[11,0] LETTRES A ATTICUS - LIVRE XI. [11,1] A ATTICUS. De l'Épire, février. J'ai reçu le billet dont vous aviez chargé Antéros. Il n'a pu rien m'apprendre de mes affaires domestiques. Elles sont dans un état déplorable, et ce qui augmente mon chagrin, la main qui en tenait le fil est maintenant éloignée. En quel lieu? je ne sais. Pour ma réputation comme pour mes intérêts, je puis donc absolument compter sur votre affection tant de fois éprouvée. Si vous ne me la retirez pas dans cette extrémité cruelle, j'en aurai plus de courage contre les maux qui nous accablent. Donnez-moi encore cette preuve d'amitié, je vous en conjure. J'ai en Asie deux millions deux cent mille sesterces en cistophores. Il vous sera facile, en tirant des lettres de change sur cette somme, de faire honneur à mes engagements. Si je n'avais cru mes ressources locales en état d'y faire face, et cela sur la foi d'un homme dont vous avez de longue main appris à vous défier, j'aurais ajourné mon départ et mis ordre à mes affaires. Si cet avis vous arrive un peu tard, c'est que je n’ai pas su plus tôt ce que j'avais a craindre. A l'aide, à l'aide, je vous en supplie! Qu'il me soit donné de jouir du succès de mes associés, si la fortune les favorise ; et puissé-je en rapporter le bienfait à votre amitié! [11,2] A ATTICUS. De l’Epire, février. J'ai reçu votre lettre la veille des nones de février, et le jour même j'ai accepté la succession. Au milieu de toutes mes misères, j'aurai un souci de moins, si, comme vous le dites, l'actif de l’héritage suffit pour satisfaire mes créanciers et mettre mon honneur à couvert. Je vois bien que lors même que cette ressource me manquerait, je pourrais encore compter sur vous. Quant à la dot de ma fille, au nom des dieux, je vous eu conjure, consacrez à secourir cette infortunée, qui l'est par ma faute, tout ce qui me reste, s'il me reste quelque chose; faites au besoin des avances de vos deniers, vous le pouvez sans gène. Enfin veillez, vous me le promettez et j'y compte, veillez à ne pas la laisser manquer de tout. Où passent donc les revenus de mes terres? Voilà soixante mille sesterces de moins. C'est la première fois que j'en entends parler. Je n'eusse jamais consenti à en diminuer d'autant les échéances de la dot. Mais j'ai bien d'autres sujets de plaintes que je ne puis vous raconter, tant mon cœur se serre. J'ai retiré la moitié environ des fonds que j'avais en Asie. Je crois cet argent plus en sûreté là où il est maintenant qu'entre les mains des fermiers publics. Du courage, me dites-vous; mais où sont, je vous prie, vos motifs de confiance? et s'il est vrai, pour surcroît de maux, que, quoique vous ne m'en ayez rien dit, on en veuille, comme le dit Chrysippe, à ma maison, fut-il jamais homme plus infortuné que moi? Pardon, pardon ; je ne puis continuer. Vous voyez l'excès de ma douleur. Encore si ce malheur m'affligeait en commun avec ceux de mon parti, je me le reprocherais moins et le supporterais mieux. Mais je n'ai pas même cette consolation. Ah! tachez, s'il en est temps encore, d’empêcher que je ne sois l'objet de rigueurs et de persécutions exceptionnelles. J'ai tardé à vous renvoyer votre messager, mais je n'ai pu le faire plus tôt. J'ai reçu de vos gens soixante-dix mille sesterces, avec les habits dont j'avais besoin. Écrivez en mon nom, je vous prie, à qui vous le jugerez nécessaire. Mes amis vous sont connus. Ils seront surpris de voir une autre écriture et un autre cachet. Dites que j'ai craint que mes lettres ne fussent interceptées. [11,3] A ATTICUS. Du camp de Pompée, 13 juin. Le porteur de votre lettre vous dira en quel état nous sommes. Je l'ai retenu assez longtemps, comptant chaque jour sur du nouveau. Il n'est rien survenu, et je ne vous écris que pour vous répondre. Quant à mes intentions aux kalendes de juillet, la question n'est pas facile à résoudre. Compromettre une somme si considérable en des temps si malheureux, faire ce divorce au milieu de telles incertitudes, je ne puis là-dessus, comme en toute chose, que m'en remettre à votre constante amitié, et laisser ma fille maîtresse de l'alternative. Il est bien malheureux pour elle que je n'aie pu jadis m'entendre avec vous de vive voix plutôt que par lettres, sur ce qu'exigeait le soin de nos intérêts et de notre existence. Je n'ai, dites-vous, aucun risque particulier à courir. C'est toujours un point de tranquillité; mais il y a, vous le savez très bien, plus d'un sujet d'inquiétudes qui ne concernent que moi, qui sont très graves, et que j'aurais pu aisément m'épargner. Ils peuvent s'alléger, si vous me prêtez, comme vous l'avez toujours fait, le secours de votre active prudence. — J'ai de l'argent chez Egnatius ; qu'il reste où il est. La crise actuelle ne peut durer longtemps. Je verrai plus tard à prendre un parti. Cependant je manque de tout; et notre chef n'est pas dans une condition meilleure, bien que je lui aie fait un prêt considérable, me flattant de pouvoir un jour m'en faire honneur, si l'ordre se rétablit. Si vous jugez çà propos que j'écrive à tel ou tel, chargez-vous de le faire en mon nom. Mes compliments à votre famille. Soignez votre santé. Sur toute chose, rappelez-vous votre promesse, et mettez toute votre sollicitude à ne laisser manquer de rien une personne dont les souffrances, vous le savez, sont les plus cruels de mes maux. [11,4] A ATTICUS. Du camp de Pompée, juin. J'ai reçu une lettre de vous par Isidore; puis deux autres de plus fraîche date. Je vois par la dernière que mes biens de campagne ne se vendent pas. Il vous faudra donc pourvoir de votre bourse aux besoins de ma fille. Quant à Frusinum, s'il m'est donné de vivre, c'est une chose tout à fait à ma convenance. La rareté de mes lettres tient à la disette des nouvelles. Je ne sais rien qui mérite votre attention; et d'ailleurs, vu la tournure des choses, ni les mesures qu'on prend, ne me conviennent le moins du monde. Ah ! que je voudrais m'être dans le temps entendu avec vous de vive voix, plutôt que par correspondance! Je soutiens vos intérêts de mon mieux auprès de ceux-ci. Celer agit de son côté. Je n'ai voulu jusqu'à présent me charger de quoi que ce fût, rien de ce qu'on fait n'étant de mon goût ni dans mes vues. Vous me demandez ce qui s'est passé de nouveau. Isidore vous le dira. Le reste va sans doute marcher aussi aisément. Bien, bien ! continuez, je vous prie, de veiller au plus chez de mes intérêts. Mon tourment d'esprit est sans relâche et ma santé s'en ressent. Dès qu'elle me le permettra, j'irai conférer avec celui qui mène nos affaires et qui est dans une grande confiance. Notre ami Brutus montre ici un grand zèle. Voilà tout ce que la prudence me permet de vous écrire. Et le second payement, ne négligez rien pour l'assurer, je vous prie; je vous en ai déjà écrit par Pollex. [11,5] A ATTICUS. Brindes, novembre. Vous dire quel instinct m'a poussé, quelles circonstances poignantes, cruelles, inouïes, ont déterminé chez moi cette résolution ou plutôt ce coup de tète, serait un effort trop douloureux. Jugez des choses