[7,0] LIVRE VII. [7,1] De l'ânon. <1> Devant parler du menu bétail, je commencerai, Publius Silvinus, par ce vil et vulgaire ânon d'Arcadie, dont la plupart des écrivains qui ont traité de l'économie rurale veulent que l'on s'occupe principalement dans l'achat et l'entretien des bêtes de somme; et c'est avec raison : car on peut, même dans un terrain sans pâturage, avoir cet animal, qui n'est difficile ni sur la qualité ni sur la nature du fourrage: puisqu'il se nourrit de feuilles, de plantes épineuses, de branches de saule, et des bottes de sarments qu'on lui offre. On l'engraisse même avec de la paille, qui se trouve en abondance dans presque tous les pays. <2> Il supporte résolument la négligence d'un gardien ignorant; il endure patiemment les coups et la privation de nourriture. Aussi en tire-t-on plus longtemps des services que de toute autre bête de travail : car, supportant très bien la fatigue et la faim, il est rarement attaqué par les maladies. Les services nombreux et importants que rend cet animal, qui exige si peu de soins, dépassent ce qu'on en devrait attendre, puisqu'il peut, avec une charrue légère, labourer les champs dont la terre est facile à travailler, comme dans la Bétique et toute la Libye, et qu'il traîne les charrettes dont la charge n'est pas excessive. <3> Souvent même, comme dit le plus célèbre de nos poètes : « Le villageois, pressant les flancs de son âne au pas tardif, le charge de fruits communs, et rapporte, à son retour de la ville, une meule ou une masse de poix noire. » Au reste, tourner la meule et moudre le grain est presque toujours la tâche principale des ânes. C'est pourquoi toute exploitation rurale en réclame un comme animal indispensable, qui, ainsi que je l'ai dit, transporte avec avantage à la ville ou en rapporte, soit sur une voiture, soit sur son dos, la plupart des objets qui sont à notre usage. Au surplus, dans le livre précédent, en traitant de l'âne de prix, nous avons assez expliqué quelle espèce il faut choisir et quels soins lui sont nécessaires. [7,2] De l'achat et de l'entretien des bêtes à laine. <1> Après les grands quadrupèdes se présentent naturellement les troupeaux de bêtes à laine, qui prendraient le premier rang, si on considérait leur grande utilité. En effet, elles nous protégent contre la rigueur du froid, et fournissent à nos corps leurs vêtements les plus importants. Non seulement elles nourrissent les gens de la campagne par l'abondance de leur lait et de leur fromage, mais elles parent les tables du riche de mets agréables et nombreux. <2> Elles servent même à la subsistance de certaines nations dépourvues de blé; aussi la plupart des Nomades et des Gètes sont-ils appelés buveurs de lait. Ces animaux, quoique très délicats, comme Celse le dit fort sagement, jouissent généralement d'une bonne santé et craignent peu les épizooties. Toutefois la nature du sol doit en diriger le choix : c'est ce que Virgile prescrit d'observer toujours, non pas seulement pour ce bétail, mais pour ce qui regarde toute l'économie des champs, quand il dit « Toute terre ne peut pas donner toute production. » <3> Les terrains gras et les pays de plaine nourrissent bien les brebis de haute stature; les terrains maigres et en coteaux conviennent à celles qui sont de taille bien prise; les petites races s'accommodent des bois et des montagnes; les prés et les plaines en jachère sont très convenables pour les brebis enveloppées de peaux. Il n'importe pas moins d'avoir égard à leur couleur qu'à leur espèce. Nos cultivateurs estimaient comme races excellentes la milésienne, la calabraise, l'apulienne, et avant toutes la tarentine. Aujourd'hui les gauloises passent pour les meilleures, et surtout les altinates, ainsi que celles qu'on élève dans les terres maigres des environs de Parme et de Modène. <4> Les brebis blanches sont les plus avantageuses et les plus utiles, parce qu'on peut donner à leur laine une infinité de couleurs, et qu'on ne saurait rendre blanches les toisons qui ne le sont pas naturellement. Toutefois les brebis grises ou bien brunes ont aussi leur mérite : telles sont celles que fournit Pollentia en Italie et Cordoue dans la Bétique. Il en est de même des moutons rouges de l'Asie, qu'on appelle érythrés. L'expérience a d'ailleurs fait connaître le moyen d'obtenir plusieurs autres variétés de couleur. En effet, des hommes qui offraient des bêtes étrangères en spectacle, ayant conduit d'Afrique dans la ville municipale de Gadès, entre autres animaux, des béliers sauvages et farouches dont la couleur était extraordinaire, M. Columelle, mon oncle paternel, homme d'une grande pénétration d'esprit et agriculteur distingué, en acheta plusieurs qu'il fit conduire dans ses champs, et, après les avoir apprivoisés, leur fit saillir des brebis couvertes. <5> Elles produisirent d'abord des agneaux à laine grossière, mais qui offraient la couleur du père. Unis ensuite à des brebis tarentines, les béliers donnèrent des agneaux dont la laine était plus fine. Depuis ce moment, tous les produits conservèrent, avec la toison moelleuse de la mère, la couleur du père et de l'aïeul. Columelle en concluait qu'ainsi la qualité primitive de la bête, quelle qu'elle fût, après que son caractère farouche s'était adouci, se retrouvait de degrés en degrés dans ses descendants. Je reviens à mon sujet. <6> Il y a donc deux espèces de brebis : celles dont la laine est fine, et celles qui l'ont grossière. Au reste, quoiqu'il y ait plusieurs pratiques qui sont communes pour l'entretien comme pour l'achat de l'une et de l'autre, quelques-unes cependant sont particulières à la race distinguée. Voici à peu près ce qu'il faut généralement observer dans l'achat d'un troupeau. Si la blancheur est ce qui vous plaît davantage dans la laine, vous choisirez toujours les béliers du blanc le plus pur; car d'un bélier blanc il peut quelquefois sortir un agneau brun, mais jamais il n'en sortira un blanc d'un bélier rouge ou gris. [7,3] Du choix des béliers. <1> La blancheur de la toison chez un bélier n'est pas un caractère suffisant pour en déterminer le choix : le palais et la langue doivent aussi offrir cette couleur. En effet, quand ces parties sont noires ou tachetées, il donne des agneaux gris ou bigarrés; et c'est là ce qu'entre autres choses le poète que j'ai cité ci-dessus a parfaitement exprimé dans ces vers : « Quand même ton bélier serait blanc, si son palais humide cache une langue noire, rejette-le, pour qu'il ne transmette pas de taches noirâtres à la toison de ses enfants. » <2> Par la même raison, les béliers, soit rouges, soit noirs, ne doivent, comme je l'ai dit, offrir sur aucune partie du corps de laine d'une couleur différente; il est important surtout que toute la surface du dos ne soit pas bigarrée de taches. Ainsi on ne doit acheter de brebis que quand elles sont couvertes de leur laine, afin qu'on puisse mieux juger de l'uniformité de leur couleur, qui, si elle n'existait pas complètement dans les béliers, déterminerait le plus souvent la transmission de leurs taches aux agneaux qui en proviendraient. <3> On estime surtout le bélier, quand il est grand et se tient droit, quand son ventre est déprimé et bien fourni de laine, quand sa queue est très longue, sa toison épaisse, son front large, ses testicules gros, ses cornes recourbées ce n'est pas qu'alors il soit plus utile, car il est préférable qu'un bélier soit privé de cornes; mais il est moins dangereux lorsqu'elles sont torses que lorsqu'elles sont droites et écartées. Pourtant dans certaines contrées, où le climat est humide et venteux, nous préférerions des boucs et des béliers coiffés de cornes très amples, parce que, grâce à leur surface et à leur hauteur, elles protégent contre la tempête la plus grande partie de leur tête. <4> Nous choisirons donc cette espèce pour les lieux où l'hiver est très rigoureux ; mais sous les climats plus doux nous prendrons de préférence des mâles sans cornes : car dans l'animal pourvu de cornes, il existe cet inconvénient, que, se sentant la tête naturellement armée de cette espèce de dard, il est toujours prêt au combat et se montre aussi plus lascif; et quoiqu'il ne suffise pas pour saillir tout le troupeau, il poursuit cruellement tout rival, et ne permet pas, à moins qu'il soit excédé de jouissances, qu'un autre mâle couvre les brebis en chaleur. <5> Au contraire, celui qui n'a pas de cornes, comprenant qu'il est en quelque sorte désarmé, est moins disposé à la lutte et plus modéré pour la saillie. Aussi les pasteurs se servent-ils de la ruse suivante pour réprimer la turbulence des boucs ou des béliers pétulants : ils fichent des pointes dans une planche de chêne d'un pied carré qu'ils attachent aux cornes de l'animal de manière que les pointes soient tournées du côté du front; les blessures qu'il se fait à lui-même lorsqu'il se bat, le guérissent infailliblement de son caractère hargneux. <6> Le Syracusain Épicharme, qui a écrit avec beaucoup de discernement sur la médecine vétérinaire, assure qu'on dompte le bélier provocateur en perçant avec une tarière ses cornes près des oreilles, au point où elles prennent leur courbure. C'est à trois ans que ce quadrupède est parvenu à l'âge