[6,0] LIVRE VI. [6,1] 257. — CICÉRON A ATTICUS, Laodicée, mars. J'ai reçu votre lettre à Laodicée, le 5 des fêtes de Terme, et j'y ai trouvé avec un vif plaisir de nouvelles marques de votre amitié, de votre bonté, de votre zèle et de votre empressement à me servir. Je vais y répondre comme vous me le demandez, et je ne me tracerai point d'autre ordre que le vôtre. Vous me dites d'abord que la dernière des lettres que vous avez reçues de moi était datée de Cybistre, le 10 des kalendes d'octobre, et vous voulez savoir quelles sont celles que j'ai reçues de vous. De toutes celles dont vous me parlez, il ne me manque que les deux que vous avez données aux esclaves de Lentulus, l'une à Equotutique, l'autre à Brindes. Vous n'avez donc pas perdu votre peine, comme vous l'appréhendiez, car ce n'est point la perdre que de me faire plaisir, et rien ne m'en a causé davantage. — Je suis charmé de voir que vous approuvez ma réserve avec Appius et ma liberté avec Brutus; j'avais craint le contraire. Appius m'a écrit, en s'en retournant, deux ou trois lettres un peu aigres, parce que je fais certaines choses autrement que lui. C'est comme si un médecin à qui l'on aurait ôté un malade , trouvait mauvais que son successeur eût recours à d'autres remèdes. Appius, qui a traité la province par le fer et le feu, qui l'a saignée, épuisée, qui me l'a remise expirante, trouve mauvais que je répare le mal qu'il a fait. Cependant, en même temps qu'il se plaint, il me remercie, et il a raison, car ce que je fais sauve son honneur. Ce qui l'irrite, c'est que je ne lui ressemble pas; on ne peut en effet se ressembler moins : la province a été, sous son gouvernement, ruinée de toutes les manières; sous le mien, il n'en a été rien exigé sous aucun prétexte. Que ne pourrais-je pas dire des préfets d'Appius, de ceux de sa suite, de ses lieutenants? de leurs rapines, de leurs violences, de leurs brutalités? Maintenant au contraire, la maison la mieux réglée ne présente pas autant d'ordre, de régularité, d'économie que cette province. Quelques amis d'Appius allèguent ridiculement que je n'affecte une bonne conduite que pour décrier la sienne, et que je me propose moins pour but, en faisant le bien, ma propre gloire que son déshonneur. Au reste, s'il est vrai qu'Appius me fasse des remercîments, comme le dit Brutus dans la lettre qu'il vous a envoyée, je les accepte; mais cela ne m'empêchera pas de changer, ce matin même, beaucoup de ses actes et de ses institutions iniques. — J'arrive maintenant à Brutus, dont j'avais, à votre sollicitation, recherché l'amitié avec tout l'empressement possible, et que j'avais même commencé à aimer; mais, le dirais-je ? non, je ne le veux pas, de peur de vous fâcher. Soyez certain que je n'ai rien préféré au désir de l'obliger, et que ce fut là mon premier soin. Il m'avait donné un mémoire; vous m'aviez vous-même recommandé ses intérêts, et je n'ai rien négligé. D'abord, j'ai été jusqu'à presser Ariobarzane de donner à Brutus l'argent qu'il m'offrait. Tant que ce roi est resté près de moi, il y a paru très disposé; mais ensuite il s'est vu pressé par une infinité de mandataires de Pompée, qui a seul plus de crédit que personne, surtout depuis qu'il passe pour devoir être chargé de la guerre des Parthes. Voici toutefois ce qu'il a pu obtenir : il touche par mois, sur les impositions extraordinaires, trente-trois talents attiques; ce n'est pas même l'intérêt de son argent ; mais il veut bien s'en contenter, et ne presse point pour le principal. Ariobarzane ne paye, ni ne peut payer aucun autre créancier; car il n'a point de trésor ni de revenu réglé : il est obligé, à l'exemple d'Appius, d'imposer des taxes, qui suffisent à peine pour payer les intérêts de Pompée. Ce roi a bien deux ou trois amis fort riches, mais ils gardent leur argent avec autant de soin que vous ou moi. Je ne laisse pas de lui écrire des lettres très pressantes et très énergiques. Déjotarus m'a dit qu'il lui avait fait aussi parler pour Brutus, et qu'Ariobarzane avait répondu qu'il n'avait point d'argent. Et certes, je le sais bien, caril n'y a pas de royaume plus misérable, ni de roi plus pauvre. Aussi je pense à me décharger de cette tutelle, ou bien, comme le disait Scévola pour Glabrion, je demanderai que l'on remette à mon pupille les intérêts et le principal. Quant à ces places de préfets que j'avais promises par vous à Brutus, j'en ai donné à M. Scaptius, et à L. Gavius, lesquels faisaient ses affaires dans la Cappadoce , et n'en faisaient point dans ma province. Vous vous rappelez que nous étions convenus qu'il pourrait disposer de ces places; pourvu que ce ne fùt point pour des gens engagés dans les affaires de la Cilicie. Je lui en réservais encore deux autres, mais ceux pour qui il me les avait demandées n'étaient plus dans la province. — Venons à ceux de Salamine. Je vois bien que vous ne saviez pas plus que moi que cet argent Mt à Brutus; il ne m'en avait jamais rien dit; bien plus, j'ai encore son mémoire qui commence ainsi : « La ville de Salamine doit de l'argent à M. Scaptius et à P. Matinius, mes amis particuliers. » Après me les avoir recommandés, il ajoute, afin de m'y intéresser davantage, qu'il leur a servi de caution pour une forte somme. J'avais obtenu qu'on les payerait sur le pied d'un pour cent par mois, en ajoutant à la fin de chacune des six années, les intérêts au principal ; mais Scaptius demandait quatre pour cent; j'aurais craint, en les lui faisant obtenir, de perdre votre amitié. C'était aller contre mon édit, et ruiner entièrement une ville qui est sous la protection de Caton et de Brutus même, et que j'avais comblée de biens. Maintenant Scaptius me présente une lettre de Brutus, qui dit que c'est lui qui est le plus intéressé dans cette affaire, ce qu'il ne m'avait jamais dit non plus qu'à vous. Il me demande aussi une place de préfet pour Scaptius; mais dans les offres que je lui fis par votre entremise, j'avais excepté les négociants. Et quand j'accorderais une de ces places à quelqu'un , il faudrait toujours exclure Scaptius. Il en avait une sous Appius, qui lui avait aussi donné quelques compagnies de cavalerie, avec lesquelles il avait tenu assiégé le sénat de Salamine, au point que cinq sénateurs moururent de faim. Aussi, le jour même où j'arrivai dans ma province, et où je l'appris, à Ephèse, des députés de Cypre, j'envoyai des ordres pour faire aussitôt repasser la mer à cette cavalerie. Voilà sans doute la cause des plaintes injustes que Scaptius a faites de moi à Brutus. Mais j'en ai pris mon parti. Si Brutus prétend que je devais faire payer Scaptius sur le pied de quatre pour cent par mois, malgré mes règlements et mes édits qui fixaient l'intérêt à un, et pendant que les usuriers les moins traitables se contentent de ce taux-là; s'il trouve mauvais que je lui aie refusé une place de préfet pour un négociant, lorsque Torquatus et Pompée, à qui j'en ai refusé, au premier, pour Lænius, votre ami, et au second, pour Sext. Statius, ont approuvé mon refus; s'il me reproche d'avoir fait revenir cette cavalerie, je regrette beaucoup de le mécontenter, mais je