[12,0] DE L'ÉCONOMIE RURALE- LIVRE XII. AVANT-PROPOS. (1) L'ATHÉNIEN Xénophon, P. Silvinus, a dit, dans son livre qui a pour titre l'Économique, que l'union conjugale a été instituée par la nature pour former la société non seulement de la vie la plus agréable, mais encore la plus utile. Cicéron aussi a dit autrefois que cette union assemble l'homme avec la femme pour que le genre humain ne pérît pas à la longue, ensuite pour assurer aux mortels par cette association des secours et une protection dans leur vieillesse. (2) En outre, la nourriture et les autres besoins de la vie de l'homme ne se préparant pas dehors et dans les lieux sauvages comme ceux des animaux, mais bien à l'abri et dans la maison, il était nécessaire que des deux époux l'un sortît et s'exposât aux intempéries de l'air pour se procurer ses provisions par le travail et l'industrie, et, que l'autre restât à la maison pour les y serrer et les conserver. Ainsi, si d'un côté, pour nous procurer quelques ressources, il était nécessaire de travailler la terre, ou de nous livrer à la navigation, ou même de faire divers genres de commerce; (3) de l'autre, il était indispensable, nos provisions une fois entassées dans notre maison, qu'une autre personne se trouvât là pour veiller à leur garde et s'occuper des autres travaux qui doivent être exécutés dans l'intérieur. En effet, les productions du sol et les autres aliments que fournit la terre manquaient d'un abri sous lequel on peut les mettre à couvert aussi bien que les petits des brebis et des autres animaux, les fruits et les diverses choses qui servent à l'espèce humaine pour sa nourriture et ses vêtements. (4) C'est pourquoi, les objets dont nous avons parlé demandant du travail et de la diligence, et ne pouvant être conservés à la maison qu'après avoir au dehors exigé beaucoup de peine, il était juste que la nature réservât, comme je l'ai dit, les travaux de la maison à la femme, et les fatigues du dehors ainsi que les excursions lointaines au mari : aussi a-t-elle départi à l'homme les chaleurs et le froid à supporter, les voyages, les travaux de la paix et de la guerre, c'est-à-dire l'agriculture et les services militaires; (5) et a-t-elle confié à la femme, qu'elle a faite impropre à ces occupations, la gestion des affaires domestiques. Comme elle avait disposé le sexe féminin à la conservation et à la vigilance, elle l'a rendu plus timide que le sexe masculin, parce que la crainte de perdre détermine puissamment à la vigilance pour garder ce qu'on possède. (6) Mais l'homme étant quelquefois obligé de repousser les attaques au dehors, quand il est en plein champ occupé à chercher sa subsistance, la nature le fit plus hardi que la femme. Et comme, d'un autre côté, après avoir rassemblé les provisions, la mémoire et l'attention n'étaient pas moins nécessaires à l'homme qu'à la femme, elle a également doué l'un et l'autre de ces facultés. De plus, la simple nature, pour que tous les avantages ne fussent pas le partage d'un même individu, a voulu que les deux sexes eussent réciproquement besoin de l'autre : aussi ce qui manque à l'un se trouve ordinairement chez l'autre. (7) Ce n'est pas en vain que Xénophon dans son Economique, et ensuite Cicéron, qui a traduit cet ouvrage en latin, se sont occupés de cette matière. Chez les Grecs, et bientôt après chez les Romains jusqu'au temps de nos pères, toutes les occupations de l'intérieur de la maison étaient confiées aux femmes, parce que les pères de famille abandonnaient toute espèce de soins de ce genre lorsque, cherchant un délassement après les exercices extérieurs, ils revenaient auprès de leurs pénates domestiques. Aussi voyait-on régner dans le ménage le plus grand respect joint à la concorde et au zèle, et les épouses, même les plus belles, étaient animées d'émulation pour s'appliquer, à force de soins, à accroître et à améliorer les biens de leurs maris. (8) On ne voyait rien de partagé dans le ménage, rien que le mari ou la femme pût justement révendiquer comme lui appartenant en particulier : mais l'un et l'autre coopéraient à la chose commune; de sorte que le zèle de la femme pour l'intérieur rivalisât avec l'activité du mari pour les affaires du dehors. Ainsi le métayer et la métayère n'avaient pas de grandes occupations dans ces temps où les maîtres surveillaient et administraient eux-mêmes leurs propriétés. (9) Aujourd'hui, au contraire, la plupart des femmes sont tellement énervées par le luxe et la paresse, qu'elles ne daignent pas même s'occuper du travail de la laine ; et, dans leur oisiveté, elles sont dégoûtées des vêtements faits à la maison, et poussées par leurs désirs pervertis elles obtiennent de leurs maris, à force de cajoleries, des vêtements plus précieux qu'on achète à des prix énormes, et qui absorbent pour ainsi dire leur revenu presque entier. Aussi il n'est pas étonnant que ces dames se trouvent excédées du soin de la campagne et des instruments d'agriculture, et regardent comme une chose ignoble de passer quelques jours dans leurs métairies. (10) C'est pourquoi les anciennes habitudes des familles sabines et romaines étant non seulement passées de mode, mais même complétement anéanties, les métayères se sont trouvées nécessairement saisies du soin qui faisait partie des devoirs des dames; et les métayers ont aussi pris la place des maîtres, qui précédemment, se conformant aux anciens usages, non seulement se livraient à la culture des champs, mais même les habitaient. (11) Mais, pour ne pas paraître mal à propos entreprendre un ouvrage de critique en blâmant les moeurs de mes contemporains, je vais maintenant m'occuper des devoirs de la métayère. [12,1] LA MÉTAYÈRE. Soins des affaires de la maison, et préceptes sur les choses que la métayère doit exécuter. 1. (1) Pour suivre l'ordre que nous avons commencé d'observer dans le volume précédent, nous dirons que cette femme doit être jeune, sans être pourtant à la fleur de l'âge, pour les raisons que nous avons données en parlant de l'âge du métayer. Elle doit avoir aussi une santé florissante, et n'être ni trop laide ni trop belle : car sa force doit lui permettre de supporter les veilles et les autres fatigues, et sa difformité ne point être pour son mari un sujet de dégoût, pas plus que sa beauté un motif de paresse. (2) C'est pourquoi il faut veiller à ce que nous n'ayons pas plus un métayer coureur et qui prenne en aversion son ménage, qu'un nonchalant qui reste toujours à la maison et qui soit toujours dans les bras de sa femme. Ce que nous venons de dire n'est pas tout ce qu'on doit observer à l'égard de la métayère : (3) car il faudra principalement considérer si elle n'est pas adonnée au vin, à la gourmandise, à la superstition, au sommeil, au libertinage, et si elle est assez soigneuse pour se souvenir de ce qu'elle a fait et pour songer à ce qu'elle doit faire, de manière à pouvoir suivre à peu près les règles que nous avons prescrites pour le métayer. En effet, la plupart des obligations s'appliquent également au mari et à la femme : ils devront donc aussi bien l'un que l'autre éviter le mal qu'espérer la récompense de leur bonne conduite. Au surplus la métayère s'occupera assez pour que le métayer n'ait à faire dans la maison que le moins de besogne qu'il sera possible; car dès le point du jour il doit sortir avec ses gens et ne rentrer qu'au crépuscule, alors qu'il est fatigué du travail des champs. (4) Toutefois, en traçant les devoirs de la métayère, nous ne dispensons pas son mari des soins de l'intérieur, mais nous voulons seulement lui en alléger le fardeau en lui donnant une aide. Au reste le service de la maison ne doit pas être tout entier abandonné à la gestion de la femme, mais lui être remis de telle sorte que le métayer le surveille de temps en temps. Par ce moyen la métayère sera plus diligente en se souvenant qu'il y a près d'elle quelqu'un à qui elle devra rendre compte fréquemment. (5) Elle sera bien persuadée aussi qu'elle doit, sinon toujours, du moins le plus souvent, rester à la maison, afin de pouvoir envoyer au dehors les esclaves qui ont quelque travail à faire dans les champs, et de retenir près d'elle ceux dont elle a besoin, et de surveiller si, par leur inaction prolongée, ils ne portent pas préjudice aux opérations. Elle examinera avec attention les choses qu'on lui apportera à la maison, pour s'assurer qu'elles sont en bon état, et elle ne les recevra qu'après cette inspection et avoir reconnu qu'elles sont de bonne qualité; elle séparera ce qui doit être aussitôt consommé de ce qui, étant propre à être gardé, doit être mis en réserve, de manière à ne pas dépenser dans un mois ce qui peut faire la provision de l'année. (6) Si quelque esclave est affecté d'un commencement de maladie, elle s'appliquera à lui administrer les soins les plus convenables : car ces bons soins ne contribuent pas moins à lui concilier l'affection qu'à rendre l'obéissance plus facile ; outre que, lorsqu'ils sont guéris, grâce à l'assistance qu'ils ont reçue dans leurs maladies, ces gens s'appliquent à servir plus fidèlement encore qu'ils ne l'avaient fait auparavant. [12,2] II (1) Ensuite la métayère n'oubliera pas que les objets qu'on lui apporte doivent être déposés en bon état dans des lieux convenables et sains : car il n'y a rien de plus important que de bien préparer les endroits où l'on doit serrer chaque chose, pour pouvoir l'en tirer au besoin. Nous avons déjà dit comment ces celliers doivent être établis, et dans notre premier volume, lorsque nous nous occupions de la construction de la ferme, et dans le onzième livre, lorsque nous avons discouru sur les obligations du métayer. (2) Toutefois je ne serai pas fâché d'y revenir ici en peu de mots. La chambre la plus élevée doit être affectée aux vases les plus précieux et aux vêtements; les greniers, pourvu qu'ils soient sains et secs, sont les lieux qui semblent le plus convenables pour les grains; les lieux frais contribuent puissamment à la garde du vin; les pièces bien éclairées doivent être destinées aux meubles fragiles, et aux travaux qui exigent beaucoup de lumière. (3) Les dépôts étant préparés, il faudra disposer rationnellement chaque chose en son lieu, et même placer certains objets dans un endroit spécial : c'est le moyen de pouvoir trouver facilement ce dont on peut avoir besoin. En effet, un vieux proverbe dit qu'on n'est jamais plus pauvre que lorsqu'on ne peut se servir des choses dont on a besoin, parce qu'on ignore où on les a jetées au hasard. Aussi, dans l'économie d'une maison, la négligence donne plus de travail que n'en demande l'exactitude elle-même. (4) Et qui doute, en effet, qu'il n'y a rien de plus beau dans toutes les positions de la vie que l'ordre et l'arrangement? C'est ce qu'on est à même de reconnaître souvent, jusque dans les spectacles les plus frivoles. En effet, si le choeur des chanteurs ne s'accorde pas sur des modes exacts, et n'observe pas la mesure donnée par le maître qui dirige, on ne paraît faire entendre aux auditeurs que des sons discordants et désordonnés; tandis que, si le choeur observe une mesure déterminée, qu'il la marque et batte du pied, en conspirant en quelque sorte à s'accorder, cette harmonie des voix non seulement produit quelque chose de flatteur et de doux pour les chanteurs, mais charme aussi du plaisir le plus vif les spectateurs et les auditeurs. (5) Il en est de même dans une armée : ni le soldat ni le général ne sauraient faire leurs évolutions, sans ordre et sans une bonne disposition, et si les hommes armés étaient confondus avec ceux qui ne portent point d'armes, les cavaliers avec les fantassins, et la cavalerie mêlée avec les chariots. La même nécessité de préparatifs et d'ordre est aussi de la plus grande importance sur les navires : car, s'il survient une tempête, et que tout dans le vaisseau se trouve à sa place, l'homme de service présente sans embarras chaque agrès qui se trouve en son lieu, lorsque le chef en fait la demande. (6) Si le bon ordre a tant de pouvoir, soit sur les théâtres, soit dans l'armée, soit dans un vaisseau, il n'est pas moins évident que les soins de la métayère doivent se porter sur l'arrangement et la bonne disposition des objets qu'elle doit serrer. On voit effectivement avec plus de facilité chaque chose, quand elle est placée au lieu qui lui est assigné; et quand par hasard quelque objet ne s'y trouve pas, la place vide avertit elle-même de faire la recherche de ce qui manque. D'ailleurs, si quelque objet a besoin d'être soigné ou réparé, on a moins de peine à s'en apercevoir, s'il occupe sa place ordinaire. M. Cicéron, qui sur ce point asuivi l'autorité de Xénophon, introduit à ce propos dans son Économique Ischomaque donnant ainsi les détails de cette matière à Socrate qui s'en informe. [12,3] III. (1) Après avoir préparé les emplacements convenables, le premier soin est d'y distribuer les ustensiles et les meubles. D'abord on met à part les effets dont on a coutume de se servir pour le culte divin, ensuite les objets de toilette dont se parent les femmes aux jours de fête, et les habillements nécessaires aux hommes pour ces jours solennels, puis les chaussures propres aux deux sexes; puis on sépare les armes et les traits, et on dépose dans un autre quartier les instruments qui servent pour les ouvrages de laine. (2) Ensuite, comme c'est l'usage, on place les vases destinés à la préparation des aliments, puis ceux que l'on emploie pour se laver, pour la toilette, pour les repas journaliers, pour les festins d'apparat. En outre, parmi les objets d'un usage journalier, on sépare ce qui doit être consommé dans le mois, de ce qui ne doit l'être que dans l'année : à ce moyen on se trompe moins sur le temps que doivent durer les provisions. (3) Après cette distribution, nous donnons encore une place à chaque objet; ensuite nous remettons aux esclaves subalternes les choses qui servent tous les jours, soit pour les travaux de lainage, soit pour cuire et préparer les aliments, et chaque objet à celui qui doit en faire usage, en lui enseignant où il doit être mis, et lui prescrivant ce qu'il faut faire pour le tenir en bon état. (4) Quant à ce qui n'est de service que les jours de fêtes, ou quand il survient des hôtes et dans des circonstances rares, nous le confions à l'économe en lui montrant la place assignée à chaque chose, en lui délivrant les effets par nombre : nous devons prendre ce compte par écrit. Après avoir informé l'économe, de manière qu'il puisse s'en souvenir, de l'endroit où il pourra prendre tout ce qu'on pourrait lui demander quand le besoin se fera sentir, on lui recommande de prendre note des objets qu'il délivrera, de la date de la remise, du nom de celui à qui il la fera, et de remettre chaque objet à sa place dès qu'il aura été rendu. (5) Ainsi, par l'organe d'Ischomaque, les anciens nous ont transmis les préceptes d'économie et de vigilance que nous donnons en ce moment à la métayère. Toutefois ses soins ne doivent pas avoir pour unique objet de garder sous la clef les choses qu'elle a reçues pour les mettre en sûreté à la maison; elle doit encore de temps en temps en faire la revue et les examiner avec soin, pour éviter que les meubles et les vêtements ne se détériorent dans leur dépôt, et que les provisions ou les ustensiles n'aient à souffrir de son inattention et de sa paresse. (6) Dans les journées pluvieuses ou pendant les froids et les frimas, lorsqu'une femme ne peut se livrer en plein air aux travaux champêtres, la métayère doit s'occuper des ouvrages de laine, et en avoir d'avance de peignée, pour qu'elle puisse plus facilement faire par elle-même ce travail ou le donner à exécuter : car il ne sera pas niais que l'on confectionne à la maison ses propres vêtements, ceux des gens qu'on y emploie et des esclaves les plus considérés, afin que les comptes à rendre au père de famille soient moins chargés. (7) En outre, elle devra toujours s'assurer, après le départ des travailleurs, si, des esclaves qui doivent aller aux champs, quelques-uns, comme il arrive quelquefois, se cachant dans la maison, n'ont pas trompé la vigilance du maître : dans ce cas, elle s'informera de la cause de leur oisiveté, et s'assurera si c'est pour cause de maladie qu'il sont restés, ou s'ils se sont cachés par paresse. Quand bien même elle aurait découvert qu'ils feignent d'être malades, elle les conduira à l'infirmerie sans retard : car il y a plus d'avantage à laisser reposer un ou deux jours, en le surveillant, un homme fatigué, que de l'exposer à contracter une véritable maladie, accablé qu'il serait par un excès de travail. (8) Enfin cette femme restera le moins qu'elle pourra dans la même place, car sa charge n'est pas sédentaire; au contraire, tantôt elle devra se mettre au métier à toile, et, si elle est la plus habile, y donner des leçons, sinon en recevoir de l'ouvrier qui a plus de savoir; tantôt elle surveillera ceux qui préparent la nourriture des gens, et veillera à ce qu'on tienne propres la cuisine, les bouveries et les crèches, ainsi que les infirmeries, lors même qu'elles ne renferment pas de malades : ces infirmeries seront de temps en temps aérées et nettoyées, afin que, lorsque le cas l'exigera, les gens qu'on y dépose les trouvent bien tenues, bien propres et salubres. (9) Elle sera présente lorsque les écènomes et ceux qui ont la garde des celliers auront quelque chose à peser ou à mesurer ; et aussi quand les pâtres trairont le lait dans les étables ou feront teter les agneaux ou les autres jeunes bêtes; elle assistera à la tonte des laines, qu'elle recueillera avec soin, et comptera les toisons pour s'assurer que le nombre en est égal à celui des moutons; elle veillera à ce que les gens qui ont soin de l'intérieur exposent les meubles à l'air, enlèvent la rouille des instruments qu'ils doivent tenir propres et brillants, et donnent aux ouvriers, pour qu'ils les mettent en état, ceux des outils qui ont besoin de réparation. (10) Enfin, toutes ces choses étant ainsi réglées, je pense que ces dispositions ne seront profitables qu'autant que, comme je l'ai dit, le métayer très souvent, et le maître ou la maîtresse quelquefois, jetteront un coup d'oeil et veilleront à ce que l'ordre établi soit conservé. C'est ce qu'on a aussi observé toujours dans les villes bien policées, dont les chefs et les notables ne croyaient pas avoir fait assez en ayant de bonnes lois, tant qu'ils n'avaient pas pour leur exécution établi des citoyens