[6,3b] Exemple du pour et contre. NOBLESSE. I. POUR. Dire de ceux en qui une haute naissance a comme planté la vertu, qu'ils ne veulent pas être méchants, ce n'est pas dire assez ; il faut dire qu'ils ne le peuvent. La noblesse est un laurier dont le temps couronne les hommes. Nous qui révérons si fort l'antiquité dans des monuments tout-à-fait morts, à combien plus forte raison devons-nous la révérer dans les monuments vivants? Si vous méprisez la noblesse des familles, quelle différence après tout restera-t-il entre la race des hommes et celle des brutes? La noblesse soustrait la vertu à l'envie et la livre à la faveur. CONTRE. Rarement la noblesse dérive de la vertu; et plus rarement encore la vertu découle de la noblesse. Les nobles se font plus souvent de leur naissance une excuse, qu'un titre pour parvenir aux honneurs. L'industrie des hommes nouveaux est si supérieure, que les nobles auprès d'eux semblent autant de statues. Dans la carrière, les nobles regardent trop à droite et à gauche ; ce qui est le propre d'un mauvais coureur. BEAUTÉ. II. POUR. Les personnes laides se vengent ordinairement sur les autres du tort que leur a fait la nature. La vertu n'est autre chose qu'une beauté intérieure, et la beauté n'est autre chose qu'une vertu extérieure. Les personnes laides tâchent, à force de malignité, de se garantir du mépris. La beauté fait briller les vertus, et rougir les vices. CONTRE. La vertu, semblable à un diamant précieux, a plus de jeu, lorsqu'elle est montée sans or et sans ornement. Ce qu'un habit élégant est pour un homme laid, la beauté l'est pour un méchant. On observe la même légèreté de caractère dans ceux que décore la beauté, et dans ceux qu'elle séduit. JEUNESSE. III. POUR. Les premières pensées et les résolutions des jeunes gens tiennent plus de l'inspiration divine. Les vieillards sont plus sages sans doute ; oui, pour leur propre compte; mais pour les autres et pour la république, beaucoup moins. Si l'on pouvait pénétrer dans l'intérieur des hommes, l'on verrait que la vieillesse défigure encore plus l'âme que le corps. Les vieillards craignent tout hors les dieux. CONTRE. La jeunesse est le champ du repentir. Le mépris pour l'autorité de la vieillesse est un sentiment inné dans les jeunes gens : c'est afin que chacun devienne sage à ses propres dépens. Ces délibérations auxquelles le temps n'est point appelé, le temps ne les ratifie point. Chez les vieillards, les plaisirs sont remplacés par les grâces. SANTÉ. IV. POUR. Ces soins perpétuels qu'il faut prendre pour sa santé, dégradent l'âme et l'assujettissent au corps. Pour l'âme humaine, un corps bien sain est un hôte ; un corps maladif est un geôlier. Rien n'aide à expédier le gros des affaires comme une santé prospère; une santé faible met trop souvent en vacances. CONTRE. De fréquentes convalescences sont un fréquent rajeunissement. Ce prétexte d'une mauvaise santé est une selle à tous chevaux, dont les gens très bien portants font aussi usage. Une santé inaltérable lie trop étroitement l’âme et le corps. Tel personnage a, de son lit, gouverné un grand empire ; et tel autre a, de sa litière, commandé de grandes armées. UNE ÉPOUSE ET DES ENFANTS. V. POUR. L'amour de la patrie commence à la famille. Cette tendresse qu'inspirent une épouse et des enfants, est une leçon continuelle d'humanité : les célibataires sont durs et austères. Le célibat et la viduité ne sont bons que pour fuir. Celui qui n'engendre point d'enfants, sacrifie à la mort. Heureux à tout autre égard, si les gens mariés sont si souvent malheureux par leurs enfants, c'est de peur que le lot d'un mortel n'approche trop du partage des dieux. CONTRE. L'homme qui s'est donné une épouse et des enfants, a donné des otages à la fortune. Engendrer, avoir des enfants, sont des oeuvres purement humaines; mais créer, agir, voilà les oeuvres vraiment divines. Se perpétuer par ses enfants, c'est l'éternité des brutes; un grand nom, des services éclatants, d'utiles institutions, telle est la seule éternité digne de l'homme. L'intérêt de la famille ruine presque toujours l'intérêt public. Il est des gens qui aimeraient le partage de Priam, lequel survécut à tous les siens. RICHESSES. VI. POUR. Si certaines gens méprisent les richesses, c'est qu'ils désespèrent de s'enrichir. C'est l'envie qu'excitent les richesses, qui a placé la vertu au rang des déesses. Tandis que les philosophes perdent le temps à douter s'il faut tout rapporter à la vertu ou à la volupté, tâchez de vous procurer des instruments pour l'une et pour l'autre. C'est par les richesses que la vertu tourne au bien commun. Les autres biens ne gouvernent tout au plus qu'une province; les richesses gouvernent tout. CONTRE. Voici tout le fruit des richesses : la peine de les garder, le soin de les dispenser, ou le plaisir de les étaler, voilà tout; mais d'utilité, point. Ne voyez-vous pas qu'on a été obligé