de leur voix invoquaient , des deux côtés , les dieux à grands cris d'abord pour le salut même des combat- tants , puis pour jouir à l'avenir, ceux-ci de la liberté, ceux-là de la paix. C'eût été bien en vain que les Ro- mains eussent subi tous ces dangers (ils avaient à lutter contre deux obstacles à la fois, la nature des lieux et la résistance de l'ennemi) , si Tibère ne les eùt em- pêchés de fuir par des secours réitérés et n'eût frappé les ennemis de terreur en faisant tourner les hauteurs par d'autres soldats qui s'en emparèrent. A la suite de cet échec, les Dalmates en déroute ne purent retourner dans leurs remparts et se dispersèrent dans les montagnes, en jetant leurs armes afin d'être plus lestes, tandis que les Romains, qui désiraient vive- ment terminer la guerre et ne voulaient pas laisser l'en- nemi se rallier pour leur causer plus tard des embarras, se répandirent de tous côtés à leur poursuite, et, tra- quant la plupart d'entre eux dans les forêts où ils étaient cachés, les tuèrent comme des bêtes fauves, et re- çurent ensuite à composition ceux qui étaient dans la place. Tibère leur régla, entre autres choses, toutes les conditions stipulées. i 5. Germanicus tourna ensuite ses efforts contre ceux des ennemis qui avaient encore les armes à la main ; car des transfuges, en grand nombre parmi eux, les HISTOIRE ROMAINE DE DION, L. LVI. 45 empêchaient de traiter. Il s'empara de la place d'Ar- duba, mais il ne put toutefois le faire avec ses propres troupes, bien qu'elles fussent de beaucoup supérieures en nombre à celles de l'ennemi. La place, en effet, était très-forte, et tout le canton, excepté un faible espace, était enveloppé par un fleuve rapide coulant au pied des remparts, et les transfuges, révoltés contre les habitants du pays, qui désiraient traiter, en vinrent aux mains avec eux; aidés par les femmes qui, à l'intérieur des murailles, malgré le sentiment de leurs maris, brûlaient de l'amour de la liberté et préféraient souffrir tout plutôt que l'escla- vage, ils livrèrent un combat acharné; vaincus, ils fini- rent par céder, quelques-uns même d'entre eux prirent la fuite. Quant aux femmes, saisissant leurs enfants, les unes se jetèrent dans le feu, les autres se précipitèrent dans le fleuve. Arduba ainsi prise, les autres places voi- sines se rendirent d'elles-mêmes à Germanicus. Ger- manicus, après ces exploits, retourna auprès de Tibère, et ce fut Postumius qui acheva de soumettre le pays. 16. Pendant ce temps, Baton envoya à Tibère son fils Scéva pour offrir sa soumission et celle de ses gens, si on lui accordait l'impunité. Quand il eu eut reçu l'assu- rance, il se rendit, la nuit, au camp de Tibère, et, le Den- demain, amené devant le prince qui était assis sur son tribunal, au lieu de lui demander aucune grâce pour lui-même, il présenta sa propre tête à couper ; mais il s'étendit sur la justification de ses compagnons. A la fin, Tibère lui ayant demandé : « Quel motif vous a poussés à vous révolter et à nous faire si longtemps la guerre P » il répondit : >, C'est vous qui en êtes la cause; vous envoyez, pour garder vos troupeaux, non des chiens et des bergers, mais des loups. » Ainsi se termina la guerre , avec une grande perte d'hommes et d'ar- t gent : on avait entretenu de nombreuses légions et ra- massé peu de butin. 17. Germanicus vint encore alors apporter la nouvelle de cette victoire, et, à cette occasion, on décerna le nom d'irnperator à Auguste et à Tibère, le triomphe et, en- tre autres honneurs, des arcs de triomphe en Pannonie (ce furent là, parmi les nombreuses distinctions décré- tées, les seules qu'Auguste accepta); on accorda à Ger- manicus les ornements du triomphe, ce qui eut lieu éga- lement pour les autres généraux, et ceux de la préture, avec le privilége d'exprimer son avis le premier après les consulaires, d'être nommé consul avant l'âge légal. Drusus, fils de Tibère, bien que n'ayant pris aucune part à la guerre, eut le droit de venir au sénat avant d'être admis dans l'ordre sénatorial, et, après qu'il au- rait été questeur, le droit de donner son avis avant les anciens préteurs. i8. On venait de rendre ces sénatus-consultes, lors- qu'une nouvelle terrible, venue de la Germanie, empê- cha la célébration des fêtes. Voici, en effet, ce qui s'é- tait passé pendant ce temps-là dans la Celtique. Les Romains y possédaient quelques régions, non pas réu- nies, mais éparses selon le hasard de la conquête (c'est pour cette raison qu'il n'en est pas parlé dans l'histoire) ; des soldats y avaient leurs quartiers d'hiver, et y for- maient des colonies ; les barbares avaient pris leurs usages, ils avaient des marchés réguliers et se mêlaient à eux dans des assemblées pacifiques. Ils n'avaient néan- moins perdu ni les habitudes de leur patrie, ni les moeurs qu'ils tenaient de la nature, ni le régime de la liberté, ni la puissance que donnent les armes. Aussi, tant qu'ils désapprirent tout cela petit à petit et, pour ainsi dire, en suivant la route avec précaution, ce chan- gement de vie ne leur était pas pénible et ils ne s'aper- cevaient pas de cette transformation ; mais , lorsque Quintilius Varus, venant avec 1'imperium prendre le gou- vernement de la Germanie et administrer le pays, se hâta de faire des réformes trop nombreuses à la fois, qu'il leur commanda comme à des esclaves, et qu'il leva des contributions comme chez un peuple soumis, les Germains ne le supportèrent pas. Cependant, bien que les principaux chefs regrettassent leur puissance d'aupa- ravant et que le peuple préférât son état habituel à la domination étrangère , ils ne se révoltèrnt pas ouver- tement, parce qu'ils voyaient les Romains en grand nombre, tant sur les bords du Rhin que dans leur propre pays : accueillant Varus, comme s'ils étaient dé- cidés à exécuter tous ses ordres, ils l'attirèrent, loin du Rhin, dans le pays des Chérusques, près du Veser; là, par des manières toutes pacifiques et par les procédés d'une amitié fidèle, ils lui inspirèrent la confiance qu'il pouvait les tenir en esclavage, même sans le secours de ses soldats. 19. Varus donc, au lieu d'avoir ses légions réunies, comme cela se doit faire en pays ennemi, les dispersa en nombreux détachements, sur la demande des habi- tants les plus faibles, sous prétexte de garder certaines places, de s'emparer de brigands ou de veiller à l'ar- rivée des convois de vivres. Les principaux conjurés, les chefs du complot et de la guerre, furent, entre autres, Arminius et Sigimère, qui avaient avec Varus des rap- ports continuels et souvent partageaient sa table. Cepen- dant, tandis que Varus est plein de confiance, et que, loin de s'attendre à aucun malheur, il refuse d'ajouter foi à aucun de ceux qui soupçonnent ce qui se passe et l'avertissent de se tenir sur ses gardes, que même il les repousse comme des gens qui s'alarment sans sujet et calomnient les Germains, quelques-unes des peuplades lointaines se soulèvent à dessein les premières, afin qu'en se dirigeant contre elles, il soit plus aisé à surprendre dans sa marche à travers un pays qu'il croit ami, et que, la guerre n'éclatant pas sur tous les points à la fois, il ne se tienne pas sur ses gardes. C'est ce qui arriva. Ils l'ac- compagnèrent à son départ et ne le suivirent pas dans sa marche, sous prétexte de lui procurer des auxiliaires et d'aller promptement à son secours. Ils se réunirent aux troupes qu'ils avaient disposées dans un lieu favorable, et, massacrant chacun les soldats qu'ils avaient eux- mêmes auparavant appelés chez eux, ils rejoignirent Varus déjà engagé dans des forêts inextricables. Là, ils se déclarèrent tout à coup ennemis au lieu de sujets, et se livrèrent à un grand nombre d'actes affreux. 