convenable à la propagation : il y est propre encore à sa huitième année. A deux ans accomplis la brebis peut recevoir le mâle; elle est encore jeune à cinq, mais après sept elle commence à vieillir. <7> Ainsi que je l'ai dit, vous achèterez les brebis avant qu'elles ne soient tondues, et vous repousserez celles dont la laine est mêlée de brun et de blanc, en raison de leur bigarrure. Vous répudierez comme stériles celles dont, à trois ans, les dents feront saillie hors de la bouche; mais vous choisirez des brebis de deux ans dont le corps soit ample, le cou long, la toison longue et sans rudesse, le ventre bien développé et couvert de laine : car il faut éviter que cette partie soit nue et petite. <8> Voilà à peu près les conditions sur lesquelles il faut se baser pour l'achat des brebis en général. Voici maintenant ce qu'il convient de faire pour le bon entretien du troupeau. On construit des bergeries de peu d'élévation, mais plus longues que larges, afin qu'elles soient chaudes en hiver, et de manière qu'elles soient assez larges pour que les mères ne blessent pas leurs agneaux. Ces constructions feront face au midi; car ce bétail, quoique le mieux vêtu de tous, souffre beaucoup du froid aussi bien que des grandes chaleurs. C'est pourquoi on devra établir devant la bergerie une cour entourée de murailles élevées, afin que le troupeau puisse en sûreté y prendre le soleil. On aura soin que le sol des bergeries ne soit pas humide, mais recouvert de fougère bien sèche ou de chaume, afin que les brebis qui viennent de mettre bas ne salissent pas leur laine et soient couchées mollement. <9> Leurs râteliers seront tenus très proprement, de peur que l'humidité ne nuise à leur santé, qui doit être le premier objet de nos soins. Il faut donner aux bestiaux, quels qu'ils soient, une nourriture abondante : car un troupeau peu nombreux, lorsqu'il est bien nourri, rend plus au propriétaire que le plus considérable qui souffrirait de la faim. Vous le conduirez dams les jachères, non seulement parce que l'herbe y abonde, mais aussi parce qu'ordinairement il ne s'y trouve pas de végétaux épineux : car, pour nous appuyer souvent de l'autorité du poète divin, « Si le lainage est l'objet de vos soins, il faut, avant tout, écarter vos brebis des forêts buissonneuses, de la bardane et du chardon,» <10> parce que, comme dit le même poète, ces plantes rendent les brebis galeuses, « Lorsque, après la tonte, on a négligé de les laver, et que la sueur s'est encroûtée sur leur peau, ou que les épines hérissées ont déchiré leur corps. » Outre que la quantité de la laine est diminuée chaque jour, parce que plus elle a acquis de longueur, plus elle est exposée aux ronces, sorte d'hameçons qui accrochent et dépouillent le dos de l'animal qui les touche en paissant. Il y perd aussi quelquefois le vêtement moelleux dont on le couvre pour le protéger, et ce n'est qu'à grands frais qu'on répare ce dommage. <11> Les auteurs sont presque tous d'accord sur ce point, qu'on doit faire couvrir les brebis d'abord dans le printemps, à l'époque des fêtes de Palès, si l'animal n'a pas encore porté, ou dans le mois de juillet s'il a déjà mis bas. Toutefois il est hors de doute que la première époque est préférable; parce que, comme la vendange suit la moisson, l'agnèlement viendra après la récolte des vignes, et parce que l'agneau bien nourri pendant tout l'automne aura pris de la force avant la rigueur du froid et les privations de l'hiver. En effet, l'automne vaut mieux que le printemps, comme Celse le dit avec beaucoup de raison, par le motif qu'il est plus avantageux que l'agneau se soit fortifié plutôt avant le solstice d'été qu'avant celui de l'hiver, puisqu'il est le seul de nos animaux qui naisse sans inconvénient durant cette dernière saison. <12> Dans le cas où on aurait besoin d'obtenir plus de mâles que de femelles, Aristote, dont l'expérience des choses naturelles est si profonde, prescrit d'avoir égard, lors de la monte, au vent du nord par un temps sec, et de conduire le troupeau en face de ce vent pour que les brebis l'aient en face, pendant le moment de l'accouplement. Si, au contraire, on désire des femelles, il faut rechercher le souffle du midi, et faire couvrir les brebis dans des conditions analogues. Cette méthode est préférable à celle que nous avons enseignée dans le livre précédent, et qui consiste à serrer d'un lien soit le testicule droit, soit le testicule gauche : opération difficile dans les troupeaux nombreux. <13> Quand les brebis auront mis bas, le berger, avant de reconduire ses troupeaux dans des pâturages lointains, laissera presque tous les jeunes agneaux pour qu'on les nourrisse dans les environs de la ville; puis le fermier les livrera au boucher avant qu'ils aient connu l'herbe, parce que le transport en est peu coûteux, et qu'après leur séparation d'avec les mères, celles-ci lui donneront du lait dont il pourra tirer un grand profit. Dans certains cas, on en élèvera quelques-uns dans le voisinage de la ville; car les moutons du pays donnent plus de bénéfices que ceux que l'on tire de contrées éloignées; <14> on ne doit pas, non plus, s'exposer à ce que le troupeau, épuisé de vieillesse, manque tout entier à la fois. Aussi un berger expérimenté a-t-il soin avant tout de remplacer chaque année les bêtes mortes ou défectueuses par autant ou même plus de nouvelles têtes : sans cette précaution, la rigueur du froid et de l'hiver peut tromper le pasteur et faire périr quelques moutons qu'il n'avait pas réformés en automne, persuadé qu'ils pourraient passer encore un hiver. <15> C'est en raison de ces accidents qu'il doit compléter le nombre de ses animaux avec des agneaux de l'année, très forts et capables de supporter la mauvaise saison. Il devra joindre à ces précautions celle de conserver seulement des agneaux sortis d'une brebis de quatre ans au moins et de huit au plus. Tout autre âge ne donne pas une bonne production : l'agneau issu d'une vieille mère apporte avec lui les inconvénients de sa vieillesse, la stérilité ou la faiblesse. <16> Les brebis pleines n'exigent pas moins de soins que les femmes enceintes : l'agnèlement ne diffère pas non plus de l'accouchement, et, souvent même, le travail est plus grand chez la brebis, parce qu'elle est privée de raison. Aussi est-il nécessaire que le maître du troupeau soit instruit dans la médecine vétérinaire, afin que, selon l'exigence des cas, il puisse, si l'agneau se présente en travers, l'extraire en entier, ou bien le tirer après l'avoir coupé par morceaux, sans compromettre la vie de la mère : c'est ce que les Grecs appellent g-embryoulkein. <17> L'agneau, aussitôt après sa naissance, doit être tenu debout et approché de la mamelle; on lui ouvre même la bouche pour l'humecter du lait qu'on exprime du pis, afin qu'il s'habitue à cet aliment maternel; mais auparavant on fait couler à terre une petite quantité de lait que les bergers appellent "colostre", parce que, s'il n'était pas jeté, il serait nuisible à l'agneau. Deux jours après sa naissance, on le renferme avec sa mère, afin qu'elle en prenne soin, et qu'il apprenne à la connaître; et, jusqu'à ce qu'il bondisse, on le garde dans un enclos obscur et chaud. <18> Quand il commencera à folâtrer, on l'enfermera avec d'autres du même âge dans une aire entourée de rameaux d'osier tressés, pour l'empêcher de se livrer, comme les enfants, à un excès d'exercice qui le ferait maigrir. On veillera à ce que les plus jeunes soient séparés des plus âgés, parce que le faible a toujours à souffrir du plus fort. <19> Il suffira, le matin, avant que le troupeau se mette en route pour le pâturage, et le soir, à son retour, quand les brebis sont bien rassasiées, de leur rendre leurs agneaux. Lorsqu'ils commenceront à prendre de la vigueur, on les nourrira à l'étable avec du cytise ou de la luzerne, ou même avec du son, et, si on en a en quantité suffisante, avec de la farine d'orge ou d'ers. Ensuite, quand ils seront forts, on conduira les mères, vers midi, dans des prairies ou des guérets voisins de la ferme, et on fera sortir les agneaux de leur enclos, afin qu'avec elles ils apprennent à paître dehors. <20> Pour ce qui concerne l'espèce de fourrage à leur donner, nous rappellerons ce que nous avons déjà dit, et nous ajouterons ce que nous pouvons avoir omis : les herbes les plus agréables sont celles qui croissent dans les champs labourés, ensuite celles des prés non humides, tandis que les plantes des marais et des forêts ne leur conviennent pas du tout. Cependant il n'est ni fourrage ni nourriture, quelqu'agréables qu'ils puissent être, qui ne finissent à la longue par cesser de plaire aux brebis, si le berger ne prévient le dégoût en leur donnant du sel. Pendant l'été, on met le sel dans des auges de bois, où, à leur retour du pâturage, les brebis vont le lécher comme assaisonnement de leur nourriture : par sa saveur, il les excite à boire et à paître. <21> En hiver, on remédie aux privations de la saison en leur donnant, à couvert, leur subsistance dans les crèches. On les nourrit très avantageusement avec des feuilles d'orme ou de frêne mises en réserve, ou avec du foin d'automne qu'on appelle regain, foin plus mollet, et par cela