[3,0] LIVRE III. [3,1] CHAPITRE PREMIER. Division de la science en théologie et philosophie. Division de la philosophie en trois doctrines, qui ont pour objet, Dieu, la nature et l'homme. La philosophie, première constituée, mère de toutes les sciences. Toute histoire, roi plein de bonté, marche terre à terre, et sert plutôt de guide que de flambeau. Quant à la poésie, ce n'est qu'une sorte de rêve savant; genre de doctrine qui sans contredit ne manque pas de douceur et de variété, et qui veut paraître avoir je ne sais quoi de divin ; prérogative que les songes lui disputent. Mais il est temps que je m'éveille et que je m'élève do terre, en sillonnant le liquide éther de la philosophie et des sciences. La science est semblable aux eaux. Or, de ces eaux, les unes viennent du ciel; les autres jaillissent de la terre. La première distribution des sciences doit aussi se tirer de leurs sources. De ces sources, les unes sont situées dans la région supérieure; et les autres, ici-bas. Car toute science se compose de deux sortes de connaissances : l'une est inspirée par la divinité; l'autre tire son origine des sens. Quant à cette science qu'on répand dans les esprits par l'enseignement, elle est acquise, et non originelle. Et il en est de même des eaux, qui, outre leurs sources primitives, s'enflent de tous les ruisseaux qu'elles reçoivent. Nous diviserons donc la science en théologie et philosophie. Par théologie, on entend ici la théologie inspirée ou sacrée, et non, la théologie naturelle, dont nous parlerons dans un moment. Mais quant à la première, je veux dire celle qui est inspirée, nous la réservons pour la fin de cet ouvrage, et c'est par elle que nous le terminerons; vu qu'elle est comme le port et le lieu de repos de toutes les spéculations humaines. La philosophie a trois objets : Dieu, la nature et l'homme. Et les rayons par lesquels les choses nous éclairent sont aussi de trois espèces. La nature frappe l'entendement par un rayon direct. La divinité, à cause de l'inégalité du milieu (je veux dire, des créatures ), le frappe par un rayon réfracté. Enfin, l'homme, montré et présenté à lui-même, le frappe par un rayon réfléchi. Il convient donc de diviser la philosophie en trois doctrines; savoir : doctrine sur Dieu, doctrine sur la nature, doctrine sur l'homme. Or, comme les divisions des sciences ne ressemblent nullement à des lignes différentes qui coïncident en un seul point; mais plutôt aux branches d'un arbre, qui se réunissent en un seul tronc; lequel, dans un certain espace, demeure entier et continu, il est à propos, avant de suivre les membres de la première division, de constituer une science universelle, qui soit la mère commune de toutes les autres, et qu'on puisse regarder comme une portion de route qui est commune à toutes, jusqu'au point où ces routes se séparent et prennent des directions différentes. C'est cette science que nous décorons du nom de philosophie première, ou de sagesse (ce qu'on définissait autrefois la science des choses divines et humaines) ; mais cette science n'en a point qui lui réponde et qui lui soit opposée ; vu qu'elle diffère plutôt des autres, par les limites où elle est circonscrite, que par le fond et le sujet même ; car elle ne considère que ce que les choses ont de plus élevé que leurs sommités. Or cette science, je ne sais trop si elle doit être rangée parmi les choses à suppléer; mais, toute réflexion faite, je crois qu'elle y doit être classée. En effet, je trouve bien un certain fatras, une masse indigeste de matériaux tirés de la théologie naturelle, de la logique, de quelques parties de la physique, comme de celles qui ont pour objet les principes et l'âme; masse qu'à l'aide de cette pompe de style, propre aux hommes qui aiment à s'admirer eux- mêmes, l'on a placée comme au sommet des sciences. Quant à nous, méprisant ce faste, nous voulons seulement qu'on désigne quelque science qui soit le réservoir des axiomes; non de ceux qui sont propres à chaque science particulière, mais de ceux qui sont communs a plusieurs. Qu'il y ait un grand nombre de tels axiomes, c'est ce dont on ne peut pas douter. Par exemple, si, à deux quantités inégales on ajoute deux quantités égales, les deux sommes seront inégales : c'est une règle de mathématiques. Mais