2o. Les montagnes étaient coupées de vallées nom- breuses et inégales, les arbres étaient tellement serrés et d'une hauteur tellement prodigieuse, que les Romains. même avant l'attaque des ennemis, étaient fatigués de les couper, d'y ouvrir des routes et de les employer à construire des ponts partout où il en était besoin. Ils menaient avec eux un grand nombre de chariots et de bêtes de somme, comme en pleine paix ; ils étaient sui- vis d'une foule d'enfants et de femmes, ainsi que de toute la multitude ordinaire des valets d'armée : aussi marchaient-ils sans ordre. Une pluie et un grand vent, qui survinrent dans ce même temps, les dispersèrent da- vantage encore; le sol, devenu glissant auprès des racines et auprès des troncs, rendait les pas mal assurés ; la cime des arbres, se brisant et se renversant, jeta la confusion parmi eux. Ce fut au milieu d'un tel embarras que les barbares, grâce à leur connaissance des sentiers, fondant subitement de toute part sur les Romains à travers les fourrés, les enveloppèrent : ils les attaquèrent d'abord de loin à coup de traits, puis, comme personne ne se dé- fendait et qu'il y en avait un grand nombre de blessés, ils avancèrent plus près ; les Romains, en effet, mar- chant sans aucun ordre, pêle-mêle avec les chariots et les hommes sans armes et ne pouvant se rallier aisé- ment, étant d'ailleurs moins nombreux que les ennemis qui les attaquaient, éprouvaient des maux innombrables sans en rendre. 2 r . Là, ayant rencontré un endroit favorable, autant du moins que le permettait une montagne couverte de forêts , ils y posèrent leur camp; puis, après avoir, partie brûlé, partie abandonné la plupart de leurs chariots et ceux de leurs bagages qui ne leur étaient pas absolument indispensables, ils se mirent en route, le len- demain, dans un meilleur ordre, afin d'atteindre un lieu découvert; cependant ils ne partirent pas sans avoir versé bien du sang. En effet, après avoir quitté ce cam- pement, ils tombèrent de nouveau dans des forêts et eurent à repousser des attaques, ce qui ne fut pas la moindre cause de leurs malheurs. Réunis dans un lieu étroit, afin que cavaliers et fantassins à la fois pussent charger l'ennemi en colonnes serrées, ils eurent beau- coup à se heurter entre eux et contre les arbres. Le troisième jour après leur départ, une pluie torrentielle, mêlée à un grand vent, étant de nouveau survenue, ne leur permit ni d'avancer, ni de s'arrêter avec sûreté, et même leur enleva l'usage de leurs armes; ils ne pou- vaient, en effet, se servir ni de leurs arcs, ni de leurs javelots, ni de leurs boucliers à cause de l'humidité. Ces accidents étaient moins sensibles pour les ennemis, la plupart légèrement armés et libres d'avancer ou de reculer. En outre, les barbares, dont le nombre s'était considérablement accru (beaucoup de ceux qui aupa- ravant se contentaient de regarder s'étaient joints â eux, en vue surtout du butin), entouraient aisément et massacraient les Romains dont le nombre, au contraire (ils avaient perdu beaucoup des leurs dans les précé- dents combats), était déjà bien diminué; en sorte que Varus et les principaux chefs (ils étaient blessés), crai- gnant d'être pris vifs ou mis à mort par des ennemis implacables, osèrent une action, affreuse il est vrai, mais nécessaire : ils se donnèrent eux-mêmes la mort. 22. A cette nouvelle, personne, même celui qui en avait la force, ne se défendit plus; les uns imitèrent leur chef, les autres, jetant leurs armes, se laissèrent tuer par qui le voulut ; car la fuite, quelque désir qu'on eût de s'échapper, était impossible. Hommes et chevaux, tout était impunément taillé en pièces.... ils franchirent les premières et les secondes gardes des ennemis ; mais, arrivés aux troisièmes, les femmes et les enfants, à cause de la fatigue, de la peur, des ténèbres et du froid, appelant sans cesse ceux qui étaient dans la force de l'âge, les firent découvrir. Ils auraient tous péri ou ils eussent été faits prisonniers, si les barbares ne s'étaient arrêtés à piller. Grâce à cette circonstance, les plus robustes s'échappèrent bien loin, et les trompettes qui' étaient avec eux s'étant mis à sonner la charge (la nuit était survenue et on ne les voyait pas) firent croire aux en- nemis que c'était Asprénas qui avait envoyé des renforts. Dès lors les barbares renoncèrent à poursuvire les Ro- mains au secours desquels, quand il fut instruit de ce qui se passait , Asprénas vint effectivement. Dans la suite , quelques-uns des captifs rentrèrent dans leurs foyers, moyennant une rançon payée par leurs parents, à qui cette permission fut accordée à la condition que les captifs resteraient en dehors de l'Italie. Mais cela n'eut lieu que plus tard. 23. Auguste, en apprenant la défaite de Varus, dé- chira ses vêtements, au rapport de plusieurs historiens, et conçut une grande douleur de la perte de son armée, et aussi parce qu'il craignait pour les Germanies et pour les Gaules, et, ce qui était le plus grave, parce qu'il se figurait voir ces nations prêtes à fondre sur l'Italie et sur Rome elle-même, et qu'il ne restait plus de citoyens en âge de porter les armes ayant quelque valeur, et que ceux des alliés dont le secours eût été de quelque utilité avaient souffert. Néanmoins il prit toutes les mesures qu'exigeait la circonstance ; :et comme aucun de ceux qui avaient l'âge de porter lés armes ne voulait s'enrô- ler, il les fit tirer au sort, et le cinquième parmi ceux qui n'avaient pas encore trente-cinq ans , le dixième parmi ceux qui étaient plus âgés, était, par suite de ce tirage, dépouillé de ses biens et noté d'infamie. En- lin, comme, malgré cela, beaucoup refusaient encore de lui obéir, il en punit plusieurs de mort. 11 enrôla ainsi par la voie du sort le plus qu'il put de vétérans et d'affranchis, et se hâta de les envoyer immédiatement en Germanie rejoindre Tibère. Comme il y avait à Rome un grand nombre de Gaulois et de Germains, les uus voyageant sans songer à rien, les autres servant dans les gardes prétoriennes, il craignit qu'ils ne formassent quelque complot, et il envoya les derniers dans des îles, tandis qu'à ceux qui n'avaient pas d'armes, il enjoignait de sortir de la ville. 24. Telles furent les dispositions alors adoptées par Auguste; de plus, aucune des fêtes instituées par les lois n'eut lieu, et les jeux ne furent pas célébrés ; en- suite, à la nouvelle que quelques soldats avaient survécu à la défaite, que les Germanies étaient contenues par des garnisons et que l'ennemi n'avait même pas osé venir sur les bords du Rhin, il se remit (le son trouble et provoqua une délibération sur les événements. 