[8,3b] 10. L'empire de la mer est comme un abrégé de la monarchie. Cicéron écrivant à Atticus sur les préparatifs de Pompée contre César, s'exprime ainsi à son sujet : "Le plan de Pompée ressemble tout-à-fait à celui de Thémistocle; il pense que celui qui est maître de la mer, est maître de tout". {Cicéron, Lettres à Atticus, X, 8} Aussi n'est-il pas douteux qu'à la longue il ne fût parvenu à lasser César et à le consumer, si, enflé d'une vaine présomption, il ne se fût écarté de ce plan. Une infinité d'exemples montrent de quel poids sont les batailles navales. La bataille d'Actium décida de l'empire de l'univers ; celle de Lépante attacha une bride aux Turcs : combien de fois les victoires remportées sur mer n'ont-elles pas suffi pour terminer les guerres; ce qui pourtant n'a eu lieu que dans les cas où l'on avait commis toute la fortune de ces guerres au hasard d'un pareil combat. Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que celui qui est le maître de la mer, agit en toute liberté, et que, par rapport à la guerre, il n'en prend qu'autant qu'il veut; au lieu que celui qui ne doit sa supériorité qu'aux troupes de terre, ne laisse pas d'être exposé à une infinité d'inconvénients; mais, si aujourd'hui, et chez nous autres Européens, la puissance navale (qui sans contredit est échue en partage à ce royaume de la Grande Bretagne) est plus qu'en tout autre temps et en tout autre lieu d'un grand poids pour élever une nation au premier rang, c'est ou parce que la plupart des royaumes de l'Europe ne sont pas simplement méditerranées, mais en très grande partie ceints par la mer; ou encore parce que les trésors et les richesses des deux Indes sont attachées à cet empire de la mer, et en sont comme l'accessoire. 11 . Les guerres modernes semblent se faire dans les ténèbres, en comparaison de cette gloire et de cet éclat, qui, dans les temps anciens, rejaillissait des exploits militaires sur les guerriers mêmes. Nous avons bien aujourd'hui, pour animer les courages, certains ordres militaires assez honorables, mais qui malheureusement sont devenus communs à la robe et à l'épée. Au même but tendent ces marques distinctives et glorieuses, qu'on voit dans les armoiries de certaines familles. Tels sont encore les hospices publics établis pour les soldats vétérans ou invalides; mais chez les anciens, c'était bien autre chose. Sur les lieux mêmes où les victoires avoient été remportées, on élevait des trophées, on prononçait des oraisons funèbres, on érigeait de magnifiques monuments en faveur de ceux qui étaient morts au champ d'honneur; ajoutez ces couronnes civiques, militaires, qu'on décernait à tel ou tel individu.. Et ce titre même d'empereur, que dans la suite les plus grands souverains empruntèrent des généraux d'armée, il faut le compter pour quelque chose. Oublions encore moins ces triomphes si fameux décernés aux généraux d'armée à leur retour des expéditions militaires heureusement terminées. Telles étaient enfin ces gratifications, ces largesses faites aux armées au moment de les licencier. Ces moyens, dis-je, étaient si multipliés, ils étaient si grands, si éclatants, si imposants, qu'ils portaient, pour ainsi dire, le feu dans les âmes, échauffaient les coeurs les plus glacés, et les enflammaient de l'ardeur des combats ; mais surtout cet usage de triompher, chez les Romains, n'était pas, comme on pourrait le penser, une simple pompe, une sorte de vain spectacle, mais bien une des plus sages et des plus nobles institutions, attendu qu'elle renfermait trois avantages. D'abord, l'honneur et la gloire des chefs, puis celui d'enrichir le trésor public des dépouilles des ennemis ; enfin, celui de fournir de quoi faire des largesses aux soldats. Mais l'honneur du triomphe ne convient peut-être pas aux monarchies, si ce n'est en la personne du roi même, ou des fils du roi. Et tel était l'usage à Rome, du temps des empereurs, qui, après les guerres qu'ils avaient faites en personne, réservaient pour eux et leurs enfants, l'honneur même du triomphe, comme leur étant propre ; n'accordant aux autres généraux que des robes triomphales et autres décorations de cette espèce. Mais, afin