regrette bien davantage de le trouver si différent de ce que je l'avais cru. Scaptius avouera lui-même que j'ai voulu le faire payer sur le pied marqué dans mon édit. J'ai fait plus, et je ne sais si vous m'approuverez. L'intérêt ne devait plus courir du moment que les députés de Salamine offraient de payer et qu'ils voulaient mettre la somme en dépôt ; j'ai obtenu d'eux qu'ils ne feraient point de sommations, et ils ont bien voulu s'y engager, mais que deviendront-ils si Paullus vient me remplacer? J'ai agi en tout cela par considération pour Brutus, lequel vous parle de moi en termes fort obligeants, quoique les lettres qu'il m'écrit, même pour me demander quelque chose, soient au contraire dures, arrogantes, emportées. Je vous prie de lui rendre compte de tout ce que je vous ai dit, afin que je sache ce qu'il en pense; car vous m'en informerez. Je vous avais déjà rendu un compte détaillé de tout ceci dans ma dernière lettre; mais j'ai voulu vous montrer que je n'ai pas oublié ce que vous me dites dans une des vôtres, que quand mon gouvernement ne me donnerait que l'occasion de gagner l'amitié de Brutus , ce serait assez. Soit, puisque vous l'avez dit; mais vous ne voudriez pas, je pense, que ce fût aux dépens de la justice. J'ai fait pour Scaptius tout ce que me permettait mon édit. Si j'ai bien fait, je vous le laisse à juger, et n'en appellerai point même à Caton. — Je n'ai certes pas oublié les préceptes que vous m'avez donnés; je les porte en moi. Vous m'avez en pleurant recommandé le soin de ma réputation, et quelle est celle de vos lettres qui ne m'en fasse souvenir? Me blâme donc qui voudra. Je m'en consolerai, pourvu que j'aie la justice de mon côté, maintenant surtout que j'ai pris comme des engagements avec elles, en donnant mes six livres de la République, dont je suis charmé que vous soyez content. Vous y relevez seulement une faute contre l'histoire, au sujet de Cn. Flavius, fils de Cnéius. Mais ou ne peut le placer avant les décemvirs, puisqu'il fut édile curule, magistrature établie longtemps après le décemvirat. De quelle utilité, dites-vous, était-il qu'il publiât les fastes? L'ordre qui les réglait était, dit-on, inconnu autrefois, de sorte qu'unpetit nombre de jurisconsultes disaient les jours où il était permis de plaider; beaucoup d'auteurs ont écrit que c'est Cn. Flavius, alors greffier, qui publia les fastes et les formules du droit; et je ne l'ai pas dit, ou plutôt fait dire à Scipion l'Africain , sans de bonnes autorités. Ce que j'ai dit des gestes de comédien, vous l'avez interprété malignement; je n'y ai pas entendu finesse. — Vous avez appris, me dites-vous, par les lettres de Philotimus que j'ai été proclamé imperator; mais je compte que depuis votre arrivée en Épire, vous aurez reçu les deux lettres où je vous fais de tout cela un récit détaillé, et que j'ai données à vos gens, l'une après la prise de Pindénissum, et l'autre à Laodicée. J'ai envoyé à Rome par deux vaisseaux différents, pour plus de sûreté, deux copies de mon rapport des ces événements. — Je suis de votre avis sur ce qui regarde ma Tuliia, et je lui ai écrit, ainsi qu'à Térentia, que leur projet me convenait. Je me souviens de ce que vous me disiez dans une de vos lettres : Je voudrais que vous fussiez revenu à votre ancien troupeau. Il n'était point nécessaire de rien changer à la lettre de Memmius; car je préfère de beaucoup celui que Pontidia propose à celui de Servilia. Vous emploierez pour cela Aufius, qui n'a point cessé de m'aimer, et qui, avec le bien que lui a laissé son frère Appius, a, je pense, hérité de cette amitié, dont j'ai reçu des marques dans plus d'une occasion , et surtout dans l'affaire de Bursa. Vous me délivrerez ainsi d'une grande inquiétude. — Je ne suis pas du tout content de la clause de Furnius : le temps qu'il excepte est le seul pendant lequel j'aie quelque chose à craindre. Je vous en écrirais davantage là-dessus , si vous étiez à Rome. Je ne suis pas étonné que vous placiez tout votre espoir en Pompée, pour la tranquillité publique ; vous avez raison, et je crois qu'il faut retirer votre expression "en apparence". S'il n'y a pas beaucoup de suite dans cette lettre, ne vous en prenez qu'à vous; car je vous suis pied à pied. — Les deux jeunes Cicéron s'aiment beaucoup; on les instruit, on les exerce ensemble; mais on peut leur appliquer ce qu'Isocrate disait d'Ephore et de Théopompe; l'un a besoin qu'on lui tienne la bride, l'autre qu'on lui donne de l'éperon. Je me propose de faire prendre la robe virile au jeune Quintus le jour des Liberalia; car son père me l'a recommandé; je suppose, dans mon calcul, qu'il n'y a point eu d'intercalation. Je suis enchanté de Dionysius; nos jeunes gens disent qu'il est colère et violent; mais on ne peut avoir plus de science, de meilleurs meeures, et plus d'affection pour vous et pour moi. — On a raison de vous dire que Thermus et Silius sont fort estimés; leur conduite est des plus honorables, ainsi que celle de M. Nonius et de Bibulus, et que la mienne, si vous voulez. Je voudrais que Scrofa eût aussi l'occasion de se distinguer : il est pour cela dans une position admirable. Pour tous les autres, ils ne se piquent guère de suivre les maximes de Caton. Je vous suis fort obligé d'avoir recommandé mes intérêts à Hortensius. Dionysius pense qu'il ne faut rien espérer d'Amianus. Je n'ai aucune nouvelle de Térentius. Pour Méragène, il faut certainement qu'il soit mdrt. J'ai passé par ses terres, où il n'y a plus être vivant. Je ne le savais pas encore, lorsque je parlai à votre affranchi Démocrite. Je vous ai commandé des vases de Rhosus; mais comment l'entendez-vous? Vous nous faisiez servir des légumes dans votre vaisselle si artistement ciselée; que nous donnerez-vous dans ce plats de terre? L'ordre est donné de chercher un cor pour Phémius, et on en trouvera un ; mais qu'il ne joue alors que des airs qui eu vaillent la peine. —Nous sommes menacés d'une guerre contre les Parthes. Cassius n'a écrit que des lettres ridicules. Celles de Bibulus n'étaient pas encore arrivées; mais, quand elles le seront, j'espère qu'elles réveilleront le sénat. Pour moi, je suis dans une grande inquiétude d'esprit. Si, comme je le souhaite, on ne me continue pas dans mon gouvernement, je dois toujours craindre juin et juillet. Que Bibulus résiste pendant ces deux mois-là, que deviendra celui que je laisserai à ma place? et si c'est mon frère? et si je ne puis moi-même m'en aller sitôt? Tout cela m'embarrasse fort. Je suis néanmoins convenu avec Déjotarus qu'il viendra joindre mon armée avec toutes ses troupes. Elles sont composées de trente cohortes, chacune de quatre cents hommes armés à la romaine, et de deux mille chevaux. Avec ce secours on pourra arrêter les ennemis jusqu'à l'arrivée de Pompée, qui me dit dans ses lettres qu'il sera chargé de cette guerre. Les Parthes sont en quartiers d'hiver sur les terres de l'empire. Orode est attendu. Ce n'est pas une petite affaire. — Mon édit est conforme à celui de Bibulus, à cette clause près sur laquelle vous me disiez "que ce serait un préjugé trop peu honorable pour l'ordre