'Un désastre si grand et frappant tant de monde à la fois semblait n'être arrivé que par un effet de la colère di- vine, et les prodiges survenus avant et après la défaite lui faisaient craindre quelque vengeance des dieux: Le temple de Mars, dans le champ qui porte son nom, avait été frappé (le la foudre ; et de nombreux escarbots, qui avaient poussé leur vol jusque dans Rome, avaient été dévorés par des hirondelles, les sommets des Alpes avaient paru s'entre-choquer et faire jaillir trois colonnes de feu; le ciel, plusieurs fois, avait semblé s'embraser; de nom- breuses comètes s'étaient montrées ensemble ; on crut voir des lances venir du Nord tomber sur le camp des Romains; des abeilles construisirent leurs rayons au– près des autels; en Germanie, une Victoire qui regardait le territoire ennemi se retourna du côté de l'Italie; enfin, autour des aigles, dans le camp, les soldats, comme si les barbares eussent fondu sur eux, se livrèrent un combat sans résultat. Voilà comment se passèrent alors les choses. 25. Ce fut pour ce motif et aussi.... ayant après la préture. La seconde [année] eurent lieu les choses que j'ai rapportées plus haut, et Tibère fit la dédicace du temple de la Concorde, sur lequel il inscrivit son nom et celui de son frère Drusus, bien que ce dernier fùt mort. Sous le consulat de M..IEmilius et de Statilius Taurus, Tibère, avec Germanicus qui avait l'autorité proconsulaire, fit une invasion dans la Celtique, dont ils ravagèrent quelques contrées, sans néanmoins remporter de victoire dans des combats, attendu que personne n'en vint aux mains avec eux, et sans soumettre aucun peuple ; car, dans la crainte d'une nouvelle catastrophe, ils s'éloi- gnèrent peu du Rhin, et, après être restés dans les en- virons jusqu'à l'automne, y avoir célébré le jour natal d'Auguste et fait représenter des jeux équestres par les centurions, ils revinrent en Italie. A Rome, Drusus Cé- sar, fils de Tibère, fut nommé questeur, et il y eut seize préteurs en charge, seize candidats s'étant présentés pour cette dignité, et Auguste, dans les conjonctures où il se trouvait, ne voulant blesser aucun d'eux. Mais, les années suivantes, la chose n'eut pas lieu, et il n'y en eut long- temps que douze , comme d'habitude. Voilà comment les choses se passèrent alors; de plus, défense fut faite aux devins de prédire, ni en particulier, ni en présence de témoins, la mort de personne; pourtant Auguste s'in- quiétait si peu de ce qui le concernait personnellement qu'il alla jusqu'à publier par voie d'affiche la disposition des astres sous laquelle il était né. Non content de cette interdiction, il enjoignit aux peuples soumis de ne rendre de décrets honorifiques à l'égard d'aucun de leurs gou- verneurs, soit durant le temps de ses fonctions, soit dans l'espace de soixante jours après son départ, parce que quelques-uns, afin de s'assurer à l'avance les témoi- gnages et les éloges de leur province, intriguaient beau- coup. Trois sénateurs, encore alors, furent chargés de répondre aux ambassades, et, ce qui pourrait surprendre, les chevaliers eurent la permission de se faire gladia- teurs. La cause en est que plusieurs regardaient comme rien l'infamie qui s'attachait à ce métier. Comme les défenses ne servaient à rien, soit que les coupables sem- blassent mériter un châtiment plus grand, soit que l'on pensât qu'ils s'en détourneraient d'eux-mêmes, on le leur permit. De cette façon, au lieu de l'infamie, c'était la mort qui leur revenait; car ils n'en combattirent pas moins, surtout en voyant leurs luttes exciter un empressement si vif qu'Auguste lui-même assistait à ce spectacle avec les préteurs chargés de la direction des jeux. 26. A la suite de ces succès, Germanicus reçut le con- sulat, sans même avoir été préteur, et il le conserva l'année tout entière, non pas à titre honorifique , mais comme on l'exerçait encore quelquefois à cette époque. Germanicus ne fit aucun acte digne d'être rappelé, sinon que, même durant ce temps, il ne cessa de défendre les accusés, au lieu que son collègue, C. Capiton, n'était compté pour rien. Auguste , accablé de vieillesse, re- commanda Germanicus au sénat et le sénat à Tibère. La lecture du mémoire fut faite non par le prince en personne (il ne pouvait pas élever la voix), mais, sui- vant la coutume, par Germanicus. Ensuite il demanda aux sénateurs, sous prétexte de la guerre de Germanie, de ne plus venir désormais le saluer chez lui et de ne pas s'offenser s'il n'assistait plus à leurs banquets : la plupart du temps, en effet, et principalement toutes les fois qu'il y avait séance du sénat, il était, sur le Forum, parfois même dans la curie à son entrée et de nouveau à son départ, assailli de salutations; dans la maison Pa- latine aussi , qu'il fût assis, ou même qu'il fût couché, cet usage était pratiqué non-seulement par le sénat, mais aussi par les chevaliers et par un grand nombre de gens du peuple. I 27. Malgré cela, il ne se relàcha pas du soin des affaires : il permit aux chevaliers de briguer le tribunat ; instruit que des libelles diffamatoires avaient été com- posés contre quelques citoyens, il les fit rechercher et il fit brûler, par les édiles ceux qui furent trouvés dans Rome, par les magistrats de chaque endroit ceux qu'on trouva au dehors; il punit même quelques-uns de leurs auteurs4 Beaucoup d'exilés résidaient, les uns hors des lieux où ils avaient été relégués, les autres menaient, dans ces lieux mêmes, une vie pleine de mollesse; il dé- fendit à tous ceux à qui on avait interdit le feu et l'eau de séjourner, soit sur le continent, soit dans une île éloignée du continent de moins de quatre cents stades, hormis Cos, Rhodes, la Sardaigne et Lesbos; ce furent, je ne sais pourquoi, les seules qu'il excepta. Outre ces 1 ordonnances, il voulut qu'aucun exilé ne changeàt de domicile, qu'il ne pût posséder plus d'un vaisseau de If transport de la capacité de mille amphores, et de deux vaisseaux marchant à la rame; qu'il n'eût pas plus de vingt esclaves ou affranchis à son service; qu'il ne jouît pas d'une fortune supérieure à cent quatre-vingt-cinq mille drachmes, le menaçant de punition, lui et ceux qui lui prêteraient leur concours pour enfreindre ces dé- fenses: Voilà comment il régla les choses , celles du moins qui méritent d'être rapportées; de plus, des jeux, en dehors de ceux qui étaient. établis par les lois, furent célébrés par les histrions et par les chevaliers. Les jeux en l'honneur de Mars, attendu que le Tibre couvrait le cirque, eurent lieu sur le Forum d'Auguste, et leur éclat fut en quelque sorte rehaussé par une course de chevaux et par une chasse; ils furent de nouveau célébrés de la manière habituelle, et Germanicus y fit égorger deux cents lions dans le cirque. Le portique, appelé portique f de Livie, fut bâti en l'honneur de Caius et de Lucius Césars, et la dédicace. en eut lieu alors. 