[2,49] Parmi les faits privilégiés, nous placerons en vingt-cinquième lieu les faits significatifs, qui indiquent et désignent les choses utiles à l'homme. Car le pouvoir et le savoir par eux-mêmes donnent à l'homme la grandeur et non le bonheur. C'est pourquoi, il faut recueillir dans l'universalité des choses ce qui peut le mieux servir aux besoins de la vie. Mais il sera plus à propos de parler de ces faits, lorsque nous traiterons des applications pratiques. D'ailleurs, nous laissons, dans le travail même de l'interprétation sur chacun des sujets, une place pour le feuillet humain ou le feuillet des désirs; car des demandes et des voeux bien faits sont une partie de la science. [2,50a] Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en vingt-sixième lieu les faits polychrestes. Ce sont ceux qui ont une application variée et se rencontrent souvent; ils sont par là d'un grand secours dans les opérations et les démonstrations. Il sera plus à propos de parler des instruments et des inventions, lorsque nous traiterons des applications pratiques et des divers modes d'expérimentation. D'ailleurs, ceux qui sont connus et mis en usage seront décrits dans les histoires particulières de chacun des arts. Nous présenterons seulement à leur sujet quelques considérations générales qui serviront à mettre en lumière les faits polychrestes. L'homme opère sur les corps naturels de sept manières (sans compter le rapprochement et la séparation des corps simples), à savoir : par l'exclusion des obstacles qui causent quelque trouble ou empêchement, par la compression, l'extension, l'agitation et toutes actions semblables, par le froid et le chaud, par le séjour du corps en un lieu convenable, par un frein et une règle donnés au mouvement, par les sympathies, ou bien enfin par l'alternation habile et sage, et la série et succession de tous ces moyens, ou au moins de quelques-uns d'entre eux. 1° Exclusion, des obstacles qui causent quelque trouble ou empêchement. L'air commun, qui est partout présent et s'insinue de toutes parts, et avec l'air les rayons lumineux, troublent beaucoup nos opérations. Tous les moyens qui peuvent servir à leur exclusion, seront, à bon droit, considérés comme polychrestes. Parmi ces moyens, il faut compter la matière et l'épaisseur des vases où l'on met les substances préparées pour quelque opération; et de plus, tous les procédés inventés pour boucher exactement les vases. De ces procédés, les uns ferment solidement l'entrée; c'est ce que les chimistes nomment enduit de sagesse ("lutum sapientiae"); les autres consistent à défendre les substances du contact extérieur, au moyen de quelque liquide ; par exemple, on verse un peu d'huile sur le vin ou sur les sucs extraits de certaines plantes; l'huile s'étend à la surface, constitue une sorte de couvercle, et préserve parfaitement du contact de l'air. Il y a des poudres qui rendent des services semblables; quoique toutes les poudres contiennent de l'air mêlé à leurs grains, cependant elles défendent assez bien un corps des attaques de l'air atmosphérique; c'est ainsi que l'on conserve des raisins, des fruits, en les mettant dans le sable ou la farine. La cire, le miel, la poix, et toutes les substances de ce genre, deviennent, par leur ténacité, des obturateurs excellents, et ferment le passage, soit à l'air, soit aux rayons lumineux. Nous avons fait quelques expériences de cette nature, en plongeant un vase et certaines substances directement dans le vif-argent, qui est de beauconp le plus dense de tous les corps dont on peut faire un bain. Les cavernes, les souterrains sont aussi d'un grand usage pour empécher l'action de la lumière et celle de l'air libre, si souvent perfide; on s'en sert dans l'Allemagne du nord comme de greniers naturels. Un autre moyen, pour se défendre de la lumière et de l'air, c'est de tenir les corps au fond de l'eau. On me rapportait le fait curieux de certaines bouteilles de vin descendues au fond d'un puits pour y rafraîchir, oubliées et laissées là pendant plusieurs années, et retirées du puits à la fin : non seulement ce vin n'avait perdu ni son bouquet ni sa force, mais on le trouva bien supérieur à ce qu'il était avant l'épreuve, sans doute à cause d'une combinaison plus parfaite de ses principes. S'il était nécessaire de plonger les corps au fond de l'eau, par exemple, au fond de la mer on d'un fleuve , sans qu'ils fussent exposés au contact du liquide, ni, enfermés dans des vases clos, mais seulement entourés d'air, il faudrait employer un appareil ingénieux, dont on s'est servi quelquefois pour opérer, au milieu des eaux, sur les vaisseaux submergés ; avec cet appareil le plongeur peut rester longtemps sous l'eau, et respirer suffisamment à intervalles. En voici la description.: un tonneau de métal descendait régulièrement, d'abord jusqu'à la surface de l'eau, ensuite jusqu'au fond de la mer, y emportant tout l'air qu'il contenait; là, il reposait sur trois pieds, un peu-moins hauts que la taille ordinaire de l'homme, de sorte que le plongeur pût, quand la respiration venait, à lui manquer, introduire sa tête dans le tonneau, y respirer à l'aise, et reprendre ensuite son travail. On nous dit maintenant que l'on vient d'inventer un autre appareil, adapté à une espèce de barque, capable de porter plusieurs hommes sous l'eau, à une certaine distance. Quoi, qu'il en soit, il est facile de suspendre à l'intérieur du tonneau que nous venons d'indiquer, des corps de tous genres; c'est pour ce motif que nous avons parlé de l'appareil à plongeur. Les moyens employés pour fermer exactement les vases ont encore