auquel nous appartenons". J'en ai mis néanmoins une qui signifie la même chose, mais moins explicitement; je l'ai prise de l'édit de Q. Mucius, pour les provinces d'Asie; elle porte que si les conditions d'un traité sont injustes, on réglera les choses selon la bonne foi. J'ai conservé aussi beaucoup d'articles de Scévola, entre autres, celui qui permet aux Grecs de terminer entre eux leurs différends selon leurs lois, ce qui fait qu'ils croient jouir de la liberté. Mais mon édit est court, parce que j'ai tout réduit sous deux chefs; dans l'un, je traite des affaires qui sont proprement de la juridiction des gouverneurs, comme les comptes des villes, leurs dettes, l'intérêt de l'argent, les obligations, tout ce qui regarde les fermiers publics; l'autre contient plusieurs affaires que l'on juge ordinairement sur l'édit, et qu'on ne peut guère juger autrement, comme les testaments, les acquêts, les biens décrétés, les syndics des créanciers. Pour le reste, j'ai déclaré que je jugerais conformément aux édits des préteurs. Je m'attache et suis parvenu à contenter tout le monde. Les Grecs sont ravis d'avoir des juges de leur nation. Ce sont, me direz-vous, de plaisants juges; qu'importe? ces peuples croient avoir reconquis leur liberté. Ceux que vous avez à Rome sont, sans doute, des gens d'importance, un Turpion naguère cordonnier, un Vettius, revendeur?—Vous désirez savoir comment je suis avec les fermiers. Je les traite au mieux; je les accable d'honnêtetés, de louanges , de caresses; mais j'ai soin qu'ils ne soient à charge à personne. Ce que vous aurez peine à croire, c'est que Servilius leur adjugeait l'intérêt marqué dans leurs traités avec les villes; moi, je donne aux débiteurs un terme raisonnable; en les prévenant que s'ils payent avant ce temps-là, ils ne seront taxés qu'à un pour cent par mois, sinon, à l'intérêt convenu. Ainsi les Grecs ne sont pas trop chargés, et les fermiers sont très contents. Ils reçoivent de moi force compliments, et des invitations fréquentes. Que vous dirai-je de plus? Ils sont si bien avec moi qu'il n'en est pas un qui ne se croie mon meilleur ami. Cependant g-mehden g-autois.. Vous savez le reste. Quant à la statue de Scipion l'Africain (oh! la chose bizarre! mais elle m'a réjoui dans votre lettre), quoi ! Métellus Scipion ne sait pas que son bisaïeul n'a point été censeur? Cependant il n'a pas d'autre qualité que celle de consul dans l'inscription de la statue que vous avez fait placer dans un lieu élevé du temple d'Ops. Il en est de même de celle qu'on voit dans le temple de Pollux, et qui est certainement du même artiste, comme la posture, l'habillement, l'anneau et le visage même le démontrent. Et, en vérité, lorsque dans la foule de ces statues équestres dorées, que Métellus a fait placer dans le Capitole, je vis au bas de celle de Scipion l'Africain le nom de Sérapion, je pensai que c'était une erreur de l'ouvrier ; je vois maintenant que c'est Métellus qui l'a commise, et cette ignorance est impardonnable. S'il est faux que Flavius ait publié les fastes, cette erreur m'est commune avec beaucoup d'auteurs, et vous avez eu raison de ne rien décider : j'ai suivi l'opinion générale , comme font le plus souvent les Grecs. Qui n'a pas dit qu'Eupolis, poète de l'ancienne comédie, fut, en passant dans la Sicile, précipité dans la mer par Alcibiade? Ératosthène est contraire à cette assertion, puisqu'il avance que quelques-unes des pièces de ce poète furent composées depuis la guerre de Sicile. Duris de Samos, historien exact, perdra-t-il tout crédit pour avoir commis cette erreur avec tant d'autres? Qui n'a pas dit que Zaleucus avait donné des lois aux Locriens? en estime-t-on moins Théophraste, depuis que Timée, votre auteur favori, lui a fait un reproche de l'avoir répété? Mais il est honteux pour Métellus de ne pas savoir que son bisaïeul n'a pas été censeur, d'autant plus que personne de ce nom ne le fut depuis son consulat jusqu'à sa mort. Quant à ce que vous me dites de Philotimus et du payement de ces cinq cent quatre-vingt mille sesterces, je sais seulement qu'il est arrivé dans la Chersonnèse vers les kalendes de janvier, et je n'en ai pas encore reçu de lettres. Camillus m'écrit qu'il a touché le reste de mon argent; ce que c'est, je n'en sais rien, et désire bien le savoir. Mais je vous parlerai de cela une autre fois, et peut-être mieux verbalement. Il y a, mon cher Atticus, vers la fin de votre lettre un endroit qui m'a fait tressaillir. Après m'avoir dit : qu'ai je encore à ajouter? vous me recommandez affectueusement de ne pas me relâcher de ma prudence et de prendre garde à tout. Est-ce qu'il vous serait revenu quelque chose? Mais non, il n'y a pas d'apparence; cela ne m'aurait pas échappé, et rien ne m'échappera. Cependant cet avis, donné avec tant de soin, m'a paru devoir signifier je ne sais quoi. — J'approuve de nouveau la réponse que vous avez faite à M. Octavius ; j'y aurais voulu un peu plus d'assurance. Célius m'a envoyé un affranchi avec une lettre des plus pressantes; mais rien n'est moins raisonnable que ce qu'il demande au sujet des panthères et des villes. Je lui ai répondu sur ce dernier article que j'étais bien malheureux d'être si peu connu à Rome, qu'on n'y sût pas que je ne levais sur ma province aucune imposition extraordinaire, sinon pour le payement des dettes; que je ne pouvais pas plus lui accorder cet argent que lui l'accepter; je lui dis enfin, comme son ami, qu'il devait, après avoir accusé les autres, mettre plus de retenue dans sa conduite, et que, pour ces panthères, je ferais tort à ma réputation, si je contraignais les Cibyrates à faire pour lui une chasse publique. — Votre lettre a transporté de joie Lepta; elle est en effet très aimable pour lui, et il m'en sait beaucoup de gré. Je suis fort obligé à votre chère fille de ce qu'elle vous a si instamment recommandé de me saluer de sa part; je remercie aussi Pilia; mais plus particulièrement la première, qui ne m'a pas vu depuis longtemps; vous leur ferez donc mes compliments à toutes deux. Dans votre lettre du dernier de décembre, vous me rappelez un bien doux souvenir, celui du plus beau des serments; je ne l'avais certes pas oublié : je fus ce jour-là un grand consul. J'ai répondu à toutes vos lettres, non pas, comme vous le vouliez, en vous envoyant de l'or pour du cuivre, mais en vous servant comme vous m'aviez servi. Mais voici encore une petite lettre que je ne laisserai pas sans réponse. Luccéius pouvait certes vendre sa maison de Tusculum ; à moins toutefois... car il soupe d'ordinaire avec son joueur de flûte; je voudrais bien savoir où en sont ses affaires. J'apprends aussi que Lentulus a mis en vente, à cause de ses dettes , sa maison de Tusculum. Je souhaite de les voir plus à leur aise, ainsi que Sextius, et, si vous voulez, Célius. On peut dire d'eux tous : "Ils rougissent de fuir et craignent de combattre". Vous savez, je pense, que Curion songe à faire rappeler Memmius. J'espère, sans cependant y trop compter, vous faire payer par Egnatius de Sidicinum. Pinarius, que vous me recommandez, est tombé grièvement malade chez