[2,27] 27. Parmi les faits privilégiés ; nous mettrons en sixième lieu les faits conformes ou analogues, que nous appelons aussi parallèles ou similitudes physiques. Ce sont ceux qui montrent les ressemblances et les liaisons des choses, non dans les formes secondaires (ce qui est le propre des faits constitutifs), mais tout à fait dans le concret. Ils sont comme les premiers et les plus bas degrés, pour s'élever à l'unité de la nature; ils ne peuvent servir à fonder aucune loi générale dès le principe ; mais seulement ils indiquent et font connaître une certaine hamonie des corps; Cependant, quoiqu'ils n'avancent pas beaucoup le travail de la découverte des formes, ils nous font connaître très utilement la composi`tion des parties de l'univers; où ils pratiquent comme une certaine anatomie ; et quelquefois nous conduisent ainsi, comme par la main, à des lois très élevées et très belles, surtout à celles qui regardent plutôt l'arrangement et l'économie du monde que les natures et les formes simples. On voit des exemples de faits analogues dans le miroir et l'oeil; dans la structure de l'oreille et les lieux où se produit l'écho. De ces analogies, outre le fait même de la conformité, fait précieux à beaucoup d'égards, on déduit facilement la connaissance de cette vérité générale, à savoir, que les organes des sens, et les corps qui déterminent des réflexions vers ces organes, sont de nature semblable. De plus, éclairé par cette connaissance; l'esprit s'élève sans peine à un principe plus haut encore et plus important: à savoir qu'entre les corrélations et les harmonies des corps doués de sentiment, et des corps inanimés il n'y a qu'une différence réelle, c'est la présence de l'esprit animal dans les uns, son absence des autres. Ainsi, autant il y a de corrélations naturelles entre les corps animés; autant il pourrait exister de sens dans les animaux, s'il y avait des ouvertures pratiquées dans les corps animés pour le libre jeu de l'esprit animal dans chacun des membres convenablement disposés et devenus de véritables organes; d'une autre part; autant de sens dans les animaux, autant d éspèces de mouvements dans les corps inertes auxquels manque l'esprit animal; bien qu'il y ait en effet beaucoup plus d'especes de mouvements dans les corps inanimés que de sens dans les animaux à cause du petit nombre des organes. Â l'appui de ce principe, citons commme exemple les douleurs : les animaux éprouvent des douleurs d'espèces différentes; qui ont toutes leur caractère propre (ainsi diffèrent les unes des autres la douleur de la brûlure, celle d`u` froid aigu, celles de la piqûre, de la compression, de l'extension forcée, et vingt autres); de même on ne peut douter que des phénomènes analogues, du moins quant au mouvement, ne se passent dans les corps inanimés; comme dans le bois ou la pierre, lorsqu'ils sont brûlés, resserrés par la gelée; percés, taillés, infléchis, écrasés; et ainsi des autres, bien que la sensation ne soit pas en eux, â cause du défaut d'esprit animal. On voit un autre exemple de faits analogues (ce qui surprendra au premier abord) dans les racines et les branches des végétaux. Tout végétal se développe, étend ses parties en tous sens, les pousse en haut, tout aussi bien qu'en bas, et nous ne voyons d'autre différence entre les racines et les branches, si ce n'est que les unes sont enfermées dans la terre, et les autres étalées à l'air et au soleil. Prenez une branche tendre et bien vivace, courbez-la et introduisez-la dans une couche de terre, non adhérente au sol; vous verrez se développer non pas une branche, mais une racine; faites l'expérience contraire, placez de la terre au-dessus de l'arbre, empêchez au moyen d'une pierre, ou d'un autre obstacle suffisant, qu'il ne s'élève et ne pousse ses branches en hauteur, il les poussera en sens opposé, dans le champ que vous aurez laissé libre. Autre exemple de faits analogues : les gommes des arbres et les gommes extraites des rochers. Les unes et les autres ne sont autre chose que de certaines exsudations et filtrations de sucs; sucs émanant, les uns des végétaux, les autres des rochers; ils possèdent les uns et les autres le brillant et l'éclat, en vertu même de leur filtration très fine et très délicate. C'est la filtration aussi qui explique la différence de beauté et de couleur du poil des animaux et du plumage des oiseaux; elle s'opère moins finement à travers la peau, qu'à travers le tuyau de la plume. Autre exemple de faits analogues : le scrotum dans les animaux mâles, et la matrice dans les femelles. Ces différences