par le résultat. J'en suis à ne pas trouver un mot à écrire pour mon propre compte, à ne savoir que désirer de vous; d'autant plus que les lettres que vous m'avez écrites, ou que d'autres ont reçues de vous, ou qui ont été adressées en votre nom, démontrent assez, comme je le pensais, que vous ne croyez plus guère au succès de vos premières démarches, et que vous cherchez d'autres voies pour me servir. Votre conseil de me rapprocher de Rome, et de ne passer que de nuit dans les villes, n'est pas d'une exécution commode. Trouverai-je partout des lieux de station convenables pour y demeurer le jour? Et quelle différence voyez-vous d'ailleurs à ce que je sois aperçu dans une ville ou sur un grand chemin? Cependant j'y réfléchirai et ferai pour le mieux. Je me contente de répondre aux lettres que je reçois. Veuillez écrire en mon nom tant à Basilus qu'à tous autres pour qui vous le jugerez nécessaire, et aussi à Servilius, s'il y a lieu. Si je garde un si long silence, il est facile de voir, par ce mot même, que je n’ai rien à écrire, et que ce n'est pas la bonne volonté qui me manque. — Vous voulez savoir comment Vatinius a été pour moi. Ni lui ni aucun autre n'aurait laissé échapper une occasion de me rendre service. Quintus a été pour moi aussi mal que possible à Patras, où son fils est venu le rejoindre de Corcyre. Je crois qu'ils en sont repartis pour faire comme les autres. [11,6] A ATTICUS. Brindes, 28 novembre. Je vois combien vous êtes tourmenté à la fois de votre position, de celle de la république, de la mienne surtout, et de la douleur qui m'accable. Ma douleur, au lieu d'être adoucie par la part que vous y preniez, ne fait que s'en irriter encore. Que vous ayez de tact dans vos consolations, et que vous touchez bien la corde sensible, quand vous me dites que j'ai bien fait, que je ne pouvais agir autrement; et quand vous ajoutez (ce qui me touche moins que votre jugement, mais ne laisse pas que de me toucher encore) que cette opinion est dans tous les esprits, du moins dans tous ceux de quelque poids ! Si j'en étais sur, je me plaindrais moins. Croyez en ma parole, dites-vous. J'y crois : mais je sais que vous désirez surtout alléger mes peines. Je me suis éloigné de l'armée, et ne m'en repens point : c'étaient des projets atroces ; un pêle-mêle effroyable avec les barbares ; la proscription déjà arrêtée, non par tête, mais en masse; vos biens à tous enfin regardés comme un butin légitime. Je dis vos biens, car on se promettait contre vous personnellement d'en venir aux derniers excès. Mes intentions ont toujours été excellentes. Je n'ai à cet égard aucun reproche à me faire. Mais il fallait d'autres mesures. J'aurais dû me tenir dans quelque ville d'Italie, et n'en pas bouger jusqu'à ce qu'on me rappelât. J'eusse moins fait parler, moins souffert. Je n'aurais pas du moins à gémir de cette faute. Rester misérablement à Brindes me déplait de toutes façons. Me rapprocherai-je de Rome, suivant votre conseil? Mais comment marcher sans mes licteurs? Le peuple me les a donnés; on ne pourrait me les ôter qu'en me faisant violence. Ce n'est pas qu'aux approches de la ville je n'aie cru devoir les disperser dans la foule, avec leurs faisceaux, dans la crainte de quelques voies de fait de la part des soldats. Il est des moments ou je me renferme moi-même au logis. —Je suppose que vous ayez maintenant vu Oppius. Pour peu qu'il leur convienne que je me rapproche, je le veux bien. J'en serai plus à portée de leurs directions. A les entendre, César veut non seulement mie garantir de toute atteinte, mais encore m'élever en crédit et en dignité. Il n'est rien que je ne doive espérer et prétendre. J’aurais néanmoins plus de foi à leurs protestations et à leurs serments si j'étais demeuré. Mais point de retour sur le passé : ne nous occupons que du présent. Veuillez en conférer avec eux. Ne jugeriez-vous pas à propos, sauf leur avis, d'insinuer à César, pour ma justification, que j’ai tout fait par leurs conseils? Joignez à eux Trébonius, Pansa, d'autres encore; qu'ils lui écrivent positivement que je n'ai agi que sous leurs inspirations. — La maladie de Tullle me fait mourir d'inquiétude. Elle est si délicate! Je sais que vous lui prodiguez vos soins, et j'en suis touché au fond de l’âme. — Pompée a fini comme il devait finir : je n'en ai pas douté un seul instant. Lois et peuples, tous les avaient si mal dans ses affaires, qu'en quelque lieu qu'il abordait, son sort était inévitable. Je ne laisse pas de le déplorer. Il était homme de bien, d'honneur et de mérite. — Moi, que je vous console de la mort de Fannius? Il tenait sur vous des propos pleins de haine, parce que vous étiez demeuré en Italie. L. Lentulus s'était adjugé, pour sa part, la maison de la ville d'Hortensius, les jardins de César et sa campagne de Baies. On fait à peu près de même dans l'autre parti. Mais dans celui de Pompée on ne reculait, on ne s'arrêtait devant rien. Quiconque était resté était ennemi. J'aurai bien des choses à vous dire, mais en temps et lieu. — Mon frère Quintus est allé, dit-on, en Asie faire sa soumission. Je ne sais rien de son fils. Informez-vous de lui près de Diocharès, affranchi de César, que je n'ai pas vu ; mais c'est lui qui a porté ces lettres d'Alexandrie. Il a vu, dit-on, mon neveu en Asie, ou en route pour y arriver. J'attends vos lettres avec une impatience que les circonstances n'expliquent que trop. Faites-les moi attendre le moins possible. [11,7] A ATTICUS. Brindes, décembre. Merci de votre bonne lettre, où vous avez si bien parcouru le cercle de tout ce qui m'intéresse. Je garderai donc mes licteurs, puisqu'on trouve bon que je les garde. César ayant fait la même grâce à Sextius. Seulement il l'a plutôt gratifié de licteurs qu'il ne lui a laissé les siens. Car on dit qu'il regarde comme nuls tous les actes du sénat intervenus depuis que les tribuns sont sortis de Rome. Quant aux miens, il peut me les laisser sans se contredire. Mais il s'agit bien de licteurs, quand je viens de me voir, peu s'en faut, expulsé d'Italie! Antoine m'avait notifié une lettre de César, portant qu'il est informé du retour de Caton et de Métellus en Italie, et de leur intention de se montrer à Rome; qu'il n'entend pas cela; que leur présence pourrait y exciter de la fermentation, et qu'il faut faire sortir d'Italie tous ceux qui n'auront pas de lui permission d'y séjourner. C'est sous l'impression d’une irritation très vive que cette lettre est écrite. Antoine s'excusait d'ailleurs, et alléguait la nécessité de faire exécuter les ordres de César. Je lui ai vite dépêché L. Lamia, pour lui dire que c'est sur une invitation pressante de César à moi transmise par l'organe de Dolabella que je me suis rendu en Italie. Là-dessus Antoine m'a nommément excepté, ainsi que Lélius, dans son édit. C'est ce dont Je me serais bien passé; il était si facile de me comprendre, sans mettre de nom, dans une exception générale! Que d'humiliations! que d'injures! Vous faites de votre mieux pour en affaiblir les coups, et vous n'y perdez pas tout