28. L. Munatius et C. Silius étaient consuls désignés, lorsqu'Auguste, bien qu'il fît semblant de s'en défendre, reçut une cinquième fois l'administration des affaires publiques pour un espace de dix ans, et conféra de nou- veau à Tibère la puissance tribunitienne , et à son fils Drusus le droit de demander le consulat dans trois ans, avant même d'avoir été préteur. Il demanda aussi, à cause de sa vieillesse, qui le réduisait à ne plus venir que fort rarement au sénat, vingt conseillers annuels; car aupara- vant il s'en adjoignait quinze tous les six mois. Il fut en outre décrété que toutes tes résolutions prises par lui, de concert avec Tibère, avec ses conseillers, les consuls en charge, les consuls désignés, ses petits-fils adoptifs et les autres citoyens qu'il se serait adjoints chaque fois pour conseils, auraient la même force que si le sénat tout entier les avait sanctionnées. Lorsqu'une fois il tint d'un sénatus-consulte ce privilége, qu'il possédait déjà en réalité, il donna, parfois même tout en restant cou- ché, son avis sur la plupart des affaires qui lui étaient soumises. Ensuite , comme le payement du vingtième était à charge à tous les citoyens, pour ainsi dire, et qu'une révolution semblait imminente , il adressa un mémoire au sénat pour l'inviter à chercher d'autres sources de revenu. Il en agit ainsi, non dans l'intention d'abolir cet impôt, mais pour que le sénat, n'en trouvant pas de préférable, fit forcé de sanctionner cette taxe et le déchargeât de la haine qu'elle soulevait. De plus, dans la crainte que, si Germanicus et Drusus exprimaient une opinion, on ne la soupçonnât d'émaner de lui et on ne l'adoptât sans discussion, il défendit à l'un et à l'autre de prendre la parole. Beaucoup de choses furent dites, quelques avis même furent communiqués à Auguste sur des tablettes. Instruit par là qu'on était prêt à supporter tout plutôt que cet impôt, il en transporta le payement sur les terres et sur les maisons; et aussitôt, sans rien dire ni de la quotité ni de la manière dont il serait ac- quitté, il envoya un agent ici, un agent là, faire le recen- sement de ce que possédaient les particuliers et les villes, afin que la crainte d'une perte plus grande leur fît pré- férer le payement du vingtième. C'est ce qui arriva en effet. Telles furent les mesures prises par Auguste dans son administration. 29. Au spectacle des Augustales, qui se célébraient en l'honneur de la naissance d'Auguste, un homme at- teint de folie vint se poser sur le siége placé en l'hon- neur de Jules César, dont il prit la couronne pour la mettre sur sa tête. Il sembla que ce fût un présage pour Auguste. C'en était un en effet : car, l'année suivante, année dans laquelle Sextus Apuléius et Sextus Pompée furent consuls, il partit pour la Campanie, et, après avoir présidé les jeux à Naples, il mourut à Nole. Il arriva aussi des prodiges qui lui annonçaient sa destinée, pro- diges significatifs et faciles à comprendre : le soleil s'é- clipsa tout entier, une grande partie du ciel sembla être en feu, on en vit tomber des poutres enflammées, des comètes sanglantes se montrèrent. Le sénat, convoqué pour adresser des prières aux dieux à l'occasion de la ma- laclie du prince, trouva la curie fermée; un hibou, per- ché dessus, fit entendre ses cris. La foudre, tombant sur une statue d'Auguste, dans le Capitole, effaça la première lettre du nom de César ; d'où les devins prédirent que dans cent jours il aurait un sort pareil à celui des dieux, se fondant sur ce que cette lettre [C] a, en latin , la valeur de cent, et que le reste [..ESAR] , en langue étrusque, signifie « dieu. » Ces présages arrivèrent pen- dant qu'il vivait encore; la postérité a songé aussi aux consuls et à Servius Sulpicius Galba. Les consuls en charge étaient liés par la parenté avec César Auguste, et Galba qui, plus tard, arriva au pouvoir, prit, au com- mencement du même mois, la toge virile. Comme il fut le premier des Romains qui régna après l'extinction de la race d'Auguste, on y trouva un prétexte pour dire que tout cela était dît , non à un pur hasard, mais à un dessein de la divinité. 3o. Auguste donc succomba à la maladie, et Livie fut soupçonnée d'être l'auteur de sa mort, parce qu'il était allé en secret voir Agrippa dans son île, et semblait tout disposé à une réconciliation. Craignant, dit-on, qu'Au- guste ne rappelât Agrippa pour lui donner l'empire, elle empoisonna des figues encore pendantes à des arbres, où Auguste avait l'habitude de les cueillir de sa propre main; elle mangea les fruits sur lesquels il n'y avait pas de poison, et lui présenta ceux qui étaient empoisonnés. Soit cette raison, soit une autre, Auguste, étant tombé malade, convoqua ses amis , et , après leur avoir dit tout ce qu'il avait besoin de leur dire, il finit en ajou- tant : « Rome , que j'ai reçue de briques, je vous la laisse de pierre. Par cette parole il désignait , non la stabilité des édifices, mais la solidité de l'empire, et, à l'exemple des bouffons, demandant à l'assistance • d'applaudir, comme si l'on était arrivé à la fin d'une pièce de théâtre, il fit mainte raillerie sur la vie hu- maine. Ce fut ainsi qu'il trépassa, le 19 aoîût, jour où il avait pour la première fois été consul, après avoir vécu soixante-quinze ans, dix mois et vingt-six jours (il était né le 23 septembre) et avoir régné, depuis la victoire d'Actium, quarante-quatre ans moins treize jours. 31. Sa mort cependant ne fut pas connue sur-le- champ : Livie, dans la crainte que, Tibère étant encore en Dalmatie, il n'y eût quelque soulèvement, la dissi- mula jusqu'à son arrivée. Tel est le récit des écrivains les plus nombreux et les plus dignes (le foi; car il y en a qui ont rapporté que Tibère était auprès d'Auguste ma- lade, et qu'il reçut de lui certaines instructions. Quoi qu'il en soit, les premiers citoyens de chaque ville, tour à tour, apportèrent de Nôle le cadavre sur leurs épaules; quand il fut arrivé près de Rome, les chevaliers, l'ayant reçu d'eux, l'introduisirent, la nuit, dans la ville. Le len- demain, il y eut assemblée du sénat: ses membres y vin- rent revêtus de la toge de chevalier, les magistrats de celle de sénateur au lieu de la prétexte. Tibère et son fils Drusus avaient une toge noire, faite à peu près comme celle que porte le pauvre peuple. Ils sacrifièrent de l'encens, sans toutefois se servir du joueur de nette. Beaucoup de sénateurs étaient assis à leur place accou- tumée, seulement les consuls étaient sur les bancs, l'un des préteurs , l'autre des tribuns. On accorda grâce à Tibère pour avoir, contre l'usage, touché et accom- pagné un cadavre. 