son vivant, furent, plus tard, exigés comme une contribution ; quant à la dot, il déclara qu'il n'avait reçu que deux lions d'or, qui furent fondus. {On dressa au faux Antonin une statue d'or, remarquable par le nombre et la variété de ses ornements.) {Ayant trouvé de grosses sommes dans le trésor impérial, il les dissipa toutes, et les revenus ne suffirent pas aux dépenses.} 13. Cependant ce Sardanapale, qui voulait unir les dieux par des mariages réguliers, menait lui- même la vie la plus déréglée. {Il épousa plusieurs femmes}, et il s'enferma avec un plus grand nombre encore, {sans que cette union eût aucun titre légal}, non qu'il eût en rien besoin d'elles, mais pour imiter leurs actes en couchant avec des galants, et avoir, en se mêlant avec elles, des complices de ses turpitudes}. Il fit et souffrit en son corps des saletés innombrables, dont personne n'oserait entreprendre de faire ni d'écouter le récit ; mais les plus éclatantes de ses débauches, celles que personne ne saurait dissimuler, les voici. Il entrait, la nuit, dans les cabarets, avec des cheveux postiches, et y remplissait les fonctions de cabaretière. Il se rendait dans les lupanars fameux, où après en avoir chassé les courtisanes, il se livrait à la prostitution. Enfin, il établit dans le palais un appartement où il s'abandonnait à l'incontinence, sans cesse debout, nu, à la porte de cet appartement, comme les prostituées, tirant le rideau attaché avec des anneaux d'or, et invitant les passants avec la voix molle et brisée des courtisanes. Il y avait des gens chargés de se laisser attirer. Car, comme pour les autres choses, il avait, pour cet objet, une foule d'éclaireurs, qui s'occupaient de chercher ceux qui, par leur impudicité, pouvaient lui procurer le plus de plaisir. Il tirait de I'argent d'eux et se glorifiait de ses gains ; il était constamment en discussion avec ses compagnons de débauche, prétendant avoir plus d'amants et ramasser plus d'argent qu'eux. 14. Telle était la conduite qu'il tenait indifféremment avec tous ceux qui avaient affaire avec lui ; ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un mari particulier, que, pour ce motif, il voulut créer César. Il conduisait des chars en habit vert dans son privé et dans sa demeure, s'il est possible d'appeler cela une demeure ; il avait pour agonothètes, les principaux citoyens de son entourage, {des chevaliers, des Césariens,} les préfets du prétoire eux-mêmes, son aïeule, sa mère, ses épouses, et, en outre, des membres du sénat, entre autres Léon, préfet de Rome : ces personnes le voyaient conduire un char, demander des pièces d'or comme un combattant ordinaire, s'incliner respectueusement devant les agonothètes et les soldats. {Quand il rendait la justice, il semblait être homme jusqu'à un certain point ; dans les autres cas, il faisait le beau par ses gestes et par le ton de sa voix.} Au reste, il sentait le danseur non seulement sur le théâtre, mais encore dans sa démarche, en sacrifiant, en saluant, en haranguant le peuple. Enfin, pour reprendre le fil de mon récit, il se fit épouser et se fit appeler femme, maîtresse, impératrice ; il travaillait en laine et portait quelquefois un réseau ; {il se peignait le dessous des yeux et se fardait avec la céruse et I'anchuse.} Une fois, il se rasa le menton et célébra une fête à cette occasion ; depuis il s'épila, pour être par là plus sembIable à une femme. Souvent il admettait, couché les sénateurs à le saluer. 15. Le mari de cette femme était Hiéroclès, esclave carien, {ancien mignon do Gordius}, qui lui avait appris à conduire un char. Il en était devenu amoureux dans une circonstance fort étrange que voici : Hiéroclès dans les jeux du cirque, étant tombé de son char contre le siège même de Sardanapale, laissa, dans sa chute, rouler son casque ; aperçu par le prince (il avait le menton sans barbe, et il était orné d'une chevelure blonde), il fut immédiatement enlevé pour être transporté au palais, et ayant, par ses oeuvres nocturnes, asservi davantage encore celui-ci, il fut élevé à une telle puissance qu'il eut une autorité supérieure à celle de l'empereur lui-même, qu'on regarde comme peu de chose de faire amener à Rome par les soldats sa mère, qui était encore esclave, et de mettre au nombre des femmes dont les maris avaient été consuls. Souvent, en effet, d'autres aussi obtinrent d'Elagabale des honneurs et du crédit ; les uns, pour avoir pris part à sa révolte, les