de structure d'où résulte la merveille de la distinction des sexes (au moins dans l'ordre des animaux terrestres) semblent se réduire à la très simple différence du dehors au dedans; l'organisation des males produisant au dehors par la force de sa chaleur propre, ce que l'organisation des femelles est contrainte, par le défaut de chaleur, à maintenir au dedans. Autres faits analogues: les nageoires des poissons, les pieds des quadrupèdes, les pieds et les ailes des oiseaux ; Aristote y ajoute les quatre replis du serpent qui se meut. Ainsi, suivant les lois de la nature, les mouvements des êtres vivants doivent s'exécuter, pour la grande majorité, au moyen de membres ou de flexions qui sont au nombre de quatre. On voit encore des exemples de faits analogues dans les dents des animaux terrestres, et les becs des oiseaux; l'observation démontre ainsi que chez tous les animaux d'espèce supérieure il s'opère une sécrétion de matière dure vers la bouche. Ce ne serait pas non plus une absurdité, que de comparer l'homme à une plante renversée. La racine des nerfs et des facultés animales, c'est la tête; les organes de la reproduction sont placés en bas, si nous faisons abstraction soit des bras, soit des jambes. Dans les plantes, au contraire, la racine (qui en est comme la tète) est régulièrement placée en bas ; tandis que les organes de la reproduction occupent la partie supérieure. Un précepte que l'on doit donner et répéter souvent, c'est qu'il faut désormais que les travaux des hommes, dans la recherche et le recueil de l'histoire naturelle, prennent une direction toute nouvelle, et suivent une route opposée à celle que l'on suit aujourd'hui. Jusqu'ici, l'on s'est beaucoup et curieusement occupé de noter les variétés des choses et d'expliquer avec soin les différences des animaux, des plantes, des fossiles; différences qui le plus souvent sont des jeux de la nature et n'apprennent rien de fort utile aux sciences. De telles connaissances ont certes de l'agrément et servent quelquefois dans la pratique ; mais, pour nous faire pénétrer les secrets de la nature, elles n'ont qu'un prix insignifiant ou nul. C'est pourquoi, il faut que l'eprit tourne tous ses soins à découvrir et à remarquer les ressemblances et les analogies des choses, soit dans l'ensemble, soit dans les détails; car ce sont elles qui forment les liens et l'unité dans la nature, et commencent à constituer les sciences. Mais il faut ici prendre un soin exact et sévère de ne recevoir pour faits conformes et analogues que ceux qui expriment, comme nous l'avons déjà dit, des ressemblances physiques, c'est-à-dire réelles et substantielles, et qui ont leurs racines dans la nature, mais non des ressemblances fortuites et seulement apparentes, encore moins de pure curiosité et superstition, telles que les partisans de la magie naturelle (les plus légers des hommes et qu'on doit à peine nommer dans un sujet aussi sérieux que celui-ci) les présentent d'ordinaire dans leurs écrits, décrivant avec un soin aussi frivole qu'insensé de vaines ressemblances et sympathies des choses, et quelquefois même les inventant à plaisir. Ces observations faites, citons encore quelques exemples de faits analogues. On en voit dans la configuration de l'Afrique, et du Pérou joint aux terres qui se projettent jusqu'au détroit de Magellan. L'une et l'autre région ont des isthmes et des promontoires semblables, ce que l'on ne peut expliquer que par des causes identiques. Autres analogues : le nouveau monde et l'ancien ; l'un et l'autre s'élargissent, s'étendent vers le nord, se rétrécissent et se terminent en pointe vers le midi. Faits analogues très dignes de remarque : les froids intenses dans la région de l'air que l'on nomme moyenne, et les feux dévorants qui jaillissent en certains lieux des entrailles de la terre; chacun de ces phénomènes est le maximum ou le point d'intensité extrême, l'un du froid vers la région céleste, l'autre de la chaleur au fond de la terre; maximum déterminé par une réaction violente contre la nature opposée. Enfin, il y a des analogies fort importantes à noter entre les principes des diverses sciences. Certaine figure de rhétorique est conforme à certaine cadence de musique; l'une et l'autre surprennent et saisissent l'auditeur. L'axiome mathématique : "deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles", est analogue au principe fondamental du syllogisme, principe suivant lequel deux termes qui conviennent a un même moyen, conviennent conséquemment entre eux. Disons en terminant que la sagacité qui recherche et