très diligents, que les Grecs appellent nomophylaques, (11) et dont l'office est de donner des louanges, même de décerner des honneurs à ceux qui obéissent à la loi, et de frapper de punitions ceux qui l'enfreignent. C'est justement ce que font encore maintenant les magistrats, qui maintiennent la force des lois par un exercice assidu de leurs fonctions. En voilà assez pour ce qui concerne l'administration générale de la ferme. [12,4] IV. (1) . Maintenant nous allons donner des préceptes sur les autres choses dont nous ne nous sommes pas occupés dans les livres précédents, parce que nous nous réservions d'en parler en traitant des fonctions de la métayère. Afin de garder un certain ordre, nous commencerons par le printemps, parce qu'alors les cultures étant en état et l'ensemencement des trémois terminé, le temps qui reste inoccupé s'offre pour exécuter ce que désormais nous allons enseigner. (2) Il est de tradition que les auteurs carthaginois et grecs, et même les romains, n'ont pas négligé le soin des petites choses : car Magon le Carthaginois et Amilcar (que Mnaséas et Paxamus, écrivains grecs qui ne sont pas sans réputation, paraissent avoir suivis, comme l'ont fait aussi ceux de notre nation, tels que M. Ambivius, Ménas Licinius et même C. Matius, quand après les guerres ils ont eu quelque loisir) n'ont pas dédaigné de payer une sorte de tribut à ce qui concerne la nourriture des hommes : ils ont pris soin de former par leurs préceptes d'habiles boulangers, des cuisiniers et même des économes. (3) Tous ces auteurs ont trouvé convenable que tous ceux qui s'adonnent à ces emplois soient chastes et continents, parce qu'il importe surtout que les boissons et les aliments ne soient touchés que par des impubères, ou au moins par des personnes qui s'abstiennent tout à fait de l'acte vénérien; et que, si un homme ou une femme mariés s'occupent des provisions, ils doivent se laver, avant d'y porter la main, dans une rivière ou toute autre eau courante. C'est pourquoi il leur semble nécessaire d'employer soit un jeune garcon, soit une jeune fille, pour tirer du magasin les provisions dont on a besoin pour l'usage. (4) Après cette prescription, ils ordonnent de préparer le lieu et les vases destinés aux conserves. Ce lieu sera opposé au soleil, très frais et très sec, afin que les provisions n'y contractent pas un goût de moisi. Quant aux vases, soit en terre cuite, soit en verre, ils seront plutôt nombreux que grands, et parmi eux quelques-uns seront enduits de poix, d'autres seront dans leur état de pureté, selon que la nature de la conserve l'exigera. (5) On aura soin que ces vases aient une large ouverture, que leur diamètre soit le même du haut jusqu'au bas, et qu'ils ne soient pas faits en manière de tonneaux, afin que, lorsqu'on a extrait de la conserve pour l'usage, ce qui reste descende également jusqu'au fond, entraîné par son propre poids : à ce moyen la provision se conserve sans altération, lorsqu'il n'en surnage rien et que le tout est toujours recouvert par la saumure. On n'obtiendrait pas cet avantage d'un tonneau, à cause de l'inégalité de sa forme vers son ventre. Pour ces opérations, l'usage du vinaigre et de forte saumure est très nécessaire. Voici comment on obtient l'un et l'autre. [12,5] V. (1) Pour faire tourner du vin éventé à l'acidité, mettez dans quarante-huit setiers de ce liquide, une livre de levain, un quarteron de figues sèches, un setier de sel, broyés ensemble, après avoir préalablement délayé le quart d'un setier de miel dans la mesure que j'ai indiquée. Quelques personnes ajoutent dans la quantité de vin ci-dessus déterminée quatre setiers d'orge torréfiée, quarante noix enflammées, et une demi-livre de menthe verte; (2) d'autres font chauffer des barres de fer jusqu'à ce qu'elles aient la couleur du feu, et les plongent dans la même quantité de vin; il y en a même qui allument cinq ou six pommes de pin vides de leurs amandes, et les y jettent tout enflammées; d'autres font la même chose avec des cônes de sapin. [12,6] VI. (1) Faites ainsi la saumure forte : Établissez un tonneau, dont l'ouverture soit très grande, dans la partie de la ferme qui est le plus exposée au soleil. Remplissez ce tonneau d'eau pluviale, car elle est la meilleure pour cette préparation; ou bien, si vous n'avez pas d'eau de pluie, employez de l'eau de fontaine dont la saveur soit très douce. Alors suspendez dans le vase une corbeille de jonc ou de sparte, qui devra être remplie de sel blanc, afin que la saumure ait plus de blancheur. Tant que vous verrez (ce qui a lieu pendant quelques jours) le sel se fondre, vous en tirerez la conséquence que la saumure n'est pas encore faite. (2) C'est pourquoi vous ajouterez de temps en temps de nouveau sel, jusqu'à ce qu'il reste entier dans le panier et qu'il n'y éprouve pas de diminution. Quand vous serez assuré qu'il en est ainsi, vous saurez que votre saumure est parfaite; et, si vous désirez en préparer d'autre dans le même vaisseau, versez dans un vase bien enduit de poix celle que vous venez de faire, et placez-la au soleil, après l'avoir couverte : car la force du soleil n'y laisse pas de moisissure se former et lui procure une bonne odeur. Il existe une autre manière d'éprouver si la saumure est parfaite : si, après y avoir mis du fromage frais, il s'y enfonce, c'est la preuve qu'elle n'est pas assez saturée; elle sera à son point, s'il surnage. [12,7] Quelles sont les herbes dont on fait usage dans les quatre saisons de l'année, et comment on les confit. VII. (1) Il faudra, vers l'équinoxe du printemps, recueillir pour l'usage et jeter, dans cette saumure ainsi préparée, diverses herbes, telles que des brocolis et des feuilles de chou, des câpres, de jeunes pousses d'ache, de la rue, du maceron avec sa tige avant qu'elle s'élance de son enveloppe, des jets de férule qui ne soient pas encore entrés en végétation, des ombelles à peine épanouies de panais sauvage, ou de panais cultivé, avec ses petites feuilles, la fleur encore en bouton de la vigne blanche, de l'asperge, du houx fragon, du thamnus, de la digitale, du pouliot, de la cataire, du lapsana, de la criste marine avec sa tige que nous appelons pied de milan, et en outre de jeunes tiges de fenouil. (2) Toutes ces plantes se conserveront facilement dans une même préparation, c'est-à-dire dans un mélange de deux parties de vinaigre et d'une troisième de saumure forte. Quant à la vigne blanche, au houx fragon, au thamnus, à l'asperge, au lapsana, au panais, à la cataire, à la criste marine, on les dépose dans des vases séparément, on les saupoudre de sel, et on les place à l'ombre pendant deux jours jusqu'à ce qu'ils aient ressué ; ensuite, s'ils ont rendu assez de liquide, on les lave dans ce jus, (3) sinon, dans la saumure forte, et on exprime leur eau sous une masse pesante; puis on les dépose dans leur vase particulier, on verse dessus la sauce qui, comme je l'ai dit, est un mélange de deux parties de vinaigre et d'une de saumure. On étend sur le tout une couche de fenouil desséché, qu'on a cueilli l'année précédente à l'époque de la vendange, de façon qu'il comprime les herbes et fasse monter la sauce jusqu'aux bords de la cruche. (4) Après avoir cueilli le maceron, la férule et le fenouil, vous les étendrez à l'abri jusqu'à ce qu'ils se flétrissent, et vous détacherez les feuilles et toute l'écorce de ces jeunes végétaux. Si les tiges sont plus grosses que le pouce, coupez-les avec une lame de roseau, et fendez- les en deux; les fleurs mêmes, si elles sont trop grandes, doivent être divisées et jetées ainsi dans les vases. On verse ensuite la sauce dont nous venons de parler, et on ajoute une petite quantité de racines de laser, que les Grecs appellent g-silphion, puis on étend la couche de fenouil sec de manière que le liquide la recouvre. (5) On laissera se flétrir, durant plusieurs jours, à l'abri, les brocolis, les choux, les câpres, le pied de milan, le pouliot et la digitale, que l'on confit de la même manière que la férule, la rue, la sarriette et l'origan. II y a des personnes qui confisent la rue seulement avec de la saumure forte sans vinaigre, et, avant d'en faire usage, la trempent dans de l'eau ou dans du vin, puis la man-gent après l'avoir arrosée d'huile. On pourrait, au moyen de cette préparation, conserver avantageusement de la sarriette et également de l'origan vert. [12,8] Comment on fait l'oxygale. VIII. (1) Préparez l'oxygale ainsi qu'il suit : Prenez un pot neuf; percez-le à son fond; bouchez avec une cheville le trou que vous aurez pratiqué; remplissez ce vase de lait de brebis très frais, et ajoutez-y des bouquets de fournitures vertes, telles que de l'origan, de la menthe, de l'oignon et de la coriandre; en cet état, plongez vos herbes dans le lait, de manière que leurs liens sortent au-dessus. (2) Au bout de cinq jours, tirez la cheville avec laquelle vous aviez bouché le trou du vase, et faites écouler le petit-lait. Dès que le caillé commencera à paraître, vous reboucherez le vase avec la même cheville, et, trois jours après, vous ferez écouler le sérum, comme je l'ai dit ci-dessus, puis vous enleverez et jetterez les bouquets de fournitures, et froisserez sur le lait un peu de thym sec et de sarriette sèche; enfin vous y ajouterez et y mêlerez ce que vous voudrez de poireaux sectiles, hachés bien menu. Bientôt après, quand deux jours se seront écoulés, donnez de nouveau issue au sérum; bouchez le vase; ajoutez quantité suffisante de sel égrugé et opérez le mélange; mettez un couvercle et lutez. Vous n'ouvrirez ce vase que lorsque le besoin l'exigera. (3) Certaines personnes cueillent des plantes de passerage soit cultivé, soit sauvage, et les font sécher à l'ombre; après en avoir rejeté les tiges et fait macérer les feuilles dans la saumure un jour et une nuit, puis les avoir fortement pressées, elles mettent ces feuilles dans du lait non assaisonné et y ajoutent du sel en quantité suffisante à leur gré. Au surplus, elles feront ce que nous avons prescrit ci-dessus. (4) Quelques autres personnes jettent dans une cruche des feuilles fraîches de passerage avec du lait doux, et, trois jours après, comme nous l'avons enseigné, elles font écouler le sérum. Ensuite elles mettent dans le vase de la sarriette verte, des graines sèches de coriandre et d'aneth, du thym et de l'ache, fortement broyés ensemble; elles y mêlent du sel bien grillé et tamisé, et terminent la préparation comme ci-dessus. [12,9] Conserve de laitues. IX. (1) On salera dans un vase des tiges de laitue bien nettoyées depuis le pied jusqu'aux feuilles tendres, on les y laissera un jour et une nuit, jusqu'à ce qu'elles puissent rendre la saumure; ensuite il faudra les laver avec d'autre saumure, les étendre en les exprimant sur des claies, jusqu'à ce qu'elles s'y soient desséchées. Alors on fera une couche d'aneth sec, de fenouil, sur lesquels on étendra et mêlera une petite quantité de rue et de poireau ; puis on disposera les tiges de laitue de manière qu'on puisse y interposer des haricots verts entiers, qu'on devra faire préalablement macérer dans de la saumure forte un jour et une nuit. (2) Ces haricots, également égouttés, seront confits avec les hottes de laitues, et sur le tout on versera la sauce, qui consistera en deux parties de vinaigre et une de saumure; ensuite on pressera avec un bouchon de fenouil sec, de sorte que le liquide surnage. Pour obtenir ce résultat, celui qui préside à cette opération devra de temps en temps verser de nouvelle sauce, ne pas laisser dessécher les plantes confites, essuyer même l'extérieur des vases au moyen d'une éponge, et les rafraîchir avec de l'eau de fontaine très fraîche. (3) Par ce procédé employé pour la conservation de la laitue, on confit la chicorée, les sommités de la ronce, ainsi que les cimes du thym, de la sarriette, de l'origan et même des raiforts. Les préparations que je viens de décrire se font au printemps. [12,10] X. (1) Enseignons maintenant ce qui doit être cueilli et conservé pendant l'été, vers la moisson ou même après cette époque. Choisissez l'oignon de Pompéi ou d'Ascalon, ou même le simple oignon des Marses, que les paysans appellent union : c'est celui qui n'a pas poussé de jets et qui ne se divise pas en caïeux. (2) Mettez-le d'abord sécher au soleil, puis, après l'avoir fait rafraîchir à l'ombre, dressez-le dans un vase de terre sur une couche de thym ou de sarriette; versez sur le tout une sauce composée de deux tiers de vinaigre et d'un de saumure; placez dessus une botte de sarriette de manière à contenir l'oignon ; et. quand il aura absorbé le liquide, vous remplirez le vase du même mélange. C'est dans le même temps que l'on confit les cormes, les prunes d'onyx, les prunes sauvages et diverses espèces de poires et de pommes. (3) Les cormes, dont nous usons en guise d'olives, les prunes sauvages et les prunes d'onyx doivent être cueillies fermes encore, avant leur maturité complète, mais non trop vertes. On les laisse sécher à l'ombre pendant un jour, et l'on verse dessus un mélange, à parties égales, de vinaigre et de vin plus ou moins réduit par la cuisson. Il faudra, en outre, ajouter un peu de sel, de crainte qu'il ne s'y engendre des vers ou d'autres insectes. Au surplus, on conserve mieux cette préparation si on mêle ensemble deux parties de vin cuit avec une partie de vinaigre. (4) Cueillez avant leur maturité, mais non pas vertes, les poires de Dolabella, les crustumines, les royales, les poires de Vénus, les volèmes, les néviennes, les latéritiennes, les décumanes, les laurées, les myrappies, et les prunes pourprées; visitez-les avec soin, afin de n'employer que celles qui sont parfaitement saines et non atteintes des vers. Mettez-les dans un vase de terre cuite, enduit de poix, et remplissez-le avec du vin de raisins desséchés au soleil, ou avec du vin cuit, de manière que tous les fruits en soient recouverts, puis posez le couvercle et lutez avec du plâtre. (5) Je crois devoir dire qu'il n'y a aucune sorte de fruit proprement dit qu'on ne puisse conserver dans le miel. C'est pourquoi, comme ces dernières conserves sont quelquefois salutaires aux malades, je pense qu'il faut en préparer, ne fût-ce qu'une petite quantité; mais il faut mettre les fruits de chaque espèce séparément : car, s'ils étaient mélangés, une espèce pourrait altérer l'autre. (6) Puisque l'occasion s'est présentée de faire mention du miel, nous ajouterons que la préparation dont il s'agit doit être faite dans le même temps où l'on châtre les rayons, recueille le miel et presse la cire : opérations dont nous avons parlé déjà dans notre neuvième livre; aussi nous ne demandons ici d'autres soins au métayer que d'assister à ces travaux et de bien conserver ses fruits. [12,11] Composition de l'hydromel que l'on emploie pour les confitures. XI. (1) Au reste, comme on serre le miel en même temps qu'on doit mettre en réserve l'hydromel pour le laisser vieillir, il importe de se souvenir qu'après avoir recueilli des rayons le miel secondaire, on doit aussitôt diviser la cire en petits morceaux, la faire macérer dans de l'eau de fontaine ou de pluie, qu'on fera couler ensuite en pressant fortement la cire, puis recuire dans un vase de plomb où on l'aura recueillie : on la débarrassera de ses ordures en l'écumant. Quand la cuisson en sera parfaite et que le liquide aura acquis la consistance du vin cuit, on le laissera refroidir, et on le renfermera dans des cruches bien enduites de poix. (2) Quelques personnes se servent, au lieu d'hydromel, de l'eau dans laquelle les rayons ont trempé; d'autres l'emploient en place de vin cuit pour confire les olives, et je suis d'avis qu'elle y est plus convenable, parce qu'elle a une saveur appétissante ; on ne doit pas toutefois la donner aux malades au lieu d'hydromel, parce que, si on la boit, elle occasionne le gonflement de l'estomac et produit des flatuosités. [12,12] Manière de faire l'hydromel. XII. (1) Ainsi ce lavage étant mis à part et destiné à des conserves, on fera de l'hydromel avec le meilleur miel. Il y a plus d'une manière de le préparer. En effet, quelques personnes renferment, plusieurs années d'avance, de l'eau de pluie dans des vases qu'ils tiennent en plein air au soleil ; ensuite elles la décantent fréquemment dans d'autres vases et la tirent au clair (car toutes les fois qu'on tarde quelque temps à la transvaser, on trouve au fond un sédiment semblable à de la lie); puis on mêle un setier de cette vieille eau avec une livre de miel. (2) D'autres personnes, pour donner un goût plus ferme à l'hydromel, délayent le setier d'eau avec le miel à la dose de neuf onces, et placent au soleil, durant quarante jours, à l'époque du lever de la canicule, la cruche qu'on a remplie de cette préparation et lutée avec du plâtre; dans cet état, ils la déposent sur une tablette où elle puisse recevoir la fumée. (3) D'autres, qui n'ont pas eu soin de faire vieillir de l'eau de pluie, en prennent de fraîche et la font bouillir jusqu'à réduction des trois quarts; puis, quand elle est refroidie, mélangent un setier de miel avec deux setiers d'eau, s'ils désirent faire un hydromel très doux; ou bien, s'ils le veulent plus fort, ils ajoutent à un setier d'eau neuf onces de miel, et, ces proportions observées, versent dans la cruche leur préparation. Ensuite, comme je l'ai dit ci-dessus, ils l'exposent quarante jours au soleil, et la déposent sur des tablettes où elle soit exposée à l'action de la fumée. [12,13] De la conservation du fromage, et de certaines herbes à confire. XIII. (1) Le temps le plus éminemment favorable pour la confection du fromage destiné aux usages domestiques, est celui où il s'en écoule le moins de petit-lait, ainsi que le temps de l'arrière-saison où l'on ne recueille que peu de lait : car il n'y a pas alors d'avantage à consumer des journées pour porter au marché ces denrées qui, même par l'effet de la chaleur, sont exposées à s'aigrir. Aussi est-ce le moment le plus convenable de faire des fromages pour l'usage de la maison. Au reste, pour qu'ils soient bien faits, on doit en confier le soin au berger, auquel nous avons, dans notre septième livre, donné à ce sujet les préceptes qu'il doit suivre. (2) Il existe aussi certaines herbes qu'à l'approche des vendanges on peut confire, telles que le pourpier, et ce légume tardif que quelques personnes appellent la perce-pierre cultivée. On nettoie avec soin ces herbes, on les étend à l'ombre ; puis, quatre