[8,2d] PARABOLE. 21. Il était une cité petite et mal peuplée. Un grand roi vint l'attaquer; il combla les fossés; il fit une circonvallation, et toutes les dispositions nécessaires pour un siège furent achevées. Il se trouva dans cette ville un homme tout-à-la fois pauvre et sage, qui la sauva par sa sagesse; mais ensuite cet homme pauvre, personne ne s'en souvint plus. {Ecclésiaste, IX, 14, 15} EXPLICATION. Cette parabole nous donne une idée du génie pervers et de la malveillance de la plupart des hommes. Dans le malheur, et lorsque la nécessité les presse, ils ont recours aux hommes prudents et courageux qu'ils méprisaient auparavant ; mais dès que l'orage est passé, ceux qui les ont sauvés, n'éprouvent de leur part que de l'ingratitude; et ce n'est pas sans raison que Machiavel, à ce sujet, propose cette question ; savoir : "quel est le plus ingrat du prince ou du peuple," {Macchiavel, Discours, I, 29} mais en attendant il taxe l'un et l'autre d'ingratitude. Cependant cet oubli dont nous parlons, ne vient pas seulement de l'ingratitude du prince ou du peuple, il a encore une autre cause ; savoir : la jalousie des grands, qui s'affligent en secret du plus heureux succès dont on ne leur a point l'obligation. Aussi ne manquent-ils pas de rabaisser le mérite de celui qui a rendu ce service, et de le déprimer le plus qu'ils peuvent. PARABOLE. 22. La voie du paresseux est semblable à une haie d'épines. {Proverbes, XV, 10} EXPLICATION. Cette parabole nous montre, avec beaucoup d'élégance, que la paresse finit par la peine. Car lorsqu'on fait ses préparatifs avec toute la diligence et tout le soin requis, on a l'avantage de ne point heurter son pied contre aucune pierre d'achoppement, et d'aplanir le chemin avant de se mettre en marche. Au lieu que le paresseux, l'homme qui diffère jusqu'au dernier moment, est ensuite forcé de se faire un chemin à travers des broussailles et des épines qui l'arrêtent à chaque pas. C'est ce qu'on peut observer aussi dans le gouvernement de la famille. Quand on met dans tout le soin et la diligence nécessaires, tout marche paisiblement, et coule de soi-même sans bruit et sans fracas ; sinon au premier grand besoin qui survient, il faut tout faire à-la-fois, les domestiques font un bruit terrible, et toute la maison retentit de ce fracas. PARABOLE. 23. Celui qui, dans un jugement regarde au visage, ne fait pas bien; et cet homme, pour une bouchée de pain, abandonnera la vérité. {Proverbes, XXVIII, 21} EXPLICATION. Cette parabole observe très judicieusement que, dans un juge, une certaine facilité de caractère est plus pernicieuse que l'avidité qui se laisse corrompre par des présents. Car il s'en faut de beaucoup que tout le monde puisse faire des présents; mais il est peu de causes où il ne se trouve quelque considération qui fléchisse l'esprit du juge, dès qu'une fois il regarde aux personnes. Celui-ci est populaire, celui-là est une mauvaise langue, un autre est riche, un autre encore plaît davantage, tel lui est recommandé par un ami. Enfin, où domine l'acception de personnes, tout respire la partialité, et l'on rend des jugements iniques pour fort peu de chose; en un mot, pour une bouchée de pain. PARABOLE. 24. Un homme pauvre calomniant d'autres pauvres, est semblable à une pluie violente qui amène la famine. {Proverbes XXVIII, 3} EXPLICATION. Cette parabole a été jadis exprimée et peinte dans la fable des deux hirondelles, dont l'une pleine, et l'autre vide. L'oppression exercée par l'homme pauvre et affamé, est beaucoup plus accablante que celle qu'exerce l'homme riche et comblé de biens; car le premier a recours à tous les raffinements de la malhonnêteté, et va furetant dans tous les coins pour trouver le dernier écu. Et pour marquer la différence de ces deux sortes d'homme, on les comparaît ordinairement aux éponges, qui, lorsqu'elles sont sèches, pompent fortement l'humidité, et qui ne la pompent plus de même, une fois qu'elles sont imbibées. Cette parabole renferme un utile avertissement. D'un côté, elle recommande aux princes de ne pas confier le gouvernement des province ou les magistratures à des hommes indigents et obérés : de l'autre, elle conseille aux peuples de ne point exposer leurs souverains à lutter contre une grande indigence. PARABOLE. 