[8,0] LIVRE VIII. [8,1] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, mai. Je vous avais promis en vous quittant de vous tenir au courant de toutes les nouvelles de Rome; aussi ai-je donné ce soin à une personne si bien à la piste de tout, que je crains pour vous l'excès de sa minutieuse exactitude. Ce n'est pas que je ne connaisse votre goût pour les détails et que je ne sache quel intérêt donne l'absence aux moindres particularités. Je ne veux pas toutefois vous laisser croire que c'est par fierté que je renvoie à un autre le soin de remplir ma promesse. Non, tout accablé d'affaires que je suis, et paresseux pour écrire comme vous me connaissez, j'aurais cependant été charmé d'avoir à travailler pour vous. Mais le volume que je vous envoie est si gros que vous me pardonnerez facilement, je pense. Quels loisirs suffiraient, je ne dis pas pour écrire tant de faits, mais même pour en prendre note? Sénatus-consultes, édits, anecdotes, bruits divers, tout y est. Si l'échantillon n'est pas de votre goût, dites-le-moi ; il serait bien inutile de me mettre en frais pour vous ennuyer. — Tout événement politique, dont l'exposé, les traits caractéristiques, l'Influence sur l'opinion, les conséquences enfin passeraient la portée de ces écrivains de relais, vous sera fidèlement rapporté par moi-même. Mais il n'y a rien en ce moment qui excite l'attention. On avait fait grand bruit à Cumes d'assemblées tenues dans les colonies au delà du Pô. Je n'ai pas trouvé trace de ces bruits à Rome, à mon arrivée. Marcellus n'a pas encore proposé de mutation dans le gouvernement des Gaules ; son intention , que je sais de lui-même, est d'attendre les kalendes de juin, et, conséquemment l'opinion publique ne s'en préoccupe pas plus que quand vous étiez à Rome avec nous. — Avez-vous vu Pompée en route, comme c'était votre dessein? comment l'avez-vous trouvé? quel langage vous a-t-il tenu? Et qu'a-t-il laissé voir du fonds de son âme? car c'est son habitude de parler d'une façon et de penser de l'autre. Mais il n'a pas assez de tête pour ne point se laisser pénétrer. — Quant à César, on dit de lui bien des choses, non pas de belles choses. Mais ce ne sont encore que des chuchoteries. L'un prétend qu'il a perdu sa cavalerie; ce que je ne suis pas éloigné de croire ; l'autre que la septième légion a été battue et qu'il est de sa personne cerné par les Bellovaques (habitants de Beauvais,) et coupé du reste de ses troupes. La vérité est qu'il n'y a rien de positif; et même on n'ose pas donner en public ces nouvelles hasardées ; on se les communique en secret dans un cercle que vous connaissez bien. Domitius n'en parle que le doigt sur la bouche. Les nouvellistes des Rostres, que le ciel confonde ! ont débité que vous aviez péri le 11 des kalendes de juin ; et voilà qu'à la ville, au forum, partout, le bruit court que vous aviez été tué sur la route par Q. Pompée. Moi qui savais Q. Pompée à Rauli ramant sur les galères et mourant de faim, à m'en faire pitié à moi-même, je n'ai pas été fort ému de ce conte, et je vous ai souhaité d'être quitte à ce prix de tous les maux dont vous pourriez être menacé. Votre Plancus est à Ravenne. César lui a fait des largesses considérables , et il n'en est ni plus heureux ni plus riche. Votre traité de la République est en grande faveur partout. [8,2] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, juillet. Oui, vous dis-je, il est absous. J'étais au prononcé, et tous les ordres ont été pour lui, et il y a eu unanimité dans chaque ordre. Qu'y faire? allez-vous me répondre. Par Hercule! je ne me résigne pas si facilement. Non, jamais l'opinion ne fut plus déconcertée, jamais rien ne parut si indigne. Voyez un peu : moi son vieil ami qui étais tout à fait pour lui, moi qui m'apprêtais à le plaindre-, eh bien! je suis resté interdit et comme pris dans un piège. Jugez des autres. Les juges ont été accablés de*huées. On voulait leur faire entendre que c'était trop fort, et ils l'ont bien compris. Au fait, il échappe à la loi Licinia; mais sa position n'en est que pire. Ajoutez que le lendemain de son acquittement, Hortensius s'est montré au théâtre de Curion : sans doute il voulait nous faire partager sa joie ; mais au lieu de cela, « des cris, des trépignements, un bruit de tonnerre, un horrible concert de sifflets, » oui de sifflets, et de sifflets d'autant plus sensibles que, suivant la remarque de chacun, Hortensius était arrivé à l'âge qu'il a, sans en essuyer un seul; mais il en a eu cette fois pour toute une vie, et il doit être aux regrets de son triomphe. — Je n'ai rien à vous mander sur les affaires publiques. Marcellus est bien refroidi : ce n'est pas indolence, c'est calcul selon moi. On ne sait absolument que penser des comices consulaires. J'ai eu en tète deux compétiteurs, l'un noble, l'autre faisant le noble, M. Octavius flls de Cnéius, et C. Hirrus. Tous deux sont sur les rangs avec moi. Je vous en parle, parce que je sais que votre tendre intérêt pour Hirrus vous rend impatient de connaître le résultat des comices. Quoi qu'il en soit, à la première nouvelle que je suis désigné, occupez-vous de mes panthères, je vous prie. Je vous recommande aussi le billet de Sittius. J'ai remis la première partie du journal de Rome à L. Castrinius Pétus. Vous recevrez la seconde par le porteur même de cette lettre. [8,3] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, juillet. Eh bien! ai-je gagné la gageure? quoi que vous en ayez dit en partant, vous ai-je assez écrit? Certes pour peu que mes lettres vous arrivent, j'ai gagné. Je les multiplie d'autant plus que me voilà désœuvré, et que je ne trouve à nul autre délassement plus d'attrait qu'au plaisir de vous écrire. Quand vous étiez à Rome, j'avais une ressource assurée et la plus charmante du monde ; je pouvais passer avec vous les loisirs que me laissaient les affaires : heureux emploi du temps que je ne regrette pas à demi! Si vous saviez à quel point je me trouve seul, depuis votre départ, à quel point Rome elle-même me semble une solitude; et moi qui avec mon indolence, laissais souvent passer des jours entiers sans vous voir, je suis aujourd'hui au supplice de ne pas vous avoir là pour courir à chaque instant chez vous. Il est vrai que, grâce à mon rival, Hirrus, je suis bien plus encore tenté d'aller vous chercher à chaque instant du jour et de la nuit. Vous faites-vous une idée de sa figure, à cet ancien compétiteur de votre augurât, lorsqu'il se désole de ce que mes chances sont meilleures que les siennes, et qu'il n'en veut pourtant rien laisser paraître? Quant au résultat pour lequel vous faites des vœux et que vous êtes impatient d'apprendre, je le désire pour vous, je le jure, encore plus que pour moi, qui aurai dans ce cas à lutter contre un collègue plus riche. D'un autre côté, sa déconvenue, si