jours après, on fait au fond des cruches un lit de sel, sur lequel on place chaque plante séparément; après avoir versé un bain de vinaigre, on jette par-dessus une couche de sel ; car la saumure ne convient pas à ces herbes. [12,14] Des pommes et des poires à faire sécher au soleil. XIV. (1) Dans ce même temps, ou même dès le commencement d'août, on fait choix, avant qu'elles soient parfaitement mûres, de pommes et de poires d'une saveur très douce; on les expose au soleil jusqu'à leur dessiccation, après les avoir coupées en deux ou trois morceaux avec une lame de roseau ou avec un couteau d'os. Quand la récolte de ces fruits est abondante, les paysans en réservent une bonne quantité pour leur hiver : car ils leur tiennent lieu de mets, comme les figues, qui, serrées bien sèches, font dans la mauvaise saison partie de la nourriture des gens de campagne. [12,15] Des figues sèches. XV. (1) Les figues ne seront cueillies ni trop mûres ni trop vertes; elles doivent être étendues en un lieu qui reçoive le soleil toute la journée. On fiche en terre quatre pieux distants entre eux de quatre pieds, et que l'on assujettit l'un à l'autre par des perches. On pose sur ces jougs des roseaux taillés exprès, de manière qu'ils soient élevés de deux pieds au-dessus du sol, pour qu'ils ne puissent pas attirer l'humidité que la terre rend presque toutes les nuits. Alors on jette sur ce joug les figues, et l'on dispose à plat sur la terre, de chaque côté, des claies de berger tissues de chaume, de laîche ou de fougère, afin que, dès le coucher du soleil, on puisse, en les dressant et les inclinant en forme de toit voûté comme les chaumières, protéger contre la rosée, et quelquefois la pluie, les figues qui se dessèchent : car ces deux météores font gâter ces fruits. (2) Quand ils seront bien secs, il faudra, sur le midi, les entasser toutes chaudes dans des vaisseaux bien enduits de poix, et les y fouler fortement, après avoir toutefois mis du fenouil sec au fond des vases, et en avoir aussi étendu dessus quand ils sont remplis. Il importe de boucher immédiatement ces vases, de les luter et de les déposer dans un grenier très sec, afin que les figues se conservent longtemps. (3) Quelques personnes enlèvent la queue des figues qu'elles ont cueillies, et les étendent au soleil; puis, quand elles sont un peu desséchées, avant qu'elles soient fermes, elles les entassent dans des vases de terre cuite ou de pierre, et, après s'être lavé les pieds, elles les foulent comme on fait pour la farine, et y mêlent du sésame torréfié avec de l'anis d'Égypte et des graines de fenouil et de cumin. (4) Quand cette pression est terminée et que ces ingrédients sont incorporés avec toute la masse des figues pétries, elles font du tout des pains de moyenne grosseur, qu'elles roulent dans des feuilles de figuier, lient avec du jonc ou toute autre plante, établissent sur des claies et laissent sécher. Ensuite, quand la dessiccation s'est opérée, elles les renferment dans des vases enduits de poix. D'autres personnes renferment ces pains de figues dans des vases non poissés, et leur font subir la cuisson de la tourtière ou du four, afin de dissiper au plus vite toute leur humidité; puis elles placent sur des tablettes cette préparation bien desséchée, et, quand le besoin l'exige, elles cassent le vase : car la masse de figue est tellement dure qu'on ne peut l'en tirer autrement. (5) Quelques autres font choix des plus grosses figues vertes, les ouvrent avec un roseau ou avec les doigts, et, dans cet état, les font sécher au soleil; puis, quand la chaleur du midi les a bien desséchées et que l'ardeur du soleil les a amollies, elles les relèvent, et, comme il est d'usage en Afrique et en Espagne, elles leur donnent, en les rangeant symétriquement, la figure soit d'étoiles, soit de fleurs, ou bien la forme d'un pain et les pressent dans cet état; alors elles font de nouveau sécher ces fruits au soleil, et les enferment dans des vases. [12,16] De la préparation des raisins secs et de la conservation des cormes. XVI. (1) Les raisins réclament le même soin. Ceux qui sont de saveur très douce, dont les grains sont très gros et non serrés, doivent être cueillis au décours de la lune, par un temps sec et serein, après la cinquième heure; on les étend alors sur des planches pendant quelques temps, afin qu'ils ne soient pas comprimés par leur propre poids. Il convient ensuite de faire chauffer, dans un vase d'airain ou dans un pot neuf de terre cuite de grande capacité, une lessive préparée avec des cendres de sarments; quand elle bouillira, on y versera et on y mélangera un peu d'huile de la meilleure qualité; puis dans le vase bouillant on mettra les grappes liées ensemble deux à deux ou trois à trois, suivant leur volume; on les y laissera quelques instants, jusqu'à ce qu'elles aient perdu leur couleur; toutefois elles n'y resteront pas assez de temps pour cuire il faut adopter une juste proportion, un certain tempérament. (2) Quand vous les tirerez de la lessive, vous les disposerez clairsemées sur une claie, de manière que l'une ne touche pas l'autre. Trois heures après, vous retournerez chaque grappe, en évitant de les remettre à la même place, de peur qu'elles ne se gâtent par l'effet de l'humidité qui s'en sera écoulée. Pendant les nuits, on doit les couvrir, comme les figues, pour les mettre à l'abri de la rosée ou de la pluie. Quand ces raisins sont un peu desséchés, on les dépose en lieu sec, dans des vases neufs non enduits de poix, mais couverts et plâtrés. (3) Certaines personnes enveloppent de feuilles de figuier leurs raisins et les font sécher; d'autres les couvrent à demi flétris avec des feuilles soit de vigne, soit de platane, et les déposent ainsi dans des amphores. Il y en a qui brûlent des tiges sèches de fèves et font leur lessive avec la cendre qui en provient; ils ajoutent trois cyathes de sel et un cyathe d'huile à dix setiers de lessive qu'ils font chauffer sur un bon feu, et terminent l'opération comme ci-dessus. Si l'on voit qu'il n'y ait pas assez d'huile dans le vase, on y en verse de temps en temps jusqu'à ce qu'il y en ait suffisamment, afin que les grappes soient plus grasses et plus luisantes. (4) A la même époque, placez dans de petites cruches enduites de poix des cormes cueillies avec soin à la main; mettez sur ces cruches des couvercles enduits aussi de poix, et couvrez-les de plâtre. Alors, dans des fosses de deux pieds creusées dans la maison en terrain sec, placez vos cruches de manière que leur ouverture bien fermée soit en dessous; puis tassez de la terre par dessus, et foulez. la un peu avec les pieds. Le mieux est de déposer le moins de vases possible dans un grand nombre de fosses, et de laisser un certain intervalle entre eux : car, si en fouillant pour en ôter un, on agitait les autres, les cormes se gâteraient promptement. (5) Quelques personnes conservent parfaitement les cormes dans du vin réduit à moitié par la cuisson, et mettent dessus un lit de fenouil sec avec lequel elles compriment ce fruit, de façon que le liquide surnage toujours, et toutefois lutent soigneusement avec du plâtre les couvercles enduits de poix, afin que l'air ne puisse s'y introduire. [12,17] Manière de faire le vinaigre de figues. XVII. (1) Il existe de certaines contrées dans lesquelles on manque de vin et, par conséquent, de vinaigre. Là il faut, à l'époque que nous venons de fixer, cueillir des figues vertes très mûres, et même, si la pluie a commencé, celles qu'elle a fait tomber à terre. Après les avoir réunies, on les jette dans un tonneau ou dans des amphores, où on les laisse fermenter; ensuite, lorsque l'acidité s'est développée et qu'elles ont rendu leur jus, on tire au clair avec soin le vinaigre obtenu, et on le versera dans des vaisseaux enduits de poix bien odorante. Cette préparation remplace avantageusement le vinaigre fort de première qualité, et elle ne prend jamais le goût de relent ni de moisi, si on ne le dépose pas dans un lieu humide. (2) Il y a des personnes qui, visant à la quantité, versent de l'eau sur leurs figues, et de temps en temps en ajoutent de nouvelles très mûres, qu'on laisse macérer dans le même jus que les autres, jusqu'à ce qu'il ait contracté une saveur de vinaigre assez fort; ensuite elles le coulent dans des corbeilles de jonc ou dans des cabas de sparte, et font bouillir ce vinaigre tiré au clair jusqu'à ce qu'il ne jette plus d'écume ni aucune ordure. Alors elles y ajoutent un peu de sel torréfié, qui empêche qu'il ne s'y engendre des vers ou d'autres insectes. [12,18] Préparation des vendanges. XVIII. (1) Quoique dans le livre précédent, qui est intitulé le Métayer, nous ayons déjà dit ce qu'il faut disposer pour la vendange, il n'est pas toutefois hors de propos de donner à la métayère des préceptes sur les mêmes choses, afin qu'elle sache que tout ce qui se fait à la maison vers l'époque de la vendange réclame ses soins. (2) Si les champs ont une grande étendue, si les vignobles et les vergers sont considérables, il faut sans cesse fabriquer des vaisseaux de dix et de trois modius, tresser des paniers et les enduire de poix; il n'est pas moins utile de préparer et d'aiguiser un très grand nombre de faucilles et de serpettes, afin que le vendangeur n'arrache pas les grappes avec la main, et n'occasionne pas ainsi la chute d'une partie des grains du raisin. (3) On adaptera aussi des ficelles aux corbeilles et des courroies aux vaisseaux de trois modius. On lavera aussi les cuves, les pressoirs, les barriques et tous les vases, avec de l'eau de mer, si l'on est à proximité, sinon, avec de l'eau douce; on les nettoiera avec soin et on les séchera parfaitement, pour qu'ils ne conservent pas d'humidité. Les celliers au vin seront aussi purgés de toute espèce d'ordures; on y brûlera des parfums agréables, afin qu'on n'y sente ni mauvaise odeur ni acidité. (4) Alors, pieusement et dans un état de chasteté, on sacrifie à Bacchus, à Proserpine et aux ustensiles du pressurage. Pendant la durée de la vendange, on ne perdra de vue ni les pressoirs ni les celliers au vin, afin que ceux qui préparent le moût le travaillent avec pureté et propreté, et pour que les voleurs ne trouvent pas l'occasion de dérober les raisins cueillis. (5) Quarante jours avant la vendange, on enduira de poix les tonneaux, les barils et les autres vases; le procédé variera suivant que les vases doivent rester sur le sol ou être mis en terre : ceux que l'on doit enfouir seront chauffés avec des lampes de fer ardentes; après avoir fait couler la poix au fond, on enlèvera la lampe, et, avec un râble de bois et une ratissoire de fer recourbée, on étend la poix qu'on y a fait distiller et celle qui s'est attachée aux parois du vaisseau. Ensuite, on nettoiera avec une brosse; puis, versant de la poix brûlante, on enduira avec un autre râble et un petit balai. (6) Quant aux vaisseaux qui doivent rester sur le sol, on les exposera plusieurs jours au soleil avant de les nettoyer; ensuite, quand ils auront été suffisamment soumis à l'action de cet astre, on les renversera sur leur ouverture, et on les y maintiendra soulevés au moyen de trois petites pierres; en cet état, on mettra dessous du feu qu'on laissera brûler jusqu'à ce que leur fond ait acquis une chaleur tellement forte que la main ne puisse la supporter. Alors, le vaisseau étant posé à terre et mis sur le côté, on y versera de la poix bouillante, puis on le roule afin qu'elle s'étende sur toutes les parties du tonneau. (7) Cette opération doit être faite pendant un jour calme, pour que, lorsqu'on allume le feu, le vent qui soufflerait ne fasse pas briser les vaisseaux. Au surplus, il suffit de vingt-cinq livres de poix dure pour les vases de la contenance d'un culléus et demi; et il n'est pas douteux que, si on ajoute dans la totalité de la préparation un cinquième de poix du Brutium, cette résine ne soit très profitable au vin qu'on déposera dans le vase. [12,19] De plusieurs espèces de condiments propres à faciliter la conservation du vin. XIX. (1) Une chose qu'on ne doit pas non plus négliger, c'est le soin qu'on doit apporter à la conservation du moût qu'aura rendu le raisin : il doit au moins se garder jusqu'à la vente. Nous allons dire ci-après ce qu'il faut faire pour parvenir et quels condiments sont propres à faciliter sa conservation. Certaines personnes font réduire le moût dans des vases de plomb, les uns d'un quart, les autres d'un tiers ; il est certain que, si la réduction est de moitié, on obtiendra un meilleur vin cuit, plus propre aux usages auxquels on le destine, à tel point que ce vin, au lieu de celui qui a subi une réduction des deux tiers, peut assaisonner le moût, surtout celui qui provient de vieilles vignes. (2) Nous croyons que le vin de la meilleure qualité est celui qui peut se conserver longtemps sans avoir besoin de condiments, et qu'il n'y faut mettre aucune mixtion qui altérerait sa saveur naturelle : le plus parfait effectivement est celui qui peut plaire par sa propre nature. Au reste, lorsque le moût aura quelque défaut, soit par le vice du terroir, soit par la jeunesse des vignes, on choisira, si on le peut, un cepage d'Aminée, sinon de plant très vieux qui ne soit pas en terre humide, et produisant un vin très agréable. (3) Ensuite on observera le temps du déclin de la lune où elle est au-dessous de la terre, et, par un jour serein et sec, on cueillera les grappes les plus mûres, desquelles, après les avoir foulées avec les pieds, on retirera le moût qui s'en sera écoulé ; puis on en portera une quantité suffisante du cuvier dans les chaudrons, et on allumera dans le fourneau un feu d'abord modéré, avec des brindilles et ces menus bois que les paysans appellent crémies, afin que le liquide bouille sans précipitation. (4) Celui qui présidera à cette cuisson doit avoir tout prêts des couloirs de jonc ou de sparte brut, c'est-à-dire faits de sparte qui n'ait point été amolli sous le maillet, et, en outre, des bottes de fenouil liées à des bâtons, qu'il puisse introduire au fond des vases pour y agiter la lie qui s'y est précipitée et la faire remonter à la surface ; puis on enlèvera, au moyen des couloirs, toutes les ordures que forme l'écume. Il ne doit pas négliger ces soins, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que le moût, en s'éclaircissant, est débarrassé de toute sa lie. Alors il doit ajouter soit des coings qu'il retirera dès qu'ils seront cuits, soit toute autre substance odorante qu'il voudra, sans discontinuer toutefois d'agiter le bâton garni de fenouil, afin qu'il ne se précipite rien qui puisse déterminer la perforation du vase de plomb. (5) Lorsque ensuite ce vaisseau pourra supporter un feu plus vif, c'est-à-dire quand le moût cuit en partie éprouvera un mouvement intestin, il mettra dans le fourneau des bûches et du gros bois, mais de manière qu'ils ne touchent pas le fond du vase. Si on n'évitait pas cet inconvénient, le chaudron se percerait, comme il arrive quelquefois; ou bien, dans le cas où cet accident n'arriverait pas, le moût brûlerait, et parle goût d'amertume qu'il aurait contracté il deviendrait impropre aux usages pour lesquels on le réserve. (6) Il faudra, au surplus, avant de verser le moût dans les vases de plomb qui doivent être employés pour le faire cuire, les humecter avec de bonne huile, les en frotter convenablement, et, dans cet état, y mettre le moût : cette précaution préservera de la brûlure le vin cuit. [12,20] XX. (1) Quoique préparé avec soin, le vin cuit a coutume de tourner à l'acidité, comme le vin naturel. Comme cet accident peut avoir lieu, n'oublions pas qu'il faut préparer le vin avec du vin cuit d'un an dont la bonté est éprouvée : car un mauvais remède gâterait le produit qu'on a recueilli. (2) Quant aux vases dont on se sert pour faire cuire le vin soit à deux tiers d'évaporation, soit à moitié, ils doivent être de plomb plutôt que d'airain : car pendant la cuisson ces derniers produisent du vert-de-gris et altèrent la saveur de la préparation. Au reste, les substances odoriférantes, propres au vin que l'on veut faire réduire à moitié, se bornent à peu près à l'iris, au fenugrec et au schoenum. On jette une livre de chaque espèce dans un chaudron contenant quatre-vingt-dix amphores de moût, lorsqu'il sera en pleine ébullition et bien écumé. Ensuite, si le moût est naturellement faible, il faudra, dès qu'il sera réduit de deux tiers, éteindre le feu, et, sans perdre de temps, rafraîchir le fourneau avec de l'eau. En opérant ainsi, le vin cuit ne s'élèvera pas au-dessus du tiers du vase; (3) mais, quoiqu'il y ait quelque perte apparente, l'avantage est cependant incontestable : car, pourvu que ce vin ne soit pas brûlé, plus il est cuit, meilleur il est et plus il a de consistance. D'un tel vin, réduit à ce point, il suffit d'un setier par amphore. Quand vous aurez fait cuire dans la chaudière quatre-vingt-dix amphores de moût de manière qu'après la cuisson il n'en reste que peu, c'est-à-dire un tiers, ajoutez-y les ingrédients, qui sont ou liquides ou résineux, c'est-à-dire dix setiers de térébenthine néméturique, préalablement délayée dans de l'eau de mer qui aura bouilli, et en outre une livre et demie de térébenthine. En faisant ce mélange de substances, vous agiterez le vase de plomb pour qu'elles ne brûlent pas. (4) Lorsque ensuite la préparation sera réduite au tiers, retirez le feu, et agitez de temps en temps le vase de plomb pour que le vin cuit et les ingrédients forment un tout homogène; puis, dès que cette liqueur sera devenue tiède, jetez-y peu à peu le reste des aromates bien pilés et tamisés, et faites remuer le tout avec un râble de bois jusqu'au refroidissement de la mixtion. Si vous ne procédez pas au mélange ainsi que nous l'avons prescrit, les ingrédients se précipiteront au fond du vase et y brûleront. (5) A cette sorte de moût on doit ajouter ces substances odorantes : nard, iris d'Illyrie, nard gaulois, costus, palmier, souchet, schoenum, de chacun une demi-livre; puis cinq onces de myrrhe, une livre de canne, une demi-livre de cannelle, un quarteron d'amome, cinq onces de safran et une livre de tripe pampinacée. (6) Toutes ces substances doivent, comme je l'ai dit, être employées pilées et tamisées, et mêlées de rasis, qui est une sorte de poix crue, et qui passe pour être d'autant meilleure qu'elle est plus vieille : car par la longueur du temps elle se durcit beaucoup, et quand on la pile, elle se pulvérise : dans cet état, on la mêle aux ingrédients que je viens de nommer. Il suffit d'en mêler six livres aux quantités susénoncées. On ne saurait spécifier combien il faut mettre de cette composition dans quarante-huit setiers de moût, puisqu'on ne peut faire l'évaluation de la dose suffisante que d'après la nature du vin. Il faut prendre garde qu'on ne puisse reconnaître la saveur du condiment; car ce serait le moyen d'écarter l'acheteur. (7) Toutefois j'ai l'habitude, si la vendange a été humide, d'employer quatre onces de cette mixtion ; mais si elle a été sèche, seulement trois, pour une double amphore; c'est-à-dire pour quatre urnes de vin doux, en évaluant l'urne à vingt-quatre setiers. Je sais que quelques agriculteurs mettent trois onces de cette composition par chaque amphore, mais qu'ils y sont forcés par la trop grande faiblesse de leur vin, qui se conserverait trente jours à peine sans altération. (8) Au surplus, il vaut mieux, si l'abondance du bois le permet, faire bouillir le moût et le débarrasser de son écume et de sa lie : par ce procédé on en sacrifie un dixième, mais le reste se conserve parfaitement. Si on manque de bois, il faudra mêler à chaque amphore de vin une once de ce qu'on appelle fleur de marbre ou de gypse, ou bien deux setiers de vin cuit jusqu'à réduction de deux tiers. Quoique ces substances ne donnent pas au vin une durée illimitée, elles lui conservent pourtant une bonne saveur jusqu'à la prochaine vendange. [12,21] XXI. (1) Le moût, quand il est de saveur très douce, doit être cuit jusqu'à ce qu'il soit réduit à un tiers : ainsi réduit, il prend, comme nous l'avons dit, le none de vin cuit. Lorsqu'il est refroidi, on le transvase dans d'autres vaisseaux et on le met en réserve pour l'employer au bout d'un an. Cependant on peut le mêler avec le vin, neuf jours après qu'il a été refroidi; mais il est meilleur après une année de repos. On mélange un setier de ce vin cuit dans deux urnes de moût, s'il provient de vignes de coteaux; on ajoute trois hémines, s'il provient de vignes plantées en plaine. (2) Au surplus, on laisse pendant deux jours fermenter, et se purger de lie le moût qui a été tiré de la cuve; le troisième jour, on y ajoute le vin cuit; puis, au bout de deux autres jours, pendant lesquels ces liqueurs ont fermenté ensemble, elles sont purifiées; dans cet état, on y joint, pour deux urnes, une ligule comblée ou la mesure d'une demi-once bien pleine de sel grillé et égrugé. Ce sel, le plus blanc qu'on puisse se procurer, est jeté dans un pot de terre non poissé, qui, dès qu'il a reçu le sel, doit être soigneusement enduit tout entier de terre mêlée de paille hachée, et placé sur le feu : on torréfiera tant qu'on entendra des pétillements. Quand le crépitement commencera à ne plus se faire entendre, la cuisson sera complète. (3) On fait en outre macérer du fenugrec dans du vin vieux pendant trois jours ; ensuite on l'en retire, et on le fait sécher au four ou au soleil; dès qu'il est sec, on le broie, et on en jette, dans deux urnes de vin après la salaison, plein une cuiller ou autre vase semblable qui soit le quart d'un cyathe. Après cette opération, lorsque le moût a terminé sa fermentation et s'est reposé, on y mêle une quantité de fleur de gypse, égale à celle du sel employé; puis, le lendemain, on nettoie le tonneau, on couvre le vin ainsi accommodé, et on lute le vaisseau. (4) C'est de cette préparation que Columelle, mon oncle paternel, agriculteur distingué, se servait habituellement sur ses terres, dans lesquelles il avait des vignobles en terres humides; mais, lorsqu'il opérait sur des vins de coteaux, il employait, au lieu de sel, de l'eau de mer réduite à un tiers. Cette eau, sans nul doute, ajoute à la quantité et au bouquet; mais il y a à craindre, si l'eau salée n'est pas assez cuite, que le vin n'en soit taré. Comme je l'ai dit, on doit puiser cette eau le plus loin du rivage qu'il est possible : elle sera plus limpide et plus pure, si elle est prise en haute mer. (5) Si, comme le faisait Columelle, on la conserve quelque temps, il faut, après l'avoir épurée, la décanter au bout de trois ans dans d'autres vaisseaux ; puis, trois autres années après, la faire bouillir jusqu'à réduction au tiers. Ainsi on obtient un meilleur condiment pour le vin, et on n'a point à craindre qu'il se gâte. Il suffit d'un setier de cette eau salée pour deux urnes de moût, quoiqu'il y ait beaucoup de cultivateurs qui en versent deux setiers, et quelques-uns même jusqu'à trois, ce que je ne désapprouve pas, si le vin a une force suffisante pour qu'on n'y sente pas la saveur de l'eau salée. (6) C'est pourquoi un père de famille intelligent, qui a fait l'acquisition d'une terre, doit, aussitôt après la première vendange, faire l'expérience des trois ou quatre espèces de préparations sur autant d'amphores, afin de bien connaître combien le vin qu'il a obtenu peut supporter d'eau salée au plus sans que le goût en souffre. [12,22] XXII. (1) Mettez une métrète de térébenthine néméturique dans une cuvette ou un autre vaisseau, versez-y deux canges de lessive de cendres, et mêlez le tout avec une spatule de bois. Quand ce mélange sera reposé, tirez au clair le liquide, puis remplacez-le par de nouvelle lessive, mêlez de même et tirez au clair; puis répétez cette opération pour la troisième fois : or, la cendre fait disparaître l'odeur de la poix et enlève les ordures. (2) Ajoutez ensuite cinq livres de poix du Brutium, ou, à son défaut, de toute autre, pourvu qu'elle soit très pure. Concassez-la très-menu, et mélangez-la avec la poix néméturique; versez dessus deux conges de très vieille eau de mer, si vous en avez, ou du moins de l'eau marine récente réduite au tiers par l'ébullition. Pendant le lever de la canicule, laissez au soleil votre cuvette découverte, et avec la spatule de bois mêlez le plus fréquemment que vous pourrez, jusqu'à ce que les substances ajoutées soient bien fondues dans la poix et forment un tout homogène. Il sera convenable de couvrir ce vase pendant la nuit, pour que l'humidité n'y pénètre pas. (3) Ensuite, lorsque l'eau marine que vous y aurez versée vous paraîtra évaporée par l'effet du soleil, ayez soin de faire porter à la maison le vase dans l'état où il se trouve. Quelques personnes ont l'habitude de mêler trois onces de cette préparation avec quarante-huit setiers de vin, et se trouvent bien de cette proportion : d'autres mettent. trois cyathes de ce condiment sur le nombre de setiers que nous venons de déterminer. [12,23] De la poix dont se servent les Allobroges pour assaisonner le vin poissé. XXIII. (1) On appelle poix cortiquée celle que les Allobroges emploient en condiment. On la prépare de manière qu'elle se durcisse, et plus elle est faite depuis longtemps, meilleur elle est pour l'usage : car ayant perdu son principe visqueux, elle est alors plus facile à réduire en poudre et à passer au tamis. Il faut donc la pulvériser et la tamiser; ensuite, quand le moût a jeté deux bouillons, ce qui arrive ordinairement le quatrième jour après qu'on l'a tiré de la cuve, on enlève ses ordures avec la main; après quoi on y jette deux onces et demie de la poix dont nous venons de parler, pour cinquante-cinq setiers de vin; on opère alors le mélange avec le râble de bois, puis on s'abstient de toucher au liquide tant qu'il bout. (2) Toutefois le terme de l'ébullition ne doit pas s'étendre au-delà de quatorze jours, à partir du moment de l'opération : car après ce laps de temps il faut sans plus tarder purifier le vin, et gratter ou essuyer la lie qui se sera attachée aux bords ou aux parois des vases, et placer immédiatement les couvercles qui devront être lutés. Si vous voulez vous servir de la même poix pour toute votre vendange, de manière qu'on ne puisse reconnaître au goût du vin s'il est poissé, il suffira, lorsque le moût aura bouilli et qu'il aura été purgé de ses lies, d'y mêler six scrupules de poix par quarante-cinq setiers de liqueur. (3) Au reste, il faudra ajouter dans cette quantité de moût une demi-once de sel grillé et égrugé. Ce n'est pas seulement dans le vin de ce genre qu'il faut mettre du sel, mais, si on le peut, on salera au même degré toute espèce de vin, et en tout pays, parce que cette pratique l'empêche de contracter le goût de moisi. [12,24] De la poix néméturique pour les condiments. XXIV. (1) La poix néméturique se prépare en Ligurie. Pour la rendre propre aux condiments, on prend de l'eau de mer le plus loin qu'il est possible du rivage, et on la fait réduire à la moitié par l'ébullition. Quand elle est refroidie au point de ne pas brûler la partie du corps qu'on y plonge, on mêle une quantité suffisante avec la poix dont nous venons de parler, et on l'agite soit avec une spatule de bois, soit même avec la main, pour on retirer les ordures qui pourraient s'y trouver. (2) Ensuite on laisse la poix se précipiter, et, quand elle est tombée au fond, on décante l'eau; puis, avec le reste de l'eau réduite, on la lave quelque temps, et on la manie jusqu'à ce qu'elle soit devenue rougeâtre. Alors, après l'avoir tirée au clair, on la laisse quatorze jours exposée au soleil, afin qu'elle se débarrasse de l'humidité que l'eau y a laissée; mais on doit couvrir le vase pendant la nuit, afin qu'il ne reçoive pas de rosée. Après avoir préparé la poix de cette manière, si l'on voulait assaisonner son vin, on y mettrait, après l'avoir fait bouillir deux fois, deux cyathes de cette poix sur quarante-huit setiers de moût. (3) De cette quantité que l'on doit travailler, il faut prendre deux setiers et les verser peu à peu sur deux onces de poix, que l'on doit pétrir à la main, comme on le fait pour le vin miellé, afin qu'elle s'incorpore plus facilement. Lorsque les deux setiers de vin seront totalement mêlés avec la poix, et ne feront pour ainsi dire qu'une seule substance, il conviendra de les verser dans le vaisseau d'où on les avait tirés, et d'agiter le tout avec un râble de bois, afin de bien mélanger la préparation. [12,25] De l'eau salée ou saumure pour assaisonner les vins. XXV. (1) Quelques Grecs, je dirai même presque tous, préparant leur moût avec de l'eau salée ou avec de la saumure, j'ai cru devoir ne pas omettre cette partie de l'économie rurale. Dans l'intérieur des terres où il n'est pas facile de transporter de l'eau de la mer, voici comment on préparera la saumure pour les condiments. (2) L'eau de pluie est la plus propre à cette composition, sinon celle qui coule d'une fontaine très limpide. Vous aurez soin, cinq ans d'avance, d'exposer au soleil une forte quantité de l'une ou de l'autre de ces eaux dans des vases bien choisis; puis, lorsqu'elle se sera corrompue, vous lui donnerez le temps de revenir à son premier état. Quand cette dépuration se sera opérée, prenez d'autres vases, et décantez-y peu à peu cette eau jusqu'à ce que vous soyez arrivé au sédiment : car on trouve toujours quelque crasse au fond des vases où l'eau s'est reposée. (3) Traitée ainsi, on la réduit au tiers par l'ébullition, comme on le fait pour le vin cuit. Alors on mêle, dans cinquante setiers de cette eau douce, un setier de sel et autant d'excellent miel; puis on fait bouillir encore le mélange et on en retire toutes les ordures. Quand cette composition est refroidie, on verse ce qui en reste dans une amphore de moût. (4) Si le vignoble est situé sur une côte maritime, il faudra, quand les vents ne souffleront pas et que la mer sera calme, puiser loin du rivage de l'eau qu'on fera réduire au tiers par l'ébullition, en y ajoutant, si on le juge à propos, et pour que la préparation de ce vin ait plus de bouquet, quelques-uns des aromates dont j'ai parlé plus haut. Avant de tirer le moût des cuviers, vous parfumerez les vases avec du romarin, du laurier et du myrte, et vous les remplirez entièrement, afin que le vin se purge parfaitement dans l'ébullition ; puis vous frotterez ces vases avec des pignons de pin. (5) Il faut assaisonner le vin le lendemain du jour où on l'aura tiré de la cuve, si on veut qu'il ait de la douceur, et le cinquième jour après, s'il convient de l'avoir plus âpre. On remplit les vases à mesure qu'ils se réduisent, et on les bouche. Quelques personnes aussi mettent le condiment dans les vases qu'ils ont parfumés, et y versent le moût. [12,26] Remèdes pour le vin qui tourne à l'aigre. XXVI. (1) Dans les vignobles où le vin a coutume de tourner à l'aigre, il faut avoir soin, quand on a cueilli et foulé le raisin, avant de soumettre le marc à l'action du pressoir, de passer le moût dans une corbeille, et d'y verser un dixième d'eau douce d'un puits, creusé sur le terrain même, et de le faire bouillir jusqu'à évaporation d'une quantité égale à celle de l'eau ajoutée. Ensuite, quand la liqueur sera refroidie, on la versera dans des vases, que l'on couvrira et qu'on lutera. Par ce moyen le vin se conserve longtemps et n'éprouve pas d'altération. (2) Il vaut mieux employer de vieille eau conservée depuis plusieurs années, et il est préférable encore de ne pas se servir d'eau, de faire bouillir le moût jusqu'à réduction d'un dixième, de le verser dans un vaisseau, et de jeter une hémine de gypse sur sept setiers de moût, quand il est refroidi. Quant au reste du moût que l'on aura exprimé du marc, il faut le consommer sans retard, ou le vendre. [12,27] De la manière de faire du vin doux. XXVII. II faut faire ainsi le vin doux : Cueillez des raisins; exposez-les durant trois jours au soleil; le quatrième jour, à l'heure de midi, foulez vos grappes toutes chaudes; enlevez, de la cuve où il a coulé, le vin de mère goutte, c'est-à-dire celui que l'on obtient avant que le raisin ait été soumis au pressoir. Quand il aura cessé de bouillir, mêlez-y pour cinquante setiers une once au plus d'iris bien pilé, et entonnez-le après l'avoir bien dégagé de sa lie. Ce vin sera agréable, fort et salutaire pour le corps. [12,28] Autres espèces de condiments bons pour la santé. XXVIII. (1) Faites comme il suit les autres espèces de condiments pour assaisonner et fortifier le vin : Pilez de l'iris le plus blanc; faites macérer, dans du vin vieux, du fenugrec, que vous exposez ensuite au soleil ou au four pour qu'il se dessèche; alors broyez-le bien menu. Après cette opération vous mêlerez ensemble des aromates pulvérisés, tels que de l'iris passé au tamis à la dose de neuf onces, autant de fenugrec et cinq onces de schoenum. Alors ajoutez, par chaque cruche de sept amphores, une once et huit scrupules de cette mixtion (2) et trois hémines de gypse, si le moût provient de terres humides; un setier, s'il est tiré de jeunes vignes, et seulement une hémine, s'il a été donné par de vieilles vignes plantées eu terrain sec. Trois jours après avoir foulé le raisin, versez le condiment; mais, avant de l'employer, tirez un peu de moût du vaisseau dans lequel vous opérez, pour le déposer dans un autre, afin qu'il ne s'en répande pas quand il bouillira avec la mixtion. (3) Ainsi mélangez dans un bassin du gypse broyé et des autres ingrédients, autant qu'il en faudra pour chaque vaisseau; puis délayez- les dans le moût; versez-les dans des cruches, et opérez-en le mélange. Quand le tout sera en ébullition, remplissez-en vos vaisseaux, et bouchez-les. Lorsque vous assaisonnerez du vin, ne le versez pas aussitôt dans vos vaisseaux, mais laissez-1e reposer dans les premiers vases; lorsque ensuite vous voudrez le décanter des tonneaux ou des cruches, à l'époque du printemps, lors de la floraison des roses, transvasez-le parfaitement purgé de lies et très clair dans des vaisseaux bien poissés et bien nets. (4) Si vous désirez le conserver longtemps, ajoutez-y, dans une futaille de deux urnes, un setier d'excellent vin, ou trois setiers de lie d'un vin généreux et nouveau, ou bien, si vous avez des vaisseaux qui soient vides depuis peu de temps, versez-y votre liqueur. Quelle que soit celle de ces méthodes que vous emploirez, votre vin y gagnera de la bonté et de la durée. Si d'ailleurs vous y mêlez des aromates agréables, vous en chasserez toutes les mauvaises odeurs et la saveur fâcheuse; car aucune substance ne se pénètre plus promptement des odeurs étrangères que ne le fait le vin. [12,29] Par quel procédé le mout peut se maintenir toujours aussi doux que lorsqu'il est nouveau. XXIX. (1) Pour que le moût reste toujours aussi doux que dans sa nouveauté, usez du procédé suivant : Avant de soumettre le marc à l'action du pressoir, tirez de la cuve, dans une amphore neuve, le moût le dernier écoulé; bouchez-la, enduisez-la de poix avec beaucoup de soin, pour qu'il ne puisse pas s'y introduire d'humidité. Alors plongez-la en son entier dans une piscine d'eau froide et douce, de manière qu'aucune portion du vase ne soit à découvert; ensuite, au bout de quarante jours, retirez l'amphore. Par ce moyen la liqueur se maintiendra douce toute une année. [12,30] Bons soins à donner au vin, et remèdes pour ses maladies. XXX. (1) Du moment où vous aurez bouché vos vaisseaux, il suffit de visiter le vin une fois tous les trente-six jours, jusqu'à l'équinoxe du printemps, et deux fois après cette époque. Mais, si le vin commence à se couvrir d'efflorescences, il est nécessaire de lui donner des soins plus fréquemment, de peur que cette maladie n'aille en empirant, et n'altère le goût de la liqueur. Plus l'été sera chaud, plus souvent il convient de rafraîchir le vin, de le nourrir et de lui procurer de l'air : car, tant qu'il se maintiendra bien frais, il offrira des gages de durée. Toutes les fois qu'on soignera le vin, il faudra avec des pignons de pommes de pin frotter l'ouverture ou les rebords du vaisseau. Dans le cas où quelques vins seraient durs, ou de qualité inférieure, soit par l'effet d'un terrain ingrat, soit en raison des mauvais temps, prenez de la lie d'un bon vin, composez-en des houlettes, sèchez-les au soleil, et faites-les cuire au feu ; puis broyez-les, frottez l'intérieur de chaque amphore avec trois onces de cette substance, et boucliez hermétiquement : votre vin s'améliorera. [12,31] Remèdes pour le cas où un petit animal serait tombé dans le moût et y serait mort. XXXI. (1) Si quelque animal, tel qu'un serpent, un rat ou une souris, est tombé et a péri dans le moût, il faudra, pour qu'il ne donne pas mauvaise odeur au vin, brûler au foyer son corps dans l'état où vous l'aurez trouvé, et en jeter la cendre refroidie dans la vase où il s'est noyé, et l'y mélanger avec un râble de bois. Cette opération servira de