d'imaginer un prix à certains cailloux brillants, afin que les richesses fussent bonnes à quelque chose? Bien des gens, en se flattant qu'avec leurs richesses ils pourraient tout acheter, se sont eux-mêmes mis en vente. On peut dire que les richesses ne sont que le bagage de la vertu; bagage tout-à-la-fois nécessaire et embarrassant. L'opulence, bonne servante, mauvaise maîtresse. HONNEURS. VII. POUR. Les honneurs sans doute sont des jetons; non pas ceux des tyrans, comme on le dit communément, mais bien ceux de la divine Providence. Les honneurs mettent en vue les vertus et les vices, et c'est ainsi qu'ils aiguillonnent les premières, et répriment les derniers. Nul ne peut savoir au juste quels progrès il a faits dans la vertu, si les honneurs ne lui ouvrent un vaste champ. Il en est de la vertu comme de toute autre chose : lorsqu'elle est hors de son lieu, rien de plus rapide que son mouvement vers ce lieu ; y est-elle, rien alors de plus paisible. Or, le vrai lieu de la vertu, c'est l'honneur. CONTRE. Tandis qu'on court aux honneurs, on abandonne sa liberté. Les honneurs ne donnent guère de pouvoir que par rapport à ces choses que le plus grand bonheur possible est de ne pas vouloir; et le plus grand après celui-là, est de ne pas pouvoir. Le sentier qui mène aux honneurs, est escarpé; le séjour, glissant; la chute, rapide. Ceux qui jouissent des grands honneurs, sont obligés, pour se croire heureux, d'emprunter l'opinion vulgaire. DU COMMANDEMENT ET DU POUVOIR. VIII. POUR. Jouir soi-même de la félicité, est sans doute un grand bien; mais c'est un plus grand bien encore que de pouvoir la dispenser aux autres. Les rois ne sont pas seulement une certaine espèce d'hommes, mais une sorte d'astres, tant ils ont d'influence et sur les individus et sur les siècles mêmes. Oser résister à ceux qui sont ici bas les représentants de Dieu même, n'est pas seulement un crime de lèse-majesté, mais même une sorte de théomachie. CONTRE. Quel état plus misérable que de n'avoir rien à désirer, et d'avoir tout à craindre. La condition de ceux qui sont dans le commandement, ressemble à celle des corps célestes; beaucoup de respects et point de repos. Si quelquefois un mortel est admis au banquet des dieux, ce n'est que pour y servir de jouet. LOUANGES, ESTIME. IX. POUR. Les louanges sont les rayons réfléchis de la vertu. La louange est ce genre d'Honneurs auxquels on parvient en vertu de libres suffrages. Quant aux honneurs, ce sont les gouvernements divers qui ont le pouvoir de les conférer; mais les éloges sont partout un présent de la liberté. La voix du peuple a je ne sais quoi de divin; autrement comment tant de têtes pourraient-elles être précisément du même avis? Si le vulgaire parle avec plus de sincérité que les personnages plus éminents, n'en soyez pas étonné ; c'est qu'il risque moins à dire ce qu'il pense. CONTRE. La renommée est un mauvais courrier, et un juge encore pire. Qu'a de commun l'homme de bien avec le bavardage de la multitude ? La renommée, semblable à un fleuve, soulève les choses légères, et coule à fond celles qui ont plus de solidité. Le vulgaire estime les vertus du plus bas étage, et admire les vertus moyennes; quant aux vertus sublimes, il n'en a pas même le sentiment. La réputation est plutôt le prix d'un certain étalage, que d'un vrai mérite; d'une certaine boursoufflure que d'une grandeur réelle. LA NATURE. X. POUR. L'effet de l'habitude suit une progression arithmétique; et celui de la nature, une progression géométrique. Ce que, dans les états, les lois communes sont aux coutumes particulières, dans les individus, la nature l'est à l'habitude. L'habitude exerce une sorte de tyrannie contre la nature; tyrannie peu durable, et qui est renversée à la plus légère occasion. CONTRE. Nous pensons d'après la nature, nous parlons d'après nos maîtres ; mais c'est d'après nos habitudes que nous agissons. La nature est une sorte de pédant; l'habitude, une espèce de magistrat. LA FORTUNE. XI. POUR. Les vertus éclatantes attirent des éloges ; les vertus cachées, enrichissent. Les vertus morales ne procurent que des éloges ; cc sont les talents qui mènent à la fortune. La fortune, semblable à la voie lactée, n'est qu'un assemblage de petites vertus obscures et sans nom. Il faut honorer la fortune, ne fût-ce qu'en considération de ses deux filles, la confiance et l'autorité. CONTRE. C'est la sottise de l'un qui fait la fortune de l'autre. Ce que je louerais le plus volontiers dans la fortune, c'est que ne choisissant point, elle est, par cela même, impartiale. Tels personnages, tout en déclinant l'envie qu'excitaient leurs vertus, se sont trouvés être du nombre des adorateurs de la fortune. LA VIE. XII. POUR. C'est une inconséquence que d'aimer l'accessoire de la vie plus que la vie même. Une vie longue vaut mieux qu'une courte, même pour pratiquer la vertu. Sans une vie un peu longue, on n'a le