découvre les analogies, les similitudes naturelles, est une faculté des plus précieuses dans presque tous les travaux de l'intelligence. [2,28] 28. Parmi les faits privilégiés, nous placerons en septième lieu les faits exceptionnels, que nous appelons aussi irréguliers ou hétéroclites (en empruntant ce terme aux grammairiens). Ce sont ceux qui montrent des corps concrets dont l'apparence est extraordinaire; phénoménale, et qui semblent ne rien avoir de commun avec les autres êtres du même genre. Un fait analogue est semblable à un autre fait, un fait exceptionnel ne ressemble qu'à lui-même. L'usage des faits exceptionnels est le même que celui des faits clandestins; ils font pénétrer dans les profondeurs et l'unité de la nature, et servent ainsi à découvrir les genres, c'est-à-dire les natures communes, que limitent ensuite les différences vraies. Il ne faut pas s'arrêter dans cette étude, avant que les propriétés et les qualités découvertes dans ces êtres, qui peuvent passer pour des miracles de la nature, aient été ramenées et comprises sous quelque forme et loi certaine; de telle sorte que l'on découvre que toute irrégularité ou singularité dépend de quelque forme commune, que ces miracles cnonsistent seulement dans de certaines différences spéciales, dans des degrés et un concours unique de propriétés, et non dans l'espèce même et le fond de l'être ; tandis que maintenant les hommes, sans rechercher plus avant, voient tout simplement dans de telles choses des merveilles et des mystères de la nature, dont on ne peut assigner la cause et qui font exception aux règles générales. Exemples de faits exceptionnels : le soleil et la lune, parmi lés astres; l'aimant parmi les pierres; le vif argent parmi les . métaux; l'éléphant parmi les quadrupèdes; l'odorat du chien de chassé parmi les différentes espèces d'odorat. En grammaire, on considère aussi comme exceptionnelle la lettre S, â cause de la facilité de ses combinaisons avec d'autres consonnes, quelquefois deux, quelquefois trois ; propriété qui n'appartient à aucune autre lettre. Il faut faire grand cas de ces sortes de faits, parce qu'ils aiguisent et vivifient les recherches, et portent remède à l'intelligence gâtée par la coutume et les faits ordinaires. [2,29] 29. Parmi les faits privilégiés, noués placerons en huitième lieu les faits de déviation, qui sont les erreurs de la nature, les aberrations et les monstres où la nature s'écarte et dévie de son cours ordinaire. Les erreurs de la nature diffèrent des faits exceptionnels, en ce que les faits exceptionnels sont des espèces miraculeuses, et les erreurs des individus miraculeux; mais ils ont à peu près le même usage, qui, est de prémunir l'intelligence contre là force de la coutume, et de manifester les formes communes. Et, dans cet ordre de recherches; il ne faut s'arrêter que lorsqu'on a trouvé la cause d'une telle déviation. Cependant cette cause ne se découvre pas tant dans une certaine forme proprement dite, que dans un progrès latent vers la forme. Celui qui connaît les voies de la nature observe plus facilement les déviations, et, d'un autre côté, celui qui connaît les déviations pénètre mieux dans les voies de la nature. Les déviatîons diffèrent encore des faits exceptionnels, en ce qu'elles sont beaucoup plus utiles dans la pratique. Car ce serait une terrible entreprise que de vouloir produire de nouvelles espèces; mais varier les espèces connues et produire ainsi des phénomènes extraordinaires et inouïs, est chose beaucoup plus aisée. On passe facilement des miracles de la nature aux miracles de l'art. Si l'on saisit une fois la nature dans une de ses variations, et si l'on en comprend bien la marche, on pourra, sans beaucoup de peine, conduire la nature par art où elle s'est engagée par aberration fortuite; et non seulement en cette façon, mais en beaucoup d'autres; car une seule erreur montre et ouvre la voie à une foule d'erreurs et de déviations. Ici il n'est pas besoin de citer d'exemples, tant ils sont nombreux. Il faut faire un recueil et une histoire naturelle particulière de tous les monstres et enfantements prodigieux de la nature, en un mot, de toutes les nouveautés, raretés et bizarreries de la nature. Mais il faut faire ce recueil avec un choix scrupuleux, pour qu'il ait de l'autorité. On doit surtout se défier de tous les prodiges qui ont rapport à la religion, comme ceux que rapporte Tite-Live, et tout autant, de ceux qu'on trouve dans les livres de magie naturelle, d'alchimie et autres semblables; car ceux qui les font sont comme les amants des fables. On doit recueillir ces faits dans des histoires graves et dignes de foi et dans des rapports authentiques. [2,30] 30. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en neuvième lieu les faits limitrophes ou de participation. Ce sont ceux qui présentent des espèces de corps telles, qu'elles semblent composées de deux espèces pour servir de transition de l'une à l'autre. Cet ordre de faits peut être justement compris parmi les faits exceptionnels et hétéroclites; car, au milieu de l'universalité des choses, ils sont rares et extraordinaires. Mais cependant, à cause de leur importance, on doit en traiter et leur donner un rang à part; car ils montrent parfaitement la composition des choses et le travail de la nature, indiquent les causes du nombre et de la qualité des espèces ordinaires dans le monde, et conduisent l'esprit de ce qui est à ce qui peut être. Exemples de faits de participation : la mousse, entre les substances pourries et les plantes; certaines comètes, entre les étoiles et les météores ignés; les poissons volants, entre les oiseaux et les poissons; les chauves-souris, entre les oiseaux et les quadrupèdes; le singe, cette bête ignoble qui nous est pourtant si semblable; enfin, tous les produits monstrueux où diverses espèces d'animaux se croisent et se combinent. [2,31] 31. Parmi les faits privilégiés, nous placerons en dixième lieu les faits de puissance ou de faisceaux (en empruntant ce nom aux insignes du pouvoir), que nous appelons aussi esprits ou mains de l'homme. Ce sont les ouvrages les plus nobles et les plus parfaits, et en quelque façon le couronnement de chacun des arts. Comme notre principal but est de faire servir la nature aux affaires et aux besoins de l'homme, rien de plus conséquent que de noter et de compter les conquêtes déjà acquises à l'empire de l'homme (comme autant de provinces occupées et soumises), surtout celles où l'esprit s'est le plus exercé et qui sont les plus parfaites; car c'est par elles que l'on peut le plus facilement passer à des conquêtes nouvelles. Un esprit qui a le ferme dessein, après les avoir étudiées, de pousser plus avant, arrivera indubitablement ou à les conduire plus loin encore, ou à les ramener à quelque théorie déterminée, ou à en tirer par application quelque usage plus relevé. Mais ce n'est pas tout; de même que par les ouvrages rares et extraordinaires de la nature, l'esprit est excité et engagé à la recherche et à la découverte des formes sous lesquelles ces merveilles doivent être comprises, pareil office est accompli par la vue des oeuvres de l'art les plus ingénieuses et remarquables; et certes avec plus d'efficacité, en ce que le mode d'opération dans les merveilles de l'art est le plus souvent connu et facile à saisir, tandis que le plus souvent, dans les merveilles de la nature, il est fort obscur. Il faut cependant prendre garde ici, plus que partout ailleurs, que de tels faits n'abattent l'intelligence et ne la terrassent en quelque façon. Car il est à craindre que devant ces merveilles de l'art, qui semblent comme le faîte et le dernier mot de l'industrie humaine, l'esprit ne se trouve étonné et comme lié et fasciné, de telle sorte qu'il ne puisse plus rien concevoir hors d'elles, et pense qu'on ne peut rien faire de grand que par les moyens qui les ont produites, employés seulement avec plus de soin et des artifices plus consommés. On doit, au contraire, tenir pour certain que les modes d'opération et de production découverts et connus jusqu'à ce jour, sont pour la plupart très pauvres, et que toute véritable puissance dépend et doit être dérivée, comme de sa source, des formes, dont aucune n'a encore été découverte. C'est pourquoi, comme nous l'avons dit ailleurs, celui qui réfléchirait aux machines et aux béliers des anciens, avec quelque application que ce fùt, y employât-il même toute sa vie, n'arriverait jamais à la découverte des canons et des effets de la poudre. Tout comme celui dont toutes les réflexions se porteraient sur les laines et les fils végétaux, ne viendrait jamais à songer au ver à soie et à son travail. C'est pourquoi, si l'on veut y faire attention, on remarquera que toutes les grandes découvertes ont dû le jour, non aux combinaisons de l'esprit et aux développements de l'art, mais entièrement au hasard, dont la coutume est de n'opérer qu'après des siècles. Mais rien ne tient lieu du hasard et ne le prévient, si ce n'est la découverte des formes. ' Il est inutile de donner des exemples particuliers de ces sortes de faits, tant ils sont nombreux.Car il faut entreprendre la