de terminer ces discours, nous dirons, et c'est ce qu'atteste l'écriture même, "qu'il n'est point d'homme qui, à force d'y songer, puisse ajouter une coudée à sa taille", {Mathieu, VI, 27 ; Luc, XII, 25} ce qui n'est vrai que par rapport à la stature du corps humain; mais dans les dimensions beaucoup plus grandes des royaumes et des républiques, la vérité est que l'avantage d'étendre un empire et d'en reculer les limites, est au pouvoir des rois et de ceux qui commandent; car, qui serait assez sage pour introduire des lois, des institutions et des coutumes de la nature de celles que nous venons de proposer, et d'autres semblables, jetterait, pour les siècles suivants et la postérité, des semences d'agrandissement. Mais ce sont là de ces sujets qu'on traite rarement devant les princes; et la plupart du temps, c'est à la seule fortune qu'on commet toutes ces choses. Voilà donc, par rapport à l'art de reculer les limites d'un empire, ce qui, pour le moment, se présente à notre esprit; mais à quoi bon toute cette dissertation, la monarchie romaine devant être (du moins à ce qu'on croit) la dernière des monarchies mondaines? c'est afin d'être fidèles à notre plan, que nous ne perdons jamais de vue; car, ces trois offices de la politique, que nous avons marqués distinctement, celui d'agrandir un empire étant le troisième, nous n'avons pas dit le passer entièrement sous silence. Ainsi, de ces deux choses que nous avions notées comme étant à suppléer, reste la seconde; savoir : celle qui a pour objet la justice universelle, ou les sources du droit. Si quelques auteurs ont écrit sur les lois, c'est en philosophes ou en jurisconsultes qu'ils ont traité ce sujet. Quant aux philosophes, ils ont proposé une infinité de choses fort belles pour le discours, mais trop éloignées de la pratique; et les jurisconsultes, assujettis, dévoués à la lettre des lois de leur patrie, ou même des lois romaines ou pontificales, n'ont pas suffisamment usé de la liberté de leur jugement, et tout ce qu'ils disent sur ce sujet, ils semblent le dire du fond d'une prison. C'est sans contredit un genre de connaissances qui appartient aux hommes d'état, c'est à eux qu'il faut demander ce que comportent la nature de la société humaine, le salut du peuple, l'équité naturelle, les moeurs des nations, les diverses formes de gouvernement. Ainsi, c'est à eux de donner leurs décisions sur les lois, d'après les principes et les préceptes, soit de l'équité naturelle, soit de la politique. Il ne s'agit donc ici que de remonter aux sources de la justice et de l'utilité publique, et de présenter, dans chaque partie du droit, un certain caractère, une certaine idée du juste, à laquelle on puisse rapporter les lois particulières des royaumes et des républiques, afin de les mieux apprécier et de les corriger; pour peu qu'on ait cette entreprise à coeur, et qu'on s'occupe de ce soin. Ainsi nous en donnerons un exemple, suivant notre coutume, et sous un seul titre. Exemple d'un traité sommaire sur la justice universelle et sur les sources du droit, rédigé sous un seul titre, et par aphorismes. APHORISME 1. Dans la société civile, c'est ou la loi ou la force qui commande. Or, il est une certaine espèce de violence qui singe la loi, et une certaine espèce de loi qui respire plus la violence que l'équité de droit. L'injustice a trois sources; savoir : la violence pure, un certain enlacement malicieux, sous prétexte de la loi; enfin, l'excessive rigueur de la loi même. APHORISME 2. Tel est le vrai fondement du droit privé. L'effet d'une injustice, pour celui qui la commet, et en conséquence du fait même, est ou une certaine utilité, ou un certain plaisir, ou un certain risque, à cause de l'exemple qu'il donne. Quant aux autres, ils ne participent point à ce plaisir ou à cette utilité ; mais ils pensent que cet exemple s'adresse à eux-mêmes. C'est pourquoi ils se déterminent aisément à se réunir, pour se garantir tous, par le moyen des lois, de peur que l'injustice ne faisant, pour ainsi dire, le tour, ne s'adresse successivement à chacun d'eux. Que si, par l'effet de la disposition des temps et de la complicité, il arrive que