temps ni d'achever, ni d'apprendre, ni de se repentir. CONTRE. Les philosophes, avec tout leur appareil contre la mort, n'ont fait que la rendre plus terrible. Les hommes craignent la mort, par la même raison que les enfants ont peur dans les ténèbres, parce qu'ils ne savent de quoi il s'agit. Parmi les affections humaines, il n'en est point de si faible qui, pour peu qu'elle soit exaltée, ne surmonte la crainte de la mort. Pour mépriser la mort, il n'est pas besoin de courage, de malheurs, de sagesse ; c'est assez quelquefois de l'ennui de vivre. SUPERSTITION. XIII. POUR. Ceux qui péchent par excès de zèle, ne méritent certainement pas d'être approuvés ; mais ils méritent du moins d'être aimés. Dans les choses morales, nous devons tendre au milieu; mais dans les choses divines, c'est aux extrêmes qu'il faut tendre. Le superstitieux est, en quelque manière, un Homme religieux désigné. J'aime encore mieux ajouter foi à tous les prodiges fabuleux de telle religion que ce soit, que de croire que tout ce que je vois marche sans l'impulsion d'une divinité. CONTRE. Cette ressemblance que le singe peut avoir avec l'homme, ne rend cet animal que plus difforme ; il en est de même de la superstition, qui n'est que le singe de la religion. Autant l'affectation est odieuse dans les choses civiles, autant la superstition l'est dans les choses divines; il vaut mieux n'avoir absolument aucune opinion touchant les dieux, que d'avoir d'eux une idée qui leur soit injurieuse. Ce n'est pas l'école d'Épicure, mais, bien celle de Zénon, qui a bouleversé les anciennes républiques. L'esprit humain est de telle nature, qu'il ne peut exister de véritable athée par principes. Mais les vrais athées, ce sont les grands hypocrites, qui manient sans cesse les choses sacrées, et ne les respectent jamais. ORGUEIL. XIV. POUR. L'orgueil est un vice insociable, même par rapport aux autres vices. . Et de même qu'un poison chasse un autre poison, il n'est point de vice que l'orgueil ne puisse chasser. Un homme facile est assujetti aux vices des autres comme à ses propres vices; l'orgueilleux du moins n'est sujet que des siens. CONTRE. Si l'orgueil pouvoir s'élever du mépris pour les autres au mépris pour soi-même, il deviendrait enfin philosophie. L'orgueil est le lierre de toutes les vertus et de tous les biens. Les autres vices sont simplement contraires aux vertus; l'orgueil est le seul qui soit contagieux. Ce peu que les autres vices ont de bon, l'orgueil ne l'a pas ; je veux dire qu'il ne sait pas se cacher. L'orgueilleux, en méprisant les autres, se néglige lui-même. INGRATITUDE, XV. POUR. Le crime de l'ingratitude n'est au fond qu'une certaine pénétration, qui fait découvrir le vrai motif du bienfait. A force de vouloir nous montrer reconnaissants envers certaines personnes, nous oublions d'être justes envers les autres, et de défendre notre propre liberté. On est d'autant moins obligé de reconnaître un bienfait, que le prix n'en est pas fixé. CONTRE. Ce n'est point par des supplices qu'on punit le crime de l'ingratitude ; mais on en abandonne le châtiment aux furies. Les bienfaits nous lient plus étroitement que les devoirs mêmes : ainsi celui qui est ingrat, est injuste aussi; il est tout. Telle est la condition humaine, que nul n'est tellement né pour l'utilité publique, qu'il ne se doive tout entier à la reconnaissance et à la vengeance particulière. ENVIE. XVI. POUR. Il est naturel de haïr ceux dont l'élévation semble nous reprocher notre abaissement. L'envie est dans les républiques une sorte de salutaire ostracisme. CONTRE. L'envie n'a point de jours de fête. Il n'est rien qui puisse réconcilier l'envie avec la vertu, sinon la mort. C'est l'envie qui force la vertu à travailler sans relâche, témoin les travaux imposés à Hercule par Junon. IMPUDICITÉ. XVII. POUR. Si la chasteté est devenue une vertu, c'est à la jalousie qu'on en a l'obligation. Il faut être de bien mauvaise humeur pour regarder les plaisirs de l'amour comme une affaire sérieuse. Eh ! pourquoi aussi vous avisez-vous de mettre au rang des vertus un certain régime, un certain genre de propreté, ou la fille de l'orgueil ? Les objets de nos amours, semblables en cela aux oiseaux sauvages, n'ont point de propriétaires, et à cet égard, la simple possession transfère le droit. CONTRE. La pire transformation de Circé, c'est l'impudicité : l'impudique a tout-à-fait perdu le respect pour soi-même, qui est le frein de tous les vices. Tous ceux qui, à l'exemple de Pâris, donnent la palme à la beauté, sont punis, comme lui, par la perte de la prudence et de la puissance. Alexandre rencontra une vérité peu commune, lorsqu'il dit que le sommeil et la génération étaient les arrhes de la mort. CRUAUTÉ. XVIII. POUR. Il n'est point de vertu qui soit aussi souvent coupable que la clémence. I.