même plus agréable que celui d'été : <22> c'est une excellente nourriture, aussi bien que le cytise et la vesce cultivée. Faute de mieux, on tire encore parti des fanes de légumes : car l'orge ou les fèves écrasées avec leurs cosses, ou la cicérole, coûtent trop cher pour qu'on puisse les employer avec avantage dans le voisinage des villes; toutefois, si la modicité de leur prix le permet, on ne saurait leur donner rien qui leur soit préférable. <23> Quant à ce qui regarde le temps convenable pour mener paître les brebis, et pour les conduire à l'abreuvoir, je suis du même avis que Virgile, qui dit : « Quand l'astre de Vénus vient de se lever, quand l'aube paraît, quand les gazons sont blancs d'humidité, et que la rosée, si agréable au troupeau, brille sur l'herbe tendre, allons chercher les champs dans leur fraîcheur. Ensuite, dès que la quatrième heure du jour fera sentir la soif aux brebis, dirigeons-les vers des puits ou des mares profondes; » et vers le milieu de la journée, gagnons la vallée, comme ajoute le même poète, « Là où l'antique tronc du vaste chêne de Jupiter étend ses immenses rameaux, ou bien là où l'ombre sacrée, que répand sur le sol une sombre forêt d'yeuses, invite à goûter le repos. » <24> Puis, quand la grande chaleur sera tombée, menons une seconde fois le troupeau à l'eau (c'est une précaution nécessaire pendant l'été), et reconduisons-le ensuite au pâturage : « Au moment où le soleil se couche, quand l'étoile du berger, qui porte avec elle la fraîcheur, calme les airs, et que la lune amenant la rosée rend la vie aux bocages. » Au surplus, il faut observer, au lever de la constellation estivale de la canicule, de diriger les pas du troupeau de manière qu'avant midi il regarde l'occident, et après midi l'orient : car il importe au plus haut degré qu'en paissant il ait la tête opposée au soleil, qui, au lever de cette constellation, est ordinairement nuisible aux animaux. <25> Durant l'hiver et au printemps, on retient toute la matinée les brebis dans leur bergerie, jusqu'à ce que la chaleur du jour ait fait disparaître la gelée blanche des champs : car à cette époque l'herbe qui en est couverte les enrhume et leur lèche le ventre. C'est aussi pour éviter ces accidents, que, dans les temps froids et humides de l'année, on ne leur permet de boire qu'une fois par jour. Celui qui suit le troupeau doit être prudent et vigilant, et le gouverner avec une grande douceur; cette prescription, du reste, s'adresse aux gardiens de toute espèce de bestiaux. <26> Il doit avoir l'air plutôt d'un guide que d'un maître, et menacer seulement de la voix et de la houlette ses brebis, lorsqu'il veut les rassembler et les reconduire à l'étable; il ne leur lancera jamais de projectiles; il ne s'en éloignera jamais ; il ne se couchera pas sur l'herbe, il ne s'y assoira pas, et, quand il n'a point à marcher, il doit se tenir debout, parce que le troupeau a besoin que le berger le garde sans cesse, et que, comme une sentinelle, il dirige de haut ses regards sur lui, de manière à ne pas laisser se séparer des autres brebis celles qui, lentes et pleines, viennent à s'arrêter, et celles qui, agiles et ayant mis bas, cherchent à divaguer. Les voleurs ou les bêtes féroces pourraient d'ailleurs profiter des rêveries du berger pour tromper sa confiance. Au surplus, ces préceptes sont communs à presque toutes les espèces de brebis. Nous allons maintenant en donner de particuliers aux brebis de race distinguée. [7,4] Des brebis enveloppées de peaux. <1> A moins d'attentions de tous les instants de la part du propriétaire, il n'y a guère d'avantage à posséder des brebis grecques, communément appelées tarentines : elles exigent de grands soins et une nourriture copieuse. En effet, si toutes les bêtes à laine sont plus délicates que les autres bestiaux, celles de Tarente sont les plus délicates de toutes, car elles souffrent de la moindre négligence du maître et des gardiens, et principalement de la parcimonie ; elles redoutent également la chaleur et le froid. <2> Comme on peut rarement les nourrir dehors, elles consomment beaucoup de fourrage à la bergerie, et, si le fermier leur en dérobe une partie, la maladie ne tarde pas à les attaquer. En hiver, la ration à mettre dans les crèches, consiste, par tête, en trois sextiers d'orge ou de fèves broyées avec leurs cosses, ou quatre sextiers de cicérole, auxquels on ajoute des feuilles sèches, de la luzerne soit en sec, soit en vert, ou du cytise, ou même sept livres de regain, et des fanes de légumes à discrétion. <3> Dans cette race, la vente des agneaux procure très peu de bénéfices, et on ne retire aucun profit du lait des mères : car les agneaux que l'on ne conserve pas sont, très peu de jours après leur naissance et avant que leur chair soit faite, livrés à la boucherie; et les mères, privées de leurs petits, concourent à élever ceux des autres : en effet, on donne à chaque agneau deux nourrices et on lui en abandonne tout le lait, afin que, mieux nourri, il grandisse plus vite, et que la mère, secondée par une nourrice, ait plus de facilité à élever son petit. C'est pour cela qu'il faut avoir grand soin que tous les jours les agneaux soient allaités par leur mère et par l'autre brebis, qui n'a point pour eux la même affection. <4> Dans l'espèce de Tarente on conserve plus de mâles que dans la race à laine grossière : car on les châtre avant qu'ils puissent saillir les femelles, pour les tuer lorsqu'ils ont deux ans accomplis et livrer au commerce leurs peaux, qui, à cause de la beauté de leur laine, se vendent plus cher que les autres toisons. Nous n'oublierons pas de faire paître les moutons grecs dans des champs découverts, libres de tout arbuste et d'épines, pour que, comme je l'ai dit plus haut, la laine et même la peau qui la couvre ne s'y accroche pas. <5> Dans la campagne, où à la vérité on ne les mène pas tous les jours, ils ne demandent guère moins de soins qu'il ne leur en faut dans la bergerie, où l'on doit les découvrir et les rafraîchir souvent, leur tirer souvent la laine, et l'arroser de vin et d'huile; quelquefois même on les lave, si le temps est assez beau pour le permettre, mais il ne faut le faire que trois fois par an. On doit balayer fréquemment les bergeries, en enlever, le fumier et n'y laisser croupir aucune urine qui les rendrait humides. Pour les tenir sèches, on trouve beaucoup d'avantage à les recouvrir de planches percées sur lesquelles les animaux puissent se coucher. <6> Ces étables ne doivent pas seulement être purgées de fange et de fumier, mais aussi du fléau des serpents. Pour y parvenir, « Sachez qu'il faut brûler dans la bergerie le cèdre odorant, et par l'odeur du galbanum mettre en fuite les serpents dangereux. Souvent la vipère à la morsure funeste s'est enfuie effrayée en voyant la lumière, aussi bien que la couleuvre, qui se plaît particulièrement sous nos toits.» Alors, comme prescrit le même poète, « Saisis une pierre dans ta main, berger; saisis un bâton de chêne, et frappe à mort le reptile qui dresse en sifflant son cou gonflé et menaçant. » On peut aussi, pour éviter le danger que présente cette prescription, brûler souvent des cheveux de femme ou de la ramure de cerf : cette odeur ne permet jamais à ces animaux nuisibles de s'établir dans les étables. <7> On ne saurait fixer pour la tonte une époque fixe qui soit la même pour toutes les contrées, parce que l'été n'y est pas également tardif ou précoce; le mieux est de consulter la température sous laquelle les moutons n'ont pas à souffrir du froid si on les tond, ni de la chaleur si on leur laisse encore leur laine. Au surplus, quelle que soit l'époque de la tonte, on doit les frotter avec un mélange à doses égales de jus de lupins cuits, de lie de vieux vin et de lie d'huile; on verse de cette composition sur la brebis tondue, et quand le dos frotté en aura été bien imbibé durant trois jours, on la conduira le quatrième, si on est à proximité, sur le bord de la mer pour l'y plonger; sinon, on la lavera avec de l'eau de pluie que l'on a salée et fait bouillir, et que l'on garde en plein air pour cet usage. Celse assure que le troupeau, ainsi traité, sera pour toute une année à l'abri de la gale; et il est certain que sa laine repoussera plus moelleuse et plus longue. [7,5] Du traitement des maladies de l'espèce ovine. <1> Après nous être successivement occupé de l'éducation des brebis et des soins qu'elles exigent en état de santé, parlons maintenant des moyens de remédier aux incommodités et aux maladies qui peuvent survenir, quoique cette partie de notre travail ait été presque entièrement traitée clans le livre précédent, quand nous avons donné nos prescriptions sur la médication des grands bestiaux, La disposition des corps des petits et des grands quadrupèdes étant à peu près la même, on ne doit trouver que de faibles différences, et en petit nombre, dans leurs maladies et dans les remèdes propres à les combattre. Cependant, quelque peu considérables qu'elles soient, nous ne les passerons point sous silence. <2> Si le troupeau entier est malade, il faut, comme nous l'avons prescrit ci-dessus, et nous le répétons ici parce que nous croyons la précaution éminemment salutaire, et