autres, pour avoir été ses amants, car il voulait passer pour avoir des amants, afin d'imiter en cela les femmes les plus dévergondées ; souvent même il se laissait volontairement prendre sur le fait, ce qui lui valait, de la part de son mari, des injures brutales et des coups dont il portait les traces au-dessous des yeux. C'est qu'il aimait ce mari non d'une passion légère, mais d'un amour si ardent et si profond que, loin de s'irriter de pareils traitements, il ne I'en chérissait que davantage, et que même il voulut le nommer véritablement César, usa de menaces envers son aïeule qui s'y opposait, et encourut pour lui, non moins que pour les autres raisons, la haine des soldats. Ces extravagances devaient être la cause de sa perte. 16. Quant à Aurélius Zoticus, de Smyrne, qu'on appelait le Cuisinier, à cause de la profession de son père, il fut éperdument aimé et depuis haï par 1'empereur, ce qui Iui sauva la vie. Cet homme qui, pour son métier d'athlète, avait Ie corps entièrement beau, et qui surpassait tout le monde par }a grosseur des parties, lui fut signalé par ceux qui étaient chargés de ces sortes de recherches : enlevé tout à coup aux luttes, il fut amené à Rome avec une pompe magnifique, plus grande que celle qui avait été déployée pour Augaros sous Sévère ou pour Tiridate sous Néron ; nommé cubiculaire avant d'avoir été vu par I'empereur, {décoré du nom d'Avitus, son aïeul, et ceint de couronnes comme dans une fête solennelle, } il fit son entrée dans le palais à la lueur d'une multitude de flambeaux. A sa vue, le prince s'élança d'un pas cadencé, et lorsque Zoticus lui eut, comme il le devait, adressé ces mots : "Empereur,mon maître, salut !", il lui répondit sans la moindre hésitation, en penchant à ravir la tête comme une femme et en cligant des yeux : "Ne m'appelle pas ton maître ; je suis ta maîtresse." Après avoir, à l'heure même, pris le bain avec lui, et avoir attendu qu'iI le trouvait à la hauteur de sa renommée, augmenté son ardeur en Ie contemplant nu, il se coucha sur les genoux et soupa sur son sein comme une femme aimée. Mais Hiéroclès, craignant que Zoticus n'asservît le prince plus que lui, et ne lui rendit, comme c'est la coutume entre rivaux d'amour, quelgue mauvais office, lui fit donner, par les échansons, qui étaient ses amis, un breuvage qui I'énerva. Zoticus ainsi confondu, faute d'érection durant toute la nuit, fut dépouiIIé de tous les présents qu'il avait reçus, chassé du palais et de Rome et, plus tard, du reste de I'Italie, disgrâce qui lui sauva la vie. 17. Quant à Sardanapale lui-même, il ne devait pas tarder à recevoir la récompense que méritaient si bien ses infamies. En faisant et en souffrant de pareilles choses, il s`attira Ia haine du peuple et des soldats, son principal appui, et à la fin il fut massacré par eux dans le camp même. Voici comment la chose se passa. Amenant dans le sénat Bassianus, son. cousin, et plaçant à ses côtés Maesa, et Soaemis, il l'adopta pour fils ; il vanta son bon heur d'être devenu tout à coup le père d'un tel enfant ; comme s'il eut été lui-même beaucoup plus avancé en âge, et il déclara n'avoir plus besoin d'autre fils pour que sa maison fût désormais à l'abri des défaillances ; Elagabale lui avait ordonné de tenir cette conduite et de donner à son cousin le nom d'Alexandre. Pour ce qui est de moi, je suis convaincu que ces faits sont véritablement le résultat d'une action des dieux, me fondant, non sur les paroles du prince, mais sur ce qui Iui fut dit qu'un certain Alexandre, venant d'Emésa, lui succéderait, et aussi sur ce qui arriva dans la Mysie Supérieure et dans la Thrace. 18. Un peu auparavant, en effet, un génie, se disant être le célèbre Alexandre de Macédoine, et portant, avec la figure, l'équipage complet de ce prince, partit des pays voisins de l'Ister où il s'était montré, je ne sais comment, traversa l'Asie et la Thrace à la manière de Bacchus, en compagnie de quatre cents hommes armés de tyrses et de peaux de boucs sans faire aucun mal. Tous ceux qui étaient alors en Thrace sont convaincus, que logements et vivres, tout lui fut fourni aux frais du public ; personne n'osa s'opposer à lui en paroles ou en actions, ni chef, ni soldat, ni procurateur, ni gouverneur de province ; et ce fut en plein jour, comme il l'avait annoncé, qu'il s'avança, pour ainsi dire processionnellement, jusqu'à Byzance. Puis, revenant de cette ville sur ses pas, il alla au territoire de Cbalcédoine ; là, après avoir, la nuit, accompli certains sacrifices et enfoui en terre un cheval de bois, il disparut. Ces faits, je les appris étant encore en Asie, comme je I'ai dit, avant que rien ne se fût fait à Rome à I'égard de Bassianus. 