[0] A NECTAIRE. [1] A peine s’était-il écoulé trois ou quatre jours depuis que la nouvelle de l'accident le plus fâcheux m’avait alarmé, je ne pouvais me résoudre à la croire, parce que celui qui l'apportait ne disait rien de positif, et parce que d'ailleurs je désirais qu'elle fût fausse : j'ai reçu la lettre d'un évêque qui ne m'a que trop confirmé la vérité d'une nouvelle aussi affligeante. Est-il besoin de vous dire combien j'ai poussé de gémissements, combien j'ai versé de larmes? Pourrait-on avoir un cœur assez dur, assez étranger à la nature humaine, pour être insensible à un événement pareil, ou pour n'en ressentir qu'une douleur médiocre? L'héritier d'une maison illustre, l'appui de sa famille, l'espérance de la patrie, le sang de parents si vertueux, l'objet de tous leurs vœux et de tous leurs soins, a donc été arraché de leurs bras dans la fleur de son âge ! Un accident aussi déplorable pourrait émouvoir un cœur d'airain et l'exciter à la compassion ; faut-il s'étonner qu'il m'ait touché si vivement, moi qui vous fus toujours si dévoué, et qui partageai toujours vos sujets de joie et de tristesse? Jusqu'alors vous n'aviez éprouvé que des afflictions légères, et tout paraissait s'arranger selon vos désirs : voilà que tout-à-coup, par la malice du démon, tout le bonheur de votre maison s'est éclipsé, toute la satisfaction de vos âmes s'est évanouie, et vous êtes devenus un triste exemple des misères humaines. Toute notre vie ne pourrait suffire à déplorer ce malheur comme il le mérite. Quand tous les hommes joindraient leurs gémissements aux nôtres, leurs plaintes ne pourraient égaler l'étendue d'une pareille disgrâce. Quand l’eau des fleuves se convertirait en pleurs, ce ne serait pas encore assez pleurer une perte aussi désolante. [2] Toutefois, si nous voulons nous servir de ce don précieux que Dieu a renfermé au fond de nos cœurs, je veux dire une raison sage, qui sait modérer nos âmes dans la prospérité, et qui, dans les conjonctures fâcheuses, nous fait ressouvenir de la condition humaine, nous rappelle ce que nous avons vu et entendu, que notre vie est pleine de semblables infortunes, qu'elle en offre mille exemples, qu'outre cela Dieu nous défend de nous affliger pour ceux qui sont morts dans la foi en Jésus-Christ, à cause de l'espérance de la résurrection, qu'enfin le souverain Juge nous réserve des couronnes de gloire proportionnées à notre patience; si, dis-je, nous voulons permettre à notre raison de faire retentir ces maximes à nos oreilles, nous pourrons peut-être adoucir l'amertume de nos chagrins. Je vous exhorte donc à supporter en généreux athlète un coup aussi rude, à ne pas vous laisser abattre par la douleur, persuadé que, quoique nous ne pénétrions pas dans les secrets de Dieu, nous devons cependant nous soumettre, à ses ordres suprêmes, quelque affligeants qu'ils nous paraissent, parce qu'il est infiniment sage et qu'il nous aime. Il sait comment il dispose ce qui nous est utile à chacun, et pourquoi il nous a marqué à tous un terme de vie différent. Les hommes ne peuvent comprendre pour quelle raison les uns sortent plus tôt de ce monde, tandis que les autres sont exposés plus longtemps aux maux de cette vie misérable. Nous devons donc adorer en tout la bonté de Dieu, et ne pas nous affliger de ce qui nous arrive, nous rappelant cette parole aussi magnanime que célèbre, qu'a prononcée Job, cet athlète fameux, lorsqu'il eut appris que ses dix enfants avaient été écrasés à la fois sous les ruines d'une maison dans un festin. Le Seigneur, dit-il, me les a donnés, le Seigneur me les a ôtés ; il est arrivé ce que le Seigneur a voulu (Job. I. 21). Adoptons cette admirable parole. Le juste Juge récompense également celui qui montre un égal courage. Vous n'avez point perdu votre fils, vous l'avez rendu à celui qui vous l’avait prêté. Sa vie n'est pas éteinte, elle est changée en une meilleure. La terre ne couvre point votre enfant chéri, le ciel l'a reçu. Attendons encore quelque temps, et nous rejoindrons bientôt celui que nous regrettons. Nous n'en serons pas longtemps sépares : nous marchons tous dans cette vie, comme dans une route qui nous conduit au même terme. Les uns y sont déjà arrivés, les autres en approchent, d'autres y tendent à grands pas. La même fin nous attend tous. Votre fils a terminé sa carrière avant nous ; mais nous marchons tous dans la même voie, et nous arriverons tous au même domicile. Puissions-nous seulement égaler par nos vertus la pureté de son âme, afin que la simplicité de nos mœurs nous mérite le repos que Jésus-Christ accorde à ses enfants.