remède. [12,32] Vin de marrube. XXXII. (1) Beaucoup de personnes considèrent le vin de marrube comme utile à la guérison de toutes les maladies internes, et principalement de la toux. Quand vous ferez la vendange, cueillez des tiges tendres de marrube, surtout dans les lieux incultes et maigres, et faites-les sécher au soleil; mettez-les en bottes que vous lierez avec une corde de palmier ou de jonc; placez-les dans un vaisseau de manière que le lien surnage; jetez dans deux cents se-tiers de moût très-doux huit livres de marrube, pour les faire bouillir ensemble; ensuite retirez le marrube, et, après avoir tiré le vin au clair, bouchez-le soigneusement. [12,33] Comment il faut préparer le vin de scille. XXXIII. (1) On doit préparer ainsi qu'il suit le vin de scille qui sert à faciliter la digestion, à rétablir les forces, à guérir la toux et à fortifier l'estomac D'abord, quarante jours avant de procéder à la vendange, cueillez la scille, coupez-la par tranches très menues, comme on fait pour les racines de raifort; suspendez ces rouelles à l'ombre, afin qu'elles s'y dessèchent ; ensuite, quand leur dessiccation sera complète, jetez dans quarante-huit setiers de vin doux d'Aminée une livre de scille sèche; laissez-l'y séjourner trente jours, ensuite retirez-la et versez votre vin, tiré au clair, clans deux amphores. (2) D'autres cultivateurs prescrivent de mettre une livre et un quart de scille sèche dans les quarante-huit setiers de moût; dose que j'approuve volontiers. [12,34] Du vinaigre scillitique. XXIV. (1) Ceux qui veulent faire du vinaigre de scille, en mettent une livre et un quart, comme je l'ai dit, dans deux urnes de vinaigre, et l'y laissent infuser pendant quarante jours. Pour obtenir une sauce forte, vous mettrez sur trois amphores de moût un conge de fort vinaigre, ou le double, s'il n'a pas beaucoup d'acidité; vous ferez bouillir le tout dans une marmite de la contenance de trois amphores, jusqu'à l'abaissement d'un palme, c'est-à-dire jusqu'à réduction d'un quart ou d'un tiers, si le moût n'est pas très doux. Vous écumerez. Au surplus, le moût doit être du premier tiré et être bien limpide. [12,35] Comment il faut préparer l'absinthite, l'hysopite, l'abrotonite et les autres vins de cette espèce. XXXV. (1) Voici la recette des vins soit d'absinthe, soit d'hysope, soit d'aurone, soit de thym, soit de fenouil, soit de pouliot : Faites bouillir jusqu'à réduction d'un quart une livre d'absinthe du Pont avec quatre setiers de moût ; puis versez les trois quarts restants, quand ils seront refroidis, dans une urne de moût d'Aminée. Opérez de même pour les autres plantes que j'ai désignées ci-dessus. On peut aussi faire une décoction, que l'on réduira d'un tiers, de trois livres de pouliot sec dans un conge de moût; et, quand la liqueur est refroidie, on la verse dans une urne de vin doux, après avoir retiré le pouliot. On peut donner de suite cette préparation avec succès pendant l'hiver aux personnes affectées de toux. Cette espèce de vin se nomme gléchonite. [12,36] Du vin de taille. XXXVI. (1) On appelle vin de taille, celui qu'on exprime, après la première pression du marc, de sa motte retaillée sur toutes ses faces. Remplissez jusqu'au bord avec ce moût une amphore neuve; jetez-y des rameaux de romarin desséchés et liés en bottes avec du fil de lin, et laissez-les fermenter ensemble pendant sept jours. Ensuite retirez ces bottes, et lutez avec du plâtre votre vin tiré au clair. Il suffira de mettre une demi-livre de romarin dans deux urnes de moût. Au bout de deux mois vous pouvez employer ce vin comme remède. [12,37] Composition d'on vin semblable au vin grec. XXXVII (1) Cueillez des raisins précoces, les plus mûrs que vous trouverez; laissez-les sécher au soleil pendant trois jours; foulez-les le quatrième; versez dans une cruche le moût non mélangé de vin de taille, et ayez grand soin, dès qu'il cessera de bouillir, de le purger de sa lie; ensuite, le cinquième jour, vous ajouterez à ce moût bien clarifié deux setiers, ou au moins un, de sel torréfié et tamisé, pour quarante- neuf setiers de ce vin. Quelques personnes y mêlent un setier de vin cuit; d'autres en versent même deux, si elles doutent que leur vin puisse se conserver. [12,38] Comment on fait le vin myrtite. XXXVIII. (1) Préparez ainsi qu'il suit le vin de myrte pour guérir les coliques, la diarrhée et les faiblesses d'estomac. Il y a deux espèces de myrte, dont l'un est noir et l'autre blanc. On cueille les baies de l'espèce noire lorsqu'elles sont mûres; on en retire les semences, et quand elles en sont dépouillées, on les fait sécher au soleil; puis on les dépose en lieu sec dans une cruche de terre cuite. (2) Ensuite, à l'époque des vendanges, on cueille à la plus grande ardeur du soleil des grappes bien mûres de raisin d'Aminée sur un vieux cépage de vignes mariées à l'ormeau, ou, si l'on n'en a pas, sur les plus anciennes vignes que l'on ait; on verse le moût qui en provient dans une cruche, et aussitôt, dès le premier jour, avant toute fermentation, on écrase avec soin les baies de myrte qu'on avait conservées : on en pèse dans cet état autant de livres qu'on doit assaisonner d'amphores de vin ; alors on prend dans la cruche où l'on doit faire la mixtion, une petite quantité de moût, et de ces baies pulvérisées et pesées on saupoudre la liqueur comme avec de la farine. Ensuite on en fait plusieurs boulettes, et on les fait glisser dans le moût le long des parois de la cruche, afin qu'elles ne s'entassent pas les unes sur les autres. (3) Après cette opération, dès que le moût aura jeté deux bouillons de fermentation, et que deux fois on l'a soigné, on recommence de la même manière à pulvériser le même poids de haies que j'ai indiqué ci-dessus; mais on n'en forme plus de boulettes : on prend seulement dans un bassin du moût de la même cruche; on le mélange avec la quantité prescrite plus haut de manière à en faire une sorte de bouillon épais. Quand cette mixtion est faite, on le reverse dans la cruche en l'agitant avec un râble de bois. (4) Neuf jours après cette opération, on purge le vin de toute ordure; on frotte les vases avec des balais de myrte sec; puis on y place les couvercles, pour que rien ne tombe dans le liquide. Cela étant fait, on purge encore le vin sept jours après, et on le verse dans des amphores bien enduites de poix et bien parfumées; mais il faut avoir soin en transvasant de ne laisser couler que la liqueur claire et sans lie. (5) On obtient un autre vin de myrte par le procédé suivant : Faites jeter trois bouillons à du miel de l'Attique, et écumez-le autant de fois; ou, à défaut de ce dernier, choisissez du miel d'excellente qualité, dont vous enlèverez les écumes à quatre ou cinq reprises : car, moins il est bon, plus il produit d'ordure. Quand le miel sera refroidi, prenez les baies de myrte de l'espèce blanche, les plus mûres que vous trouverez, et écrasez-les de manière à ne pas broyer les semences qu'elles renferment. (6) Après avoir placé ces baies dans une corbeille de bois, vous en exprimerez le suc, dont vous mélangerez six setiers avec un setier de miel cuit; puis vous verserez le tout dans une fiole que vous luterez, C'est dans le mois de décembre qu'on doit faire cette préparation, parce qu'alors presque toujours les semences de myrte ont atteint leur maturité. Il faudra veiller à ce qu'avant la récolte de ces baies, il se soit écoulé sept jours, s'il est possible, ou tout au moins trois d'un temps serein, et surtout à ce qu'il n'ait pas plu, et à ce qu'elles ne soient pas même couvertes de rosée. (7) Beaucoup de personnes récoltent les fruits du myrte, soit blanc, soit noir, lorsqu'ils sont mûrs, puis les font un peu sécher à l'ombre pendant deux heures, et les broient de manière à laisser entières, autant que faire se peut, les semences qui y sont contenues. Alors à travers un tamis de lin. elles expriment le suc de ce qu'elles ont broyé, et, après l'avoir épuré dans un couloir de jonc, elles le conservent dans des fioles bien poissées, sans y joindre ni miel ni autres ingrédients. Cette liqueur se conserve peu ; mais, tant qu'elle se maintient sans altération, elle est meilleure, pour la santé que la composition de toute autre espèce de myrtit.e. (8) Il y a des cultivateurs qui, lorsqu'ils en ont en abondance, font réduire ce suc à un tiers, en le soumettant à l'ébullition, et, lorsqu'il est refroidi, le mettent dans des fioles poissées. Ainsi préparé, il est de longue garde; quant à celui qui n'a pas subi de cuisson, il pourra se conserver deux ans sans s'altérer, pourvu qu'il ait été fait proprement et avec soin. [12,39] Comment on confectionne le vin de raisins séchés au soleil. XXXIX. (1) Magon conseille de faire, comme il suit, le vin de raisins séchés au soleil, et c'est ainsi que j'en ai fait moi-même. Cueillir bien mûres les grappes de raisins précoces; rejeter les grains secs ou altérés; ficher en terre, à la distance de quatre pieds, pour supporter des roseaux, des fourches ou des pieux qu'on unira en forme de joug avec des perches : les roseaux posés dessus, y étendre au soleil les raisins, les couvrir la nuit pour que la rosée ne les humecte pas. Quand ils seront desséchés, détacher les grains et les jeter dans un tonneau ou dans une cruche, ajouter d'excellent moût jusqu'à ce qu'il recouvre les raisins : au bout de six jours, lorsqu'ils auront bu le liquide et s'en seront gonflés, les mettre dans un cabas, les soumettre à l'action du pressoir et recueillir le vin; (2) ensuite fouler le marc, en y ajoutant du moût tout frais, qu'on aura obtenu d'autres raisins restés au soléil durant trois jours; alors mêler et mettre sous la presse ce marc, et sans retard renfermer dans des vaisseaux lutés ce second vin pour qu'il ne prenne pas trop d'âpreté; puis, vingt ou trente jours après, quand il aura cessé de bouillir, le tirer au clair dans d'autres vases; aussitôt plâtrer les couvercles et les recouvrir d'une peau. (3) Si on se propose de faire du vin avec du raisin muscat séché au soleil, cueillez-en bien saine la grappe que vous dégagez des grains gâtés; mettez-la à part, puis suspendez-la sur les perches. Ayez soin que ces perches soient sans cesse exposées au soleil. Dès que les grains seront suffisamment flétris, détachez-les; jetez-les sans la rafle dans un tonneau, et foulez-les fortement. Quand vous aurez fait votre première assise de marc, vous l'arroserez de vin vieux ; puis vous foulerez de quoi en dresser une autre, que vous arroserez comme la première; vous foulerez de même une troisième assise, et vous l'étendrez sur les autres et verserez dessus du vin, jusqu'à ce qu'il la recouvre : après quoi vous laisserez le tout reposer cinq jours, espace de temps après lequel vous foulerez de nouveau et vous presserez dans un cabas neuf. (4) Quelques personnes laissent vieillir pour cet usage l'eau de pluie, et la font bouillir jusqu'à réduction de moitié. Quand ils ont eu desséché leur raisin comme je l'ai expliqué, ils emploient cette eau au lieu de vin, et terminent l'opération comme ci-dessus. Ce procédé, quand on a beaucoup de bois, coûte fort peu, et ce vin est même, pour l'usage, plus doux au goût que ceux qu'on prépare d'après les précédentes méthodes. [12,40] XL. (1) On fait ainsi d'excellente piquette : Voyez combien de vin vous aurez fait en un jour, et combien la dixième partie forme de métrètes; versez ce même nombre de métrètes d'eau douce sur le marc dont en cette journée vous aurez exprimé le vin; mettez dans cette eau les écumes du vin cuit jusqu'à réduction soit de moitié, soit des deux tiers, et la lie déposée dans les cuves : mêlez le tout ensemble, et laissez toute une nuit macérer cette espèce de bouillie; le lendemain vous la foulerez, et après cette opération soumettez-la à l'action du pressoir. Lorsque le liquide se sera écoulé, versez-le dans des tonneaux ou des amphores, et, après qu'il aura bouilli, bouchez vos vases. C'est surtout dans les amphores que la piquette se conserve le mieux. (2) M. Columelle faisait sa piquette avec de l'eau vieillie, et souvent il la conservait potable plus de deux ans. [12,41] XLI. (1) Faites ainsi de très bon vin miellé : Tirez sans délai de la cuve du moût de mère goutte, c'est-à-dire de celui qui aura coulé des raisins avant qu'ils n'aient été fortement foulés. Faites ce moût avec du raisin de vignes mariées aux arbres, et que vous aurez cueilli par un temps sec. Jetez dix livres de miel d'excellente qualité dans une urne de moût, et, après l'avoir soigneusement mêlé, emplissez-en une bouteille, enduisez-là de plâtre sans retard, et faites-la déposer sur une tablette. Si vous désirez en confectionner une plus grande quantité, vous ajouterez du miel d'après la proportion que nous venons de fixer. Trente et un jours après, il faudra ouvrir la bouteille, décanter le moût dans un autre vase qu'on lutera, et que l'on conservera sur le four. Voici comment on prépare la confiture de coings: Dans une marmite neuve de terre cuite ou dans une marmite d'étain, on fait cuire une urne de moût de raisin d'Aminée marié aux arbres, vingt gros coings bien nettoyés, et environ trois setiers de grenades douces entières connues sous le nom de puniques, et de cormes non encore mûres, séparées de leurs semences: (2) On fait cuire le tout jusqu'à ce que tous les fruits se fondent dans le moût : on charge un jeune valet de remuer les fruits avec une spatule de bois ou un roseau, pour qu'ils ne puissent pas brûler. Quand la cuisson en est arrivée au point qu'il ne reste qu'une petite quantité de jus, on laisse refroidir, et on coule. Ce qui restera dans le couloir devra être soigneusement écrasé, et, afin qu'il ne brûle pas, mis à cuire dans son propre jus sur un feu doux de braise, jusqu'à ce qu'il ait pris la consistance de lie. (3) Avant de retirer du feu cette préparation, on ajoutera à tous les ingrédients trois hémines de romarin de Syrie, pulvérisé et passé au tamis; on les incorporera au moyen d'une spatule, afin que tout soit bien homogène. Ensuite, quand cette confiture est refroidie, on la verse dans un vase de terre cuite neuf et poissé, qu'on lute avec du plâtre, et qu'on suspend à une certaine hauteur pour qu'il ne contracte pas de moisissure. [12,42] {sans traduction} [12,43] XLIII. (1) Voici comment nous confisons le fromage : coupez en gros morceaux des fromages de brebis, secs et faits de l'année précédente; disposez-les dans un vase poissé, puis remplissez ce vase de moût de la meilleure qualité, de manière à recouvrir les fromages, et que le liquide surnage : car le fromage s'abreuve de ce moût, et se gâterait si ce liquide ne le couvrait pas toujours. Dès due votre vase sera rempli, vous le plâtrerez; plus, vingt jours après, vous pourrez l'ouvrir et employer cette conserve dans tel assaisonnement que vous voudrez. Mangé seul, il n'est même pas désagréable. [12,44] Comment on prépare et conserve les raisins de barrique. XLIV. (1) Après avoir coupé sur la vigne des raisins soit bumastes, soit à chair ferme, soit pourprés, enduisez-en de suite la queue avec de la poix dure. Ensuite remplissez, de baies de blé bien sèches et criblées de manière qu'il n'y reste point de poussière, un bassin de terre cuite, dans lequel vous disposerez vos grappes les unes sur les autres. Recouvrez ce vase d'un autre, et enduisez-en les joints avec un lut mêlé de paille; puis, sur un plancher très sec, recouvrez de baies sèches vos vases jusqu'au-dessus de la réunion de leurs bords. (2) Tout raisin peut se conserver sans altération, s'il a été détaché de la vigne au décours de la lune, par un temps serein, après la quatrième heure, quand il a été séché par le soleil et qu'il n'est plus humide de rosée. Au surplus, on doit tenir du feu dans le sentier le plus voisin pour y faire fondre la poix, dans laquelle on doit, sans retard, plonger la queue des grappes. Jetez dans un vaisseau bien poissé une amphore de vin cuit jusqu'à réduction de moitié. Ensuite fixez-y des gaulettes transversales, de manière qu'elles ne touchent pas à la liqueur. Vous poserez sur ces gaulettes des plats neufs; vous dresserez dessus les raisins assez espacés les uns des autres pour qu'ils ne se touchent pas; puis vous mettrez et luterez les couvercles sur les plats. Vous établirez de même une seconde assise, une troisième, et autant que la capacité du vaisseau en peut admettre, en disposant toujours les grappes de la même manière. Enfin vous imprégnerez largement de vin cuit le couvercle poissé du vaisseau, et après l'avoir fixé, vous en fermerez les ouvertures avec de la cendre. (3) Quelques personnes se bornent à établir sur leur vin cuit de petites perches transversales, et y suspendent les raisins assez haut pour qu'ils ne touchent pas à la liqueur; puis elles lutent le couvercle superposé. D'autres, après avoir cueilli les grappes, comme je l'ai dit plus haut, font sécher au soleil de petits vaisseaux neufs et non poissés; puis les mettant rafraîchir à l'ombre, elles y jettent du son d'orge, et y dressent leurs raisins de sorte que l'un ne touche pas l'autre; alors ils répandent dessus du son de la même nature, et font derrière un autre lit de grappes; elles continuent ainsi jusqu'à ce que le vaisseau soit rempli de couches alternatives de raisins et de son. Alors elles lutent les couvercles, et déposent cette provision sur des tablettes très sèches et très froides. (4) Certaines personnes conservent ces fruits dans leur état de fraîcheur par un procédé analogue, en les couvrant de sciure de peuplier ou d'érable. Il y en a d'autres qui recouvrent de plâtre pulvérisé bien sec leurs raisins détachés des vignes avant leur entière maturité. D'autres encore, après les avoir cueillis, coupent avec des ciseaux les grains gâtés, et suspendent les grappes en cet état dans le grenier au-dessus du froment; mais ce procédé rend les raisins ridés et presque aussi doux que ceux qu'on a fait sécher au soleil. (5) Marc Columelle, mon oncle paternel, faisait confectionner, avec cette argile dont on fait les amphores, de larges vaisseaux en forme de plats; il les faisait enduire copieusement de poix en dedans et à l'extérieur. Après les avoir ainsi préparés, il ordonnait de cueillir des raisins pourprés, des bumastes, des numides et des raisins à chair ferme; sans retard il en faisait plonger la queue dans de la poix bouillante, et les dressait séparément d'après leur espèce sur les plats dont il est question, de manière que les grappes ne