à fait vos peines. En voyant vos efforts pour adoucir mes maux, le poids m'en semble plus léger, ne vous lassez pas de m'écrire, je vous en conjure; cherchez à me convaincre que je n'ai pas perdu tout droit à l'estime des honnêtes gens. Vous arriverez par là au but que votre amitié se propose; mais le moyen de me le persuader? hélas ! il n'en est point. Les événements seuls peuvent ouvrir la voie : malheureusement le vent n'y est pas. Mais que sait-on? des incidents peuvent naître; n'y en a-t-il pas eu déjà? Par exemple, on m'accusait de n'avoir pas suivi Pompée : et sa catastrophe est venue me justifier de n'avoir pas poussé jusque-là le devoir. Mais on se récrie de tous côtés sur ce que je ne suis pas en Afrique. Que voulez-vous? j'ai pensé que ce n'était point par des barbares, et la plus perfide de toutes les nations, que la république devait être défendue, surtout contre une armée tant de fois victorieuse. On dira peut-être que ce n'est qu'une défaite. Il paraît en effet que beaucoup de gens de bien se rendent en Afrique. D'autres y étaient déjà, je le sais. C'est donc là un point vulnérable, et j'ai grand besoin que les événements viennent à mon secours. Il faudrait au moins que je ne fusse pas seul, et que quelques autres, si ce n'est tous, pensassent aussi à eux. Car s'ils persévèrent, et s'ils ont la fortune de leur côté, que deviendrai-je, je vous le demande? Vous me répondrez en me demandant ce qu'ils deviendront s'ils sont vaincus. Ah! du moins, ils auront péri avec honneur. Ces réflexions sont poignantes. — Vous ne me dites pas en quoi vous trouvez que Sulpicius n'a pas fait mieux que moi. Il n'approche pas sans doute de la gloire de Caton; mais il est à l'abri de la crainte et du remords. Reste la condition de ceux qui sont demeurés en Achaïe. Ils ont encore cet avantage qu'ils sont plusieurs ensemble, et qu'une fois de retour en Italie, ils pourront rentrer chez eux. Allons! continuez-moi vos consolations, et justifiez-moi de votre mieux. — Vous vous excusez de ne pas venir : je connais vos motifs, et je conçois d'ailleurs qu'il est de mon intérêt que vous restiez à Rome, pour agir et parler dans l'occasion comme vous le faites. Voici surtout un point que je vous recommande. Il ne manque pas de gens, je le suppose, qui disent ou qui diront à César que je me repens de ce que j'ai fait, que je suis mécontent de ce qui se passe. Cela n'est que trop vrai. Mais on l’affirme sans le savoir, et dans une intention perfide. Il faut que Balbus et Oppius se chargent de parer à cela, et qu'ils ne cessent d'écrire à César pour l'entretenir dans ses bonnes dispositions pour moi. Vous y veillerez, n'est-ce pas? Une autre raison pour moi de souhaiter que vous restiez à Rome, c'est l'extrême désir qu'a eu Tullie. misère! Que vous dire? sais-je même ce que je veux? Abré geons. Les pleurs m'inondent. Prenez tout sur vous. Avisez, songez seulement an temps où nous vivons, et a ne rien faire qui puisse vous nuire à vous-même. Mon angoisse et mes larmes m'empêchent de m'arrêter sur ce sujet. Que je vous dise seulement ma vive gratitude pour les preuves de tendresse que reçoit de vous ma fille. — Vous avez pris soin d'écrire pour moi aux uns et aux autres : c'est à merveille. J'ai vu une personne qui a rencontré Quintus le fils a Samos et son père a Sicyone. Leur paix sera bientôt faite. Ils devraient bien, le voyant avant moi, faire dans mon intérêt ce qu'a leur place je ne manquerais pas de faire pour eux. Vous m'engagez à ne pas prendre mal les passages de vos lettres qui me paraîtraient un peu vifs : il n'y a rien que je ne prenne très bien, je vous assure. Continuez donc a me dire librement votre pensée, et écrivez-moi le plus souvent possible. [11,8] A ATTICUS. 27 décembre. Vous avez beau vous figurer ce que je souffre; vous le saurez mieux encore par Lepta et Trébatius. Je paye cher un coup de tête que vous voulez absolument me faire prendre pour un acte de prudence. Ne laissez pas de le soutenir toutefois, et de me l'écrire aussi souvent que vous le pourrez ; ce m'est un soulagement extrême que vos lettres. Il est nécessaire que vous agissiez auprès de ceux qui me veulent du bien et qui ont du crédit auprès de Balbus et d'Oppius surtout, et que vous les déterminiez à écrire vivement pour moi. On cherche à me nuire, m'a-t-on assuré : il y a eu des paroles dites et des lettres écrites. Tâchons de déjouer ces attaques. Rien n'est plus grave. J'ai là-bas dans Fufius un ennemi juré. Quintus a envoyé son fils intercéder pour lui d'abord, et eu second lieu déclamer contre moi. Il dit à qui veut l'entendre que je l'ai accusé près de César : en quoi César et ses amis le démentent formellement. Mais il n'est pas moins partout répandant contre moi l'injure : c'est vraiment incroyable, et de toutes mes peines voilà la plus sensible. On m'a rapporté des propos par lui publiquement tenus à Sicyone, et qui sont révoltants. Vous connaissez sa terrible humeur; il se peut même que vous l'ayez essuyée. Il m'a pris pour point de mire. Mais ces détails aigrissent ma douleur, et ne sont bons qu'à vous affliger aussi. J'en reviens à ma prière. Décidez Balbus a envoyer un exprès à César, comme nous en sommes convenus, et continuez d'écrire en mon nom a toutes les personnes a qui il est utile de le faire, Adieu. Le 6 des kalendes de janvier. [11,9] A ATTICUS. Brindes, janvier. Oui, il n'est que trop vrai que j'ai agi a la fois sans prudence et avec la plus déplorable précipitation. Plus d'espoir, grâce à ces exceptions des édits qui m'enchaînent. Si votre active et inquiète amitié ne s'y était pas employée, je serais libre de fuir en quelque solitude; maintenant je ne le puis plus. Que me sert-il d'être arrivé avant l'entrée des tribuns en charge, s'il valait mieux encore ne pas venir? Que puis-je défendre d'un homme qui n'a jamais été de mes amis (Antoine), quand je suis déjà sous le coup de la loi? Les lettres de Balbus deviennent de jour en jour plus froides. C'est à qui écrira à César, et contre moi peut-être. Je me suis perdu par ma faute. Le hasard n'y est pour rien. Je n'en dois accuser que moi. En voyant le caractère de la guerre, l'imprévoyance et la faiblesse d'un côté, l'énergie et l'activité de l'autre, je pensais à demeurer neutre ; car que faire? et ce parti, s'il n'était le plus héroïque, était chez moi plus excusable que chez tout autre. Mais non, je m'en laissai conseiller ou plutôt imposer un autre par les miens. L'un d'eux (Quintus), celui-là même que vous me recommandez, vous allez le connaître par les lettres qu'il vous écrit, à vous et à d'autres. Je ne les aurais jamais ouvertes ni connues, sans les circonstances que voici. On m'apporta le paquet : je le rompis pour voir s'il y en avait pour moi. Il n'y en avait pas, mais j'en trouvai deux pour Vatinius et Ligurius. Je les leur fis tenir, presque au même instant je les vis accourir outrés d'indignation et criant à l'infamie. Alors ils me lurent des lettres pleines d'horreurs contre moi. Ligurius était hors de lui. Il était, disait-il, à sa connaissance