â cruauté, quand elle a pour but la vengeance, est justice; et si elle tend à éloigner le danger, c'est prudence. Avoir pitié de son ennemi, c'est être sans pitié pour soi-même. Les saignées ne sont pas moins souvent nécessaires dans les états que dans le traitement des maladies. CONTRE. Marcher ainsi à travers le sang et le carnage, est d'une bête féroce ou d'une furie. La cruauté, aux yeux d'un homme bon, semble toujours n'être qu'une fable, qu'une fiction tragique. VAINE GLOIRE. XIX. POUR. Celui qui aspire à se faire un grand nom, désire par cela seul l'utilité publique. Cet homme si discret, qui ne se mêle jamais des affaires d'autrui, j'ai grand peur qu'il ne se mêle pas davantage des affaires publiques, et ne les regarde comme lui étant étrangères. Les caractères qui ont quelque chose de vain, n'en sont que plus disposés à s'occuper utilement de la République: CONTRE. Les glorieux sont tous factieux, menteurs, mobiles, excessifs. Le glorieux est la proie du parasite. Il est honteux pour celui qui peut prétendre à la maîtresse, de solliciter la servante. Or, la gloire n'est que la servante de la vertu. JUSTICE. XX. POUR. Tous ces pouvoirs, toutes ces formes de gouvernement établies, ne sont que des suppléments à la justice; et cette justice, si l'on pouvait l'exercer autrement, l'on n'aurait plus besoin de tout cela. Si tel homme est, pour un autre homme, un dieu et non un loup, c'est à la justice qu'on en a l'obligation. La justice, il est vrai, ne peut extirper tous les vices, mais du moins elle empêche qu'ils ne nuisent. CONTRE. Si ne pas faire aux autres ce que nousne voudrions pas qu'on nous fît, c'est être juste; la clémence, après tout, est donc justice. S'il faut rendre à chacun ce qui lui est dû, il faut donc accorder de l'indulgence à l'humanité; elle lui est bien due. Que me parlez-vous d'équité, à moi qui sais qu'aux yeux du sage toutes choses sont inégales ? Voyez avec quelle douceur, chez les Romains, on traitait les criminels, et dites hardiment que la justice n'est rien moins qu'utile à la République. Cette justice vulgaire, c'est le philosophe à la cour; elle ne sert qu'à faire respecter ceux qui commandent. COURAGE. XXI. POUR. Il n'est rien de terrible, si ce n'est la terreur même ; où la crainte porte ses atteintes, il n'est plus ni solidité dans les plaisirs, ni force dans la vertu. Le même homme qui envisage le péril les yeux ouverts, et qui sait l'affronter, a, par cela même, la présence d'esprit nécessaire pour l'éviter. Les autres vertus nous délivrent de la domination des vices; le courage est la seule qui nous affranchisse de la tyrannie de la fortune. CONTRE. L'admirable vertu que celle de vouloir se perdre soi-même pour perdre les autres ! La sublime vertu que celle que le vin même peut donner ! Quiconque est prodigue de sa propre vie, menace celle d'autrui. Le courage est la vertu de l'âge de fer. TEMPÉRANCE. XXII. POUR. C'est presque la même force d'âme qui rend capable de s'abstenir et de soutenir. L'uniformité, l'accord et les mouvements mesurés, sont des choses toutes célestes, et des caractères d'éternité. La tempérance est comme un froid salutaire qui réunit et concentre les forces de l'âme. Une sensibilité trop fine et trop vague rend nécessaire l'usage des narcotiques; il en est de même des affections, CONTRE. Je n'aime point du tout ces vertus négatives; elles produisent plutôt l'innocence qu'un mérite effectif. Toute âme qui est sans excès, est sans force. J'aime ces vertus qui tendent à renforcer l'action, et non celles dont tout l'effet est d'affaiblir la passion. Lorsque vous supposez que les mouvements de l'âme sont d'accord, vous supposez, par cela même, qu'ils sont en petit nombre; car ce soin de compter son troupeau, est un signe de pauvreté. Ces préceptes : garde-toi de jouir, de peur de désirer; garde-toi de désirer, de peur de craindre, sentent trop la défiance et la pusillanimité. CONSTANCE XXIII. POUR. La base des vertus est la constance. Malheureux qui ne sait pas lui-même ce qu'il sera un jour. La faiblesse de l'esprit humain le rend incapable de s'accorder avec les choses; qu'il soit du moins d'accord avec lui-même. La constance donne aux vices mêmes un certain éclat. Si à l'inconstance de la fortune nous joignons notre propre inconstance, dans quelles ténèbres allons-nous vivre? Il en est de la fortune comme de Protée ; pour peu qu'on persévère, on la force de reparaître sous sa véritable forme. CONTRE. La constance, semblable à une portière de mauvaise humeur, chasse beaucoup d'idées utiles. Il est trop juste que la constance endure de bonne grâce l'adversité, attendu qu'elle en est presque toujours la cause. La folie la plus courte est toujours la meilleure. MAGNANIMITÉ. XXIV. POUR. Sitôt que l'âme se propose des fins généreuses, elle a pour cortège non seulement toutes les vertus, mais la Divinité même. Ces vertus, qui ne sont que le produit de l'habitude et des préceptes, ne sont que des vertus banales. C'est par la fin seule