32 le testament d'Auguste fut lu par un cer- tain Polybe, son affranchi, comme si une telle lecture eùt été indigne d'un sénateur. Il y léguait deux parts de son héritage à Tibère, et le reste à Livie, au rapport de quelques historiens; car, pour la faire jouir d'une partie de son patrimoine, il avait demandé au sénat de pouvoir, malgré la loi, lui léguer cette quotité. Tels étaient les héritiers inscrits : il ordonna aussi de donner des terres et de l'argent à une foule de gens, parents et étrangers, non-seulement sénateurs et chevaliers, mais aussi à des rois; dix millions de drachmes au peuple, deux cent cinquante à chaque soldat prétorien et la moitié aux gardes urbaines, quatre-vingt-cinq au reste des légionnaires romains. De plus, il prescrivit que les biens des enfants dont, à cause de leur bas âge, les pères l'avaient institué héritier, leur fussent rendus inté- gralement, avec les revenus, lorsqu'ils seraient arrivés à l'âge viril ; ce que, du reste, il faisait lui-même de son vivant. Car, s'il recevait la succession de quelqu'un ayant des enfants, il ne manquait pas de la leur rendre, immé- diatement, s'ils étaient alors déjà hommes faits, et plus tard, s'ils ne l'étaient pas encore. Malgré ces disposi- tions à l'égard des autres, il ne rappela point sa fille, bien qu'il lui eût accordé un legs, et défendit de la mettre dans le même tombeau que lui. Voilà ce qui était con- tenu dans le testament. 33. Quatre volumes furent en outre apportés et lus par Drusus. Dans le premier, Auguste avait consigné les prescriptions relatives à ses funérailles ; dans le se- cond, le résumé de sa vie qu'il voulait qu'on gravât sur des plaques d'airain placées devant son sanctuaire. Dans le troisième était contenu l'état des armées, celui des revenus et des dépenses publiques, l'état des finances, et autres instructions de ce genre utiles pour le gouverne- ment de l'empire; le quatrième volume renfermait des recommandations à Tibère et au public, entre autres, celles de ne pas multiplier les affranchissements, de peur de remplir Rome d'une foule de gens de toute es- pèce, de ne pas prodiguer le droit de cité, afin que la différence fût tranchée entre les Romains et leurs sujets. Il les exhortait aussi à confier le soin des affaires à tous les citoyens capables de les connaître et de les manier, au lieu de s'en reposer sur un seul, afin que personne ne songeàt à la tyrannie, ou n'ébranlât la république en échouant dans cet effort. Il était aussi d'avis qu'on se contentât des limites actuelles de l'empire, sans cher- cher aucunement à les étendre ; car il serait, dans ce cas, prétendait-il, difficile à garder, et on courrait par là le risque de perdre même ce qu'on possédait en ce mo- ment. C'était, du reste, une maxime qu'il suivait lui- même constamment dans ses discours, comme dans ses actions : plusieurs fois, il aurait pu faire des conquêtes sur les peuples barbares, il ne l'avait pas voulu. Voilà quelles étaient ses prescriptions. 34. Après cela eut lieu le convoi. Il y avait un lit d'ivoire et d'or, décoré de tapisseries pourpre et or; le cadavre était caché sous ce lit même dans un cer- cueil, mais on voyait une image en cire du défunt, revêtue de la toge triomphale. Cette image partit du Palatin, portée par les magistrats désignés; une autre, en or, sortit de la curie ; une troisième fut menée en pompe sur un char. A la suite de ces images venaient celles de ses ancêtres, celles de ses autres parents morts, à l'ex- ception de César, parce qu'il avait été mis au rang des héros, et celles de tous les autres Romains qui, à com- mencer par Romulus lui-même, s'étaient distingués par un mérite quelconque. Parmi elles on vit aussi figurer une image du grand Pompée; tous les peuples ajoutés par lui à l'empire accompagnaient le cortége , représentés chacun avec le costume de leur pays. Ces images étaient suivies de celles des autres nations dont il a été parlé plus haut dans le cours de cette histoire. Le lit ayant été exposé devant la tribune aux harangues, Drusus lut un discours du haut de cette tribune ; du haut des autres Rostres, c'est-à-dire des Rostres Juliens, Tibère, en vertu d'un sénatus-consulte, prononça l'éloge qui suit 35. « Tout ce qui devait être dit sur le divin Auguste, par de simples citoyens et par des parents, Drusus l'a dit; mais, puisque le sénat, dans sa sagesse, a voulu qu'il fût honoré par une voix publique, si je puis m'exprimer ainsi, je sais que c'est à moi, puisque ce corps m'en a confié le soin, qu'il appartient de porter ici la parole (qui, en effet, à plus juste titre que moi, son fils et son successeur, pourrait entreprendre de faire son éloge?) ; je ne saurais néanmoins m'assurer, tant je suis au-des- sous et de vos intentions et de son mérite. Si je devais parler devant des étrangers, j'appréhenderais que mes paroles, ainsi recueillies par eux, ne leur servissent à mesurer la grandeur de ses oeuvres; mais, ici, je trouve une consolation : c'est à vous, qui connaissez tout exac- tement, qui avez fait l'épreuve de tout, et qui, pour ce motif, l'avez jugé digne de cet éloge, que s'adressera mon discours. Vous jugerez, en effet, sa vertu non d'après ce que j'aurai dit, mais d'après ce que vous savez, et vous viendrez en aide à ma parole, en suppléant ce qui lui manquera par le souvenir de ce qui s'est passé; de manière que, même en cela, son éloge soit un éloge public, prononcé par tous les citoyens, où, comme dans un choeur, je serai à la tête pour marquer les principales notes , tandis que vous l'accompagnerez par un chant d'ensemble. Je n'ai à craindre ni que vous condamniez ma faiblesse, parce qu'il ne m'est pas possible de satisfaire à votre désir, ni que vous portiez envie à la supériorité de sa vertu. Qui ne sait, en effet, que tous les hommes réunis ne sauraient le louer dignement? que tous, de votre plein gré, vous lui concéderiez la palme du triom- phe, non-seulement sans jalousie de ce qu'aucun de vous ne saurait lui être égalé, mais même avec amour pour son excellence ? Plus il vous paraîtra supérieur à vous, plus vous croirez en avoir reçu de bienfaits; de sorte que votre infériorité à-son égard produira moins d'envie dans vos coeurs que ses mérites n'y produiront de respect. 36. « Je commencerai au moment où lui-même a com- mencé à s'occuper des affaires publiques, c'est-à-dire à son premier âge. Telle est, en effet, une des plus grandes actions d'Auguste : au sortir de l'enfance, à peine adolescent, après avoir employé à l'étude tout le temps qui précède , temps pendant lequel l'État était si bien administré par un demi-dieu, par l'illustre César, lors- que, celui-ci mort victime d'un complot, la confusion régna dans les affaires publiques, il sut, à la fois, et venger son père d'une manière suffisante, et vous prê- ter un secours nécessaire, sans s'intimider du nombre des ennemis , ni craindre la grandeur de l'entreprise, ni se défier de son jeune âge. Qu'ont donc fait de pa- reil , soit Alexandre de Macédoine , soit , chez nous, Romulus, qui semblent avoir, tout jeunes encore, ac- compli une action digne d'être remarquée? Je les pas- serai sous silence, pour ne pas, en les comparant avec lui et en vous les montrant les uns à côté des autres, et cela quand vous connaissez ces choses non moins bien que moi, paraître amoindrir la vertu d'Auguste. Ce se- rait seulement à le contempler en regard d'Hercule et de ses actions que je croirais possible d'établir une com- paraison convenable; mais je m'écarterais d'autant plus de mon sujet, que l'un, encore enfant, tua des serpents, et, homme, une biche et un sanglier, et aussi, par Ju- piter! un lion, pour se conformer à un ordre qui lui était imposé; tandis que l'autre, en luttant volontairement non contre des bêtes, mais contre des hommes, et en leur donnant des lois, a véritablement sauvé l'État, et s'est lui-même couvert de gloire. C'est pour cela que vous l'avez élu général et que vous l'avez nommé consul à un âge où beaucoup ne veulent pas même porter les armes. 