que César avait toujours eu de l'éloignement pour sa personne ; que dans la faveur qu'il lui avait montrée, dans les présents dont il l'avait comblé, il n'avait jamais eu en vue que de me plaire. Une fois ce coup porté, je voulus savoir ce qu'il écrivait aux autres. Je pensai au tort qu'il allait se faire pour peu qu'un tel procède devînt public. Toutes les lettres étant du même style, je vous les envoie. Si vous croyez de son intérêt qu'elles soient remises, faites-les parvenir. Je suis au-dessus de pareilles atteintes. Les lettres sont décachetées; mais Pomponia a son cachet, je pense. Sa mauvaise humeur a éclaté dès le commencement de notre traversée, et ma causé un abattement dont je n'ai pu me tirer. Son but est, dit-on, moins de se faire du bien que de me nuire. Tout se réunit pour m'accabler. Je résiste à peine ou plutôt je succombe à mes maux. Ils sont plus forts que moi. Au milieu de mes douleurs, il en est une qui égale a elle seule toutes les autres : c'est de laisser ma pauvre fille, abandonnée, sans patrimoine, sans ressource quelconque. Voilà pourquoi je désire si fort de vous voir, comme vous me l'avez promis. Je n'ai autre que vous à qui la recommander, puisque je vois sa mère destinée aux mêmes épreuves que moi. Si je ne puis vous voir, tenez la recommandation pour faite, et conjurez autant que possible les fureurs de son oncle. C'est aujourd'hui le jour de ma naissance. Ah! pourquoi m'a-t-il été donné de naître? pourquoi du moins faut-il que ma mère ait mis au monde un autre fils que moi? Mes larmes ne me permettent pas de continuer. [11,10] A ATTICUS. Brindes, 21 janvier. Chaque jour ajoute à mes inconcevables peines tout ce qu'on me rapporte de mon frère et de son fils, ou de mes amis. P. Térentius a eu des opérations à suivre en Asie, où il est vice-administrateur des fermes. Il a vu le jeune Quintus à Éphèse le 6 des ides de décembre, et, après lui avoir fait par suite de notre amitié toute sorte de politesses, il lui a demandé de mes nouvelles; à quoi, suivant le dire de Térentius, l'autre a répondu qu'il m'avait en horreur, et lui a montré un discours préparé qu'il veut débiter à César contre moi. Térentius lui a demandé s'il était fou, et lui a fait toutes sortes de représentations. Depuis, il a rencontré mon frère lui-même à Patras. Mêmes abominations. Vous avez pu déjà juger de leur animosité par les lettres que je vous ai communiquées. Je sais que tout cela vous afflige. Pour moi, c'est un supplice, d'autant que je n'aurai pas même la ressource de me plaindre. Les nouvelles d'Afrique sont toutes différentes de ce que vous me mandez. On dit, qu'on y est en force et parfaitement en mesure. De plus l'Espagne se déclare, l'Italie se détache. Les légions ont perdu eu nombre, et n'ont plus le même esprit. Rome est dans le chaos. Dites-moi, je vous prie, le moyen de respirer au milieu de tout cela, si ce n'est en lisant vos lettres? Elles seraient plus fréquentes, à coup sûr si vous aviez quelque chose de consolant à me dire. Cependant ne cessez pas, je vous prie, de m'instruire de tout. Et si vous ne pouvez haïr ceux qui se disent si cruellement mes ennemis, condamnez-les du moins : non que par la j'espère les ramener, mais afin qu'ils sachent que je n'ai pas cessé de vous être cher. Je vous écrirai plus au long, quand j'aurai reçu votre réponse à ma dernière lettre. Adieu. Le 12 des kalendes de février. [11,11] A ATTICUS. Brindes, 8 mars. Accablé sous le poids de mes maux, c'est tout au plus si j'aurais la force de vous écrire, même quand il serait indispensable de le faire ; à plus forte raison quand je n'ai vraiment rien à vous apprendre, et surtout quand je ne vois aucune chance pour moi. Déjà même je compte moins sur vos lettres, et pourtant j'y trouve toujours quelque chose de doux. Continuez donc de m'écrire, toutes les fois que vous trouverez à qui donner la commission. Je n'ai rien à répondre à vos dernières lettres, qui datent déjà d'assez loin. Je vois que dans l'intervalle la face des affaires a bien changé. La force retourne où elle doit être, et mon imprudence pourra me coûter cher. Il faut payer à P. Sallustius les trente mille sesterces que j'ai reçus de son frère Cnéius. Veillez, je vous prie, à ce qu'il n'y ait pas de retard, j'en ai écrit à Térentia. Cet argent est déjà presque mangé. Vous verrez avec elle à m'en procurer. Une fois les fonds faits à Rome, je trouverais ici ia somme contre mes lettres de change : mais avant de puiser dans aucune bourse, il me faut cette certitude. Vous voyez quelle est ma situation sous tous les rapports ; il n'est point de maux que je ne subisse ou n'attende, et par ma faute; ce qui me les rend plus pénibles. Quintus est en Achaïe, et ne cesse de se déchaîner contre moi. Ainsi vos lettres n'ont rien gagné sur son esprit. Adieu. Le 8 des ides de mars. [11,12] A ATTICUS. Brindes, 8 mars. Céphalion m'apporte une lettre de vous ce soir, 8 des ides de mars. Je vous ai écrit ce matin par mes messagers; mais d'après ce que je vois, vous êtes inquiet de savoir comme j'entends présenter à César mon départ d'Italie, et c'est sur quoi surtout j'ai quelques mots à vous dire. Je n'ai pas de nouvelles explications à lui donner : je lui ai écrit cent fois, et j'ai mandé à raille autres, que je n'avais pu en dépit de moi-même soutenir le déchaînement de l'opinion : tel a été mon texte. Je ne désire nullement lui donner à penser que j'ai recouru à des conseils étrangers pour une affaire de cette importance. Depuis, Balbus Cornélius le jeune m'a écrit, et suivant sa lettre César était persuadé que c'était Quintus mon frère qui avait mené la marche, je répète son mot. Je ne savais pas alors ce que déjà Quintus écrivait de moi aux uns et aux autres, bien que déjà son langage et ses procédés me rendissent sa société suffisamment pénible. Néanmoins, je ne laissai pas que d'écrire littéralement ce qui suit à César par Nilus : « Je ne suis pas moins préoccupé de Quintus mon frère que de moi-même. Mais je n'ose vous le recommander dans la position que les circonstances m'ont faite. J'oserai seulement vous adresser une prière : c'est de croire qu'il n'a jamais cherché ni à agir près de moi contre vous, ni à me refroidir à votre égard. Soyez au contraire bien persuadé que ses avis ont tendu constamment à nous l'approcher; qu'enfin il n'a été que le compagnon passif et nullement l'instigateur de ma fuite. Veuillez donc lui conserver vos bontés, et suivre à son égard ce que l'amitié vous inspire. Qu'il ne soit pas dit que mon frère ait quelque chose à souffrir à cause de moi. Je vous le demande en grâce. — En cas d'entrevue avec César, je serai pour mon frère le même que j'ai toujours été. Mais je ne doute pas que César le reçoive bien; il s'en est expliqué déjà. Il me semble que c'est du côté de l'Afrique que je dois regarder maintenant avec inquiétude. On y lutte, dites- vous, beaucoup moins pour vaincre que pour se mettre en état de composer. Puisse-t-il en être ainsi! malheureusement je n'en crois rien, et je suis persuadé que vous n'en croyez rien