[1,0] VARIAE. LIVRE I. [1,1] LETTRE I. A L’EMPEREUR ANASTASE, LE ROI THÉODORIC. Incitations à la paix entre l'Italie et Constantinople. C'est une obligation pour nous, très clément empereur, de chercher la paix. Il est notoire, en effet, qu'il n'y a entre nous aucun sujet de ressentiment. Or, celui-là ne met-il pas en suspicion l'honnêteté de son âme, qui se laisse voir mal disposé pour tout ce qui est juste ? Et quoi de plus désirable pour un royaume que la tranquillité ? C'est elle qui assure le progrès des peuples et sauvegarde les intérêts des nations. La paix ! C'est la gracieuse reine des beaux-arts ; c'est elle qui, par de réguliers accroissements, multipliant le genre humain, développe le bien-être, police les mœurs, et c'est montrer qu'on ignore ces biens que de négliger de la rechercher. Aussi votre puissance, aussi bien que votre dignité, nous fait un devoir, ô le plus pieux des princes, de rechercher votre amitié, dont nous sentons le désir croître toujours en nous. En vous, en effet, tous les royaumes reconnaissent leur plus belle gloire, le monde entier sa plus sûre sauvegarde ; et il n'est prince qui ne relève les yeux vers votre personne, comme si elle portait en elle un don particulier. Mais cela est surtout vrai de nous, à qui la grâce divine a fait apprendre dans votre empire l'art de commander avec équité aux Romains. Oui, votre gouvernement est le modèle sur lequel nous prenons de bonnes leçons, c'est le type unique de l'empire, et plus nous nous formons sur vous, plus nous pouvons l'emporter sur les autres nations. Vous m'exhortez fréquemment à m'attacher au sénat, à accueillir avec joie les lois impériales, à mettre en bonne harmonie tous les membres du grand corps italien. Comment pouvez-vous donc frustrer de l'auguste bienfait de la paix celui à qui vous souhaitez des sentiments qui ressemblent aux vôtres ? Joignez à ces motifs la sainte affection de la ville de Rome, dont on ne peut se séparer, une fois qu'on s'est uni à elle par la communauté de nom. C'est ce qui m'a poussé à vous adresser tel et tel en qualité d'ambassadeurs auprès de Votre sérénissime Piété, afin que la sincérité de la paix, que divers événements avaient troublée, soit, par l'apaisement des disputes, rétablie dans sa première fermeté. Non, je ne puis croire que vous souffriez que deux États qui sous les anciens princes ne firent jamais qu'un corps, conservent entre eux la moindre mésintelligence. Entre ces deux États, ce n'est pas assez des liens d'une oisive affection ; ce qu'il faut, c'est qu'ils unissent leurs forces pour s'entraider, et que l'empire romain n'ait plus qu'une volonté, n'ait plus qu'une pensée. Pour nous, que tout ce que nous avons de pouvoir, soit employé à votre gloire. C'est pourquoi, en vous offrant nos salutations respectueuses, nous vous demandons, avec humilité d'âme, de ne point interrompre à notre égard l'attachement si glorieux de votre bonté ; car, pussiez-vous refuser de l'accorder à d'autres, que je devrais, pour moi, en conserver l'espérance. Pour le reste, j'ai chargé les porteurs des présentes de l'exprimer de vive voix à Votre Piété, ne voulant pas allonger outre mesure cette lettre, ni avoir l'air d'oublier rien qui puisse nous intéresser. [1,2] LETTRE II. A L’ILLUSTRE THEONIUS, LE ROI THEODORIC. Fabrication de pourpre. Une communication du comte Étienne nous a fait savoir que la préparation de la robe sacrée, que nous eussions voulu te voir pousser avec toute l'activité que demandait cet ouvrage, est plutôt interrompue : mais tu sauras qu'en t'écartant du cours solennel des opérations, tu as fait preuve d'une lenteur détestable. Nous croyons qu'il y a eu quelque négligence, soit que les crins blancs, saturés deux et trois fois dans le bassin d'airain, n'aient pas bien pris la couleur, soit que les laines n'aient pas bu suffisamment la précieuse liqueur. Si le plongeur de la mer d'Otrante avait cueilli en temps voulu le précieux coquillage, celui-ci aurait rendu en se dissolvant dans l'eau une abondante quantité de cette pourpre éternellement éclatante qui fait l'ornement du trône; c'est la pourpre, qui distingue les rois, rend le maître admirable aux yeux, et défend au vulgaire de se tromper sur la qualité de celui qui la porte. Il est singulier que, si longtemps après la mort, cet animal saigne comme les êtres vivants saignent par leurs blessures. Six mois à peine après leur séparation du tronc natal, les fleurs de la pourpre marine n'ont plus rien qui offusque une narine délicate, et il en est sans doute ainsi pour que ce noble sang n'inspire d'horreur à personne. Une fois mêlé à l'étoffe, rien ne peut plus l'en séparer, il ne finit qu'avec elle. La qualité des coquillages étant bien la même, et la vendange étant mise au pressoir comme il faut, ce sera certainement la faute de l'ouvrier, si le suc ne vient pas en abondance. L'habile teinturier qui se prépare à plonger dans l'onde purpurine les houppes de soie neigeuses doit s'être soigneusement lavé des pieds à la tête; la plus secrète souillure répugne au succès de l'entreprise. Si toutes les conditions d'une bonne teinture ont été remplies; si rien n'a été omis des rites solennels, nous nous étonnons que tu songes si peu au danger où tu te mets, car pécher en de telles circonstances passe pour un sacrilège. Tant d'ouvriers, de marins, de paysans, que font-ils? Donc, si tu n'as pas abandonné le soin de ta fortune, si ton salut te touche encore, hâte-toi de paraître devant nous, aussitôt que tu auras eu ces présentes des mains du porteur. Autrement nous t'enverrons encore quelqu'un, non plus pour te presser, mais pour te punir, si tu crois te jouer encore de nous par ces retardements. Mais cette grande découverte, sais-tu comment elle s'est faite? Un chien famélique qui errait sur le rivage de Tyr vit des coquillages de pourpre, se jeta dessus, et le sang qui en coulait lui teignit les mâchoires d'un rouge magnifique. Et comme il est naturel aux hommes de tirer des circonstances fortuites des enseignements à leur profit, ils méditèrent sur ce qu'ils avaient vu là, et firent d'une substance sans valeur l'ornement des rois. Otrante est le Tyr de l'Italie, c'est le vestiaire des cours, vestiaire non pas à garder les vieux habits, mais à en envoyer de neufs sans discontinuer. Vois donc si quelque chose t'empêche de faire, en cela, moins que nous ne sommes en droit d'attendre de toi.