ceux qu'une loi menace, soient en plus grand nombre et plus puissants que ceux qu'elle protège, alors une faction dissout la loi, et c'est ce qui arrive souvent. APHORISME 3. Mais le droit privé subsiste, pour ainsi dire, à l'ombre du droit public; car c'est la loi qui garantit le citoyen, et le magistrat qui garantit la loi. Or, l'autorité des magistrats dépend de la majesté du commandement, de la structure de la police et des lois fondamentales. Ainsi, pour peu que ces parties soient saines, et que la constitution soit bonne, les lois seront bien observées et d'un heureux effet, sinon on y trouvera peu d'appui. APHORISME 4. Or, l'objet du droit public n'est pas seulement d'être une simple addition au droit privé, de lui servir comme de garde, d'empêcher qu'on ne le viole, et de faire cesser les injures; mais de plus il s'étend à la religion, aux armes, à la discipline et aux décorations publiques, à tous les moyens de puissance; en un mot, à tout ce qui concerne le bien-être de la cité. APHORISME 5. Le but, la fin, que les lois doivent envisager, et vers laquelle elles doivent diriger toutes leurs jussions et leurs sanctions, n'est autre que celle-ci : de faire que les citoyens vivent heureux. Or, ce but, ils y parviendront, si, la religion et la piété ayant présidé à leur éducation, ils sont honnêtes, quant à leurs moeurs ; en sûreté, à l'égard de leurs ennemis, par leurs forces militaires ; à l'abri des séditions et des injures particulières, par la protection des lois; obéissant à l'autorité et aux magistrats; enfin, par leurs biens et leurs autres moyens de puissance, riches et florissants. Or, les instruments et les nerfs de toutes ces choses-là, ce sont les lois. APHORISME 6. Ce but, les meilleures lois y atteignent ; mais !a plupart des lois le manquent. Or, entre telles et telles lois on observe des différences infinies, et il en est qui sont à une distance immense les unes des autres; en sorte qu'il en est d'excellentes et de tout-à-fait vicieuses. Nous dicterons donc, en raison de la mesure de notre jugement, certaines ordonnances qui sont comme des lois de lois, à l'aide desquelles on verra aisément ce que dans chacune des diverses lois il se trouve de bien ou de mal posé et constitué. APHORISME 7. Mais avant de passer au corps même des lois particulières, nous dirons un mot des qualités et du mérite des lois en général. Une loi peut être réputée bonne, lorsqu'elle est, quant à son intimation, bien certaine ; juste, quant à ce qu'elle prescrit; facile, dans l'exécution, et de plus bien d'accord avec la forme de la police, et tendant à enfanter la vertu dans les sujets. APHORISME 8. Il importe tellement à la loi qu'elle soit certaine, que, sans cette condition, elle ne peut pas même être juste. "En effet, si la trompette ne rend qu'un son incertain, qui est-ce qui se préparera à la guerre ?" {I Corinthiens XIV, 8} De même, si la loi n'a qu'une voix incertaine, qui est-ce qui se disposera à obéir ? Il faut donc qu'elle avertisse avant de frapper; et c'est avec raison qu'on établit en principe : "que la meilleure loi est celle qui laisse le moins à la disposition du juge", {Aristote, Rhétorique, I, 1} et c'est un avantage qui résulte de sa certitude. APHORISME 9. L'incertitude de la loi peut avoir lieu dans deux cas : l'un, quand il n'y a point de loi portée; l'autre, lorsque la loi établie est obscure et ambiguë. Il faut donc parler d'abord des cas omis par la loi; afin de trouver, par rapport à ces cas, quelque règle de certitude. Des cas omis par la loi. APHORISME 10. Les limites de la prudence humaine sont si étroites, qu'elle ne peut embrasser tous les cas que le temps peut faire naître. Aussi n'est-il pas rare de voir des cas omis et nouveaux. Or, par rapport à ces cas, on emploie trois sortes de remèdes. Ou l'on procède par analogie; ou l'on se règle sur des exemples, quoiqu'ils n'aient pas encore force de loi; ou par des juridictions qui statuent d'après les décisions d'un prud'homme, et d'après des distinctions bien justes; soit que ces tribunaux soient prétoriens ou censoriens. De la manière de procéder par analogie, et d'étendre les lois. APHORISME 11. Il