37. « Tel est le début d'Auguste dans la carrière po- litique, tel est aussi le début de mon discours à son sujet. Plus tard, voyant ses sentiments partagés par la portion la plus nombreuse et la plus estimable du peuple et du sénat, au lieu que Lépidus, Antoine , Sextus, Brutus, Cassius, n'avaient pour appui que quelques séditieux, et craignant qu'en proie à plusieurs guerres civiles à la fois, la république ne fût déchirée et épuisée au point de ne plus pouvoir se relever, il prit les mesures les prudentes et les plus favorables au peuple. Se mettant à la tête des citoyens puissants qui opprimaient Rome elle-même, il combattit avec leur aide les rebelles, et, après les avoir écrasés, il nous délivra des autres à leur tour, en se décidant, bien que malgré lui, à leur con- céder quelques victimes, afin d'assurer le salut du plus grand nombre ; en se décidant à tenir une conduite pro- pre à le mettre séparément aux prises avec les divers partis, afin de ne pas avoir à les combattre tous à la fois. De tout cela, il n'a recueilli aucun avantage particulier, mais il nous a rendu à tous un service éclatant. Pourquoi s'arrêter à ses actions dans les guerres civiles et dans les guerres étrangères, surtout quand les unes n'auraient jamais dû exister, et quand les autres, par les conquêtes qui en ont été le résultat, démontrent, bien mieux que tous les discours, les services qu'il nous a rendus ? La plupart, en outre, étant l'ouvrage de la fortune et ayant exigé, pour réussir, le concours d'un grand nombre de personnes, citoyens et alliés, le mérite en est partagé avec elles, et il y aurait peut-être d'autres actions à mettre en parallèle. Je les passerai donc sous silence; d'ail- leurs vous pouvez les lire et les voir écrites et gravées en mille endroits; mais les principales actions qui sont proprement l'ouvre d'Auguste , celles qu'aucun autre homme n'a jamais accomplies, celles par lesquelles, non content d'avoir sauvé Rome de périls aussi nombreux que divers, il l'a rendue plus opulente et plus puissante, voilà les seules que je dirai. Mes paroles, de cette façon , lui procureront une gloire particulière; tandis que les plus âgés d'entre vous y trouveront une joie irréprochable, et les plus jeunes un enseignement exact de la forme et de la constitution de l'État. 38. «! Cet Auguste donc, que, pour ces motifs, vous avez jugé digne d'un tel surnom, aussitôt délivré des guerres civiles, où il fit et souffrit non pas ce qu'il voulut, mais ce qu'il plut aux dieux, commença par donner la vie à la plupart de ceux qui s'étaient rangés contre lui et qui avaient survécu à la lutte , sans rien imiter de Sylla surnommé l'Heureux. Pour ne pas tous les citer, qui ne connaît Sossius, Scaurus, frère de Sextus? Lépi- dus lui-même, qui a survécu si longtemps à sa défaite et qui, toute sa vie, a continué d'être grand pontife ? Puis, après avoir honoré de grandes et nombreuses récompen- ses ceux qui avaient suivi son parti, il ne les a laissés se livrer ni à l'orgueil ni à aucun excès. A cet égard, vous connaissez trop, entre autres, Mécène et Agrippa, pour qu'il soit utile de les compter. Voilà, certes, deux nié- rites qui ont existé chez lui comme ils n'ont jamais existé chez aucun autre. Je sais certains hommes qui ont fait grâce à leurs ennemis, d'autres qui n'ont pas permis à leurs amis de se livrer à l'insolence; mais ces deux mérites ne se sont jamais trouvés pareillement réu- nis à la fois dans la même personne en toute circons- tance. Une preuve, c'est que Sylla et Marius firent sentir leur haine jusqu'aux enfants de ceux qui avaient combattu contre eux. Qu'est-il besoin, en effet, de rap- peler des hommes qui ont joué un rôle moins impor- tant? Pompée et César se sont, pour tout dire, abstenus d'une telle mesure , mais ils ont laissé leurs amis faire des choses contraires à leur caractère. Auguste a telle- ment mêlé et fondu le vainqueur et le vaincu, qu'il a converti pour ses adversaires leur défaite èn une vic- toire, et rendu heureux de leur courage ceux qui avaient combattu dans ses rangs. 39. « Après avoir fait ces choses et avoir apaisé par sa douceur tout ce qui survivait des factions, avoir mo- déré par des bienfaits les soldats victorieux, lorsqu'il pouvait, à la suite de cela, par ses armes et ses trésors, ètre sans conteste seul maître de tous, puisqu'il l'était déjà devenu par la force même des choses, il ne le voulut pas; loin de là, semblable à un bon médecin, qui prend un corps malade et le guérit, il vous a tout rendu après avoir ramené tout à la santé. La grandeur de ce mérite, vous pouvez l'apprécier en songeant que Pompée, que Métellus, qui était florissant à cette époque, ont reçu des éloges de nos pères pour avoir volontairement licencié les armées avec lesquelles ils avaient combattu. Si donc des citoyens qui avaient des forces peu considérables, et ne les avaient que pour un temps, des citoyens à qui leurs adversaires n'auraient pas permis de tenir une conduite différente, en ont agi ainsi, et ont obtenu des éloges pour l'avoir fait, qui pourrait atteindre à la grandeur d'âme d'Auguste, qui, ayant à sa disposition toutes vos armées si nombreuses, maître de tous vos trésors si considéra- bles, ne craignant et ne suspectant personne, lorsqu'il pouvait commander seul avec l'approbation de tous, au lieu d'y consentir, a remis à votre disposition les armes, les provinces et les trésors? C'est pour cela que, dans votre sagesse et votre prudence, vous n'avez pas souffert, vous n'avez pas même permis qu'il fett simple particulier; et que, dans votre ferme conviction qu'un gouvernement républicain ne serait jamais en harmonie avec la gran- deur de l'empire, au lieu que la souveraineté d'un seul homme était le moyen de salut le plus efficace, vous n'a- vez pas voulu retourner, en apparence à la liberté , en réalité aux dissensions , et, préférant au reste des ci- toyens celui que vous connaissiez par ses oeuvres , vous l'avez forcé de rester un certain temps à votre tête. Après l'avoir par là bien mieux éprouvé encore , vous l'avez une seconde, une troisième, une quatrième et une cin- quième fois contraint de garder la direction des af- faires publiques. 