25. L'homme juste succombant devant l'impie, c'est la fontaine qu'on trouble avec le pied; c'est le filet d'eau corrompu. {Proverbes XXV, 26} EXPLICATION. Ce que recommande cette parabole, c'est de se donner bien de garde, dans les républiques, de certains jugements iniques et déshonorants, rendus dans des causes célèbres et importantes, surtout lorsque l'effet du jugement est non d'absoudre un coupable, mais de condamner un innocent. En effet, les injustices qui se commettent entre particuliers, ont à la vérité l'effet de troubler et de souiller les eaux de la justice, mais seulement dans les petits ruisseaux; au lieu que ces jugements iniques dont nous parlons, et qui ensuite font exemple, infectent et souillent les sources mêmes de la justice : une fois qu'un tribunal s'est tourné du côté de l'injustice, à l'instant tout est bouleversé, et l'administration n'est plus qu'un brigandage public; c'est alors, sans contredit, que l'homme est pour l'homme un vrai loup. {Cfr. Érasme, Adages, I,1,70] PARABOLE 26. Gardez-vous d'être l'ami d'un homme colère, et de marcher avec un homme furieux. {Proverbes, XXII, 24} EXPLICATION. S'il est vrai qu'entre honnêtes gens il faille respecter les droits de l'amitié, et en remplir scrupuleusement tous les devoirs, c'est une raison de plus pour y regarder d'abord de bien près, et pour choisir ses amis avec le plus grand soin. Pour ce qui est des défauts qui peuvent se trouver dans leur naturel et leur caractère, nous devons, quant à nous-mêmes, nous résoudre à les supporter. Mais si ces liaisons nous imposent la nécessité de jouer à l'égard des autres tel ou tel rôle qu'il plaît à ces amis, c'est alors une bien triste chose que cette amitié; c'est une vraie tyrannie. Il importe donc, comme nous le recommande Salomon, pour assurer son repos et se mettre en sûreté, de ne point mêler dans nos affaires des hommes colères, de ces gens si prompts à susciter des querelles ou à les épouser. Car des amis de cette trempe nous impliquent sans cesse dans des différents et dans des factions, et il faudra ou rompre avec eux, ou se compromettre. PARABOLE. 27. Celui qui tait vos fautes, recherche votre amitié; mais celui qui les rappelle, sépare les alliés. {Proverbes, XVII, 9} EXPLICATION. Il est deux méthodes pour moyenner la paix et rapprocher les esprits : l'une part de l'amnistie; l'autre, en reparlant des injures, y joint des excuses et des apologies. Ce qui me rappelle le sentiment d'un homme vraiment prudent, d'un vrai politique : "Moyenner la paix", disait-il, "sans reparler du sujet de la querelle, c'est plutôt séduire les coeurs par l'amour du repos, qu'accommoder les différents avec équité". Mais Salomon encore plus prudent que lui, est d'un sentiment contraire ; et il préfère l'amnistie au remaniement de l'affaire. En effet, ce soin de rappeler le sujet de la querelle a plusieurs inconvénients. On met, pour ainsi dire, l'ongle dans la plaie, et c'est s'exposer à susciter de nouvelles altercations. Car les parties belligérantes ne sont jamais d'accord sur la mesure des injures réciproques puis il faut en venir à des apologies. Or, chacun des deux partis aime mieux paraître avoir pardonné une offense, qu'avoir reçu une excuse. PARABOLE. 28. Dans tout travail utile est l'abondance; mais où se trouve beaucoup de paroles, se trouve aussi presque toujours l'indigence. {Proverbes, XIV, 23} EXPLICATION. Dans cette parabole, Salomon distingue le fruit du travail de la langue d'avec celui du travail des mains, donnant à entendre que le produit de l'un est la misère, et le produit de l'autre, l'abondance. En effet, il arrive presque toujours que ces gens qui bavardent tant, qui se vantent sans cesse, qui font beaucoup de promesses, manquent de tout, et qu'ils ne tirent aucun fruit de tous ces discours. Rarement ils sont actifs et industrieux : ils se nourrissent, ils dînent de ces discours, et se paissent, pour ainsi dire, de vent. On peut dire, d'après un poète, que "celui qui sait se taire, a de la fermeté". {Ovide, Les remèdes à l'amour, v. 697} Un homme qui sent que sa besogne avance, s'applaudit à lui-même et se tait. Mais celui qui ne peut se dissimuler qu'il n'aspire qu'à un vain bruit de réputation, se vante d'une infinité de choses; il promet monts et merveilles. PARABOLE. 