que ce remède est des plus efficaces, le changer de pâturage, lui interdire les eaux du pays, le conduire sous un autre climat, et avoir soin de chercher des champs couverts, si l'épizootie provient de la chaleur et de l'ardeur du soleil, ou bien des pâturages bien exposés à ses rayons, si le froid a causé le mal. <3> Il faudra conduire le troupeau tranquillement et sans le presser, de peur que la longueur du voyage n'augmente sa faiblesse; on devra cependant éviter de le mener avec trop de lenteur et de nonchalance : car, de même qu'il ne convient pas d'émouvoir plus que de raison et de fatiguer des bêtes déjà fatiguées par le mal, il ne faut pas, non plus, leur donner trop peu d'exercice, les laisser plongées dans leur engourdissement, souffrir qu'elles tombent comme décrépites dans une apathie qui amènerait infailliblement la mort. Lorsque le troupeau sera parvenu à sa destination, on le distribuera par petites bandes aux colons : <4> car il se guérira plus facilement étant divisé qu'en restant assemblé, soit parce que les émanations morbides sont moindres dans un petit nombre, soit parce que les soins sont d'autant plus efficaces qu'ils sont partagés par moins d'animaux. Telles sont les instructions qu'il faut joindre à celles que nous avons données dans le livre précédent (et que nous ne répèterons pas ici) dans le cas où le troupeau entier est frappé. Voici maintenant ce qu'il conviendra de faire si quelques bêtes seulement sont malades. <5> Les moutons sont, plus qu'aucun autre animal, sujets à la gale : elle se déclare presque toujours, comme le dit notre poète, « Lorsqu'une pluie froide les a pénétrés jusqu'au vif, et qu'ils ont été atteints par le froid glacial d'un hiver rigoureux; » ou bien lorsque après la tonte on n'a pas eu recours aux frictions que j'ai indiquées; lorsqu'on a négligé d'enlever, au moyen d'ablutions dans la mer ou dans un courant d'eau, la crasse formée par la transpiration pendant l'été. La même affection peut également se développer si on laisse les animaux récemment tondus s'écorcher dans les buissons et les épines des bois, et si on les loge dans une étable où ont séjourné des mules, des chevaux ou des ânes. Au reste, le plus souvent, le défaut de nourriture produit la maigreur, et la maigreur la gale. <6> Quand la gale commence à se manifester, on s'en aperçoit ainsi : les animaux mordent la partie malade, la grattent avec les cornes ou le pied, ou bien la frottent contre un arbre, ou contre un mur. Dès que vous remarquerez une brebis dans cette action, il faudra la saisir et écarter sa laine pour examiner la peau qu'elle recouvre, qui doit être rude et couverte d'une sorte de crasse. Sans plus attendre, il faut prendre toutes les précautions pour qu'elle n'infecte pas tout le troupeau, et agir avec une grande promptitude, car la contagion gagnerait tous les bestiaux et surtout l'espèce ovine. <7> Il existe plusieurs remèdes que nous allons faire connaître, non pas qu'il soit nécessaire de les employer tous, mais parce que plusieurs ne se trouvent point dans certains pays, et que, sur le nombre, on en rencontrera quelqu'un à propos. D'abord, on peut faire usage avec succès de la composition que nous avons donnée un peu plus haut, qui consiste à mêler des lies de vin et d'huile avec une quantité égale de jus de lupins cuits et de l'ellébore blanc écrasé. <8> Le suc de la ciguë verte peut aussi faire disparaître la gale : à cet effet, on écrase cette plante, coupée au printemps, quand elle a poussé ses tiges et qu'elle n'est pas encore montée en graine; on conserve dans un vase de terre le jus qu'on en a exprimé, en y mêlant, pour deux urnes de liquide, un demi-modius de sel grillé. Ensuite, on enfouit dans le fumier le vase bien luté; quand la préparation s'est élaborée durant toute une année par la chaleur de ce fumier, on la retire pour l'usage. On commence par déterger la partie malade en la frottant avec une brique rude ou une pierre ponce, puis on fait des lotions avec le médicament que l'on a fait tiédir. <9> On remédie aussi à la même maladie, soit avec de la lie d'huile réduite de deux tiers par l'ébullition, soit avec de la vieille urine d'homme dans laquelle on plonge des tuiles chauffées jusqu'au rouge blanc. Toutefois, certaines personnes font réduire d'un cinquième, sur le feu, cette urine, qu'elles mélangent avec une égale quantité de suc de ciguë verte; ensuite elles y mêlent de la brique pilée, de la térébenthine et du sel égrugé, de chacun un setier. <10> On peut user aussi de soufre pulvérisé et de térébenthine, à doses égales, que l'on combine à l'aide d'un feu doux. Au surplus, le poème des Géorgiques affirme qu'il n'y a pas de remède plus efficace que de « Couper avec le fer la surface de l'ulcère, qui, s'il reste couvert, subsiste et fait des progrès. » Il faut donc l'ouvrir et user des mêmes médicaments que pour les autres plaies; puis, ajoute non moins sagement ce poème, il faut tirer du sang du talon ou d'entre les deux cornes du pied aux brebis atteintes de la fièvre : car le plus souvent, « On a obtenu d'heureux résultats en écartant le feu qui les consume, et en faisant jaillir le sang qui gonfle la veine placée sous le pied et dans sa bifurcation. » <11> On peut aussi leur tirer du sang sous les yeux et des oreilles. Les moutons sont aussi attaqués de deux espèces de clavelées qui s'annoncent, l'une lorsque du pus et l'intertrigo se manifestent dans l'entre-deux du pied; l'autre, quand ce même point présente une tumeur vers le milieu de laquelle se trouve un poil semblable à ceux des chiens, sous lequel se nourrit un petit ver. <12> Le pus et l'intertrigo disparaîtront par l'application de la térébenthine, ou d'un mélange d'alun, de soufre et de vinaigre, ou par le moyen d'une jeune grenade dont les grains ne sont pas encore formés, pilée avec de l'alun et arrosée de vinaigre; ou bien en les saupoudrant de vert-de-gris, ou encore en les recouvrant de noix de galle torréfiée, pilée et unie à du vin âpre. <13> Quant à la tumeur qui recèle un petit ver, il faut la cerner avec le bistouri, en usant de la plus grande précaution, afin de ne pas blesser, pendant l'opération, l'insecte qui se trouve au fond du mal : car s'il se trouvait attaqué par le fer, il répandrait une sanie venimeuse qui, étendue dans la plaie, la rendrait tellement incurable qu'il faudrait procéder à l'amputation de la totalité du pied. Après l'incision circulaire de la tumeur opérée avec le soin convenable, on fera, au moyen d'une torché enflammée, dégoutter sur la plaie du suif brûlant. <14> Il convient de traiter, comme le porc, la brebis malade du poumon, en lui insérant dans l'oreille une racine de la plante que les vétérinaires appellent "consiligo", et dont nous avons déjà parlé quand nous avons traité du traitement des maladies du grand bétail. Ordinairement c'est en été que les moutons contractent cette maladie, par le manque d'eau; aussi faut-il veiller à ce que, pendant les chaleurs, tous les quadrupèdes puissent s'abreuver largement. <15> Celse pense que, si les poumons sont attaqués, on doit donner à la brebis autant de fort vinaigre qu'elle en peut avaler, ou lui verser avec une petite corne, dans la narine gauche, environ trois hémines de vieille urine d'homme chaude, et lui faire avaler deux onces d'axonge. <16> Le feu sacré, que les bergers appellent érésipèle, est aussi une maladie incurable. Si on ne l'arrête pas au premier animal attaqué, il se répand contagieusement sur tout le troupeau, qui ne souffre, dans ce cas, ni les médicaments ni le secours du fer, car le plus léger attouchement l'irrite. Toutefois, les fomentations de lait de chèvre ne sont pas inutiles, quoique sa vertu se borne à calmer la violence des ardeurs de la peau et à différer plutôt qu'à empêcher la perte du troupeau. <17> Mais Bolus de Mendès, célèbre auteur égyptien, dont les écrits, appelés g-cheirokmeta par les Grecs, ont paru sous le pseudonyme de Démocrite, est d'avis, pour cette maladie, de visiter souvent et soigneusement le dos des brebis, et, dans le cas où l'on y reconnaîtrait l'existence du mal, de creuser sans délai à la porte de la bergerie une fosse pour y enterrer vive, et placée sur le clos, la brebis malade, et, quand cette fosse est comblée, d'y laisser passer tout le troupeau : cette pratique arrête incontinent l'épizootie. <18> La bile, qui n'est pas moins pernicieuse aux brebis en été, s'expulse en leur faisant boire de l'urine d'homme vieille, laquelle est aussi un remède pour la jaunisse. Si un mouton souffre de la pituite, on lui introduit dans les narines des tiges d'origan ou de pouliot sauvages, enveloppées de laine, et on les y remue jusqu'à ce que l'animal éternue. Les fractures des jambes, chez les bêtes à laine, se traitent de la même manière que celles des hommes : on les enveloppe de laine imbibée d'huile et de vin, et le tout est entouré et contenu par des éclisses. <19> La renouée produit encore de graves accidents quand un mouton en mange : tout son ventre se distend, se contracte, et il rejette par la bouche une espèce d'écume légère d'une odeur fétide. Alors il faut s'empresser de pratiquer une saignée sous la queue, au point le plus voisin des fesses, et