Déjotarus, qui en a le plus grand soin. Voilà tout ce que j'avais à répondre à cette petite lettre. Ne laissez pas, je vous prie, languir notre correspondance pendant mon séjour à Laodicée, c'est-à-dire jusqu'aux ides de mai; et lorsque vous serez arrivé à Athènes (on aura sans doute alors des nouvelles des affaires de Rome et de la distribution des provinces, dont on doit délibérer dans le mois de mars), envoyez-moi un exprès. — Mais est-il vrai, dites-moi, que vous ayez tiré de César, par le moyen d'Hérode, cinquante talents attiques? Pompée vous en veut, dit-on, beaucoup, car il regarde cette somme comme de l'argent que vous lui auriez enlevé. On dit aussi que César ne fera plus tant de dépepses pour la construction de sa maison d'Aricie. J'ai su tout cela par P. Védius, qui est un grand étourdi, mais ami de Pompée. il est venu au-devant de moi avec deux chariots, un char attelé de chevaux, une litière, et un si grand nombre d'esclaves, que si Curion fait passer sa loi , Védius sera certainement taxé à plus de cent mille sesterces. Il avait de plus un cynocéphale sur un de ses chariots; on y voyait même des onagres. Je n'ai vu de ma vie un homme si insensé. Mais écoutez le reste. Il logea à Laodicée chez Pompéius Vindullus, et y laissa ses effets lorsqu'il me vint trouver. Pendant ce temps mourut Vindullus, dont les biens devaient passer à Pompée. C. Vennonius étant allé mettre le scellé chez Vindullus, tomba sur ce qui appartenait à Védius. On y trouva cinq portraits de nos dames romaines, entre autres celui de la soeur de votre ami (Brutus) , qui devrait mieux choisir les siens, et de la femme de ce mari commode (Lépidus), qui prend tout cela avec tant d'indolence. J'ai voulu vous divertir, car nous sommes tous deux un peu curieux de pareilles histoires. —J'ai encore une chose à laquelle je vous prie de songer; j'apprends qu'Appius fait construire un portique à Éleusis; pourra-t-on me blâmer d'en élever un à l'Académie? Non, me direz-vous; écrivez-moi donc à cet égard. J'aime beaucoup Athènes; je veux y laisser quelque monument de cette affection. J'ai horreur de ces fausses inscriptions que l'on met à des statues qu'ont érigées les autres; mais je m'en rapporte entièrement à vous. Mandez-moi quel jour tombent les mystères cette année, et comment vous avez passé l'hiver. Ayez soin de votre santé. Le sept cent soixante cinquième jour depuis la bataille de Leuctres. [6,2] 261. — A ATTICUS. Laodicée, avril. Philogène, votre affranchi, est venu me saluer à Laodicée, et va, dit-il, vous retrouver bientôt : je lui remets cette lettre, par laquelle je réponds à celle que j'ai reçue par le messager de Brutus. Je commencerai par le dernier article, qui m'a beaucoup affligé, et où vous me parlez de ce que Cincius vous mande qu'il a entendu dire à Statius. Ce qui m'afflige par-dessus tout, c'est que Statius ait osé dire que j'approuvais cette résolution. Moi, l'approuver! mais il n'est pas besoin de me justifier. Je voudrais serrer encore davantage les liens étroits qui nous unissent, vous et moi, quoique ceux de notre amitié soient indissolubles, tant je suis éloigné de vouloir les rompre. Je l'ai souvent entendu (Quintus) dire à ce sujet des choses un peu dures; mais j'ai toujours apaisé sa colère; je pense que vous le savez. Et il est vrai que pendant le voyage, et durant nos expéditions, je l'ai vu souvent très courroucé, mais je l'ai calmé autant de fois. Je ne sais pas ce qu'il a écrit à Statius, et quelque intention qu'il ait eue, ce n'est pas à un affranchi qu'on doit s'en ouvrir. Je ne négligerai rien pour l'empêcher de prendre un mauvais parti; mais chacun doit s'y employer; c'est surtout le devoir et l'intérêt du jeune Cicéron, qui n'est déjà plus un enfant, et je ne manque pas de l'y exhorter. Il me parait avoir pour sa mère, et surtout pour vous, toute l'affection qu'il doit avoir. Il a beaucoup d'esprit, mais c'est un esprit changeant et difficile; et j'ai assez de peine à le gouverner. — Maintenant que j'ai répondu à la fin de vôtre lettre, je vais reprendre le commencement. Ce n'est pas sur le témoignage de quelque méchant auteur, que j'ai avancé que toutes les villes du Péloponèse étaient maritimes; c'est sur la foi de Dicéarque, dont vous faites un grand cas. Il reproche pour beaucoup de motifs aux Grecs, dans le récit que Chéron fait de l'antre de Trophonius, d'avoir bâti tant de villes sur le bord de la mer, et il n'en excepte aucune de celles du Peloponèse. Quoique j'estime fort cet auteur, (car il a du savoir et a vécu dans le Péloponèse), cela ne manqua pas de m'étonner, et je proposai mon doute à Dionysius. Il fut d'abord surpris; mais comme il n'a pas une moins grande estime pour Dicéarque, que vous pour C. Vestorius, et moi pour M. Clavius, il me dit que je pouvais m'en rapporter à cet auteur. Il prétend qu'il y a dans l'Arcadie une ville maritime nommé Lépréon. Pour Ténée, Aliphéra, et Tritria, il pense que ce sont des villes modernes, et il le prouve par le dénombrement d'Homère, où elles ne sont pas nommées. J'ai copié tout cet endroit mot pour mot de Dicéarque. Je sais bien qu'il faut dire Phliasii, et vous mettrez ce mot dans votre exemplaire, comme je l'ai mis dans le mien. C'est l'analogie qui m'avait trompé d'abord; et j'ai cru qu'il en était de g-Phlious comme d' g-Opous et de g-Sipous, d'où l'on a fait g-Opuntioi, g-Sipountioi ; mais je suis bientôt revenu de cette erreur. — Je vois que ma douceur et mon désintéressement sont pour vous un grand sujet de joie; vous en auriez bien davantage, si vous étiez ici, en voyant ce que j'ai fait à Laodicée, où, depuis le 13 de février jusqu'au premier de mai, j'ai réglé toutes les affaires de mon gouvernement, excepté celles de Cilicie. Beaucoup de villes sont entièrement libres de toutes dettes; beaucoup d'autres sont fort soulagées. Les peuples jugent entre eux leurs différends selon leurs lois, et ils revivent. J'ai fourni aux villes deux grands moyens pour se libérer, le premier, en ne tirant rien de la province pour ma subsistance, absolument rien, je le dis sans exagération, rien, pas même une obole; vous ne sauriez croire combien cette attention les a soulagées. Voici le second. Comme les Grecs qui avaient exercé des magistratures s'étaient frauduleusement enrichis aux dépens de leurs concitoyens, j'ai interrogé moi-même ceux qui ont été en charge depuis dix ans; ils m'ont tout avoué, et sans essuyer la honte d'un jugement, ils ont d'eux-mêmes restitué aux peuples l'argent qu'ils leur avaient pris. Les villes ont donc pu payer sans peine ce qu'elles devaient du bail actuel , dont les fermiers n'avaient rien touché, et tous les arrérages du précédent. Aussi suis-je au mieux avec ceux-ci. Ce ne sont pas des ingrats, me dites-vous; je m'en suis aperçu. Je m'acquitte de mes autres fonctions avec le même succès, et mon affabilité fait l'admiration de tout le monde. Je ne suis pas si difficile à approcher que les gouverneurs de provinces; rien ne se fait par mes gens; avant le jour, je me promène chez moi, comme autrefois quand j'étais candidat. On est charmé de ces manières, qui me coûtent bien