une autre utilité; ils empêchent l'esprit du corps sur lequel on opère de s'exhaler. Il faut que le physicien soit certain des quantités sur lesquelles il opère, il importe beaucoup qu'à son insu rien ne s'échappe et ne s'exhale. On voit se produire de profondes altérations dans les corps, lorsque notre industrie empêche la déperdition ou l'évaporation d'aucune partie; la nature de son côté n'admettant pas l'anéantissement, les changements les plus graves ont nécessairement lieu. A ce sujet, une erreur grave s'est accréditée (si ce n'était une erreur, il faudrait désespérer de conserver jamais sans aucune déperdition les substances expérimentées) : on dit que l'esprit des corps et l'air dilaté par l'élévation de la chaleur ne peuvent être tenus captifs dans quelque vase que ce soit, et qu'ils s'échappent à travers les pores les plus subtils des matières employées. Ce qui a donné lieu à cette erreur, c'est l'expérience bien connue d'un vase renversé sur une nappe d'eau, et contenant une lumière ou du papier allumé; on constate que l'eau s'élève dans le vase, à peu près comme la chair s'élève au moyen des ventouses qu'on a chauffées à la flamme. On s'imagine que, dans l'une et l'autre expériences; l'air dilaté par la chaleur s'échappe en partie, et que la quantité de matière étant diminuée dans le vase, l'eau occupe la place vacante, la chair pareillement, à cause de l'horreur du vide; et cependant rien n'est plus faux. Ce qui est diminué, ce n'est pas la quantité, c'est le volume de l'air; car le mouvement de l'eau ou de la chair ne commence pas avant que la flamme soit éteinte, et par conséquent l'air refroidi; aussi les médecins, pour que les ventouses produisent plus d'effet, ont-ils soin de les entourer d'éponges imbibées d'eau froide. Il n'y a donc pas sujet de craindre que l'air et les esprits s'échappent si facilement. Sans doute les corps les plus solides ont leurs pores ; mais l'air et l'esprit ne se laissent pas ainsi commodément réduire en parties d'une extréme ténuité; et ne voit-on pas l'eau elle-même refuser de couler travers une fente très étroite? [2,50b] 2° Compression, extension, agitation et toutes actions semblables. Remarquons avant tout, quels compression et les autres moyens violents de ce genre ont une efficacité extraordinaire pour déterminer le mouvement local et autres semblables, comme on le voit dans les opérations mécaniques, les projectiles, etc., et aussi pour détruire le corps organique et annuler les vertus qui se manifestent surtout dans le mouvement. La vie, la flamme, le feu s'anéantissent ou s'étouffent par la compression; nulle machine ne résiste à la compression; on détruit ainsi toute propriété qui dépend d'un arrangement et d'une harmonie de parties un peu grossières, comme la couleur (on connaît la différence de couleur de la fleur sur pied et de la même fleur écrasée, de l'ambre en morceaux et de l'ambre pulvérisé), ou la saveur (comparez le goût d'une poire verte et d'une poire toute semblable, écrasée et foulée, vous sentirez comme la saveur de la seconde est plus douce). Mais s'agit-il d'opérer dans des corps composés de parties semblables quelques modifications ou transformations importantes, les moyens violents n'ont plus d'efficacité ; la raison en est que les corps acquièrent, avec ces procédés, un nouveau degré de consistance qui n'est pas stable et permanent, mais éphémère et transitoire, et qu'ils s'efforcent à reprendre leur premier volume en s'affranchissant de la contrainte. Cependant il serait bon de faire sur ce sujet des expériences plus exactes, afin de savoir si la condensation d'une substance composée de parties vraiment similaires (comme l'air, l'eau, l'huile, et autres de même nature), ou même la raréfaction d'un tel corps, produite par des moyens violents, ne pourraient pas devenir stables et permanentes, ce corps prenant ainsi comme une nouvelle nature; on essayerait de résoudre ces questions, d'abord en observant les seuls effets du temps, ensuite en faisant concourir les auxiliaires de toute nature. C'est ce que nous aurions fait nous-même aisément, si la pensée, nous en était venue, lorsque nous soumîmes l'eau à une si forte compression (comme nous l'avons expliqué plus haut), avant que le liquide s'échappât. Il nous eut suffi de laisser péndant quelques jours la sphère de métal dans l'état où le marteau et la presse l'avaient réduite, et d'en extraire l'eau ensuite; l'expérience nous eût appris immédiatement si l'eau occupait; à la sortie du globe; le même volume qu'avant toute condensation. Si elle ne l'eût pas occupé à l'instant même, ou du moins fort peu après, noms en aurions conclu que le changement de densité peut devenir permanent; au cas contraire, il eût été prouvé que le corps reprend aussitôt que possible sa première densité, et que la condensation n'est que transitoire. On pouvait faire, au même point de vue, des observations sur l'air dilaté dans l'oeuf de verre. Après une forte succion, il eût fallu boucher l'oeuf subitement et bien exactement, garder l'oeuf ainsi bouché pendant quelques jours, et observer ensuite si, au moment où l'on eût débouché l'oeuf, l'air se fût précipité avec un sifflement, ou si l'eau fût entrée dans le verre en aussi grande quantité qu'au premier jour, lorsque commençait l'épreuve du temps sur la stabilité possible de la dilatation de l'air. Il est probable que cette stabilité se fût démontrée; tout au moins le sujet mérite-t-il qu'on fasse l'expérience; car nous voyons dans les corps dont les parties ne sont pas exactement similaires, le temps produire de tels effets : un bâton, courbé