29. Une censure franche et ouverte vaut mieux qu'une amitié qui se cache. {Proverbes, XXVII, 5} EXPLICATION. La parabole relève cette mollesse de certains amis, qui n'osent user du privilège de l'amitié pour reprendre librement et courageusement leurs amis, tant par rapport aux fautes que ceux-ci peuvent commettre, que relativement aux risques qu'ils courent. "Que faire", dit ordinairement tel de ces amis si mous, "quel parti prendre ? je l'aime autant qu'il est possible; et s'il lui arrivait quelque malheur, je me mettrais volontiers à sa place : mais je connais son humeur; si je lui parle trop librement, je le choquerai, ou tout au moins je l'affligerai, et je n'en serai pas plus avancé: l'effet de mes remontrances sera plutôt de me brouiller avec lui, que d'arracher de sa tête ce qui y est comme cloué". Salomon condamne un ami de cette trempe, à titre d'homme sans nerf et sans utilité, et prononce qu'on tire plus de fruit d'un ennemi déclaré, que d'un tel ami; car cet ennemi peut, pour vous humilier, vous dire hautement ce qu'un ami trop indulgent oserait à peine vous dire à l'oreille. PARABOLE 30. L'homme prudent se contente de bien peser toutes ses démarches : l'insensé a recours aux rubriques. {Proverbes XIV, 8 et 15} EXPLICATION. Il est deux espèces de prudence : l'une, saine et véritable; l'autre, basse et fausse. C'est cette dernière que Salomon ne balance pas à qualifier de folie. Celui qui s'adonne à la première, ne marche qu'avec précaution; et pèse avec soin toutes ses propres démarches; prévoyant de loin le danger, pensant de bonne heure au remède, s'appuyant du secours des gens de bien, se fortifiant contre les méchants, circonspect en commençant, soigneux de se ménager une retraite, prompt à saisir les occasions, ferme contre les obstacles: enfin, n'épargnant aucun soin, aucune attention pour bien régler ses actions et ses démarches. Mais l'autre espèce est toute cousue de finesses et de rubriques; elle met toute son espérance dans l'art de circonvenir les autres, et de les tourner à sa fantaisie. Or, celle-ci c'est avec raison que la parabole la rejette, non pas seulement comme malhonnête, mais même comme sotte; car, ce ne sont pas là de ces choses qui soient en notre pouvoir, et il n'est point en cet art de règle fixe sur laquelle on puisse s'appuyer. Mais il faut chaque jour imaginer de nouveaux stratagèmes; les premiers s'usant bientôt et devenant banaux. En second lieu, tout homme qui a une fois encouru la réputation d' homme double et artificieux, s'est privé par là du plus grand instrument dans les affaires, je veux dire, de la confiance des autres. Aussi rarement ses succès seront-ils conformes à ses voeux. Enfin, toutes ses finesses peuvent paraître fort belles dans la spéculation, et l'on peut s'y complaire, mais le plus souvent elles trompent l'attente de celui qui s'y fie. C'est ce que Tacite a fort bien observé : "Les entreprises dirigées par la ruse et l'audace, sont fort belles en projet, difficiles dans l'exécution, et malheureuses dans l'issue". {Tite-Live, Histoire romaine, XXXV, 32} PARABOLE. 31. Ne vous piquez pas d'être trop juste et plus sage qu'il ne faut. Pourquoi vous laisser ainsi emporter tout d'un coup? {Ecclésiaste, VII, 16} EPLICATION. Il est des temps, comme l'observe encore Tacite, "où les grandes vertus mènent infailliblement un homme à sa perte"; {Cfr. Tacite, Histoires, I, 2} et c'est ce qui arrive quelquefois aux hommes distingués par leur vertu et leur justice, quelquefois tout-à-coup, et quelquefois aussi après l'avoir prévu de loin. Que si à ces qualités vous joignez de la prudence; c'est-à-dire, si vous supposez qu'ils soient circonspects et vigilants pour leur propre sûreté, qu'y gagneront-ils? que leur catastrophe arrivera tout-à-coup par des voies obscures et détournées, et qu'on les