[5,4] CHAPITRE IV. Division de l'art de juger, en jugement par induction et jugement par syllogisme. On agrège le premier au nouvel organe. Seconde division du jugement par syllogisme, en réduction directe et réduction inverse. Seconde division de cette seconde partie en analytique et en doctrine des critiques. Division de la doctrine des critiques en réfutation des sophismes, critique de l'herménie, et examen critique des images ou fantômes. Division des fantômes en fantômes de tribu, fantômes de caverne et fantômes de commerce. Appendice sur l'art de juger, lequel a pour objet l'analogie des démonstrations avec la nature de chaque sujet. Passons donc au jugement, ou à l'art de juger, art où il s'agit des preuves ou démonstrations. Or, dans cet art de juger, du moins dans celui qui est reçu, on conclut ou par induction, ou par syllogisme; car l'enthymême et les exemples ne sont que des simplifications de ces deux formes. Or, quant au jugement par induction, je n'y vois rien qui doive nous arrêter. Car ce que l'on cherche, c'est par une seule et même opération de l'esprit qu'on l'invente et qu'on le juge. Et il n'est pas besoin pour cela de moyen ou d'intermédiaire; l'opération est immédiate, et tout se passe ici comme dans les sensations. Car le propre du sens, quant à ses objets immédiats, est qu'en même temps qu'il saisit l'espèce de l'objet, il en reconnaît la vérité. Il en est tout autrement du syllogisme, dont la preuve n'est pas immédiate, et a besoin d'un moyen. Ainsi autre chose est l'invention du moyen; autre chose, le jugement de la conséquence de l'argument. Car d'abord l'esprit court çà et là, pour trouver la preuve, ou pour l'examiner; puis il acquiesce à la vérité lorsqu'il l'a trouvée. Mais nous donnons l'exclusion à cette forme vicieuse d'induction qui est en usage; et quant à la véritable forme, nous la renvoyons au Novum organum. Ainsi nous ne dirons rien de plus ici sur l'induction. Quant à cette autre manière de conclure par le syllogisme, qu'en pouvons-nous dire après que la lime des plus subtils esprits l'a, pour ainsi dire, usé et réduit à une infinité de parcelles; et l'on ne doit pas s'en étonner; c'est une méthode qui sympathise merveilleusement avec l'entendement humain. Car ce à quoi tend et aspire avec le plus d'effort l'esprit humain, c'est à ne point demeurer en suspens, et à trouver quelque chose d'immobile, une sorte de point fixe sur lequel il puisse s'appuyer dans ses recherches et ses excursions. Certes de même qu'Aristote s'efforce de prouver qu'en tout mouvement des corps, il est je ne sais quoi qui demeure en repos, (et cette antique fable d'Atlas, qui, restant lui-même dans une attitude droite, soutenait le ciel sur ses épaules, il l'applique fort élégamment aux pôles du monde, autour desquels se font toutes les révolutions); c'est ainsi que les hommes souhaitent ardemrnent de trouver en eux-mêmes et dans leurs pensées, une sorte d'Atlas et de pôles qui puissent mettre quelque sorte de règle, dans leurs fluctuations et leurs vertiges, craignant sans doute que leur ciel ne s'écroule. Aussi se sont-ils pressés d'établir les principes des sciences, comme autant de points fixes, de pivots sur lesquels pussent rouler leurs disputes de toute espèce, sans avoir de chûtes et de ruines à craindre, ignorant cette vérité : que qui veut trop tôt saisir la certitude, finira par le doute; au lieu que celui qui sait pour un temps suspendre son jugement, arrivera enfin à la certitude. Il est donc manifeste que cet art de juger par le syllogisme, n'est autre chose que l'art de ramener les propositions aux principes, à l'aide des moyens termes. Quant aux principes, on les regarde comme des choses reçues, et on ne les met point en question; et quant à l'invention des moyens-termes, on l'abandonne à la pénétration et à l'activité des esprits, qu'on laisse parfaitement libres à cet égard. Or , cette réduction est de deux espèces ; savoir : la directe et l'inverse. La directe a lieu, lorsqu'on ramène la proposition même en question au principe même, et c'est ce qu'on appelle preuve ostensive. L'inverse a lieu, lorsque la contradictoire de la proposition en question est ramenée à la