vous-même, au moment surtout ou l'Espagne donne la main à l'Afrique. Vous ne voulez pas me tromper; mais vous cherchez à me donner du courage. Vous m'engagez à écrire à Antoine et à d'autres. Ayez la bonté de leur écrire pour moi, s'il est nécessaire, ainsi que vous l'avez fait déjà. Je ne saurais vraiment quel langage leur tenir. On vous a dit que j'étais plus abattu que jamais. Comment en serait-il autrement"? ne voilà-t-il pas un surcroît à tous mes chagrins, et ne voyez-vous pas les belles choses que fait mon gendre? Ne cessez de m'écrire tant que vous le pourrez, je vous en conjure; et même n’ayant rien à me dire, écrivez-moi toujours. Vos lettres ne sont jamais stériles. J’ai pris possession de l'héritage de Galéon. Il n'a institué qu'un seul héritier, je le suppose ; car on ne m'a notifié aucune autre disposition de sa part. Le 8 des ides de mars. [11,13] A ATTICUS. Brindes, mars. Je n'ai pas encore reçu la lettre dont vous avez chargé l'affranchi de Muréna. Je réponds à celle que P. Siser m'a apportée. Il en est de ce que vous me racontez des lettres de Servius le père, comme de ce qu'on vous a dit du voyage de Quintus en Syrie : pure invention. Vous me demandez comment se conduisent avec moi les gens d'ici et ceux qui y passent. Rien d'hostile; mais en suis-je plus avancé? c'est ce que vous savez aussi bien que moi. De tous les chagrins qui m'accablent, ce qu'il y a de plus cruel est de me voir dans une position à souhaiter pour mes intérêts ce que j'ai toujours le plus redouté. On dit que P. Lentulus le père est à Rhodes, que son fils est a Alexandrie; et il est positif que C. Cassius est en route de Rhodes pour Alexandrie. Quintus vient de m'adresser une justification dont les termes sont beaucoup plus durs encore que tout ce qu'il a pu dire dans sa plus grande animosité. Il a vu, dit-il, par vos lettres que vous n'étiez pas content de la manière dont il avait parlé de moi dans sa correspondance avec plusieurs personnes. Il regrette de vous avoir causé de la peine ; mais il était tout à fait en droit, et il entre dans un très injurieux détail de ses raisons. Aujourd'hui comme avant il choisit pour montrer son aversion le moment ou la fortune m'accable. Que ne suis-je maintenant près de vous, eussé-je passé des nuits pour vous rejoindre, comme vous me le proposiez! Je ne sais plus ni quand ni ou je vous verrai. — Vous pouviez vous dispenser de m'écrire au sujet des cohéritiers de Fufidius. Leur demande est juste, et j'aurais approuve tout ce que vous auriez fait. —J'ai toujours eu l'intention de racheter le bien de Frusinum; il y a longtemps que je vous l'ai dit. Il est vrai qu'alors mes affaires étaient meilleures et celles de l'État moins désespérées; néanmoins je persiste. Soyez assez bon pour aviser à ce qu'il y a à faire. Veuillez aussi, si vous en avez le loisir, voir ou je dois puiser pour mes besoins journaliers. Tout ce que je pouvais avoir d'argent comptant, je l'ai mis à la disposition de Pompée dans un temps où je croyais faire ainsi preuve de sagesse. Puis, je fus obligé de recourir à votre receveur et de faire ailleurs encore des emprunts, parce que mon frère m'écrivit pour se plaindre de ce que je ne lui avais rien donné. Notez qu'il ne m'avait fait aucune demande, et que l'argent de Pompée n'avait pas même passé par mes mains. Voyez, je vous prie, de quoi je puis faire ressource, et donnez-moi vos conseils. Vous connaissez la cause de tout le mal. Je n'ai pas la force de poursuivre. S'il y a à écrire à quelques personnes, veuillez le faire encore pour moi, comme à l'ordinaire, et ne laissez passer aucune occasion de m'écrire aussi. [11,14] A ATTICUS. Brindes, mars. Oui, vous avez raison. Je vous sais gré de supprimer les formules de consolation en présence des maux qui nous accablent tous, et moi eu particulier, et de reconnaître que toute consolation est désormais impossible. Ma position est bien changée. Je ne me croyais pas seul de mon bord; mais voilà que tous ceux qui étaient en Achaïe ou en Asie pour taire leur paix se rendent, dit-on, en Afrique, sachant ou ne sachant pas ce qui s'y est passé. Ainsi, excepté Lélius, il n'est personne qui partage ma faute : encore est-il plus heureux que moi, puisque son accommodement est déjà conclu. Je ne doute pas qu'on ait déjà (César) écrit à mon sujet a Balbus et à Oppius ; mais s'il y avait de bonnes nouvelles, ils m'en auraient fait part et vous en auraient parlé. Ayez, je vous en prie, un entretien avec eux, et mandez-moi ce qu'ils vous auront appris. Ce n'est pas que je regarde des paroles comme des garanties; mais cela me permettrait du moins de respirer et de prendre mes mesures. Quoique je répugne à me montrer surtout avec un tel gendre, je ne vois pourtant rien de mieux pour moi dans l'extrémité où je suis. Quintus ne change point, à ce que m'écrivent et Pansa et Hirtius, et l'on dit qu'il suivra le torrent en Afrique. J'écrirai à Minucius, a Tarente, et lui enverrai votre lettre. Je vous manderai s'il a fait ou non quelque chose. Je me demande comment vous avez pu réunir trente mille sesterces, à moins d'avoir tiré beaucoup des biens de Fufidius, ce qui est évident. Je vous attends, mais combien n'aurais-je pas plus de joie encore de vous voir, si c'était possible! La conjecture est si critique! Il vous sera facile de juger quel est pour moi le moins mauvais parti. Adieu. [11,15] A ATTICUS. Brindes, 14 mai. Puisque de si justes motifs vous retiennent en ce moment, que faut-il faire? Dites-le-moi. Le héros ne sort pas d'Alexandrie, si bien qu'il ne se soucie pas qu'on sache ce qui s'y passe. Et voilà l'armée d'Afrique qui va leur tomber sur les bras, et ceux d'Achaïe et d'Asie qui sont tout prêts à les rejoindre, ou qui vont s'arrêter dans quelque place neutre. Quel parti prendre, je vous prie? Le conseil est embarrassant, je ne le vois que trop. Je ne connais que moi, un seul excepté peut-être, à qui tout retour soit fermé d'un côté, aussi bien que tout espoir de l'autre. Cependant je veux savoir votre pensée, et c'est la le motif entre mille autres qui me faisait tant souhaiter de vous voir. Minucius ne m'a payé que douze mille sesterces, je vous l'ai déjà mandé. Occupez-vous, je vous prie, de me faire toucher le reste. Bien loin de me témoigner le moindre regret, Quintus m'a écrit une lettre abominable. Quant a son fils, c'est une haine sans égale. Il n'est sorte de chagrin qui me soit épargné. Mais que tout me serait léger sans le sentiment de ma faute qui pèse si cruellement et à tous les instants du jour sur mon triste coeur ! Encore, si d'autres y étaient tombés comme moi, ce serait une ombre de consolation. Prenez qui vous voudrez, vous trouvez une raison de conduite chez tous; chez moi, point. Tels ont été pris ou coupés, mais ce qu'ils voulaient est clair. Qu'on leur permette de s'échapper, de se réunir, on le verra. Ceux qui d'eux-mêmes se sont rendus à Fufius ont eu peur, et voilà tout. D'autres sont là qui attendent ; mais ils n'ont qu'à se présenter : on les recevra toujours. Étonnez- vous donc encore après