attaquera par surprise, pour éviter l'odieux d'une attaque ouverte, et pour les perdre plus sûrement. Quant à ce "trop" dont il est question dans la parabole, comme ce n'est pas un Périandre qui parle ici, mais un Salomon, qui observe souvent le mal dans la vie humaine, mais qui ne le conseille jamais ; ce qu'il dit, il faut l'entendre, non de la vertu même, où il n'y a jamais d'excès; mais de cette affectation et de cet étalage qui excite l'envie. Tacite fait entendre quelque chose de semblable au sujet d'un certain Lépidus, remarquant, comme une sorte de miracle, qu'il n'avait jamais ouvert aucun avis qui sentît la servitude, et que cependant il n'avait pas laissé de se conserver dans ces tempe de cruauté. "Lorsque je réfléchis sur ce sujet", dit-il, je ne sais trop si ce n'est pas le destin qui gouverne toutes ces choses; ou si plutôt il n'est pas en notre pouvoir de tenir, entre un honteux assujettissement et une hauteur insolente, un certain milieu tout à la fois exempt de bassesse et d'imprudence". {Cfr. Tacite, Annales, IV, 20} PARABOLE. 32. Fournis au sage l'occasion, et tu verras croître sa sagesse. {Proverbes, IX, 9} EXPLICATION. La parabole fait une distinction entre cette sagesse qui est devenue une véritable habitude et qui s'est bien mûrie, et celle qui ne fait encore que flotter dans la cervelle et dans la pensée, et qui s'étale dans les discours; mais qui n'a point encore jeté de profondes racines. Car la première, dès qu'elle trouve une occasion pour s'exercer, s'éveille aussitôt, se met à l'ouvrage, s'étend au loin, et semble alors se surpasser elle-même. Au lieu que l'autre, qui était si éveillée avant l'occasion, s'étonne et s'abat quand l'occasion est venue ; et cela au point que ceux mêmes qui croyaient en être vraiment doués, sont réduits à en douter, et à soupçonner que tous ces préceptes dont leur esprit est plein, sont autant de rêves et de vaines spéculations. PARABOLE. 33. Celui qui aujourd'hui loue son ami à voix haute, sera pour lui demain, en se levant, une cause de malédiction. {Proverbes, XXVII, 14} EXPLICATION. L'effet des louanges modérées, données à propos et seulement par occasion, est de contribuer beaucoup à la réputation et à la fortune de ceux qui en sont le sujet. Mais des éloges excessifs, bruyants et donnés à contretemps, ne servent de rien. Il y a plus : suivant le sens de la parabole, ils sont très nuisibles; car, 1°. ils décèlent l'intention de ceux qui les donnent ; ils semblent dictés par une excessive prévention en leur faveur, ou affectés à dessein pour séduire les personnes qu'on loue, par des éloges peu mérités, plutôt que pour les faire valoir, en faisant ressortir leurs qualités réelles. En second lieu, un éloge sobre et modéré, invite les auditeurs à y ajouter quelque chose du leur; au lieu que les éloges prodigués et excessifs excitent ceux qui les entendent à en retrancher quelque chose. En troisième lieu (et ce qui est ici le principal point), on réveille l'envie contre celui qu'on loue excessivement; attendu que tous ces éloges trop marqués, semblent avoir pour but d'humilier ceux des auditeurs qui n'en méritent pas moins. PARABOLE. 34. De même qu'on voit son visage dans le miroir des eaux, de même aussi le coeur humain est visible pour les hommes prudents. {Proverbes XXVII, 19} EXPLICATION. La parabole distingue entre les esprits des hommes prudents, et ceux des autres hommes; comparant les premiers à la surface des eaux, ou aux miroirs qui réfléchissent les images des objets et assimilant les autres à la terre, ou à une pierre brute, qui ne les réfléchit point. Et c'est avec d'autant plus de justesse, que l'esprit d'un homme prudent est ici comparé à un miroir, que dans un miroir l'on peut contempler tout-à-la-fois sa propre image et celle des autres, propriété qu'on ne peut attribuer aux yeux mêmes ou à un miroir. Que si l'esprit de l'homme prudent a assez de capacité pour pouvoir observer et démêler une infinité d'esprits et de caractères, reste à tâcher de le rendre assez souple pour varier ses applications, et pour représenter toutes sortes d'objets. {Ovide, L'art d'aimer, I, v. 760}