Mais qui pourra donner assez de louanges à cette fille, qu'on appelle la Pucelle d'Orléans , qui, quoique d'une basse extraction, s'est cepen- dant rendue très-illustre. L'an 1428, les Anglais ayant pénétré bien avant dans la France , cette fille , comme une nouvelle Amazone , prit les armes , se mit à la tête de nos armées, et combattit avec tant de courage et de bonheur , qu'après avoir vaincu les Anglais dans plusieurs combats., elle reconquit le royaume des Fran- çais, qui étoit,presque tout perdu. Pour conserver le souvenir de. cette éclatante action , on a élevé à cette fille valeureuse une statue à Orléans, sur le pont de la Loire. Je pourrois ti- rer des histoires desGrecs, des Latins, et des autres peuples, tant anciennes que nouvelles , une infinité d'exem- ples de cette sorte ; mais cela me meneroit trop loin : j'ai dessein d'être court. En effet , Plutarque , Valère, Bo- cace et plusieurs autres, rapportent grand nombre d'histoires de femmes qui se sont rendues recommandables. C'est pourquoi il reste encore plus de choses à dire à la louange des fem- mes, que je n'en ai dit. D'ailleurs, je ne suis pas assez présomptueux pour m'imaginer pouvoir renfermer dans un si petit ouvrage tout ce qu'il -y a de belles qualités et de vertus dans les femmes. Car qui seroit assez ha- bile pour développer ét mettre dans son jour, tout ce qu'il ya de louable en elles : elles de qui nous tenons l'être , par qui le genre humain se perpétue éternellement, et enfin par qui se maintiennent les familles et la république entière. xxv. MeaQvss d'honneur rendues à la Femme. LE fondateur de la ville de Rome , persuadé que son empire ne dureroit guères s'il n'y avoit des femmes , et voyant qu'il n'en avoit point, ne fit pas difficulté de s'engager dans une guerre cruelle avec les Sabins, en leur enlevant leurs filles. Les Sabins se rendirent maîtres du Capitole; les deux peuples se livrè- rent un sanglant combat dans la place publique ; mais les femmes s'étant mises entre les deux armées, le com- bat cessa; les Romains firent la paix avec les Sabins et lièrent amitié ensemble. C'est pourquoi Romulus donna aux Curies les noms de ces filles, p r lesquelles il divisa son peu- ple ; et les Romains demandèrent qu'on mît , par exception , dans les tables publiques , que la femme ne moudroit point le blé , et ne feroit point la cuisine. On défendit que la femme reçût rien de son mari , ni le mari de sa femme comme un présent; afin qu'ils sussent que tout étoit com- mun entre eux. C'est pourquoi, dans la suite , l'usage étoit que ceux qui introduisoient l'épouse, lui faisoient dire à son époux : où vous êtes, j'y suis : comme si elle eût dit , où vous êtes seigneur et maître, je suis maîtresse. Ensuite, après l'expulsion des rois, les Volsques, sous le commandement de Coriolan , s'étant avancés jusqu'à la cinquième pierre , ils en furent chassés par le moyen des femmes. En reconnoissance de ce bienfait on consacra un temple magnifique à la bonne fortune des femmes. De plus , par arrêt du Sénat , on déféra aux femmes plusieurs marques d'hon- neur et de gloire : entre autres, il fut ordonné que les hommes leur céde- roient toujours le côté le plus élevé et le plus honorable dans les rues : on leur permit encore de porter des ha- bits de pourpre avec des franges d'ar- gent , de s'orner de diamans, de bou- cles d'oreilles , de bagues et de col- liers. Les empereurs , dans. la suite , ont eu soin que , lorsqu'il y auroit dé- fense en quelque lieu de porter cer- tains habits ou certaines parures , ces lois ne regardassent jamais les femmes. On leur a donné droit aux successions et aux héritages. Les lois ont encore permis qu'on accom- pagnât les funérailles des femmes , de discours et d'éloges funèbres , comme on fait à celles des grands hommes. Nous voyons que n'y ayant pas assez d'argent dans Rome , pour sa- tisfaire au voeu de Camille, qui avoit promis un présent considérable à -Apollon de Delphes; les femmes don- nèrent, de leur plein gré, tous leurs joyaux. Nous voyons encore dans la guerre qu'avoit Cyrus contre Astya- ge , que l'armée des Perses étant mise en fuite , elle se rallia , piquée par les reproches des femmes , re- vint au combat, et: remporta une il- lustre victoire; en reconnoiesance de quoi Cyrus ordonna que les rois de Perse, en entrant dans la ville, don- neroient à chaque femme une pièce d'or : ce qu'Alexandre fit les deux fois qu'il entra dans cette ville ; Cy- rus ordonna encore qu'on donneroit le double aux femmes enceintes. Les femmes ont donc été comblées de marques d'honneur, dès le temps des plus anciens rois des Perses , et dès la naissance de l'Empire romain. Les empereurs mêmes n'ont pas eu de moindres