pendant quelque temps, ne se redresse plus. Et certes, il ne faudrait pas attribuer ce phénomène à la déperdition du bois, puisque le fer lui-même reste fléchi (à condition sans doute d'une épreuve beaucoup plus longue), et l'on sait que ce métal ne perd rien de sa substance. Si le temps ne suffit pas à produire l'effet en question, il faut, non pas quitter la partie, mais employer des moyens auxiliaires. C'est en effet un grand bénéfice pour l'homme de savoir imposer aux corps, par des moyens violents, des états fixes et constants. Avec de tels procédés, on réduirait peut-être l'air en eau à force de condensations, et l'on verrait naître bien d'autres merveilles.. L'homme est le maître des moyens violents beaucoup plus que des autres. [2,50c] 3° Le froid et le chaud. La troisième espèce de moyens consiste dans l'emploi de ce grand instrument de la nature et de l'art tout ensemble, agent universel qui se nomme d'un double nom : la chaleur et le froid. Mais la puissance de l'homme semble être sur ce terrain tout à fait boiteuse. Nous disposons de la chaleur du feu, qui est sans comparaison supérieure à celle des rayons solaires (au degré où celle-ci nous parvient), et à la chaleur animale; mais le froid nous fait défaut; si ce n'est le froid qui vient de l'hiver, celui que l'on éprouve dans les cavernes, et enfin celui que l'on crée avec des appareils remplis de'neige ou de glace. Que sont ces degrés de froid? à peine comparables aux degrés de chaleur des rayons solaires, en plein midi, dans la zone torride; ajoutons, si l'on veut, d'une chaleur augmentée par la réverbération des montagnes et des murailles. A ce point, la chaleur, comme le froid, est endurée par les animaux pendant un temps, mais son intensité n'est rien auprès de celle d'une fournaise ardente, ou d'un froid équivalent, s'il y 'en a. C'est pourquoi, autour de nous, toutes choses tendent. à la raréfaction, au desséchement, à la consomption; presque aucune à l'état contraire, à moins que nous ne mettions en œuvre des combinaisons et une méthode qu'on peut appeler bâtardes. On doit donc rechercher avec grand soin tout ce qui peut être considéré comme réfrigérant. Voici les principaux moyens que nous connaissons jusqu'ici pour refroidir les corps: a. Nous les exposons sur des monuments élèvés quand il gèle fort; b. Nous les descendons dans les lieux souterrains; c. Nous les enterrons de neige et de glace , en les plaçant dans de certaines cavités (les glacières) ; disposées à cet effet; d. Nous les plongeons au fond des puits; e. Nous les mettons dans un bain de vif-argent ou de substances semblables; f. Nous les mettons dans les eaux pétrifiantes ; g. Nous les enfouissons dans la terre. On dit que c'est le moyen employé par les Chinois pour la fabrication de la porcelaine : les matières qu'ils destinent à cette fabrication demeurent enfouies pendant quarante ou cinquante ans, et se transmettent en héritage comme une espèce de minerai artificiel. On pourrait encore citer quelques autres procédés. Observez attentivement les condensations produites naturellement par le froid; quand leurs causes seront bien connues, on pourra opérer de semblables condensations dans les arts. Étudiez l'humidité qui sort du marbre et de la pierre; l'espèce de rosée qui se dépose à l'intérieur sur les vitres, quand vient le matin, après une nuit de gelée; les vapeurs qui se condensent sous terre, se réduisent en eau, et entretiennent certaines sources; et plusieurs autres phénomènes de ce genre. Outre les réfrigérants qui se manifestent à notre tact, il en est d'autres qui recèlent le froid en puissance, et qui ont aussi la propriété de condenser. Ceux-ci n'opèrent que sur le corps des animaux; leur vertu semble s'arrêter là. On en peut citer beaucoup au nombre des médicaments et des emplâtres. Les uns condensent les chairs et les parties tangibles : tels sont les astringents; les autres, condensent les esprits : tels sont, en première ligne, les soporifiques. On distingue même deux espèces de soporifiques : les uns opèrent en apaisant les mouvements, les autres en chassant les esprits. La violette, la rose sèche, la laitue, et autres substances analogues, toutes bénignes ou réputées telles; agissant par leurs vapeurs salutaires et modérément rafraîchissantes, invitent les esprits à s'unir, et font succéder le calme à leur agitation redoutable. L'eau de rose, approchée des narines pendant les défaillances, force les esprits trop relâchés à se concentrer; elle devient pour eux comme un foyer. Les opiats, au contraire, et tout ce qui leur ressemble, dissipent les esprits par leur vertu âcre et dissolvante; dès qu'on les applique à un de nos membres, les esprits le quittent et n'y reviennent pas sans peine; lorsqu'on les emploie à l'intérieur, leurs vapeurs montent à la tête, mettent en fuite de toutes parts les esprits contenus dans les ventricules du cerveau : ces esprits n'ayant pas où se réfugier, se réunissent forcément et se condensent, quelquefois au point d'être suffoqués et de s'éteindre. Au contraire, emploie-t-on les opiats à dose modérée, en vertu de la condensation que détermine la réunion des esprits, ils ont l'effet indirect de fortifier les esprits, de les rendre plus énergiques, et de réprimer en même temps leurs mouvements désordonnés et dangereux. Ils sont ainsi d'un secours fort appréciable pour la guérison des maladies et la prolongation de la vie. On doit rechercher aussi quelles préparations disposent les corps à se refroidir plus facilement: on a remarqué, par exemple, que l'eau un peu tiède gèle plus facilement que l'eau froide. Et