Lecture : Francis BACON (1561 - 1626) à propos de la forme de la lumière : Francis Bacon, De la dignité et de l'accroissement des sciences, IV, 3 : ... Debuerant autem homines contemplationes suas submittere paulisper, et quid sit Corporibus omnibus Lucidis commune inquirere, tanquam de Forma Lucis. Etenim quam immensa est corporis differentia (si ex dignitate considerentur) inter solem et lignum putridum, aut squamas etiam piscium putridas? Inquirere etiam debuerant, quid tandem in causa sit cur aliqua ignescant, et Lucem ex se iaciant calefacta, alia minime ? Ferrum, metalla, lapides, uitrum, ligna, oleum, seuum, ab igne, uel flammam uibrant uel saltem rubescunt; at aqua, aer, acerrimo et tanquam furenti calore feruefacta, nihil tamen Lucis adipiscuntur, nec splendent. Quod si quis hoc eo fieri putet quod proprium sit ignis lucere, aqua autem et aer igni omnino inimica sint ; is sane nunquam per obscura noctis in aqua salsa, tempestate calida, remigauit; cum guttulas aquae, ex remorum concussione subsilientcs, micare et lucescere uidere potuisset. Quod etiam fit in spuma maris feruentiore, quam Pulmonem Marinum uocant. Quid denique habent commune cum flamma et ignitis cicendulae et luciolae ; et musca Indica, quae cameram totam illustrat ; et oculi quorundam animalium in tenebris; et saccharum inter radendum aut frangendum ; et sudor equi nocte aestuosa festinantis; et alia nonnulla? Quin et homines tam parum in hac re uiderunt, ut plerique scintillas e silice, aerem attritum putent. Attamen quando aer calore non ignescat, et Lucem manifesto concipiat, quomodo tandem fit ut noctuae et feles et alia nonnulla animalia noctu cernant ? Adeo ut ipsi aeri (quando uisio absque Luce non transigatur) necesse est inesse Lucem aliquam natiuam et genuinam, quamuis tenuem admodum et infirmam, quae tamen sit radiis uisiuis huiusmodi animalium proportionata, iisque ad uidendum sufficiat. Verum huiusce mali (ut plurimorum) causa est, quod homines ex instantiis particularibus Formas naturarum Communes non elicuerunt ; id quod nos tanquam subiectum proprium Metaphysicae posuimue, quae et ipsa Physicae siue doctrinae de Natura pars est. ... Les hommes auraient dû pourtant rabaisser un peu leur contemplation, et chercher ce qu'il y a de commun entre tous les corps lumineux, c'est-à-dire la forme de la lumière. En effet, quelle différence infinie, quant à la matière (si nous les considérons par rapport à leur dignité), entre le soleil et le bois pourri, et même les écailles putréfiées des poissons. Ils auraient dû aussi chercher pourquoi certains corps étant chauffés, deviennent lumineux, et d'autres point. Pourquoi le fer, les métaux, les pierres, le verre, les bois, l'huile, le suif, sont enflammés par le feu, ou du moins poussés jusqu'au rouge; tandis que l'eau et l'air exposés à une chaleur très forte et comme furieuse, n'ont pourtant rien de lumineux, et sont sans éclat: que si quelqu'un, pour rendre raison de cette différence, prétendait que le propre du feu est de luire, et que l'eau, ainsi que l'air, sont tout-à-fait ennemis du feu, cet homme là n'aura donc jamais été à la rame sur mer, durant une nuit obscure, et par un temps chaud ; car alors il aurait vu les gouttes d'eau que le choc des rames fait sautiller, toutes brillantes et toutes lumineuses. C'est ce qu'on observe aussi dans l'écume d'une mer fort agitée, et ce qu'on appelle "poumon marin". Enfin, qu'ont de commun avec la flamme et les corps rougis au feu, les vers luisants, les lucioles; et cette mouche de l'Inde, qui éclaire toute une chambre ; et les yeux de certains animaux, qui étincellent dans les ténèbres; et le sucre, qui brille lorsqu'on le rape ou le broie ; et la sueur de certain cheval galopant durant la nuit, sueur qui était toute lumineuse; et une infinité de phénomènes semblables. Il y a plus : les hommes ont des vues si bornées sur ce sujet, qu'ils s'imaginent que ces étincelles qu'on tire d'un caillou, sont de l'air enflammé par le frottement. Cependant, puisque l'air ne prend point feu, et qu'il ne laisse pas de devenir sensiblement lumineux; comment se peut-il que les hiboux, les chats et quelques autres animaux, voient durant la nuit? Il faut bien supposer que l'air même (car la vision ne peut avoir lieu sans la lumière), que l'air, dis-je, recèle une certaine lumière native et originelle, quoique faible et peu sensible; lumière qui pourtant étant proportionnée à leurs rayons visuels, les met en état de voir durant la nuit. Mais la source de cette erreur et d'une infinité d'autres, est que les hommes ne s'attachent pas assez aux faits particuliers, pour en extraire les formes communes des natures, formes que nous avons constituées comme le sujet propre de la métaphysique, qui n'est elle-même qu'une partie de la physique, ou de la science de la nature. ...