contradictoire du principe dont cette proposition en question est une conséquence, et c'est ce qu'on appelle preuve "per incommodum". Or , le nombre, ou l'échelle des moyens termes, augmente ou diminue, selon que la proposition est plus ou moins éloignée du principe. Cela posé, conformément à une division presque universellement reçue, nous diviserons l'art de juger en analytique et doctrine des réfutations : l'analytique montre la vérité ; la dernière préserve de l'erreur. L'analytique est celle qui montre les vraies formes sur lesquelles il faut se régler pour tirer des conséquences bien justes; formes telles que, si quelqu'un s'en écarte, on aperçoit par cela même le vice de sa conclusion. Or, cela même renferme quelque sorte de critique ou de réfutation; car "la ligne droite", comme on dit, "est juge d'elle-même et de la ligne courbe". Mais il est plus sûr d'employer les réfutations; ce sont comme autant d'avertissements à l'aide desquels on découvre plus aisément les prestiges, qui, sans ce secours, pourraient enlacer le jugement. Or, nous ne trouvons pas qu'il manque rien dans cette analytique : elle nous paraît bien plutôt être surchargée de superfluités, qu'avoir besoin d'additions. Quant à la doctrine des réfutations, nous croyons la devoir diviser en trois parties ; savoir : réfutation des sophismes, critique de l'herménie, et examen critique des images ou fantômes. La doctrine de la réfutation des sophismes est de la plus grande utilité. Car, quoique Sénèque ait judicieusement comparé le genre le plus grossier de paralogisme aux tours de main des joueurs de gobelets, attendu que, dans les uns et les autres, on ne voit pas au juste en quoi consiste l'illusion, quoiqu'on voie fort bien que la chose est tout autrement qu'elle ne paraît {Cfr. Sénèque, Lettres à Lucilius, V, 45}; cependant les sophismes plus subtils n'ont pas seulement l'effet d'embarrasser au point qu'on ne sait qu'y répondre, mais de plus ils offusquent le jugement et qu'ils semblent vrais. Cette partie de la réfutation des sophismes, Aristote l'a fort bien traitée, du moins quant aux préceptes; Platon encore mieux quant aux exemples; et cela non pas seulement en la personne de tel ou tel sophiste, tel que Gorgias, Hippias, Protagoras, Euthydème et autres; mais encore sous le personnage de Socrate lui-même, qui, prenant à tâche de ne rien affirmer, mais d'infirmer tout ce que les autres avancent de positif, dévoile fort ingénieusement le faible des objections, et des raisonnements captieux, ainsi que la manière de les réfuter. Ainsi, dans cette partie, nous n'avons rien à désirer. Il est cependant une chose à remarquer , c'est que, bien que nous ayons dit que le principal et légitime usage de cette doctrine est de réfuter les sophismes, on peut toutefois en abuser, en s'emparant de ces sophismes mêmes, pour contredire les autres et les embarrasser par des raisonnements captieux; genre de talent fort estimé, et qui n'est pas d'une petite ressource pour ceux qui le possèdent : quoique je ne sais quel auteur ait judicieusement observé qu'il y a entre l'orateur et le sophiste cette différence, que l'un, semblable au levrier, l'emporte pour la légèreté à la course; au lieu que l'autre, semblable au lièvre, sait mieux tromper, par des détours, celui qui le poursuit. Suivent les critiques de l'herménie; car c'est ainsi que nous les appellerons, empruntant d'Aristote plutôt le mot que sa signification. Rappelons donc aux hommes ce que nous disions plus haut sur les conditions transcendantes et adventices des êtres, ou les adjoints, lorsque nous traitions de la philosophie première; je veux dire, celles qui sont exprimées par ces mots : plus grand, plus petit, beaucoup, peu, antérieur, postérieur, le même, différent, la puissance, l'acte, l'habitude, la privation, le tout, les parties, l'agent, le patient, le mouvement, le repos, l'être, le non-être, et autres semblables. Qu'ils se souviennent surtout et remarquent bien qu'il est différentes manières de considérer ces conditions ; je veux dire, qu'on peut les traiter ou physiquement, ou logiquement. Quant à la considération physique, nous l'avons assignée à la philosophie première; reste donc