d'ailleurs, puisque la nature est tellement avare du froid, il faut imiter les pharmaciens qui, manquant de la substance demandée, livrent en place un substituant, tantôt le bois pour le baume d'aloès, tantôt la casse pour le cinnamome. Que l'on recherche donc avec soin s'il n'existe pas des substituants du froid; si l'on ne peut produire, à l'aide de certains procédés, des condensations artificielles, faisant ainsi l'oeuvre propre du froid en son absence. Jusqu'ici, nous connaissons quatre moyens de produire la condensation artificielle. Le premier consiste à presser brusquement les corps; ce qui ne peut guère déterminer une condensation durable, parce que la matière réagit, mais rend à l'industrie, quand il le faut, des services réels. Le second moyen consiste à procurer la contraction des parties grossières après l'évaporation ou le dégagement des parties plus ténues. C'est ce que l'on observe dans les corps durcis au feu, dans la trempe réitérée des métaux, et autres phénomènes semblables. Le troisième détermine la réunion des parties homogènes, de celles qui sont les plus solides dans le corps, et qui antérieurement étaient séparées et mêlées aux moins solides. C'est ainsi que le mercure se contracte quand il revient de la forme de sublimé à la forme ordinaire du vif-argent. C'est ainsi que se contractent tous les métaux que l'on traite en les purifiant de leurs scories. Le quatrième opère en vertu des affinités, certaines substances ayant une vertu secrète pour en condenser d'autres; ces affinités jusqu'ici nous sont peu connues; ce qui n'est pas étonnant, car avant la découverte des formes et des textures intimes, on ne peut espérer presque rien de la recherche des affinités. Quant aux corps animés, on connaît en assez grand nombre des médicaments qui, employés soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, opèrent la condensation, sans doute en vertu des secrètes affinités dont nous parlions. Pour les corps inanimés, au contraire, rien de plus rare que des effets de ce genre. On dit cependant (les récits et les écrits des voyageurs s'accordent en ce point) qu'il existe dans certaine île, une des Canaries ou des Açores, un arbre duquel l'eau distille continuellement, et en quantité suffisante pour que les habitants aient là une véritable ressource. Paracelse prétend que l'herbe appelée rosée du soleil se couvre de rosée en plein- midi, lorsque les autres herbes se dessèchent: Pour nous, cependant, nous n'ajoutons foi ni à l'une ni à l'autre de ces deux relations; quoiqu'il faille accorder que des phénomènes de ce genre seraient du plus haut intérêt s'ils avaient un fondement dans la réalité. En ce qui touche ces rosées à saveur de miel et comparables à la manne, qui recouvrent les feuilles de chêne au mois de mai; nous ne pensons pas devoir les attribuer soit à une affinité particulière, soit à une propriété de la feuille de chêne; suivant nous, la rosée en question tombe sur tous les arbres; elle se maintient sur le chêne seulement, parce que les feuilles de cet arbre ont un tissu lisse et compacte, et non spongieux comme la plupart des autres. Quant à la chaleur, les moyens de la produire abondent; mais nous les connaissons imparfaitement, nous n'avons pas fait de leur emploi une étude sérieuse; ajoutons que la science nous manque souvent au point même où elle serait le plus utile, quoi qu'en disent certains charlatans. En effet, l'on observe et l'on constate assez bien les effets d'une chaleur intense; mais on néglige et on ignore ceux d'une chaleur douce, qui est beaucoup plus dans les voies de la nature. Nous voyons; sous l'empire de ces vulcains si fameux, les esprits des corps s'exalter à outrance, comme dans les eaux-fortes et certaines autres préparations chimiques; les parties solides s'endurcir, et après l'évaporation des principes volatils, on voit souvent les liquides se figer; les parties homogènes se séparent; les corps hétérogènes s'assemblent et se mêlent grossièrement; enfin, et c'est le plus grave, la structure des composés et les textures les plus délicates sont confondues et détruites. Voilà pour la chaleur intense. Mais il eût été non moins important d'observer et d'éprouver la chaleur douce dans ses opérations, qui nous permettraient de former des composés plus délicats, à la texture plus fine et plus savante; imitant ainsi la nature, et particulièrement le soleil; comme nous l'avons indiqué déjà dans notre aphorisme sur les faits d'alliance. La nature opère, en agissant sur des parties beaucoup plus petites, et par des procédés beaucoup plus délicats et variés que ne sont ceux du feu employé comme on l'a fait jusqu'ici. Que si l'on parvenait, au moyen de la chaleur bien ménagée et des puissances artificielles, à imiter la nature dans la production de ses oeuvres, à en varier et fortifier les créations, alors, certes, on aurait accru l'empire de l'homme : ajoutons qu'il faudrait , en toutes ces opérations, aller plus vite que la nature. La rouille du fer ne se forme que très lentement, tandis qu'un moment suffit pour transformer ce métal en safran de Mars; mêmes observations sur le vert-de-gris et la céruse; sur le cristal naturel et le verre que nous fabriquons; sur la pierre et la brique, etc. Cependant recueillons avec soin ce que les observations attentives et les expériences ingénieuses peuvent nous apprendre sur les diverses chaleurs et sur leurs effets comparés. Instruisons-nous sur la chaleur et les effets : Des corps célestes, de leurs rayons directs, réfléchis, réfractés, concentrés dans les miroirs ardents; De la foudre, de la flamme, du feu