cette même règle a lieu en morale, du moins quant à la justice distributive ; car, dans la justice commutative, la raison d'équité veut qu'on assigne à des hommes inégaux des choses égales : mais, dans la distributive, ne pas donner à des hommes inégaux des choses inégales, ce serait commettre une très grande injustice. Deux choses, qui s'accordent par rapport à une troisième, s'accordent aussi entre elles; est encore une règle de mathématiques; mais de plus elle a, en logique, une telle influence, qu'elle est le fondement du syllogisme. C'est dans les plus petites choses que la nature se décèle le mieux. Cette règle a tant de force en physique, qu'elle a produit les atomes de Démocrite. Cependant c'est avec raison qu'Aristote en a fait usage en politique, lui qui, de la considération d'une simple famille, s'élève à la connaissance de la république. Tout change, rien ne périt (Ovide, Métamorphoses, XV, 165) ; c'est encore là une règle de physique, qu'ordinairement on énonce ainsi : la quantité de la matière n'augmente ni ne diminue. Cette même règle convient à la théologie naturelle, pour peu qu'on lui donne cette autre forme : faire quelque chose de rien, ou réduire quelque chose au néant, sont des actes qui n'appartiennent qu'à la toute-puissance. Et c'est ce que témoigne aussi l'écriture. J'ai appris que toutes les oeuvres que Dieu a faites, demeurent éternellement; nous ne pouvons y rien ajouter ni en rien retrancher. On empêche la destruction d'une chose en la ramenant à ses principes, est une règle de physique. Cette même règle a sa force en politique (et c'est ce que Machiavel a judicieusement remarqué), vu que le principal moyen pour empêcher les républiques de périr, est de les réformer et de les ramener aux moeurs antiques. Une maladie putride est plus contagieuse dans ses commencements, qu'à son point de maturité; c'est encore une règle de physique, qui s'applique très bien à la morale : les hommes les plus dissolus, les scélérats les plus décidés corrompent moins les moeurs publiques, que ceux dont les vices sont alliés de quelques vertus, et qui ne sont qu'en partie méchants. Ce qui tend à conserver la plus grande forme, agit plus puissamment, est aussi une règle en physique. En effet, cette loi en vertu de laquelle les corps s'opposent à leur solution de continuité, et empêchent ainsi que le vide n'ait lieu ; cette loi, dis-je, tend à la conservation du grand tout. Mais cette autre loi, par laquelle les corps graves tendent à se réunir à la masse du globe terrestre, tend seulement à conserver la région des corps denses. Ainsi le premier de ces mouvements maîtrise-t-il le dernier. La même règle a lieu en politique : ce qui tend à conserver la forme même de gouvernement dans sa nature propre, est plus puissant que ce qui contribue seulement au bien-être des membres individuels de la république. Cette même règle s'applique aussi à la théologie. Car la charité, qui, de toutes les vertus, est la plus communicative, tient le premier rang parmi les vertus théologales : la force d'un agent est augmentée par l'antipéristase de son contraire, est une règle en physique; règle qui, en politique, a des effets étonnants. Car toute faction est violemment irritée par l'opposition de la faction contraire. Une dissonance qui se termine tout-à-coup par un accord, rend l'harmonie plus agréable; c'est une règle en musique. Mais cette même règle a lieu en morale et dans les passions. Ce trope musical, qui consiste à échapper tout doucement à la finale ou à la désinence, au moment où l'on s'y croit arrivé, ressemble à cette figure de rhétorique, qui consiste à éluder l'attente. Le son tremblottant de certains instruments à corde, procure à l'oreille le même plaisir que donne à l'oeil la lumière qui joue dans l'eau, ou dans un diamant. "L'océan brille d'une lumière tremblotante" (Virgile, Énéide, VII, 9). Les organes des sens ont de l'analogie avec les organes de l'optique. C'est ce qui a lieu dans la perspective. Car l'oeil est semblable à un miroir ou aux eaux. Et dans l'acoustique, l'organe de l'ouïe a de l'analogie avec cet obstacle qui, dans une caverne, arrête le son et produit un écho. Ce petit nombre de principes communs à différentes sciences doit suffire à titre d'exemples. Il