faut, par rapport aux cas omis, déduire la règle du droit, des cas semblables, mais avec précaution et avec jugement: en quoi il faut observer les règles suivantes ; que la raison soit prolifique, mais que la coutume soit stérile et n'enfante pas de cas nouveaux. Ainsi, ce qui est contraire à la raison du droit, ou encore ce dont la raison est obscure, ne doit point être tiré en conséquence. APHORISME 12. Un bien public et frappant, attire à soi les cas omis. Ainsi, lorsqu'une loi procure à la République un avantage notable et manifeste, il finit, en l'interprétant, lui donner hardiment de l'extension et de l'amplitude. APHORISME 13. C'est cruauté de donner la torture aux lois pour la donner aux hommes. Ainsi, je n'aime point qu'on étende les lois pénales ; beaucoup moins encore les lois capitales, à des délits nouveaux. Que si le crime étant ancien et désigné par la loi, la poursuite de ce crime tombe dans un cas nouveau que la loi n'ait pas prévu; alors il faut s'écarter tout-à-fait des maximes du droit, plutôt que de laisser les crimes impunis. APHORISME 14. Dans les statuts qui abrogent le droit commun, principalement lorsqu'il s'agit de choses qui arrivent fréquemment, et qui ont pris pied, je n'aime point qu'on procède par voie d'analogie, des cas désignés aux cas omis. Car, si la république a bien pu se passer si longtemps de la loi toute entière, même dans les cas exprimés, on risque peu d'attendre qu'un nouveau statut vienne suppléer aux cas omis. APHORISME 15. Quant aux statuts qui sont visiblement des lois de circonstances, et qui sont nés des situations où se trouvait la république, lorsqu'elles faisaient sentir toute leur force, si la situation actuelle est différente, c'est assez pour ces statuts que de se soutenir dans les cas qui leur sont propres; et ce serait renverser l'ordre, que de les appliquer, par une sorte de retrait, aux cas omis. APHORISME 16. Il ne faut point tirer d'une conséquence une autre conséquence; mais l'extension doit s'arrêter dans les limites des cas les plus voisins; sans quoi l'on tombera peu à peu dans des cas dissemblables, et la pénétration d'esprit aura plus d'influence que l'autorité des lois. APHORISME 17. Quant aux lois et aux statuts d'un style plus concis, on peut, en les étendant, se donner plus de liberté; mais, par rapport à celles qui font l'énumération des cas particuliers, il faut user d'une plus grande réserve; car, comme l'exception renforce la loi dans les cas non exceptés, par la raison des contraires, l'énumération l'infirme dans les cas non dénombrés. APHORISME 18. Tout statut explicateur bouche, pour ainsi dire, l'écluse du statut précédent, et n'admet plus d'extension par rapport à l'un ou à l'autre statut; et lorsque la loi a commencé elle-même à s'étendre, le juge ne doit point faire de sur-extension. APHORISME 19. Les mots et les actes solennels n'admettent point d'extension aux cas semblables; car tout ce qui, étant d'abord consacré par l'usage, devient ensuite sujet au caprice, perd alors son caractère de solennité, et l'introduction des nouveaux usages détruit la majesté des anciens. APHORISME 20. Mais on peut se permettre d'étendre la loi aux cas nés après coup, et qui n'existaient point dans la nature des choses dans le temps où la loi fut portée; car, ou il était impossible d'exprimer un cas de cette espèce, parce qu'il n'en existait point encore de tel; ou le cas omis peut être réputé exprimé, s'il a beaucoup d'analogie avec les cas désignés. En voilà assez sur les extensions des lois, dans les cas omis; parlons actuellement de l'usage des exemples. Des exemples et de leur usage. APHORISME 21. Il est temps de parler des exemples où il faut puiser le droit lorsque la loi manque. Et quant à la coutume, qui est une sorte de loi, et aux exemples qui, par un fréquent usage, ont passé en coutume et sont une sorte de loi tacite, nous en parlerons en leur lieu; nous ne parlons que des exemples qui se présentent rarement et de loin en loin, et qui n'ont point acquis force de loi. Il s'agit de savoir quand et avec quelles précautions il en faut tirer la règle du droit, lorsque la loi manque. APHORISME 22. Ces