se touchassent pas; (6) ensuite on adaptait les couvercles, et on les lutait avec une couche épaisse de plâtre. Enfin, avec de la poix dure fondue au feu, on les enduisait de manière à ne laisser filtrer aucune humidité. Après ces opérations, on immergeait les vases dans de l'eau de fontaine ou de citerne, où on les maintenait au moyen d'objets pesants, en ne laissant aucun point à découvert. C'est ainsi que l'on conserve parfaitement le raisin; mais lorsqu'il est sorti de l'eau, il devient acide, si on ne le consomme pas le jour même. (7) Au surplus, il n'y a pas de procédé plus certain que d'employer des vases de terre cuite, dans chacun desquels on puisse placer une grappe à l'aise. Ils doivent avoir quatre anses, par lesquelles on les attache pour les suspendre aux vignes. Leurs couvercles doivent être faits de manière à pouvoir se partager en deux, afin que lorsqu'on aura suspendu ces vases et introduit dans chacun une grappe de raisin, on puisse rapprocher les deux parties du couvercle superposé et couvrir ce raisin. Ces vases et leurs couvercles devront être soigneusement poissés en dedans et en dehors, et après y avoir renfermé la grappe, on les recouvre avec un mortier épais et mêlé de paille. Il importe que les raisins, pendants de la vigne, soient assez bien disposés dans les vases pour qu'aucune de leurs parties ne soit en contact avec les parois. (8) Le temps propice à cette opération est à peu près celui où les grains de raisin sont gros et changent de couleur sons l'influence de la chaleur et d'un ciel serein. Nous devons principalement prescrire de ne pas placer des raisins et des pommes dans le même endroit, ni même dans des endroits voisins, d'où l'odeur des dernières parviendrait jusqu'aux premiers : l'exhalaison des pommes corromprait en peu de temps les grains de raisin. Quant aux moyens de conservation des fruits, que nous avons indiqués, tous ne sont pas applicables à toutes les contrées : les circonstances, les lieux, et la nature des raisins doivent déterminer le choix des procédés. . [12,45] Anciennement on conservait de préférence dans des vases les sircitules, les vénucules, les grands aminées, les gaulois et les espèces à grains durs, gros et écartés ; maintenant, dans le voisinage de la ville, on préfère pour cette opération les numides. On choisit soigneusement pour les cueillir des raisins médiocrement mûrs; la récolte doit s'en faire par un temps serein, quand le sol n'est plus couvert de rosée, à la quatrième ou à la cinquième heure du jour, la lune étant dans son décours et sous notre hémisphère; puis on les dresse sur des claies de manière qu'ils ne se touchent pas les uns les autres ; (2) enfin on les porte à la maison, où l'on enlève avec les ciseaux les grains secs ou gâtés. Quand ces raisins se sont un peu rafraîchis à l'ombre, on les dispose par trois ou quatre dans des pots, selon la contenance de ces vases; et, pour que l'humidité n'y pénètre pas, on enduit soigneusement les couvercles avec de la poix. Ensuite on divise une motte de marc de raisin que l'action du pressoir ait fortement desséchée, et après en avoir un peu séparé les rafles et dégagé les pellicules des grains, on en fait une couche dans un tonneau. Les pots doivent être renversés sens dessus dessous, et assez peu rapprochés pour qu'on puisse fouler le marc qui les sépare. (3) Ce premier étage soigneusement pressé, on établit dessus un second étage en disposant d'autres pots comme les premiers. On remplit ainsi le tonneau de diverses assises de pots qu'on y intercale de marc bien foulé; puis on entasse du marc jusqu'aux bords, et, aussitôt après, on en lute dessus le couvercle avec de la cendre employée en manière de plâtre. Toutefois celui qui achètera ces pots doit être averti qu'il ne doit pas faire emplette de ceux dont la terre serait poreuse ou mal cuite : car il résulterait de l'un ou de l'autre de ces défauts que l'humidité en s'y introduisant ferait gâter les grappes. Au surplus, lorsque l'on retirera des pots pour l'usage, il faudra en enlever une couche entière : cal' le marc foulé, pour peu qu'il soit remué, s'aigrit promptement et corrompt les raisins. [12,46] Comment on conserve les grenades. XLVI. (1) C'est après la vendange qu'on fait les confitures d'automne, qui sont de la compétence de la métayère. Je n'ignore pas que je n'ai point mentionné dans ce livre beaucoup de choses que C. Matius a traitées avec un très grand soin : car il avait pour but de pourvoir les tables des villes et les festins splendides. II mit au jour trois ouvrages qu'il intitula : le Cuisinier, le Poissonnier et le Confiseur de saumures. Quant à nous, il nous suffit de parler de choses qui, en raison de leur facile exécution et du peu de dépense qu'elles occasionnent, peuvent convenir à la simplicité des champs : or, les fruits de toutes les espèces se présentent tout d'abord. (2) Pour commencer par les grenades, quelques cultivateurs tordent sur l'arbre la queue de ces fruits sans les déplacer, pour empêcher que la pluie ne les fasse gercer, et qu'en se crevassant ainsi ils ne se gâtent. Ils les fixent aux rameaux les plus forts, afin qu'ils ne soient pas agités; ensuite ils enveloppent l'arbre avec des filets de sparte pour préserver les fruits de l'atteinte des corbeaux, des corneilles et des autres oiseaux. Quelques personnes adaptent de petits vases de terre cuite au fruit qui pend à l'arbre, et les laissent ainsi en les enduisant d'un mortier mêlé de paille; d'autres enveloppent ces fruits avec du foin ou du chaume, les recouvrent ensuite d'un enduit épais de mortier paillé, et, dans cet état, les attachent aux grands rameaux, pour que, comme je l'ai dit, le vent ne les agite pas. (3) Ainsi que je l'ai prescrit, toutes ces choses doivent être faites par un temps serein, après la disparition de la rosée. Au reste, il est bon de se dispenser de cette opération, parce qu'elle est nuisible aux arbrisseaux ; ou du moins on doit s'abstenir de la pratiquer plusieurs années consécutives, par cette considération déterminante qu'on a la facilité de conserver les fruits, même après les avoir détachés des arbres. En effet, on peut creuser à la maison de petites fosses de trois pieds dans un terrain très sec. Après y avoir déposé un peu de terre bien divisée, on y enfonce de jeunes branches de sureau; ensuite, par un beau temps, on cueille les grenades avec leurs queues que l'on insère dans le sureau, parce que cet arbre est pourvu d'une moelle accessible et d'une substance assez lâche pour admettre facilement la queue des fruits. (4) Toutefois, il faudra veiller à ce que ces fruits soient éloignés de la terre d'un intervalle de quatre doigts, et qu'ils ne se touchent pas entre eux. Alors on place sur la fosse que l'on a faite un couvercle que l'on enduit tout autour avec du mortier paillé, et on amoncèle par-dessus la terre provenant de l'excavation. On peut faire la même chose dans un tonneau que l'on remplit à moitié, soit de terre bien divisée, soit, comme quelques personnes le préfèrent, de sable de rivière, en terminant l'opération ainsi que nous l'avons enseigné. (5) Le Carthaginois Magon conseille de faire bouillir fortement de l'eau de mer, d'y plonger un moment les grenades liées avec du lin ou avec du sparte, jusqu'à ce qu'elles aient perdu leur couleur, et de les retirer pour les faire sécher au soleil pendant trois jours; puis de les sus- pendre dans un lieu frais, et, lorsqu'on en aura besoin, de les laisser macérer dans de l'eau froide sans sel une nuit, et le lendemain jusqu'à l'heure où l'on en doit faire usage. En outre, ce même auteur prescrit d'enduire d'une couche épaisse d'argile à potier bien maniée,. les grenades récemment cueillies, et, quand cette terre est desséchée, de les suspendre dans un lieu frais; plus tard, lorsqu'on en aura besoin, on les plongera dans l'eau, et on en détachera l'argile. Ce procédé conserve le fruit comme s'il venait d'être cueilli. (6) Magon ordonne encore de mettre au fond d'un pot de terre neuf de la sciure de peuplier ou d'yeuse, et d'y établir les fruits de manière qu'on puisse fouler cette sciure entre eux; de faire suivre ce premier étage d'un nouveau lit de sciure, d'y placer de même les fruits jusqu'à ce que le pot soit rempli; et quand il le sera, de lui appliquer son couvercle et de le luter soigneusement avec une couche épaisse de mortier. (7) Tout fruit que l'on serre pour le garder longtemps, doit être cueilli avec sa queue et même avec une partie de rameau, quand on le peut sans nuire à l'arbre : car cette précaution contribue beaucoup à une longue conservation. Beaucoup de personnes détachent les fruits de l'arbre avec les petites branches auxquelles ils adhèrent, et, lorsqu'elles les ont soigneusement couverts d'argile, elles les font sécher au soleil; si par la suite cet enduit vient à se gercer, elles bouchent la crevasse avec du mortier, et, dès qu'il est sec, les suspendent dans un lieu frais. [12,47] Comment on conserve les pommes orbiculaires les sestiennes, les miellées et les autres espèces. XLVII. (1) Un grand nombre de personnes conservent les coings dans des fosses ou dans des tonneaux, de la même manière que les grenades; quelques autres les enveloppent de feuilles de figuier, puis pétrissent de l'argile à potier avec de la lie d'huile et en enduisent leurs fruits, et, quand cette croûte est sèche, elles les déposent sur des tablettes dans un lieu frais et sec : il en est aussi qui rangent ces fruits dans des plats neufs, où elles les couvrent de plâtre, en observant qu'ils ne se touchent pas l'un l'autre. (2) Pour nous, l'expérience ne nous a pas révélé de procédé plus sûr et meilleur que de cueillir en décours de lune, par un ciel serein, les coings très mûrs, bien entiers et sans taches; d'enlever le duvet qui les couvre, et, dans un flacon neuf à très large ouverture, de les arranger avec précaution, de manière qu'ils soient à l'aise pour qu'ils ne puissent pas se heurter. Quand le vase en sera rempli jusqu'à son ouverture, on contiendra les coings avec des baguettes d'osier posées transversalement de manière à les comprimer un peu, pour qu'ils ne se soulèvent pas lorsqu'on aura versé le liquide; alors on emplira complétement le vase du meilleur miel fondu, de manière que le fruit en soit tout à fait recouvert. (3) Cette méthode est non seulement propre à conserver les coings, mais elle procure aussi une liqueur de saveur mielleuse, que l'on peut sans inconvénient administrer aux fiévreux, et que l'on appelle miel de fruit. Il faut éviter d'employer des coings peu mûrs pour les conserver dans le miel, parce que, cueillis verts, ils s'endurcissent au point de ne pouvoir pas servir. (4) Au surplus, il est inutile de les fendre avec un couteau d'os, comme font beaucoup de personnes, et d'en extraire les pepins, qu'elles regardent comme propres à gâter les fruits. Quant au procédé que je viens d'enseigner ici, il est tellement infaillible, que, lors même que le fruit recèlerait des vers, il ne se conserverait pas moins bien, une fois recouvert du liquide prescrit : car telle est la propriété du miel, qu'il arrête la corruption, et qu'il ne lui laisse pas accès : même il empêche un cadavre humain de se corrompre pendant plusieurs années. (5) On peut donc conserver dans cette liqueur toutes les autres espèces de pommes, telles que les orbiculaires, les sestiennes, les miellées, les matiennes; mais, comme il paraît que ces fruits ainsi préparés deviennent trop doux par le contact du miel, et perdent la saveur qui leur est propre, on doit disposer des coffres de hêtre ou même de tilleul semblables à ceux dans lesquels on serre les habits de ville, mais un peu plus grands, et les établir sur un plancher très frais dans un lieu très sec, où ne pénètrent ni la fumée ni aucune mauvaise odeur. On y dresse les fruits dont il est question de manière que leur ombilic soit tourné en haut et leur queue en bas, comme ils vivent sur l'arbre, et l'on prend garde qu'ils ne se touchent entre eux. (6) On observera d'ailleurs de mettre séparément chaque espèce de fruit dans des coffres distincts : car si diverses variétés y étaient mêlées ensemble, elles ne s'accorderaient pas entre elles et se corrompraient plus promptement. C'est par ce motif que le vin tiré de vignes d'espèces différentes, ne se maintient pas aussi bien que celui qui provient soit d'aminées, soit de plants de muscat, ou bien de féciniennes sans mélange. Au surplus, quand les fruits auront été dressés avec soin, comme je l'ai dit ci-dessus, on les recouvrira au moyen des couvercles des coffres, qu'on lutera avec du mortier paillé, afin que l'air ne puisse pas s'y introduire. Certaines personnes, pour conserver ces mêmes fruits, usent du procédé que nous avons indiqué plus haut pour d'autres espèces, et qui consistent à mettre entre eux de la sciure de peuplier; quelques autres y emploient aussi de la sciure de sapin. Les fruits qu'on destine à être conservés par cette méthode, doivent être cueillis avant leur maturité et lorsqu'ils sont encore très verts. [12,48] Conserve d'aunée. XLVIII. (1) On fait ainsi la conserve d'aunée : Après avoir tiré de terre les racines de cette plante dans le courant d'octobre (c'est l'époque de leur maturité), vous enleverez avec un linge rude ou même avec une brosse de crin tout le gravier dont elles seront couvertes; ensuite vous en graterez la superficie avec un couteau bien affilé, et vous couperez en deux ou trois tranches de la longueur du doigt, selon leur grosseur, celles qui seront les plus fortes. Faites-les cuire modérément dans une marmite d'airain avec du vinaigre, en prenant garde qu'elles ne brûlent. Cette opération terminée, faites-les sécher à l'ombre pendant trois jours; puis, mettez-les dans une cruche poissée, en y ajoutant soit du vin de raisins séchés au soleil, soit du vin réduit à moitié par la cuisson, dans lequel les racines seront submergées; ensuite, après avoir étendu dessus une couche d'origan, couvrez le vase et l'enveloppez d'une peau. (2) Voici une autre manière de confire l'aunée : Après avoir ratissé les racines, taillez-les en tranches comme ci-dessus; laissez-les sécher à l'ombre pendant trois ou rnêrne quatre jours, et, quand elles seront bien sèches, mettez-les dans un vase non poissé, avec des couches alternatives d'origan : l'origan étant placé, mêlez une partie de vin cuit jusqu'à réduction des deux tiers, avec six parties de vinaigre et une hémine de sel torréfié : faites macérer, dans ce liquide, les tranches d'aunée jusqu'à ce qu'il ne leur reste que le moins d'amertume qu'il sera possible. (3) Retirées ensuite, vous les ferez sécher une seconde fois à l'ombre pendant cinq jours; alors mélangez dans une marmite de la lie d'un vin épais avec autant de lie de vin miellé, si vous en possédez, et joignez- y, pour un quart, de bon vin cuit jusqu'à réduction de moitié. Quand le tout aura bouilli, jetez-y les tranches d'aunée, et aussitôt retirez la marmite du feu ; puis remuez avec une spatule de bois, jusqu'à refroidissement complet. Transvasez ensuite dans une cruche poissée, placez-y un couvercle et recouvrez avec une peau. (4) Troisième procédé pour confire l'aunée : Après avoir ratissé soigneusement les racines, faites-en macérer, dans une saumure forte, les tronçons coupés menu, et tenez-les-y jusqu'à ce qu'ils aient perdu leur amertume. En-suite, jettez la saumure; pilez, après en avoir retiré les pepins, des cormes très bonnes et très mûres, et mêlez-en la pulpe avec l'aunée. Alors ajoutez soit du vin de raisins cuits au soleil, soit du vin cuit jusqu'à réduction de moitié et de qualité supérieure; puis bouchez le vase. (5) Quelques personnes, après avoir préparé l'aunée et l'avoir fait macérer dans la saumure, la font sécher, et y mêlent des coings pilés, qu'elles ont fait cuire dans du vin cuit jusqu'à réduction de moité, ou bien dans le miel; puis, elles versent par-dessus soit du vin de raisins secs, soit du vin cuit jusqu'à réduction de moitié, et recouvrent d'une peau le vase bien bouché. [12,49] XLIX. (1) Manières de confire les olives. Pendant la vendange, en septembre ou en octobre, meurtrissez l'olive pausée, cueillie encore acerbe; pressez-la après l'avoir fait un peu macérer dans de l'eau chaude; mettez-la dans des cruches, en y mêlant des graines de fenouil et de lentisque avec un peu de sel torréfié, et versez par-dessus du moût tout nouveau. Alors plongez dans le vase et placez sur les olives, de manière qu'elles en soient comprimées et que le jus surnage, une botte de fenouil vert. Ainsi traitées, les olives sont bonnes à manger dès le troisième jour. (2) A mesure que vous meurtrissez la pausée blanche, ou l'orchite, ou la radiole, ou la royale, vous la jetterez dans de la saumure froide, afin qu'elle ne se décolore pas. Quand vous en aurez préparé assez pour remplir une amphore, placez au fond une botte de fenouil sec. Vous vous prémunirez d'un petit pot de graines de fenouil vert et de lentisque détachées et Inondées; et après avoir exprimé la saumure des olives retirées de ce liquide, vous les mélangerez dans un vase avec les graines; quand il sera rempli jusqu'à son col, vous recouvrirez avec de petites bottes de fenouil sec, et ajouterez deux parties de moût nouveau et une partie de saumure forte. Vous pouvez pendant toute l'année user avantageusement des olives ainsi confites. (3) Quelques personnes ne meurtrissent pas leurs olives, mais les ouvrent avec une pointe, de roseau. Ce procédé exige plus de travail, mais il est le meilleur, parce que les olives ainsi traitées sont plus blanches que celles que les meurtrissures rendent livides. Quelques autres personnes, après avoir soit meurtri, soit ouvert les olives, y mêlent un peu de sel torréfié et les graines que nous avons mentionnées; ensuite elles versent dessus, ou du vin cuit jusqu'à réduction des deux tiers, ou du vin de raisins séchés au soleil, ou bien, si elles en ont, de l'eau dans laquelle ont séjourné des rayons de miel. Nous venons dans ce livre même d'enseigner comment on fait cette eau. Elles procèdent pour tout le reste comme nous l'avons indiqué. (4) Choisissez les olives pausées ou les royales, les plus blanches parmi celles qui sont sans taches, et cueillez-les à la main; puis jetez- les, après y avoir mêlé quelques graines de lentisque et de fenouil, dans une amphore au fond de laquelle vous aurez mis du fenouil sec. Quand le vase sera rempli jusqu'au col, versez-y de la saumure