y a plus: la magie des Perses, qui a fait tant de bruit, consistait en cela même, à observer ce qu'il y a d'analogue et de commun dans les composés, soit de l'ordre naturel, soit de l'ordre politique. Mais tout ce que nous venons de dire et ce qu'on peut dire de semblable, il ne faut pas le regarder comme de simples similitudes (comme pourrait le penser tel qui manquerait d'une certaine pénétration) mais ce sont des vestiges, des caractères de la nature, absolument identiques ; caractères qu'elle a imprimés à différentes matières et à différents sujets. C'est une science que jusqu'ici l'on n'a point traitée avec le soin qu'elle mérite. Tout au plus dans les écrits émanés de certains génies élevés, trouverez-vous, répandus çà et là, quelques axiomes de cette espèce, et seulement à l'usage du sujet qu'ils traitent. Mais un corps de pareils axiomes qui, étant comme le sommaire, comme l'esprit de toutes les sciences, puissent, en en donnant une première teinte, en faciliter l'étude, personne ne l'a encore composé, et ce serait pourtant de tous les ouvrages le plus propre pour faire bien sentir l'unité de la nature : ce qui est regardé comme l'office de la philosophie première. Il est une autre partie de cette philosophie première, qui, si l'on ne regarde qu'aux mots, est ancienne ; mais si l'on envisage la chose même que nous avons en vue, est vraiment neuve : je veux parler d'une recherche sur les conditions accidentelles des êtres; conditions auxquelles nous pouvons donner le nom de transcendantes : par exemple, sur ce qui, dans la nature, est en grande ou en petite quantité, semblable ou différent, possible ou impossible, et même sur l'être et le non-être, et autres choses semblables ; car de telles recherches ne sont pas proprement l'objet de la physique; et une dissertation purement dialectique sur ce sujet, est plus appropriée aux méthodes d'argumentation, qu'à la réalité des choses. Or, une recherche de cette importance, au lieu de l'abandonner comme on l'a fait, on devait lui donner quelque place dans les divisions des sciences. Cependant notre sentiment est que le sujet doit être traité d'une toute autre manière qu'on ne le traite ordinairement. C'est ainsi que de tous ceux qui ont parlé de la grande et petite quantité des choses, il n'en est aucun qui ait eu pour but d'expliquer pourquoi, dans la nature, certaines choses sont en si grande abondance et si communes, ou le pourraient être, tandis que d'autres sont si rares et en si petite quantité. Par exemple, il ne se peut que dans la nature il y ait autant d'or que de fer, autant de rose que d'herbe, autant de corps spécifiques que de corps non spécifiques : il en est peu aussi qui, en parlant de la similitude et de la diversité, nous aient dit pourquoi l'on trouve toujours comme interposés entre les diverses espèces, certains êtres mi partis qui sont d'une espèce équivoque; comme la mousse, entre la matière putride et la plante; les poissons qui s'attachent à un certain lieu, et qui n'en bougent pas, entre l'animal et la plante; les souris, les rats et autres êtres semblables, entre les animaux qui naissent de la putréfaction et ceux qui proviennent d'une semence; les chauve-souris, entre les oiseaux et les quadrupèdes ; les poissons volants (qui sont déjà très connus), entre les oiseaux et les poissons; les phoques, entre les poissons et les quadrupèdes et autres êtres de cette nature. On n'a pas non plus cherché pourquoi, malgré ce principe qui dit : que le semblable cherche son semblable, le fer n'attire pas le fer, comme le fait l'aimant; et pourquoi l'or n'attire pas l'or, quoique ce métal attire le mercure. Sur toutes ces choses et autres semblables, dans les dissertations qui ont pour objet les choses transcendantes, on garde un profond silence ; car l'on s'attache plus à ce qui peut donner de l'élévation au discours qu'à ce qu'il y a de plus caché dans les choses mêmes. Ainsi une recherche sincère et solide sur ces choses transcendantes ou ces conditions accidentelles des titres, non pas d'après les lois du discours, mais d'après les lois de la nature, doit trouver place dans la philosophie première. Mais en voilà assez sur la philosophie première ou la sagesse, que nous avons, avec quelque sorte de raison, classée parmi