elle arrive, aurait cela de bon qu'elle nous mettrait en fonds pour rire le reste de notre vie. Quoi ! à ce point? oui ! par Hercule. Savez-vous que M. Octavius ne soulève pas beaucoup moins de haine qu'Hirrus, et vous savez comme partout on déteste Hirrus: — Mais parlons de la mission de l'affranchi Philotime et des biens de Milon. Je me suis arrangé pour que Philotime la remplît honorablement a la satisfaction de Milon absent et de ses amis, et pour que l'exactitude et la loyauté de votre agent fussent dignes de ce qu'on connaît de vous. Maintenant j'ai une grâce à vous demander : si vous avez du loisir, comme je l'espère, montre que je ne vous suis pas indifférent et dédiez-moi quelque ouvrage. Comment là-bas, allez-vous dire, cette pensée vous est-elle venue? Vous n'êtes pas maladroit ! Oui, je voudrais que parmi les nombreux monuments de votre génie, il y en eût un qui pût transmettre à la postérité le souvenir de. notre amitié. Mais encore quelle sorte d'ouvrage ? allez-vous me demander peut-être. Vous qui avez la science universelle, vous choisirez plus vite et mieux que je ne pourrais le faire ; j'insiste seulement pour que l'ouvrage soit en rapport avec ma personne, et d'un genre qui le mette dans les mains de tout le monde. Adieu. [8,4] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, août. J'envie votre sort; que de surprise pour vous chaque jour aux nouvelles que nous vous envoyons! Messalla absous; Messalla condamné ; C. Marcellus nommé consul ; M. Calidius débouté et aussitôt accusé par les deux Gallus; P. Dolabella quindécemvir. D'un autre côté je vous plains, vous avez manqué le plus beau des spectacles, la figure de Lentulus Crus au moment de sa déconvenue. Il fallait voir avec quel air de confiance, quelle assurance imperturbable il était arrivé. Dolabella lui-même s'en était ébranlé, et, par Hercule, si nos chevaliers n'avaient eu le coup d'œil aussi sûr, il l'emportait presque sans conteste. — Vous n'aurez pas été surpris, je pense, de la condamnation de Servius, tribun du peuple désigné. C. Curion se met-sur les rangs pour le remplacer. Ceux qui ne connaissent pas son caractère tremblent. Mais mon pressentiment, mon vœu, et sa propre attitude, me disent qu'il sera pour le sénat et les honnêtes gens. Quant à présent du moins, la bonne volonté lui sort par tous les pores. En voulez-vous savoir l'origine et la cause? C'est le dédain marqué de César, qui pourtant ne recule habituellement devant aucun sacrifice pour se faire des partisans jusque dans les rangs les plus bas. Or il est arrivé quelque chose de charmant. Curion, ordinairement si pauvre tête, a montré dans cette occasion, et il n'est personne qui n'en ait été frappé, toute sorte de prudence et d'adresse à déjouer les ruses des adversaires de sa candidature; j'entends parler des Lélius, des Antoine et autres de cette trempe. — J'ai mis entre cette lettre et l'autre plus d'intervalle que de coutume, parce que la prolongation des comices m'a fort occupé et parce que j'en attendais la fin de jour en jour, pour vous annoncer les résultats. J'ai attendu jusqu'aux kalendes d'août. Des incidents ont retardé les comices prétoriens. Quant aux miens, je ne sais trop ce qui en adviendra. L'opinion s'était prononcée pour Hirrus d'une manière incroyable dans les comices des édiles du peuple. M. Célius Vinicianus s'est perdu en un clin d'œil par la proposition impertinente d'élire un dictateur, proposition que j'avais précédemment couverte de ridicule, et les huées ont accompagné sa retraite. Tout le monde se demandait s'il ne fallait pas en faire autant à Hirrus. Enfin je me flatte que sous peu, vous apprendrez ce que vous désirez pour moi et ce que vous osiez à peine espérer pour ce fameux personnage. — Je désespérais d'avoir quelque nouvelle politique à vous donner. Mais lors de l'assemblée du sénat, qui se tint le 11 des kalendes d'août au temple d'Apollon, pendant la discussion sur le subside de Cn. Pompée, on vint à parler de la légion qu'il a portée au compte de G. César, de son effectif et des motifs de ce déplacement. César est dans les Gaules, a répondu Pompée. Force lui fut cependant d'en promettre le rappel, mais non immédiatement, de peur que par une déférence trop prompte il n'eût l'air de céder aux menaces de ses ennemis. Puis on lui a demandé son opinion touchant le remplacement de César. C'est justement pour cet objet, je veux dire le gouvernement de toutes les provinces, et afin qu'il soit présent à la discussion, qu'on l'a fait venir en toute hâte à Rome. Il allait à Ariminum rejoindre l'armée; il a tout laissé pour se rendre au désir du sénat. La question des gouvernements sera traitée, je le suppose, le jour des ides d'août, et je suis convaincu qu'on la réglera; ou il y aura quelque infamie pour l'empêcher. Car au milieu du débat, Cn. Pompée a laissé échapper ce mot, que chacun devait également obéissance au sénat. Il n'est rien dont je ne sois plus curieux que de savoir comment Paullus le consul désigné se tirera d'affaire, lorsqu'il lui faudra parler le premier. Je vous rappelle encore le billet de Sittius. Persuadez-vous, je vous en prie, que pour moi c'est une chose importante; les panthères aussi. Stimulez les Cibyrates ; commandez-leur une chasse. On annonce la mort du roi d'Alexandrie. La nouvelle paraît certaine. Que dois-je faire? quelle est la situation du royaume? qui en a pris la direction provisoire? Écrivez-moi sur tous ces points. [8,5] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, août. J'ignore si vous avez de l'inquiétude pour la paix de votre province et des pays frontières. Pour moi, je suis loin d'être tranquille. Sans doute, s'il dépendait de nous que la guerre se fit précisément sur l'échelle de vos ressources présentes et seulement dans la mesure qu'il faut pour vous ménager quelque gloire et le triomphe au bout, sans risquer de lutte trop sérieuse et trop acharnée, tout serait pour le mieux. Mais si une fois le Parthe remue, ce ne sera point une petite affaire, et votre armée est à peine capable de défendre un fossé. Or, on n'entre ici dans aucune de ces considérations, et l'on exige tout des mandataires de la république, comme si rien ne lui était refusé de ce qui peut assurer le succès. Ajoutez que probablement on ne pourra pas vous donner un successeur à cause du dissentiment qui existe pour le gouvernement des Gaules. Je crois que vous en avez pris votre parti. Et c'est précisément pour vous mettre en état de le prendre que, pressentant la difficulté qui se présente, je m'empresse de vous avertir. Vous connaissez la filière : la discussion s'engage sur le renouvellement pour les Gaules. Quelqu'un est là avec une opposition toute prête; un autre survient et ne veut pas qu'on s'occupe d'aucune province, tant que le sénat ne sera pas en mesure de statuer