cela de l'état cruel de mon esprit. Il n’y a que ma position dont on ne puisse sortir; mettons celle de Lélius aussi. En suis-je plus avancé? On dit que C Cassius a changé d'avis, et ne va plus à Alexandrie. Si je vous ouvre ainsi mon coeur, ce n'est pas que j'attende de vous du soulagement: mais je suis curieux de savoir ce que vous me direz, en voyant les maux qui m'accablent. Mon gendre se met aussi de la partie, et il y a bien des choses dont mes larmes m'empêchent de parler. N'est-ce pas un supplice encore que le fils d'Ésopus'? Non, rien ne manque à mes maux, et je suis le plus malheureux des hommes. Je reviens où j'en étais : que l'aire? faut-il me rapprocher tout doucement? faut-il passer la mer? Rester plus longtemps ici est impossible. —Comment donc n'eu a-t-on pas fini avec les biens de Fulidius? Ces sortes d'affaires ne donnent jamais lieu à la moindre difficulté : si l'une des parts semble trop faible, il est si facile par voie de licitation de rétablir l'égalité! Ce n'est pas sans motif que je vous adresse cette question. Je soupçonne que les héritiers voyant l'incertitude de ma position cherchent à gagner du temps. Adieu. La veille des ides de mai. [11,16] A ATTICUS. Brindes, 3 juin. Une autre fois j'ai pu me tromper; mais aujourd'hui ce n'est pas ma faute si je ne vois rien de rassurant dans cette lettre. Deux mots à peine, et que je soupçonne fort n'être pas son ouvrage. Vous ne vous y êtes pas laissé prendre non plus, j'en suis sur. Je n'irai pas au-devant de lui; je suivrai votre conseil. Aussi bien rien n'est moins certain que son retour. Ceux qui arrivent d’Asie assurent qu'il n'y est nullement question de paix. La paix, voilà pourtant ce qui m'a entraîne dans ce mauvais pas. Je ne vois jour d'aucun côté, surtout depuis cet échec en Asie, et à la façon dont les choses ont tourne en Illyrie, avec Cassius, à Alexandrie même, dans Rome et l'Italie. Pour moi, je suis convaincu, fût-il en route, lui qui, dit-on, combat encore, que la question sera décidée avant son retour. Vous avez la bonté de me dire qu'à la nouvelle de sa lettre, quelque joie est revenue au bon parti. Vous relevez, je le vois, tout ce que vous croyez capable de me procurer un peu de consolation. Mais on ne me persuadera jamais qu'aucun bon citoyen me croie attaché a la vie au point de la vouloir tenir de lui, d'autant que je serais le seul jusqu'à présent dans ce cas. Ceux qui sont en Asie voient venir les événements; ceux d'Achaïe annoncent toujours leur soumission à Fufius. D'abord ils ont eu peur comme moi, et ils allaient prendre le même parti. Puis est survenu le temps d'arrêt d'Alexandrie qui es sauve et qui me perd. J'insiste donc sur ce que je vous ai déjà demandé : si vous voyez quelque planche de salut pour un homme qui se noie, veuillez me la montrer. En admettant qu'on veuille me recevoir (et comme vous voyez, ce n'est pas chose faite), tant qu'il y aura guerre, que faire? où aller? Si l'on me repousse, c'est encore pis. J'attends une lettre de vous, et j'espère qu'elle me dira catégoriquement ce que vous pensez ; je vous le demande en grâce. Vous me conseillez de faire part à mon frère de ma lettre; je le ferais si elle en valait la peine; d'ailleurs on m'écrit de Tatras ces propres mots : « Je ne me trouve pas mal ici pour un temps si malheureux; j'y serais mieux encore si je n'avais le chagrin d'entendre votre frère parler de vous tout autrement qu'il ne devrait. » Il se plaint, dites-vous, de ce que je ne lui réponds point. Il ne m'a écrit qu'une fois. Je lui ai répondu par Céphalion, mais voilà plusieurs mois que Céphalion est retenu par les vents contraires. Je vous ai déjà dit que le fils de Quintus m'avait écrit de la manière la plus insolente. — J'ai réservé pour la fin une recommandation que j’ai à vous faire, en supposant que vous la trouviez convenable et que vous vouliez l'accepter. Pourriez-vous vous entendre avec Camille, afin de dire un mot à Térentia pour son testament? Les circonstances lui font un devoir de mettre ordre à ses affaires et de payer ses dettes. A entendre Philotime, ses intentions seraient indignes. J'ai peine à le croire; mais s'il y a moyen d'y mettre ordre, ne vous en faites pas scrupule. Écrivez-moi sur tout ce qui se passe; mais particulièrement sur ce point. J'ai bien besoin de vos conseils. Si vous n'en avez pas à me donner, dites-le-moi, je saurai du moins à quoi m'en tenir. Le 3 des nones de juin. [11,17] A ATTICUS. Brindes, 14 juin. Je ne vous écris que deux mots. Le porteur est pressé ; il n'est pas à moi, et j'aurai sous peu un exprès à vous envoyer. Ma chère Tullie m'est arrivée la veille des ides de juin. Elle ne tarit pas sur vos attentions et vos bontés, et m'a remis vos trois lettres. Loin que mon cœur se soit ému d'une joie hélas! bien naturelle, à la vue de ma fille, d'une fille si vertueuse, si aimable, si tendre, j'ai ressenti au contraire une mortelle douleur en songeant aux épreuves cruelles de cette femme admirable, et en réfléchissant que ces épreuves sont mon ouvrage à moi seul, et qu'elle n'a pas un reproche à se faire. Cessez donc de chercher pour moi des consolations, je vois que vous faites effort pour en trouver; ou des conseils, il n'en est plus de possible; et vous avez à cet égard, tout épuisé, surtout dans vos dernières lettres. Je songe à envoyer Cicéron avec Salluste au devant de César. Quant à Tullie, je ne vois pas de raison pour la retenu- ici au milieu de toutes nos souffrances; et je la renverrai à sa mère, aussitôt qu'elle voudra partir. Si je ne réponds pas à la lettre que vous m'avez écrite en forme de consolation, c'est qu'il vous est facile de deviner ma réponse, et qu'elle est toute faite d'avance. — Ce que vous me rapportez des nouvelles d'Oppius s'accorde assez avec mes présomptions. Mais je suis bien sur qu'ils ne se persuaderont jamais que j'approuve rien de ce qu'ils font, quoi que je puisse dire. Toutefois je veux m'observer, bien que je ne voie pas ce que j'ai à perdre ou à gagner à leur haine. — Je ne sens que trop les raisons qui vous empêchent du venir ; mais j'en suis mortifié. Rien n'annonce encore le départ d'Alexandrie, et il est certain qu'il n'en est arrivé personne depuis les ides de mars, et qu'on n'a pas reçu de lettre de lui (de César) postérieurement aux ides de décembre; ce qui montre clairement que cette lettre du 5 des ides de février, laquelle ne prouverait rien quand même elle serait vraie, n'est qu'une lettre apocryphe. Nous savons que L. Terentius a quitté l'Afrique et qu'il a abordé à Paestum. Qu'apporte-t-il? comment a-t-il pu partir? que se passe-t-il en Afrique? c'est ce que je voudrais savoir. On dit que c’est Nasidius qui l'a fait passer. Si vous en apprenez quelque chose, soyez assez bon pour me le mander. Je ferai ce que vous désirez pour les dix mille sesterces. Adieu. Le 12 des kalendes de juillet. [11,18] A ATTICUS. Brindes, 20 juin. Il n'est pas encore question de ce départ pour Alexandrie (de César). On lui croit au contraire bien des affaires sur les bras. Aussi je renonce, quant à