de charbon; Du feu de tous les combustibles; Du feu libre, renfermé, mis à l'étroit ou ruisselant, modifié suivant les appareils où nous le produisons et l'entretenons; Du feu excité par le soufflet, et du feu tranquille; Du feu agissant à de plus ou moins grandes distances; Du feu agissant à travers différents milieux; Des foyers humides, comme du bain-marie, du fumier des animaux, soit à l'extérieur, soit à l'intérieur, du foin renfermé; Des foyers secs, comme la cendre, la chaux, le sable échauffé; En un mot, de toute nature, de tous genres et à tous les degrés. Ce que nous devons principalement étudier, et tenter ensuite d'imiter, ce sont les opérations et les effets de la chaleur qui s'approche et s'éloigne graduellement, régulièrement, périodiquement, et qui agit à des distances et pendant des délais fixes et déterminés. Cette variété ordonnée est vraiment filledu ciel et mère de toute génération; quant à la chaleur violente, précipitée, ou agissant par sauts, n'en attendez rien de grand. Les végétaux vous en font foi; et encore, les matrices des animaux, où la chaleur est sujette à de grandes variations, causées par le mouvement, le sommeil, les aliments, les passions; enfin, les matrices mêmes de la terre, où se forment les métaux et les fossiles, ne sont pas exemptes d'importantes variations de chaleur : ce qui nous découvre bien l'impéritie de certains alchimistes, appartenant à l'école dite réformée, qui croyaient accomplir le grand oeuvre avec la chaleur toujours uniforme de leur lampe ou de tout autre foyer. En voilà assez sur les opérations et les effets de la chaleur. Il n'est pas opportun d'approfondir un tel sujet, tant que les formes vraies et les textures intimes des corps n'ont pas été recherchées, pénétrées, mises en lumière. C'est quandon a acquis la connaissance des principes que le moment est venu de chercher et d'approprier les instruments. [2,50d] 4° Le séjour du corps en un lieu convenable. Ce quatrième moyen consiste principalément dans l'efficacité du temps, qui est tout ensemble l'économe et lé dépensier de la nature. Pour que le temps agisse, il faut abandonner le corps à lui-même pendant un délai suffisant, et cependant le tenir à l'abri de toute influence extérieure; car les mouvements intérieurs s'exécutent et font leur effet quand les mouvements du dehors ont cessé. Les procédés du temps. sont beaucoup plus subtils que ceux du feu : ainsi, l'on ne parviendrait jamais au moyen du feu à clarifier le vin, comme y parviennent le repos et le temps; les cendres n'ont pas la finesse de la poudre qui provient de la décrépitude; les mélanges ou combinaisons que l'on opère subitement à l'aide du feu le cèdent de beaucoup à ce que le temps produit de lui-même. Il est vrai que le feu, ou même une chaleur un peu intense, détruit les propriétés ou caractères que les substances contractent sous l'action du temps, comme la putréfaction, par exemple. Notons aussi que les mouvements des corps étroitement enfermés ont quelque chose de violent; cette captivité fait obstacle à la spontanéité des mouvements naturels. En conséquénce, on voit l'action du temps, dans un vase ouvert, déterminer partout la séparation; dans un vase bien clos, les combinaisons; dans un vase imparfaitement clos, où l'air pénètre un peu, la putréfaction. Il importe donc d'observer en tous lieux, avec soin, l'action et les effets du temps. [2,50e] 5° Un frein et une règle donnés aux mouvements. Ce moyen n'est pas le moins puissant; il consiste en ce qu'un corps placé à la rencontre d'un autre, empêche, repousse, admet, dirige les mouvements de ce dernier. Le plus souvent, c'est de la forme et de la situation du vase que ce procédé dépend. Un vase de figure conique et placé droit favorise la condensation des vapeurs; on le voit dans les alambics; renversez-vous le cône, vous favorisez la défécation; comme on le voit pour le sucre, dans les raffineries. Pour certaines opérations, il faut que le vase ait des sinuosités, qu'il aille tour à tour en se rétrécissant et s'élargissant. Toute espèce de filtration révient à ce procédé général; le filtre, laissant passer une partie des éléments du corps qu'il contient, et retenant les autres. La filtration et les autres opérations de même nature ne s'effectuent pas toujours à l'extérieur, mais quelquefois aussi à l'intérieur des corps : on jette de petites pierres dans l'eau pour y ramasser le limon ; on clarifie les sirops avec le blanc d'oeuf, auquel s'attachent les parties grossières qui sont ensuite facilement rejetées. C'est par le frein donné aux mouvements que Télésio expliquait, en naturaliste fort ignorant et irréfléchi, les formes des animaux, sans doute à cause des sillons et des poçhes qu'on observe dans les matrices; mais il eût fallu nous montrer de semblables inégalités dans les coques des oeufs, où nous n'apercevons rien de semblable. Mais il faut considérer comme variantes du cinquième moyen les procédés de moulage de toute espèce. [2,50f] 6° Les sympathies et les répulsions. La plupart des opérations de cette nature nous échappent, ensevelies qu'elles sont au plus profond des êtres. Quant aux propriétés occultes et spécifiques, dont on parle tant, et même à cette foule de sympathies et d'antipathies en renom, elles ne sont, pour la majeure partie, que des inventions d'une philosophie corrompue. On ne peut découvrir les vraies sympathies, qui sont les affinités, avant de posséder la science des formes et des textures diverses, observées dans leurs éléments. Car les affinités ne sont que les relations symétriques des formes et des structures. Toutefois, les