simultanément pour toutes. Le jeu se prolonge, et si bien que de chicane en chicane l'affaire peut traîner deux ans et plus. S'il y eût eu du nouveau , je n'eusse pas manqué de vous le mander avec mon exactitude ordinaire, vous exposant les faits et en tirant les conséquences; mais il y a stagnation complète. Marcellus presse toujours l'affaire des provinces. Seulement il n'a pu encore parvenir à avoir un sénat en nombre. Si l'année dernière, pendant le tribunat de Curion, la question eût été abordée, vous comprenez de reste qu'il eût été bien facile alors de s'opposer à toutes les entraves et de passer pardessus les volontés de César, qui sacrifie le bien public à ses intérêts. [8,6] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome. janvier. Vous le savez sans doute, Dolabella accuse Appius qui certainement rencontre moins de défaveur que je ne le supposais. Il est vrai qu'il n'a pas été maladroit. A peine Dolabella at-il paru au tribunal, qu'Appius est entré dans Rome, renonçant ainsi au triomphe. Par là, il a coupé court aux propos et dérouté Dolabella qui aura moins de prise sur lui. Maintenant tout son espoir est en vous. Je sais que vous n'avez pas de haine dans le cœur. II ne tient donc qu'à vous d'en faire votre obligé au degré qu'il vous plaira. Sans vos altercations, vous auriez aujourd'hui vos coudées plus franches. Seulement prenez garde, en vous tenant trop strictement dans la ligne du droit, de rendre suspectes la franchise et la sincérité de votre réconciliation. Il est sans inconvénient au contraire de vous montrer un peu favorable; on ne dira point que l'affection, le sentiment vous ont écarté du devoir. Ah ! que je n'oublie pas de vous le dire. Dans l'intervalle entre la requête et la citation, la femme de Dolabella l'a quitté. — Je me souviens de ce que vous me dites en partant, et vous n'avez pas sans doute oublié ce que je vous écrivis à mon tour. Le moment n'est pas venu d'en dire davantage. Cependant je vous donnerai un conseil. Si la chose ne vous déplaît pas, gardez-vous à présent d'en rien laisser paraître et attendez l'événement du procès. La moindre manifestation pourrait devenir une arme contre vous. On ne manquerait pas de s'en emparer, et de donner à l'instant une publicité aussi contraire aux bienséances qu'à vos intérêts. Lui surtout aurait grand soin de répandre un incident qui lui viendrait si à propos, et dont l'éclat serait si favorable à sa cause; car il est homme à ne savoir se taire même sur ce qui peut lui nuire le plus. — On dit que Pompée s'intéresse vivement à Appius. On croit même qu'il vous enverra l'un ou l'autre de ses fils. Ici, on acquitte tout le monde, et, par Hercule, on ne voit que corruption, ignominie et saleté. Nous avons des consuls d'une activité prodigieuse; ils ne sont pas encore parvenus à faire un seul sénatus-consulte, sauf celui des féries latines. Le tribunal de notre ami Curion n'est pas moins à la glace. Enfin on ne saurait dire à quel point ici tout languit et s'affaisse. Sans mes démêlés avec les boutiquiers et les porteurs d'eau, l'engourdissement gagnerait toute la ville. Que les Parthés donnent donc un coup de fouet de votre côte, ou nous allons tomber tous en léthargie. Tâchons cependant, quoi qu'il en soit, de nous passer des Parthes. Bibulus a perdu quelques malheureuses petites cohortes au mont Amanus. Ce sont les termes de la relation. — Ainsi que je vous le disais tout à l'heure, Curion ne donnait signe de vie. Le voilà qui se réveille. On le travaille sévèrement de tous côtés. Dans son humeur de n'avoir pas obtenu d'intercalation, il s'est retourné avec une légèreté sans pareille du côté du peuple, et s'est mis à parler pour César. Le voilà qui jette en avant une loi sur les chemins dans le genre de la loi agraire de Rullus, et une loi sur les subsistances qui prescrit aux édiles d'établir des mesures. Rien de tout cela n'était encore fait au moment où je vous écrivais la première partie de cette lettre. Soyez bon pour moi, et si vous faites quelque chose pour Appius, que j'en aie près de lui tout l'honneur. Ne vous laissez pas entamer touchant Dolabella; ce que je vous conseillais tout à l'heure, votre considération et l'opinion qu'on a de votre équité, vous le conseillent également. Quelle honte pour vous, si je n'avais point de panthères de la Grèce ! [8,7] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, janvier. Je ne sais s'il vous-tarde de quitter ces contrées lointaines; il me tarde à moi de vous en voir dehors; et d'autant plus que jusqu'ici la fortune vous a souri. Tant que vous êtes là-bas, cette guerre des Parthes me tourmente, et je ne puis rire de bon cœur de l'affaire en question. Je n'ai que le temps de donner ce mot très-court au messager des publicains qui est très-pressé, et qui me prend à l'improviste. Mais je vous ai écrit très au long hier par votre affranchi. — Rien de nouveau d'ailleurs; pourtant voici qui vous intéressera peut-être. Le jeune Cornificius est fiancé à la fille d'Orestilla. Paulla Valéria, sœur de Triarius, a fait divorce sans motif, et le jour même où son mari devait être de retour de sa province. Elle doit se remarier avec D. Brutus. Est-ce que ceci dérange vos calculs? Nous avons de ces surprises-là en foule depuis votre départ. Servius Ocella, par exemple, n'aurait pu se donner pour séducteur à personne , si on ne l'eût pris sur le fait deux fois en trois jours. Avec qui donc? direz-vous, par Hercule, avec qui? je n'en voudrais pas pour mon compte; mais allez le demander à d'autres. Que j'aie un peu le plaisir de voir un général victorieux dire à tout venant : Avec quelle femme a-t-on donc surpris un tel , s'il vous plait? [8,8] DE M. CÉLIUS A CICÉRON. Rome, octobre. J'ai bien des nouvelles à vous apprendre. Mais voici, je pense, qui vous réjouira plus que tout le reste : C. Sempronius Rufus, Rufus votre favori, votre ami de cœur, vient d'être atteint et convaincu de calomnie. Et tout le monde applaudit. Comment cela, me direz-vous. M. Tuccius l'avait accusé. Lui, à son tour, aussitôt après les jeux romains, s'est empressé d'accuser M. Tuccius de violence en vertu de la loi Plotia. Il avait réfléchi que s'il ne se présentait aucune cause extraordinaire, il serait obligé de se défendre cette année. Le résultat ne lui paraissait pas douteux. Ne sachant à qui faire ce cadeau, il a donné la préférence à son accusateur. Le voilà donc qui porte plainte contre Tuccius et pas une âme ne se joint à lui. J'apprends ce qui se passe, et sans être appelé, j'accours au banc de l'accusé. Je me lève, mais ne dis pas un mot de l'affaire. Au contraire, j'entreprends Sempronius de la tête aux pieds; je vais jusqu'à faire intervenir aussi Vestorius et à raconter cette histoire que vous savez, et cette prétention de vous faire valoir par voie de compensation le bon