d'ouvrir aussi la veine de la lèvre supérieure. Quand les brebis éprouvent de la peine à respirer, on doit leur faire une incision à l'oreille et les changer de pays : précaution que, d'ailleurs, nous croyons utile dans toutes les maladies et les épizooties. <20> On ne négligera pas de secourir les agneaux lorsqu'ils ont la fièvre ou toute autre maladie. Lorsqu'ils en seront affectés, on les éloignera de leurs mères pour qu'ils ne leur transmettent pas leur mal. On traira alors les brebis à part, et on mêlera à leur lait une égale quantité d'eau de pluie, pour le donner à boire aux agneaux fiévreux. Beaucoup de personnes les traitent aussi en leur faisant avaler, au moyen d'une petite corne, du lait de chèvre. <21> Le tac, que les bergers appellent "ostigo", est aussi une affection mortelle pour les agneaux qui tètent, il provient communément de ce que, par le défaut d'attention du pasteur, les agneaux ou les chevreaux ont mangé des herbes couvertes de rosée : ce qu'il ne doit jamais permettre. Cependant, le cas échéant, il leur survient, comme dans le feu sacré, des ulcères dégoûtants à la bouche et aux lèvres. <22> On traite cette maladie en leur frottant le palais, la langue et toute la bouche avec de l'hysope écrasée avec poids égal de sel; puis on lave les plaies avec du vinaigre, et on les enduit d'un mélange de térébenthine et de graisse de porc. Quelques personnes croient préférable de mélanger un tiers de vert-de-gris avec deux tiers de vieux oing, et d'employer ce remède après l'avoir fait chauffer. D'autres écrasent des feuilles de cyprès dans l'eau, et s'en servent pour laver les ulcères et le palais. La méthode de castration que nous avons donnée plus haut s'applique aux agneaux aussi bien qu'aux grands quadrupèdes. [7,6] Des troupeaux de chèvres. <1> Comme je me suis assez étendu sur les moutons, je vais maintenant m'occuper des troupeaux de chèvres. Ce genre de bétail prospère mieux au milieu des broussailles que dans les champs découverts, et trouve très bien sa nourriture sur les rochers et dans les lieux sauvages : car ni les ronces ni les épines ne le blessent, et il se plaît au milieu des arbustes et des taillis : l'arbousier, l'alaterne, le cytise sauvage, les rejets de l'yeuse et du chêne qui n'ont pas encore pris beaucoup de hauteur, lui sont particulièrement agréables. <2> On préfère à tout autre le bouc qui a sous les mâchoires deux petites verrues pendantes sur son cou, qui a le corps très développé, les jambes fortes, le cou plein et court, les oreilles tombantes et lourdes, la tête petite, le poil noir, épais, luisant et très long : car on le tond «Pour l'usage des camps et pour faire des vêtements aux pauvres matelots.» <3> Dès l'âge de sept mois, le bouc est propre à la monte; il est tellement impétueux dans ses désirs, que, pendant qu'il tète encore, il viole sa propre mère; aussi est-il vieux promptement, et avant qu'il n'ait atteint sa sixième année, épuisé qu'il est par les jouissances prématurées des premiers temps de sa jeunesse. C'est pourquoi, dès cinq ans, on le regarde comme peu propre à féconder les femelles. <4> En général, la meilleure chèvre est celle qui ressemble le plus au bouc, tel que nous l'avons dépeint, pourvu qu'elle ait d'amples mamelles et qu'elle donne beaucoup de lait. On doit acheter les chèvres sans cornes, quand elles sont destinées à vivre dans un climat tempéré; dans les contrées sujettes aux orages et aux pluies, elles devront toujours en être munies. Quant aux boucs, il faut les choisir sans cornes pour tous les pays, car ceux qui en ont sont presque tous dangereux à cause de leur pétulance. <5> Il ne convient pas de réunir dans un même enclos un nombre de plus de cent têtes de ce bétail, là où l'on rassemblerait aussi commodément mille bêtes à laine. Quand on veut faire l'acquisition de chèvres, il vaut mieux acheter un troupeau entier que de le former de bêtes provenant de plusieurs maîtres, afin qu'à la pâture elles ne s'isolent point par petites bandes, et qu'à l'étable leur bon accord leur assure du repos. Les fortes chaleurs nuisent aux chèvres, et plus encore le froid, surtout à celles qui sont pleines lorsqu'elles ont été couvertes pendant les gelées de l'hiver. Ce ne sont pas là, au surplus, les seules causes qui les font avorter le gland, donné en quantité insuffisante pour qu'elles puissent s'en rassasier, produit le même effet. Il ne faut donc pas leur en laisser manger si on ne peut leur en fournir abondamment. <6> Notre avis est que le temps à préférer pour les conduire au bouc est l'automne, un peu avant le mois de décembre, afin que les chevreaux naissent à l'approche du printemps, quand les taillis se couvrent de bourgeons, et que les bois commencent à se couvrir d'un tendre feuillage. La meilleure étable à chèvres aura pour fond un roc naturel ou bien sera pavée de pierres, parce qu'on ne leur donne pas de litière. Un chevrier diligent doit balayer cette étable tous les jours, n'y laisser séjourner ni crottin ni humidité, et ne pas souffrir qu'il s'y forme de la houe, toutes choses pernicieuses à ces animaux. <7> Quand la chèvre est de bonne race, elle donne souvent deux chevreaux, quelquefois trois; mais la portée est très mauvaise quand deux mères ne produisent à elles deux que trois petits. Dès leur naissance, on les élève comme les agneaux, si ce n'est qu'il faut plus de soins pour réprimer leur pétulance, et la contenir dans des limites plus resserrées. Pour procurer plus de lait aux mères, on leur donnera de la graine d'orme, ou du cytise, ou du lierre, ou même des sommités de lentisque et autres jeunes feuillages. De deux chevreaux, on réserve celui qui paraît le plus robuste, pour recruter le troupeau ; les autres sont livrés aux marchands. Il ne faut pas laisser de chevreau aux chèvres qui n'ont qu'un ou deux ans (car à ces âges elles peuvent être mères); ce n'est qu'à trois ans qu'on leur permettra de faire des élèves. <8> Le petit de la chèvre d'un an doit lui être enlevé sans retard; celui dont la mère a deux ans sera seulement conservé jusqu'à ce qu'il soit vendable. On ne gardera pas de mères au delà de huit ans, parce que, fatiguées par des portées continuelles, elles deviennent alors stériles. <9> Le chevrier doit être actif, robuste, alerte, très propre à la fatigue, agile et courageux, afin qu'il puisse traverser facilement les rochers, les déserts et les buissons, et, au contraire des autres pasteurs, ne pas se borner à suivre son troupeau, mais le plus souvent le précéder. Il est donc surtout nécessaire qu'il soit alerte. Les chèvres, en broutant les arbustes, laissent les boucs derrière elles; il faut retenir celle qui s'avance trop, pour l'empêcher de divaguer et pour qu'elle paisse tranquillement et lentement : ce qui lui donne plus de lait et la préserve d'une excessive maigreur. [7,7] Du traitemeut des chèvres malades. <1> Quand les autres espèces de bestiaux sont attaquées de maladies contagieuses, le mal et la langueur les font d'abord maigrir; les chèvres seules, quoique grasses et gaies, tombent tout à coup comme si le troupeau succombait sous quelque ruine. Cet accident provient surtout de l'abondance de la nourriture. C'est pourquoi, dès qu'une ou deux chèvres sont atteintes de maladie contagieuse, il faut les saigner toutes, les priver de nourriture tout le jour, et pendant les quatre heures du milieu de la journée les tenir renfermées dans un enclos. <2> Si elles souffrent d'un autre mal, on les traitera avec du roseau et des racines d'aubépine soigneusement écrasés avec des pilons de fer, et mêlés avec de l'eau de pluie, la seule qu'alors on devra leur permettre de boire. Si ce remède est impuissant contre la maladie, il faut vendre le troupeau, ou, si cela ne peut se faire, l'abattre pour le saler. Plus tard, on se procurera un autre troupeau; mais on laissera passer l'époque insalubre de l'année, de manière à attendre l'été si on se trouve en hiver, et le printemps si on est en automne. <3> S'il n'y avait que quelques bêtes malades, on leur donnerait à l'étable les mêmes remèdes qu'aux brebis. En effet, si leur peau était distendue par la lymphe, maladie que les Grecs nomment g-hydropa (hydropisie), on pratiquerait une légère incision à la peau, sous l'épaule, pour faire écouler le liquide vicié, et l'on mettrait sur la plaie un emplâtre de térébenthine. <4> Si, après le part, les organes de la génération restaient enflés, ou si le délivre n'était pas complètement expulsé, on administrerait à la chèvre un setier de vin cuit, ou, à défaut de cette liqueur, une pareille mesure de bon vin, et on remplirait de cérat liquide l'intérieur de la vulve. Mais, pour ne pas parler ici de chaque maladie en particulier, qu'il suffise de dire que les chèvres doivent être traitées de la manière que nous avons prescrite pour les brebis. [7,8] Manière de faire le fromage. <1> On ne doit pas négliger de faire des fromages, surtout dans les cantons isolés, d'où il n'y aurait pas d'avantage à porter au loin le lait en nature. Si le fromage est fait avec du lait maigre, il faut le vendre au plus tôt, pendant que frais encore il n'est pas desséché; mais si le lait qui entre dans sa confection est gras et riche en principes