grande tàche d'interroger et d'examiner à fond tous les arts mécaniques, et même les arts libéraux, dans leurs opérations, et de faire un recueil et une histoire particulière de tout ce qu'ils contiennent de plus relevé, et des oeuvres capitales avec les modes de production et d'opération. Cependant nous ne faisons point une loi de s'astreindre dans ces recherches aux oeuvres qui paraissent être le chef-d'oeuvre à la fois et le secret de l'art, et qui ont le privilège d'exciter l'admiration. L'admiration est fille de l'extraordinaire; car tout ce qui est extraordinaire, quoique au fond de nature vulgaire, produit l'admiration. Tandis qu'au contraire, les choses qui méritent une véritable admiration, parce qu'elles constituent une espèce entièrement distincte de toutes les autres, pour peu qu'elles soient familières à l'homme, sont à peine remarquées. Mais on doit noter les faits exceptionnels de l'art, tout autant que les faits exceptionnels de la nature, dont nous avons déjà parlé. Et de même que, parmi les faits exceptionnels de la nature, nous avons mis le soleil, la lune, l'aimant et choses semblables, qui toutes vulgàires qu'elles sont, n'en ont pas moins une nature spéciale, ainsi doit-on faire pour les oeuvres exceptionnelles de l'art. Parmi les oeuvres de l'art, on doit préférer celles qui se rapprochent le plus de l'imitation de la nature, ou, au contraire, qui la dominent et la changent le plus. Parmi les faits exceptionnels de l'art, citons le papier, un des produits les plus vulgaires. Étudiez-en la composition. Les autres produits de notre industrie s'ont, ou des tissus à chaîne et à trame, comme les étoffes de soie, de laine, de lin et autres semblables; ou des composés de certains sucs solidifiés, comme la brique, l'argile de potier, le verre, l'émail, la porcelaine, et autres semblables; composés qui brillent quand la matière a un grain égal et fin; qui, dans le cas contraire, acquièrent une dureté suffisante, mais non pas de brillant. Cependant tous ces produits, composés de sucs solidifiés, sont solides, et manquent de cohérence et de ténacité. Tout au contraire, le papier est tenace; on peut le couper; le déchirer; analogue aux peaux des animaux, aux feuilles des arbres, il rivalise avec ces ouvrages de la nature. Il n'est ni fragile, comme le verre; ni tissu comme le drap; il a, non des fils qui se comptent, mais des fibres qui se confondent, à l'instar des produits de la nature. Ainsi donc, parmi les produits de l'industrie, le papier tient une place vraiment à part et nous offre l'exemple d'un fait exceptionnel. C'est ainsi qu'il faut choisir, parmi les ouvrages de nos mains, ceux qui imitent le mieux la nature; ou, en sens contraire, ceux qui le maîtrisent le mieux et en renversent le cours. Dans l'ordre des faits que nous appelons esprits et mains de l'homme, il ne faut pas dédaigner les jeux d'adresse, les prestiges. Bien que leur distinction soit frivole à l'excès, on peut en tirer, quand on les connaît bien, des inductions fort importantes. Disons même qu'il y a quelque profit à faire dans l'examen des pratiques superstitieuses et de ce que le vulgaire nomme magie. Quoique sur ce terrain on ne voie d'abord qu'un amas extraordinaire de mensonges et de fables, cependant il est bon d'y jeter lès yeux; peut-être découvrirait-on, en quelque endroit, une opération naturelle; par exemple, dans leur prétendue fascination, dans leurs pratiques pour fortifier l'imagination, dans la correspondance secrète à distance; dans les communications merveilleuses, soit du physiqueau physique, soit du moral au moral, et autres semblables. [2,32] 32. De-ce que nous avons dit, il résulte que les cinq espèces de faits dont nous avons parlé en dernier lieu, faits analogues, faits exceptionnels, faits de déviation, faits dé liinitation et faits de puissance, ne doivent pas être ajournées jusqu'à la recherche de quelque nature déterminée (comme doivent l'être les autres faits que nous avons exposés en premier lieu, et plusieurs de ceux qui viendront ensuite), mais que l'on doit dès le commencement en faire un recueil et comme une certaine histoire particulière, parce qu'ils ne laissent entrer dans l'intelligence que des connaissances de choix, et corrigent le mauvais tempérament de l'esprit, qui doit nécessairement être affecté, attaqué et corrompu par le cours habituel et ordinaire des choses. On doit donc voir dans ces faits une sorte de préparation qui rectifie et purge l'intelligence. Tout ce qui enlève l'intelligence à ses habitudes vulgaires, en aplanit et égalise le terrain, et le rend propre à recevoir la lumière pure et nette des notions vraies. Bien plus, ces faits préparent et ouvrent la voie à la pratique, comme nous le dirons en son lieu, lorsque nous parlerons des applications pratiques. [2,33] 33. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en onzième lieu les faits de concomitance et les faits hostiles, que nous appelons aussi faits de propositions fixes. Ce sont les expériences où l'on trouve quelque corps ou sujet concret, que suive perpétuellement la nature étudiée, comme une compagne fidèle, ou que fuie perpétuellement cette nature, comme exclue d'une telle société et traitée en ennemie. Au moyen de ces faits, on peut former des propositions certaines et universelles, ou affirmatives, ou négatives, dont le sujet soit ce corps ou matière concrète, et le prédicat la nature en question; car on ne trouve absolument rien de fixe dans les propositions particulières qui nous présentent la nature en question variable et mobile dans quelque sujet concret, soit qu'elle arrive et que le sujet l'acquière, soit qu'elle s'éloigne et qu'il la perde. C'est pourquoi les propositions particulières ne méritent aucun privilége important, si ce n'est à l'occasion des migrations dont nous avons parlé. Et cependant, ces propositions particulières, comparées avec lés universelles et rapprochées d'elles, sont d'un grand secours, comme nous le montrerons plus tard. Et même, dans ces propositions universelles, nous ne demandons point une affirmation ou une négation complète et absolue; elles suffisent à notre but, lors même qu'elles souffrent quelque rare exception. Les faits de concomitance servent à presser la connaissance positive de la forme. De même que les faits de migration pressent la connaissance positive de la forme, en ce qu'il faut établir que la forme recherchée est certainement quelque chose que le corps revêt ou dépouille dans l'acte même de la migration; les faits de concomitance pressent la connaissance positive de la forme, en ce que, nécessairement, on doit établir que la forme est quelque chose qui entre dans la composition d'un tel corps concret, ou qui ait de la répugnance pour cette composition, de sorte que celui qui connaîtra bien la composition de ce corps ne sera pas fort éloigné de mettre en lumière la forme de la nature étudiée. Exemple : Supposons que le sujet de recherches soit la chaleur; on voit un fait de concomitance dans la flamme. En effet, dans l'eau, l'air, la pierre, les métaux, et nombre infini d'autres corps, la chaleur n'est rien moins que fixe; elle survient et disparaît ensuite; toute flamme, au contraire, est chaude; il est impossible qu'une matière enflammée ne contienne pas de chaleur. Mais nous ne connaissons aucun fait hostile relativement à la chaleur. L'intérieur de la terre échappe à notre expérience; et tout ce que nous connaissons de matière et de composés, sans aucune exception, est susceptible de chaleur. Autre exemple pour la théorie de la consistance : un fait hostile se voit dans l'air. Un métal peut être fluide et consistant; ainsi en est-il du verre, ainsi de l'eau elle-même, qui se congèle; mâis il est impossible à l'air d'acquérir de la consistance ou de perdre sa fluidité. Mais, au sujet des faits de propositions fixes, il y a encore deux avertissements utiles à donner. Le premier, c'est que, lorsqu'il manque une proposition universelle affirmative ou négative, il faut la noter avec soin comme n'existant pas, ainsi que nous l'avons fait pour la chaleur, qui n'a point d'universelle négative dans la nature, du moins parmi les corps que nous connaissons. Pareillement, si la nature étudiée est quelque chose d'éternel et d'incorruptible, nous ne lui trouverons point dans ce monde d'affirmative universelle; car on ne peut rien trouver d'éternel et d'incorruptible dans aucun des corps qui se trouvent au-dessous des régions célestes, et au-dessus des régions inférieures de la terre. Le second avertissement est qu'à ces propositions universelles, tant affirmatives que négatives, sur un sujet concret; il faut joindre les autres sujets qui paraissent le plus se rapprocher de l'absence ou du néant d'affirmation ou de négation; telles sont, pour la chaleur, les flammes douces et qui brûlent très faiblement; pour l'incorruptibilité, l'or qui en approche le plus. Car ce sont là tout autant d'indications des limites de la nature entre l'être et le non-être, indications qui sont fort utiles pour la circonscription des formes, et pour empêcher qu'elles ne s'échappent et n'errent en dehors des conditions de la matière.