office d'avoir nanti Vestorius. Il y a encore une autre grande lutte dont retentit le forum : M. Servilius, qui continue, comme il avait commencé, de se moquer de tous ses créanciers et de dénaturer ce qui lui reste de fortune, m'avait confié sa défense dans une affaire d'une fort vilaine nature; et le préteur Latérensis, déférant à mon opposition, avait refusé à Pausanias l'enquête pour cause de détournement. Là-dessus Pilius, l'ami de notre cher Atticus, intente une accusation formelle en concussion. Aussitôt grand bruit par toute la ville. De tous côtés, on commençait à parler sérieusement de sa condamnation. Le jeune Appius, entraîné par le mouvement général, est venu déclarer que Servilius avait reçu de l'argent de son père, et qu'il ne lui avait pas été compté moins de quatre vingt-un mille sesterces pour le prix d'une honteuse prévarication. Imaginez-vous une telle démence! il fallait l'entendre à l'audience, dénoncer ainsi tout haut sa propre stupidité et la turpitude de son père! On renvoie l'affaire précisément aux mêmes juges qui avaient évalué le fonds : les voix se trouvent partagées : Latérensis , qui ne conçoit pas un mot des lois, proclame ce que chacun des ordres a jugé, et, à la fin, prononce la formule en usage : je n'ai rien à rédiger. Après s'être levé de son siège, lorsqu'on croyait Servilius absous, il se met à lire l'article 101 de la loi ainsi conçue : Ce que la majorité a décidé constitue le droit et le jugement : alors au lieu d'inscrire une absolution, il écrit tout au long l'avis de chacun des ordres. Appius forme aussitôt une nouvelle instance, mais il y a eu arrangement avec L. Lollius, et la sentence doit être inscrite. Ainsi Servilius qui n'est ni absous ni condamné se présentera, déjà blessé, pour répondre à la plainte en concussion de Pilius. Point de débat pour désigner l'accusateur. Appius avait déjà prêté serment, mais il s'est désisté devant les prétentions de Pilius. D'ailleurs lui-même a répondu à pareille accusation que lui intentent les Servilius, et de plus à la plainte pour fait de violence d'un certain Tettius autrefois son affidé. Les deux font la paire. — J'arrive aux affaires publiques : il n'y a rien absolument de nouveau, parce qu'on attendait des nouvelles de la Gaule. Mais enfin, après plusieurs remises successives, la matière étant mûrement examinée, et la certitude bien acquise que Pompée au fond voulait le rappel de César pour les kalendes de mars, on a rendu le sénatus-consulte que je vous envoie avec les noms de ses auteurs. — Décret du sénat : « La veille des kalendes d'octobre, dans le temple d'Apollon, furent présents L. Domitius Ahénobarbus, fils de Cnéius; Q. Cécilius, Fab. Métellus Pius Scipion, fils de Quintus; L. Villius Annalis, fils deLucius, de la tribu Pomptina; G Septimius, fils de Titus, de la tribu Quirina; Caius Luccéius Hirrus, fils de Gains, de la tribu Pupia ; G. Scribonius Curion, fils de Gaius, de la tribu Popilia; L. Atteins Capiton, fils de Lucius, de la tribu Aniensis ; M. Oppius, fils de Marcus, de la tribu Térentina. Le consul M. Marcellus ayant proposé l'affaire des gouvernements consulaires, il a été décidé ce qui suit « : Les consuIs L. Paulus et M. Marcellus, après leur entrée en charge, à l'époque des kalendes de mars, qui se trouvent comprises dans leur exercice, feront leur rapport au sénat sur les provinces consulaires ; ils ne feront aucun autre rapport avant celui-là ni conjointement avec celui-là ; ils convoqueront le sénat pendant les jours de comices, rédigeront un sénatus-consulte; lorsque le rapport sera fait au sénat par les consuls, il sera permis à six des trois cents juges de se rendre à l'assemblée; s'il est nécessaire de faire une communication au peuple romain ou au troisième ordre, les consuls actuels, Servius Sulpicius et M. Marcellus, les préteurs et les tribuns du peuple, ou ceux d'entre eux qu'on jugera à propos de désigner, seront députés à cet effet auprès du peuple romain, ou troisième ordre. Faute de quoi le rapport sera fait par leurs successeurs. » La veille des kalendes d'octobre, dans le temple d'Apollon, furent présents L. Domitius Ahénobarbus, fils de Cnéius; Q. Cécilius Métellus Pius Scipion, fils de Quintus; L Villius Annalis, fils de Lucius, de la tribu Pomptina; G. Septimius, fils de Titus, de la tribu Quirina; G. Scribonius Curion, fils de Gaius, de la tribu Aniensis; M. Oppius, fils de Marcus, de la tribu Térentina : Le consul M. Marcellus, ayant proposé l'affaire des gouvernements , il a été décidé ce qui suit : « Le sénat est d'avis qu'aucun de ceux qui ont droit d'opposition ou d'ajournement ne doit mettre obstacle à ce qu'il soit fait un rapport au sénat, et à ce que le sénatus-consulte soit rendu ; si pourtant quelqu'un fait obstacle ou empêchement, l'avis du sénat est qu'il aura agi en ennemi de la république, et s'il intervient une opposition au sénatus-consulte, le bon plaisir du sénat est que cet acte reçoive la forme d'un acte de son plein droit et qu'il en soit référé tout ensemble au sénat et au peuple romain. » Sur ce, opposition de C. Célius, de L. Vinicius, de P. Cornélius , C. Vibius Pansa, tribuns du peuple. — Item, « le bon plaisir du sénat est qu'il lui soit fait un rapport touchant ceux des soldats de l'armée de César qui ont fait leur temps, ou ont des causes de dispense, afin qu'il soit tenu compte de leurs droits à des congés ou à des remises sur la durée du service. Le sénat entend qu'on recoure en cas d'opposition à la forme d'acte de plein droit, et qu'il en soit référé au sénat et au peuple romain». Ici nouvelle opposition de C. Célius et de Pansa, tribuns du peuple. « Item, le bon plaisir du sénat est que, pour la province de Cilicie et les huit autres provinces prétoriennes, les gouverneurs soient choisis au sort entre les préteurs qui n'ont point encore eu de gouvernement; que s'il ne s'en trouve point assez entre les derniers préteurs, on remonte aux préteurs précédents qui n'ont pas eu de gouvernement, et que le sort décide du choix des provinces entre eux; que si ceux-là ne suffisent point encore, on mette dans l'urne les noms de ceux qui les ont précédés immédiatement et qui n'auraient pas eu de gouvernement jusqu'à ce que le nombre suffisant soit rempli ; que si quelqu'un s'oppose à ce décret, on en fasse un acte de plein droit. » II y a eu encore à cet article opposition de C. Célius et de C. Pansa, tribuns du peuple. D'un autre côté, on a remarqué quelques paroles de Cn. Pompée qui ont donné beaucoup de confiance à certaines personnes, savoir qu'on ne pourrait sans injustice s'occuper du gouvernement de César, avant les kalendes de mars, et qu'à cette époque son opinion à lui serait faite. Mais s'il survient des oppositions? a-t-on dit. Il a répondu qu'il n' y avait pas, selon lui, de différence entre un refus de