excellents, on peut le conserver fort longtemps. Au surplus, il doit être fait de lait pur et très nouveau; car le lait ancien ou mélangé ne tarde pas à contracter de l'âcreté. Ordinairement, c'est avec de la présure d'agneau ou de chevreau qu'on le fait cailler, quoiqu'on puisse parvenir au même but avec la fleur du chardon sauvage, ou avec les semences du cnicus, ou encore avec la sève laiteuse que rend le figuier, quand on, pratique une incision à l'écorce d'un de ses rameaux verts. <2> Au reste, le meilleur fromage est celui qui est fait le plus simplement. Le moins de présure qu'on puisse mettre dans un sinus de lait est du poids d'un denier d'argent. Il n'est pas douteux que de jeunes pousses de figuier, mises dans le fromage au moment où il se coagule, ne lui communiquent une saveur très agréable. <3> Le vase à traire, lorsqu'il a reçu le lait, doit être maintenu tiède à un certain degré: il ne faut pourtant pas le mettre sur le feu, comme le pratiquent quelques personnes; mais nu doit l'y placer à distance convenable, et, aussitôt que le lait est coagulé, le distribuer dans des corbeilles de jonc, dans des paniers ou dans des formes. Il est surtout important de faire promptement écouler le petit lait, et de le séparer du caillé. <4> C'est pourquoi les paysans ne lui laissent pas le temps de s'égoutter de lui-même, ce qui n'a lieu que lentement; mais, dès que le fromage a pris quelque consistance, ils le chargent de poids, qui, par leur pression, font sortir le sérum. Ensuite, dès que le fromage est tiré des formes ou des corbeilles, on le place dans un lieu sombre et frais pour qu'il ne se gâte pas, sur des tablettes bien propres, où on le saupoudre de sel égrugé pour faire sortir toute la liqueur qu'il contient. Lorsqu'il est devenu ferme, on le presse plus fortement pour le rendre compacte, puis on le saupoudre de nouveau avec du sel grillé, et on le charge de nouveaux poids pour le condenser davantage. <5> Après cette opération continuée neuf jours, on lave les fromages à l'eau douce, et on les dispose à l'ombre sur des claies faites exprès, de manière qu'ils ne se touchent pas entre eux, et qu'ils puissent un peu sécher ; ensuite, pour qu'ils se conservent plus tendres, on les entasse sur des tablettes dans un lieu clos et qui ne soit pas exposé au vent. Moyennant ces précautions, le fromage n'est ni spongieux, ni trop salé, ni desséché. Le premier de ces défauts arrive ordinairement quand il n'a pas été suffisamment pressé; le second, quand il a été couvert de trop de sel; le troisième, quand il a été brûlé par l'ardeur du soleil. <6> Cette espèce de fromage peut être transporté au delà des mers. Quant à celui qui doit être consommé frais dans l'espace de peu de jours, il se prépare avec moins de soin : on se borne à le tirer des formes, à le tremper dans du sel fondu ou dans de la saumure, et on le fait un peu sécher au soleil. Quelques personnes, avant d'assujettir les animaux dans des carcans pour les traire, mettent dans le vase des cônes verts de pin, font tomber le lait dessus, et ne les retirent que lorsqu'ils mettent dans les formes le lait coagulé. D'autres écrasent les pignons verts, les mêlent avec le lait, qui se coagule avec eux. <7> Il y en a aussi qui le font prendre avec le suc du thym pilé et passé à la chausse. On peut par le même moyen donner au fromage la saveur que l'on veut, en y ajoutant le condiment qu'on préfère. On connaît partout la manière de faire le fromage que nous appelons pressé à la main. Quand le lait commence à se coaguler dans le vase à traire, et qu'il est tiède encore, on le divise par tranches, on le plonge dans l'eau bouillante, et on lui donne à la main une figure quelconque, ou bien on le presse dans des moules de buis. Rendu ferme par la saumure, il n'est pas d'une saveur désagréable quand on l'a coloré à la fumée, soit du bois de pommier, soit du chaume. Mais revenons à notre sujet principal. [7,9] Soins à donner aux porcs dans leur bon état de santé. <1> Dans toute espèce de quadrupèdes, on doit choisir avec soin un mâle de bonne qualité, parce que la progéniture ressemble plus souvent au père qu'à la mère. Ainsi, parmi les porcs, on préférera ceux dont tout le corps est très ample et ceux de taille moyenne à ceux qui sont allongés ou ronds; ils doivent avoir le ventre bien développé, les fesses larges, les jambes et les pieds petits, le cou charnu et glanduleux, le groin court et retroussé. Ce qui importe surtout, c'est que les verrats soient très lubriques. <2> Quoiqu'ils puissent dès l'âge de six mois couvrir les femelles, on ne les emploiera convenablement à la génération que lorsqu'ils auront atteint un an, et jusqu'à ce qu'ils en aient quatre. On doit faire choix de truies dont le corps soit très long, et qui, pour les autres qualités, ressemblent aux verrats tels que nous les avons décrits. Si le pays est froid et exposé aux frimas, on composera son troupeau de porcs qui aient les soies très dures, épaisses et noires. Dans les contrées tempérées et chaudes, on peut en nourrir qui n'aient point de poil ou qui soient aussi blancs que de la farine. <3> On regarde la truie comme pouvant produire jusqu'à sept ans environ; mais plus elle est féconde, plus tôt elle est vieille. Il n'y a pas d'inconvénient à la laisser concevoir à un an, mais on doit la faire couvrir en février. Après avoir porté quatre mois, elle met bas dans le cours du cinquième : alors les herbes sont assez fortes pour que les petits trouvent un lait de bonne qualité. Lorsqu'ils seront sevrés, on les nourrira avec de la paille et des déchets de légumes sans valeur. <4> Telle est la méthode en usage dans les lieux éloignés des villes, où l'on ne s'occupe que de l'accroissement du troupeau; car dans les endroits qui en sont proches on trouve de l'avantage à vendre les cochons de lait : alors la truie, débarrassée du soin d'élever ses petits, est plus tôt disposée à donner une seconde portée, et peut en donner deux par an. Les mâles qui ont commencé à saillir dès l'âge de six mois, ou qui ont été très souvent employés à la monte, doivent être châtrés à trois ou quatre ans pour qu'on puisse les engraisser. <5> Pour que les femelles ne puissent engendrer, on fait à la vulve des incisions qui, en se cicatrisant, ferment l'entrée du vagin. Je ne comprends pas ce qui peut déterminer à pratiquer cette opération, à moins que ce ne soit la disette de nourriture : car lorsqu'on en a en abondance, il y a toujours bénéfice à multiplier les portées. <6> Ces animaux s'arrangent de la situation de toute espèce de terrains, et prospèrent bien sur les montagnes et dans les plaines, mieux pourtant dans les fonds marécageux que dans les lieux arides. Les forêts sont ce qui leur convient le mieux quand elles sont couvertes de chênes, de liéges, de hêtres, de cerres, d'yeuses, d'oliviers sauvages, de tamarix, de coudriers et d'arbres portant des fruits sauvages, tels que les aubépines, les caroubiers, les genévriers, les lotus, les pins, les cornouillers, les arbousiers, les pruniers, les paliures et les poiriers sauvages, parce que leurs fruits mûrissent à diverses époques et peuvent nourrir les porcs presque toute l'année. <7> A défaut d'arbres, on recherchera les terres à pâture, et aux lieux secs on préfèrera les endroits marécageux, parce que les porcs fouilleront dans la fange, en tireront des vers, se vautreront dans la boue, ce qui leur est particulièrement agréable, et auront à discrétion l'eau qui leur est si utile, surtout en été, outre qu'ils en tireront les racines tendres des plantes aquatiques, comme les glaïeuls, les joncs et le roseau commun que l'on appelle vulgairement canne. <8> Les porcs s'engraissent fort bien aussi dans les terres cultivées quand elles sont gazonnées de bons herbages, plantées de plusieurs espèces d'arbres fruitiers qui puissent, à diverses époques de l'année, leur fournir des pommes, des prunes, des poires, des figues et les différents fruits à coque. On n'en aura pas moins recours aux greniers : car, lorsque la nourriture manque au dehors, il faut souvent en donner à la main. C'est pourquoi on conservera beaucoup de gland, soit sous l'eau dans les citernes, soit sur des planchers, ou on le dessèche à la fumée. <9> Il faut aussi faire provision de fèves et d'autres légumes semblables, quand le bas prix le permet, pour les donner aux truies dans le printemps, lorsque les plantes sont encore en sève et pourraient nuire à ces animaux. Alors, dès le matin, avant qu'elles partent pour la pâture, on leur donnera des denrées de la provision, pour éviter que, se jetant sur des herbes non mûres, elles ne contractent la diarrhée, maladie qui les ferait maigrir. On ne doit pas les enfermer en troupe comme les autres bestiaux, mais construire des loges en galeries pour y répartir les truies après le part et lorsqu'elles sont pleines : car si elles étaient réunies pêle-mêle, elles se coucheraient les unes sur les autres et elles écraseraient leurs petits. <10> C'est pourquoi, comme je l'ai dit, on bâtira le long des murs des loges de quatre pieds de hauteur pour que les truies ne puissent pas franchir les séparations : on ne couvrira pas ces clôtures, afin que, par-dessus, le porcher puisse