les choses à suppléer. [3,2] CHAPITRE II. De la théologie naturelle, et de la doctrine qui a pour objet les anges et les esprits; doctrine qui en est un appendice. Ayant donc, pour ainsi dire, installé sur son siège, la mère commune des sciences, semblable à la déesse Cybèle, qui voit avec complaisance les cieux peuplés de sa nombreuse lignée, revenons à cette division de la philosophie en trois espèces; savoir ; la philosophie divine, naturelle et humaine ; car ce n'est pas avec moins de fonement que la théologie naturelle est qualifiée de philosophie divine. Or, s'il s'agit de définir cette dernière, disons que c'est une science, ou plutôt une étincelle de science, telle tout au plus qu'on peut l'acquérir sur Dieu par la lumière naturelle et la contemplation des choses ; science qui peut être regardée comme divine quant à son objet, et comme naturelle quant à la manière dont elle est acquise. Actuellement si nous voulons marquer les vraies limites de cette science, nous dirons qu'elle est destinée à réfuter l'athéisme, à le convaincre de faux, à faire connaître la loi naturelle, qu'elle ne s'étend que jusques là, et qu'elle ne va point jusqu'à établir la religion. Aussi voyons-nous que Dieu ne fit jamais de miracle pour convertir un athée, attendu que la lumière naturelle suffisait à cet athée pour le conduire à la connaissance de Dieu; mais les miracles ont eu pour but manifeste la conversion des idolâtres et des hommes superstitieux, qui, à la vérité, reconnaissaient la Divinité, mais qui s'abusaient par rapport au culte qui lui est dû. La seule lumière naturelle ne suffit pas pour manifester la volonté de Dieu, et pour faire connaître son culte légitime; car de même que les oeuvres montrent bien la puissance et l'habileté de l'ouvrier, et ne montrent point son image ; de même aussi les oeuvres de Dieu peignent, il est vrai, la sagesse et la puissance de l'auteur de toutes choses, mais ne tracent nullement son image; et c'est en quoi l'opinion des païens s'éloigne de la vérité sacrée : selon eux, le monde est l'image de Dieu; et l'homme, l'image du monde. Mais la sainte écriture ne fait point au monde cet honneur de le qualifier, en quelque lieu que ce soit, d'image de Dieu, mais seulement d'ouvrage de ses mains ; c'est l'homme qu'elle qualifie d'image de Dieu, le plaçant immédiatement après lui : et quant à la manière de traiter ce sujet; que Dieu existe, qu'il soit souverainement puissant, sage, prévoyant et bon, qu'il soit le rémunérateur et le vengeur suprême, qu'il mérite notre adoration c'est ce qu'il est facile d'établir et de démontrer même par ses œuvres. On peut aussi, sous la condition d'une certaine réserve, tirer de la même source et dévoiler une infinité de vérités admirables et cachées, sur ses attributs, et beaucoup plus encore, sur la manière dont il régit et dispense toutes choses dans l'univers; c'est un sujet que quelques écrivains ont traité dans des ouvrages vraiment utiles : mais vouloir, d'après la seule contemplation des choses naturelles, et les seuls principes de la raison humaine, raisonner sur les mystères de la foi, ou même les persuader avec plus de force, ou encore les analyser dans un certain détail et les éplucher, c'est, à mon sentiment, une entreprise dangereuse. Donnez à la foi ce qui appartient à la foi, car les païens eux-mêmes, dans cette fable, si connue et vraiment divine, sur la chaîne d'or, accordent cela même, que ni les dieux ni les hommes ne furent assez forts pour tirer Jupiter des cieux sur la terre; mais que Jupiter le fut assez pour tirer de la terre dans les cieux et les hommes et les dieux : ainsi ce serait faire d'inutiles efforts que de vouloir adapter à la raison humaine les célestes mystères de la religion. Il conviendrait plutôt d'élever notre esprit jusqu'au trône de la céleste vérité afin de l'adorer. Ainsi, tant s'en faut que, dans cette partie de la théologie naturelle, je trouve quelque chose à suppléer, qu'elle péche plutôt par excès; et c'est pour noter cet excès, que je me suis jeté dans cette courte digression, vu les inconvénients et les dangers qui en résultent, tant pour la religion que pour la philosophie ; car c'est précisément cet excès qui a enfanté l'hérésie, ainsi que la philosophie fantastique et superstitieuse. Il