César d'obéir au décret du sénat, et un empêchement au décret lui-même de la part de quelque affldé de César. Mais enfin, lui a-t-on dit encore, s'il prétend être consul et conserver son armée? Il s'est borné à répondre, et avec quel sang-froid ! Mais si mon fils lève le bâton sur moi? On a conclu de tout ceci qu'il y avait sous jeu quelque négociation entre César et Pompée. Je suppose que César acceptera l'une de ces deux conditions; garder sa province, sans qu'il soit question de lui cette année ; ou revenir a Rome, s'il peut se faire désigner consul. Curion prépare toutes ses forces pour l'attaquer. Réussira-t-il ? je l'ignore. Mais dût-il voir avorter ses efforts, un homme qui pense aussi bien se trouve toujours sur ses deux pieds. Curion a pour moi les meilleurs procédés; seulement je me trouve comme engagé par le cadeau qu'il m'a fait. Très certainement, sans les panthères qui lui étaient venues d'Afrique pour les jeux et qu'il m'a données, j'aurais pu surseoir aux miens. Enfin puisqu'il n'y a plus à reculer, je vous renouvelle mes instances déjà si souvent répétées, et je vous supplie de m'envoyer quelques bêtes de votre province. Je vous recommande aussi le billet de Sittius. Je fais partir pour la Cilicie mon affranchi Philon et le Grec Diogène, tous deux porteurs de mes ordres et de cette lettre. Veuillez accorder votre intérêt à l'objet de leur mission et leur en témoigner à eux-mêmes. Vous verrez par la lettre qu'ils vous remettront, a quel point le succès de leur voyage me touche. [8,9] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, 2 septembre. Traiter ainsi ce pauvre Hirrus? di tes-vous. Oui certes, et si vous saviez avec quelle facilité de ma part, avec quelle soumission de la sienne, vous seriez tout honteux qu'un tel homme ait jamais pu entrer en lice avec vous. Depuis le refus qu'il a essuyé, il est à mourir de rire. Il joue le bon citoyen, déclame contre César, se montre impatient de tout délai, et traite assez mal Curion. Il s'est opéré en lui une transformation. Vous savez qu'on ne l'avait jamais vu au forum, et qu'il est fort peu versé dans les affaires judiciaires. Eh bien ! il plaide aujourd'hui des causes de liberté; rarement après midi, il est vrai. — Vous savez ce que je vous avais mandé des gouvernements de province qui étaient à l'ordre du jour pour les ides d'août. Marcellus consul désigné a tout arrêté de son autorité privée. L'affaire est ajournée aux kalendes, faute par le sénat d'avoir pu se réunir en nombre. Je vous écris aujourd'hui 4 des nones de septembre, sans qu'on soit beaucoup plus avancé. J'entrevois, que tout en restera là jusqu'à l'année prochaine; et autant que ma divination peut s'étendre, je prévois que vous serez obligé de vous désigner vous-même un successeur provisoire. On ne nomme à aucun gouvernement, parce qu'il y a opposition pour les Gaules, et que l'on ne voudrait pas faire une exception pour celui-là. J'en parle avec certitude et je vous en écris pour vous préparer à tout. — Je vous ai parlé de panthères dans presque toutes mes lettres. Il serait honteux pour moi, quand Patiscus en a envoyé dix à Curion, de n'en pas recevoir un plus grand nombre de vous qui en pouvez faire prendre en mille endroits. Curion m'a donné les dix de Patiscus et dix autres qu'il a reçues d'Afrique. Il ne borne pas ses générosités, vous le voyez, à donner des fonds de terre. Si vous n'avez pas oublié mes prières, si vous mettez en mouvement les Cibyrates, et si vous envoyez quelques ordres en Pamphylie, où l'on dit qu'on en prend beaucoup, vous en aurez tant que vous voudrez. Je suis d'autant plus préoccupé à ce sujet qu'il me faudra, je le suppose, faire tous les préparatifs sans le concours de mon collègue. Faites de cela, je vous prie, votre affaire personnelle, car je sais que vous êtes comme moi assez disposé à négliger les détails. Mais ici tout consiste pour vous à donner ou faire donner des ordres. Les bêtes une fois prises, les gens que j'ai envoyés pour le billet de Sittius se chargeront de les nourrir et de les amener. Je me prépare d'ailleurs à envoyer du renfort pour peu que vos lettres me donnent bon espoir. — Je vous recommande M. Féridius, chevalier romain, fils de mon ami, excellent et brave jeune homme qui va là-bas pour ses affaires. Soyez assez bon pour le regarder comme un des vôtres. Il voudrait obtenir l'immunité des terres que les villes afferment. C'est une grâce qu'il vous est facile et qu'il est légitime d'accorder. Vous obligerez des hommes honorables qui en seront très reconnaissants. N'allez pas croire au moins que Favonius n'ait eu contre lui que des misérables. Pas un honnête homme n'a voté pour lui. Votre ami Pompée dit publiquement que César ne peut pas conserver sa province avec une armée et devenir consul; mais il déclare que le moment n'est pas venu de faire un sénatus-consulte. Scipion, au contraire, est d'avis de réserver la question pour les Kalendes de mars et de s'en occuper ce jour-là exclusivement; c'est ce qui afflige beaucoup Balbus Cornélius, et je sais qu'il s'en est plaint à Scipion. Canidius a fait preuve de beaucoup de talent tant qu'il a eu à se défendre ; mais quand il a voulu attaquer, il a été faible. [8,10] DE CÉLIUS A CICERON. Rome, 18 Novembre. Vraiment les lettres de G. Cassius et de Déjotarus nous ont mis aux champs. Cassius écrit que les Parthes sont en deçà de l'Euphrate ; Déjotarus, qu'ils se dirigent par la Commagène vers notre province. Toute ma crainte à moi qui sais l'état de vos forces, c'est que vous ne vous trouviez compromis dans cette bagarre. Si vos troupes étaient en mesure, je pourrais craindre pour votre vie. Mais leur petit nombre vous forcera de vous retirer, je le prévois; vous ne pourrez combattre. Et cette nécessité comment sera-t-elle jugée ici? Est-il bien sûr qu'on la reconnaisse? Tout cela me tourmente; et je ne serai tranquille que quand je vous saurai un pied en Italie.