vérifier le nombre de ses animaux, et retirer de dessous la mère le petit qu'elle aurait étouffé en se couchant. Cet homme doit être vigilant, actif, industrieux et courageux. Il doit avoir présentes à sa mémoire toutes les truies qu'il garde, tant celles qui sont jeunes que celles qui ont déjà mis bas, pour bien juger de l'époque du part. Il surveillera celle qui est pleine, et la renfermera pour qu'elle mette bas dans une loge. <11> Dès qu'elle aura donné sa portée, il notera le nombre et le sexe des petits, et veillera surtout à ce qu'ils ne soient nourris que par leur propre mère : car lorsque les porcs sortent de leur loge, ils se mêlent très facilement entre eux, et quand la truie s'est couchée, elle donne indifféremment ses mamelles aux premiers venus. <12> Aussi le porcher aura le plus grand soin de renfermer chaque mère avec ses propres petits : dans le cas où il manquerait de mémoire, pour éviter la confusion, il marquera d'un même signe, avec de la térébenthine, la truie et ses jeunes pourceaux, de manière à les distinguer soit par des lettres, soit par toute autre figure : car lorsque le nombre est considérable, le gardien doit employer différentes marques pour éviter toute erreur. <13> Cependant, comme une telle opération est longue pour un troupeau nombreux, il est plus commode de construire des loges dont la porte soit à une hauteur telle que les mères puissent y passer sans que les petits puissent la franchir. Par ce moyen, les cochons de lait étrangers à cette loge ne sauraient s'y introduire, et chaque portée, qui ne doit pas excéder le nombre de huit têtes, attend sa mère dans son toit. Ce n'est pas que j'ignore que la truie est assez féconde pour en produire davantage, mais c'est parce que celle qui en nourrit un plus grand nombre est épuisée en peu de temps. Quand elle allaite, on doit la réconforter avec de l'orge cuite, pour qu'elle ne soit pas réduite à une extrême maigreur, et qu'il n'en résulte pas quelque accident fâcheux. <14> Un porcher soigneux balaye fréquemment l'étable à cochons et plus souvent encore les loges : car quoique ces animaux, pendant qu'ils sont à la pâture, se vautrent dans l'ordure, ils n'en exigent pas moins un toit très propre. Voilà à peu près les soins qu'il faut prendre des porcs dans leur bon état de santé. [7,10] Du traitement des porcs malades. <1> Pour ne point déroger à l'ordre que nous avons suivi, nous parlerons ici des soins à donner aux porcs malades. On reconnaît que les truies ont la fièvre, quand, penchant la tête, elles la portent de côté; quand, après avoir un peu couru, elles s'arrêtent tout à coup au milieu des pâturages, et qu'elles tombent frappées de vertige. <2> Il faut observer de quel côté elles tiennent la tête penchée, pour leur pratiquer une saignée à l'oreille du côté opposé. On devra aussi leur ouvrir, à la distance de deux doigts des fesses, endroit où elle est assez considérable, la veine qu'elles ont sous la queue, après l'avoir frappée avec un sarment. Quand la veine est suffisamment gonflée par les coups qu'elle a reçus, le fer ouvre un passage au sang, qu'on arrête ensuite au moyen d'une bandelette d'écorce de saule, ou même d'orme. <3> A la suite de cette opération, on retient la bête un ou deux jours dans l'étable, et on lui donne, à discrétion, de l'eau tiède dans laquelle on a délayé un setier de farine d'orge. On tire du sang sous la langue aux porcs scrofuleux; et quand il en a suffisamment jailli, il convient de frotter tout l'intérieur de la bouche avec du sel égrugé et de la farine de blé. Certaines personnes pensent les traiter plus efficacement, en faisant boire avec une corne, à chaque bête malade, trois cyathes de garum; puis en leur liant au cou, avec une ficelle de lin, des tiges fendues de férule suspendues, de manière qu'elles soient en contact avec les écrouelles. <4> Lorsqu'ils éprouvent des nausées, la râpure d'ivoire mêlée avec du sel grillé et de la farine fine de fèves, et donnée à jeun avant de les conduire au pâturage, est regardée comme un remède salutaire. Il arrive quelquefois que tout le troupeau est tellement malade, qu'il maigrit, refuse les aliments, s'abat au milieu du champ dans lequel on l'a conduit, et, sous le soleil ardent de l'été, succombe au sommeil comme s'il était frappé de léthargie. <5> Il faut alors renfermer tout le troupeau dans une étable couverte, et durant un jour le priver de boire et de manger. Le lendemain, on le désaltèrera avec de l'eau dans laquelle seront écrasées des racines de concombre sauvage. Quand les malades en ont bu, ils sont pris de nausées, et se purgent par le vomissement. Toute la bile étant ainsi rejetée, on leur permet, comme aux hommes, de boire de l'eau chaude après leur avoir donné des cicéroles ou des fèves sèches arrosées de saumure. <6> Si tous les quadrupèdes sont, en été, souffrants quand leur soif se prolonge, les porcs la supportent moins que tous les autres : aussi ne prescrivons-nous pas de les conduire à l'abreuvoir deux fois par jour, ainsi qu'on le fait pour les chevaux et les brebis; mais il faut, vers le lever de la canicule, s'il est possible, les tenir sur les bords d'une rivière ou d'un étang : car le porc, étant naturellement très échauffé, ne se contente pas de boire, il aime à plonger et à rafraîchir dans l'eau son embonpoint que recouvre la fange, et son ventre gonflé par ce qu'il a mangé; et rien ne lui est plus agréable que de se vautrer dans les ruisseaux et les mares bourbeuses. <7> Si la situation des lieux s'oppose à ces arrangements, on lui donnera à boire, en abondance, de l'eau tirée des puits et versée dans des auges, car s'il n'en a pas à discrétion, il est bientôt attaqué de pulmonie. Cette maladie se guérit parfaitement en lui insérant du consiligo dans une ouverture faite à ses oreilles : nous avons déjà parlé avec soin, et plusieurs fois, de la racine de cette plante. <8> Les porcs sont sujets aussi à des douleurs de la rate, viscère qui contracte des affections par l'effet des grandes sécheresses, et lorsque, comme le disent les Bucoliques, « Les fruits abattus sont çà et là dispersés à terre sous les arbres qui les ont produits ; » car ces animaux sont insatiables. En effet, ils souffrent en été du gonflement de la rate, parce que l'attrait qu'ils trouvent dans certains aliments leur en fait prendre outre mesure. On prévient ce mal en faisant des auges de tamarisc et de houx, que l'on remplit d'eau, et dans lesquelles ils vont se désaltérer. En effet, le suc de ces bois, qui est médicamenteux, en se mêlant à la boisson, la rend propre à faire disparaître toute tumeur interne. [7,11] De la castration des porcs. <1> Pour la castration de ces animaux, il y a deux saisons à observer : ce sont le printemps et l'automne; il y a aussi deux méthodes d'opérer : la première, que nous avons fait connaître, consiste à pratiquer deux incisions dont chacune donne le moyen d'extraire chaque testicule ; l'autre est plus belle, mais plus dangereuse : cependant je ne la passerai pas sous silence. <2> Après avoir tiré un des testicules retranché avec le fer, on introduit le scalpel par l'ouverture déjà pratiquée, puis on coupe au milieu l'espèce de peau qui sépare ces deux organes de la génération, et avec les doigts recourbés, on extrait l'autre testicule. Ainsi, on ne fera qu'une blessure pour laquelle on emploiera les moyens curatifs que nous avons prescrits précédemment. <3> Je crois encore devoir parler d'une chose qui intéresse la religion du père de famille : il y a quelques truies qui mangent leurs portées. Un tel événement ne doit pas être considéré comme un prodige : car de tous les bestiaux, les truies supportent le moins la faim, à tel point que, lorsqu'elles manquent de nourriture, elles dévorent quelquefois, si on ne les en empêche, non seulement les petits des autres truies, mais même les leurs propres. [7,12] Des chiens. Si je ne me trompe, j'ai traité avec assez d'exactitude du gros et du menu bétail, ainsi que des gardiens, qui, tant dans la ferme qu'au dehors, doivent consacrer tous leurs instants aux soins et à la surveillance que réclament les troupeaux et les quadrupèdes. Ainsi que je l'ai promis dans le livre précédent, je vais maintenant parler des gardiens muets, quoique ce soit à tort que l'on qualifie ainsi le chien : car quel est l'homme qui annonce plus clairement et d'une voix plus forte les bêtes féroces et les voleurs, que ne le fait le chien par son aboiement? quel domestique aime plus san maître? quel compagnon est plus fidèle? quel gardien plus incorruptible? Peut-on trouver une sentinelle plus vigilante? enfin, y a-t-il un défenseur et un vengeur plus courageux? C'est pourquoi un des premiers soins du cultivateur est de se pourvoir d'un chien, et de le bien entretenir, puisqu'on lui confie la garde de la métairie, des produits de la terre, de la famille et des troupeaux. <2> ll y a trois choses à considérer dans son acquisition et dans son entretien. En effet, une espèce de chiens a pour mission d'éventer les embuscades dressées par des hommes, et de garder la métairie et ses dépendances; une autre espèce, celle de repousser les attaques des malfaiteurs et des bêtes féroces, et de veiller dans l'intérieur de la