4o. C'était avec raison. Car qui ne préférerait être sain et sauf sans embarras, être heureux sans danger, jouir sans réserve des avantages d'un gouvernement dont il n'a pas les soucis ? Qui a mieux qu'Auguste gouverné, je ne dis pas seulement sa maison privée, mais aussi les autres citoyens malgré leur nombre? qu'Auguste,qui s'est chargé de garder et de sauver les provinces difficiles et où régnait la guerre, qui vous a rendu les provinces pa- cifiées et à l'abri du danger? qu'Auguste, qui, bien qu'il entretînt perpétuellement des soldats en si grand nombre pour votre défense, n'a causé de peine à personne d'entre vous, et, au contraire, en a fait des gardiens redouta- bles contre l'étranger, désarmés et inoffensifs envers les leurs? Il n'a ravi, non plus, dans les commandements, les chances du sort à aucun sénateur ; loin de là, il leur a accordé des récompenses pour leur vertu;dans les déli- bérations, loin de supprimer le droit d'exprimer son opinion, il a rendu sans danger la liberté de la parole. En enlevant au peuple, pour la soumettre à des tribu- naux scrupuleux, la connaissance des causes difficiles, il lui a conservé la majesté des comices et lui a enseigné à substituer l'amour de l'honneur à l'amour de la brigue; en retranchant l'ambition de la recherche des charges, il a mis à sa place le sentiment du véritable honneur. Il augmenta sagement ses richesses personnelles, qu'il dé- pensa pour l'utilité générale; veillant sur les deniers pu- blics comme sur les siens propres, il s'en abstint comme de choses qui ne lui appartenaient pas. Il répara les édifices qui tombaient en ruines , sans dépouiller de sa gloire aucun de ceux qui les avaient construits; il en bàtit aussi plusieurs nouveaux, tant sous son nom que sous celui d'autres citoyens, les uns par lui-même, les autres par ceux qu'il chargea d'en construire ; consul- tant partout l'intérêt public, mais n'enviant à qui que ce fût l'honneur qui lui revenait en propre dans ces travaux, Sévissant impitoyablement contre les débor- dements de ceux de sa maison, il faisait la part de l'hu- manité dans le traitement des fautes d'autrui. Il laissait sans jalousie s'égaler à lui les gens de mérite, et n'adres- sait aucun reproche à ceux qui vivaient autrement. Des gens qui ont conspiré contre lui, il n'a puni que ceux qui n'eussent rien gagné à vivre ; quant aux autres, il leur' a inspiré des sentiments tels que, pendant fort longtemps , personne ne fut ni convaincu ni accusé de conspiration. Il n'y a, en effet, rien d'étonnant qu'on ait quelquefois tramé des complots contre lui (les dieux mêmes ne plaisent pas également à tous) ; tandis que la vertu de ceux qui commandent avec justice se montre, non dans le mal que d'autres veulent leur faire, mais bien dans les bonnes oeuvres qu'ils accomplissent. 41. a J'ai dit, Quirites, comme en un rapide som- maire, ses plus grandes et ses plus nobles actions; car, si on voulait les énumérer toutes exactement une à une, il faudrait plusieurs jours. En outre, je sais que si ces choses sont les seules que vous entendez de ma bouche, elles vous rappelleront à vous-mêmes , du moins intérieurement , toutes les autres, de telle façon que je semblerai, en quelque sorte, les avoir aussi racon- tées. D'ailleurs, dans tout mon discours à son honneur, mon intention n'a pas été de débiter au hasard de pom- peuses paroles, pas plus que la vôtre n'a été d'en en- tendre, mais seulement de lui faire obtenir dans vos âmes pour ses belles et nombreuses actions une gloire dont le souvenir dure toujours. Qui des sénateurs ne s'en souviendrait, lorsqu'après avoir retranché de cet ordre le vil résidu des séditions, sans faire de mal à per- sonne, il a, par cet acte même, relevé la dignité des autres membres, les a grandis par l'augmentation du cens et enrichis par l'argent qu'il leur a donné; lorsqu'il a rendu leurs voix égales à la sienne dans les délibéra- tions, et qu'il a su se ranger à leurs avis ; lorsqu'il leur a toujours communiqué toutes les affaires les plus impor- tantes, toutes les mesures les plus nécessaires, soit dans la curie , soit aussi dans sa demeure, en s'adjoignant tantôt les uns, tantôt les autres, à cause de son âge et de l'affaiblissement physique de son corps? Qui des autres Romains n'y songerait sans cesse, lorsqu'il leur a procuré édifices, richesses, combats de gladiateurs, jeux, immunités, abondance des choses utiles à la vie, sûreté non pas seulement contre les ennemis et contre les mal- faiteurs, mais aussi contre les accidents envoyés, tant le jour que la nuit, par les dieux? Qui des alliés n'en gar- derait la mémoire, lorsqu'il a fait pour eux la liberté exempte de danger, l'alliance exempte de dommages? Qui des peuples soumis ne se le rappellerait, lorsqu'au- cun d'eux n'a subi ni insulte ni outrage? Comment, en effet, oublier un homme pauvre en son particulier, riche pour le bien public, économe pour lui-même, prodigue envers les autres; qui, lorsqu'il bravait sans cesse toutes les fatigues, tous les périls pour vos intérêts, se trouvait malheureux de vous voir l'escorter à son départ, ou, à son retour, aller au-devant de lui ; qui, dans les fêtes, admettait jusqu'au peuple dans sa maison., et, les autres jours, saluait le sénat dans la salle même de ses délibé- rations ? Comment oublier ces lois si nombreuses et en même temps si précises, qui ont apporté à ceux qui souf- fraient de l'injustice une suffisante consolation, sans pour cela infliger à ceux qui la commettaient une punition in- humaine? ces récompenses établies en faveur des citoyens qui se mariaient et procréaient des enfants? ces prix don- nés aux soldats sans nuire à personne ? Le mérite d'avoir su se contenter des pays que nous avions été contraints de subjuguer, sans vouloir y en ajouter de nouveaux, ambition qui, augmentant en apparence notre empire, nous ferait perdre même nos conquêtes actuelles ; d'a- voir toujours partagé la joie et la peine de ses amis, comme leurs amusements et leurs occupations sérieu- ses; d'avoir accordé la liberté de parole indistinctement a tous ceux qui étaient capables de trouver une idée utile d'avoir eu des louanges pour la vérité, de la haine pour la flatterie, d'avoir distribué à beaucoup des lar- gesses de ses propres deniers, et rendu tous les biens légués par des citoyens qui avaient des enfants à ces mêmes enfants, dans quel oubli pourrait-il jamais être enseveli? Aussi, vous l'avez à juste titre appelé le patron et le père de la patrie, vous l'avez, entre autres honneurs, mainte fois élevé au consulat,; et, en dernier lieu, vous êtes allés jusqu'à le proclamer héros, jusqu'à le déclarer immortel. Il n'est donc pas convenable à nous de le pleurer, mais de rendre présentement son corps à la nature et de révérer son àme comme celle d'un dieu. » 42. Voilà ce que lut Tibère. Ensuite le lit funéraire, relevé par les mêmes porteurs qu'auparavant, passa par la porte Triomphale, selon le décret rendu par le sénat. En tête du cortége marchaient les sénateurs et les che- valiers, leurs femmes et les soldats prétoriens venaient après eux, et, pour ainsi dire, tout ce qui se trouvait alors de monde dans Rome. Lorsque le cadavre eut été placé au Champ de Mars sur le bûcher, les prêtres, d'abord, en firent tous le tour; puis, les chevaliers, tant ceux qui servaient dans les légions que les autres, et les soldats de la garde urbaine coururent en cercle tout à l'en- tour de ce même bûcher, quelques-uns jetant sur le corps toutes les récompenses militaires qu'ils avaient reçues de sa main pour leurs exploits. Ensuite, des cen- turions , désignés par décret du sénat , prenant des flambeaux, mirent le feu au bûcher; pendant qu'il se consumait, un aigle, qu'on lâcha, prit son essor, comme s'il emportait au ciel l'âme du prince. La cérémonie faite, on se retira ; mais Livie resta cinq jours avec les premiers des chevaliers, pour recueillir les ossements de l'empereur défunt et les déposer dans le monument. 