—A cette nouvelle du passage de l'Euphrate, chacun s'est mis à donner son avis : celui-ci veut qu'on envoie Pompée; celui-là que Pompée ne quitte point Rome dans de telles circonstances. L'un veut César et son armée; l'autre les consuls en personne. On ne prend pas le premier nom venu, je vous jure, pour le mettre au sénatus-consulte. Les consuls redoutent un décret qui les oblige à revêtir le paludamentum et à partir, ou qui leur fasse l'affront de confier cette mission à d'autres, et ils s'abstiennent de toute convocation du sénat, au risque même de passer pour peu soucieux des affaires publiques. Mais que ce soit chez eux incurie ou maladresse, ou peur, comme je viens de le dire, ils se retranchent dans leur désintéressement; ils ne veulent pas de province. On n'a reçu aucune lettre de vous, et sans celles de Déjotarus on se serait figuré que la guerre n'était qu'une invention de Cassius, qui, pour mettre ses rapines sur le compte de l'ennemi, aurait fait entrer lui-même quelques Arabes dans la province, et en aurait fait des Parthes dans ses dépêches au sénat. Je vous conseille donc, quelle que soit la situation des affaires, d'en faire un rapport exact et d'y mettre du soin, si vous ne voulez pas qu'on vous accuse ou de complaisance coupable ou d'une réticence qui viendrait mal à propos. — Nous voici à la fin de l'année. C'est aujourd'hui le 14 des kalendes de décembre. Il n'y aura rien de fait, j'en suis convaincu, avant les kalendes de janvier. Vous connaissez Marcellus, comme il est lent et ne finit rien. Il en est de même de Servius, l'éternel temporiseur : que dites-vous de ces gens, dont les uns pourraient et ne veulent pas, et dont les autres veulent si mollement qu'on dirait qu'ils ne veulent pas non plus? Quant aux nouveaux magistrats , si nous avons la guerre avec les Parthes, pendant les premiers mois ils ne seront occupés d'autre chose. Si elle n'a pas lieu, ou s'il suffit pour la soutenir de vous envoyer un faible renfort à vous ou à vos successeurs, je vois d'ici Curion se mettre en quatre pour ôter à César et donner à Pompée si peu que ce soit. Paullus s'exprime en termes peu bienveillants sur la province, mais il trouvera dans notre ami Furnius à qui parler. Je suis au bout de mes conjectures. Vous pouvez compter sur celles-là. Mais dans l'avenir il y a peut-être plus que je n'ai prévu. Je n' ignore pas que le temps amène bien des choses ; qu'il s'en prépare même sous main. Mais voilà le cercle où tout roulera, quoi qu'il arrive. J'ajoute, en ce qui concerne Curion, qu'il a parlé des terres de Campanie. César, dit-on, s'y intéresse assez peu, mais Pompée ne voudrait à aucun prix que César les trouvât encore libres à son arrivée. Quant à votre retour, mes efforts ne peuvent aller jusqu'à vous garantir un successeur. Mais je suis sûr d'empêcher qu'on vous proroge. C'est à-vous de considérer si, les circonstances l'exigeant, le sénat l'ordonnant, et m'ôtant ainsi tout moyen de refuser avec honneur, vous persisterez, vous, â ne pas rester. Mon devoir à moi est de me souvenir seulement des instances que vous me fîtes au moment du départ pour conjurer ce résultat. [8,11] CÉLIUS A CICÉRON. Rome, juin. L'affaire de vos supplications n'a pas été longue, mais elle m'a donné bien de la tablature. Il y avait un point difficile à saisir. Avec les meilleures dispositions pour vous, Curion, voyant que c'était à qui tâcherait d'entraver les comices, avait déclaré qu'il s'opposerait absolument aux supplications, ne voulant pas qu'on pût l'accuser de négliger l'avantage que lui avait donné l'extravagance de Paullus, ni se faire accuser de prévarication dans la cause publique. Il a fallu composer, et les consuls se sont engagés à n'en décerner à personne d'autre cette année. Vous leur devez des remerciements à tous deux, à Paullus surtout. Marcellus a dit vaguement, qu'il n'espérait pas d'autres supplications cette année; Paullus positivement, qu'il n'y en aurait pas. — On m'avait averti qu'Hirrus voulait faire un long discours. Je l'ai entrepris ; et non seulement il n'a pas péroré, mais lorsqu'il s'est agi de victimes, au lieu de demander, comme il le pouvait, l'appel nominal, ce qui arrêtait tout, il est resté muet. Seulement il s'est rangé du côté de Caton qui, après s'être exprimé sur vous en termes fort honorables, n'a point opiné pour les supplications. Favonius a fait le troisième. Il faut de votre part un mot de remerciement à chacun selon son caractère et ses engagements : aux trois derniers pour leur bienveillance passive, pour n'avoir point combattu et par conséquent point empêché le vote, comme il dépendait d'eux de le faire; et, à Curion, pour avoir bien voulu s'écarter en votre faveur de la voie dans laquelle il était entré. Quant à Furnius et à Lentulus, ils ont fait leur devoir et se sont donné les mêmes peines, les mêmes mouvements que moi, travaillant comme pour leur propre compte. Je puis aussi rendre justice à Balbus Cornélius, à son zèle, à son adresse; il a fortement parlé à Curion , lui affirmant que César prendrait son hostilité dans cette circonstance comme une injure personnelle , et insinuant même quelques doutes sur sa bonne foi. Les Domitius et les Scipions qui auraient bien voulu faire tout manquer, ont toutefois voté le décret, comptant sur l'opposition de Curion qui, au premier mot qu'ils lui en ont dit, leur a répondu fort spirituellement qu'il trouvait assez naturel de renoncer à son opposition, quand il voyait le décret voté par des gens qui n'en voulaient pas. — A l'égard des affaires publiques, il n'y a de chaleur en ce moment que sur la question des provinces. Pompée paraît d'accord avec le sénat pour exiger absolument le retour de César aux ides de novembre. Curion est décidé à tout plutôt que de le souffrir. Il fait bon marché du reste. Nos gens, que vous connaissez bien, n'osent s'engager dans une lutte à outrance. Voici l'état de la scène. Pompée, en homme qui n'attaque point César, mais qui entend ne lui concéder que ce qui est juste, accuse Curion d'être un agent de discorde. Au fond, il ne veut pas du tout, et redoute singulièrement que César ne soit désigné consul avant d'avoir remis son armée et sa province. Il est assez mal mené par Curion qui lui jette continuellement au nez son second consulat. Je vous le prédis : si l'on ne garde des ménagements avec Curion, César y gagnera un défenseur. Avec l'effroi qu'ils laissent voir de l'opposition d'un tribun, ils feront que César va rester indéfiniment le maître dans les Gaules. — Vous-trouverez dans la relation que je vous envoie les opinions individuelles comme elles ont été prononcées. Prenez de ce recueil ce qui vous conviendra. Il y a beaucoup à passer; par exemple, les cabales de théâtre, les funérailles et autres fatras. Le bon toutefois y domine. J'aime mieux pécher en ce sens, et vous faire lire bien des détails dont vous ne vous souciez guère, que de risquer d'omettre un seul fait important. Je vous remercie d'avoir pris à cœur l'affaire de Sittius. Mais si la bonne foi de ces gens-là vous est suspecte, vous avez pleins pouvoirs. Agissez en conséquence. [8,12] CÉLIUS A CICÉRON. Rome, septembre. Il m'en coûte de vous révéler de pareilles turpitudes. Mais il faut que je vous signale les procédés de cet ingrat d'Appius, qui, en qualité de mon obligé, n'a rien trouvé de mieux que de me prendre en haine. Ne pouvant, l'avare qu'il est, se résoudre à s'acquitter envers moi, le voilà qui me fait sourdement la guerre. Pas si sourdement toutefois qu'on ne m'en donne avis de tous côtés, et que je n'aie bien su m'apercevoir moi-même de ses menées. J'ai eu vent de tentatives auprès de son collègue, de propositions faites directement à certaines personnes , de consultations entre lui et L. Domitius, aujourd'hui mon ennemi mortel ; le tout pour se faire un petit mérite aux yeux de Pompée. Le prendre lui-même à partie, et le conjurer de ne pas me faire tort, lui qui, dans mon opinion, me doit la vie, c'est ce que je n'ai pu gagner sur moi. Qu'ai-je fait? je me suis adressé à quelques amis, parfaitement au fait de tous les services que je lui ai rendus. Mais j'ai cru au-dessous de moi d'avoir même une explication avec lui ; j'ai mieux aimé contracter une obligation avec son collègue, tout mal disposé, tout irrité qu'il soit de mes liaisons avec vous, que de me voir face à face avec cette figure de singe. A peine Appius en fut-il instruit qu'il devint blanc de colère, et qu'il se mit à crier partout que je lui cherchais querelle, afin d'avoir un prétexte de le persécuter pour un peu d'argent qu'il me doit. Depuis lors il ne cesse de pousser Pola Servius à se porter mon accusateur et continuellement il se concerte avec Domitius.