affinités les plus générales ne sont pas aussi secrètes que les autres ; c'est donc par elles que l'on doit commencer. La première division à en faire se fonde sur cette observation, que certains corps ayant même structure, difèrent beaucoup de densité; certains, autres, au contraire, ayant même densité, diffèrent par la structure. Les chimistes, dans leur triade de principes, remarquent avec justesse que le soufre et le mercure sont répandus en quelque façon dans l'univers entier; mais ils sont loin de rencontrer aussi juste en traitant du sel, et l'on voit bien que leur théorie est faite ici uniquement pour ramener à ce principe les corps terreux, secs, et les fixes. En ce qui concerne les deux premiers, on ne peut méconnaître qu'ils nous offrent tous deux des exemples d'affinités naturelles, aussi générales que possible. En effet, le soufre a de l'affinité pour l'huile, les exhalaisons des corps gras, la flamme, et peut-être la substance des étoiles; le mercure a de l'affinité pour l'eau, les vapeurs aqueuses, l'air, et peut-être l'éther pur, qui remplit tous les espaces entre les corps célestes. Cependant ces composés géminés , et ces deux grandes familles de corps (à les considérer chacune dans son ordre) diffèrent extrêmement par la quantité de matière et la densité, mais se ressemblent beaucoup par la composition même, comme l'expérience nous en donne mille preuves. Les métaux, au contraire, se ressemblent beaucoup par la quantité de matière et la densité (surtout si on les compare aux êtres organisés), mais diffèrent singulièrement par la structure. Il faut en dire autant des diverses espèces de végétaux et d'animaux qui diffèrent, à peu près à l'infini, par la structure, mais sont tous compris, relativement à la densité, entre deux degrés de l'échelle assez rapprochés. Immédiatement après cette double affinité, qui nous paraît au premier rang pour la généralité, nous devons placer celle qui existe entre les principaux corps et leurs foyers ou leurs aliments. Que l'on recherche donc vers quel climat, dans quel terrain, à quelle profondeur s'engendre chacun des métaux; que l'on fasse les mêmes observations pour les pierres précieuses, celles que l'on extrait des roches comme celles que les mines contiennent; pour les plantes aussi, les arbres, arbrisseaux, herbes, on doit observer quel sol leur convient, quels engrais leur profitent le mieux, soit fumiers de tout genre, soit craie, sable marin, cendres, etc., et quelle convenance existe entre chaque espèce d'engrais et chaque nature de terrain. La greffe des arbres et des plantes, la méthode à suivre pour la bien pratiquer, le succès à obtenir dans ce genre d'opération, etc., voilà des choses encore qui dépendent des affinités. Dans cet ordre, on a fait récemment des expériences fort intéressantes qu'il serait bon de répéter et de varier : on a pratiqué la greffe sur les arbres des forêts, ce que l'on s'était borné jusqu'alors à faire sur les arbres des jardins; on a obtenu pour résultat des feuilles plus larges, plus épaisses, des glands plus forts, un ombrage plus touffu. Par la même méthode, il faut savoir quels aliments conviennent le mieux à chaque espèce d'animaux, et joindre dans cette étude les expériences négatives aux positives. Par exemple, les animaux carnivores ne peuvent se mettre au régime de l'herbe; aussi l'ordre des Feuillants, après expérience faite, se réduisit-il à presque rien, la nature humaine protestant contre son régime intolérable; et cependant la volonté a plus de pouvoir sur nos corps qu'elle n'en a sur aucune autre organisation dans le règne animal; il faut encore observer, dans le même esprit, les matières putrides d'où naissent diverses espèces de petits animaux. Ainsi donc, les affinités des corps principaux pour leurs subordonnés (on peut donner ces titres aux divers principes que nous avons mentionnés) y sont assez manifestes. On aperçoit encore facilement les corrélations des sens et de leurs objets. Observer avec soin, saisir et analyser avec précision les affinités manifestes, c'est répandre déjà une assez vive lumière sur celles que la nature nous cache. Tout le sujet des affinités et des répulsions, ou, si l'on veut, des amitiés et des hostilités (pour ne plus employer les expressions de sympathie et d'antipathie, auxquelles sont attachées tant, d'idées superstitieuses et vaines), a été jusqu'ici traité avec une rare imperfection ; à peine rencontrons-nous quelques faits certains, au milieu d'inexactitudes sans nombre et de fables qui défigurent tout. On voit que la vigne et le chou, plantés l'une auprès de l'autre, ne viennent pas bien ; faut-il en conclure qu'il y a de la répulsion entre eux? Non pas. Tout s'explique par la nature de ces deux végétaux, qui ont besoin de beaucoup de sucs, les enlèvent avidement à la terre, et se font ainsi une concurrence funeste. On voit que le bluet et le coquelicot poussent en abondance dans les champs de blé, et presque jamais on ne les aperçoit ailleurs; faut-il en conclure qu'il y a affinité et amitié entre ces fleurs et le blé? Non pas; on soutiendrait avec plus de raison que les fleurs en question et le blé sont de natures contraires, parce que ces plantes délicates se nourrissent des sucs, que le grain abandonne ou rejette ; de telle sorti qu'ensemencer une terre de blé, c'est la préparer à produire coquelicots et bluets. Voilà cependant de fausses inductions qui ont eu cours et qu'il faut détruire; il en existe malheureusement une foule de ce genre. Quant aux fables, ce qu'elles méritent, c'est une guerre d'extermination. Il ne resterait donc, après une