qu'elles deviennent héroïques. CONTRE. La magnanimité est une vertu poétique. SCIENCE, CONTEMPLATION. XXV. POUR. La seule volupté, selon la nature, c'est celle dont on ne se rassasie jamais. Quoi de plus doux que d'abaisser ses regards sur les erreurs d'autrui! Qu'il est sage de rendre la sphère de son esprit concentrique à celle de l'univers! Toutes les affections dépravées ne sont que de fausses estimations. Ainsi, la bonté et la vérité ne sont qu'une seule et même chose. CONTRE. La contemplation n'est qu'une imposante oisiveté. Bien penser ne vaut guère mieux que faire de beaux rêves. Quant à l'univers, un Dieu y pense : vous, pensez à votre patrie. Il est tel qui, par politique, sème aussi des spéculations. LES LETTRES. XXVI. POUR. Si les livres entraient dans les plus petits détails, on n'aurait presque plus besoin d'expérience. Lire, c'est converser avec les sages ; agir, c'est traiter avec les fous. Quand une science ne serait par elle-même d'aucun usage, il ne faudrait pas pour cela la regarder comme inutile, si d'ailleurs elle avait l'avantage d'aiguiser l'esprit et d'y mettre de l'ordre. CONTAS. Dans les collèges, on n'apprend qu'à croire. Y eût-il jamais un art qui apprit à faire à propos usage de l'art ? Cette science qui s'acquiert à l'aide des préceptes, et celle qu'on doit à l'expérience, ont des méthodes si diamétralement opposées, que, qui est accoutumé à l'une, est inhabile à l'autre. Le plus souvent l'art est de bien peu d'usage, pour ne pas dire tout-à-fait inutile. Tous ces gens de collège ont cela de propre, que la moindre chose leur suffit pour voir ce qu'ils ont à faire; mais qu'ils ne savent pas apprendre ce qu'ils ignorent. PROMPTITUDE. XXVII. POUR. Toute prudence qui manque de promptitude, manque d'à-propos. Qui se trompe vite, se détrompe aussi vite. Celui dont la prudence marche à pas comptés, et qui ne sait rien voir à la volée, ne fait rien de grand. CONTRE. Cette prudence, qui est si fort à la main, manque de profondeur. Il en est de la prudence comme d'un habit. Or, c'est le plus léger qui est le plus commode. Si la prudence ne mûrit pas vos délibérations, l'âge ne mûrira pas non plus votre prudence. Ce qu'on imagine en un moment, ne plaît qu'un moment. DE LA DISCRÉTION. XXVIII. POUR. On ne tait rien à qui sait se taire, parce qu'on sait qu'en lui confiant tous ses secrets, on ne risque rien. Celui qui dit aisément ce qu'il sait, dit tout aussi aisément ce qu'il ne sait pas. Les secrets doivent aussi être couverts d'un voile comme les mystères. CONTRE. Le meilleur moyen pour cacher le fond de son âme, c'est l'instabilité de caractère. La discrétion est la vertu d'un confesseur. On tait tout à l'homme qui se tait; on lui rend son silence. Un homme couvert et un homme inconnu, c'est à-peu-près la même chose. LA FACILITÉ. XXIX. POUR. J'aime un homme qui sait se plier aux affections d'autrui, mais sans rendre son jugement tout-à-fait esclave du leur. Être flexible, c'est avoir, par sa ductilité, de l'affinité avec l'or. CONTRE. La facilité de caractère est une sorte d'ineptie et de défaut de jugement. Les bienfaits des gens faciles semblent des dettes, et leurs refus, des injures. Quand on obtient quelque chose d'un homme facile, on n'en rend grâces qu'à soi-même. Un homme facile est pressé par des difficultés de toute espèce, parce qu'il se mêle de tout. Il est rare qu'un homme facile se tire sans honte d'une affaire. LA POPULARITÉ. XXX. POUR. Les sages sont tous du même avis; cependant il est bon de se prêter un peu aux variations des fous. Honorer le peuple, c'est s'honorer soi-même. Les hommes qui ont une certaine grandeur personnelle, n'adressent pas leurs respects à tel ou tel homme, mais au peuple tout entier. CONTRE. Cet homme qui s'entend si bien avec les fous, est lui-même justement suspect. L'homme qui plaît à la multitude, est ordinairement l'homme qui soulève la multitude. Rien de modéré ne plaît au vulgaire. La pire espèce d'adulation est celle qui s'adresse au vulgaire. DU BABIL. XXXI. POUR. Tout homme qui se tait, se défie ou des autres ou de lui-même. Tout état de veille est un état malheureux; mais la pire garde c'est celle du silence. Le silence est le talent des sots. Ainsi les sots ont raison de se taire; et l'on peut dire à un homme qui se tait : si tu as de l'esprit, tu es un sot; et si tu es un sot, tu as de l'esprit. Le silence, ainsi que la nuit, est fort commode pour tendre des embûches. Les pensées qui coulent de source, sont les plus saines. Le silence est une espèce de solitude; celui qui se tait, se vend à l'opinion. Le silence a l'inconvénient de ne point évacuer les mauvaises pensées, et de ne point distribuer les bonnes. CONTRE. Le silence donne à tout ce qu'on dit ensuite, de la grâce et de l'autorité. Le silence est une espèce de sommeil qui nourrit la prudence. Le silence n'est que la fermentation de nos pensées. Le silence est le