peu, car je n'ai qu'à me rappeler mes premières armes. Je compte partir aux nones de mai pour la Cilicie; j'y passerai tout le mois de juin; et si les Parthes , qui nous menacent d'une grande guerre, me laissent en repos, je me mettrai en route au mois de juillet, afin de sortir de mon gouvernement le 3 des kalendes d'août, qui sera le dernier jour de mon année; j'ai en effet le plus grand espoir de n'être pas continué. J'ai reçu les actes de Rome jusqu'aux nones de mars, par où je juge que Curion s'opposera toujours avec la même fermeté à ce qu'on règle l'affaire des provinces. J'espère donc vous voir bientôt. — Je viens à Brutus, votre ami, ou plutôt le nôtre, puisque vous le voulez. J'ai fait pour lui tout ce que j'ai pu dans ma province, et auprès d'Ariobarzane. J'ai employé avec ce roi tous les moyens, et je lui écris encore tous les jours. Je l'ai eu trois ou quatre jours avec moi, pendant une sédition, dont je l'ai sauvé. Tant que je l'ai tenu, et depuis son départ, je n'ai cessé de le prier d'en finir; j'ai fait valoir auprès de lui et l'intérêt que je prends à cette affaire, et son propre avantage. J'ai fort avancé le succès; mais comme je suis maintenant très éloigné de lui, j'ignore jusqu'où j'ai pu réussir. Pour ceux de Salamine, sur qui j'avais autorité, je les ai obligés à payer Scaptius sur le pied d'un pour cent par mois, en comptant depuis leur dernière obligation, et en ajoutant, après chaque année, l'intérêt au principal. Ils comptèrent l'argent; Scaptius ne voulut pas le recevoir; et vous me dites, après cela, que Brutus veut bien perdre quelque chose? L'obligation portait quatre pour cent par mois; on ne pouvait payer cet intérêt, et quand on l'aurait pu, je ne l'aurais pas souffert. Scaptius, me dit-on, se repent beaucoup de ce qu'il a fait. En effet, le sénatus-consulte dont il s'appuyait et qui déclare cette obligation valable, n'a été porté que parce que les Salaminiens lui avaient emprunté de l'argent contre la loi Gabinia, qui frappait de nullité de telles obligations: Le sénat a voulu seulement lui assurer le payement de sa dette, sans le dispenser des lois ordinaires par rapport à l'intérêt. — Voilà ce que j'ai fait; je pense que Brutus m'approuverait; je ne sais si vous serez content; Caton sera certainement pour moi. Mais c'est maintenant à vous que je m'adresse. Quoi! mon cher Atticus, vous qui aimez tant l'intégrité et la délicatesse, vous me priez de donner des cavaliers à Scaptius pour se faire payer ! ' Quel mot, comme dit Ennius, est sorti de ta bouche ! Si vous étiez ici , vous qui m'écrivez que vous êtes quelquefois fâché de n'y être pas venu avec moi, me laisseriez-vous faire ce que vous me demandez ? Scaptius ne veut, me dites-vous, que cinquante cavaliers. Spartacus n'en avait pas tant lorsqu'il commença la guerre. Quel mal n'eussent-ils pas fait dans une île si faible? Ou plutôt quel mal n'y ont-ils pas fait déjà, avant mon arrivée? Ils ont tenu le sénat de Salamine assiégé pendant plusieurs jours, et plusieurs sénateurs sont morts de faim. Scaptius était préfet d'Appius; c'est Appius qui lui avait donné ces cavaliers. Et vous, vous que j'ai toujours devant les yeux quand je fais ou mon devoir ou plus que mon devoir, vous me priez de conférer ce titre à un tel homme! ne sommes-nous pas convenus de ne le donner à aucun négociant, et cela, avec l'approbation de Brutus? Scaptius demande de la cavalerie; pourquoi pas de l'infanterie? Depuis quand est-il devenu si prodigue? Mais , dites-vous, les principaux habitants consentent; je le sais, et c'est sans doute pour cela qu'ils sont venus me trouver à Ephèse, et qu'ils me firent en pleurant le récit des maux et des atrocités qu'ils ont eus à souffrir de ces soldats. Aussi donnai-je immédiatement des ordres pour les faire sortir de l'île avant une époque fixe. Cet ordre et toute ma conduite envers les Salaminiens m'ont valu de leur part les décrets les plus honorables. Mais que veut faire Scaptius de cette cavalerie ? Les Salaminiens veulent le payer. Il faudrait peut-être les obliger les armes à la main à payer quatre pour cent par mois ? Et comment oserai-je, après cela, lire ou seulement toucher ces livres dont vous êtes si content? Vous avez eu dans cette occasion, mon cher Atticus, trop, oui trop d'amitié pour Brutus, et trop peu pour moi. Je l'ai informé de tout ce que vous m'avez écrit pour lui. — Passons maintenant à autre chose. Je fais tout ici pour Appius, tout ce que l'honneur peut me permettre; je suis loin de le haïr, et j'aime Brutus. Pompée, pour qui je me sens de jour en jour plus d'amitié, me recommande aussi cette affaire avec beaucoup d'instance. Vous avez entendu dire que C. Célius vient ici comme questeur; je ne sais ce qu'il en est; mais... Cette affaire de Pammène me déplaît. J'espère être à Athènes au mois de septembre ; je voudrais savoir quand vous partirez, et quelle route vous prendrez. J'apprends par votre lettre de Corcyre ce trait de simplicité de Sempronius Rufus. Que voulez-vous? j'envie le pouvoir de Vestorius. Je voulais causer plus longtemps avec vous, mais il commence à faire jour; la foule est à ma porte; Philogène est pressé de partir. Adieu donc; faites mes compliments à Pilia et à notre chère Cécilia, quand vous leur écrirez. Mon fils vous salue. [6,3] 269. -- A ATTICUS. Cilicie, juin. Il n'est rien survenu depuis que je vous ai écrit par la voie de votre affranchi Philogène. Mais je renvoie Philotime à Rome; il faut bien le charger de quelques mots pour vous. Parlons d'abord de mon plus grand souci. Vous n'y pouvez rien toutefois; car l'affaire est en main et vous êtes aux rives lointaines. La « vaste mer roule ses flots entre nous. » Mais le temps a marché. C'est le 3 des kalendes d'août que mon mandat expire. De successeur point de nouvelles. Qui vais-je laisser à la tête de la province? La raison et l'opinion générale désignent mon frère. D'abord, parce que c'est un honneur, et qu'il en est le plus digne. Puis il est le seul de mes lieutenants qui ait été préteur. Car Pomptinius m'a quitté depuis longtemps, et ne m'avait suivi qu'à cette condition. Le questeur, de l'aveu de tous, n'est pas l'homme qu'il faut. Il est léger, sans moeurs, avide de tout gain. D'un autre côté, je n'ai guère l'espoir d'amener là mon frère. Il a cette province en aversion. Et certes, c'est bien la plus odieuse, la plus triste des provinces. Supposons d'ailleurs qu'il n'ose pas refuser son consentement; puis-je, en conscience, m'en prévaloir? La guerre menace sérieusement la Syrie; le feu peut gagner cette province. Elle n'est pas gardée, elle n'a de subsides assurés que pour mon temps d'exercice. Est-ce agir en frère que de laisser au mien un tel fardeau? Est-ce agir en ami de la république que d'y laisser un homme sans consistance? Vous voyez quelle perplexité est la mienne, et si j'ai besoin de conseils. Voulez-vous que je vous le dise? je me serais bien passé de tout ce tracas. Parlez-moi de votre province. Vous pouvez la quitter celle-là, quand il vous plaira, si ce n'est déjà fait, et déléguer à qui bon vous semble les gouvernements de Thesprotie et de