— Cependant ils n'avançaient guère, ne trouvant dans nos lois rien qui pût se prêter à leurs vues, quand tout à coup ils se sont avisés de la plus inapplicable des dispositions. Voilà donc que le dernier jour de mes jeux du cirque, ils ont l'effronterie de me faire appeler en justice en vertu de la loi Scantinia. A peine Pola eut-il articulé sa plainte que j'eus l'idée de former à l'instant même une contre-plainte contre le censeur Appius. Jamais je ne fus mieux inspiré. Tout le peuple et même les gens de bien d'applaudir hautement, si bien que le bruit a mortifié Appius plus que l'accusation elle-même. De plus je le sommai de s'expliquer sur une chapelle secrète qu'il a dans sa maison. — Je suis inquiet de l'esclave qui vous a porté ma lettre. Voilà quarante jours qu'il m'a remis la vôtre et qu'on ne l'a revu. Je ne sais que vous écrire. Vous savez que l'approche du jour fatal fait trembler Domitius. Je vous attends avec impatience, et j'ai un besoin extrême de vous voir. J'espère que vous prendrez part à mes peines, moi qui suis si sensible aux vôtres, et si ardent à vous venger. [8,13] DE CÉLIUS A CICÉRON. Rome, juin Recevez mes compliments sur l'alliance de votre famille avec cet homme excellent, car c'est l'opinion que j'ai conçue de lui. S'il s'est fait du tort par quelques écarts, l'âge a passé là-dessus; et ce qui pourrait lui en rester encore, va disparaître, j'en suis certain, dans ses nouveaux rapports avec vous, devant l'autorité de votre raison, et son respect pour Tullia. L'entêtement n'est pas son défaut, et, ce qui vaut encore mieux, il a le sentiment du bien. Enfin, et c'est tout pour moi, je l'ai pris en affection. — Vous auriez bien voulu voir l'opposition de Curion triompher dans l'affaire des provinces ; mais lorsqu'on eut fait le rapport, suivant le décret du sénat, et que Marcellus le premier eut donné son avis, qui était de s'entendre avec les tribuns du peuple, la majorité du sénat s'est tout à coup prononcée en sens contraire. Notre grand Pompée est d'un affadissement à ne plus trouver rien qui le réveille. Mais aujourd'hui les opinions ont tourné au point qu'on trouve bon de compter comme candidat tel qui ne veut se départir d'armée ni de province. Comment Pompée, quand il en sera instruit, prendra-t-il la chose? Et que devient la république, s'il ne la prend à cœur? à vous le souci, anciens et riches. Hortensius, au moment où je vous écris , rend le dernier soupir. [8,14] CÉLIUS A CICÉRON. Rome, septembre. Eussiez-vous fait Arsace prisonnier, pris d'assaut Séleucie, vous troqueriez toute votre gloire contre le spectacle qu'ici l'on vient de nous donner. Il y avait de quoi vous guérir les yeux radicalement, je vous le jure, de voir la figure de Domitius après le refus qu'il a essuyé. Les comices étaient nombreux et les partis bien tranchés. Très-peu de votes ont été donnés aux affections particulières. Aussi Domitius m'en veut-il mortellement. Il me déteste plus qu'aucun de ses amis. C'est que dans son opinion, on lui fait une grande injustice; et que j'en suis la cause. Il est outré de voir comme on se réjouit de ce qui le désole, et furieux de ce que nul n'a montré pour Antoine une préférence plus décidée que moi. Aussi son fils Cn. Domitius vient-il de se porter en personne accusateur du jeune Cn. Saturninus, dont la conduite, on ne peut le nier, a été jusqu'ici assez répréhensible. L'opinion publique est fort préoccupée de ce procès. L'acquittement de S. Péducéus donne bon espoir.— Quant aux affaires en général, je vous ai souvent écrit que je ne voyais pas une année de paix assurée. Plus nous approchons de la lutte inévitable, plus on est frappé de la grandeur du péril. Voici le terrain où vont se heurter les deux puissants du jour. Cn Pompée est décidé à ne pas souffrir que C. César soit consul avant d'avoir remis son armée et ses provinces. Et César se persuade qu'il n'y a pour lui de salut qu'en gardant son armée. Il y consent toutefois, si la condition de quitter le commandement devient réciproque. Ainsi ces grandes tendresses et cette alliance tant redoutée aboutiront, non pas à une animosité occulte, mais à une guerre ouverte : pour ce qui me touche, je ne sais guère quel parti prendre dans cette conjoncture. Et je ne doute pas que cette perplexité ne nous soit commune. Dans l'un des partis, j'ai des obligations de reconnaissance et des amitiés. Dans l'autre, c'est la cause et non les hommes que je hais. Mes principes que vous partagez sans doute sont ceux-ci : dans les dissensions intérieures, tant que les choses se passent entre citoyens sans armes, préférer le plus honnête parti. Mais quand la guerre éclate et que deux camps sont en présence : se ranger autour du plus fort ; chercher la raison où se trouve la sûreté. Or que vois-je ici? D'un côté, Pompée avec le sénat et la magistrature ; de l'autre, César avec tout ce qui a quelque chose à craindre ou à convoiter. Nulle comparaison possible, quant aux armées. Fassent les Dieux qu'on nous laisse le temps de peser les forces respectives et de faire notre choix !