ferme sur les étables, au dehors sur les bestiaux qui paissent ; quant à la troisième espèce, on ne l'achète que pour la chasse, et, loin d'être utile à l'agriculteur, elle le détourne de ses travaux et les lui fait prendre en dégoût. <3> Nous ne parlons donc que du chien de garde et du chien de berger : le chien de chasse n'appartient pas à notre profession. On choisira pour garder la métairie un chien qui ait le corps très ample, l'aboiement fort et sonore, afin qu'il épouvante le malfaiteur d'abord par sa voix et ensuite par son aspect ; ses hurlements même devront inspirer assez de terreur pour mettre souvent en fuite, sans qu'il en soit aperçu, ceux qui tendraient quelqu'embûche. Il faut qu'il soit d'une seule couleur : on préférera la blanche dans le chien de berger, et la noire pour celui de ferme : pour l'un et l'autre emploi, on ne fait aucun cas de ceux qui sont bigarrés. <4> Le berger choisit le blanc, parce que cette couleur diffère de celle des bêtes féroces, et que, pour repousser les loups, soit par les matinées sombres, soit au moment du crépuscule, il est souvent utile que la couleur diffère beaucoup de celle de ces animaux : en effet, si la couleur blanche ne le faisait reconnaître, on serait exposé à diriger sur le chien les coups destinés aux loups. Quant au chien de garde que l'on oppose aux mauvaises entreprises des hommes, il doit être noir, parce qu'il paraîtra plus terrible au voleur s'il fait jour, et que la nuit, il ne sera pas aperçu à cause de l'analogie de sa couleur avec celle des ténèbres, sous la protection desquelles il parviendra avec plus de sûreté à surprendre le malfaiteur en embuscade. On estime plus un chien de taille moyenne qu'un chien long ou court; il doit avoir la tête si forte qu'elle paraisse la principale partie de son corps, les oreilles renversées et pendantes, les yeux noirs ou verdâtres, et d'une lumière éclatante, la poitrine ample et velue, les épaules larges, les jambes épaisses et couvertes d'un poil hérissé, la queue courte, les doigts des pattes et les ongles très développés : ce que les Grecs appellent g-drakes. Telles sont les qualités que l'on prise le plus dans le chien de ferme. <5> Il ne sera pas d'un caractère trop doux ; mais, toutefois, ni farouche ni cruel ; parce que, dans le premier cas, il pourrait aller caresser même les voleurs, et dans le second attaquer jusqu'aux gens même de la maison. Il suffit qu'il soit sévère, et non caressant, qu'il regarde quelquefois d'un oeil irrité ses compagnons de servitude, et toujours avec fureur les étrangers. Surtout il doit se montrer vigilant dans sa garde, sédentaire et non vagabond, et plutôt prudent que téméraire : car le prudent n'annonce rien dont il ne soit sûr, tandis que le téméraire crie sur un vain bruit et d'après des soupçons mal fondés. <6> J'ai cru devoir entrer dans ces détails, afin que, le caractère n'étant pas seulement l'ouvrage de la nature, mais encore celui de l'éducation, on puisse, si on se trouve dans le cas d'en acheter, les choisir tels que nous venons de les dépeindre, ou, si on en élève qui soient nés à la maison, les dresser d'après ces principes. <7> Il importe peu que le chien de garde soit pesant et peu alerte, puisque c'est plutôt de près et sur place, qu'au loin et par de longues courses, qu'il doit servir. En effet, il doit toujours se tenir dans l'enclos et près des bâtiments, surtout ne pas s'écarter, et il lui suffit, pour bien remplir ses fonctions, de flairer avec sagacité les survenants; de les effrayer par ses aboiements, de ne pas souffrir qu'on l'approche de trop près, et de se jeter violemment sur quiconque persiste à avancer : car le premier devoir du chien est de ne pas se laisser surprendre, et le second de se venger des attaques avec vigueur et persévérance. Voilà ce qui concerne le chien qui garde la maison; occupons-nous maintenant du chien de berger. <8> Ce dernier ne sera ni aussi maigre ni aussi vif à la course que celui qu'on lance à la poursuite des daims, des cerfs et des autres animaux de grande vitesse; il ne sera, non plus, ni aussi gras ni aussi lourd que le chien dont l'emploi est de garder la ferme et les greniers; <9> toutefois il doit être robuste et, jusqu'à un certain point, alerte et courageux, puisqu'il est destiné à l'attaque, au combat et aussi à la course : car il doit éventer les embuscades des loups, poursuivre dans sa fuite l'animal ravisseur, lui disputer. et lui enlever sa proie. En conséquence, pour être propre aux services qu'on attend de lui, sa taille devra être plutôt allongée et svelte que courte ou même moyenne, parce que, comme je l'ai dit, il est quelquefois obligé de forcer les bêtes à la course. Les autres qualités requises pour cette sorte de chien sont les mêmes qu'on exige pour le chien de garde. <10> On donne aussi à l'un et à l'autre une nourriture à peu près semblable. En conséquence, si les champs ont assez d'étendue pour comporter plusieurs troupeaux de bestiaux, on nourrira très bien les chiens, sans distinction, avec de la farine d'orge détrempée dans du petit-lait. Si, au contraire, le terrain est couvert d'arbres et sans pâturages, on composera leur nourriture de pain soit de far, soit de froment, que l'on trempera toutefois de bouillon de fèves qu'on aura soin de n'employer que tiède : car, s'il était très chaud, il leur donnerait la rage. <11> On ne permet l'accouplement à la femelle, comme au mâle, que lorsqu'ils ont un an accompli : si on le souffrait plus tôt, il leur énerverait le corps et les forces, et affaiblirait leur courage. La première portée de la chienne doit lui être enlevée, parce que, novice encore, elle allaiterait mal, et que la fatigue occasionnée par ce travail ne permettrait pas à son corps de prendre tout son développement. Les mâles conservent jusqu'à dix ans assez de jeunesse par engendrer; après ce temps, ils ne paraissent plus propres à couvrir les femelles, parce que les jeunes chiens qui sortent de vieux auteurs sont toujours lâches. Les chiennes conçoivent jusqu'à leur neuvième année, et ne propagent plus après dix ans. <12> Dans les six premiers mois, pendant leur accroissement, il ne faut pas laisser courir les jeunes chiens, à moins que ce ne soit pour jouer et folâtrer avec leur mère; passé ce temps, il faut les tenir enchaînés tout le jour, et les lâcher pendant la nuit. On ne doit jamais permettre qu'une nourrice étrangère allaite les chiens dont on veut conserver la bonne espèce dans toute sa pureté : en effet, le lait et le caractère de la mère produisent toujours un meilleur effet sur le caractère et les forces du corps de son petit. <13> Si, après avoir mis bas, une chienne vient à manquer de lait, il conviendra de donner, préférablement à tout autre, du lait de chèvre aux jeunes chiens jusqu'à ce qu'ils aient quatre mois. Il ne faut pas leur donner des noms trop longs, afin qu'ils les entendent plus promptement lorsqu'on les appelle, ni de plus courts que ceux que l'on énonce en deux syllabes : tels que g-skylax (Jeune chien) en grec, Ferox (Fier) en latin; g-lakon (Chien de Laconie) en grec, Celer (Léger à la course) en latin; ou, s'il s'agit d'une femelle, g-spoude, g-alke, g-rome, (Zèle, Vaillance, Force) en grec, Lupa, Cerva, Tigris (Louve, Biche, Tigresse) en latin. <14> Quarante jours après leur naissance, on coupe la queue aux chiens. Il existe un nerf qui s'étend à travers les vertèbres de l'échine jusqu'à la dernière articulation de leur queue : on le saisit avec les dents, et, après l'avoir un peu tiré à soi, on le rompt. Moyennant cette précaution, la queue ne se prolonge pas désagréablement, et, comme l'affirment plusieurs bergers, les chiens sont préservés de la rage, qui, pour eux, est une maladie mortelle. [7,13] Des maladies des chiens et de leur traitement. <1> Pendant presque tout l'été les mouches ulcèrent les oreilles des chiens, au point que souvent ils finissent par les perdre en totalité. Pour prévenir cet accident, il faut les leur frotter avec des amandes amères pilées; si le mal existe déjà, on fera couler avec avantage sur les blessures de la térébenthine bouillie avec du saindoux. Appliqué sur les tiques, cet onguent les fait tomber : car il ne faut pas les arracher avec la main, de peur, comme je l'ai dit plus haut, d'occasionner des ulcères. <2> On débarrasse les chiens des puces, en les frottant avec de l'eau mixtionnée de cumin et d'ellébore blanc écrasés ensemble à poids égaux, ou bien avec du suc de concombre sauvage, ou si on n'a pas ces plantes, avec de vieille lie d'huile qu'on leur verse sur tout le corps. S'ils étaient affectés de gale, broyez parties égales de cytise et de sésame, mêlez-les avec de la térébenthine et frottez-en la partie malade. On regarde ce médicament comme étant propre aussi pour les hommes. Dans le cas où cette maladie serait opiniâtre, on la guérirait au moyen de frictions d'huile de cèdre. Quant aux autres affections, on les traitera comme nous avons prescrit de faire pour les autres animaux. <3> Ici finit ce que nous avions à dire sur le menu bétail; le livre suivant renfermera les préceptes à suivre pour élever dans les métairies les animaux, tels que les volailles, les poissons et les quadrupèdes sauvages.