Chaonie. Quintus ne m'a pas rejoint. Je ne sais donc pas encore ce que je pourrrai gagner sur lui. Et j'aurais son adhésion, que je ne saurais quel usage en faire. — Voilà où j'en suis sur ce point. Sous tout autre rapport, mon administration n'est que gloire et popularité. J'ai mis en action les principes de ces ouvrages que vous louez tant. J'ai ménagé les villes et satisfait les fermiers. Nul n'a essuyé de moi un affront. J'ai eu rarement à user de rigueur, et aucun de ceux que ma justice a frappés n'oserait s'en plaindre. J'ai acquis des droits au triomphe. On ne m'en verra pas ambitieux outre mesure. Je ne ferai de démarches que de votre aveu. L'affaire difficile est la remise de la province. Quelque dieu viendra s'en mêler, j'espère. — Vous savez mieux que moi ce qui se passe à Rome. Vous avez les nouvelles plus fraîches et plus sûres; je suis fâché de n'en pas trouver un seul mot dans vos lettres. On dit ici de vilaines choses de Curion et de Paullus. Ce n'est pas que je voie rien à craindre pour la république, tant que Pompée est là, debout et en sentinelle, ou même tant que Pompée respire. Pourvu seulement que les Dieux nous le conservent. Mais j'aimais Curion, j'aimais Paullus, et je m'afflige pour eux. Il faut, si déjà vous êtes à Rome, aussitôt du moins que vous y serez, que vous vous occupiez de me dresser un aperçu général de la situation , de telle manière que je puisse avoir une règle sur tout, et ma leçon faite à l'avance. C'est quelque chose en arrivant que de ne pas se trouver tout dépaysé, comme si l'on venait d'un autre monde. -- Et Brutus que j'oubliais ! Je vous l'ai déjà dit, je n'ai rien négligé pour son affaire. Les Cypriens allaient s'exécuter; mais Scaptius n'a pas voulu se contenter d'un pour cent par mois et de l'intérêt cumulé d'année en année. Pompée, travaillant pour son propre compte, n'a pas tiré d'Ariobarzane plus que moi pour Brutus. Je ne puis cependant lui forcer la main. Il est si pauvre, ce roi! De loin, it n'y avait moyen de s'entendre que par lettres. Je l'en ai assailli. En résumé, la créance de Brutus aura été mieux traitée que celle de Pompée. Déjà cette année Brutus a reçu comptant cent talents environ. Pompée en six mois n'a eu que des assurances pour deux cents. Relativement à Appius, je ne saurais dire quelles concessions j'ai faites à mon amitié pour Brutus. Enfin, je cherche ce que je pourrais me reprocher à son égard. Il a de tristes amis dans Matinius et Scaptius. Ce dernier peut-être jette feu et flamme contre moi, parce que je n'ai pas voulu mettre de cavalerie à sa disposition pour réduire les Cypriens, ce qu'il avait obtenu précédemment ; ou peut-être encore parce qu'il n'est pas préfet, position que je n'ai voulu laissé prendre à aucun mandataire d'intérêts privés; pas même à C. Vennonius, mon ami particulier, ni à M. Lénius qui est le vôtre. Je vous avais fait part de cette détermination à Rome, en vous quittant, et j'ai tenu bon. Mais de quoi se plaint-il? Il était maître d'emporter l'argent. Il n'a pas voulu. Quant au Scaptius de Cappadoce, celui-là doit être content de moi. Je l'ai nommé tribun à la recommandation de Brutus. Il a accepté; puis m'a écrit qu'il n'exercerait pas. — Il y a encore un certain Gavius dont j'avais fait un préfet , à la prière de Brutus, et dont la conduite et les propos, en toute occasion, n'ont cessé d'étre fort blessants pour moi. On dirait un des aboyeurs de Clodius. Il m'a laissé partir pour Apamée sans me suivre. Puis, ayant rejoint le camp, il en est reparti sans me demander mes ordres. Enfin il s'est mis, je ne sais pour quelle raison, en opposition flagrante avec moi. Quelle opinion auriez-vous de mon caractère, si j'eusse continué à l'employer? Moi qui jamais ne souffris les insolences des grands personnages, je me serais résigné à essuyer celles de cet avorton? et, qui plus est, à l'avoir près de moi, bien rétribué, honorablement placé? Dernièrement je le rencontrai à Apamée, comme il allait s'en retourner à Rome; et le voilà qui m'apostrophe d'un ton que je me permettrais à peine avec un Culléolus. A qui prétendez-vous que je m'adresse, dit-il, pour mes indemnités de préfet? Je répondis avec une douceur qu'on a trouvée excessive, que je n'allouais d'indemnités qu'à ceux dont j'avais accepté les services. Il partit furieux. Si Brutus épouse les ressentiments d'un faquin de cette espèce, vous pouvez l'aimer tout seul. Je ne vous ferai pas concurrence. Mais je suis sûr qu'il prendra la chose comme il le doit. Je suis bien aise cependant de vous rendre juge de ces détails, dont je n'ai pas manqué de l'instruire tout au long. Brutus (je le dis entre nous) ne m'écrit jamais sans se laisser aller çà et là à un certain ton d'arrogance et de hauteur. Témoin sa dernière lettre au sujet d'Appius. Il y a un passage que vous citez souvent. « Granius lui ne se méprise pas tant, et il a en aversion ces airs superbes. » Au surplus il vaut mieux rire de tout cela que de s'en fâcher. Mais vraiment Brutus ne songe pas assez à ce qu'il dit, ni à qui il parle. — Le jeune Quintus aura lu, j'imagine , ou plutôt j'en suis sûr, quelques-unes de vos lettres à son père. Il a coutume de les ouvrir, et c'est moi qui l'y ai engagé, car il peut s'y trouver des choses essentielles. Vous y aurez sans doute parlé de votre soeur comme à moi. Le fait est que j'ai vu ce jeune homme tout hors de lui, et il m'a confié son chagrin en fondant en larmes. Que vous dire, sinon qu'il a donné là une preuve touchante de sa tendresse pour sa mère, de son heureux naturel et de son bon coeur. J'en augure de plus en plus qu'il justifiera tout ce que nous espérons de lui. C'est pourquoi je vous fais part de cet incident. — Il faut que je vous dise aussi que le fils d'Hortensius s'est montré à Laodicée aux combats de gladiateurs, dans une tenue indécente et scandaleuse. A cause de son père, je le priai à souper le jour de son arrivée, et à cause de son père aussi, je m'en tins là. Il me dit qu'il m'attendait à Athènes, et de là me tiendrait compagnie jusqu'à Rome. Fort bien! repris-je. Comment répondre autrement? J'espère qu'il n'y songera plus. Pour moi , je n'en ai pas la moindre envie; je craindrais de désobliger son père que j'aime beaucoup. Toutefois, s'il faut subir le fils, je saurai bien m'arranger de façon à ne pas blesser le père; ce que je veux éviter à tout prix. — Voilà tout. Autre chose encore. Envoyez-moi le discours de Q. Céler contre M. Servilius. Une lettre, je vous prie, le plus tôt possible. S'il n'y a rien, dites-le-moi par un mot ou par votre messager. Mes compliments à Pilia et à votre fille. Portez-vous bien. [6,4] 273. — A ATTICUS. Tarse, juin. Je suis arrivé àTarse le jour des nones de juin. Des soucis graves m'y attendaient : une guerre sérieuse en Syrie, la Cilicie infestée de brigands, un plan de conduite à arrêter ; chose d'autant plus difficile que je n'ai plus que quelques jours à passer en charge ; enfin, et c'est là le pis, un successeur à désigner; ainsi le veut le sénatus-consulte. Le moins justifiable de tous les choix serait le questeur Mescinius. De Célius, point de nouvelles. Le mieux