égards pour elles ; c'est pourquoi l'empereur Justinien a cru devoir consulter sa femme sur toutes les lois qu'il établissoit. Une des- quelles dit : que la femme brille de la gloire de son mari ! qu'elle soit couverte de son éclat! afin qu'autant que le mari sera élevé en honneur et en dignité , sa femme le soit aussi avec lui. C'est pour cela que la femme d'un empereur est appelée Impératrice; la femme d'un roi a le titre de reine ; celle d'un prince , ce- lui de princesse , quelle que soit sa naissance. Et Ulpian dit encore : Le prince , c'est - à - dire , l'empe- reur , n'est pas soumis aux lois ; mais Augusta qui est l'épouse de l'empe- reur, quoi qu'en elle-même elle y soit soumise , cependant l'empereur lui communique et partage avec elle ses priviléges. C'est pour cette raison qu'il est permis aux femmes de condition d'opiner et de juger dans des affai- res, de faire arrêter gens à leur ser- vice , et de décider des contestatiorts agitées entre leurs vassaux. C'est en- core pour cela qu'une femme peut avoir ses domestiques , de même que son époux. Elle peut même être ar- bitre dans des différends de person- nes qui ne lui appartiennent pas. La femme peut même faire porter son nom à sa famille; de sorte que les enfans mâles aient le-nom de la mère et non celui du père. XXVI. PRIVILÉoas accordés à la Femme par les Lois. Les femmes ont encore de grands priviléges dans ce qui regarde leur dot. Les lois sont expresses là-dessus en différens endroits du corps du Droit. Il est même ordonné, pour la sûreté des femmes et afin que leur ré- putation ne soit point flétrie, qu'au- cune d'elles ne peut être mise dans les prisons pour dettes civiles ;bien plus, la loi menace de mort le juge qui l'au- roit fait emprisonner. Si une femme est soupçonnée d'avoir fait quelque faute, la loi ordonne qu'on la mette dans un couvent , ou qu'on laisse à des femmes le soin de la faire enfer- mer : la raison de cela est, comme l'insinue la loi , que la femme est meilleure que l'homme, parce que, pour une même faute , il est beau- coup plus répréhensible qu'elle. Azo, dans sa Somme , et le spéculateur , touchant les renonciations, rappor- tent plusieurs autres priviléges ac- cordés aux femmes. XXVII. Las Femmes sont capables de tout ; l'Histoire -en fait foi. Nous voyons encore que Lycurgue et Platon , ces anciens législateurs , ces chefs de la république, ces hom- mes illustres par leur sagesse , leur savoir et leur prudence, convaincus, par les lumières de la philosophie , que les femmes ne sont pas moindres que les hommes, par l'excellence de leur esprit, la force de leur corps et la dignité de leur nature ; nous voyons, dis-je , ces hommes, les plus sages de l'antiquité, ordonner que les femmes s'exerçassent, comme les hommes, à la lutte et aux autres exercices du corps ; qu'elles apprissent la discipline de la guerre, à tirer de l'arc, à jeter des flèches, à se servir de la fronde , à lancer des pierres , à combattre , armées , soit à pied soit à cheval, à disposer un camp, à ranger une armée en bataille, à la conduire. En un mot , ils vouloient que tous les exercices des hommes fussent communs aux femmes. Si nous lisons d'anciennes histoi- res dignes de foi , nous y verrons les hommes de la'Gétulie, de la Bac- triane, aujourd'hui le Chorozan, et de la Galice en Espagne , croupir dans la mollesse et l'oisiveté, tandis que les femmes cultivent la campa- gne, bâtissent des maisons, font les affaires , montent à cheval , font la guerre, et prennent tous les soins qui sont parmi nous le partage des hom- mes. Dans la Cantabre, aujourd'hui la Biscaie , les hommes apportoient leur dot en se mariant , les' soeurs faisoient les mariages de leurs frères, et les filles étoient les premiers hé- ritiers. Parmi les Scythes, les Thraces et les Gaulois , les femmes et les hom- mes faisoient conjointement toutes choses ; les femmes traitoient de la paix et de la guerre; et elles avoient leur voix dans les jugemens et les délibérations. Le traité des Celtes avec Annibal en est une preuve; et le voici : Si quelqu'un des Celtes se plaint d'avoir reçu des torts de la part de quefque Carthaginois, les ma- gistrats et les généraux des Cartha- ginois, qui se trouveront en Espagne, en seront juges ; mais si un Celte a fait quelqu'injustice à un Carthagi- nois , les femmes en seront juges. XXVIII. L'tTAT où est la Femme aujourd'hui, est par usurpation de ses droits. Mecs la tyrannie et l'ambition des hommes ayant pris le dessus, contre l'ordre du créateur et. l'institution de la nature, la liberté, qui avoit d'a- bord été accordée aux femmes , leur est ôtée aujourd'hui, me direz-vous, parles lois; l'usage universel de tous les peuples y est opposé , et