style de la prudence. Le silence vise à la vérité. DISSIMULATION. XXXII. POUR. La dissimulation est une sagesse abrégée. Nous ne sommes pas obligés de dire toujours précisément la même chose, mais d'avoir toujours le même but. Toute espèce de nudité est choquante, même celle de l'âme. La dissimulation impose aux autres, et nous met en sûreté. La haie qui garantit nos desseins, c'est la dissimulation. Il est des hommes qui gagnent à être trompés. Celui qui ne dissimule jamais, trompe tout aussi bien que celui qui dissimule; car les autres ne le comprennent pas, ou ne le croient pas. Ce caractère si ouvert, cette franchise si outrée, n'est au fond qu'une certaine faiblesse d'âme. CONTRE. Dans l'impuissance où nous sommes de rendre nos pensées conformes aux choses mêmes, rendons du moins nos discours conformes à nos pensées. A ceux dont les moyens vraiment politiques passent la portée, la dissimulation tient lieu de prudence. Celui qui dissimule, se prive de l'instrument le plus nécessaire pour l'action, de la confiance des autres. Notre dissimulation excite les autres â dissimuler aussi. Qui dissimule, n'est pas libre. L'AUDACE. XXXIII. POUR. Celui qui rougit, apprend aux autres à le blâmer. Ce que l'action est pour l'orateur, l'audace l'est pour un homme du monde: c'est le premier, le second, le troisième point, c'est tout. J'aime cette honte qui fait des aveux, et je hais celle qui accuse. Une certaine confiance de caractère aide à gagner les coeurs. J'aime un visage obscur et un discours clair. CONTRE. L'audace est l'appariteur de la folie. L'effronterie n'est bonne que pour soutenir une imposture. L'excessive confiance en soi-même est la reine des sots et le jouet des sages. L'audace n'est qu'un certain défaut de sensibilité uni à la malice de la volonté. MANIÈRES, PETITES ATTENTIONS, AFFECTATION. XXXIV. POUR. Une certaine décence, et une certaine mesure dans le geste et l'air du visage, est le véritable assaisonnement de la vertu. Si nous avons de la déférence pour le vulgaire par rapport au langage, que doit-ce être par rapport à nos gestes et à tout notre extérieur? Celui qui, dans les petites choses, dans les choses de tous les jours, ne garde pas le décorum, a beau être un grand homme, sachez qu'il n'est sage qu'à certaines heures. La vertu et la prudence, sans l'usage du monde, est une sorte de langue étrangère ; le vulgaire ne l'entend pas. Celui qui, à l'aide du seul sentiment de la convenance, ne sait pas découvrir ce que le vulgaire a dans l'âme, et qui ne l'a pas non plus appris par l'observation, est le plus sot de tous les hommes. Les belles manières sont une traduction de la vertu en langue vulgaire. CONTRE. Quoi de plus choquant que de transporter le théâtre dans la vie ordinaire? Le seul vrai décorum est celui qui dérive de l'ingénuité; celui qu'on ne doit qu'à l'art, est odieux : j'aimerais mieux un visage fardé, ou une coiffure, tirée, comme on dit, à quatre épingles, qu'un caractère fardé et des moeurs si bien peignées. Quiconque abaisse son esprit à des observations si minutieuses, est incapable de l'élever à de grandes pensées. L'affectation d'ingénuité ressemble à la lumière du bois pourri. PLAISANTERIE. XXXV. POUR. La plaisanterie est le refuge des orateurs. Celui qui sait assaisonner tout ce qu'il dit, d'un modeste enjouement, maintient son âme en liberté. C'est être plus politique qu'on ne pense, que de savoir passer aisément du badinage au sérieux, et du sérieux au badinage. Souvent une plaisanterie sert de véhicule à telle vérité, qui, sans cela, n'arriverait pas. CONTRE. Ces gens qui sont toujours à l'affût des ridicules, des jolies choses, qui peut s'empêcher de les mépriser ? Avilir les plus grandes choses par la plaisanterie, est un artifice condamnable. Quand vous aurez bien ri, examinez avec un peu d'attention ce qui vous aura fait rire. Tous ces plaisants de profession ne pénètrent guère au-delà de l'écorce des choses, où est le siège de la plaisanterie. Lorsque la plaisanterie peut avoir une certaine influence sur les choses sérieuses, c'est alors un enfantillage déplacé. SUR L'AMOUR. XXXVI. POUR. Ne voyez-vous pas que tous se cherchent, et que l'aman est le seul qui se trouve. Jamais l'âme n'est mieux ordonnée, que lorsqu'elle est gouvernée par une grande passion. Que tout homme sage ait soin de se procurer des désirs ; car tout homme qui n'est pas animé par quelque désir un peu vif, ne trouve goût à rien, et s'ennuie de tout. Pourquoi chaque individu, qui ne fait qu'un, ne se contenterait-il pas de l'unité ? CONTRE. Le théâtre doit beaucoup à l'amour, mais la vie ne lui doit rien. Il n'est rien qui mérite autant de qualifications différentes que l'amour; c'est ou une chose si folle, qu'elle ne sait pas même se connaître ; ou une chose si honteuse, qu'elle est obligée de se cacher sous le fard. Je n'aime point ces gens qui ne rêvent qu'à une seule chose. L'amour