serait de laisser mes pouvoirs à mon frère avec le commandement des troupes, mais que d'inconvénients! notre séparation d'abord, puis la guerre imminente, et de si méchantes troupes; mille autres choses encore. L'insupportable position ! je m'abandonne au sort, la prudence humaine n'y peut rien. - Vous voilà de retour à Rome, et en bonne santé je pense. Je compte sur vos bons offices ordinaires pour tout ce qui me concerne, pour ma chère Tullie notamment. Pendant que vous étiez en Grèce, j'ai mandé à Térentia mes intentions. Je vous recommande aussi la marque d'honneur que je sollicite. Je crains qu'en votre absence on n'ait pas assez fait valoir au sénat le compte rendu de mes opérations. — Autre chose, mais je ne veux ici vous parler qu'à mots couverts. Exercez votre sagacité. « Aux propos décousus que m'a débités l'affranchi de ma femme, vous savez qui je veux dire, je suppose quelque infidélité dans le compte qu'il m'a rendu des biens du tyrannicide Crotoniate (Milon). Je crains que vous n'ayez pas le talent d' OEdipe. Examinez cela et tâchez de mettre le reste en sûreté ». Je n'ose exprimer toute ma crainte. Faites voler votre réponse, et que je la trouve en chemin. Je vous écris à la hâte au milieu d'une marche. Mes compliments à Pilla et à la charmante Attica. [6,5] 274. — A ATTICUS. Tarse, juin. Vous êtes sans doute à Rome. Cela étant, que je vous félicite de votre heureux retour. Il me semblait qu'en Grèce vous étiez pour moi plus absent encore. Et en effet j'étais moins au courant de mes affaires et de celles de l'État. Aussi , sans vous occuper du chemin que j'aurai déjà pu faire pour revenir, ne laissez pas d'échelonner le plus possible vos lettres sur ma route. Entrez-y dans les plus grands détails, notamment sur le point touché dans ma dernière; savoir qu'aux phrases entortillées et décousues, aux circonlocutions de l'affranchi de ma femme, je soupçonne qu'il ne m'a pas rendu bon compte de sa gestion touchant les biens du Crotoniate. Tâchez de pénétrer cela avec le coup d'oeil que je vous connais. Autres renseignements. Il s'est reconnu devant Camille, dans la ville des sept collines, débiteur envers moi de soixante-douze mines sur les biens du Crotoniate, et de quarante-huit sur ceux de la Chersonèse; et bien que depuis il lui soit rentré sur une succession douze cent quatre vingts mines en deux payements, il en est encore à se libérer d'une obole de cette dette, dont le terme est échu depuis les kalendes du second mois. Son affranchi, qui s'appelle comme le père de Conon, ne s'est donné non plus le moindre mouvement. Je vous recommande donc en premier lieu de me faire payer du principal, et s'il est possible des intéréts, qui ont couru du jour susdit. Je l'ai eu quelques jours ici sur les bras, et il m'a mis dans les transes. Il espérait quelque remise, et venait me tâter. Voyant que c'était peine perdue, il est parti brusquement, en disant : « Je me retire. Je rougirais d'attendre plus longtemps. » Il m'a encore jeté au nez l'ancien proverbe. "A cheval donné, etc". Mais songeons à autre chose; et voyons quel parti prendre. Mes fonctions vont expirer (je n'ai plus que 33 jours ), et jamais elles ne m'ont donné plus de tourment. La guerre désole la Syrie; et Bibulus en a tout le poids à soutenir, au milieu de son cruel chagrin. Ses lieutenants, son questeur, ses amis m'écrivent lettre sur lettre pour solliciter ma coopération. Mon armée est bien faible. Ce ne sont pas les auxiliaires qui me manquent; mais tous sont Galates, Sidiens, ou Lyciens : c'est à peu près là mon effectif. Cependant je crois de mon devoir, tant que j'aurai le commandement légal de la province , de me tenir toujours le plus près possible de l'ennemi. Mais, ce qui me charme, c'est que Bibulus n'est rien moins que pressant. S'il m'écrit, c'est de toute autre chose. Et, insensiblement, le jour du départ approche. Le terme une fois venu, autre problème à résoudre. Qui laisser à ma place? Encore si le questeur Caldus arrivait; mais je n'ai pas même entendu parler de lui. Sur ma parole, je voudrais vous en écrire plus long; mais la matière me manque. Et je ne suis guère en humeur de plaisanter pour remplir ma lettre. Adieu donc. Mes compliments à Atticula et à notre chère Pilia. [6,6] 281. — A ATTICUS. Sida, août. Tandis que je me constitue ici le fauteur d'Appius en toute chose, ne voilà-t-il pas que son accusateur devient mon gendre? Grand bien vous fasse, dites-vous. Soit : et vous le désirez, j'en suis sûr. Quant à moi, je ne pensais à rien moins, vous pouvez m'en croire. Tib. Néron m'avait même fait des ouvertures, et j'avais en son nom fait porter parole à ma femme par des gens de confiance. A leur arrivée, à Rome, les fiançailles étaient déjà faites. Après tout, je crois que ce parti vaut mieux. Ces dames paraissent enchantées des assiduités du jeune homme et de la grâce de ses manières. N'allez pas trop l'éplucher. Ah! vous faites distribuer du blé au peuple, à Athènes? Votre conscience est-elle bien en repos là-dessus? Au surplus, il n'y a rien de contraire à ce que je dis dans ma République. Ici ce n'est pas faire largesse à des concitoyens , mais bien à des étrangers. Vous voulez donc que je m'occupe de ce portique de l'Académie, quoique Appius ne songe plus à celui d'Eleusis. Vous devez être bien chagrin au sujet d'Hortensius. Pour moi, j'en suis malade. J'avais décidé de me rapprocher tout à fait de lui. — J'ai laissé la province à Célius. C'est un enfant, me direz-vous; vous pourriez ajouter, un fat sans cervelle, esclave de ses caprices. D'accord, mais je n'avais pas à choisir. Vos lettres à ce sujet sont d'une inlécision qui m'a mis au supplice. Cette indécision , je le voyais bien , venait des mêmes causes que la mienne. Donner ma confiance à un étourdi! Mais à mon frère? ce n'était pas faisable; or il n'y avait que lui que je pusse préférer à un questeur, et à un questeur noble surtout. Tant que les Parthes ont menacé, j'étais décidé ou à laisser mon frère, ou moi-même à rester d'urgence, en dépit du sénatus-consulte. Mais par un bonheur inouï, les Parthes ont fait retraite. Adieu l'incertitude. J'entendais déjà les propos : Ah ! il laisse le commandement à son frère! N'est-ce pas garder de fait la province au delà de son année? Que devient la volonté du sénat de n'appeler aux gouvernements que ceux qui n'ont pas encore de provinces? En voilà un qui a déjà « trois ans d'exercice. » Ceci est pour le monde. Mais, entre nous, j'eusse été dans des transes continuelles. Un accès de colère, un mot outrageant, une boutade ; que sais-je? Les hommes ne se changent pas. Et son fils, un véritable enfant! et si sûr de lui-même ! Quel chagrin si.... Le père entendait l'avoir avec lui , et trouvait fort mauvais que vous fussiez d'avis contraire. Quant à Célius, sans dire précisément : qu'il s'arrange, toujours est-il que j'y prends bien moins souci. Mais voyez Pompée, cette puissance si robuste et si profondément implantée, Pompée a choisi de lui même Q. Cassius; César a choisi Antoine; et j'irais , moi , faire un affront au questeur que le sort m'a donné? créer un ennemi au successeur