la ma- nière dont on élève les femmes les en éloigne. En effet , à peine une fille est-elle née , on la tient renfermée dans la maison, sans l'occuper à rien de so- lide ou de sérieux ; et comme si elle n'étoit pas capable de plus grandes choses , on veut qu'elle fasse son uni- que occupation de son fil et de son aiguille. A-t-elle atteint l'âge de puberté, on la met sous la dure domination d'un mari , ou on la renferme , pour toute sa vie, dans un monastère. Les lois l'éloignent de toutes les charges publiques. Quelque esprit qu'elle ait, on ne lui permet point de parler dans le barreau, on ne lui accorde aucune juridiction, aucun droit d'ar- bitre , d'adoption, d'opposition; on ne lui confie nulle affaire : on ne lare- çoit point pour tutrice ou curatrice; elle ne peut se mêler ni de testamens, ni d'affaires criminelles. On interdit la prédication aux femmes, quoique l'écriture dise dans Joël : vos filles prophétiseront ; et que, du temps des apôtres , elles enseignassent publiquement, comme il est dit d'Anne , des filles de Phi- 1 lippe et de Priscille. Mais les derniers législateurs ont été bien différens des premiers; ils ont regardé les femmes comme beau- coup au - dessous des hommes. Les femmes doivent cependant se sou- mettre à ces lois, comme les vaincus sont obligés de céder à l'autorité des vainqueurs. Ce ne sont point les lois de la nature , ni du créateur , ni en- core moins la raison qui les y obli- gent ; mais une m$lheureuse cou- tume , une fatale education , leur sort malheureux et un hasard in- juste les y engagent. X X I X. I.e Femme n'est point faite pour obéir à l'homme. MA1s il y a des hommes qui veu- lent faire servir l'Écriture à les dis- culper de la tyrannique autorité qu'ils ont prise sur les femmes : ils croient leur domination bien établie sur ces paroles que Dieu adressa à Eve après sa chute. Tu vivras sou- mise à ton mari , et il dominera sur toi. Ils ont ces mots continuellement dans la bouche. Si on leur répond que Jésus-Christ a levé cette malé- ' diction , ils répliqueront aussitôt par ce passage de saint Paul : Que les femmes soient soumises à leurs maris; que les femmes se taisent dans l'église. Mais quiconque connoît un peu le style de l'Écriture, et ses manières de parler , verra aisément que ces pas- sages ne nous sont contraires qu'en apparence. Car c'est l'ordre de la dis- cipline ecclésiastique, que les hom- mes soient préférés aux femmes dans le ministère sacré , de même que les Juifs étoient préférés aux Gentils dans l'ordre des promesses ; mais Dieu ne fait acception de person- ne : il n'y a en Jésus-Christ ni mâle , ni femelle, mais une nouvelle créature. 'Et , de plus, tous ces airs d'auto- rité n'ont été permis à l'homme qu'à cause de la dureté de son coeur; de même qu'il a été permis aux Juifs de répudier leurs femmes ; mais tout cela ne blesse en rien la dignité de la femme , et même les femmes re- dressent souvent les hommes, lors- qu'ils se trompent. La reine de Saba ne jugera-t-elle pas un jour les hom- mes de Jérusalem ? Les hommes donc qui, étant justi- fiés par la foi , ont été faits les enfans d'Abraham , c'est - - dire, les en- fans de la promesse, sont soumis à la femme, et ils sont obligés d'obéir à l'ordre que Dieu donna à Abraham Faites tout ce que vous dira Sara votre femme. XXX. R,£CAPITULATION et Conclusion de ce Traité. FAISONS l'abrégé de tout ce traité. Nous y avons prouvé la grandeur et l'excellence des femmes au-dessus des hommes , par le nom donné à la première femme , par l'ordre du temps auquel elle a été créée; par le lieu de sa formation , par la matière dont elle a été faite : nous l'avons encore montré par des preuves tirées de la religion, de la nature des lois humaines , par différentes autorités, par plusieurs raisons , et par une infinité d'exemples. Mais il faut convenir que nous n'en avons pas tant dit , qu'il n'en reste encore beaucoup plus à dire. Je n'ai point entrepris de faire ce traité par vanité, ou pour m'attirer des louan- ges; mais par devoir et par amour de la vérité; craignant qu'en gardant un silence criminel, je ne privasse le beau sexe des louanges qui lui sont dues , et ne devinsse ainsi très-cou- pable d'avoir enfoui le talent que j'avois recu ; ayant connu , mieux qu'un autre , les raisons de la gran- deur et de l'excellence des femmes. Si quelqu'un , plus exact que moi , trouvoit des preuves nouvelles qui pussent embellir ce traité; loin de le regarder comme un critique mordant , je lui saurois gré de m'a- voir secondé , et d'avoir rendu , par ses lumières et ses recherches, ce petit ouvrage plus complet et plus riche. Je le finis ici brusquement , car je craindrois qu'il n'eût enfin une longueur excessive.