n'est qu'une spéculation fort étroite. L'AMITIÉ. XXXVII. POUR. L'amitié fait tes mêmes choses que le courage, mais d'une manière plus douce. L'amitié est le plus doux assaisonnement de tous les biens. La pire solitude, c'est celle d'un homme qui n'a point d'amis. Le châtiment bien mérité de la mauvaise foi, c'est d'être sans amis. CONTRE. Celui qui contracte des liaisons fort étroites, ne fait que s'imposer de nouvelles nécessités. C'est le propre d'une âme folle, que de ne pouvoir porter seul tout le poids de sa fortune. ADULATION. XXXVIII. POUR. Si l'on s'abaisse à flatter, c'est moins pour nuire que pour se conformer à l'usage. Instruire en donnant des éloges, fut toujours un ménagement dû aux hommes puissants. CONTRE. L'adulation est le style des esclaves. L'adulation est la chaux des vices. L'adulation est une sorte d'appeau qui sert à tromper les oiseaux, en imitant leur voix. L'adulation est d'une laideur vraiment comique; mais elle a des effets tragiques. Ce qu'il y a de plus difficile à guérir, c'est le mal d'oreilles. VENGEANCE. XXXIX. POUR. La vengeance particulière est une sorte de justice sauvage. Celui qui rend violence pour violence, ne viole que la loi, et non l'homme. La crainte des vengeances particulières est un frein nécessaire; car trop souvent les lois sommeillent. CONTRE. Celui qui fait une injure, donne naissance au mal; mais celui qui s'en venge en ôte toute mesure. Plus la vengeance est naturelle, plus il est nécessaire de la réprimer. Celui qui rend injure pour injure, vient le dernier, peut-on dire : oui, quant au temps, mais non quant à la volonté. INNOVATIONS. XL. POUR. Tout remède est une innovation. Qui fuit les nouveaux remèdes, appelle de nouveaux maux. Le plus grand des novateurs, c'est le temps; pourquoi ne pas l'imiter ? Les exemples anciens ne s'appliquent point aux derniers siècles, temps où la corruption et l'ambition ont fait de plus grands progrès. Permettez aux ignorants et aux hommes contentieux de se régler sur des exemples. De même que ceux qui introduisent la noblesse dans leur famille, ont en cela plus de mérite que leur postérité ; de même aussi les novateurs l'emportent sur ceux qui ne savent que suivre des modèles. Cette roideur de caractère qui fait qu'on se tient si fort attaché aux coutumes anciennes, n'excite pas moins de troubles que les Innovations. Les choses allant toujours de pis en pis, si nos méthodes ne vont pas de mieux en mieux, quelle sera la fin de nos maux ? Les hommes esclaves de la coutume, sont les jouets du temps. CONTRE. Les fétus extraordinaires sont des monstres. Le seul conseiller qui plaise, c'est le temps. ll n'est point d'innovation qui ne fasse tort à quelqu'un, parce qu'elle arrache ce qui est établi. En supposant même que les choses auxquelles un long usage a fait prendre pied soient mauvaises, elles ont du moins cet avantage qu'elles s'ajustent les unes aux autres. Où est le novateur qui sache imiter le temps, lequel insinue les nouveautés avec tant de douceur, qu'on ne s'aperçoit pas du changement. Toutes les choses qui trompent l'attente, sont moins agréables à ceux à qui elles sont utiles, et plus choquantes pour ceux à qui elles sont nuisibles. LES DÉLAIS. XLI. POUR. La fortune vend à qui se hâte une infinité de choses qu'elle donne à qui sait attendre. Tandis que nous nous hâtons de saisir les commencements de chaque chose, nous n'embrassons que des ombres. Tant que la balance ne fait que vaciller, il faut se tenir attentif; dés qu'elle commence à trébucher, il faut agir. Il faut confier à Argus le commencement de toute action; et la fin, à Briarée CONTRE. L'occasion présente d'abord l'anse du vase, puis la panse. L'occasion, semblable à la Sybille, diminue ses offres en augmentant son prix. La célérité est le casque de Pluton. PRÉPARATIFS. XLII. POUR. Celui qui ne fait que de petits préparatifs pour une grande entreprise, se forge des facilités imaginaires, pour se repaître d'espérances. En faisant peu de préparatifs, ce n'est pas la fortune qu'on achète, mais la prudence. CONTRE. Le vrai moment de mettre fin aux préparatifs, c'est celui d'agir. Vous aurez beau faire des préparatifs, vous ue parviendrez jamais à lier la fortune. Alterner entre les préparatifs et l'action, est la méthode vraiment politique ; mais à séparer ces deux choses, beaucoup d'étalage et peu de succès. Les grands préparatifs prodiguent et le temps et les choses. S'OPPOSER AUX COMMENCEMENTS. XLIII. POUR. Parmi les maux dont nous sommes menacés, il en est plus qui trompent notre attente, qu'il n'en est qui surmontent nos efforts. On a moins à faire en remédiant au mal dès qu'il est né, qu'à observer ses progrès et à faire sentinelle pour l'empêcher de croître. Sitôt que le péril paraît léger, il cesse d'être tel. CONTRE. Tout l'effet de cette vigilance anticipée est d'aider le mal à croître, et de fixer le mal par le remède même. Toutes ces