[12,0] SERMON XII. Le parfum de la piété est le plus excellent de tous. Respect que les inférieurs doivent avoir pour leurs supérieurs. [12,1] Il me souvient que je vous ai parlé de deux parfums ; de celui de la contrition, qui comprend plusieurs péchés, et de celui de la dévotion qui contient plusieurs bienfaits : tous deux, salutaires, mais non pas tous deux agréables. Car le premier a une vertu piquante qui se fait sentir, parce que le souvenir amer des péchés porte à la componction, et cause de la douleur; au lieu que le second a une vertu lénitive, qui donne de la consolation et apaise la douleur par la considération de la bonté de Dieu. Mais il y a un parfum qui est bien plus excellent que les deux premiers, je l'appelle le parfum de la piété, parce qu'il est composé des nécessités des pauvres, de l'abattement des opprimés, du trouble de ceux qui sont tristes, des fautes de ceux qui pèchent, et enfin de tous les malheurs des misérables, fussent-ils nos ennemis. Ces ingrédients semblent méprisables, mais le parfum qui en est formé, surpasse infiniment tous les autres. Il a une vertu qui guérit. « Car bienheureux sont ceux qui font miséricorde, parce qu'ils recevront miséricorde (Matth. V, 7). » Donc, plusieurs misères ramassées ensemble, et regardées par l'oeil de la piété, sont la matière qui compose ces parfums précieux, dignes des mamelles de l'Épouse, et agréables aux sens de l'Époux. Heureuse est l'âme qui a soin de s'enrichir et de s'inonder de ces parfums, de les étendre de l'huile de la miséricorde, et de les faire cuire au feu de la charité. Qui croyez-vous que soit cet homme bienheureux, dont parle le Prophète, qui a pitié et qui prête (Psal. CXI, 5); sinon celui qui compatit volontiers aux maux des autres, qui est prompt à les secourir, qui met plutôt son bonheur à donner qu'à recevoir, qui est facile à pardonner et difficile à se mettre en colère, qui ne se venge jamais, et qui en toutes choses regarde les nécessités de son prochain, comme les siennes propres ? O âme bienheureuse, qui que vous soyez, qui êtes dans une si sainte disposition, qui êtes pleine de la rosée de la miséricorde, qui avez des entrailles de charité, qui vous rendez toute à tous, qui vous considérez comme un vase perdu, afin d'assister et de secourir les autres en tout temps et en tout lieu, et enfin qui êtes morte à vous-même, pour vivre à tout le monde, vous possédez certainement ce troisième et précieux parfum, et il coule de vos mains une liqueur infiniment douce et agréable. Elle ne se sèchera point dans les temps mauvais, et l'ardeur de la persécution ne la fera point tarir; Dieu ne mettra en oubli aucun de vos sacrifices, et il rendra parfait votre holocauste. [12,2] Il y a des hommes riches dans la cité du Seigneur des vertus. Il faut voir si quelques-uns d'entre eux, ont ces parfums. Le premier qui se présente à moi, et qu'on rencontre ordinairement partout, c'est Paul, ce vase d'élection, ce vase vraiment aromatique et odoriférant, ce vase rempli de toutes sortes de poudres de senteurs. Car il était la bonne odeur du Christ en tout lieu. Certes, ce coeur généreux qui prenait tant de soin de toutes les Églises de la terre, répandait bien loin des parfums d'une douceur incomparable. Voyez un peu de quelle nature étaient ceux dont il s'était fourni. « Tous les jours, dit-il, je meurs pour votre gloire (I Cor. XV, 31). » Et encore : « Qui s'affaiblit sans que je m'affaiblisse aussi avec lui, qui est scandalisé sans que je brûle (I Cor. XI, 29) ? » Et beaucoup d'autres choses semblables que vous connaissez, et que cet homme si riche avait en abondance, et dont il se servait pour composer les plus excellents parfums. Il était bien juste d'ailleurs, que les mamelles qui allaitaient les membres de Jésus-Christ, dont Paul était comme la mère, car il les engendra plusieurs fois, jusqu'à ce que le Sauveur fût formé en eux, et qu'ils eussent quelque rapport et quelque proportion avec leur chef, fussent embaumées par les parfums les plus rares et les plus précieux. [12,3] Écoutez encore comment un autre juste avait en main des matières choisies, dont il composait d'excellents parfums. «Nul pèlerin, dit-il, n'a jamais couché dehors. Ma porte a