revue critique, qu'un petit nombre de phénomènes certains et d'affinités bien constatées, comme celle de l'aimant et du fer, de l'or et du vif-argent, et quelques autres. Parmi le grand nombre d'expériences que les chimistes ont faites sur les métaux, on trouverait encore certains effets d'affinité précieux à connaître. Mais la majorité des connaissances acquises nous est fournie par la pratique médicale; il existe assurément des remèdes de diverses sortes, qui, par leurs propriétés occultes et spécifiques (comme on les nomme), semblent appropriés à certains organes, à certaines humeurs, à certaines maladies, quelquefois même à telle constitution individuelle. On ne doit pas non plus négliger les corrélations des mouvements et des phases de la lune, avec certaines dispositions ou accidents des corps inférieurs; ces corrélations existent; l'expérience de l'agriculteur, du marin, du médecin, ne permet pas d'en douter. Soumettez à un contrôle sévère les données d'une telle expérience, et la science possédera sur ce sujet des documents certains. Plus il est difficile et rare de pénétrer les secrets de la nature, dans cet ordre de dispositions, plus il importe d'être vigilant, attentif à la saisir, de recueillir les relations dignes de foi, pourvu qu'on ne se laisse pas entraîner légèrement à croire sans contrôle, et que l'esprit, toujours sur ses gardes, n'admette les faits qu'à bon escient. Reste un genre de corrélations qui, eu égard au procédé de l'opérateur, semble ne rien tenir de l'art, mais dont-il nous est donné de faire grand usage ; pour cette raison, on doit le placer au rang des faits polychrestes et l'étudier fort attentivement : c'est l'union et la combinaison, facile ou difficile, des diverses substances par voie de mélange ou de simple juxtaposition. Il est des substances qui se mêlent et se combinent facilement; d'autres, au contraire, difficilement et mal : ainsi les poudres s'incorporent volontiers avec l'eau; la chaux et les cendres avec l'huile, etc. Étudions encore les faits de propension ou de répugnance des corps, non plus au point de vue des mélanges, mais relativement à la distribution des parties; sachons comment elles s'ordonnent et dans quelle situation respective elles s'établissent enfin après le mélange ; sachons en dernier lieu quelles parties deviennent prédominantes quand les mélanges sont opérés. [2,50g] 7° Alternation habile et sage, série et succession de tous les moyens précédents, ou du moins de quelques-uns d'entre eux. Quant à ce dernier procédé, il n'est pas opportun d'en proposer, des exemples avant d'avoir approfondi chacun des six premiers. Ce qu'il y a de plus important ici, et pour la théorie et pour la pratique, c'est la détermination de la série, l'ordre et la liaison des éléments alternatifs, et leur appropriation à chacun des effets que l'on veut produire. Malheureusement, les hommes ne se livrent pas volontiers aux recherches et aux opérations de cette nature; une extrême impatience les en détourne bientôt; et cependant on peut dire que c'est là le fil du labyrinthe; refuser de le suivre, c'est se rendre absolument incapable de grandes choses. Mais en voilà assez pour des exemples de faits polychrestes. [2,51] Parmi les faits privilégiés, nous placerons en vingt-septième et dernier lieu les faits magiques. Nous appelons ainsi ceux qui présentent une matière ou une cause efficiente, petite et faible en comparaison de la grandeur de l'ouvrage et de l'effet qui en résulte; de telle façon que, quand même ils seraient vulgaires, ils ne paraîtraient pas moins être des miracles, les uns au premier regard, les autres après une observation attentive. La nature en produit peu de son jeu naturel, mais on verra plus tard, après la découverte des formes, des progrès et des constitutions intimes, ce qu'elle pourra faire, lorsqu'on l'aura remuée dans ses profondeurs. Il y a, trois. espèces de ces faits magiques 1° Dans les uns, une certaine nature se multiplie elle-même; exemples: le feu, les poisons que l'on nomme spécifiques, les mouvements communiqués et renforcés par un engrenage de roues; 2° Dans les phénomènes de la seconde espèce, une certaine puissance est excitée et provoquée par un corps dans un autre; exemples : l'aimant qui magnétise une multitude d'aiguilles, sans rien perdre de sa vertu propre; le levain et toutes les matières analogues. 3° Dans les phénomènes de la troisième espèce, les effets merveilleux sont produits par l'énergie et surtout la promptitude d'un mouvement qui en prévient un autre, comme nous l'avons expliqué de la pendre à canon, de l'artillerie, des mines. De ces trois procédés, les deux premiers exigent la connaissauce des affinités, le troisième, celle de la mesure des mouvements. Existe-t-il en réalité un moyen de transformer les corps en opérant sur leurs plus petites parties (dans leurs dernières molécules), et de changer leur texture la plus délicate, en leur en imposant une autre? Rien jusqu'ici ne nous permet de répondre affirmativement à cette grande question. Si l'homme acquérait jamais un tel pouvoir, il effectuerait toutes les transformations possibles; et l'on verrait notre industrie produire en peu de temps ce que la nature n'accomplit qu'en suivant mille détours et au bout d'une longue période. Jusqu'ici une telle espérance ne serait que présomption; or; ce même amour de la vérité qui, sur un terrain solide et parmi les notions certaines, nous fait aspirer à tout ce qu'il y a de plus haut et de plus grand; nous inspire une aversion profonde et constante pour les présomptions et les idées chimériques, et nous excite