— J'allais oublier le plus important; Savez-vous qu'Appius fait des prodiges comme censeur? qu'il est sans pitié pour les statues, tableaux, les bornes des champs et les dettes. Il attribue à la censure la vertu détersive du nitre. Il se trompe, je crois. Il veut enlever des taches, il découvre le nu, et se laisse voir jusqu'à l'âme. De par tous les Dieux, de par tous les hommes, allons, vite, venez rire avec nous. Drusus informant au nom de la loi Scantinia; Appius proscrivant et tableaux et statues, c'est à accourir de toutes ses forces. On approuve Curion de n'avoir pas persisté dans son opposition aux subsides de Pompée. En résumé, voulez-vous savoir ce que j'augure : à moins que l'un des deux ne s'en aille faire la guerre aux Parthes, un grand conflit va éclater; et c'est la force, c'est le fer qui en décidera. Chacun d'eux a son parti pris, et s'est mis en mesure. Au danger près, quel plaisir pour vous dans le spectacle que la fortune s'apprête à vous donner! [8,15] DE CÉLIUS A CICÉRON. Février. Vit-on jamais Stupidité pareille à celle de votre Cn. Pompée? causer un tel ébranlement, pour ne faire que des sottises? Mais César? quelle puissance d'action! quelle modération dans la victoire ! Avez-vous jamais lu ou entendu rien d'égal? qu'en dites-vous? Et nos soldats, qui, dans ces régions inaccessibles, par un hiver affreux, vous mettent une campagne à fin aussi lestement qu'on fait une promenade? Sont-ce là des mangeurs de pommes rondes, à votre avis? Eh bien ! me direz- vous, à vous toute la gloire ! Mais si vous saviez ce qui m'inquiète au fond, comme vous vous moqueriez de moi, pour toute cette gloire dont il ne me revient rien ! Je ne puis m'expliquer avec vous que de vive voix ; ce qui ne tardera pas, je l'espère ; car son intention est de m'appeler à Rome, aussitôt qu'il aura chassé Pompée de l'Italie. Je pense qu'à l'heure qu'il est, c'est chose faite, à moins que Pompée n'ait mieux aimé se faire assiéger dans Brindes. — Que je meure si ce n'est uniquement pour vous voir et causer à fond avec vous, que je voudrais déjà être là-bas ! J'en ai tant a vous dire! J'ai peur, le moment venu, d'en oublier la moitié, comme de coutume. Pour quel crime suis-je donc condamné à cheminer si fort, contre mon gré, du côté des Alpes? Les habitants d'Intimélium se sont insurgés sans trop savoir pourquoi, voilà tout. Démétrius, qui commande la garnison, a un esclave né dans sa maison, et qui s'appelle Belliénus. Celui-ci, gagné par la faction de Pompée, a trouvé le moyen de surprendre un certain Domitius, personnage noble, hôte de César, et l'a fait étrangler. Là-dessus toute la ville a couru aux armes. Et il me faut y courir, moi, par les neiges, avec quatre cohortes. Toujours quelque esclandre de ces Domitius, allez-vous dire. Vraiment, je n'aurais pas été fâché de voir le fils de Vénus (César) se montrer aussi expéditif avec votre Domitius que l'a été ce fils d'une esclave avec le mien. Salut à votre fils Cicéron. [8,16] CÉLIUS A CICÉRON. Cumes, avril. Votre lettre m'a mis la mort dans l'âme. Pas un mot qui ne soit en noir, rien pourtant de précis. Mais il n'est que trop facile de pénétrer votre pensée, et je me hâte de vous écrire. Au nom de tout ce qui vous est cher, au nom de vos enfants, n'allez pas, je vous en conjure, mon cher Cicéron, vous perdre ou vous compromettre par quelque coup de tête. Je ne vous ai rien dit à l'aventure, je ne vous ai rien conseillé à la légère, j'en atteste les Dieux et les hommes, j'en jure par notre amitié : j'avais vu César, et je ne vous ai écrit qu'après avoir entendu de sa propre bouche ses intentions envers le parti vaincu. Mais si vous croyez que ses dispositions seront toujours les mêmes et qu'il offrira toujours les mêmes conditions, vous vous trompez. Déjà on voit percer quelque chose de sinistre dans ses projets et même dans son langage. Il est parti très mécontent du sénat : ces oppositions l'ont fort irrité. Si vous avez quelque amitié pour vous, pour votre fils, pour votre famille, si vous ne voulez pas briser vos dernières espérances, si ma voix, si celle de votre excellent gendre ont sur vous quelque pouvoir, si vous ne voulez pas jeter le trouble dans nos existences, de grâce, ne nous mettez pas dans l'alternative de haïr et de répudier un parti dont le triomphe doit nous sauver, ou de former des vœux sacrilèges contre votre propre vie. Faites une réflexion : vous avez tardé trop à vous prononcer pour n'être pas suspect. Braver, lorsqu'il est vainqueur, l'homme que vous ménagiez quand la fortune était incertaine : vous unir dans leur fuite à ceux que vous n'avez pas soutenus dans leur résistance, serait agir en insensé; prenez garde, en craignant de ne pas être assez du parti des bons, d'aller vous tromper sur ce qui est le bon parti. Que si je ne puis faire passer dans votre esprit ma conviction tout entière, attendez du moins les événements d'Espagne. L'Espagne est à nous, c'est moi qui vous le dis, aussitôt que César y aura mis le pied; et s'ils perdent l'Espagne, que leur reste-t-il, je vous prie? Je ne vois en vérité pas ce qui peut vous décider pour une cause désespérée. César est informé de ce que vous m'avez fait entendre par votre silence. On lui a tout rapporté, et c'est la première chose qu'il m'a dite, l'autre jour en me voyant. J'ai feint de n’en rien savoir, mais je l’ai engagé à vous écrire et a employer près de vous ses moyens de persuasion. Il m'emmène en Espagne, sans quoi, je n'aurais rien de plus pressé, une fois à Rome, que de courir après vous, quelque part que vous soyez, de débattre avec vous la question et de vous retenir à toute force. Regardez-y à deux fois, mon cher Cicéron; n'allez pas vous perdre, vous et les vôtres, ni vous jeter de gaieté de cœur dans une voie sans issue. Enfin, si vous ne voulez pas absolument fermer l'oreille aux grands qui vous appellent, et si l'insolence et les bravades de quelques parvenus vous font peur, choisissez un terrain neutre, et allez vous y fixer, en attendant que les événements s'accomplissent. C'est un parti sage et dont César ne sera pas blessé. [8,17] CÉLIUS A CICÉRON. Rome, mars. Que n'ai-je été à Formies plutôt qu'en Espagne, quand vous êtes allé joindre Pompée ! Et plût au ciel du moins que Curion eût été de ce parti-là comme Appius Claudius; Curion, dont l'amitié m'a engagé dans cette cause détestable! Oui, je le sens, l'affection d'un côté et le ressentiment de l'autre ont concouru à me faire perdre la tête. Mais vous aussi, quand pour vous voir je vins de nuit a Ariminum, et que je me chargeai de vos paroles de paix pour César, votre rôle de bon citoyen, dites-moi, ne vous a-t-il pas fait oublier celui d'ami? Vous n'avez pas eu même un conseil pour moi. Ce n'est pas que je doute de notre cause ; mais il vaut mieux mourir que d'avoir affaire à ces gens-la. Sans la crainte de vos représailles, il y a longtemps que nous ne serions plus ici. A Rome, sauf quelques usuriers, tout est pompéien, les individus comme les ordres. J'ai mis dans vos intérêts jusqu'à la canaille qui nous était si dévouée et même ce qui s'appelle le peuple. Comment, me direz-vous? Attendez, je vous ferai vaincre en dépit de vous-même. Je veux être un second Caton. Vous dormez; vous ne voyez seulement pas combien nous prêtons le flanc, combien nous sommes faibles. Aucun intérêt ne m'excite en ce moment, mais je suis vindicatif a mon ordinaire, et l'on me traite indignement. Que faites-vous donc là-bas? Voulez-vous livrer bataille? c'est le fort de vos adversaires. Je ne connais pas vos troupes, mais les nôtres savent se battre et ne craignent le froid ni la faim. Adieu.