Nul doute quo ce genre de services que rendent les sciences dans l'état de société , et qui consiste à prévenir le mal que l'homme peut faire à l'homme, ou à y remédier, no le cède que de bien peu à cet autre genre de services qu'elles nous rendent, en allégeant toutes ces nécessités que nous impose la nature môme. Or, ce genre de mérite est fort ' bien caractérisé par la fiction clu théttre d'Orphée , mi les animaux terrestres et les oiseaux du ciel se rassembloient en foule; et là, oubliant leurs appétits na• turels, tels que ceux qui ont pour objet la chasse , les jeux et les combats, se te_ noient ensemble paisiblement, amicale- ment , attirés et apprivoisés par les ac- cords et la suave mélodie de la lyre. Mais dés que le son de cet instrument venoit à cesser, ou à être couvert par un plus grand bruit, aussi-tôt ces animaux retournoient à leur naturel; fable qui peint élégamment le génie et les moeurs des hommes , qui tous sont sans cesse agités par des passions sans frein et sans nombre, telles que celles du gain, de la volupté et de la vengeance ; et qui néan- moins , tant qu'ils prêtent l'oreille aux préceptes et aux insinuations de la reli- gion , (les loix , des mattres qui se font entendre si éloquemment et avec une si douce mélodie, dans les livres, les en- tretiens particuliers et les discours pu- tlics, vivent en paix les uns avec les au- tres , et goûtent ensemble les douceurs de la société : mais cette voix si douce vient-elle à se taire, ou à être couverte par le bruit éclatant des émeutes et des séditions, à l'instant tout l'assemblage se dissout, tout se dissipe, et l'on retombe dans l'anarchie et la confusion. Mais c'est ce qu'on voit encore plus clairement, lorsque les rois eux-mêmes, ou les grands, ou leurs lieutenans, sont instruits jusqu'à un certain point. Car, bien qu'on puisse regarder comme un peu trop amoureux de son personnage celui (1) qui a dit : qu'enfin les rdpu- bliques seraient heureuses, lorsqu'on verrait les philosophes régner, ou les rois philosopher. Quoi qu'il en soit ,. l'expérience même atteste que c'est sous les princes ou les chefs de républiques éclairés, que les états ont été le plue heu- reux. Car, quoique les rois eux-lames aient leurs erreurs et leurs vices, et qu'ils soient, comme les autres hommes, su- jets à des passions et à de mauvaises ha- bitudes, néanmoins, si la lumière des sciences vient se joindre à l'autorité dont ils sont revêtus, certaines notions anti- cipées de religion ,de prudence, d'hon- néteté, ne laissent pas de les réprimer , de les garantir des plus lourdes fautes, de tout excès irremédiable et de toute erreur grossière ; les premières leçons agaçant continuellement leur oreille , même lorsque leurs conseillers et ceux qui les approchent gardent le silence. Je dirai plus : les sénateurs eux-mêmes et les conseillers dont l'esprit est cultivé, s'appuient sur des principes plus solides que ceux qui sont instruits par la seule expérience ; les premiers prévoyant de plus loin les inconvéniens,' et prenant de bonne heure des mesures pour s'en garantir : au lieu que les derniers ne voient le mal que de prés et n'ont qu'une sagesse de courte portée, ne voyant ja- mais que le péril imminent , et se flat- tant qu'ils pourront enfin , grace à l'a- gilité de leur esprit, se tirer d'affaire au moment même du danger.