précautions qu'on prend contre le danger, ne sont pas elles-mêmes sans danger. Il vaut mieux avoir affaire à un petit nombre de remèdes bien éprouvés, que d'être ainsi à l'affut de chacun des maux qui menacent. DES CONSEILS VIOLENTS. XLIV. POUR. Ceux qui aiment ces voies si douces, s'imaginent apparemment que l'accroissement du mal est salutaire. La même nécessité qui donne les conseils violents, les exécute. CONTRE. Tout remède violent est gros d'un nouveau mal. Qu'est-ce qui donne des conseils violents, sinon la crainte et la colère ? SOUPÇON. XLV. PRO. La défiance est le nerf de la prudence; mais le soupçon est un remède pour la goutte. Toute fidélité que le soupçon peut ébranler, est justement suspecte. Le soupçon ne la relâche que lorsqu'elle est faible. Est-elle forte, il lui donne encore plus de force. CONTRE. Le soupçon absout la mauvaise foi. La maladie du soupçon est une sorte de manie morale. LES PAROLES DE LA LOI. XLVI. POUR. S'écarter de la lettre, ce n'est plus interpréter, mais c'est vouloir deviner. Lorsqu'on s'écarte de la lettre, le juge devient législateur. CONTRE. C'est de l'ensemble des mots qu'il faut tirer le sens, qui, une fois bien saisi, servira ensuite à les interpréter un a un. La pire tyrannie est celle qui met la loi sur le chevalet. POUR LES TÉMOINS CONTRE LES PREUVES. XLVII. POUR. Celui qui se fonde sur les preuves, prononce d'après l'orateur, et non d'après le fond de la cause. Celui qui s'en rapporte plus aux preuves qu'aux témoins, doit aussi s'en rapporter plus à son esprit qu'à ses sens. On pourrait s'en fier aux preuves, si les hommes n'étaient jamais inconséquents. Lorsque les preuves sont contraires aux témoignages, elles font bien que le fait paraît étonnant, mais elles ne font pas qu'il soit vrai. CONTRE. S'il en faut croire les témoins plus que les preuves, il suffit que le juge ne soit pas sourd. Les preuves sont un antidote contre le poison des témoignages. Il est plus sûr de s'en fier aux preuves, attendu qu'elles mentent plus rarement. Or, ces exemples du pour et contre que nous venons de proposer, ne sont peut-être pas d'un si grand prix; cependant comme nous les avions tout préparés et tout rassemblés de longue main, nous n'avons pas voulu que le fruit du travail de notre jeunesse fût perdu; mais en quoi l'on peut voir que c'est l'ouvrage d'un jeune homme, c'est que, de ces exemples, il en est beaucoup plus dans le genre moral et dans le genre démonstratif, que dans les genres délibératif et judiciel. La troisième collection qui appartient à l'art de s'approvisionner, et qui est aussi à suppléer, c'est celle à laquelle nous croyons devoir donner le nom de petites formules. Elles sont comme les vestibules, les derrières, les anti-chambres, les cabinets, les dégagements du discours; genre d'accessoires qui s'adaptent indistinctement à toutes sortes de sujets. Tels sont les préambules, les conclusions, les digressions, les transitions, les promesses, les échappatoires, et autres choses de cette espèce : car de même que dans les édifices, ce qui contribue tout-et-la-fois à l'agrément et à l'utilité, c'est la commode distribution des frontispices, des escaliers, des portes, des fenêtres, des entrées, des communications et autres parties semblables ; de même aussi, dans le discours, ces accessoires et ces intermédiaires, lorsqu'ils sont figurés et placés avec autant d'élégance que de jugement, donnent plus de grâce et d'aisance à toute la structure du discours. Il suffira de donner un exemple ou deux de ces formules, et notre dessein n'est pas de nous y arrêter plus longtemps; car, quoique ces choses là soient d'un assez grand usage, néanmoins comme nous n'ajoutons rien ici du nôtre, nous contentant d'extraire quelques formules toutes nues de Démosthènes, de Cicéron, ou de quelques autres orateurs choisis, elles ne semblent pas mériter que nous nous y arrêtions. EXEMPLES DE PETITES FORMULES. Conclusion dans le genre délibératif. C'est ainsi que, par rapport au passé, vous pourrez aisément réparer vos fautes; et par rapport à l'avenir, prévenir les inconvénients. Corollaire d'une division exacte. C'est afin que tous soient bien convaincus que notre dessein n'est pas de décliner aucune objection par d'adroites réticences, ni de les affaiblir en les exposant. Transition avec avertissement. Mais laissons de côté ces choses là, de manière pourtant qu'en les laissant derrière nous, nous tournions fréquemment nos regards de ce côté là, et ne les perdions pas de vue. Manière de faire revenir les auditeurs d'une forte prévention. Je me conduirai de manière que, dans toute la cause, vous verrez nettement, ce qui appartient à la chose même, ce que l'erreur a pu y supposer, et ce que l'envie y a ajouté pour enfler les choses. Ce peu d'exemples doit suffire, et c'est par là que nous terminerons ces appendices de la rhétorique, qui se rapportent à l'art de s'approvisionner.