forte. Alors, avec une couche de feuilles de roseau, pressez les olives, afin qu'elles plongent entièrement dans le liquide; puis achevez de remplir avec de la saumure forte jusqu'au bord de l'amphore. (5) Par elle-même, il est vrai, cette olive est peu agréable; mais elle est très propre aux assaisonnements pour les tables de luxe : lorsqu'on en a besoin, on la tire de l'amphore, et, après l'avoir pilée, on l'emploie aux sauces que l'on veut. Toutefois, le plus ordinairement, on hache menu du poireau sectile, de la rue, de l'ache tendre et de la menthe, qu'on mêle avec les olives écrasées; puis on ajoute un peu de vinaigre poivré et un peu plus de miel ou d'hydromel; et on arrose le tout d'huile verte, et on recouvre avec une petite botte d'ache fraîche. (6) Quelques personnes mettent dans chaque modius d'olives ainsi cueillies trois hémines de sel, et après y avoir joint les semences de lentisque, jettent ces olives dans une amphore au fond de laquelle est un lit de fenouil, et jusqu'à ce qu'elle soit remplie jusqu'au col; après cela, elles versent du vinaigre qui ne soit pas très fort; et, lorsque l'amphore est à peu près pleine, elles compriment les olives au moyen d'une botte de fenouil, et ajoutent encore du vinaigre jusqu'à ce que le vase soit entièrement plein. Quarante jours après, elles retirent tout le liquide, puis mêlent ensemble trois parties de vin de raisins secs ou de vin cuit jusqu'à réduction de moitié, et une partie de vinaigre, dont elles remplissent l'amphore. (7) Voici un autre procédé excellent : quand la pansée blanche a été macérée dans de la saumure forte, on jette toute cette saumure, on fait un mélange de deux parties de vin cuit jusqu'à réduction de moitié, avec une partie de vinaigre, et l'on en remplit l'amphore. On peut aussi confire de la même manière la royale ou l'orchite. (8) On mêle encore ensemble une partie de saumure et deux parties de vinaigre, pour y faire confire les olives pausées. Celui qui jugera à propos de les employer telles qu'elles sont, les trouvera assez agréables, quoique pour-tant, à la sortie de la saumure, elles puissent recevoir tel assaisonnement qu'on jugera convenable. On récolte avec leurs queues les olives pansées, quand elles commencent à changer de couleur, et avant qu'elles deviennent douces, pour les conserver clans de l'huile de première qualité. Par ce procédé, elles offrent encore au bout d'un an toute la saveur des olives vertes. Il y a même des personnes qui servent comme fraîches, au sortir de l'huile, ces olives saupoudrées d'un peu de sel égrugé. (9) Voici une autre manière de les confire, presque exclusivement employée dans les villes grecques, et on l'appelle épityre. Quand l'olive pausée ou l'orchite commence à perdre sa blancheur et à jaunir, on la cueille à la main, par un temps serein; on l'étend pendant un jour à l'ombre, et si quelques queues, des feuilles ou des rameaux y sont restés adhérents, on les en détache. Le lendemain, on passe ces olives au crible, et, après les avoir enfermées dans un cabas neuf, on les soumet à l'action du pressoir; on les presse fortement, afin d'en extraire jusqu'à la dernière goutte de la lie. (10) Quelquefois on les laisse se dessécher ainsi toute une nuit et le lendemain sous le poids du pressoir. Alors on les retire dégagées de leur peau, et on ajoute à chaque modius d'olives un setier de sel torréfié et égrugé. On y joint aussi de la graine de lentisque, des feuilles de rue et de fenouil séchées à l'ombre, le tout haché aussi menu qu'il paraît nécessaire. On laisse reposer trois heures cette préparation, temps nécessaire pour que le fruit se soit assez pénétré de sel ; alors on verse dessus de l'huile d'un goût exquis, de manière qu'elle recouvre les olives que l'on maintient assez pressées, avec une botte de fenouil sec, pour que le liquide surnage. (11) Au surplus, pour cette préparation, on dispose à l'avance des vases de terre neufs et non enduits de poix, mais qui, pour ne pas laisser transsuder l'huile, doivent être abreuvés de la liqueur dont on imbibe les métrètes qui servent à mesurer l'huile d'olive; enfin on les fait sécher. [12,50] Comment on confit les olives noires. L. (1) La froidure de l'hiver arrive, pendant laquelle la récolte des olives réclame, comme la vendange, les soins de la métayère. Puisque nous avons commencé à traiter ce sujet, nous parlerons d'abord des procédés à suivre pour confire les olives; puis nous nous occuperons aussitôt après de la fabrication de l'huile. On prépare pour les bonnes tables les olives pansées ou les orchites, et même dans quelques pays les néviennes. Il est donc à propos de les cueillir à la main par un temps serein, lorsqu'elles sont déjà noirâtres, sans être encore tout à fait mûres; on les crible ensuite et on écarte toutes celles qui paraîtraient ou tachées ou gâtées, ou qui n'auraient pas acquis leur accroissement ordinaire. (2) Ensuite il faut jeter sur chaque modius d'olives trois hémines de gros sel, et les agiter dans des corbeilles d'osier, puis étendre sur elles une couche copieuse de sel de manière à les recouvrir entièrement. Dans cet état, on les laisse ressuer durant trente jours et évacuer entièrement leur lie. Alors on les verse dans un bassin, et avec une éponge propre on enlève le sel jusqu'à ce qu'il n'en reste plus; puis on les met dans un vase que l'on remplit de vin cuit jusqu'à réduction soit des deux tiers, soit de moitié, et sur lequel on étend un lit de fenouil sec pour comprimer les olives. (3) Toutefois, le plus souvent, on mélange trois parties, soit de vin cuit jusqu'à réduction de moitié, soit de miel, et une partie de vinaigre, et on les fait confire dans ce jus. Certaines personnes, après avoir cueilli l'olive noire, la salent dans la proportion que nous avons indiquée ci-dessus, la déposent dans des paniers, en y entremêlant des graines de lentisque, de manière à faire des couches alternatives de fruit et de sel, jusqu'à ce que les paniers soient remplis. Au bout de quarante jours, quand les olives ont rendu tout ce qu'elles contenaient de lie, elles les versent dans un bassin; elles les séparent, au moyen du crible, des semences de lentisque; elles les nettoient avec l'éponge, pour qu'il n'y reste pas de sel attaché : alors elles les mettent dans une amphore, et versent dessus soit du vin cuit jusqu'à réduction des deux tiers ou de moitié, soit même du miel, si elles en ont une quantité suffisante, et continuent l'opération comme à l'ordinaire. (4) Par chaque modius d'olives, il faut employer un setier de graines d'anis, de lentisque, et trois cyathes de semences de fenouil; et à défaut de semences de fenouil, se servir, dans une proportion suffisante, de la plante même après l'avoir pilée; mêler ensuite, dans chaque modius de fruits, trois hérnines de sel torréfié, mais non égrugé; en cet état, déposer les olives dans l'amphore, la boucher avec de petites bottes de fenouil, et la rouler à terre tous les jours, et, lo troisième ou le quatrième, répandre la lie qui se sera dégagée. (5) Au bout de quarante jours on devra verser les olives dans un bassin, se borner à les séparer de leur sel sans les essuyer avec l'éponge, les laisser dans l'état oh elles se trouvent unies à quelques grumeaux de sel, les déposer dans une amphore, et, après les avoir recouvertes d'une couche de fenouil, les placer à la cave pour l'usage. Tirez de la saumure l'olive cueillie mûre que vous y avez fait macérer; essuyez-la avec une éponge; ouvrez-la avec une pointe de roseau vert, en deux ou trois en-droits.; déposez-la trois jours dans le vinaigre; épongez-la le lendemain; mettez-la dans une cruche ou une marmite neuve, sur un lit d'ache, avec un peu de rue. Versez ensuite le vin cuit sur vos olives fendues, de manière à remplir le vase jusqu'à l'orifice. Employez de jeunes pousses de laurier pour comprimer ces fruits. Vous pourrez au bout de vingt jours en faire usage. [12,51] Comment on fait la sirape. LI. (1) Par un temps serein, on cueille l'olive noire très-mûre; on l'étend à l'ombre sur des roseaux pendant un jour, et on rejette tous les fruits gâtés. S'il est resté quelques queues, on les enlève ainsi que les feuilles et les petites branches qui s'y trouveraient mêlées. Le lendemain, on crible soigneusement afin de faire disparaître ce qu'il y a d'ordures. Puis on met les olives broyées dans un cabas neuf que l'on soumet à l'action du pressoir pour que l'huile s'écoule pendant la nuit. (2) On jette cette pâte sous les meules bien nettoyées, et assez suspendues pour ne pas briser les noyaux ; quand elle est réduite en bouillie, on y mêle avec la main du sel torréfié et égrugé, et d'autres assaisonnements secs, c'est-à-dire du fenugrec, du cumin, de la graine de fenouil, de l'anis d'Égypte. Il suffira, au surplus, d'employer autant d'héinines de sel que l'on a de modius d'olives, et de verser dessus de l'huile pour que la composition ne se dessèche pas : ce qu'on devra faire, du reste, toutes les fois qu'on remarquera qu'elle commence à se sécher. (3) Il est hors de doute qu'elle sera d'un goût exquis si elle provient des pausées. Mais ce bon goût n'a pas plus de deux mois de durée. Les autres variétés d'olives les plus propres à ce condiment sont les licinies et les culminées. Cependant on préfère pour cet emploi les olives de Calabre, que quelques personnes appellent oléastelles, en raison de leur ressemblance avec le fruit de l'olivier sauvage. [12,52] Comment on confectionne l'huile. L. (1) Le commencement de décembre est ordinairement l'époque où la récolte des olives est en pleine activité : en effet, avant ce temps, on fait l'huile acerbe, à laquelle on donne le nom d'huile d'été; vers le mois de décembre, on exprime l'huile verte, et plus tard l'huile mûre. Il n'est pas de l'intérêt du père de famille de faire de l'huile acerbe, parce qu'on en obtient peu : il ne destinera donc à ce produit que les olives abattues par les tempêtes, et qu'il ne faut pas négliger de ramasser pour qu'elles ne soient pas dévorées par les bêtes et par les animaux domestiques. (2) Il est au contraire très avantageux de faire de l'huile verte, d'autant plus qu'elle coule assez abondamment des olives et que son prix double à peu près le revenu du maître. Toutefois, si l'on possède un vaste plant d'oliviers, il est nécessaire d'en réserver une partie pour y laisser le fruit arriver à complète maturité. Quoique nous ayons, dans notre premier livre, décrit le lieu où l'on doit faire l'huile ; nous croyons devoir consigner ici diverses choses relatives à cette opération, et dont nous ne nous étions pas d'abord occupés. (3) Il est nécessaire d'avoir à sa disposition un plancher sur lequel on porte les olives, quoique nous ayons pour principe qu'on doive soumettre sans retard à l'action de la meule et du pressoir les récoltes de chaque jour. Cependant, comme il peut arriver que le travail des pressureurs soit insuffisant pour la grande abondance du fruit, il faut, s'il y a lieu, avoir un grenier pour recevoir les olives : il doit être planché comme celui où l'on placera les grains, mais offrir des cases aussi multipliées que l'exigera la quantité des olives, afin de mettre à part dans une case particulière la cueillette de chaque jour. (4) Le sol de ces loges sera pavé de pierres ou de briques, et présentera une pente suffisante pour que tout liquide s'écoule promptement par des canaux ou des tuyaux : car la lie est tout à fait ennemie de l'huile, dont elle gâte le goût, si elle séjourne dans le fruit. C'est pourquoi, lorsque vous construirez les compartiments comme nous l'avons dit, établissez au-dessus d'eux des solives distantes entre elles d'un demi-pied, sur lesquelles vous jetterez des claies de roseaux soigneusement rapprochés, de manière que le fruit ne puisse passer au travers, et qu'elles ne cèdent pas sous le poids des olives. (5) Près de tous les compartiments, au point où la lie devra couler, formez sous les canaux mêmes un pavage concave en manière de fossette, ou bien une auge de pierre dans laquelle le liquide écoulé s'arrêtera et pourra être puisé. Il faudra, en outre, avoir à la maison des cuves ou des tonneaux disponibles pour recevoir séparément chaque sorte de lie, soit celle qui est naturelle, soit celle que l'on a salée; car l'une et l'autre sont propres à plusieurs usages. (6) Pour la fabrication de l'huile, les meules offrent plus d'avantages que le trapet, et le trapet plus que le canal et la solde. Les meules sont d'un emploi très facile, parce que, suivant la quantité des olives, on peut les abaisser ou les élever, de manière à ne pas écraser les noyaux, qui altèrent le goût de l'huile. Toutefois le trapet fait plus de besogne, et la fait plus facilement que la solée et le canal. (7) Il y a encore une autre machine qui est semblable à la tribule dressée debout, et que l'on appelle une tudicule. On s'en servirait avec assez d'avantage, si elle n'était sujette à se déranger souvent, et même à s'arrêter quand on soumet à son action une quantité un peu trop grande d'olives. Au reste, on fait usage de ces machines suivant les circonstances et les pays; mais la meilleure de toutes est la meule, et ensuite le trapet. J'ai pensé qu'avant de parler de la fabrication de l'huile, il était nécessaire de traiter de ces objets. (8) Maintenant venons à notre sujet, quoique nous ayons omis de parler de beaucoup de choses que, comme avant la vendange, il faut préparer pour la récolte des olives, telles que du bois en quantité qu'on doit apporter longtemps d'avance, afin que les ouvriers ne soient pas obligés, lorsqu'ils en auront besoin, d'interrompre leur travail; telles que des échelles, des corbeilles, des mesures de dix modius, des paniers de trois modius, pour contenir les olives que l'on a cueillies, des cabas, des cordes de chanvre et de sparte, des cuillers de fer pour puiser l'huile, des couvercles pour placer sur les vases destinés à la recevoir, des éponges tant grandes que petites, des cruches pour la transporter, des claies de roseaux pour y établir les olives, et d'autres ustensiles dont je ne me souviens pas en ce moment. (9) On doit être pourvu de toutes ces choses et de beaucoup d'autres de rechange, parce que l'usage en met quelques-unes hors de service, et en diminue, par conséquent, le nombre; et parce que, s'il venait à en manquer quelqu'une, le travail se trouverait interrompu. Mais je vais poursuivre le sujet que j'ai promis de traiter. Lorsque les olives commencent à changer de couleur, que quelques- unes sont déjà noires et que le plus grand nombre toutefois en est encore blanc, il faut commencer la cueillette à la main par un temps serein, et cribler et nettoyer les olives sur des claies ou des roseaux. (10) Alors on s'empresse de les porter au pressoir, bien mondées, de les déposer sans les meurtrir dans des cabas neufs, de les pressurer de manière à n'obtenir leur liqueur que peu à peu. Quand leur écorce sera brisée, on devra les ramollir en répandant dessus deux setiers de gros sel par chaque modius de fruit, et, si c'est l'usage du pays, en exprimer le marc à l'aide de claies, sinon à l'aide de cabas neufs. La première huile doit être reçue dans une cuvette ronde (ce qui vaut mieux que d'employer des vases carrés de plomb et des vaisseaux de plusieurs pièces), et l'ouvrier chargé de survider doit la verser dans les cruches de terre cuite préparées pour cet usage. (11) Il faut avoir dans le cellier à l'huile trois rangs de bassins : le premier sera destiné à recevoir l'huile de qualité supérieure, c'est-à- dire de première expression; le second celle du deuxième pressurage, et le dernier celle du troisième : car il est bien important de ne pas mêler la mère-goutte avec la seconde huile, et surtout avec la troisième; puisque l'huile qui, comme une lessive, s'écoule par l'effet d'une faible pression, est d'un goût bien meilleur que les autres. Quand l'huile a un peu séjourné dans les premiers bassins, le pressureur doit la tirer au clair dans d'autres vaisseaux, et de vase en vase jusqu'au dernier : car, plus souvent on lui procurera de l'air en la décantant, plus dans cette espèce d'exercice elle acquerra de limpidité, et mieux elle se dépouillera de sa lie. (12) Il suffira, au reste, que chaque rang soit composé de trente vases, à moins que l'on ne possède de vastes plants d'oliviers qui en exigent davantage. Si le temps froid fait congeler l'huile avec sa lie, il est évident qu'il faudra augmenter un peu la dose de sel torréfié, parce qu'il rend l'huile plus fluide et qu'il sépare tout ce qui peut l'altérer. Au surplus, il n'y a pas à craindre que l'huile devienne salée : car, quelle que soit la dose de sel qu'on y mette, l'huile n'en prend jamais le goût. Ordinairement ce procédé ne suffit pas pour la rendre liquide, lorsqu'il survient de grands froids; alors on torréfie du nitre, et, après l'avoir pulvérisé, on en jette dans l'huile et on l'y mêle : cette substance en fait déposer la lie. (13) Quelques personnes, dont l'expérience d'ailleurs n'est pas douteuse, pensent qu'en soumettant le fruit entier à l'action du pressoir, on perd une petite quantité d'huile : car quand les olives ont reçu le poids de la presse, ce n'est pas seulement la lie qui s'écoule, mais elle entraîne avec elle un peu de liquide onctueux. Voici, au reste, ce que je crois devoir prescrire en général : il faut éviter que la fumée ne pénètre ou que de la suie ne séjourne dans le pressoir ou dans le cellier où se trouve l'huile. Ce sont, en effet, deux choses préjudiciables à ce liquide, et les plus habiles faiseurs d'huile permettent à peine d'employer une lampe quand on la fabrique. C'est pourquoi on doit orienter le pressoir et le cellier de sorte qu'ils ne soient point exposés aux vents froids, car on ne doit y introduire la chaleur du feu que le moins qu'il est possible. (14) Quant aux tonneaux et aux cruches dans lesquels on dépose l'huile, il ne faut pas, pour les disposer, attendre le temps où la maturité du fruit y force, mais s'en occuper dès qu'ils auront été vidés par les acheteurs : la métayère doit, sans plus tarder, enlever le sédiment ou la lie qui auraient pu se déposer au fond des vaisseaux, et les laver à plusieurs reprises, non avec de la lessive très chaude, de peur qu'elle ne fasse couler la cire dont ils sont induits, mais avec de l'eau tiède, en les frottant légèrement avec la main, puis les rincer à plusieurs reprises, et au moyen d'une éponge enlever toute l'humidité. Il