à les combattre, à les détruire, autant qu'il est en notre pouvoir. - [2,52] Voilà ce que nous avions à dire des prérogatives et priviléges des faits. Nous devons cependant avertir que, dans cet Organum, c'est de la logique que nous faisons et non de la philosophie. Mais, comme notre logique instruit l'esprit et lui enseigne à ne point se payer des vaines abstractions qu'il crée (comme l'y pousse la logique vulgaire), mais à pénétrer dans la réalité des choses, à découvrir les puissances des corps, leurs actes et leurs lois déterminées dans la matière, en sorte que la vraie science ne reproduise pas seulement la nature de l'intelligence, mais aussi celle des choses, il ne faut pas s'étonner si, pour en éclaircir les préceptes, nous l'avons remplie d'exemples empruntés à des observations et à des expériences naturelles. Il y a donc, comme le prouve tout ce qui précède, vingt-sept espèces de faits privilégiés, qui sont les faits solitaires, les faits de migration , les faits indicatifs , les faits clandestins, les faits constitutifs, les faits conformes, les faits exceptionnels, les faits de déviation, les faits limitrophes, les faits de puissance, les faits de concomitance et hostiles, les faits adjonctifs, les faits d'alliance, les faits de la croix, les faits de divorce, les faits de la porte, les faits de citation, les faits de la route, les faits de supplément, les faits de dissection; les faits de la verge, les faits de la carrière, les doses de la nature, les faits de la lutte, les faits significatifs , les faits polychrestes, les faits magiques. L'usage de ces faits, par où ils l'emportent sur les faits vulgaires, est relatif ou à la théorie, ou à la pratique, ou à toutes deux simultanément. En ce qui touche la partie théorique, ces faits donnent des secours, soit aux sens, soit à l'intelligence : aux sens, comme les cinq faits de la larnpe, à l'intelligence, en faisant connaître promptement ce qui n'est pas la forme, comme les faits solitaires; ou en préparant et en pressant la connaissance positive de la forme, comme les faits de migration, les faits indicatifs, ceux de concomitance et les faits adjonctifs, ou en élevant l'esprit, et en le conduisant aux genres et aux natures communes, et cela immédiatement, comme les faits clandestins, exceptionnels et d'alliance; ou au degré le plus proche, comme les faits constitutifs; ou au degré le plus bas, comme les faits conformes, ou en dégageant l'esprit du faux pli que lui donnent les habitudes, comme les faits de déviation; ou, en le conduisant à la forme générale, ou composition de l'univers, comme les faits limitrophes; ou en le mettant en garde contre les causes et les formes mensongères, comme les faits de la croix et de divorce. En ce qui touche la pratique, les faits privilégiés indiquent les opérations, ou les mesurent, ou les rendent moins onéreuses. Ils les indiquent, en montrant par où il faut commencer pour ne point refaire ce qui est déjà fait, comme les faits de puissance, ou à quel but il faut tendre, si l'on en a le pouvoir, comme les faits significatifs; ils les mesurent, comme les quatre sortes de faits mathématiques; ils les rendent moins onéreuses, comme les faits polychrestes et magiques. En, outre, parmi ces vingt-sept espèces de faits, il en est plusieurs, comme nous l'àvons dit plus haut, à propos de quelquesunes, dont il faut faire un recueil dès le commencement, sans attendre les recherches particulières sur chacune des natures. De ce genre sont les faits conformes, exceptionnels, de déviation, limitrophes, de puissance, de la porte, significatifs, polychrestes, magiques; car tous ces faits servent à l'intelligence et aux sens, ou les rectifient ou préparent les opérations d'une manière générale. Il faut au contraire recueillir les autres, lorsqu'on dresse les tables de comparution pour le travail de l'interprétation relatif à quelque nature particulière; car ces faits ont de tels privilèges et une telle importance, qu'ils sont comme l'âme des faits vulgaires de comparution, et, comme nous l'avons dit en commençant, quelques-uns d'eux en valent une multitude des autres. C'est pourquoi, lorsque nous dressons les tables , il les faut rechercher avec un soin extrème, et les recueillir dans les tables. Il nous faudra encore parler de ces faits dans la suite, mais nous devions dès l'abord en traiter et les expliquer. Maintenant, nous devons en venir aux auxiliaires et aux rectifications de l'induction, puis ensuite, aux natures concrètes, aux progrès latents, aux constitutions cachées et à tous les autres sujets que nous avons proposés dans le vingt et unième aphorisme, pour que nous puissions enfin (comme des curateurs probes et fidèles) confier aux hommes leur fortune, après que leur intelligence aura été émancipée et sera en quelque façon devenue majeure; d'où résultera nécessairement une amélioration de la condition humaine et un accroissement de son pouvoir sur la nature. L'homme, par sa chute, a perdu son état d'innocence et son empire sur les créatures; mais l'une ét l'autre perte peut se réparer en partie dans cette vie, la première par la religion et la foi, la seconde par les arts et les sciences. La malédiction portée contre l'homme ne lui a pas rendu la créature complétement et irrévocablement rebelle; mais au nom même de cet arrêt : "Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front"; elle est contrainte par les travaux variés de l'homme (non certes par des discussions ou de vaines cérémonies magiques), à lui fournir son pain de quelque façon, c'est-à-dire à satisfaire les divers besoins de la vie.