exemples doivent se tirer des meilleurs temps, des plus modérés, et non des temps de tyrannie, de factions et de dissolution; car les exemples de cette dernière espèce ne sont que des bâtards du temps; ils sont plus nuisibles qu'utiles. APHORISME 23. En fait d'exemples, les plus récents sont ceux qu'il faut regarder comme les plus sûrs ; car ce qui s'est fait peu auparavant, et dont il n'est résulté aucun inconvénient, qui empêche de le refaire ? Il faut convenir pourtant que ces exemples si récents ont moins d'autorité; et si par hasard il était besoin d'amender les choses, on trouverait que ces exemples si nouveaux respirent plus l'esprit de leur siècle, que la droite raison. APHORISME 24. Quant aux exemples plus anciens, il ne les faut adopter qu'avec précaution et avec jugement; car le laps du temps amène tant de changements, qu'il est telles choses qui, à considérer le temps, paraissent anciennes; mais qui, par rapport aux troubles qu'elles excitent, et à la difficulté de les ajuster au temps présent, sont tout-à-fait nouvelles. Ainsi, les meilleurs exemples sont ceux qui se tirent des temps moyens, et surtout des temps qui ont beaucoup d'analogie avec le temps présent: et cette analogie quelquefois on la trouve plutôt dans un temps éloigné, que dans un temps voisin. APHORISME 25. Renfermez-vous dans les limites de l'exemple; ou plutôt dans son voisinage; mais gardez-vous bien, dans tous les cas, de passer ces limites. Car où manque une loi qui puisse servir de règle, on doit tenir presque tout pour suspect. Ainsi, il en doit être de ces exemples comme des choses obscures; ne vous y attachez pas trop. APHORISME 26. Il faut se défier aussi des fragments et des abrégés d'exemples; mais considérer le tout ensemble avec tout l'appareil de sa marche. Car s'il est contre le droit de juger d'une partie de la loi, sans avoir envisagé la loi toute entière, à plus forte raison doit-on considérer le tout, lorsqu'il s'agit des simples exemples, lesquels sont d'une utilité très équivoque, à moins qu'ils ne cadrent parfaitement. APHORISME 27. Dans le choix des exemples, ce qui importe fort, c'est de savoir par quelles mains ils ont passé, et qui les a maniés: car s'ils n'ont eu cours que parmi les greffiers seulement et les ministres de la justice, et d'après le courant du tribunal, sans que les supérieurs en aient eu pleine connaissance, ou encore parmi le peuple, qui, en fait d'erreur, est un grand maigre, il faut marcher dessus et en faire peu de cas : mais si c'est parmi les sénateurs, les juges ou dans les grands tribunaux, et qu'ils aient été mis sous leurs yeux, au point qu'on soit en droit de supposer qu'ils ont été appuyés de l'approbation des juges, tout au moins tacite, alors ils ont plus de poids et de valeur. APHORISME 28. Quant aux exemples qui ont été publiés, en supposant même qu'ils aient été moins en usage; cependant, comme ils ont dû être discutés, et, pour ainsi dire, tamisés dans les conversations et les disputes journalières, on doit leur accorder plus d'autorité : mais ceux qui sont demeurés comme ensevelis dans les bureaux et les cabinets d'archives, et condamnés publiquement à l'oubli, ils en méritent moins; car il en est des exemples comme de l'eau; ce sont les plus courants qui sont les plus sains. APHORISME 29. Quant aux exemples qui regardent les lois, nous n'aimons point qu'on les emprunte des historiens; mais nous voulons qu'on les tire des actes publics et des traditions les plus exactes. Car c'est un malheur attaché aux historiens, même aux meilleurs, qu'ils ne s'arrêtent point assez aux lois et aux actes judiciaires; et que s'ils font preuve de quelque attention sur ce point, ils ne laissent pas de s'éloigner des documents les plus authentiques. APHORISME 30. Un exemple qu'a rejeté le temps même où il s'est offert, ou le temps voisin, en supposant même que le cas auquel il se rapporte se présente de temps à autres; cet exemple, dis-je, ne doit pas être admis trop aisément. Et que les hommes en aient quelquefois fait usage, c'est une raison qui fait moins pour cet exemple, que le parti qu'ils ont pris de l'abandonner d'après l'épreuve, ne milite contre.