y a des personnes qui délayent dans de l'eau, en manière de vase claire, de l'argile à potier, et, après avoir lavé les vaisseaux, les enduisent de cette espèce de liquide, et les font sécher. Ensuite, lorsqu'elles veulent s'en servir, elles les rincent avec de l'eau pure. (15) Quelques-unes commencent par laver ces vases avec de la lie d'huile, puis avec l'eau, et les laissent sécher; en même temps elles examinent si leurs vaisseaux n'ont pas besoin de nouvelle cire : car les anciens prétendaient qu'il fallait les enduire de cette substance, après six récoltes environ. Je ne comprends pas la possibilité de cette opération : (16) car, si les vases neufs étant chauffés peuvent facilement admettre la cire fondue, je ne crois pas que les vieux puissent être enduits de cette substance en raison de l'huile dont ils sont imprégnés. Au surplus, les agriculteurs de notre temps rejettent même le premier enduit de cire, pensant qu'il est préférable de laver les vases neufs avec de la gomme fondue, et, dès qu'ils sont secs, d'y introduire des fumigations de cire blanche, afin de les préserver de la moisissure : ils sont d'avis qu'il ne faut pas omettre de faire cette fumigation toutes les fois qu'on dispose les vaisseaux soit neufs, soit vieux, et qu'on les prépare pour recevoir de nouvelle huile. (17) Beaucoup de personnes se contentent d'un seul enduit de gomme pour toujours, lorsqu'ils l'ont appliqué assez épais à leurs tonneaux neufs et à leurs cruches neuves. Assurément, une fois qu'un vase est imbibé d'huile, il n'admet plus de nouvelles couches de gomme : car la graisse de l'huile repousse toute substance de nature gommeuse. A la fin de décembre, vers les calendes de janvier, il faut, par la raison que nous en avons donnée, cueillir les olives et les pressurer sans retard : car, si on les dépose sur le plancher, elles s'échauffent promptement. D'ailleurs, pendant les pluies d'hiver, elles produisent plus de lie : ce qui est un inconvénient pour cette opération. (18) C'est pourquoi il faut prendre garde d'être réduit à n'en tirer que de l'huile à manger commune. Il n'y a qu'une manière d'écarter cet inconvénient : c'est de traiter le fruit comme nous l'avons prescrit, puis de l'écraser au moyen de la meule et de le pressurer, aussitôt après l'avoir apporté des champs. La plupart des agriculteurs ont cru qu'en déposant les olives sur le plancher, on leur faisait produire une plus grande quantité d'huile : assertion aussi fausse que si l'on prétendait que les grains croissent sur l'aire. C'est ainsi que notre vieux Porcius Caton réfute cette erreur : (19) « Sur le plancher, dit-il, l'olive se ride et s'amoindrit. En effet, quand le paysan a transporté à la maison la mesure d'un pressurage, et que, plusieurs jours après, il veut la soumettre à l'action de la meule, oubliant la quantité qu'il a d'abord apportée, il tire d'un autre tas, également mis à part, ce qui manque à chaque mesure : c'est ce qui lui fait croire que les olives reposées rendent plus d'huile que celles. qui sont plus récemment recueillies, tandis qu'il en a réellement employé un plus grand nombre de mesures. (19) Quand bien même l'assertion serait vraie, on retirerait toutefois plus d'argent du prix de l'huile verte que d'une augmentation de fruit. » Caton ajoute : « Vinssiez-vous à accroître le poids ou la mesure de l'huile, si vous voulez calculer ce que vous avez ajouté d'olives à votre pressurée, vous verrez qu'il y a, non pas du bénéfice, mais de la perte. Aussi ne devons-nous pas balancer à écraser l'olive dès les premiers moments de sa récolte et à la soumettre au pressoir. » (21) Je n'ignore pas qu'il faut aussi fabriquer de l'huile à manger commune. Quand les olives véreuses viennent à tomber, ou que les vents et les pluies en ont jeté dans la boue, on a recours à l'eau chaude; on fait chauffer un vase d'airain pour laver ces fruits malpropres. Il ne faut pas toutefois que cette eau soit bouillante, ruais simplement tiède, afin que le goût de l'huile soit meilleur; car, si les olives étaient cuites, elles contracteraient le mauvais goût des vers et des autres impuretés. Lorsque l'olive est bien lavée, on la traite, pour le reste, comme nous avons indiqué ci-dessus. (22) Il ne faudra pas presser dans les mêmes cabas l'huile de première qualité et l'huile commune : en effet, tandis qu'on réserve les cabas neufs pour l'huile ordinaire, les vieux cabas doivent servir pour les olives tombées; et, toutes les fois qu'ils auront servi, on les lavera sans retard deux ou trois fois dans de l'eau bouillante : si l'on a un cours d'eau à sa proximité, on les y plongera en les assujettissant sous des pierres dont le poids les retiendra au fond; si l'on manquait d'eau courante, on les ferait tremper dans une mare ou dans une piscine d'eau très pure, puis on les battrait avec des verges, afin d'en faire sortir les ordures et les lies; on les laverait de nouveau, et on les ferait sécher. [12,53] De l'huile douce. LIII. (1) Quoique la composition de l'huile douce n'appartienne pas à cette époque, je l'ai réservée pour cette partie de mon livre, craignant qu'elle ne parût déplacée dans les recettes pour les vins. Au reste, elle se fait de la manière suivante. Il faut disposer un grand vaisseau à huile, neuf ou au moins bien solide; ensuite, pendant la vendange, on y verse soixante setiers du moût de la meilleure qualité, et du plus nouveau, avec quatre-vingts livres d'huile; on y ajoute dans un réseau de jonc ou de lin des aromates non tamisés, pas même pulvérisés, mais seulement légèrement concassés, et on maintient ce réseau, sous le poids d'une pierre, dans le mélange d'huile et de moût. (2) Les substances contenues dans le réseau doivent y être introduites dans les proportions suivantes : calamus, jonc odorant, cardamome, baume de Judée, écorce de palmier, fenugrec macéré dans du vin vieux et séché ensuite, et même torréfié, racine de jonc, même iris grec et aussi anis d'Égypte, à poids égal, c'est-à-dire de chacun une livre et un quart; après quoi on lutera la métrète. Au bout de sept ou de neuf jours, on enlèvera à la main l'écume et les ordures qui se seraient attachées au col de ce vase, et on l'essuyera ; ensuite on tirera l'huile au clair et on la versera dans des vases neufs. (3) Après quoi on tirera le réseau, on pilera les aromates avec la plus grande propreté, on les mettra bien pulvérisés dans la même métrète, on y versera autant d'huile que la première fois, on bouchera le vaisseau et on le placera au soleil. Sept jours après, on décantera l'huile, et on mettra le moût restant dans un vaisseau bien poissé. Si on ne le transvasait pas, on s'en servirait comme de potion médicamenteuse pour les boeufs malades et pour les autres bestiaux. Quant à la seconde huile, qui n'est pas d'une odeur désagréable, elle pourra servir, pour frictions journalières, aux personnes affectées de maladies nerveuses. [12,54] LII. (1) Faites ainsi l'huile destinée à la préparation des parfums. Avant que les olives soient devenues noires, quand elles commencent à changer de couleur, et qu'elles ne sont pas encore bigarrées, cueillez à la main les liciniennes surtout, si vous en avez, sinon les royales, ou à leur défaut les culminées. Après les avoir nettoyées, soumettez-les à l'action du pressoir telles qu'elles sont, et exprimez-en la lie; (2) ensuite broyez-les sous la meule peu serrée; disposez-les sur des claies ou dans un cabas neuf; pressez sous le bélier du pressoir de manière qu'il ne déforme pas le cabas ou les claies, mais fasse par son propre poids écouler quelque liquide. A mesure qu'il se dégagera ainsi, l'ouvrier le séparera de sa lie et le transvasera promptement dans des vases neufs, et décantera le reste de l'huile. Ce qui sera ensuite exprimé des olives pourra servir pour les aliments, soit en le mélangeant avec de l'huile d'une autre qualité, soit en l'employant seul. [12,55] LV. (1) Jusqu'ici nous avons suffisamment parlé de l'huile; passons maintenant à des choses moins importantes. On doit interdire la boisson à tout animal et surtout au porc, la veille du jour où on doit le tuer, afin que sa chair soit plus sèche; car, s'il avait bu, la salaison en serait plus humide. Après avoir tué l'animal sans lui avoir permis d'étancher sa soif, désossez-le avec soin : c'est le moyen de conserver la salaison mieux et plus longtemps. (2) Quand il sera désossé, salez-le sans tarder avec du sel torréfié, peu égrugé, mais concassé sous la meule desserrée; saupoudrez largement les morceaux, surtout ceux auxquels vous aurez laissé les os. Après avoir disposé les quartiers ou les morceaux sur un plancher, chargez-les de poids très lourds pour faciliter l'écoulement de l'humidité qu'ils recéleraient. Retirez les poids le troisième jour, frottez avec soin à la main cette salaison, et, lorsque vous voudrez la mettre en place, saupoudrez-la de sel fin bien égrugé; dressez-la en cet état, et vous ne cesserez de la frotter tous les jours jusqu'à ce qu'elle soit à son point convenable. (3) Si le temps est serein durant les jours où vous ferez cette opération, laissez votre viande neuf jours sous le sel; mais si le temps est couvert, ou s'il pleut, il faudra, le onzième ou le douzième jour, porter la salaison au saloir, secouer d'abord le sel, laver soigneusement les morceaux avec de l'eau douce, n'y laisser de sel nulle part, et, dès qu'ils seront un peu desséchés, les suspendre dans le garde-manger, où on fera pénétrer un peu de fumée pour dessécher ce qui peut rester d'humidité. Il y a de l'avantage à faire cette salaison au décours de la lune, surtout pendant le solstice d'hiver, ou même dans le mois de février avant les ides. (4) Il existe une autre manière de saler le porc, applicable même dans les lieux chauds, et dans toutes les époques de l'année. La voici : l'animal ayant été privé d'eau la veille de sa mort, on l'égorge le lendemain; puis on l'épile soit à l'eau bouillante, soit à une flamme légère de menu bois (car de l'une et de l'autre façon on peut le dépouiller de ses soies) ; on le coupe par morceaux d'une livre; ensuite on fait au fond d'un vase un lit de sel torréfié, mais (comme nous l'avons dit ci-dessus) grossièrement égrugé ; puis on dresse bien pressés et par couches les morceaux, qu'on alterne de couches de sel. Quand on est arrivé au col du vase, on achève de le remplir de sel, et l'on y comprime le tout au moyen de poids. Cette chair se conserve indéfiniment, et doit rester dans sa saumure comme toute autre salaison. [12,56] Comment on confit les raves et les navets. LIV. (1) Prenez des raves très rondes; nettoyez-les si elles sont terreuses, et enlevez-en légèrement la pelure avec un couteau; après cela (comme ont coutume de faire les confiseurs), coupez-les en sautoir avec une lame faite en forme de croissant; mais évitez de les fendre tout à fait. Dans ces ouvertures, introduisez du sel qui ne soit pas trop égrugé, dressez les raves dans un bassin ou dans une cruche; laissez-les trois jours saupoudrées d'un peu de sel jusqu'à ce qu'elles aient rejeté leur eau. (2) Au bout de ces trois jours, goûtez les fibres intérieures de ce légume pour vous assurer si elle a pris assez de sel; puis, quand vous croirez qu'elle s'en est suffisamment imprégnée, tirez du vase vos raves, lavez chacune d'elles dans son propre jus, et, s'il y en a trop peu, ajoutez de la saumure forte, et procédez à votre lavage. Après cette opération, dressez les raves dans une corbeille d'osier carrée, dont le tissu ne soit pas trop serré, mais solide et formé de verges un peu grosses; puis posez une planche de manière à pouvoir, s'il le faut, refouler ces légumes jusqu'au fond du panier. (3) Après avoir ainsi adapté la planche, chargez-la de poids fort lourds, et laissez tout un jour et toute une nuit la préparation se dessécher; puis mettez-la dans un vaisseau de terre poissé, ou dans un vase de verre, et versez dessus assez de moutarde et de vinaigre pour qu'elle soit recouverte par le jus. (4) On peut dans une saumure pareille confire des navets, entiers s'ils sont petits, mais coupés par tranches s'ils sont gros; mais il faut avoir soin d'employer ces divers légumes, avant qu'ils aient poussé leur tige et qu'ils montent à graine, tandis qu'ils sont tendres. (5) Jetez dans un vase les navets en leur entier, s'ils ne sont pas gros, sinon coupés en trois ou quatre morceaux, s'ils ont acquis une certaine grosseur; versez dessus du vinaigre, et ajoutez pour chaque conge de ce liquide un setier de sel torréfié. Vous pourrez au bout de trente jours faire usage de cette préparation. [12,57] Comment on fait la moutarde. LVII. (1) Nettoyez avec soin de la graine de sénevé et criblez-la; lavez-la ensuite à l'eau froide, et quand elle sera bien lavée, laissez-la tremper dans l'eau pendant deux heures. Retirez-la ensuite, et, après l'avoir pressée dans les mains, jetez-la dans un mortier neuf ou très propre, et broyez-la sous le pilon. Lorsqu'elle sera bien moulue, ramenez cette pâte vers le milieu du mortier et aplatissez-la avec la main. Après l'avoir ainsi comprimée, ouvrez-y des sillons, où vous répandrez de l'eau nitrée sur quelques charbons ardents que vous y aurez placés, afin de faire rejeter à cette graine toute son amertume, et la préserver de la moisissure. Relevez ensuite le mortier, afin que l'humidité disparaisse entièrement. Versez sur cette moutarde de fort vinaigre blanc, opérez le mélange au moyen du pilon, et passez au tamis. Ce jus convient parfaitement pour confire les raves. (2) Au reste, si vous voulez préparer de la moutarde pour l'usage de la table, après avoir exprimé le suc du sénevé, joignez-y des pignons très frais, ainsi que des amandes, et broyez le tout soigneusement après l'avoir arrosé de vinaigre. Faites, pour le surplus, comme je l'ai dit ci-dessus. Vous emploierez cette moutarde qui sera non seulement bonne pour les assaisonnements, mais qui offrira en outre un coup d'oeil agréable : car, lorsqu'elle est bien préparée, elle est du plus beau blanc. [12,58] Comment ou peut confire les racines du maceron et du chervi. LVIII. Avant que le maceron ait poussé sa tige, déterrez sa racine dans le mois de janvier ou même de février; frottez-la soigneusement, afin qu'il n'y reste pas de terre, et mettez-la tremper dans du vinaigre avec du sel. Vous l'en retirez au bout de trente jours, et vous en jetterez la pelure après l'avoir enlevée. Quant à la partie charnue, vous la placerez dans un vase de verre ou dans une cruche neuve, et y ajouterez un jus dont je vais ci-dessous donner la composition. (2) Prenez de ma menthe, des raisins séchés au soleil et de petits oignons desséchés; broyez le tout avec du froment torréfié et un peu de miel. Quand le broiement sera par-fait, mêlez-y deux parties de vin cuit, jusqu'à réduction soit des deux tiers,'soit de moitié, et une partie de vinaigre. Versez le tout dans la même cruche, dont vous envelopperez d'une peau le goulot bien bouché. Lorsque vous voudrez vous en servir, vous tirerez des tranches de racines avec leur jus, et vous y ajouterez de l'huile. (3) A la même époque, vous pouvez, par le procédé qui vient d'être indiqué, confire des racines de chervi; mais quand vous voudrez en faire usage, il faudra, en les tirant de la cruche, verser dessus de l'oxymel avec un peu d'huile. [12,59] Comment on compose le moret oxypore, ou, comme disent d'autres personnes, l'oxygarum. LVIX. (1) Mettez ensemble, dans un mortier, de la sarriette, de la menthe, de la rue, de la coriandre, de l'ache, du poireau sectile, ou bien, si vous n'en avez pas, de l'oignon vert, des feuilles de laitues, des feuilles de roquette, du thym vert ou de la cataire, et aussi du pouliot vert, du fromage frais et du fromage salé; broyez toutes ces substances ensemble, en y mêlant un peu de vinaigre poivré. Puis mettez cette mixtion dans un plat, et arrosez-la d'huile. (2) Après avoir pilé les plantes vertes dont il vient d'être question, vous y joindrez la quantité qui vous paraîtra suffisante de noix bien nettoyées, ainsi qu'un peu de vinaigre poivré, et vous verserez de l'huile sur le tout. Pilez, avec ces mêmes plantes vertes, du sésame légèrement torréfié; puis ajoutez un peu de vinaigre poivré et de l'huile par-dessus. (3) Coupez par petits morceaux et écrasez du fromage gaulois ou de toute autre espèce, et, eu outre, des pignons, si vous en avez en abondance; sinon, mêlez à ces mêmes assaisonnements, et de la même manière, des avelines torréfiées et préalablement pelées, ou bien des amandes; puis ajoutez une petite quantité de vinaigre poivré, mélangez, et versez de l'huile sur cette composition. (4) Si l'on n'a pas d'assaisonnements verts, pilez avec le fromage du pouliot sec, ou du thym, ou de l'origan, ou de la sarriette sèche, et arrosez la préparation avec du vinaigre poivré et de l'huile. De toutes ces plantes sèches une seule peut même être mêlée au fromage, lorsqu'on ne peut se procurer les autres. Broyez ensemble trois onces de poivre blanc, ou, à son défaut, si l'on en a, de poivre noir, deux onces de graine d'ache, une once et demie de racine de laser, que les Grecs appellent silphion, et deux onces de fromage; passez au tamis, puis mélangez avec du miel et conservez dans un pot neuf. Ensuite, lorsqu'on voudra en faire usage, on en délayera ce que l'on voudra avec du vinaigre et du garum. (5) Si vous voulez éviter une trop grande dépense, mêlez avec du miel une once de livèche, deux onces de raisins séchés au soleil purgés de leurs pepins, et quatre onces de poivre blanc ou noir ; et conservez cette mixtion. Mais si vous voulez faire un oxypore plus délicat, vous réunirez cette dernière composition avec la précédente, et vous le réserverez pour l'usage. Si vous n'aviez pas de laser, autrement dit silphium, vous ajouteriez une demi-once de miel. (6) Je crois à propos, P. Silvinus, en terminant mon ouvrage, de déclarer aux personnes qui me liront s'il s'en trouve qui ne dédaignent pas de prendre connaissance de ces matières, que je n'ai nullement douté qu'il y a une infinité de choses qui auraient pu trouver place dans mon livre; mais j'ai cru ne devoir transmettre à la postérité que les objets les plus nécessaires. La nature n'a pas même donné à ceux qui ont blanchi dans l'étude la connaissance de toutes les sciences. En effet, on convient que ceux même qui ont été considérés comme les plus sages des mortels, s'ils ont su beaucoup de choses, ne ne les connaissaient cependant pas toutes.