présent, à envoyer Cicéron ; et vous, voyez à me tirer d'ici. Ce qu'il y a de pis pour moi serait d'être condamné à y rester plus longtemps. Je viens d'en écrire à Antoine, à Balbus et à Oppius. Soit qu'on se batte en Italie, ou que la guerre se fasse sur mer, ce séjour ne peut me convenir; et de ces deux hypothèses l'une ou l'autre arrivera, peut-être les deux à la fois. — Je vois clairement, par ce que vous me rapportez de la conversation d'Oppius, quelles sont leurs vues à tous; tâchez de les en foire changer, je vous en conjure. Je n'entrevois que des malheurs. Déjà, hélas! rien de plus abominable, je le répète, que la position où je me trouve. Voilà pourquoi je voudrais que vous pussiez vous en entendre avec Antoine et les autres. Faites pour le mieux et écrivez-moi le plus tôt possible. Adieu. Le 12 des kalendes de juillet. [11,19] A ATTICUS. Brindes, 22 juillet. Je n'ai pas manqué de vous écrire toutes les fois que j'ai trouvé une voie sûre, même quand je n'avais rien à vous apprendre. C'est vous dont les lettres sont devenues plus rares et plus courtes, sans doute parce que vous pensez n'avoir rien de bon à me dire. Cependant écrivez-moi toujours, si peu qu'il y ait et quoi que ce soit. La seule bonne nouvelle pour moi serait qu'on s'occupât de la paix. Je n'y crois pas le moins du monde, mais il suffit que vous en jetiez un mot dans une lettre pour changer en espoir un désir que j’ose à peine former. — On attend Philotime pour les ides d'août. Voilà tout ce que je sais. Répondez-moi, je vous prie, sur ce que je vous ai précédemment écrit. Je n'ai que le temps juste de prendre telles précautions que permettent les circonstances, moi qui n'ai jamais songé à en prendre aucune. Adieu. Le 1 des kalendes d'août. [11,20] A ATTICUS. Brindes, 17 août. C. Trébonius est arrivé ici le 17 des kalendes de septembre, venant de Séleucie-Piérie après vingt-huit jours de marche. Il a vu le fils de Quintus chez César avec Hirtius, à Antioche; ils ont tout obtenu sans difficulté pour Quintus. Je m'en réjouirais davantage, si je pouvais espérer que ce qu'on a fait pour lui servit de règle pour moi : il y a, au surplus, bien d'autres craintes à avoir, et de bien d'autres côtés. Puis, ce qu'on accorde comme maître, on peut toujours le reprendre. Il a fait grâce aussi à Salluste. On dit positivement qu'il ne refuse rien à personne, et c'est là ce qui me fait regarder tout comme sujet à révision. M. Gallius, fils de Quintus, a rendu à Salluste ses esclaves. Gallius arrive pour faire passer les légions en Sicile, où César doit incontinent se rendre de Patras. S'il en est ainsi, je suivrai ma première pensée, je me rapprocherai. J'attends avec la plus vive impatience votre réponse à la lettre par laquelle je vous demande vos conseils. Adieu. Le 16 des kalendes de septembre. [11,21] A ATTICUS. Brindes, août. C'est le 6 des kalendes que j'ai reçu votre missive datée du 12. J'avais depuis quelque temps pris mon parti sur les indignités de Quintus. Ma plaie a saigné de nouveau à la lecture de sa lettre. Vous ne pouviez absolument vous dispenser de me la transmettre; mais j'aurais mieux aimé ne pas l'avoir reçue. A l'égard du testament dont vous me parlez, décidez vous-même du fond et de la forme. Quant à l'argent comptant, je vous ai déjà mandé qu'elle m'en avait écrit. Si mes besoins l'exigent, j'en prendrai où vous me dites. César ne sera vraisemblablement pas à Athènes pour les kalendes de septembre. Il aura, dit-on, beaucoup à faire en Asie, avec Pharnace notamment. On assure que la douzième légion à laquelle Sylla s'est adressé d'abord, l'a reçu à coups de pierre ; et l'on doute fort qu’il y en ait une seule qui veuille marcher. On croit que César ira droit de Patras en Sicile : si cela est, il faudra qu'il vienne ici. Je m'en passerais bien. J'aurais pu m'échapper, et je vais être obligé de l'attendre (je le crains du moins), et de laisser par conséquent encore cette pauvre petite sous un ciel dont la pesanteur ajoute a ses maux. Vous m'engagez à m'accommoder au temps. Je le ferais, s'il y avait jour et moyen; mais après tant de fautes de ma part, après tant d'affronts de la part des miens, il ne m'est plus possible de prendre une attitude digne, ou même de sauver les apparences. Vous parlez de Sylla; mais il n'y aurait qu'à admirer dans sa conduite, s'il y eut mis un peu plus de modération. Aujourd'hui, je dois m'oublier et n'avoir en vue que l'intérêt de tous, qui est devenu le mien. Ecrivez-moi souvent, car il n'y a que vous qui m'écriviez. Et quand j'aurais des lettres de tout le monde, je m'attacherais surtout aux vôtres. Lui, dites-vous, plus favorable à Quintus par considération pour moi ! Je vous ai déjà dit que son fils avait tout obtenu au premier mot, et que mon nom n'avait pas même été prononcé. Adieu. [11,22] A ATTICUS. Brindes, septembre. Le messager de Balbus m'a remis très-exactement ses dépêches. D'après un mot de vous, l'inquiétude vous aurait pris au sujet de la lettre dont il était chargé. Pourquoi faut-il que je l'aie reçue? elle n'a fait qu'accroître mes douleurs; et quand les dépêches seraient tombées en des mains étrangères, à qui eussent-elles appris quelque chose? Quoi de plus connu que sa haine pour moi et le style de ses lettres? César a communiqué celle-ci, non parce que le procédé le révolte, mais parce qu'il n'est pas fâché de mettre mes plaies au grand jour. Car quand vous venez me dire que Quintus peut s'être fait tort, et qu'il faut aller au devant, vous oublier qu'on n'a pas même voulu se faire prier pour lui ; ce dont je ne me fâche pas assurément, mais je suis fâché de voir que mon intervention n'y ait été pour rien. — Sylla sera, je pense, ici demain avec Messalla. Chassés par les légions, ils retournent en courant auprès de leur maître pour lui dire que les soldats veulent être payés avant de marcher. Ainsi, il sera obligé de venir, contre l'opinion générale. Seulement ce ne sera point de si tôt. Il s'arrête dans chaque ville des jours entiers. Pharnace aussi va le retarder, quoi qu'il fasse. Que me conseillez-vous? Ma santé résiste à peine aux influences d'un ciel malsain. C'est un nouveau mal à joindre à tant de maux. Ne pourrais-je me faire excuser de l'attendre par quelqu'un de ceux qui vont le rejoindre, et me rapprocher un peu de Rome ? Réfléchissez bien sur tout cela, je vous prie, et une fois au moins, après tant de prières inutiles, donnez-moi un conseil. Ce n'est pas chose facile, je le sais ; mais de deux maux on peut choisir le moindre. Votre présence surtout me serait utile : ce serait un grand point de gagné. Oui, ayez l'oeil à ce testament. [11,23] A ATTICUS. Brindes, juillet. Camille m'écrit que vous avez eu ensemble l'entretien que je désirais : j'attends votre réponse; mais pour un changement quelconque, fût-il indispensable, je le regarde comme impossible. Toutefois, puisqu'il m'écrit, je regrette que vous n'en ayez pas fait autant. L'avis ne vous est-il pas venu? seriez-vous malade? vous vous plaigniez de quelque indisposition dans votre dernière lettre. Il