faut penser tout autrement de ce qui regarde la nature des anges et des esprits, dont la connaissance n'est ni impossible ni interdite : connaissance à laquelle l'affinité même de la nature de ces esprits avec l'âme humaine, fraie, en grande partie, le chemin. Il est sans doute un précepte de la sainte écriture, qui dit : que personne ne vous abuse par la sublimité de ses discours, et par cette partie de la religion qui a les anges pour objet, s'ingérant dans les choses qu'il ne connaît pas. Cependant cet avertissement, si nous l'analysons avec soin, nous n'y trouverons que deux défenses : l'une, est de leur adresser ce genre d'adoration qui n'est dû qu'à Dieu, et de concevoir d'eux des opinions fanatiques, ou qui les élèvent au-dessus du rang de la créature; ou enfin de se piquer d'avoir sur ce point des lumières qui excèdent le degré de connaissance auquel on est réellement parvenu. Mais une recherche modeste dont ils soient l'objet; une recherche qui s'élève à la connaissance de leur nature par l'échelle des choses corporelles, ou qui l'envisage dans l'âme humaine comme dans un miroir, une telle recherche n'est nullement interdite. Il en faut dire autant de ces esprits immondes qui sont déchus de leur état. Tout pacte avec eux, tout recours à leur assistance est sans doute illicite, et beaucoup plus encore toute espèce de culte et de vénération pour eux : mais la contemplation et la connaissance de leur nature, de leur puissance, de leurs illusions, tirée non seulement des différents passages de l'écriture sainte, mais encore de la raison et de l'expérience, n'est pas la moindre partie de la sagesse spirituelle; et c'est ainsi sans contredit que s'exprime l'apôtre sur ce sujet : nous n'ignorons pas ses stratagèmes. Mais il n'est pas plus défendu d'étudier la nature des démons, dans la théologie, que celle des poisons, dans la physique, et celle des vices, dans la morale. Or, cette partie de la science, qui a pour objet les anges et les démons, il n'est pas permis de la ranger parmi les choses à suppléer, attendu qu'un assez grand nombre d'écrivains ont essayé de la traiter. Mais la plus grande partie de ces écrivains, il conviendrait plutôt de les taxer de vanité, de superstition, ou d'une frivole subtilité. [3,3] CHAPITRE III. Division de la philosophie naturelle en théorique et pratique. Que ces deux parties doivent être séparées, et dans l'intention de celui qui les truite, et dans le corps même du traité. Laissant donc la théologie naturelle, à laquelle nous avons attribué la recherche des esprits à titre d'appendice, passons à la seconde partie; savoir: à la science de la nature, ou à la philosophie naturelle. C'est avec beaucoup de jugement que Démocrite a dit : que la science est ensevelie dans la profondeur des mines, et cachée dans le fond des puits. Les Chimistes également ont eu raison de dire que Vulcain est une seconde nature, attendu qu'il achève en très peu de temps ce que la nature n'exécute ordinairement que par de longs détours et à force de temps. Eh bien ! que ne divisons-nous la philosophie en deux parties; savoir ; en mines et en fourneaux, constituant ainsi deux métiers différents pour les philosophes, et les divisant en miueurs et en forgerons? Néanmoins, quoiqu'il semble que nous ne fassions ici que plaisanter, nous ne laissons pas de regarder comme très utile une division de cette espèce, pour peu que, la proposant en termes familiers et propres à l'école, on divise la science de la nature, en recherche des causes et production des effets, en théorique et pratique. L'une fouille dans les entrailles de la nature; l'autre, la forge, pour ainsi dire, sur l'enclume. Je n'ignore pas combien sont étroitement liées ces deux choses, la cause et l'effet; je sais qu'on est quelquefois obligé de réunir l'explication de l'une et celle de l'autre. Cependant, puisque toute philosophie naturelle, solide et fructueuse, emploie une double échelle; savoir : l'échelle ascendante et l'échelle descendante; l'une, qui monte de l'expérience aux axiomes; l'autre, qui descend des axiomes à de nouvelles intentions; il nous paraît très convenable de séparer ces deux parties, la théorique et la pratique, et dans l'intention de celui qui les traite, et dans le corps même du traité.