la considération logique. Et c'est cela même qu'en ce moment nous appelons doctrine des critiques de l'herménie. Or, c'est sans contredit une partie do la science aussi utile que saine. Car ces notions générales et communes ont cela de propre, qu'elles se présentent à chaque instant dans toutes les disputes; en sorte que, si, dès le commencement, on n'use de tout son jugement et de toute sa diligence, pour les bien définir et les bien distinguer, elles répandront une épaisse obscurité sur tous les sujets qu'on pourra traiter, et amèneront les choses au point que toutes les discussions dégénéreront en disputes de mots. En effet, les équivoques et les mauvaises acceptions de mots sont des sophismes de sophismes. C'est pourquoi nous avons cru mieux faire, en décidant qu'elle devait être traitée à part, qu'en la recevant dans la philosophie première ou métaphysique; ou en la subordonnant en partie à l'analytique, comme l'a fait Aristote en confondant les genres. Quant au nom que nous lui avons donné, nous l'avons tiré de son usage; car son véritable usage est proprement de faire la critique des mots, et de donner des avertissements sur la signification qu'on y doit attacher. Il y a plus : cette partie qui traite des prédicaments ou catégories, notre sentiment est que, pour peu qu'elle soit traitée comme elle doit l'être, son principal usage est d'empêcher qu'on ne confonde et qu'on ne transpose les limites des définitions et des divisions; aussi aimons-nous mieux le rapporter à cette partie : en voilà assez sur les critiques de l'herménie. Quant à ce qui regarde l'examen critique des images ou des fantômes, il est certain que ces fantômes sont les plus profondes illusions de l'esprit humain; leur effet n'est pas seulement de tromper comme les autres, sur tel ou tel point, en obscurcissant le jugement et lui tendant des pièges ; mais ils trompent en vertu de la disposition même de l'esprit avant de juger, et du vice de sa constitution, qui tend, pour ainsi dire, à défigurer et à infecter toutes les premières vues. Car tant s'en faut que l'esprit humain, enveloppé et offusqué, comme il l'est, par le corps, soit semblable à un miroir bien poli et bien net, qu'au contraire c'est une sorte de miroir magique et enchanté, qui ne présente que des fantômes. Or, les fantômes qui en imposent à l'entendement, dérivent de trois sources, ou de la nature même et universelle du genre humain, ou de la nature particulière de chaque individu, ou enfin des mots, c'est-à-dire de la nature communicative. Ceux du premier genre, nous les appelons ordinairement fantômes de tribu; le second, fantômes de caverne; le troisième, fantômes de commerce. Il est aussi un quatrième genre que nous désignons par le nom de fantômes de théâtre, et qui est comme entassé sur les autres par les mauvaises théories ou philosophies, et par les fausses règles de démonstrations: ce dernier genre, on peut l'abjurer et s'en débarrasser. C'est pourquoi nous n'en dirons rien pour le moment. Quant aux autres, disons qu'ils assiègent réellement l'esprit, et qu'il est impossible de les extirper entièrement. Il ne faut donc pas nous demander sur ce sujet une sorte de traité analytique ; car cette partie de la doctrine des critiques, qui a pour objet les fantômes, est tout-à-fait radicale et élémentaire. Et s'il faut dire la vérité toute entière, la doctrine des fantômes n'est pas susceptible d'être réduite en art; tout ce qu'on peut faire pour s'en garantir, c'est d'user d'une certaine prudence contemplative. Quant à un traité complet et détaillé sur ce sujet, nous le renvoyons au Novum organum, nous contentant de donner ici quelques observations générales. Soit pour premier exemple des fantômes de tribu, celui-ci : l'entendement humain est de nature à s'affecter plus vivement et plus fortement des opinions affirmatives et actives, que des négatives et des privatives; quoiqu'en bonne logique, il dût se prêter également aux unes et aux autres. Mais par l'effet d'une disposition toute opposée, il suffit qu'un événement ait lieu de temps en temps, pour qu'il reçoive à ce sujet une impression beaucoup plus forte que celle qu'il recevrait en sens contraire, si