toujours été ouverte à ceux qui voyageaient (Job. XXXI, 32). » Et ailleurs : « J'ai servi d'oeil à l'aveugle, et de pied au boiteux. J'étais le père des pauvres; je brisais les mâchoires du méchant, et lui arrachais sa proie d'entre les dents. Qu'on dise si j'ai refusé aux pauvres ce qu'ils désiraient, et si j'ai fait languir les yeux de la veuve, après ce que je lui voulais donner; si j'ai mangé seul mon pain, et, si le pupille ne l'a pas mangé avec moi; si j'ai méprisé un passant, parce qu'il était mal vêtu, et un pauvre qui n'avait point d'habit ; s'il ne m'a pas béni de ce que je le couvrais, et s'il n'a pas été réchauffé de la laine de mes brebis (Job. XXIX, 15). » De quelle odeur pensons-nous que ce juste avait embaumé la terre par ses œuvres de charité ? Chacune de ses actions était autant de parfums. Il en avait rempli sa propre conscience, afin de modérer l'infection de sa chair corruptible, par l'odeur agréable qui s'exhalait du fond de son âme. [12,4] Joseph, après avoir fait courir après soi toute l'Égypte à l'odeur de ses parfums, voulut bien encore les départir à ceux même qui l'avaient vendu. Il est vrai qu'il leur faisait des reproches avec un visage irrité, mais les larmes s'échappaient de l'onction de son coeur, et ces larmes n'étaient pas des marques de sa colère, mais des témoignages de la vivacité de son amour. Samuel pleurait Saül qui le cherchait pour le tuer, (Reg. XV, 35), et l'onction de piété venant comme à se fondre au-dedans de lui, parce que sou coeur s'embrasait par le feu de la charité, coulait au dehors par les yeux. Enfin, c'est la bonne odeur que la réputation avait répandue de tous côtés, qui fait dire de lui à l'Écriture sainte: « Tout le monde depuis Dan jusqu'à Bersabée, connut que Samuel était le fidèle Prophète du Seigneur (I Reg. III, 20).» Que dirai-je de Moïse? De quel gras parfum n'avait-il point rempli son cœur ? Ce peuple rebelle, au milieu duquel il était pour un temps, ne put jamais avec tous ses murmures, et toute sa fureur, lui faire perdre cette onction de l’esprit, quand il l'eut une fois reçue, ni l'empêcher de conserver sa douceur ordinaire, au milieu des différends et des querelles qui naissaient tous les jours. Aussi est-ce avec justice que le Saint-Esprit a rendu ce témoignage de lui, qu'il était le plus doux de tous les hommes de son temps (Num. XII, 3): Car il était pacifique avec ceux qui haïssaient la paix, (Psal. CXIX, 7), si bien que non-seulement il ne se mettait point en colère contre un peuple ingrat et rebelle, mais intercédait même pour lui, lorsque Dieu était irrité contre lui. C'est ce que nous lisons dans l'Écriture : « Dieu protesta de les perdre entièrement, si Moïse qui était son favori, n'eût arrêté les effets de sa vengeance, en le conjurant de détourner sa colère, et de ne les pas détruire tout à fait (Psal. CV, 23). Enfin, dit-il, pardonnez-leur ou effacez-moi du Livre de Vie (Exod. XXXII, 32).» O homme vraiment plein de l'onction de la miséricorde ! Certes il parle bien avec la tendresse d'un Père, puisqu'il ne peut goûter aucun plaisir, qu'avec ceux qu'il a engendrés. C'est comme si un homme riche disait à quelque pauvre femme: Entrez, pour dîner avec moi, mais laissez dehors ce petit enfant que vous portez entre vos bras, parce qu'il ne fait que pleurer, et nous incommoderait. Cette mère le ferait-elle, à votre avis? N'aimerait-elle pas mieux jeûner, que de manger seule avec ce riche, en abandonnant ce cher gage de son amour? Ainsi Moïse ne veut point entrer dans la joie de son Seigneur, si on laisse dehors ce peuple, qui bien que inquiet et ingrat ne laisse pas d'être chéri de lui aussi tendrement que s'il était véritablement sa mère. Ses entrailles le font beaucoup souffrir, il est vrai, mais il aime mieux souffrir le mal qu'elles lui font, que d'endurer qu'on les lui arrache. [12,5] Qu'y a-t-il de plus doux que David qui pleurait la mort de celui qui avait toujours désiré la sienne, (II Reg. I. 11), et souffrait si impatiemment la perte de celui à qui il succédait sur le trône ? Combien eut-il de peine à se consoler de la mort de son fils parricide (II Reg. XIX. 4) ? Certainement cette affection si grande était une marque infaillible d'une grande et excellente onction. Aussi disait-il à Dieu avec confiance : « Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur (Psal. CXXXI. 