de mon choix? Non, j'ai fait mieux, et j'ai pour moi plus d'un exemple. C'est le parti surtout le mieux entendu à mon âge. Mais vous, grands dieux! quel chemin je vous ai fait faire dans son affection, en lui lisant, comme de vous, une lettre de la main de votre secrétaire ! Mes amis m'excitent à demander le triomphe. En effet ce ne serait pas mal ouvrir l'ère d'une nouvelle existence. Allons, mon cher Atticus, ayez donc l'air d'y prendre un peu d'intérêt aussi. J'en serai moins ridicule à mes propres yeux. [6,7] 275. — A ATTICUS. Tarse, juillet. Le jeune Quintus, en bon fils, a réconcilié son père avec votre soeur. Je le poussais assez souvent; mais c'était peine superflue. Vos lettres aussi y ont été pour beaucoup. Enfin tout va se retrouver, je crois , sur le pied que nous désirons. Avez-vous reçu de moi deux lettres d'affaires en grec et en style énigmatique? Ne brusquez rien. Seulement vous pouvez, tout en causant, lui demander s'il m'a remis le solde du compte de Milon, et l'engager à en finir avec moi. Peut-être en tirerez-vous quelque chose. J'ai donné rendez-vous à Laodicée à mon questeur Mescinius, afin de pouvoir régler mes comptes, et en laisser copie, comme le veut la loi Julia, dans deux villes de la province. Je compte toucher à Rhodes, à cause de nos enfants, et de là voguer en toute diligence vers Athènes en dépit des vents étésiens qui nous soufflent vigoureusement en face. Je veux absolument arriver à Rome sous les magistrats actuels, qui se sont montrés pour moi dans l'affaire des supplications. Marquez-moi toutefois, avant que j'arrive, s'il y a quelque raison politique pour ne pas trop presser mon retour. Tiron vous aurait écrit, mais je l'ai laissé en arrière grièvement malade. Bien que les dernières nouvelles annoncent du mieux, je n'en suis pas moins au supplice. Je ne vis jamais de sentiments plus purs, un zèle plus soutenu que chez ce jeune homme. [6,8] 286. A ATTICUS. Ephèse, octobre. J'allais vous écrire et déjà j'avais la plume à la main, lorsque Batonius débarque, arrive droit chez moi à Ephèse et me remet votre lettre. C'était hier 2 des kalendes. J'apprends avec joie et votre heureuse traversée, et l'à-propos de votre bonne rencontre avec Pilia, sans oublier ce qu'elle vous a dit du mariage de ma Tullie. Batonius m'a fait sur César des récits épouvantables, et il a dit pis encore à Lepta. Tout cela sera faux, j'espère; mais c'est à faire frémir : que César ne veut à aucun prix remettre son armée; qu'il a pour lui les préteurs désignés, le tribun du peuple Cassius et le consul Lentulus; que Pompée songe à quitter la ville. Ah! dites-moi, ne vous attendrissez-vous pas un peu sur cet homme qui se mettait au-dessus de l'oncle de votre neveu? Battu ! et par qui? Je reviens à la question, prendre le pas sur l'oncle du fils de votre soeur! mais au fait, au fait. Les vents étésiens m'ont terriblement retardé : voilà vingt jours que ces bateaux plats de Rhodes me font perdre. Je m'embarque à Ephèse aujourd'hui , jour des kalendes, et je donne cette lettre à L. Torquitius qui fait voile en même temps que moi, mais qui voguera plus vite. Avec mes navires de Rhodes et mes longs bâtiments, il nous faut guetter les temps calmes. A cela près, nous ferons toute diligence possible. Mille remercîments pour cette misère de Pouzzol. Maintenant, mon cher Atticus, voyez un peu comme le vent souffle à Rome, et s'il est moyen de songer au triomphe; mes amis me pressent de le demander. Je ne m'en préoccuperais pas autrement, je vous assure, si je ne voyais Bibulus y prétendre; lui qui tant qu'il y a eu mine d'étranger en Syrie, n'a pas plus mis le pied hors de ses murailles qu'autrefois hors de sa maison. Maintenant il y aurait honte à se taire. Examinez la question sous toutes ses faces, afin que nous puissions en causer à mon arrivée et prendre un parti. Mais en voilà bien long, car j'ai hâte; le porteur de cette lettre n'arrivera qu'en même temps que moi, ou me devancera de bien peu. Cicéron vous fait mille compliments. Rappelez-nous tous deux au souvenir de Pilia et de votre fille. [6,9] 287. — A ATTICUS. Athènes, 15 octobre. Comme je débarquais au Pirée, la veille des ides d'octobre, mon esclave Acaste me remit une lettre de vous. J'en attendais une depuis longtemps; et, voyant celle-ci sous le cachet, je m'étonnai d'abord de son petit volume. Je l'ouvre; ma surprise augmente à l'aspect de cette petite écriture toute confuse, au lieu de votre main d'ordinaire si posée et si nette. Bref, j'y vois que vous êtes arrivé à Rome avec la fièvre le 12 des kaleudes. Naturellement je prends l'alarme; j'appelle bien vite Acaste : cette indisposition n'est rien, assure-t-il ; vous le lui avez dit vous-même, et c'est ainsi que chez vous tout le monde en parlait. Ce qui me le confirme, c'est ce mot à la fin de votre lettre, « un léger sentiment de fièvre ». Que vous êtes bon toutefois et que je vous ai admiré d'écrire malgré cela de votre main Je ne vous en dis pas davantage. Vous êtes prudent et sobre , et j'espère, sur la parole d'Acaste, que vous êtes maintenant aussi bien que je le souhaite. — J'apprends avec plaisir que vous avez reçu la lettre dont j'avais chargé Turannius. Prenez bien garde, je vous prie, aux manoeuvres de certain drôle (Philotime) dont le nom signifie cupidité. Assurez-moi cette petite succession de Précius, qui m'est bien douloureuse, car j'aimais beaucoup le défunt; si peu que ce soit, que notre homme n'y mette pas la griffe. Dites que j'ai besoin de ces fonds pour les dépenses du triomphe, de ce triomphe qu'on ne me verra au surplus, suivant vos conseils, ni rechercher avec vanité, ni dédaigner avec orgueil. — Turannius, vous a assuré, dites-vous, que j'avais laissé mon frère à la tête de la province. Comment pouvez-vous croire que je n'aie pas compris votre réserve? Vous ne me donniez aucun conseil; mais si vous n'aviez eu de fortes objections, auriez-vous hésité pour un frère que vous savez que j'aime si tendrement? Ne pas se prononcer en pareil cas, c'est dire non. A aucun prix, disiez-vous, ne laissez le fils avec le père; c'était ma pensée que vous exprimiez. Nous nous serions vus que nous n'aurions pas été plus d'accord. Il n'y avait pas d'autre parti à prendre, et votre persistance à ne pas vous expliquer a fait cesser mon irrésolution. Mais je vous ai écrit là-dessus fort en détail, et vous devez avoir maintenant ma lettre. Je compte vous expédier demain un exprès qui pourra bien arriver avant notre ami Sauféius mais, en conscience, je ne pouvais pas le laisser partir sans un mot pour vous. Ainsi que vous me l'avez promis, parlez-moi de ma chère Tullie, c'est-à-dire de Dolabella; puis de la république pour laquelle je prévois de grands orages; puis des censeurs, et surtout de ce qu'on fait pour les statues et les peintures. La loi est-elle proposée? C'est aujourd'hui le jour des ides d'octobre, et pendant que je vous écris, César fait sans doute entrer, comme vous me l'annoncez, quatre légions dans Plaisance. Où allons-nous et qu'allons-nous devenir? J'ai bien envie de m'enfermer dans la citadelle d'Athènes d'où je vous écris ceci.