43. Le deuil dura, suivant la loi, peu de jours pour les hommes ; pour les femmes, un décret le prolongea une année tout entière ; mais, pour dire le vrai, le deuil, très- restreint dans le moment, fut général dans la suite. Auguste, en effet , était d'un abord également facile pour tous, et aidait bien des citoyens de son argent; il accordait de grands honneurs à ses amis et se plaisait à les entendre lui parler librement. Un exemple à joindre à ceux qui ont été cités plus haut, c'est qu'Athénodore, s'étant fait porter, comme une femme , en litière cou- verte dans son appartement et s'étant tout à coup élancé de cette litière l'épée à la main, en lui disant : « Ne crains-tu pas que quelqu'un ne vienne ainsi pour te tuer? » Auguste, loin d'en témoigner de la colère, lui en sut gré. Voilà des traits qu'on citait d'Auguste; on disait aussi que sa colère contre ceux qui l'avaient of- fensé n'était pas sans bornes, et qu'il tenait fidèlement sa parole, même à des gens indignes.; Ainsi, Corocot- tas, brigand fameux d'Espagne, excita tout d'abord sa colère à un tel point qu'il promit deux cent cinquante mille drachmes à celui qui le prendrait vif; mais Com- muas étant venu volontairement se livrer, loin de lui faire aucun mal, il lui donna la somme promise; C'est pour cela, et aussi parce qu'en mêlant le gouvernement monarchique de formes républicaines, il conserva aux Romains leur liberté, leur procura l'honneur et la sé- curité, au point qu'également à l'abri de la fougue po- pulaire et des excès de la tyrannie , ils vécurent dans une sage liberté, sous une monarchie inoffensive, sou- mis à tm prince sans être ses esclaves, gouvernés avec les formes de la république, sans être en butte aux dis- cordes; c'est pour tout cela, dis-je, qu'il fut amèrement pleuré. 44. Si quelques-uns se souvenaient de ses premiers actes, c'est-à -dire de ceux qu'il avait accomplis pendant les guerres civiles, ils les attribuaient à la nécessité des choses, et prétendaient n'examiner ses sentiments qu'à partir du jour où il avait eu seul le pouvoir sans con- teste; car il se montra véritablement bien différent. C'est ce qu'on reconnaîtra, si l'on se rend un compte exact de chacune de ses actions. En résumé , je dis qu'il a mis fin à toutes les séditions, réformé et fortifié le gouvernement en l'asseyant sur des bases solides, de sorte que, si des actes de violence ont eu lieu, comme c'est l'ordinaire dans les révolutions inopinées, il est plus juste d'en accuser les circonstances que lui. Ce qui n'a pas peu contribué non plus à sa gloire, c'est la durée de son règne. La plupart et les plus puissants citoyens du temps de la république avaient péri ; ceux qui vinrent après, ne l'ayant pas connue, et élevés, sinon compléte- ment, du moins en grande partie, sous le régime nou- veau, non-seulement ne lui étaient pas opposés, attendu qu'ils en avaient l'habitude, mais même lui étaient favo- rables, voyant qu'il valait mieux et offrait plus de sûreté que celui dont ils entendaient parler. 45. Beaucoup le savaient du vivant d'Auguste, niais ils le reconnurent bien mieux encore, lorsqu'il fut mort; car il est ordinaire à l'homme de moins sentir son bon- heur lorsqu'il est heureux, qu'il ne le regrette lorsqu'il est malheureux. Les événements le montrèrent bien alors, à propos d'Auguste ; après avoir fait l'épreuve de Tibère, qui lui succéda sans lui ressembler, les Romains redemandaient le premier. Les hommes d'expérience purent immédiatement conjecturer le changement qui allait s'opérer :te consul Pompée , sorti pour aller à la rencontre de ceux qui rapportaient le corps d'Auguste, reçut un coup à la jambe et fut ramené en litière avec lui; un hibou vint, le premier jour où il y eut assem- blée du sénat après la mort du prince , se percher de nouveau sur la curie et fit entendre pendant longtemps des cris luguhres.f Au reste, la différence fut en tout si grande entre les deux empereurs, que quelques histo- riens ont soupçonné Auguste d'avoir à dessein choisi Tibère pour son successeur, bien que connaissant par- faitement son caractère, afin de se faire mieux apprécier lui-même. Ces bruits cependant ne commencèrent que plus tard à se répandre. 46. Pour l'instant, après avoir mis Auguste au rang des immortels, on institua en son honneur des flammes et des sacrifices, avec Livie, qui déjà avait reçu les noms de Julia et d'Augusta, pour prètressë %On permit à Livie d'avoir un licteur dans l'exercice de ses fonctions sacrées; celle-ci fit don de deux cent cinquante mille drachmes à un certain Numérius Atticus, sénateur qui avait exercé la préture, pour avoir, à l'exemple de ce qu'on rapporte de Proculus et de Romulus, affirmé par serment qu'il avait vu Auguste monter au ciellUn sanctuaire, décerné par le sénat et construit par les soins de Livie et de Tibère, lui fut élevé à Rome et dans plusieurs autres lieux où les peuples lui en construisirent, les uns volontairement, les autres malgré eux. La maison où il était mort à Nole fut convertie en temple. A Rome, pendant la construc- tion du sanctuaire, on plaça une image de lui en or cou- chée sur un lit dans le temple de Mars, et tous les hommages qui devaient, dans la suite, être rendus à sa statue, furent dès lors accordés à cette image. En outre, un décret défendit de porter son image dans aucune pompe funèbre, ordonna qu'à son jour natal, les consuls donneraient des jeux avec des prix égaux à ceux des fêtes de Mars; et que les tribuns du peuple , dont la personne était sacro-sainte, célébreraient les Augustales. Ces magistrats remplirent toutes les formalités usitées en pareille circonstance, c'est-à-dire qu'aux jeux du cirque, ils firent usage de la toge triomphale, sans ce- pendant monter sur le char. A part cela , Livie donna en son propre nom pendant trois jours, sur le Palatin, des jeux que célèbrent toujours les divers empereurs qui se succèdent. 47. Ces décisions rendues en l'honneur d'Auguste furent prises, en apparence par le sénat, en réalité par Tibère et par Livie : car, au milieu des résolutions proposées par les uns et par les autres , on décida que Tibère recevrait des sénateurs des mémoires écrits dans lesquels il choisirait ce qu'il voudrait. Si j'ai ajouté le nom de Livie, c'est qu'elle aussi s'occupait des affaires comme si elle eût eu le pouvoir suprême' A cette époque, un histrion ayant refusé de paraître sur le théâtre, aux Augustales, pour le prix fixé, une sédition éclata parmi les plébéiens, et le trouble ne s'apaisa que quand les tri- buns du peuple eurent, le jour même, assemblé le sénat et lui eurent demandé la permission d'excéder les dé- penses réglées par la loi. 'Voilà ce qui eut lieu sous le règne d'Auguste.