1). » Tous ces saints personnages ont donc eu d'excellents parfums, qui, encore aujourd'hui, répandent une odeur très-douce dans toutes les Églises. Mais cela ne leur est point particulier. Car tous ceux qui, durant cette vie, ont été bienfaisants et charitables, se sont étudiés à vivre avec tant de douceur parmi les heureux, ne se sont pas approprié, mais ont comme mis en commun toutes les grâces qu'ils ont eues, estimant qu'ils étaient également redevables aux amis et aux ennemis, aux sages et aux insensés; ont été utiles à tous, humbles par dessus tous, et aimés de Dieu et des hommes plus que tous, tous ceux-là, dis-je, ont répandu une odeur de vertus qui est encore maintenant en bénédiction, et les parfums précieux qui se sont exhalés de leur temps, nous embaument encore de nos jours. Ainsi, mon frère, qui que vous soyez, si vous nous faites part volontiers à nous qui sommes vos compagnons, des dons que vous avez reçus d'en haut; si vous vous montrez officieux, affectionné, agréable, facile, humble, nous vous rendrons tous ce témoignage, que vous exhalez aussi d'excellents parfums. Quiconque d'entre vous ne supporte pas seulement les infirmités de ses frères, tant celles du corps, que de l'esprit, mais s'il lui est permis et s'il le peut faire, les aide par ses services, les fortifie par ses exhortations, les forme par ses conseils, ou s'il ne le peut à cause de la règle, au moins ne cesse point de les assister dans leur faiblesse par la ferveur de ses oraisons, quiconque, dis-je, d'entre vous, exerce ces oeuvres de charité, répand certainement une bonne odeur parmi ses frères, et une odeur d'excellents parfums. Un frère comme celui-là dans une communauté , c'est du baume dans la bouche : on le montre comme une merveille, et tous disent de lui « Voilà celui qui aime ses frères et le peuple d'Israël; voilà celui qui prie beaucoup pour le peuple, et pour toute la ville sainte (II Macha. XV. 14). » [12,6] Mais voyons si nous ne trouverons rien dans l'Évangile qui concerne aussi ces parfums. « Marie-Madeleine et Marie mère de Jacques et Salomé, achetèrent des senteurs, afin d'embaumer le corps de Jésus, (Marc. XV). » Quelles sont ces senteurs si pieuses qu'elles méritent d'être achetées et apprêtées pour le corps de Jésus-Christ, et si abondantes qu'elles suffisent pour le parfumer tout entier? Car les deux premiers parfums n'ont été ni faits ni achetés particulièrement pour servir au Seigneur, outre que nous ne lisons point, qu'on les versa sur tout son corps; mais la première fois, on voit venir tout d'un coup une femme qui baise ses pieds, et qui les parfume (Matth. XXVI), et la seconde on voit cette même femme ou une autre, qui a un vase de parfum, et qui les épanche sur sa tête, (Marc. XIV. 3) ; au lieu qu'ici elles achètent des aromates, afin d'embaumer Jésus. Elles achètent, non de l'huile de parfum, mais des aromates, l'huile de parfum n'était pas faite, elles la font tout exprès pour embaumer, non une seule partie du corps, comme les pieds, ou la tête, mais Jésus, comme dit l'Évangile, c'est-à-dire son corps tout entier. [12,7] Vous pareillement, qui que vous soyez, si vous prenez des entrailles de miséricorde, ne soyez pas seulement libéral et obligeant envers vos parents, ou envers ceux dont vous avez reçu du bien, ou dont vous espérez en recevoir, car les païens font cela aussi bien que vous; mais si, selon le conseil de saint Paul, vous tâchez de rendre ces devoirs de charité à tout le monde, en sorte que vous ne les déniiez pas, même à vos ennemis, il est hors de doute que vous êtes aussi riche en excellents parfums, et que vous n'oignez pas seulement la tête et les pieds du Seigneur, mais que vous avez entrepris encore, autant qu'il est en vous, de parfumer tout son corps, qui est l'Église. Et peut-être le Seigneur Jésus ne voulut-il pas qu'on répandit sur son corps mort les parfums qu'on avait préparés, afin de les conserver pour son corps vivant. Car l'Église est vivante, elle qui mange le pain vivant descendu du ciel. C'est le corps de Jésus-Christ qui lui est le plus cher, puisque nul