l'événement trompait son attente, ou si le contraire arrivait plus souvent ; ce qui est comme la source de toute superstition et de toute vaine crédulité. Aussi est-ce une réponse fort judicieuse que celle de cet homme qui, voyant suspendus dans un temple les portraits de ceux qui, ayant fait des voeux au fort du danger, s'en étaient acquittés après être échappés au naufrage; et qui, pressé par cette question : "eh bien actuellement reconnaissez-vous la divinité de Neptune"? leur fit cette réponse: "à la bonne heure: mais où sont les portraits de ceux qui, ayant fait des voeux, n'ont pas laissé de périr?" Il en faut dire autant de toutes les superstitions semblables, telles que les rêves de l'astrologie, les songes mystérieux, les présages et autres pareilles imaginations. Voici l'autre exemple : l'esprit humain, vu qu'il est lui-même, quant à sa substance, égal et uniforme, présuppose et imagine, dans la nature des choses, plus d'égalité et d'uniformité, qu'il ne s'y en trouve réellement. De là ce préjugé des mathématiciens, que tout, dans les cieux, fait sa révolution dans des cercles parfaits; et cela ils le disent en rejetant les lignes spirales. C'est d'après ce même préjugé, que, bien qu'il y ait, dans la nature, tant de choses uniques en leur espèce, et tout-à-fait différentes des autres, l'esprit humain ne laisse pas d'imaginer, entre toutes ces choses, des relations, des analogies, une sorte de parallélisme. C'est encore de cette source qu'est dérivée l'hypothèse de l'élément du feu avec son orbe; comme pour faire la partie quarrée avec les trois autres, la terre, l'eau et l'air. Quant aux chimistes, inspirés par je ne sais quel fanatisme, ils ont rêvé que l'immensité des choses forme une sorte de bataillon quarré; supposant ridiculement que, dans leurs quatre éléments, se trouvent des espèces tout-à-fait semblables les unes aux autres; espèces qui, selon eux, se correspondent et sont comme parallèles. Le troisième exemple qui touche de bien près au précédent, est cette supposition : que l'homme est comme la règle et le miroir de la nature. Car il n'est pas croyable (pour peu qu'on veuille entrer, sur ce sujet, dans certains détails), quelle armée de fantômes a introduit dans la philosophie ce préjugé, d'après lequel on s'imagine que les opérations de la nature ressemblent aux actions humaines; cela même, dis-je, que la nature fait des choses toutes semblables à celles que fait l'homme : préjugé qui ne vaut guère mieux que l'hérésie des anthropomorphites, née dans les cellules et la solitude de certains moines stupides; ni que l'opinion d'Épicure, qui, dans le paganisme, répondait à celle-ci, et qui attribuait aux Dieux la forme humaine. Et qu'avait besoin l'épicurien Velleius de demander "pourquoi Dieu, semblable à un Édile, s'était amusé à garnir le ciel d'étoiles et de lampions?" {Cfr. Cicéron, De la nature des dieux, I, 9, 22} Si en effet Dieu eût voulu faire l'Édile, il eût donné aux étoiles quelque autre disposition plus belle, plus élégante et tout-à-fait semblable à ces plafonds si curieusement travaillés qu'on admire dans les palais. Mais tout au contraire, dans ce nombre infini d'étoiles, il serait difficile d'en montrer qui, par leur arrangement, formassent une figure parfaitement quarrée, triangulaire ou rectiligne. Tant il est, pour l'harmonie, de différence entre l'esprit de l'homme et l'esprit de l'univers. Quant aux fantômes de caverne, ils dérivent de la nature propre et particulière de l'âme et du cops de chaque individu, ainsi que de l'éducation, de l'habitude, et de toutes ces causes fortuites et accidentelles qui modifient les hommes. En effet, c'est un très bel emblème que celui de l'antre de Platon. {Platon, La république, VII, p. 514 sqq.