est arrivé ici de Rhodes, le 12 des ides de juillet, un certain Acusius qui m'a appris que Quintus était parti le 4 des kalendes, pour se rendre auprès de César. Philotime était arrivé la veille à Rhodes. Il avait des lettres pour moi. Vous entendrez Acusius lui-même : mais il chemine à très-petites journées. Aussi vais-je charger de ce mot un marcheur plus expéditif. Qu'y a-t-il dans ces lettres de Philotime? je l'ignore. Mais Quintus me félicite beaucoup. Pour moi, j'ai fait tant de fautes, que je n'imagine même rien de passable. — Songez à cette infortunée, je vous en conjure. Il faut, ainsi que je vous l'ai mandé, réaliser quelque chose, et la mettre à l'abri du besoin. Pensez aussi au testament. Ah ! que ne me suis-je décidé plus tôt ! mais j'ai eu peur de tout. En présence de faits aussi détestables, le divorce est ce qu'il y a de mieux. Du moins, ce serait un signe de vie. Cette proposition d'abolir les dettes, ces violations de domicile, cette intrigue avec Métella, ces scandales de toute sorte, en voilà plus qu'il ne fallait. La fortune alors n'aurait pas été engloutie, et j'aurais montre un cœur et des sentiments d'homme. Je me souviens de vos conseils ; mais ce moment si critique.... Hélas! à quoi tous ces ménagements ont-ils servi? c'est lui (Dolabella) maintenant qui semble nous menacer du divorce. Où en sommes-nous, grands dieux, si tout ce qu'on dit est vrai? Quoi ! sans parler de ce qui me touche, c'est mon gendre qui propose une banqueroute ! Oui, il faut le divorce, je le veux, comme vous le voulez vous-même. Il demandera peut-être le troisième quart de la dot. Dois-je voir venir? vaut-il mieux que je prenne l'avance? que me conseillez-vous? Dussé-je passer des nuits, s'il n'y a pas d'autres moyens, il faut que je vous voie. Ecrivez-moi là-dessus et sur tout ce qui peut m'intéresser. [11,24] A ATTICUS. Brindes, 6 août. Je reconnais la vérité de ce que vous m'avez écrit à moi-même et mandé antérieurement par deux fois à ma fille, sur mon propre compte. Quoique la mesure fût au comble, je n'en suis que plus malheureux encore de recevoir un tel affront sans laisser éclater mon ressentiment, ni même me permettre impunément la plainte. Je me résigne : mais avec ma résignation, il n'en faudra pas moins ensuite en venir à ce que vous me recommandez d'éviter. Je me suis si bien enferré, qu'en tout état de cause, et quoi qu'il arrive de la république, le résultat sera pour moi le même. — Je continue de ma main ; ce que j'ai maintenant à vous dire veut plus de mystère. Voyez un peu, je vous prie, ce qui en est pour le testament qui était fait lorsqu'elle (Térentia) a commencé à ne voir qu'elle et ses intérêts. Vous n'avez pas été ému de ses réflexions, je pense, puisqu'elle ne vous avait pas consulté, ni moi non plus. Cela étant, et puisque vous avez déjà abordé la question avec elle, vous pourrez facilement, ce me semble, lui insinuer de se confier à un tiers dont la fortune n'ait rien à craindre de la guerre actuelle, à vous par exemple; ce qui serait le mieux, si ma fille le voulait. La pauvre enfant! je lui cache mes craintes sur ce sujet. Quant à l'autre affaire, je sais que rien ne se vend aujourd'hui; mais il y a des valeurs qu'on peut mettre à part et cacher, pour les sauver du naufrage dont nous sommes menacés. — Ma fortune et la vôtre suffisent, dites-vous, pour moi et Tullie. La vôtre, oui; mais la mienne, qui peut dire ce qu'elle sera? Quant a Térentia, voici, entre mille, un de ses traits, auquel on ne peut rien ajouter. Vous lui aviez écrit de m'envoyer douze mille sesterces, qui formaient le reste de l'argent comptant. Elle ne m'en a envoyé que dix mille, qui sont, dit-elle, tout ce qui reste. Si elle grappille ainsi sur une telle misère, jugez ce qu'elle a pu détourner sur de grosses sommes. — Point de Philotime. Il ne m'a rien écrit, rien fait dire. Les gens qui viennent d'Éphèse prétendent l'y avoir vu occupé de procès; il est vraisemblable que rien ne se réglera avant l'arrivée de César. J'en conclus, ou que Philotime ne croit avoir aucun motif de se presser, c'est-à-dire, qu'on n'aura eu que des mépris pour moi ; ou que s'il a quelque chose d'intéressant à me dire, il ne se mettra en peine de venir me l'annoncer que quand toutes ses affaires seront finies. Cela me chagrine beaucoup, moins pourtant qu'on ne l'imaginerait; car en quoi m'importent les nouvelles de là-bas? (de César, à Alexandrie) Vous savez pourquoi je parle ainsi. — Il faut, dites-vous, accommoder mon visage et mon langage aux nécessités du temps. C'est assez difficile. Pourtant je saurais me contraindre, si j'y voyais un avantage. Vous pensez que les négociations d'Afrique peuvent se suivre par correspondance. Je regrette que vous ne me donniez pas les motifs qui vous le font croire. Je cherche en vain ce qui peut vous le persuader. Ne manquez pas de m'écrire pour peu que vous entrevoyiez quelque chose sur l'horizon ; et quand même il n'y aurait rien, écrivez-moi toujours. De mon côté, si j'apprends quelque nouvelle avant vous, je vous en ferai part. Adieu. Le 8 des ides d'août. [11,25] A ATTICUS. Brindes, 5 juillet. Je vois bien, hélas ! à quoi se résume votre longue lettre, et je ne vais pas à rencontre : vous n'avez plus de conseils, vous n'avez plus de consolations à me donner. Oui, ma douleur est au-dessus de toute consolation. Le sort n'est pour rien dans mon malheur. Cette idée me le rendrait supportable : tout vient de mon aveuglement. J'étais malade de corps et d'esprit, et il a fallu qu'aucun de mes proches ne voulût venir à mon aide ! Ainsi, plus de conseils, plus de consolation à espérer de vous? Eh bien ! je ne vous en demanderai plus. Seulement, je vous en prie, ne cessez de m'écrire, de m'écrire tout ce qui vous passera par la tête, chaque fois que vous trouverez à qui confier une lettre. Vous n'aurez pas longtemps à m'en adresser. César ne serait plus à Alexandrie, d'après une lettre de Sulpicius. C'est un bruit assez vague, que confirment cependant toutes les nouvelles postérieures. Vrai ou faux, il ne m'importe guère, et je ne sais trop ce qu'il me faut en souhaiter. — Quant au testament, je vous le répète, puissent-elles le mettre en mains sûres ! Pensez-y, je vous prie. Et ma fille, pauvre malheureuse, avec cet amour insensé! voila ce qui me ronge le cœur. Jamais femme n'eut de semblables destins. Si vous connaissez un moyen de les changer, de grâce indiquez-le-moi. Ici, je le crains, le conseil n'est pas plus aisé que pour le reste. Mais le reste n'est rien en comparaison. Payer le second terme de la dot! j'étais fou, j'étais aveugle que n'est-ce à recommencer? Mais le mal est fait. Tenez, je vous en conjure comme un homme qui se noie, cherchez, rassemblez chez moi tout ce qui peut être de défaite, meubles ou vaisselle; et le peu qu'on en tirera, mettez-le en sûreté. Nous touchons a la catastrophe. La paix est impossible, et l'état de choses actuel va s'anéantir, fut-ce de lui-même. Parlez à Térentia, si vous en trouvez le moment. Je ne puis tout écrire. Adieu. Le 3 des nones de juillet.