chrétien n'ignore qu'il a livré son autre corps à la mort, afin que celui-ci fût immortel. Il désire qu'elle soit embaumée et que ses membres infirmes soient l'objet d'onctions salutaires. Il a donc réservé pour elle ces parfums, lorsque, prévenant l'heure, et hâtant sa gloire, il n'a pas trompé mais instruit la dévotion des saintes femmes qui venaient pour l'embaumer. Il a refusé d'être parfumé, mais pour épargner le parfum, non point parce qu'il le méprisait, il ne dédaignait pas ce pieux devoir, mais il en remettait l'utilité à un autre temps. Je dis l'utilité non de ce parfum matériel et corporel, mais d'un spirituel dont celui-là était la figure. En ce parfum donc ce maître si plein de bonté épargnait ces autres parfums spirituels si excellents, qu'il désirait voir employés aux besoins spirituels et corporels de ses membres, D'ailleurs un peu auparavant lorsqu'on en répandait d'assez précieux sur sa tête ou sur ses pieds, empêcha-t-il de le faire? Au contraire il reprit même ceux qui l’empêchaient. Car comme Simon s'indignait de ce qu'il permettait à une pécheresse de le toucher, il fit une parabole pour l'en reprendre; et répondit à d'autres qui se plaignaient de la perte qu'on faisait de ce parfum : «Pourquoi tourmentez-vous cette femme (Matt. XXVII.10) ? » [12,8] Pour faire ici une petite digression, il m'est aussi arrivé quelquefois, qu'étant assis pour mon utilité particulière, aux pieds de Jésus, pour pleurer dans le souvenir de mes péchés, ou qu étant debout auprès de sa tète, ce qui m'arrivait plus rarement, je me réjouissais dans le souvenir de ses bienfaits, j'ai entendu ces paroles : « Pourquoi cette perte ? » on m'accusait de ne vivre que pour moi seul, parce qu'on pensait que je pouvais être utile à plusieurs. Et on ajoutait: « car on pourrait le vendre bien cher, et en donner le prix aux pauvres ». Mais quel avantage me reviendrait-il de gagner tout le monde, si je me perdais moi-même? C'est pourquoi, regardant ces paroles comme les mouches dont l'Écriture parle (Eccl. X, 1), qui corrompent toute la douceur du parfum où elles vont périr, je me suis souvenu de ce mot divin . » Mon peuple, ceux qui vous disent heureux vous trompent (Isa. III, 12 ). » Mais que ceux qui me reprochent mon repos écoutent le Seigneur m'excuser et répondre pour moi : « Pourquoi, dit-il, tourmentez-vous cette femme (Matth. XXVI, 10) ? » C'est-à-dire, vous ne voyez que le dehors, et vous jugez sur ce que vous voyez. Ce n'est pas un homme, comme vous croyez, qui puisse mettre la main à des choses fortes, mais c'est une femme. Pourquoi tentez-vous de lui imposer un joug que je sais bien qu’il n'est pas capable de porter ? Il exerce de bonnes oeuvres envers moi. Qu'il demeure dans le bien, tant qu'il ne peut pas faire mieux. Lorsque par un progrès spirituel, de femme il sera devenu homme, et homme parfait, il pourra s'employer à faire une oeuvre parfaite. [12,9] Mes frères, respectons les évêques, mais redoutons les travaux où le devoir de leur charge les engage. Si nous en considérons bien la peine, nous n'en désirerons point l'honneur. Reconnaissons que cette dignité est au-dessus de nos forces; et que des épaules délicates et efféminées ne se hasardent pas à porter les fardeaux des hommes. Ne les censurons pas, mais honorons-les. Car il y a de l'inhumanité à reprendre les actions de ceux dont on fuit les travaux. Quelle témérité n'est-ce point à une femme qui file dans sa maison, de faire des reproches à un homme qui retourne du combat ? Si donc celui qui vit dans un cloître remarque qu'un prélat, engagé dans le monde, se conduit avec moins de régularité et de discrétion qu'il ne devrait, dans ses discours, dans sa manière de vivre, dans son sommeil, ses ris, ses colères, ou ses jugements; qu'il ne se hâte pas de le condamner aussitôt; qu'il se souvienne au contraire qu'il est écrit : « Un homme qui fait mal vaut mieux qu'une femme qui fait bien (Eccle. XLII, 14) ». Car si vous faites bien en veillant sur vous-même, celui qui en assiste plusieurs fait encore mieux, et mène une vie plus virile. S'il ne peut exercer les fonctions de son ministère, sans commettre quelques fautes, c'est-à-dire sans être inégal dans sa conduite, souvenez-vous que « la charité couvre beaucoup de péchés (Jacob. V, 8). » Je dis cela contre deux tentations auxquelles les religieux sont sujets : la première, de rechercher par ambition la dignité de l'épiscopat; et la seconde, d'être poussés, par une inspiration diabolique, à juger témérairement des actions des évêques. [12,10] Mais retournons aux parfums de l'Épouse. Voyez-vous combien on doit préférer aux autres le parfum de la piété, le seul dont la perte n'est point permise ? Et on le perd si peu, qu'un verre d'eau froide ne demeure point sans récompense (Matth. X, 42). Néanmoins celui de la contrition qui se compose du souvenir des péchés, et qui se verse sur les pieds du Seigneur, est bon aussi, puisque «Dieu ne méprisera point un coeur contrit et humilié (Psal. L, 19). » Je pense que celui de la dévotion qui se fait du souvenir des bienfaits de Dieu est encore meilleur, parce qu'il est estimé digne de parfumer la tête, en sorte que Dieu dit de ce parfum-là : « Le sacrifice de louanges m'honorera (Psal. XLIX, 23). » Mais l'onction de la piété qui se fait de la compassion des misérables, et se répand par tout le corps de Jésus-Christ les surpasse infiniment tous deux ; et quand je dis le corps de Jésus, ce n'est pas de celui qui a été crucifié, mais de celui qui a été acquis par les souffrances du premier que je parle. Certes, il faut que ce parfum soit bien excellent puisque, en comparaison de ce parfum, Dieu témoigne qu'il ne regarde pas même les autres, lorsqu'il dit : « Je demande la miséricorde, non des sacrifices (Matth. IX, 13). » Je pense donc qu'entre toutes les vertus, les mamelles de l'Épouse exhalent principalement l'odeur de celle-là, puisqu'elle a tant de soin de se conformer en tout à la volonté de l'Époux. N'était-ce pas cette odeur de miséricorde que Thabita répandait même après sa mort? et si elle ressuscita bientôt, ce fut parce que cette odeur de la vie prévalut en elle sur celle de la mort. [12,11] Mais écoutez une parole abrégée sur ce sujet : Quiconque enivre, par ses paroles, et répand une bonne senteur par ses bienfaits, peut-être convaincu que c'est de lui qu'il est dit : «Vos mamelles sont meilleures que le vin, et elles exhalent un parfum très-délicieux (Cant. I, 1) ». Mais qui est celui qui en est arrivé là? Qui est celui d'entre nous qui possède pleinement et parfaitement, au moins une de ces deux qualités, en sorte qu'il ne lui arrive point quelquefois d'être stérile dans ses discours et tiède dans ses actions? Mais il y en a une qui peut sans aucun doute et à bon droit être louée de les posséder toutes les deux. C'est l'Église qui, dans le grand nombre de ses enfants, ne manque jamais d'en avoir qui lui procure de quoi enivrer, et de quoi embaumer. Car ce qui lui manque en l'un, elle le trouve en l'autre, selon la mesure que Dieu lui a départie, et le bon plaisir de l'Esprit-Saint qui distribue ses dons à chacun, ainsi que bon lui semble. L'Eglise répand une odeur agréable dans la personne de ceux qui se font des amis des richesses d'iniquités, et elle enivre par les ministres de la parole qui épanchent sur la terre le vin d'une joie spirituelle, l'enivrent, pour ainsi dire, et recueillent du fruit dans leur patience. Elle se nomme elle-même Épouse avec hardiesse et confiance, parce qu'elle a vraiment les mamelles meilleures que le vin et exhalant l'odeur des parfums les plus précieux. Or bien que nul de vous n'ait assez de présomption pour appeler son âme l'Épouse du Seigneur, néanmoins comme nous sommes du corps de l'Église, qui se glorifie, à bon droit de ce nom, et de la chose qu'il signifie, ce n'est pas sans quelque raison que nous participons à cette gloire. Car on ne saurait nier que dans ce que nous possédons pleinement et entièrement tous ensemble, chacun de nous en particulier ait sa part. Grâces vous soient rendues, Seigneur Jésus, de ce que vous avez daigné nous associer à votre Église qui vous est si chère, non-seulement pour être Chrétiens, mais encore pour être unis à vous en qualité d'Épouse par de chastes et éternels embrassements, lorsque, à face découverte, nous contemplerons aussi votre gloire, cette gloire que vous possédez également avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.