} Car si, laissant de côté ce que cette parabole peut avoir de plus fin et de plus ingénieux, nous supposions qu'un homme qui, depuis sa plus tendre enfance jusqu'à l'âge de maturité, eût vécu dans une caverne obscure et profonde, vint à sortir tout-à-coup et à paraître au grand jour; nul doute que cet homme, en contemplant ce magnifique et vaste appareil du ciel et des choses, frappé de ce spectacle si nouveau pour lui, ne conçût une infinité d'opinions fantastiques et extravagantes. Quant à nous, à la vérité, nous vivons sous l'aspect des cieux ; mais nos âmes pourtant demeurent renfermées dans nos corps, comme dans autant de cavernes, en sorte qu'il est force qu'elles reçoivent une infinité d'images trompeuses et mensongères, si elles ne sortent que très rarement de leurs cavernes et pour un temps fort court; au lieu de demeurer perpétuellement dans la contemplation de la nature et comme en plein air. A cet emblème de Platon répond parfaitement bien cette parabole d'Héraclite : "que les hommes cherchent les sciences dans leurs propres mondes, et non dans le grand". Mais rien de plus incommode que les fantômes de commerce qui se sont insinués dans l'entendement humain, en vertu d'une convention tacite entre les hommes, par rapport aux mots et à l'imposition des noms; car, en imposant ces noms, on est obligé de les proportionner à l'intelligence du vulgaire, et de ne diviser les choses que par des différences qu'il puisse saisir. Mais lorsqu'un esprit plus pénétrant, ou un observateur plus exact veut les distinguer avec plus de précision, les mots s'y opposent à grand bruit. Et le moyen qu'on emploie pour remédier à cet inconvénient, je veux dire les définitions, n'est rien moins que suffisant pour réparer le mal ; ces définitions elles-mêmes étant composées de mots; et il arrive ainsi que les mots enfantent d'autres mots. Car, bien que nous nous flattions de commander aux mots, et qu'il soit aisé de dire : "il faut parler comme le vulgaire et penser comme les sages"; que de plus les termes consacrés aux arts, lesquels ont cours seulement parmi ceux qui y sont versés, semblent suffire pour remplir cet objet ; qu'enfin les définitions dont nous avons parlé, mises en tête des arts, suivant la louable coutume des mathématiciens, puissent, jusqu'à un certain point, corriger les mauvaises acceptions de mots; néanmoins toutes ces précautions seront insuffisantes, et n'empêcheront pas que les prestiges et les enchantements des mots, se tournant de nouveau contre l'entendement, à la manière de ces tartares qui combattent en fuyant, ne lui renvoient les traits qui en sont partis, et ne lui fassent une sorte de violence : c'est pourquoi ce mal exige un remède nouveau, et qui pénètre plus avant. Mais ce sujet nous ne faisons ici que le toucher en passant, nous contentant pour le moment de prononcer qu'il nous manque cette doctrine, que nous appelons les grands sophismes, ou doctrine des fantômes, soit natifs, soit adventices de l'esprit humain ; renvoyant au Novum organum le traité où ce sujet est manié comme il doit l'être. Reste une certaine appendice notable de l'art de juger; appendice que nous rangeons aussi parmi les choses à suppléer; car Aristote a bien indiqué ce sujet-là, mais sans rien dire de la manière de le traiter. Cette science considère quelle démonstration l'on doit choisir, et à quelles matières, à quels sujets l'on doit les appliquer; en sorte que cette doctrine renferme, pour ainsi dire, les jugements des jugements mêmes; et c'est avec beaucoup de fondement que ce philosophe dit qu'il ne faut demander ni des démonstrations aux orateurs, ni du pathétique aux mathématiciens. En sorte que si l'on se méprend dans le choix de la preuve, on ne peut juger définitivement, attendu qu'il est quatre sortes de démonstrations; savoir: par le consentement immédiat et les notions, ou par l'induction, ou par le syllogisme, ou enfin par ce qu'Aristote appelle avec raison , la démonstration en cercle, non à l'aide de choses plus connues et plus élevées, mais en restant, pour ainsi dire, sur le même plan. Chacune de ces quatre espèces de démonstrations a, dans les sciences, ses matières, ses sujets, auxquels elle s'applique naturellement; et il en est d'autres qui l'excluent : car cette rigueur et cet esprit minutieux, qui fait qu'en certains sujets l'on exige des preuves trop sévères , et beaucoup plus encore cette facilité à se relâcher qui porté dans d'autres sujets, à se contenter de preuves fort légères, sont les deux genres d'excès qui ont porté le plus de préjudice et fait le plus obstacle aux sciences. Mais en voilà assez sur l'art de juger.