19. Tant que Sardanapale aima, son cousin, il demeura lui-même en vie ; mais, lorsqu'il se mit à soupçonner tout Ie monde, et qu'il apprit que le sentiment général se portait vers Alexandre, il osa changer de résolution, et fit tout pour l'en débarrasser. Un jour, ayant essayé de le faire périr, non seulement il n'y réussit pas, mais il faillit succomber lui-même, car Alexandre était fortement gardé par sa mère, par son aÏeule et par les soldats ; les prétoriens mêmes, s'étant aperçus de l'entreprise de Sardanapale, excitèrent une sédition terrible ; l'émeute ne s'arrêta que lorsque Sardanapale, arrivé dans le camp avec Alexandre, leur ayant adressé d'instantes supplications, contraint de livrer ceux de ses compagnons de débauche dont on lui réclamait le supplice, ayant fait entendre en faveur d'Hiéroclès des paroles à faire pitié, pleura à chaudes larmes, et présenté son cou en ajoutant : "Accordez-moi celui-là seulement, quelque opinion que vous ayez de lui, ou tuez-moi;" fut parvenu, non sans peine, à les fléchir. Pour cette fois, il obtint grâce, bien qu'avec peine, car son aïeule le haïssait, à cause de sa conduite, comme n'étant pas même le fils d'Antonin, et son inclination se portait sur Alexandre, comme s'il eût été véritablement issu de ce prince. 20. Plus tard, ayant de nouveau dressé des embûches à Alexandre et étant, pendant la sédition des prétoriens à laquelle il donna lieu par cette tentative, entré avec lui dans le camp, lorsqu'il s'aperçut qu'on le surveillait avec l'intention de le mettre à mort, attendu que leurs deux mères, plus ouvertement, en lutte qu'auparavant, excitaient les soldats, il songea à fuir. Il allait s'évader en se renfermant dans un coffre ; mais, ayant été surpris, il fut égorgé à l'âge de dix-huit ans. Sa mère aussi (elle le tenait serré dans ses bras) périt avec lui. On leur coupa la tête, et leurs corps, dépouillés, furent d'abord traînés par toute la ville ; puis celui de la femme fut jeté au hasard, celui de Sardanapale fut précipité dans le fleuve. 21. Avec I'empereur périrent, entre autres, Hiéroclès et les préfets du prétoire, ainsi qu'Aurélius EubuIus, qui était d'Emésa, {et était arrivé à un tel point de licence et d'infamie que le peuple avait déjà précédemment demandé son supplice :} chargé de la comptabilité générale, il n'y avait eu rien qui échappât à ses confiscations. Il fut alors mis en pièces par le peuple et par les soldats en même temps que Fulvius, préfet de Rome. Comazon succéda à ce dernier, comme il avait succédé à son prédécesseur ; car de même qu'un de ces masques qu'on fait paraître sur le théâtre au moment où les acteurs chargés de jouer laissent la scène vide, de même Comazon prenait la place laissée vide de son temps par les préfets de Rome. Elagabale lui-même fut complétement banni de Rome. Voilà quel fut le sort de Tibérinus ; de plus, aucun de ceux qui avaient pris part à sa révolte et qui avaient joui d'une grande puissance auprès de lui ne lui survécut, à la réserve d'un seul. Appendice. Le faux Antonin se fit mépriser des soldats et fut tué par eux : car lorsque des gens, et des gens armés, s'habituent à mépriser ceux qui sont au pouvoir, leur licence ne connaît plus de bornes à ses volontés ; ils se font une arme de cette licence même contre celui qui la leur a donnée. Le même prince dit un jour : "Je n'ai nul besoin de titres rappelant la guerre et le sang ; j'ai assez des noms de Pieux et d'Heureux que vous ne donnez." Le faux Antonin, un jour, en recevant les félicitations du sénat, dit : "Je sais que vous, vous m'aimez, et, par Jupiter ! le peuple aussi, de même que tout ce qui est en dehors de l'armée ; mais les prétoriens, à qui je donne tant, me voient d'un mauvais oeil." On félicitait le faux Antonin et on lui disait qu'il était heureux d'être consul avec son fils, il répondit : "Je serai plus heureux l'année prochaine, puisque je dois I'être avec mon fils légitime." Toute multitude est légère et portée aux révolutions : la plèbe romaine, à cause de son nombre et de la diversité de gens étrangers qui y ont été incorporés, se soulève plus aisément que les autres, et, dans la précipitation, ne fait nulle difficulté de prendre des résolutions absurdes.